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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 72

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 19 juillet 2006
(Séance de 14 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de :

· M. Gérard Mestrallet, président directeur général de Suez,  ;

· M. Pierre Gadonneix, président d'EDF,  ;

· M. Jean-François Cirelli, président directeur général de Gaz de France,

sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.


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La Commission a entendu M. Gérard Mestrallet, président directeur général de Suez, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Après avoir souhaité la bienvenue à M. Gérard Mestrallet, président-directeur général du groupe Suez, le président Patrick Ollier a donné la parole à M. François Brottes.

Le groupe socialiste regrette, a exposé M. François Brottes, que les auditions des organisations syndicales ne soient pas ouvertes à la presse alors que celles des dirigeants des entreprises le sont. Quoi qu'il en soit, les commissaires socialistes ont pris acte de l'opposition unanime des confédérations syndicales à la privatisation de Gaz de France.

D'autre part, ce matin, le groupe socialiste a demandé avec insistance que deux documents essentiels soient transmis à la commission des affaires économiques : le projet de fusion entre Gaz de France et Suez tel qu'il a été notifié à la Commission européenne ; le premier avis que celle-ci a rendu le 19 juin, préalablement à l'envoi de la lettre de grief attendue le 18 août. Étant donné la gravité du projet en cause, il est profondément regrettable que la représentation nationale n'ait pas eu communication de ces documents avant les auditions prévues aujourd'hui. Faut-il rappeler que l'examen de dossiers comparables, tels la fusion éventuelle entre Endesa et Gas natural, s'était fait en toute transparence, transparence qui a également prévalu lorsque la commission Roulet s'est attachée à définir le projet industriel d'EDF ?

M. François Brottes a ajouté que les commissaires socialistes ont entendu M. Gérard Mestrallet et M. Jean-François Cirelli lorsqu'ils sont venus présenter le projet de fusion à la commission, le 29 mars. Comme ils ne peuvent les interroger plus avant faute de connaître les réserves formulées par la Commission européenne - réserves qui se traduiront selon toute vraisemblance par une obligation de cessions d'actifs -, ils ne participeront ni à l'une ni à l'autre de ces auditions, qu'il aurait été plus judicieux de tenir une fois les griefs connus. M. François Brottes a donc prié le président directeur général de Suez de ne pas interpréter le départ des commissaires socialistes comme une marque de discourtoisie à son égard.

Le président Patrick Ollier a rappelé que, selon le calendrier prévu, la commission a entamé ses travaux par des auditions, et que la phase de débat n'a pas commencé. Aucun document d'aucune sorte n'a été transmis à quiconque. En aurait-il été autrement qu'il n'y aurait eu aucun inconvénient à le communiquer à l'ensemble des commissaires. Le président Patrick Ollier n'a jamais entendu parler d'un « premier avis » de la Commission européenne, avis dont il prendrait lui-même connaissance avec un grand intérêt s'il existait. Si c'est au document adressé par la Commission européenne en application de l'article 6.1.c du règlement du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises qu'il a été fait allusion, M. Gérard Mestrallet confirmera certainement que sa communication à des tiers est passible de poursuites pénales.

M. François Brottes a remercié le président Patrick Ollier de sa réponse, puis les commissaires socialistes ont quitté la salle de réunion.

Le président Patrick Ollier a déploré que les commissaires socialistes aient estimé devoir sortir sans attendre les explications que M. Gérard Mestrallet allait leur donner.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de Suez, a confirmé que, selon la procédure habituelle en pareil cas, la Commission européenne, après que le projet de fusion lui a été notifié le 10 mai, a adressé aux deux entreprises concernées le document dit « 6.1.c », qui n'est pas un document présentant des solutions aux effets concurrentiels de l'opération mais une analyse du marché, dont la communication à des tiers peut être pénalement condamnable car elle contient des informations commerciales confidentielles. Il n'y est rien dit des cessions que demandera éventuellement la Commission européenne dans la communication des griefs attendue pour la deuxième quinzaine d'août. Après qu'une analyse juridique aura été faite, Suez transmettra volontiers au rapporteur et à la commission les éléments contenus dans ce document qu'il est possible de leur transmettre.

Le président Patrick Ollier a noté que, la Commission européenne n'ayant, à ce jour, rendu aucun avis sur le dossier, le document demandé par l'opposition n'existe pas. Il s'est dit heureux d'accueillir à nouveau M. Gérard Mestrallet, que la commission a reçu le 29 mars avec M. Jean-François Cirelli, pour les entendre évoquer le projet de fusion de Suez et de Gaz de France. L'Assemblée nationale est à présent saisie d'un projet de loi qui ne traite pas directement de ce projet. Toutefois, le Gouvernement demande au Parlement l'autorisation de modifier le taux de sa participation au capital de Gaz de France et, si cette autorisation lui est donnée, il étudiera les projets existants. Le seul étant celui qui a été présenté à la commission le 29 mars, rien ne servirait de prétendre qu'il n'existe pas. La commission entendra donc avec un intérêt soutenu M. Gérard Mestrallet exposer le projet industriel qu'il défend.

M. Gérard Mestrallet a déclaré que la fusion de Suez et de Gaz de France apporte une réponse pertinente aux enjeux du secteur énergétique européen. Le gaz prenant une part croissante, et qui devient dominante, dans le mix énergétique du continent, l'Europe entre progressivement dans une économie gazière. Dès 2020, 40 % du mix énergétique sera d'origine gazière, et le gaz gagne des parts de marché par rapport à toutes les autres énergies. Il en résulte une dépendance énergétique croissante, car les gisements en mer du Nord sont en voie d'épuisement. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les importations de gaz de l'Union européenne à quinze, qui étaient de 189 milliards de m³ en 2002, s'élèveront à 336 milliards de m³ en 2010 et à plus de 500 milliards de m³ en 2020. Selon la Commission européenne, la dépendance énergétique globale de l'Union européenne, actuellement légèrement inférieure à 50 %, sera de 70 % en 2030. C'est dire que l'Europe devra acquérir sur les marchés internationaux, en négociant du mieux qu'elle pourra, la quasi-totalité de son approvisionnement énergétique.

C'est en Russie, au Qatar, en Iran, dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen et en Afrique centrale que l'Europe peut trouver les réserves de gaz qu'elle n'a pas, ou qu'elle n'aura plus, dans son sous-sol. On note que les réserves de la Russie sont à elles seules dix fois plus importantes que celles de l'Algérie. Celles du Qatar, qui va devenir un géant du gaz naturel liquéfié (GNL), sont cinq fois plus importantes que les réserves algériennes. La tentation pour l'Europe est de se tourner vers la Russie, dont les gisements sont accessibles par gazoduc, les autres réserves gazières étant pour l'essentiel atteignables par bateau, exception faite de quelques zones, dont l'Afrique du Nord. Pourtant, pour sécuriser son approvisionnement et ne pas dépendre d'un seul Etat fournisseur, l'Europe devra diversifier ses sources et développer son approvisionnement en gaz liquéfié, ce qui conditionnera l'avenir de l'industrie du gaz. Les risques de tension sont d'ordre géopolitique et technique mais il existe aussi un risque d'arbitrage en défaveur de l'Europe.

De surcroît, ces tensions s'exerceront dans un contexte d'énergie durablement chère. Sans même parler de l'évolution des prix sur le marché spot, la cotation à moyen terme du baril de pétrole a triplé depuis 2003 et elle s'établit actuellement à 55 dollars pour des livraisons dans sept ans. Le gaz naturel liquéfié est donc appelé à jouer un rôle croissant dans la diversification des approvisionnements et par là même dans leur sécurisation. Or, dans un secteur qui demande des investissements et une logistique considérables - usines de liquéfaction sur les lieux de production, flotte de méthaniers et terminaux de regazéification -, Suez, comme Gaz de France, est déjà un acteur important dans le GNL au niveau mondial, et le seul présent à la fois sur les marchés européen, atlantique et asiatique. Ainsi, Suez est le premier importateur de GNL aux Etats-Unis, par le plus grand terminal américain, situé à Boston.

Sur le bassin atlantique, Gaz de France est leader en contrats d'approvisionnement et en capacités de regazéification, mais il est talonné par Gas Natural et par Suez, chacune des trois sociétés ayant une activité nettement supérieure à celles de British Gas et à British Petroleum pour ce qui est du GNL. Le rapprochement Suez-Gaz de France ferait du nouveau groupe le premier acteur mondial du gaz naturel liquéfié. Les autorités européennes et françaises doivent considérer le développement du GNL, qui est au cœur du projet, comme un élément central de sécurisation de l'approvisionnement en gaz.

Considérant qu'une partie importante des infrastructures existantes seront frappées d'obsolescence d'ici 2030, l'Agence internationale de l'énergie estime à 1 000 milliards d'euros les investissements nécessaires au cours des vingt-cinq ans à venir pour satisfaire les besoins énergétiques, à raison de 750 milliards pour la production d'électricité et de 250 milliards pour le gaz. Suez partage cette analyse. Les entreprises du secteur énergétique devront donc être capables d'investir massivement en nouvelles capacités de production et en logistique - transport et terminaux.

L'Europe a longtemps vécu avec l'idée qu'elle était en situation de surcapacité énergétique. Ce n'est plus vrai. Sur la plaque continentale - France, Benelux et Allemagne -, la capacité de production nécessaire pour couvrir la demande commencera d'être insuffisante dès 2008. C'est pourquoi la plupart des grands pays européens envisagent d'augmenter considérablement leurs capacités de génération d'électricité ; la France devrait d'ailleurs suivre l'avis du Conseil supérieur de l'énergie et le faire elle aussi, a estimé M. Gérard Mestrallet,

Le projet de fusion entre Suez et Gaz de France s'inscrit dans une phase de concentration majeure des grands acteurs du secteur. En 2005, le chiffre d'affaires de Suez s'élevait à 41,5 milliards d'euros, celui de GDF à 22,4 milliards. La même année, E.On facturait 56 milliards, EDF 51 milliards, RwE 42 milliards, Enel 34 milliards, Veolia 25 milliards, Endesa 18 milliards, Iberdrola 12 milliards et Gas Natural 6 milliards. Le secteur est entré dans une période de recomposition sans précédent. Tous les électriciens sont devenus acteurs du secteur gazier, et tous les gaziers se sont associés à des électriciens, sauf un, Gaz de France, qui ne pourra rester seul. Voilà pourquoi, alors que le mouvement est en phase d'accélération parce que les marchés s'ouvrent, la fusion est pertinente.

M. Gérard Mestrallet a rappelé que Suez est le cinquième groupe français toutes activités confondues. L'entreprise, qui compte 160 000 salariés, est le cinquième électricien et le sixième opérateur gazier européen, et le leader européen des services énergétiques La fusion, a-t-il souligné, est une opération logique pour les deux acteurs. Gaz de France a besoin de s'associer à un électricien. En France, il y en a deux : EDF et Suez, Suez qui, outre sa place dans le secteur électrique, est un acteur gazier significatif. Le nouveau groupe aura la chance de pouvoir combiner des activités électriques de Suez et les activités gazières de GDF, qui seront confortées. Avec une capitalisation boursière de 65 milliards d'euros, le nouvel ensemble deviendra le leader européen du gaz en traitant 20 % du marché européen, et le leader mondial du gaz naturel liquéfié, contribuant ainsi à sécuriser l'approvisionnement énergétique de l'Europe et de la France. Sans atteindre celui de Gazprom, le chiffre d'affaires du nouvel ensemble sera important.

On a parfois présenté le projet de fusion comme une opération « franco-française ». C'est caricatural, alors que Gaz de France réalise 40 % de ses activités à l'international, et Suez 75 %. Le nouveau groupe sera un acteur paneuropéen majeur. Enel, en revanche, n'est pas un groupe européen. Il aspire à le devenir, mais ses activités sont concentrées à 95 % en Italie. Suez a construit l'Europe de l'énergie par des partenariats et des contrats négociés - mais jamais de manière hostile, façon de procéder qui ne convient pas dans le secteur énergétique. Le groupe fusionné sera présent dans tous les pays européens, avec une présence particulièrement forte en France et dans le Benelux mais aussi en Hongrie, en Pologne, en Roumanie, en Italie, en Espagne, en Allemagne...

