Accueil > Archives de la XIIe législature > Comptes rendus de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (2006-2007)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

Mercredi 6 décembre 2006

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Yves Coussain,
Vice-président

 

pages

–Examen du projet d’avis de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne relatif à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté (COM [2006] 594 final)

 

(M. Jean Proriol, rapporteur) ;

2

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat (n° 3427), et de la proposition de loi de M. Jean Lemière (n° 3414), visant à faciliter le transfert des ports maritimes aux groupements de collectivités

 

(M. Daniel Fidelin, rapporteur) :

4

– Examen de la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde tendant à prévenir le surendettement (n° 3490)


7

– Informations relatives à la commission

12

• Désignation de rapporteurs sur :

 

– le projet de loi en faveur des consommateurs (n° 3430) ;

– le projet de loi, adopté par le Sénat en 1ère lecture après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ;

– la proposition de loi de M.  Jean-Christophe Lagarde tendant à prévenir le surendettement (n° 3490)

 
   

La commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a examiné, sur le rapport de M. Jean Proriol, le projet d’avis de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne relatif à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté (COM [2006] 594 final).

M. Jean Proriol, rapporteur, s’est d’abord félicité de voir le Parlement directement associé à un événement européen qui risque de modeler de manière importante une dimension économique fondamentale de notre territoire, dans la mesure où il concerne La Poste, exploitant public jouant un rôle essentiel dans la cohésion nationale.

En vertu de l’alinéa 3 de l’article 7 de la directive postale de 1997 telle que modifiée en 2002, la Commission européenne était chargée de présenter, avant le 31 décembre 2006, « un rapport au Parlement européen et au Conseil, assorti d’une proposition confirmant, le cas échéant, la date de 2009 pour l’achèvement du marché intérieur des services postaux ou définissant toute autre étape à la lumière des conclusions de l’étude. ». La Commission européenne s’est acquittée de cette mission en présentant le 18 octobre 2006 un rapport, assorti d’une proposition de directive, préconisant la disparition de tout secteur réservé au 1er janvier 2009.

Cette proposition de la Commission européenne ne rencontre pas l’assentiment du Gouvernement français, qui souhaite le maintien du secteur réservé dans son périmètre depuis le 1er janvier 2006, date à partir de laquelle il a été réduit aux envois de correspondance de moins de 50 grammes. De même, La Poste demandera le maintien de ce secteur réservé si elle n’obtient pas de garantie sur un mode de financement alternatif pérenne et équitable du service universel postal.

Les pays membres de la Communauté se partagent dans l’ensemble entre un groupe de pays du Nord (Suède, Finlande, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas) plutôt favorables à la libéralisation totale, déjà mise en œuvre chez eux ou prévue pour 2008, et un groupe de pays du Sud (France, Italie, Grèce, Portugal) plutôt attachés au maintien d’un secteur réservé. Modifiant sa position traditionnelle, l’Espagne s’est ralliée à la proposition de la Commission européenne, se déclarant satisfaite de la palette des mécanismes de substitution possible pour financer le service universel. La Pologne souhaiterait un report de la libéralisation totale en 2011. La Belgique et le Luxembourg indiquent partager les préoccupations de la France concernant l’emploi et le financement du service universel. Le Danemark, dont l’opérateur historique a pris une participation dans la poste belge, se trouve confronté à des intérêts contradictoires, et demeure en retrait.

Avant même que la Commission ne publie sa proposition, La Poste avait signé, avec neuf autres opérateurs historiques postaux (Belgique, Chypre, Grèce, Italie, Hongrie, Luxembourg, Malte, Pologne et Espagne) une déclaration conjointe constatant que, malgré l’appel à la prudence qu’ils avaient émis en juillet dernier, aucune démonstration n’était apportée de l’efficacité des mesures envisagées par la Commission pour le financement du service universel postal.

Le débat ouvert par la proposition de la Commission européenne bénéficie pour l’instant d’un climat serein puisque l’Allemagne et le Royaume-Uni reconnaissent que certains pays puissent éprouver des réticences et qu’un examen approfondi s’impose, eu égard aux conséquences économiques et sociales importantes qu’une libéralisation totale pourrait impliquer.

Les positions des pays membres doivent être précisées officiellement au cours du Conseil des ministres « Transports, Télécommunications, Énergie » du 11 décembre prochain, et c’est dans cette perspective que la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires a mis en œuvre une procédure accélérée de consultation des Parlements nationaux, limitée au contrôle de subsidiarité et de proportionnalité, qui vise surtout à définir une position de principe à l’égard des grandes lignes structurant la proposition de la Commission européenne.

Cette procédure accélérée n’est pas exclusive de la procédure d’examen approfondie prévue par l’article 88-4 de la Constitution, qui est déjà parallèlement engagée, puisque le Gouvernement a transmis à cette fin au Parlement la proposition de la Commission européenne, qui a été enregistrée sous le numéro E-3285.