S'agissant du point crucial de la diversification des approvisionnements gaziers, aucun autre groupe n'a une palette aussi diversifiée que serait celle de Suez - Gaz de France. Actuellement, la Russie représente 25 % des approvisionnements de GDF et donc de la France, ce qui n'est pas sans comporter des risques, notamment techniques. Cet hiver, tous les pays européens ont souffert de ruptures d'approvisionnement ; seuls les Français et les Belges ne se sont rendu compte de rien, GDF ayant opportunément puisé dans ses stocks et Suez ayant trouvé des solutions alternatives en Belgique. Outre les sources d'approvisionnement actuelles de Suez et de Gaz de France - Russie, Norvège, Algérie, Pays-Bas -, le nouveau groupe en aurait de nouvelles, actuellement en cours de négociation par l'une ou l'autre des deux entreprises : le Qatar, l'Egypte, le Yémen, Trinité-et-Tobago et le Nigeria. La Mauritanie et l'Iran sont d'autres possibilités à l'étude. Si certaines sources venaient à manquer, on se tournerait donc vers les autres. Outre qu'il assurera ainsi la sécurité d'approvisionnement due aux consommateurs français, le groupe fusionné sera, de par sa taille, en mesure de négocier ses contrats dans de très bonnes conditions.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a remercié M. Gérard Mestrallet pour sa très intéressante présentation. Il a souhaité connaître les intentions des deux entreprises s'agissant de l'amont gazier; savoir comment ils comptent organiser l'opérateur commun de réseaux à deux entreprises dont l'une est privée et l'autre, publique ; avoir quelques éclaircissements sur ce que pourraient être les exigences de la Commission européenne en matière de cessions d'actifs, notamment en Belgique ; connaître, enfin, l'opinion des actionnaires de Suez sur l'édification d'un groupe dont le capital sera détenu à hauteur de 34 % par l'Etat français.

Mme Marie-Anne Montchamp a souligné l'importance d'une vision complète du projet industriel, se projetant dans l'avenir énergétique de la France et de l'Europe. Comment, sinon, faire savoir aux Français que le groupe fusionné serait le leader européen du gaz ? D'autre part, il est dit dans le projet de loi que l'obligation de service public sera maintenue, mais qu'en sera-t-il du projet social, sujet d'une extrême importance pour Gaz de France, où des inquiétudes s'expriment sur les conditions de la fusion ? Comment cette étape du rapprochement sera-t-elle abordée ?

M. François-Michel Gonnot a demandé si Enel s'était manifesté depuis que les dernières élections avaient porté M. Romano Prodi au pouvoir en Italie. Il a prié M. Gérard Mestrallet de préciser en quoi, mise à part une approche initiale hostile, Enel serait un mauvais partenaire pour Suez, alors qu'EDF l'a laissé participer à l'EPR. Il lui a demandé pourquoi l'hypothèse de participations croisées est désormais totalement exclue, alors que les présidents de Suez et de Gaz de France, en annonçant la fusion, le 25 février, l'avaient eux-mêmes présentée comme la première étape, nécessaire, du mariage à venir. Il a enfin demandé si l'on peut raisonnablement s'attendre que les actionnaires de Suez, dont la majorité ne sont pas français, estimeront toujours satisfaisante, lorsqu'ils seront saisis d'une proposition définitive, la parité de fusion qui leur a été proposée le 25 février ou s'il faudra envisager de les rémunérer davantage. L'affaire Arcelor-Mittal a montré qu'en ces matières la prudence s'impose mais que la transparence doit être de rigueur.

Ayant entendu les justifications, légitimes, de la fusion, M. Jean-Paul Charié a demandé pourquoi elle ne serait pas possible si l'Etat français restait majoritaire dans le capital du groupe. Il a souligné le paradoxe consistant à appuyer la fusion de deux concurrents au moment même où l'on parle de libéraliser la concurrence. Il a voulu savoir comment le nouveau groupe, contraint de réaliser des investissements considérables à cinquante ans parviendrait à rémunérer ses actionnaires à six mois.

M. Pierre Lellouche a déclaré que, sans qu'il remette en cause l'intérêt du projet industriel, sa qualité de législateur le faisait s'interroger sur celui-ci du point de vue de l'intérêt général. Si, partout, gaziers et électriciens se marient, pourquoi avoir fait divorcer Gaz de France d'EDF il y a deux ans pour le marier maintenant avec Suez ? La logique d'un tel revirement reste à établir. La question centrale, c'est le contrôle des ressources, pour conforter l'autonomie énergétique de la France. À ce titre, un mariage entre GDF et Total, qui dispose de très importantes réserves gazières, serait parfaitement cohérent. Un mariage avec Suez, groupe d'environnement exploitant des centrales nucléaires en Belgique, ne présente d'intérêt à cet égard que du fait des activités de Suez dans le domaine du GNL. Quelles ressources gazières apporterait la fusion à Gaz de France ?

Par ailleurs, M. Miller, président de Gazprom, société dix fois plus puissante que ne serait le nouvel ensemble, dit vouloir accéder au marché de la distribution. Qui l'empêchera d'approcher M. Albert Frère et M. Paul Desmarais, son partenaire canadien, pour leur proposer deux ou trois fois la valeur de leur participation dans le groupe GDF-Suez ? Quelle garantie a-t-on qu'une fois Gaz de France privatisé, le groupe fusionné ne deviendra pas, à l'avenir, la propriété d'un groupe étatique russe? Si la réponse est que l'Etat français aura une action spécifique, il y a lieu de craindre qu'elle pèse bien peu au regard de la réalité, qui est que la France dépend de la Russie pour 30 % de ses importations de gaz. La meilleure manière de résister aux Russes, qui utilisent désormais leur puissance gazière comme une arme politique, ce que l'URSS n'avait pas fait, n'est-elle pas la coordination européenne des achats de gaz alors même que le récent contrat d'armement entre la Russie et l'Algérie illustre le rapprochement des deux principaux fournisseurs de l'Europe ? M. Pierre Lellouche a conclu que la fusion projetée suscite bien des interrogations au regard de l'indépendance énergétique de la France et indépendamment de la logique industrielle de Suez.

Soulignant que les ressources en gaz de la Norvège et des Pays-Bas allaient s'épuiser, M. Philippe Auberger a demandé lesquels des contrats à long terme de Suez assuraient une grande sécurité d'approvisionnement et quels investissements Suez était disposé à faire en matière de production et, le cas échéant, de transport, pour sécuriser les approvisionnements. Il a voulu savoir si, dans la répartition des approvisionnements, la proportion des achats spot, actuellement de quelque 20 %, demeurerait ou si le nouveau groupe envisageait de la réduire. Il a enfin demandé à M. Gérard Mestrallet s'il pensait, comme lui, l'actionnariat de Suez scindé en trois blocs : des actionnaires français qui, attachés au patriotisme économique, appuieraient le projet ; des actionnaires belges et leurs alliés peu intéressés par les problèmes énergétiques français mais éventuellement par une bonne affaire ; des fonds de pension à la recherche de l'OPA la plus profitable possible.

M. Hervé de Charette a insisté sur le fait que M. Gérard Mestrallet a exposé que le gaz deviendrait progressivement l'énergie principale en Europe, et a indiqué que les tableaux distribués aux commissaires montrent que la part de l'énergie nucléaire dans les approvisionnements serait divisée par deux entre 2000 et 2030. Si cette simulation est faite par projection des conséquences des politiques actuellement menées en Europe, n'est-on pas fondé à penser que la situation peut se modifier ? D'autre part, une fois la fusion réalisée, le nouveau groupe se considérera-t-il en état d'agir et de se développer ou d'autres alliances et d'autres menaces sont-elles prévisibles, et lesquelles ?

M. Jean-Pierre Nicolas a relevé que la fusion créerait un groupe important à la capacité de négociation augmentée et renforcerait la sécurité de l'approvisionnement. De cette sécurité, Gaz de France a fait sa stratégie depuis de nombreuses années, et il faut saluer la volonté de la renforcer ; toutefois, s'agissant de la capacité de négociation, les rigidités du marché la limitent forcément. Aussi, le nouveau groupe mettrait-il en œuvre une stratégie affirmée de producteur, ou s'en tiendrait-il, par la force des choses, au négoce ? À cet égard, le législateur français s'interroge sur ce qu'un terminal méthanier à Boston peut apporter aux consommateurs français. D'autre part, comment Suez parviendra-t-il à concilier les intérêts des actionnaires qui, au cours de l'assemblée générale du 5 mai, n'avaient pas paru favorables à la parité retenue pour l'opération, et ceux des consommateurs ? M. Jean-Pierre Nicolas a dit partager les préoccupations exprimées par le rapporteur sur la cohabitation entre salariés de droit privé et agents sous statut au sein d'une même entreprise. Enfin, alors que l'on évoque de plus en plus souvent une stratégie énergétique européenne commune, pourquoi ce qui est possible entre Suez et Gaz de France n'est-il pas possible entre Suez et Enel ?

M. Xavier de Roux a souligné qu'en contrôlant Gaz de France, l'Etat contrôle la sécurité des approvisionnements. Sa part dans le capital du nouveau groupe - 34% plus une action spécifique - lui permettra-t-il d'exercer ce contrôle de manière pérenne ? Plus précisément, l'action spécifique lui donnera-t-elle un droit de veto sur des cessions d'actifs à un tiers qu'il jugerait indésirable ? D'autre part, l'opération envisagée est d'une portée majeure pour la Belgique, puisque Suez possède toutes les centrales électriques du royaume. Comment l'Etat belge réagit-il à l'idée de la constitution d'un groupe dont l'Etat français détiendra 34 % du capital ainsi qu'une action spécifique ? Enfin, il a longtemps été dit que la géographie du réseau français de distribution de gaz était « inadaptée à l'ouverture réussie à la concurrence » ; cet obstacle a-t-il été levé lors de la définition du projet de fusion entre Gaz de France et Suez ?

M. Claude Gatignol a demandé quel potentiel d'investissements supplémentaires pour le gaz mais aussi pour l'électricité permettrait la fusion. Hormis en Allemagne, la construction de réacteurs nucléaires, seule solution raisonnable, revient à l'ordre du jour dans de nombreux pays européens. Suez a-t-il des projets dans ce domaine ? Par ailleurs, l'indépendance énergétique suppose la maîtrise de l'accès à des parts de la production ; à ce sujet, dans quelles zones crédibles en terme de sécurité des approvisionnements Suez a-t-il des contrats de long terme ? Comment, d'autre part, mieux maîtriser la dérive actuelle du prix de l'énergie ? L'apport à Gaz de France de l'électricité produite par Suez le permettra-t-il ? Enfin, Suez est aussi l'interlocuteur de quelque 6 000 communes pour ce qui concerne l'eau et l'environnement. Dans le cadre de la fusion, quelle sera l'évolution de ces secteurs et qu'en sera-t-il de leurs salariés ?

M. Jacques Bobe a demandé si le moment n'était pas venu de s'interroger sur la définition d'une politique européenne de l'énergie plus large que celle qui est envisagée aujourd'hui. Des participations croisées avec Enel, Endesa et d'autres sociétés ne pourraient-elles être envisagées ? Si, pour des raisons juridiques, la fusion entre GDF et Suez n'aboutissait pas, quelle serait la stratégie de Suez ? La capacité financière cumulée de Suez et de Gaz de France est-elle suffisante pour assurer la réalisation des investissements de long terme indispensables ? Ne peut-on concevoir la constitution d'un groupe dans lequel l'Etat aurait 51 % du capital ? Quelle peut être l'incidence de la demande de l'Asie et des Amériques sur la ressource en gaz ?

M. Jean Proriol a souhaité connaître la position des personnels de Suez sur la fusion, car leur approche semble différer de celle des confédérations syndicales. Ces dernières seraient beaucoup plus favorables à la fusion si l'Etat conservait 50 % du capital et une action spécifique, ce qui reviendrait à nationaliser Suez ; il a demandé l'opinion de M. Gérard Mestrallet à ce sujet. Rappelant qu'en 1996 déjà des contacts, restés sans suite, avaient été pris entre Suez et Gaz de France, et qu'en 2000 M. Fabius soutenait un projet qui s'appuyait sur un rapport de Mme Nicole Bricq prônant la privatisation de GDF, M. Jean Proriol a demandé à M. Gérard Mestrallet quelle avait été la position de Suez à l'époque.

M. Serge Poignant est revenu sur l'hypothèse selon laquelle la part du nucléaire dans l'approvisionnement énergétique européen serait divisée par deux d'ici 2030, alors même que, comme l'a rappelé M. Gérard Mestrallet , l'Agence internationale de l'énergie estime les investissements nécessaires au cours des vingt-cinq ans à venir à 750 milliards pour la production d'électricité, ce qui comprend forcément le coût de nouveaux réacteurs. La question de la part respective des différentes énergies primaires dans la consommation est fondamentale, et M. Serge Poignant a dit considérer la production d'énergie nucléaire et donc le renouvellement du parc, indispensables à la stabilité de l'approvisionnement. Dans ce contexte, quel rôle serait dévolu aux centrales combinées à gaz ? Ne seront-elles conçues que pour l'apport de pointe ? Quelle incidence leur construction aura-t-elle sur les investissements et sur les prix ? Dans un autre domaine, l'action spécifique donne-t-elle l'assurance de pouvoir empêcher une OPA future ? D'autre part, quel sera l'impact de la fusion pour le secteur « environnement » de Suez ? Il s'agit de métiers différents ; une autre solution n'aurait-elle pas été envisageable ? Enfin, Suez considère-t-elle qu'il n'y a pas de solution alternative à la fusion, ou travaille-t-elle encore à l'hypothèse de participations croisées ?

Le président Patrick Ollier a demandé à M. Gérard Mestrallet de préciser la différence entre projet industriel et participations croisées. Il a rappelé avoir demandé au Gouvernement, lors du débat du 14 juin sur l'énergie, des garanties dont le respect conditionnerait le vote d'un texte qu'il considérait devoir être amélioré : la préservation de l'identité du groupe Gaz de France, la pérennité des missions de service public, la création d'un tarif social du gaz, le maintien du statut des personnels, la garantie d'un contrôle public efficace sur le nouvel ensemble, avec, d'une part, l'obligation légale que l'Etat conserve la minorité de blocage, et, d'autre part, la création d'une action spécifique. Soulignant que le ministre de l'économie avait donné ces garanties, le président Patrick Ollier a demandé à M. Gérard Mestrallet s'il était prêt à les faire siennes et l'a interrogé sur la protection exacte qu'apporterait l'action spécifique.

M. Gérard Mestrallet a indiqué qu'il regrouperait ses premières réponses par thèmes. S'agissant de l'amont, il a précisé que Suez avait la ferme intention de développer ses activités de liquéfaction. Dans ce secteur, le groupe est déjà présent à Trinité-et-Tobago, un projet est en cours de réalisation au Yémen, où un contrat sur vingt ans est en cours de discussion, comme avec le Qatar. Des contacts sont également pris avec le Nigeria, et les capacités de négociation seront accrues en cas de fusion. De son côté, Gaz de France se développe très efficacement en Egypte, discute de nouveaux contrats avec la Libye et la Mauritanie et, conjointement avec Total, a pris des contacts avec l'Iran. Le groupe fusionné entend donc effectivement se développer en amont, et sur toute la chaîne.

Avec ses 17 méthaniers, il disposera de la plus grande flotte du monde, capable de livrer où le marché le souhaite. Ainsi, la Bolivie ayant doublé le prix du gaz qu'elle livre au Brésil, ce pays s'est tourné vers Suez en lui demandant de développer ses capacités de fourniture de GNL. C'est une illustration de ce que le gaz naturel liquéfié participe de l'équilibre géopolitique du système d'approvisionnement mondial. M. Gérard Mestrallet a appelé de ses vœux la mise en œuvre d'une politique énergétique européenne, qu'il a demandée il y a deux ans déjà, car l'industrie a besoin d'un cadre de long terme. Les Etats-Unis ont défini le leur, la Russie aussi, la Chine et l'Inde l'élaborent ; l'Europe doit s'y employer.

M. Gérard Mestrallet a souligné qu'à ses yeux les participations croisées ne constituent pas une solution. Le projet de fusion est un projet industriel et social auquel les deux entreprises ont longuement travaillé. Il s'agit de réunir les équipes, les flottes, les investissements, les contrats d'approvisionnement et les achats pour procéder à une intégration complète, à une union de destins et de cultures. Les enjeux décrits ne peuvent être relevés par de simples participations croisées, qui sont d'ordre financier et n'ont pas de contenu industriel. On aurait pu explorer cette piste si le projet de fusion n'avait pas existé mais, en l'état, ce n'est pas nécessaire, puisque le projet est prêt, que les deux entreprises veulent le mener à bien et que le renforcement de la consolidation du secteur n'attendra pas. Dans un tel contexte, évoquer des participations croisées revient à refuser le projet de fusion ; or, substituer un arrangement financier à un vrai projet industriel et social pénaliserait les deux entreprises. Cette solution ne peut être retenue. Quant à fixer à 51 % la participation de l'Etat dans le capital du futur groupe, cela revient à nationaliser Suez, ce que le conseil d'administration ne veut pas, et que le marché ne voudrait pas davantage. Quinze années ont été nécessaires pour faire accepter par le gouvernement belge l'idée que toutes les centrales électriques du pays soient contrôlées par un groupe privé étranger. Que l'on imagine la réaction de la Belgique à l'idée que ce contrôle majoritaire serait exercé par un Etat étranger ! Cette solution est exclue.

Le service commun EDF-Gaz de France Distribution ne pose pas de problème, et la fusion ne modifiera rien à une évolution qui devait avoir lieu dans tous les cas. Par ailleurs, Suez a déjà la pratique d'un tel service dans les « intercommunalités mixtes » en Belgique.

On peut s'attendre que, pour approuver le projet de fusion, la Commission européenne demandera à Suez de céder certains de ses actifs, par exemple une centrale à charbon, en Belgique. La discussion est engagée sur ce point et Suez s'efforcera de compenser ces cessions obligées en acquérant d'autres centrales ailleurs. Personne ne demande que le groupe cède une centrale nucléaire.

Le noyau stable des actionnaires de Suez, qui représente 20 % des actions et 30 % des droits de vote, a accepté le projet à l'unanimité, en connaissance de cause, sans ignorer qu'il prévoit la présence de l'Etat français à hauteur de 34 % du capital du nouvel ensemble. En particulier, M. Albert Frère, premier actionnaire du groupe Suez, est très favorable à la fusion.

M. Gérard Mestrallet a indiqué que, selon sa lecture du projet de loi, l'action spécifique permet à l'Etat d'empêcher la cession d'actifs français considérés comme stratégiques en matière de distribution, de transport, de stockage souterrain et de terminaux. Le fait que l'Etat puisse vouloir empêcher des cessions d'actifs n'est pas gênant, puisque le groupe fusionné souhaite conserver ses actifs et se développer, par exemple en doublant la capacité de Fos-sur-mer, en accroissant ses capacités de stockage en France et en mettant les réseaux à un bon niveau.

Certes, quelqu'un peut, en théorie, lancer une OPA sur Suez-Gaz de France. En réalité, les risques sont extrêmement limités, a assuré M. Gérard Mestrallet, puisqu'avec la fusion, le noyau stable d'actionnaires représentera 46 % du capital, dont 34 % pour l'Etat français. En outre, dans un métier très régulé, aucun acteur ne peut aller contre la volonté d'un Etat. De plus, la capitalisation du nouveau groupe sera imposante. L'allemand E.On, distributeur de Gazprom, est infiniment plus menacé que Suez-Gaz de France.

Répondant à Mme Marie-Anne Montchamp, M. Gérard Mestrallet a dit qu'après que les autorités publiques auront tranché, il reviendra à Suez et à GDF, forts de leur présence territoriale, d'expliquer aux Français ce que le projet peut apporter en termes de capacité de négociation et de sécurité d'approvisionnement, éléments fondamentaux dont on ne parle pas assez.

Il a indiqué à M. Claude Gatignol que Suez dispose de capacités de production d'électricité très compétitives. Outre son parc de centrales nucléaires et hydrauliques, le groupe est à la tête d'un parc extrêmement moderne de turbines à gaz à cycle combiné, domaine dans lequel il est le premier exploitant mondial, en nombre. Bien entendu, le prix de l'électricité ainsi produite dépend du prix du gaz, qui a augmenté ces derniers temps.

Evoquant les obligations de service public, M. Gérard Mestrallet a rappelé que Suez était délégataire de plusieurs missions de service public pour de très nombreuses collectivités locales depuis cent cinquante ans. En Belgique, Suez gère l'ensemble du service public de l'électricité et du gaz, et il a l'obligation de servir chaque fermier isolé des Ardennes belges comme EDF a celle de servir tout éleveur isolé de l'Aubrac. Ces obligations ont été respectées pendant les trente années où l'Etat belge a régulé les prix, qui sont, en Belgique, les plus bas d'Europe avec les prix français. Suez considère que devoir assumer des obligations de service public n'est pas gênant, à condition que le cahier des charges soit clair.

Enel n'a pas disparu, a souligné M. Gérard Mestrallet, et Enel attend la décision du Parlement français avec beaucoup d'intérêt. Mais lier des entreprises n'est pas une opération abstraite, c'est lier des équipes. Suez et Gaz de France se connaissent, ils ont des projets communs et des filiales communes. Enel, absent du gaz et du nucléaire, n'apporterait pas grand-chose à Suez. Il est principalement présent en Italie où Suez, troisième acteur du secteur est le partenaire de la ville de Rome. Ce partenariat fonctionne à la satisfaction des deux parties, et l'entreprise devrait y renoncer pour s'associer avec Enel, qui l'a tenue en joue pendant cinq mois. M. Gérard Mestrallet n'a rien contre l'idée d'opérations ponctuelles avec Enel, mais il souhaite que l'on en revienne à un dialogue amiable, comme Suez en entretient avec d'autres groupes européens.

Répondant à M. Pierre Lellouche, M. Gérard Mestrallet a convenu que Gazprom souhaite se développer dans la distribution. Suez et Gazprom ont d'ailleurs signé un accord qui prévoit un stockage commun en Belgique. Les Etats européens commettraient une grande imprudence en ne s'exprimant pas d'une seule voix. Pour autant, on ne peut constituer un groupe européen unique. Fusionner deux entreprises est déjà compliqué, et aucune fusion à trois n'a jamais fonctionné ; des expériences ont été tentées dans le secteur de l'aluminium, qui se sont soldées par autant d'échecs. Il faut commencer par rapprocher Suez et Gaz de France pour constituer le premier groupe européen, qui pourra grandir encore par la suite. L'Europe achète 90 % du gaz exporté par la Russie, ce qui devrait normalement la mettre en position de force, mais il n'en est rien car les achats se font en ordre dispersé. M. Gérard Mestrallet a dit se réjouir que l'énergie figure désormais à l'ordre du jour des sommets européens et de ceux du G8 ; cela étant, le chemin sera long, car l'Europe ne s'est pas posé les questions fondamentales il y a dix ans.

En réponse à M. Jean Proriol, le président de Suez a souligné que les salariés et les syndicats de l'entreprise sont favorables à la fusion, comme le comité d'entreprise l'a écrit aux parlementaires. Lorsqu'un appel à la grève a été lancé, on a recensé seulement sept grévistes sur 160 000 salariés. Le projet a été longuement expliqué aux salariés de Suez, qui s'inquiétaient du projet social concernant leurs collègues de Gaz de France. Or, il n'y aura pas de suppressions d'emplois. Aujourd'hui, GDF ne crée pas d'emplois au contraire de Suez, qui embauche entre 8 000 et 9 000 personnes chaque année. Le groupe fusionné profitera de cette dynamique. Il n'y aura donc ni problème d'emplois, ni problème de salaires. Quant au statut, il sera non seulement préservé mais étendu aux commercialisateurs, c'est acquis. Au demeurant, la CPCU, la Compagnie nationale du Rhône et la Société hydroélectrique du Midi, filiales de Suez, emploient déjà 2 000 salariés relevant du statut des industries électriques et gazières. Suez et Gaz de France partagent la culture du service public, fortement présente chez Suez. Cela devrait faciliter le mariage.

Suez, GDF et l'Etat veulent que l'environnement demeure dans le groupe, a déclaré M. Gérard Mestrallet en réponse à M. Serge Poignant, car des synergies existent entre les différents métiers. Ainsi, Suez installe au Moyen-Orient de nombreuses usines combinant, par la technologie de l'osmose inverse, production d'électricité et dessalement d'eau de mer ; un contrat a été signé aujourd'hui même pour la construction d'une unité du même type à Barcelone.

M. Gérard Mestrallet a dit s'engager à ce qu'en cas de fusion, l'identité de Gaz de France soit préservée, de même que ses missions de service public. Au fil de son développement, le groupe Suez a toujours écarté l'idée d'une culture dominante, prenant ce qu'il y a de meilleur de chaque culture : de la Compagnie de Suez le goût du large et l'esprit de conquête, de la Lyonnaise des eaux le goût du service public, de la Belgique le sérieux et le professionnalisme. Gaz de France a d'éminentes qualités, qui seront impérativement préservées, comme le sera son nom.

En conclusion, Suez est d'accord avec l'ensemble des garanties demandées par le président de la commission ou le ministre de l'économie.

Le président Patrick Ollier a remercié le président de Suez pour la clarté de ses réponses.

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La Commission a ensuite entendu M. Pierre Gadonneix, président d'EDF, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Le président Patrick Ollier a souhaité la bienvenue à M. Pierre Gadonneix, président d'EDF, à cette audition ouverte à tous les députés, membres ou non de la commission. Il l'a invité à donner son sentiment sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie mais également sur les deux conditions posées au Gouvernement par le président et le rapporteur de la commission des affaires économiques afin de rendre le texte acceptable : permettre à tous les consommateurs de continuer à bénéficier des tarifs réglementés après 2007 et trouver une solution sous forme d'un « prix de retour » en faveur des PMI-PME injustement pénalisées par la brutale augmentation - de 60 à 80 % - des prix dérégulés.

M. Pierre Gadonneix, président d'EDF, a commencé par évoquer le nouveau contexte énergétique, qui exige dorénavant des actions rapides et adaptées de la part des opérateurs et des États pour préserver la sécurité énergétique. Le black-out qu'a connu l'Italie en 2003, les délestages préventifs qui ont eu lieu, depuis, en Espagne, en Grande-Bretagne et actuellement en Californie, les situations parfois tendues en France et en Allemagne ont démontré que le temps des surcapacités est bien révolu. La France avait déjà connu la crise de la canicule de 2003 et une fin d'hiver difficile en Corse en 2005, où la vague de froid avait obligé à des délestages ; depuis le début 2006, le dispositif de crise a été activé à quatre reprises pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande lors des périodes de forte tension. EDF a acheté ce jour même plus de 2 000 mégawatts d'électricité sur les marchés étrangers, principalement en Italie, pour faire face aux fortes chaleurs, à des prix s'échelonnant entre 100 et 160 euros par mégawatt-heure, à comparer aux 40 euros habituels. La nécessité de garantir la sécurité d'approvisionnement de l'Europe après plus de dix ans sans investissements est devenue une évidence. Ainsi que l'a indiqué le Livre vert de la Commission, il va falloir investir 500 milliards d'euros dans l'appareil de production européen d'électricité dans les quinze ans qui viennent, c'est-à-dire construire 300 gigawatts de capacité, soit l'équivalent de trois fois le parc de production français. Cela exigera des groupes financièrement solides et puissants.

La flambée des prix des hydrocarbures marque, quant à elle, la fin du temps de l'énergie bon marché. La sécurité de l'approvisionnement énergétique est devenue une question très sérieuse. Qui plus est, il faudra intégrer les contraintes liées aux préoccupations environnementales en favorisant les outils de production peu émetteurs de CO2 et autres gaz à effet de serre.

Ces évolutions expliquent la remontée des prix et des tarifs de l'électricité en Europe, après plusieurs années de forte baisse.

Dans ce contexte, l'ambition d'EDF est de jouer un rôle majeur et durable en Europe et d'être le premier investisseur en France, garant de la sécurité d'approvisionnement du pays.

L'entreprise a tous les atouts pour réussir. Elle a désormais retrouvé des marges de manœuvre, en premier lieu grâce aux efforts du personnel et aux gains de productivité réalisés, mais également par sa politique de cession d'actifs non stratégiques en Argentine, au Brésil ou en Égypte et enfin, grâce au remarquable succès de l'augmentation de capital intervenue l'automne dernier, qui lui ont permis de reprendre le chemin du développement et de l'investissement. La construction de l'EPR, formellement décidée par le conseil d'administration voilà quelques semaines, confortera sa position de leader mondial du nucléaire ; dès cet automne, 600 mégawatts supplémentaires seront remis en service à la centrale à fioul de Porcheville et 2 500 mégawatts supplémentaires y seront développés d'ici la fin 2008, sur un total de pratiquement 5 000 mégawatts de capacités nouvelles dans les cinq prochaines années.

Les priorités d'EDF à court terme sont claires : réussir l'ouverture totale du marché français au 1er juillet 2007 ; continuer à améliorer notre performance opérationnelle et financière ; poursuivre le développement du Groupe, en France et en Europe ; poursuivre l'adaptation et la transformation de l'entreprise.

M. Pierre Gadonneix a ensuite présenté ses observations sur le projet de loi proprement dit. Globalement, ce texte lui paraît permettre de franchir les prochaines étapes dans des conditions satisfaisantes.

EDF s'est préparée à l'ouverture des marchés à compter du 1er juillet 2007, en se fixant une double priorité afin qu'elle profite à tous les particuliers. Dès le 1er juillet 2007, tout client voulant choisir un autre fournisseur pourra le faire aisément, et tout client désirant rester au tarif réglementé pourra le faire en conservant la même qualité de service. Cette double priorité s'inscrit pleinement dans le projet de loi ; et conformément à l'engagement contenu dans le contrat de service public, le tarif réglementé applicable aux particuliers ne subira pas de hausse supérieure à l'inflation pendant les cinq prochaines années.

Reste toutefois une ambiguïté : le texte, tel que rédigé, fait de la fourniture d'électricité au tarif réglementé un service public local, situé dans la même concession que la concession de réseau de distribution, créant une confusion a priori contraire à l'esprit de la directive qui sépare clairement les activités de réseau et de fourniture. De surcroît, le tarif est le seul élément constitutif de la fourniture réglementée et il relève de l'État, son caractère national garantissant un prix unique sur l'ensemble du territoire national par le principe de la péréquation géographique. C'est enfin au niveau de l'État qu'a été conclu le contrat de service public limitant au niveau de l'inflation la possibilité d'évolution du tarif national pour les particuliers.

Pour ce qui est de la filialisation du distributeur, la solution retenue paraît satisfaisante et équilibrée. Elle répond aux exigences communautaires de séparation entre activités en concurrence et activités régulées en monopole, nécessaires pour assurer un accès libre, transparent et non discriminant de tous les fournisseurs au réseau de distribution, tout en préservant l'intégration du distributeur au groupe EDF, essentielle dans l'équilibre du modèle d'activité du groupe, qui fonde la confiance en sa capacité à garantir durablement la sécurité d'approvisionnement dans son ensemble, et qui participe de la cohésion sociale et de la valeur patrimoniale du groupe.

Ce mode d'organisation du distributeur est le fruit d'un travail commun avec Gaz de France et d'une concertation régulière avec tous les partenaires sociaux, conduite notamment dans le cadre du Conseil supérieur de l'énergie présidé par M. Jean-Claude Lenoir. Il préserve la qualité du service public puisqu'il pérennise le service commun EDF-GDF Distribution et le lien concédant-concessionnaire, qui garantit la relation de proximité et l'adaptation aux réalités territoriales.

S'agissant enfin de la fusion Gaz de France - Suez, le projet appelle trois remarques. Il s'inscrit dans le cadre de la recomposition du paysage énergétique observée, à des degrés divers, dans tous les pays d'Europe, et qui nécessite, en application d'une logique industrielle, des opérateurs de taille européenne capables d'engager les investissements nécessaires. Ce faisant, il fait émerger un nouveau grand concurrent qui a vocation à prendre des parts du marché français. De son côté, EDF étudiera avec attention toutes les opportunités qui pourraient se présenter, par exemple sur le marché belge du gaz. Ainsi que l'a affirmé le Premier ministre, EDF est et restera un acteur essentiel de la politique énergétique française, responsable de la filière de production nucléaire de notre pays et leader en Europe.

Passant à la question des prix du marché de l'électricité, M. Pierre Gadonneix a déclaré comprendre les préoccupations des parlementaires. EDF a d'abord la responsabilité de satisfaire tous ses clients et partage évidemment leur volonté de préserver le tissu industriel des territoires et particulièrement les petites et moyennes entreprises.

Les industriels qui avaient choisi entre 2000 et 2003 de quitter les tarifs administrés pour le marché libre alors que les prix étaient au plus bas, se trouvent aujourd'hui confrontés à la hausse brutale de leur facture au moment du renouvellement de leurs contrats, que ce soit avec EDF ou avec ses concurrents. Ils ont le sentiment - légitime - de subir une distorsion de concurrence avec leurs homologues restés au tarif réglementé. Environ un millier de PME- PMI sont concernées : elles représentent un peu moins de 10 % du volume de la consommation nationale.

La commission des affaires économiques recherche actuellement avec le Gouvernement des solutions possibles pour résoudre cette situation. EDF, qui a déjà apporté sa contribution dans le cadre des auditions organisées avec les principales entreprises productrices d'électricité concernées, reste prête à poursuivre une réflexion collective qui doit intégrer trois contraintes, exposées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le 4 juillet dernier.

La première touche à la préservation de la sécurité d'approvisionnement de la France, et donc à la nécessité d'investir dans la construction de nouveaux moyens de production. Dans une industrie fortement capitalistique et de long terme comme l'électricité, l'unité de compte en matière d'investissements est le milliard d'euros, pour une durée de vie allant de vingt-cinq ans à un siècle selon les moyens de production. L'ampleur de l'enjeu suppose donc la confiance des différents opérateurs dans leur capacité à obtenir une rémunération satisfaisante sur le long terme de ces investissements, qui représentent des coûts de développement compris entre 45 et 60 euros le mégawatt-heure selon les filières technologiques et le niveau de prix du pétrole, et ce dans le respect des directives communautaires.

La deuxième contrainte oblige à s'inscrire dans une logique d'accompagnement et de transition dans la mise en place en Europe d'un marché de l'électricité ouvert à la concurrence. Quand bien même une période de transition est tout à fait légitime - même en Grande-Bretagne, il aura fallu dix ans -, aucun retour en arrière n'est possible : la construction de l'Europe de l'énergie est déjà une réalité. Le dispositif doit ainsi permettre aux opérateurs concurrents d'EDF de conserver leurs clients - autrement dit, éviter qu'ils ne reviennent tous dans le giron d'EDF qui redeviendrait alors un monopole.

Enfin, la troisième contrainte tient à la nécessité de préserver le projet de développement d'EDF qui a recueilli la confiance de nos actionnaires - l'État, bien entendu, mais aussi les millions d'actionnaires minoritaires qui lui ont apporté leur épargne afin de lui permettre d'investir. La piste d'un « tarif de retour » transitoire et différent des tarifs en vigueur, si elle était explorée, devrait tenir compte de ces trois contraintes.

L'électricité occupe une place particulière au sein du secteur de l'énergie. Les investissements à réaliser sont gigantesques, les prix de l'énergie primaire ne sont plus ce qu'ils étaient, la préservation de l'environnement a désormais un coût. Dans ce nouveau paysage, le groupe EDF doit pouvoir continuer à jouer un rôle moteur : c'est ainsi qu'il servira le mieux ses clients, ses actionnaires et la compétitivité de l'industrie française.

En conclusion, M. Pierre Gadonneix a affirmé qu'à un moment où la sécurité de l'approvisionnement énergétique devenait une préoccupation majeure et le marché européen de l'énergie une réalité avec l'échéance du 1er juillet 2007, EDF représentait une chance pour la France en lui permettant tout à la fois d'assurer sa sécurité d'approvisionnement et de conforter son leadership industriel au niveau européen, notamment grâce à sa réussite dans le nucléaire.

Le président Patrick Ollier a noté que l'idée d'un tarif de retour avait reçu une réponse positive, dans le principe tout au moins. Il restera au rapporteur à en travailler les modalités afin de pouvoir proposer un amendement tenant compte des exigences posées et notamment de la nécessité de préserver les droits de la concurrence.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a rappelé que le projet de loi relatif au secteur de l'énergie ne se résumait pas à la seule privatisation de Gaz de France. Plusieurs dispositions concernent directement EDF : ainsi l'ouverture des marchés aux ménages à compter du 1er juillet 2007, la filialisation de la distribution et la protection des consommateurs.

Au moment de l'ouverture des marchés, bon nombre d'entreprises ont quitté EDF, leur fournisseur historique, voire conclu avec lui un autre contrat. Intéressante pendant deux ans, l'opération l'est devenue beaucoup moins depuis, du fait des hausses. Et si le cas des « électro-intensifs » est souvent mis en avant, on parle moins des PME-PMI menacées jusque dans leur existence par le coût croissant de l'énergie électrique. Il n'était pas possible d'ouvrir les débats sur le projet de loi sans poser cette question. Par chance, l'Assemblée dispose de tout le temps nécessaire pour l'examiner et trouver une solution adaptée, dans le respect des textes européens, sous la forme d'un tarif de retour spécifique ou d'un retour partiel au tarif.

Le problème de l'investissement, devenu crucial, se pose à brève échéance. Après être restée sans investir pendant quatorze ans, la France doit reprendre très rapidement la construction de nouvelles unités de production. À entendre le président de Suez, le gaz est appelé à prendre une place considérable en Europe d'ici à 2 030 alors que la part dévolue au nucléaire diminuerait de moitié. Est-ce un choix délibéré des États ?

M. Pierre Gadonneix a fait remarquer qu'il fallait prendre en compte les fermetures de centrales.

Le rapporteur en a convenu, tout en faisant observer que d'autres voient leur vie prolongée. Il s'est également inquiété de la façon dont s'effectuera la gestion du service commun de distribution EDF-Gaz de France avec le nouveau groupe qui pourrait naître de la fusion Suez-Gaz de France : quelles pourraient en être les effets au niveau de la facturation ou de l'identification des agents qui interviennent au quotidien ? En ressent-on les conséquences au niveau du climat social dans l'entreprise ?

M. François Brottes a rappelé l'attachement des députés socialistes à EDF, à son statut public, à son caractère intégré, à ses compétences, à ses visions à long terme, mais aussi leur préoccupation de voir les entreprises françaises, par trop électrodépendantes, confrontées à une hausse des tarifs qui pèse directement sur leurs charges fixes et aggrave une désindustrialisation qui va bon train dans nombre de territoires. Cela justifierait une pause, ou à tout le moins une étude d'impact de l'ouverture des marchés dans les territoires. Que changerait une privatisation de Gaz de France à la situation d'EDF ? Quel serait l'avenir du service commun et de ses 57 000 agents ? Quelles seraient les incidences de la filialisation sur leur statut et sur la façon dont ils seront perçus par les usagers sur le terrain ? Quelles seraient les conséquences d'une privatisation de Gaz de France sur les concessions des collectivités locales en matière de réseaux de distribution de gaz comme d'électricité ?

Il semblerait, à en croire la presse, que les tarifs réglementés aient vocation à rejoindre le prix du marché, ce qui, du coup, simplifierait les choses. Le président d'EDF ne paraît pas totalement fermé à l'idée d'un retour, sous conditions, aux tarifs, pour peu, semble-t-il, que celui-ci s'applique à tous les opérateurs du marché.

Revenant sur la question des investissements, l'orateur s'est demandé si l'ouverture des marchés n'était pas susceptible de perturber la confiance sur le long terme : si un opérateur en situation de monopole a une garantie de ressources évidente, ce qui lui assure toute sérénité pour investir, un opérateur en situation de concurrence, à défaut de bénéficier d'une telle sécurité, sera naturellement poussé à augmenter ses tarifs pour engranger des fonds et conforter sa capacité d'investissement. Cela n'est-il pas de nature à expliquer, pour une part, certaines évolutions récentes ?

Ayant noté les opportunités d'acquisition en Belgique évoquées par le président d'EDF, M. François Brottes s'est enfin déclaré preneur de toutes informations sur les intentions de la Commission en matière d'abandons de périmètres de marchés suite à une éventuelle fusion Gaz de France-Suez : la fameuse note du 19 juin, à laquelle les parlementaires n'ont pas eu accès, indique-t-elle d'ores et déjà que quelques centrales nucléaires seraient susceptibles d'être acquises par tel ou tel grand groupe ?

M. François-Michel Gonnot a demandé s'il était exact, comme l'a affirmé M. Gérard Mestrallet, que M. Pierre Gadonneix ait jadis été l'initiateur des premiers rapprochements entre Gaz de France et Suez, et si celui-ci avait des contacts avec ENEL, partenaire futur, ou promis, d'EDF dans l'EPR de Flamanville.

La situation promet d'être assez bizarre au 1er juillet 2007, avec toute une série de clients aux statuts et aux droits différents. Les très gros consommateurs d'énergie auront droit à des contrats longue durée à travers un consortium ; les professionnels gros ou moyens consommateurs auront droit au retour aux tarifs régulés ; les petits professionnels seront éligibles, mais sans avoir droit à revenir aux tarifs. Du côté des ménages, il y aura le ménage éligible qui souhaite rester au tarif régulé, le ménage éligible qui veut user de cette faculté pour quitter le tarif et le ménage qui a fait jouer son éligibilité et qui veut revenir au tarif ! Cela n'est-il pas de nature à poser un problème de lecture et, qui plus est, d'égalité aux yeux de Bruxelles ?

On peut également être surpris en voyant réapparaître le besoin en centrales à fioul dans la dernière programmation annuelle des investissements, alors que l'on évoquait plutôt jusque-là les centrales à cycle combiné à gaz. N'est-ce pas contradictoire avec l'évolution du prix du pétrole et les engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto ?

Évoquant enfin la question du financement des investissements à court terme, M. François-Michel Gonnot s'est demandé si, compte tenu de la difficulté à relever les prix pour dégager des marges de manœuvre et de la volonté des pouvoirs publics de maintenir le plus de gens possible dans un statut privilégié, autrement dit au tarif régulé, moins rémunérateur, EDF ne serait pas conduit à baisser la participation de l'État dans son capital.

M. Philippe Auberger a reconnu à l'audition de M. Gadonneix un premier mérite : celui de prouver que la concurrence ne se décrète pas, particulièrement dans le secteur de l'énergie et plus encore de la production électrique. Encore faut-il des capacités suffisantes pour financer des investissements aussi lourds, et de surcroît pour des équipements dont la durée de vie ne cesse de s'allonger. Les investisseurs privés n'ayant pas l'habitude d'investir à si long terme, la présence de l'État n'est-elle pas, sous une forme ou une autre, indispensable pour garantir une véritable stabilité et une concurrence effective ? Il est à noter que les investissements dans le secteur du gaz n'ont pas été évoqués : EDF a-t-il des projets d'investissement dans ce domaine pour contrebalancer la toute-puissance d'un Suez-Gaz de France ?

M. Philippe Auberger est ensuite revenu sur le problème de EDF-GDF Services, renommée en 2004 EDF-Gaz de France Distribution, direction commune aux deux établissements depuis trente ans. Comment EDF se prépare-t-elle à la séparation, devenue inéluctable ? Quel en sera le coût ? Comment le justifier, au moins dans l'avenir immédiat, au regard des exigences de la concurrence énergétique ?

M. Serge Poignant, observant que les investissements prévus à moyen et long terme feraient passer la part du nucléaire en Europe d'un peu plus de 30 % à moins de 20 %, voire 15 %, du fait de l'augmentation de la part du cycle combiné au gaz, s'est enquis de savoir comment EDF envisageait de répartir ses futurs investissements entre les différentes filières. Revenant sur la question de la distribution commune, il a demandé si EDF continuerait à collaborer avec Gaz de France en cas de fusion entre ce groupe et Suez.

S'agissant des tarifs, M. Serge Poignant s'est déclaré très attentif au maintien des tarifs au 1er juillet 2007, pour les particuliers comme pour les entreprises, et favorable à la mise en place d'un tarif de retour qui préserve tant les intérêts du consommateur s'agissant notamment du coût des droits d'émissions du carbone puisque, grâce au nucléaire, notre pays en rejette beaucoup moins que les autres, que les capacités d'investissements d'EDF.

M. Pierre Ducout a estimé que, faute d'un État européen, on ne saurait parler d'un marché européen de l'énergie, du moins pas avant vingt ans. Rappelant qu'EDF appliquait des tarifs dits « jaune » et « vert » inférieurs au prix de revient, il a craint que cette pratique ne fasse mauvais effet vis-à-vis de la Commission au moment même où l'on défend le maintien de tarifs réglementés, étant entendu que ceux-ci doivent couvrir les coûts de production, amortissement des investissements inclus. On peut du reste se demander si les mouvements de cours qui ont suivi l'entrée en bourse d'EDF ne vont pas inciter à revoir des tarifs réglementés mal négociés avec les instances européennes.

Un nouveau rapprochement EDF-GDF pourrait redevenir d'actualité dans la mesure où les directives européennes de 1996 et 1998 tiraient les conséquences d'un contexte de baisse des prix et de surabondance de la ressource ; or celui-ci a totalement changé.

Enfin, évoquant la décision du Conseil d'État interdisant la traversée du Verdon par une ligne haute tension destinée à approvisionner la Provence, M. Pierre Ducout a suggéré que le surcoût en résultant soit pris en charge par le conseil régional et rappelé au passage que M. Alain Juppé et Mme Corinne Lepage avaient, il fut un temps, bloqué un projet d'interconnexion France-Espagne.

M. Jean Dionis du Séjour a demandé ce que pourrait représenter pour EDF, en termes de parts de marché, la concurrence d'un futur groupe Gaz de France-Suez. Il s'est également interrogé sur la philosophie qui sous-tendait la rédaction de l'article 1er du projet de loi ouvrant droit à une tarification spéciale « produit de première nécessité ». Faut-il y voir un tarif social à proprement parler ou un service universel au sens de la directive européenne, significativement différent ? Contrairement à l'article 3, qui affirme pour le gaz une philosophie tout à fait claire, l'article 1er se contente de renvoyer à un autre texte de loi.

M. Pierre Gadonneix a répondu que le tarif de première nécessité de l'électricité était déjà régi par un texte existant, ce qui n'était pas le cas pour le gaz.

M. Jean Dionis du Séjour a observé que le projet de loi visait à transposer une directive posant le concept de service universel, sensiblement différent de celui du tarif social, et a insisté pour connaître la philosophie d'EDF en la matière.

S'agissant de la filiale commune de services EDF-Gaz de France, les dispositions proposées au II de l'article 7 sont fort floues : un service commun non doté de la personnalité morale se trouvera gérer 56 000 personnes... Quel statut juridique souhaitez-vous ? Qui commandera ? Peut-on vraiment croire qu'un tel montage fonctionnera ?

S'agissant des tarifs retour, à supposer que tous les consommateurs ayant opté pour les tarifs dérégulés reviennent aux tarifs réglementés, peut-on chiffrer l'enjeu pour EDF ?

M. Jean Dionis du Séjour s'est enfin fait l'écho des multiples plaintes sur le terrain à propos de la facture électrique, proprement illisible. Rien n'étant prévu à ce titre dans le projet de loi, il a demandé si EDF envisageait d'améliorer les choses dans ce domaine.

M. Léonce Deprez a d'abord tenu à lancer un SOS, suite à la mission que lui a confiée le président de la commission des affaires économiques sur la crise de l'industrie papetière, déjà bien mal en point et désormais exsangue depuis les dernières hausses du prix de l'électricité. Ces entreprises se retrouvent aujourd'hui pénalisées pour avoir fait confiance à la dynamique européenne en optant pour les tarifs dérégulés. Les PMI et PME notamment, dans ce secteur comme dans bien d'autres, attendent une réponse claire, et de toute urgence.

L'examen du projet de loi, auquel les membres de la commission consacreront tout l'été, montre à quel point le sujet est devenu terriblement complexe, y compris pour les présidents d'EDF et de Gaz de France. Un formidable effort de pédagogie s'impose en direction des citoyens pour expliquer la problématique du renouvellement des sources d'énergie et la politique française et européenne en la matière. Les citoyens sont perdus, les députés sont inquiets et la presse en profite pour parler d'un malaise à propos du projet de loi... Il est grand temps de les éclairer.

M. Pierre Ducout a rappelé à ce propos le slogan d'EDF : « Nous vous devons plus que la lumière »...

M. Léonce Deprez s'est demandé s'il ne fallait pas ressortir la vieille méthode du tableau noir : trop de citoyens croient que l'électricité est une source d'énergie alors qu'elle n'est qu'une forme d'énergie. Tout cela peut s'expliquer : autant mettre à profit les deux mois d'été pour faire comprendre à des millions de Français - les consommateurs domestiques, mais également les dirigeants de nombreuses entreprises - le bien-fondé de telle ou telle loi, mais également pour les rassurer sur l'évolution future de leurs charges d'électricité, comme on l'a fait pour le gaz.

M. Claude Gatignol a remercié le président d'EDF d'avoir tenu tout à la fois des propos enthousiastes et un langage de vérité sur ce qu'était l'énergie en France et dans le monde : une priorité dans un domaine stratégique. Le recours par quatre fois depuis le début de l'année au dispositif de crise n'est que la conséquence de dix ans d'impéritie et d'absence de décision en la matière.

Si le rôle du nucléaire a été souligné, le coût de l'EPR de Flamanville semble subir une certaine dérive - indépendamment du calendrier et de la garantie de sa construction. Le montant des investissements, initialement arrêté à 30 milliards d'euros, a été porté à 50 milliards d'euros ; encore faudra-t-il trouver les moyens financiers nécessaires. Certes, le chiffre d'affaires d'EDF augmente de 10,6 %, l'excédent brut d'exploitation est en hausse de 3,6 % par rapport à 2004, le résultat net a doublé, mais il n'est « que » de 3,2 milliards d'euros alors que l'EPR en coûtera trois, sinon 3,5. Entre un prix régulé contraignant, un prix libre qui suppose l'existence de capacités de production disponibles et un tarif social dont personne ne conteste la nécessité, comment EDF pourra-t-elle répondre à la demande des prestataires acheteurs alors qu'elle est déjà obligée d'acheter de l'électricité et dégager des marges permettant de répondre à ses obligations de maintenance et de renouvellement du parc ? EDF envisage-t-elle enfin de proposer tout à la fois de l'électricité et du gaz, les enquêtes montrant que les Français préfèrent un fournisseur d'énergie unique ? Quelle est enfin la relation exacte entre le prix de l'électricité et le prix du pétrole, sachant que les « sorties de cocon » programmées concernent avant tout ces centrales à hydrocarbures ? Ne faudrait-il pas plutôt relancer un véritable programme de centrales nucléaires pour répondre à la demande ?

M. Pierre Lellouche a lui aussi souhaité être éclairé, et d'abord sur les décisions antérieures. Il y a deux ans, on expliquait qu'il fallait impérativement faire divorcer le gaz de l'électricité ; aujourd'hui, on veut à toute force le remarier, mais avec de l'électricité nucléaire belge ! Le raisonnement mérite pour le moins explication.

Le déficit électrique français résulte d'une impéritie ancienne : la France vit sur un programme nucléaire lancé en 1973-1974 sous les présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing. Bon nombre de centrales arrivant en fin de vie dans les prochaines années, on peut être surpris de ne voir lancer qu'un seul EPR, et après bien des hésitations. Le premier avait du reste été vendu à la Finlande. Quel est le plan d'EDF dans le domaine nucléaire, le seul qui plus est où la France dispose d'un avantage certain ?

M. Jean-Marie Binetruy a annoncé que le dernier bureau ouvert à la clientèle de sa circonscription était en train de fermer alors même que le contexte de mutation devrait amener les fournisseurs d'énergie et la filiale de distribution à renforcer leur présence sur le terrain. Bien des gens ont encore du mal à maîtriser les technologies modernes, et il paraît nécessaire, au moins pendant cette période de transition, de pouvoir leur expliquer les enjeux en maintenant un service de proximité. Il a demandé s'il était exact que les agents commerciaux d'EDF soient fortement incités à faire sortir leurs clients du marché régulé.

M. Jean Proriol a demandé si EDF envisageait de vendre également du gaz et s'y préparait. Face à une quadrature du cercle assez peu évidente - supporter un endettement heureusement encore absorbable, financer des investissements, proposer des tarifs régulés et des tarifs sociaux, diversifier les sources d'énergie -, il s'est inquiété de savoir comment EDF trouverait tous les financements nécessaires. Le statut d'une entreprise et la part plus ou moins grande que peut y avoir le secteur privé ont-ils ou non une influence sur sa gestion et particulièrement ses tarifs ? Observant enfin que les présidents de GDF et de Suez semblaient entretenir de réelles affinités personnelles, il a demandé si M. Pierre Gadonneix aurait pensé à un tel mariage lorsqu'il dirigeait Gaz de France.

M. Jean-Pierre Nicolas remarquant que le prix des énergies primaires augmentait - encore que l'on puisse se poser la question pour le nucléaire - alors que le besoin d'investissements devenait de plus en plus pressant, a partagé les interrogations de ses collègues en matière de financement. À trop jouer au yo-yo avec les différents tarifs, comment EDF parviendra-t-elle à rentabiliser des investissements aussi lourds ? On affirmait il y a un an que ce serait chose faite à partir de 35 euros le mégawatt-heure ; on parle plutôt désormais de 50 euros. Qu'en est-il exactement ?

M. Jacques Bobe, insistant sur l'importance des investissements à venir, s'est également interrogé sur les sources de financement possibles. Les résultats ne suffiront pas ; une augmentation de capital peut être envisageable. Encore faudra-t-il que l'État suive pour garantir le maintien de sa participation à 70 %. En aura-t-il la capacité ?

En réponse aux différents intervenants, M. Pierre Gadonneix a apporté les précisions suivantes :

- Le prix de l'électricité dépend tout à la fois du mode de production et du coût de l'énergie primaire ou de la matière première qui l'alimente. Si un livre vert a défini un socle commun de priorités au niveau européen, chaque pays a pris ses propres options en matière de politique énergétique et la compétitivité des différents moyens de production varie au gré de l'évolution du coût de la matière première. Par coïncidence, dans la période récente, il en coûtait à peu près autant de produire de l'électricité à partir d'une centrale nucléaire, d'une centrale à charbon ou d'une centrale à cycle combiné au gaz : cette conjonction se retrouve lorsque le charbon est entre 30 et 60 dollars la tonne et le pétrole entre 40 et 60 dollars le baril. À l'époque où l'on tablait sur un prix de l'électricité de 35 euros le mégawatt-heure, le pétrole était à 30 dollars et le cycle combiné au gaz apparaissait incontestablement comme le moyen de production électrique le plus économique : c'est du reste lui qui a fait l'objet de pratiquement tous les investissements en Europe - France exceptée - ces dix dernières années. Mais avec un pétrole à 60 dollars le baril, le cycle combiné au gaz arrive à un prix de 60 euros : le charbon et surtout le nucléaire redeviennent très compétitifs. Toutes les commandes ayant désormais été passées pour l'EPR de Flamanville, on sait très exactement combien il coûtera, et l'approvisionnement en uranium est régi par des contrats à long terme. Aussi le prix de revient du mégawatt-heure produit par cette unité tête de série a-t-il été précisément chiffré à 46 euros ; on peut penser qu'il baissera si d'autres centrales sont construites. Mais d'ores et déjà, il est conforme aux prix du marché.

- L'avenir du nucléaire semblait clairement condamné partout dans le monde tant que le pétrole restait en dessous de 50 dollars le baril. Sitôt ce niveau atteint, les pays ont commencé à s'interroger ; avec un pétrole durablement au-dessus de 50 dollars, le nucléaire devient clairement une réponse au besoin de sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Europe. Le problème du développement du nucléaire n'est pas d'ordre technique : EDF a démontré au monde entier que l'on pouvait construire des centrales sûres. Ses cinquante-huit tranches ont fonctionné pendant trente ans sans incident majeur. Le problème reste celui de son acceptation, qui dépend des politiques et des opinions publiques, et donc de la façon dont chaque pays l'abordera. Pour l'instant, seules la Finlande et la France ont pris en Europe la décision de redémarrer le nucléaire. L'intérêt du pays comme d'EDF est qu'il en soit de même dans plusieurs pays européens. C'est probablement en Grande-Bretagne qu'il pourrait repartir très rapidement : la fermeture des centrales nucléaires y avait été programmée pour des raisons d'ordre technique, compte tenu de l'âge très avancé des unités. En revanche, l'opinion est plus que réticente en Allemagne où l'arrêt des tranches nucléaires avait été dicté par des considérations d'ordre strictement politiques. Ce sont toutes ces fermetures programmées qui expliquent la baisse de la part du nucléaire en Europe.

- Le programme d'investissements français porte, pour ce qui concerne EDF, sur 5 000 mégawatts dans les cinq à sept ans qui viennent. Une seule centrale - 1 600 mégawatts - sera nucléaire ; le autres seront thermiques. La raison tient au fait que le parc français est excédentaire en base, c'est-à-dire en fonctionnement continu, mais déficitaire en pointe : ce qui explique que EDF exporte en moyenne pratiquement 10 % de sa production, mais est contrainte d'importer au moment des pointes. Encore faut-il trouver de l'électricité disponible : il n'y en a pas en ce moment en Allemagne, faute de vent pour les éoliennes... Quatre fois 650 mégawatts proviendront de centrales à fioul anciennes et arrêtées, à l'exemple de Porcheville, qui seront rénovées et remises en route, dès septembre prochain pour la première tranche. Cinq cents mégawatts proviendront de turbines à combustion capables d'être démarrées en quelques secondes et destinées à répondre à la demande d'extrême pointe. Enfin, les investissements dans l'éolien et l'hydraulique - le projet de Gavet - représenteront 300 à 500 mégawatts.

- S'agissant du tarif de retour et de la menace qu'il pourrait représenter pour l'équilibre financier d'EDF et son programme d'investissements, il faut trouver un équilibre entre la nécessité de préserver son modèle de développement et la prise en compte de la situation des PME ayant opté pour le marché libre de l'énergie et confrontées aujourd'hui à des hausses très fortes. Il faut à ce propos remarquer que toutes les énergies ont augmenté et l'électricité plutôt moins que les autres : autrement dit, le problème est général. Il doit être possible de trouver une formule transitoire permettant de passer d'une période de surcapacité à une période de pénurie obligeant à investir et de proposer un système offrant conjointement des tarifs administrés et des tarifs libres. Un compromis peut être trouvé, pour peu qu'il s'applique à tous les fournisseurs d'électricité et non au seul EDF pour éviter tout risque de distorsion, et qu'il n'incite pas tous les clients à revenir à EDF sous peine de remettre en cause le modèle d'ouverture du marché. Un éventuel tarif de retour devra enfin préserver les incitations à investir en tenant compte du coût de développement de la centrale la plus compétitive - centrale à cycle combiné au gaz il y a dix-huit mois, centrale nucléaire aujourd'hui.

- Pour ce qui concerne la filiale de distribution, EDF est attaché au principe d'un service commun avec Gaz de France pour exploiter la partie non concurrentielle de leur activité de proximité, c'est-à-dire la gestion des réseaux de distribution. La solution retenue, certes un peu compliquée, est satisfaisante ; elle concilie deux préoccupations : disposer d'une structure permettant des économies d'échelle pour les deux entreprises tout en leur permettant de consolider financièrement cette activité - ce qui explique que la structure commune n'ait pas la personnalité morale. Avec ou sans projet de fusion Suez-Gaz de France, la séparation entre activité commerciale concurrentielle et activité non concurrentielle était inéluctable. La directive européenne oblige de surcroît à filialiser la gestion du réseau de distribution même si elle peut continuer à être intégrée dans les comptes de l'entreprise, ce que prévoit le projet de loi. Le système mis au point pour le fonctionnement de la distribution mérite d'être pérennisé et EDF souhaite que le changement de statut de Gaz de France ne vienne pas le remettre en cause, tant sur le plan du statut des personnels que sur celui du monopole des contrats de concession de gaz. Cela semble juridiquement possible ; encore faudra-t-il que les responsables du futur groupe confirment que sa politique est bien de maintenir ce dispositif.

- La fusion Suez-Gaz de France, sur laquelle le Parlement comme les actionnaires devront se prononcer, se traduira clairement pour EDF par l'apparition d'un concurrent majeur - il y en aurait eu de toutes façons - et la perte de parts de marché en France qu'elle détient encore à 80 % s'agissant des éligibles. Si EDF s'intéresse au gaz, c'est essentiellement pour alimenter les centrales à cycle combiné à gaz de ses filiales étrangères et, en France, pour offrir à ses clients la possibilité de n'avoir qu'un fournisseur pour le gaz et l'électricité. Sa part du marché gazier qui ne représente pour l'heure que 1 ou 2 %, n'est pas appelée à devenir énorme : il s'agit essentiellement d'une stratégie destinée à préserver son fonds de commerce électrique.

- Le tarif social se distingue des tarifs régulés : c'est une contribution de solidarité de la collectivité des consommateurs au bénéfice de populations démunies. La fourniture d'énergie, facturée nettement en dessous du prix de revient, fait l'objet d'une compensation dans le cadre de la contribution au service public de l'électricité.

- La participation majoritaire de l'État dans le capital d'EDF est un élément positif et le projet de loi ne pose aucune difficulté à cet égard. Le développement du nucléaire dépend de son acceptation par les opinions publiques ; la chance a voulu que le nucléaire en France ait été l'occasion de faire travailler ensemble le CEA, Framatome, la COGEMA et EDF. La présence d'un actionnaire commun n'est pas un obstacle, loin de là. D'un autre côté, l'arrivée de plusieurs millions d'actionnaires a permis de disposer d'un formidable levier pour redémarrer l'investissement mais également d'ajouter à la gouvernance d'une entreprise publique les avantages de la gouvernance d'une entreprise privée, ce qui ne peut que favoriser la transparence.

En conclusion, M. Pierre Gadonneix a déclaré se tenir, avec ses collaborateurs, à la disposition des membres de la commission pour répondre par écrit à toute question qui mériterait d'être approfondie.

Le président Patrick Ollier a remercié M. Pierre Gadonneix pour la clarté et la précision de ses réponses.

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Puis, la Commission a entendu M. Jean-François Cirelli, président directeur général de Gaz de France, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Le président Patrick Ollier a informé la commission que M. Jean-François Cirelli, par courrier, lui avait indiqué être dans l'impossibilité de communiquer le document réclamé par un groupe politique de l'Assemblée nationale.

M. François Brottes a rappelé que son groupe demandait la communication de deux documents : le projet transmis à la Commission européenne par Suez et Gaz de France ; l'information premier avis du 19 juin de la Commission, ou au moins sa teneur. Faute d'obtenir satisfaction, il a déclaré que son groupe adopterait la même attitude que lors de l'audition de M. Gérard Mestrallet et qu'il refuserait d'y assister.

Le président Patrick Ollier a répondu que la Commission n'avait pas rendu d'avis mais simplement adressé aux industriels concernés un document contenant des informations commercialement sensibles au regard de la concurrence. Il a précisé que rendre public ces informations exposerait à des sanctions pénales, en application de l'article 9 de la loi du 3 janvier 2003.

M. François Brottes a expliqué que Gaz de France n'était pas encore une entreprise privée, qu'elle avait pris une initiative lourde de conséquences pour l'avenir du secteur énergétique français et que la représentation nationale ne devait pas être exclue du champ des informations, aussi confidentielles soient-elles. Il a conclu que son groupe refusait de participer à ce qui s'apparente à ses yeux à une mascarade.

Le président Patrick Ollier a objecté que le problème n'avait rien à voir avec le fait que Gaz de France soit une entreprise publique et qu'à sa connaissance, le document en question n'avait pas non plus été communiqué au Gouvernement. Il ne s'agit pas d'effectuer de la rétention d'informations, mais de garder confidentiel un document qui n'est pas communicable et ne constitue aucunement un avis provisoire.

Il a regretté que la commission, pour la première fois depuis quatre ans, doive subir ce genre de situation. L'opposition a annoncé qu'elle déposerait 20 000 amendements et refuse de participer aux auditions : cette attitude d'obstruction traduit la volonté d'esquiver le débat démocratique.

Les commissaires socialistes ayant quitté la salle, le président Patrick Ollier a remercié le président de Gaz de France de sa présence. Rappelant que si le projet industriel envisagé était crucial pour la France, pour Gaz de France et pour les consommateurs, il a souligné que le texte de loi soumis par le Gouvernement a uniquement pour objet de déplacer le curseur de la participation de l'État. D'autres options de fusion ou de participations croisées existent-elles ? Est-il exact que Gaz de France a la capacité de poursuivre seul son développement, comme l'affirment les syndicats ?

M. Jean-François Cirelli a appelé l'attention de la commission sur l'importance de la position du Parlement vis-à-vis de ce projet de loi, une très large partie du développement de Gaz de France dépendant de l'évolution de son capital. Gaz de France a l'ambition de devenir le grand groupe énergétique européen à dominante gazière qui fait défaut à la France. L'entreprise a des atouts, mais doit passer à la vitesse supérieure et anticiper plutôt que subir, car le monde change.

Ses atouts sont au nombre de cinq : présence sur l'ensemble des métiers du gaz, de l'exploration et de la production au transport, à la distribution et aux services énergétiques ; compétence technique et industrielle reconnue, avec 53 000 collaborateurs ; notoriété de premier plan ; situation financière saine et bilan solide ; place enviée de première compagnie européenne de gaz - première dans le transport et la distribution, deuxième dans le stockage et les terminaux méthaniers -, avec 15 millions de clients dont 11 millions en France.

Mais l'environnement évolue, et trois éléments incitent à la réflexion. Premièrement, la concentration s'accélère en Europe, les investissements présentent une très grande intensité capitalistique, des sociétés puissantes émergent et le prix des actifs est très élevé. Deuxièmement, le marché est favorable aux producteurs, qui désirent être davantage présents dans l'aval, à l'instar de Gazprom, qui a déjà obtenu une licence de commercialisation du gaz en France. Troisièmement, les marchés seront totalement ouverts le 1er juillet 2007 et les consommateurs aspirent à avoir un seul fournisseur d'énergie, ce qui incite électriciens et gaziers à se rapprocher, au point que, en Europe, il n'existe plus ni gazier pur - hormis peut-être en Pologne - ni électricien pur.

La stratégie de Gaz de France s'articule autour de quatre objectifs. Premier axe : grandir pour faire face aux producteurs et aux concurrents, parce que les besoins énergétiques de l'Europe nécessitent des investissements d'infrastructures considérables et parce que seules les compagnies importantes pourront avoir accès aux ressources, de moins en moins européennes et convoitées par les concurrents asiatiques et américains. Deuxième axe : profiter du processus de concentration pour aller au-delà des actuels 36 % de chiffre d'affaires réalisé à l'étranger, afin de devenir un acteur majeur de taille européenne et de compenser ainsi la perte de parts sur le marché historique, aujourd'hui détenu à 97 %. Troisième axe : se développer dans l'électricité pour offrir aux clients l'offre qu'ils attendent. Quatrième axe : toujours mieux garantir la sécurité d'approvisionnement de la France et de l'Europe, en diversifiant les fournisseurs, les routes et en étant présents dans le secteur du gaz naturel liquéfié (GNL), dominé en Europe par Gaz de France et dans lequel Suez est également un acteur majeur.

L'environnement a davantage changé depuis 2004 qu'entre 1946 et 2004. Mais pourquoi choisir la fusion avec Suez ? L'opération ne pèsera pas sur les capacités financières des deux entreprises : chacune gardera sa force financière pour son développement. Effectuer des participations croisées ne constitue pas un projet industriel mais financier. Les activités des deux groupes sont parfaitement complémentaires - en simplifiant, l'électricité pour l'un et le gaz pour l'autre -, avec très peu de recoupements. Les synergies industrielles sont extrêmement puissantes. Aucun problème social n'est à craindre, le groupe ayant vocation à se développer et à créer des emplois, pas à en détruire. Le rapprochement est équilibré, avec des cultures d'entreprise distinctes mais proches. Suez a autant besoin de Gaz de France que Gaz de France a besoin de Suez. La fusion des équipes et des managements s'opérera entre égaux.

Le groupe possédera la « force de frappe » gazière la plus forte d'Europe puisqu'il procédera du mariage entre la première et la sixième entreprises européennes du secteur : 20 % de tout le gaz acheminé en Europe passera par le nouvel ensemble. Le groupe sera probablement le numéro un mondial dans le GNL. Gaz de France, dont les sources d'approvisionnement sont déjà les plus diversifiées, ajoutera le Yémen et le Qatar - au troisième rang mondial en termes de réserves - à son portefeuille. Gaz de France, jeune dans l'électricité, avec une centrale en fonctionnement et deux en projet, s'unira avec un électricien nucléaire, à une époque où cette source d'énergie est stratégique pour l'avenir de l'Europe. Il s'agira d'une vraie fusion transfrontalière dans le domaine énergétique européen. La France et le Benelux constitueront le cœur de ce nouveau groupe. La vision est extraordinairement équilibrée entre l'amont et l'aval, entre la production et la commercialisation, entre les activités régulées, qui assurent la stabilité du cash-flow, et les activités non régulées, un peu plus risquées. Il est tout simplement proposé de créer un groupe énergétique européen pointant au deuxième rang mondial, à dominante gazière, avec un fort capital français. L'opportunité est historique.

M. Jean-François Cirelli a ensuite mis l'accent sur les cinq exigences de Gaz de France. Premièrement, l'entreprise souhaite le maintien et même, après la privatisation, le renouvellement des obligations de service public prévues par contrat avec l'État, en matière de sécurité, de sécurité d'approvisionnement ou de présence territoriale. Deuxièmement, Gaz de France, dans le cadre du tarif régulé, pourra offrir à ses clients des tarifs plus compétitifs, grâce à l'optimisation de ses achats et de ses transports ; la fusion n'aura aucun effet de hausse des prix et, en tout cas, il est certain que ceux-ci n'augmenteront pas l'hiver prochain puisqu'ils seront dorénavant réévalués annuellement, le 1er juillet. Gaz de France accepte les tarifs réglementés mais demande le respect de la loi de 2003 : il faut incorporer dans les tarifs le prix de la matière, qui représente la moitié du prix total du gaz livré et sur lequel l'entreprise n'a aucune prise. Troisièmement, les collaborateurs de Gaz de France doivent conserver le statut de branche des industries électriques et gazières, qu'il convient du reste d'étendre à l'ensemble des personnels travaillant dans la commercialisation. Quatrièmement, il faut renforcer et adapter le dialogue avec les collectivités locales, afin notamment de lever la confusion entre, d'une part, l'alliance envisagée et, d'autre part, la grande transformation en cours dans le secteur de l'énergie, avec en particulier la mise en œuvre de la séparation entre les activités d'infrastructure et de commercialisation. Cinquièmement, Gaz de France compte maintenir sa collaboration avec EDF dans le domaine de la distribution d'énergie, qui date de soixante ans et constitue un enjeu industriel, économique, managérial et social majeur.

Gaz de France a un grand projet pour le pays et l'Europe. Pour le mettre en œuvre, il a besoin que le Parlement français accepte de modifier la part de son capital détenu par l'État. Le jeu en vaut la chandelle. Il n'existe pas de projet alternatif car Gaz de France n'a pas trouvé d'autre partenaire que Suez. M. Claude Mandil, directeur de l'Agence internationale de l'énergie, a déclaré : « Une fusion des groupes énergétiques français Gaz de France et Suez serait un excellent scénario car cela contribuerait à l'émergence de grands acteurs plus puissants en Europe. Ce serait un excellent scénario non seulement pour Gaz de France et pour Suez mais aussi pour l'Europe et par conséquent pour la France. C'est un scénario qui aboutit à fusionner deux entreprises qui sont très complémentaires. Le secteur de l'énergie a actuellement besoin d'investissements colossaux qui ne peuvent être le fait que d'entreprises puissantes. » Il s'agit bien d'un projet au service du pays, des consommateurs français et de l'Europe.

Le président Patrick Ollier a précisé que la commission souhaitait obtenir des garanties à propos des cinq exigences citées, afin de voter le texte en toute connaissance de cause, et qu'il déposerait, si nécessaire, les amendements correspondants. Le mariage doit vraiment être conclu entre égaux, afin de garantir la pérennité de l'identité de Gaz de France au sein du groupe. Il importe que le Gouvernement prenne officiellement position sur le maintien du statut du personnel. Enfin, en ce qui concerne le contrôle public, la minorité de blocage et l'action spécifique, le Gouvernement a répondu positivement.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a souligné la qualité du projet industriel proposé par Gaz de France et Suez. Mais comment les opérateurs s'organiseront-ils sur le terrain ? Un écart entre le tarif régulé et le prix du marché est-il constaté pour le gaz ? Le futur ensemble sera-t-il « opéable » ou bien à l'abri de toute action hostile ? Quels moyens de protection sont envisagés ?

Mme Marie-Anne Montchamp a dénoncé le comportement de l'opposition, estimé que le débat devait éclairer les parlementaires et les Français sur l'évolution de Gaz de France, même si le projet de loi ne portait que sur le niveau de participation de l'État à son capital, et approuvé les campagnes de communication parallèles lancées par Suez et Gaz de France.

Elle s'est néanmoins demandée quel était le point d'aboutissement du projet industriel. Les cadres de Gaz de France sont très attachés à leur entreprise. Ont-ils l'assurance que la gouvernance intermédiaire ne sera pas soumise à une culture dominante ? L'équité entre les cultures des deux entreprises constitue une garantie pour le service public.

M. Pierre Lellouche, après avoir salué le parcours professionnel et le sens de l'État de M. Jean-François Cirelli, a affirmé que, dans un secteur aussi stratégique pour le pays, l'insuffisance principale de Gaz de France se situait en amont, du côté des ressources : l'entreprise contrôle le transport, elle a des clients mais ne produit pas de gaz. Dans ces conditions, Suez, absente de la production mais présente dans le GNL, est-elle un bon parti ? Par ailleurs, la réduction de la part de l'État et le mariage avec un groupe privé étranger ne risquent-ils pas de rendre Gaz de France opéable, face à un opérateur qui a l'une des plus grandes capitalisations boursières et qui est intimement lié au Kremlin ?

M. François-Michel Gonnot s'est inquiété que la réforme envisagée, quoiqu'essentielle, ne bénéficie du soutien d'aucun partenaire social, contrairement à l'ouverture du capital d'EDF et de Gaz de France, qui fut menée avec l'aval de la CGC. Si les participations croisées constituent une opération financière et non industrielle, à quoi pensait la direction de Gaz de France le 25 février, lorsqu'ont été évoquées, dans un premier temps, des participations croisées avec Suez ? Il convient de prendre acte de la libéralisation du marché et de changer des règles du jeu mais l'État doit garder la main sur les investissements. Ne serait-il pas dommageable que tous les réseaux de transport, tous les stockages stratégiques et tous les terminaux de GNL passent sous le contrôle du secteur privé ? La golden share garantira-t-elle que le siège du nouveau groupe demeure sur le territoire français et que son management reste français ?

M. Serge Poignant s'est demandé si, pour Gaz de France, une ouverture du capital maintenant la majorité de l'Etat ne pouvait pas constituer un projet alternatif. Les parlementaires partagent les exigences posées par Gaz de France. Cependant, s'agissant des concessions gazières, une ouverture à la concurrence n'est-elle pas à redouter ? Plus généralement, sera-t-il possible de satisfaire les exigences de la Commission européenne et du Conseil constitutionnel ? Enfin, quel intérêt le projet industriel présente-t-il en termes d'investissements en amont et de développement de l'outil de production ?

M. Philippe Auberger a amicalement reproché aux responsables de Gaz de France d'avoir anticipé sur la décision du Parlement en notifiant, avec ceux de Suez, leur projet de fusion à la Commission européenne et en lançant une campagne d'information dans la presse à ce sujet. Il reviendra au Gouvernement, le moment venu, de juger de la pertinence du projet industriel, mais il aurait fallu commencer par réfléchir au problème de l'ouverture du capital de l'entreprise. Le problème consiste néanmoins à convaincre l'opinion que le service public sera respecté, voire amélioré, par une entreprise composée majoritairement de capitaux privés. Cela n'aura-t-il pas des incidences sur le prix, dont dépendent les dividendes versés, et sur la continuité du service public, qui nécessite des milliards d'euros d'investissements ? L'État ne risque-t-il pas un jour d'être surpris par une augmentation de capital ? Comment convaincre les gens que la séparation entre EDF et Gaz de France sera peu coûteuse ? Les pouvoirs de police en matière de sécurité des infrastructures peuvent-ils être confiés à une entité privée ? Ne convient-il pas d'envisager la création d'une autorité de sécurité ? Enfin, la golden share ne sera sécurisée que le jour où le président de la Commission européenne reconnaîtra sa compatibilité avec les règles communautaires.

M. Jean-Pierre Nicolas a reconnu qu'il était absolument indispensable de donner une autre dimension à Gaz de France mais a réclamé des précisions à propos du projet industriel, d'abord présenté comme le moyen de sauver Suez d'une OPA hostile d'ENEL, puis comme celui de protéger Gaz de France. Il a émis des doutes sur la stratégie de production contenue dans ce projet et s'est enquis des raisons ayant conduit Gaz de France à ne pas privilégier une alliance avec un pétrolier, par exemple Total. Comment réaliser le tour de force de concilier les intérêts des actionnaires et ceux des consommateurs ? Comment faire en sorte que le grand public comprenne et accepte le projet, en particulier ses implications sociales ?

M. Léonce Deprez a invité ses collègues à faire œuvre de pédagogie auprès de leurs concitoyens et s'est élevé contre le fait que la presse relaie toujours l'avis de ceux qui doutent ou qui ne soutiennent pas le projet, y compris parmi le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale. Il convient de créer une dynamique afin de donner à Gaz de France la capacité d'investir et de renouveler toutes ses infrastructures de stockage de gaz d'ici à vingt-cinq ans. Existe-t-il une seule entreprise gazière européenne restant exclusivement gazière ? Accepter cette situation, c'est se mettre en situation d'infériorité. Quels sont les poids respectifs des activités françaises et européennes de Gaz de France ? Deux éléments comptent pour les consommateurs : le prix - à cet égard, la garantie de l'absence d'augmentation est déjà un premier point positif - et les services de proximité. Or la fusion avec un groupe privé ne fera pas perdre à Gaz de France sa vocation de service public de proximité.

Le président Patrick Ollier a confié que cette deuxième série d'auditions était nécessaire pour que les députés s'interrogeant sur l'opportunité du texte puissent poser leurs questions aux intéressés et observé que les membres de la commission favorables au texte, majoritaires, étaient partis tranquillement en vacances et attendaient septembre pour intervenir dans l'hémicycle, pendant que d'autres s'efforçaient de convaincre ceux qui ressentaient encore quelques réticences.

M. Claude Gatignol s'est interrogé sur les modalités d'application de la directive européenne, après le 1er juillet 2007, si le législateur ne faisait rien. Les investissements requis sont gigantesques mais quelle est exactement leur nature et quels moyens pourront être mobilisés ? Tout le monde connaît quelqu'un qui possède des actions de Gaz de France et pense par conséquent que l'entreprise est privatisée depuis longtemps. Mais le texte a pour objet de la libérer de tout boulet et de lui permettre de prendre des décisions industrielles. Le nouveau groupe bénéficiera d'un apport électrique fondé sur le nucléaire et l'hydraulique, c'est-à-dire la meilleure énergie, compétitive et écologique. Le problème numéro un est le prix. La nouvelle entité maintiendra-t-elle les conditions d'une vraie concurrence ? Par ailleurs, sera-t-elle en mesure de se défendre contre toute attaque ?

M. Jean-Charles Taugourdeau, considérant que la culture d'EDF était proche de celle de Gaz de France et que la compétition face à l'Asie et aux États-Unis se durcissait, a évoqué la possibilité d'un rapprochement ou d'une fusion entre les deux entreprises, refusée quelques années auparavant. N'est-il pas urgent que Bruxelles revoie sa position anti-monopole, qui empêche la constitution de groupes suffisamment puissants pour résister à la concurrence extra-européenne ?

M. Georges Tron s'est déclaré convaincu par le projet industriel mais a demandé s'il était compréhensible par les citoyens que la participation de l'État dans le capital de Gaz de France tombe en deux ans de 70 à 34 %. Ne serait-il pas opportun, dans la présentation du projet, d'insister davantage sur ses aspects sociaux, en particulier la mise en place du tarif social ?

M. Jean-François Cirelli a apporté les éléments de réponse suivants :

- Pour le gaz, l'écart entre les tarifs régulés et le prix du marché est très faible - moins d'un euro par MWh contre trente pour l'électricité.

- Le nouveau groupe ne risquera pas de subir une OPA de la part de Gazprom. Pourquoi, en effet, l'entreprise russe commencerait-elle par s'attaquer à un groupe qui pèse 65 milliards d'euros, est doté d'une golden share et est contrôlé à 34 % par la République française, alors qu'il pourrait acheter le gazier anglais pour 10 milliards d'euros, le gazier espagnol pour la même somme, l'électricien portugais pour 11 milliards, l'allemand EON pour 58 milliards, l'italien ENEL pour 42 milliards, Suez, en l'absence de fusion, pour 39 milliards ou Endesa pour 26 milliards ? La cible anglaise est la première priorité de Gazprom en Europe de l'Ouest car elle lui offrirait des ressources supplémentaires en mer du Nord.

Le président Patrick Ollier s'est félicité de cette mise au point, de nature à tordre le cou à des affirmations dénuées de fondements.

M. Jean-François Cirelli a poursuivi ses réponses :

- comment le système de distribution à la charge de l'opérateur commun s'adaptera-t-il ? En soixante ans, jamais la nation n'a fait fusionner Gaz de France et EDF. Il n'en demeure pas moins que, dans les départements, plus de 50 000 agents sont mixtes. Mais, fusion ou pas, il faudra modifier le système ; en effet, conformément à la réglementation européenne et à la loi de 2004, ces personnels ne seront plus autorisés à travailler que sur le réseau, et tous ceux s'occupant des clients devront être extraits de l'opérateur commun. Gaz de France récupérera ainsi 2 000 collaborateurs. Ceux qui resteront rattachés à l'opérateur commun après le 1er juillet 2007 devront par ailleurs opérer en toute indépendance vis-à-vis des fournisseurs, abandonnant leur relation privilégiée avec EDF et Gaz de France. Cet opérateur bénéficiant d'un monopole légal pour ces activités sera toutefois maintenu car c'est l'intérêt d'EDF et de Gaz de France.

- Gaz de France a lancé une campagne de pédagogie intense pour mieux informer les Français pour lesquels la question centrale est celle du prix. L'idée reçue selon laquelle propriété publique égale prix réglementé et propriété privée égale prix plus élevé est fausse : en général, c'est même plutôt l'inverse qui se vérifie. Le facteur déterminant de la fixation du prix du gaz est l'évolution de celui du pétrole. Gaz de France pâtit non pas du projet de fusion mais de l'extraordinaire envolée des prix de l'énergie enregistrée depuis 2004. Cette situation destinée à être durable requiert une nouvelle politique énergétique.

- Gaz de France est très fier de sa culture gazière, de ses valeurs et de son identité, reconnues au-delà des frontières françaises et dont sont dépositaires toutes ses catégories de personnels, au premier chef son président. C'est pourquoi Gaz de France souhaite que la gouvernance du futur ensemble soit équitable. Même EDF, qui est pourtant l'entreprise la plus proche de Gaz de France, n'a pas la même culture qu'elle : les gaziers ne se sentent pas électriciens, et réciproquement. Lorsque deux entreprises fusionnent, les causes des échecs sont internes dans deux cas sur trois : il ne faut pas juxtaposer leurs cultures mais en définir une nouvelle, en retenant le meilleur de chacune.

Les questions concernant l'import gazier m'étonnent :

- la France se rend brusquement compte qu'elle importe plus de 90 % de son gaz et vit en situation de dépendance. Mais cela fait quarante ans qu'il en est ainsi ! Du temps de l'Union soviétique, alors que les échanges entre les deux blocs étaient très limités, l'Europe a accepté de s'approvisionner avec du gaz russe et cela a fonctionné parce que le contrat à long terme crée une interdépendance, avec des kilomètres de tuyaux qui valent des milliards : si le gaz cesse de passer, tout le monde est perdant. L'émergence d'un producteur français ne réglerait pas forcément le problème. Gaz de France produit environ 10 % du gaz vendu, en Norvège, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Mauritanie, en Algérie et en Égypte, tandis que les Allemands sont encore à zéro. Mais les prix des actifs énergétiques sont énormes, et Gaz de France n'a pu s'engager que dans deux projets, à hauteur d'1 milliard d'euros chacun, dans le cercle polaire et en Norvège. Gaz de France n'achète pas parce que ce qui est à vendre est rare et n'est pas proposé à un prix susceptible d'être rentabilisé. Gaz de France donne la priorité à l'exploration, dont le budget a doublé en deux ans. Gaz de France est entrée en Iran parce que c'est le deuxième détenteur mondial de réserves, mais aussi parce que des partenaires sont demandeurs, conscients que seuls trois opérateurs européens sont capables de s'engager pour un « train » de 5 milliards de mètres cubes de GNL. Il n'en demeure pas moins qu'il serait illusoire d'ambitionner la constitution d'un opérateur français produisant 100 % de ses capacités. Il existe d'ailleurs un grand producteur pétro-gazier français, qui se situe au quatrième rang mondial.

- Gaz de France ne s'allie pas avec Total parce que M. Thierry Desmarest, immense industriel, n'est pas intéressé par un tel mariage. Les compagnies de l'amont, comme BP ou Statoil, se désengagent de l'aval, moins rémunérateur. Quand bien même Gaz de France désirerait se marier avec un producteur, elle ne trouverait aucun partenaire.

S'agissant de la position des syndicats, la CGC s'est, certes, prononcée contre le projet de fusion, mais les trois précédents secrétaires généraux de cette organisation ont écrit une tribune dans Les Échos pour désavouer la position de leur confédération. Une association de cadres se sentant mal représentés par la CGC s'est par ailleurs constituée et, dans les baromètres internes, 70 % des cadres se déclarent favorables à la fusion. Les appareils syndicaux sont contre mais est-il déjà arrivé, en France, qu'un syndicat approuve une privatisation d'entreprise publique ? Toutefois, dans ce climat apparemment tendu, jamais autant d'accords n'ont été signés avec les syndicats, y compris avec la CGT, sur la question de la distribution. Parmi les 12 000 agents rencontrés en province par la direction, pas un n'a posé la question de la privatisation.

M. Georges Tron a prédit que le débat, en septembre, se focaliserait sur deux ou trois points et a recommandé un effort de pédagogie pour contrer les raisonnements irrationnels surgissant chaque fois que l'État réduit sa participation dans une entreprise publique.

M. Jean-François Cirelli a repris le cours de ses réponses :

- Gaz de France investit chaque année 800 millions d'euros dans les canalisations et 300 millions d'euros dans les transports. En un an et demi, 1 500 kilomètres de tuyaux en fonte grise ont été remplacés et il n'en reste que 400. Gaz de France construit le troisième terminal méthanier français. Nombre de stockeurs, qui datent des années cinquante ou soixante, doivent être changés.

- La golden share est le problème de l'actionnaire. La France, qui demande exactement ce que la Belgique a obtenu pour les deux filiales de Suez, devrait logiquement avoir gain de cause.

- Le siège du groupe sera situé en France et il est hautement souhaitable que le management reste français, tout en s'européanisant davantage. Par ailleurs, Gaz de France a demandé l'abrogation d'un décret de 1946 interdisant de recruter tout ressortissant d'un pays extérieur à l'Union européenne car l'entreprise qui travaille depuis des décennies avec la Russie ou l'Algérie, par exemple, ne peut, en l'état, recruter de russes ou d'algériens.

- Si les pouvoirs publics décident de ramener la participation de l'État à 51 %, le projet de fusion ne pourra alors aboutir car il est peu probable que M. Gérard Mestrallet et ses actionnaires acceptent la nationalisation de leur entreprise. Le maintien d'un contrôle majoritaire de l'Etat interdit donc l'aboutissement du projet existant et il n'en existe pas d'autre sur la table.

- Le Conseil d'État, au nom de la péréquation tarifaire, a clairement autorisé Gaz de France à conserver son monopole sur les concessions.

- Le projet de loi sera soumis à l'approbation du Parlement. Plus vite le processus de fusion aboutira, mieux Gaz de France se portera, car il est difficile de faire vivre une entreprise dans une situation où les collaborateurs ignorent la fonction qui leur échoira dans la future organisation.

- Il importe effectivement de convaincre l'opinion publique.

- La séparation entre EDF et Gaz de France sera coûteuse, à tel point que les agents parlent de « désoptimisation », mais il faut bien respecter la loi - il est désormais interdit de dresser une facture unique - et ce coût devrait être transitoire. Seules cinquante ou cent personnes de l'entreprise travaillent actuellement sur la fusion, suspendue au vote du Parlement, tandis que deux projets mobilisent tout le personnel : faire en sorte que les services commerciaux et informatiques soient prêts au 1er janvier 2007 ; filialiser la distribution.

- À propos de la sécurité, 95 % des accidents surviennent dans les logements, dans lesquels Gaz de France n'entre pas. Mais la sensibilisation au remplacement des flexibles a porté ses fruits puisque le nombre d'accident a été réduit de moitié. Parmi ses obligations de service public, qui seront maintenues, Gaz de France est tenu d'intervenir rapidement.

- La menace d'ENEL a été l'élément déclencheur du projet mais celui-ci répond à des préoccupations stratégiques des deux entreprises.

- Le niveau des dividendes versés par EDF et Gaz de France correspond à peu près au taux de rendement des entreprises privées.

- Les besoins d'investissements sont considérables et Gaz de France devrait engager plus de 2 milliards d'euros en France, sans compter le reste de l'Europe.

- Gaz de France s'engage totalement dans le service de proximité.

- C'est Gaz de France qui a demandé la fixation d'un tarif social du gaz, comme pour l'électricité.

- Il aurait fallu faire fusionner EDF et Gaz de France il y a vingt ans. Aujourd'hui, les autorités de la concurrence n'accepteraient plus une alliance entre deux opérateurs contrôlant respectivement 97 % du marché du gaz et de l'électricité. En décembre dernier, la Commission s'est, du reste, opposée à un rapprochement entre EDP et GDP, les deux entreprises portugaises.

En conclusion, M. Jean-François Cirelli a demandé aux parlementaires de donner sa chance à Gaz de France.

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