Dans l’attente de cet examen plus détaillé, M. Jean Proriol, rapporteur, a rappelé le cadre et les limites de la procédure d’examen du projet d’avis formulé par la Délégation pour l’Union européenne :

– la position sur le projet d’avis de la Délégation pour l’Union européenne doit utilement intervenir avant le 11 décembre ;

– il s’agit d’apprécier la proposition de directive européenne au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

– cette appréciation concerne l’évolution du droit européen et s’adresse aux autorités européennes, et doit donc en principe faire l’économie de tout débat sur les questions purement internes ;

– c’est le texte même résultant de la délibération en commission qui établira la position définitive de l’Assemblée nationale, qu’elle soit identique ou non à celle de la Délégation pour l’Union européenne, et qui sera directement communiqué à la Commission européenne et au Gouvernement.

M. Jean Proriol, rapporteur, a indiqué que son analyse du projet d’avis de la Délégation pour l’Union européenne l’incitait plutôt à émettre un avis favorable à son adoption en l’état. La Délégation constate en effet, sans aucune contestation possible, l’absence de difficulté au regard du principe de subsidiarité et soulève en revanche plusieurs questions qui se posent au regard du respect du principe de proportionnalité. Ce dernier principe conduit à examiner l’adaptation des mesures figurant dans la proposition de la Commission à l’objectif poursuivi, l’achèvement du marché intérieur des services postaux, sachant que ce texte laisse aux États membres le choix entre plusieurs modes de financement alternatifs de leur service universel.

De fait, la Délégation conteste l’objectivité de l’analyse fondant la proposition de la Commission européenne en ce qui concerne la possibilité de maintenir le service universel au même niveau de qualité et de proximité que celui atteint aujourd’hui, en recourant aux divers mécanismes de financement que la proposition de directive recense au nombre des alternatives possibles au dispositif du secteur réservé.

En outre, la Délégation conteste la pertinence des exemples présentés comme réussis de libéralisation totale déjà mise en œuvre, en visant la disparité des situations géographiques et démographiques entre les pays où le réseau de collecte et de distribution peut drainer de façon homogène une activité importante, et les pays où les données naturelles lui imposent le surcoût de nombreuses et étroites ramifications.

Sur ces deux points, l’efficacité des solutions alternatives et la pertinence des exemples présentés comme des références, ainsi que plus globalement sur la réalité de l’impact de la suppression du secteur réservé, la Délégation propose de demander à la Commission européenne de fournir des compléments d’information, devant l’amener à approfondir ses analyses, au niveau de tests économétriques par exemple.

En conclusion, M. Jean Proriol, rapporteur, a invité les membres de la commission à adopter sans modification le projet d’avis de la Délégation, compte tenu de la modération de sa forme et de sa pertinence sur le fond. Il a rappelé qu’il s’agissait d’une première pour la Commission des affaires économiques, le premier projet d’avis émis par la Délégation pour l’Union Européenne en septembre dernier dans le cadre de cette nouvelle procédure de consultation des Parlements nationaux ayant porté sur les règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale. Il a ajouté qu’une nouvelle directive postale s’avérait en tout état de cause indispensable, dans la mesure où le texte actuel expirait au 31 décembre 2008, et qu’à défaut les services postaux rentreraient dans le droit commun de la prestation de services.

M. François Brottes a estimé que dans la mesure où tout secteur réservé est supprimé, chaque pays ne conserve pas la faculté d’organiser son propre service postal, qui va inévitablement s’en trouver fragilisé, et indiqué qu’en conséquence le groupe socialiste s’abstenait sur ce projet d’avis.

La Commission a ensuite adopté le projet d’avis de la Délégation pour l’Union européenne sans modification.

◊ ◊

La commission a ensuite procédé à l’examen, sur le rapport de M. Daniel Fidelin, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat (n° 3427), et de la proposition de loi de M. Jean Lemière (n° 3414), visant à faciliter le transfert des ports maritimes aux groupements de collectivités.

M. Daniel Fidelin, rapporteur, a rappelé que la commission examinait conjointement deux propositions de loi dont les textes sont presque identiques, la proposition de loi issue du Sénat ayant néanmoins une rédaction allégée.

Ces deux propositions de loi ont pour objet de compléter l’article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, prévoyant les modalités de transfert des ports non autonomes relevant de l’Etat aux collectivités locales intéressées au plus tard le 1er janvier 2007. La décentralisation des ports d’intérêt national est, dans l’ensemble, une réussite : un premier port a été décentralisé dès le mois d’août 2006, celui de Bayonne pour lequel la région Aquitaine a d’emblée manifesté son intérêt.

Il reste donc aujourd’hui 17 ports qui doivent être effectivement transférés avant le 1er janvier 2007 ; à l’heure qu’il est, la collectivité attributaire a été désignée pour 15 d’entre eux ; on peut noter que c’est souvent la région qui a été la plus intéressée par ce transfert.

Il semble donc que les craintes émises lors du débat sur la loi du 13 août 2004 précitée, relatives aux transferts non compensés de charges vers les collectivités territoriales, aient été infondées dans le domaine des ports maritimes. Le transfert des ports d’intérêt national sera intégralement compensé et l’on ne peut que se réjouir de constater que la région Aquitaine a déjà touché le montant correspondant au titre de l’année 2006. Pour l’année 2007, les crédits provisionnels ont déjà été votés dans le cadre de la loi de finances initiale, qui se décomposent en :

– 10,4 millions d'euros sur le budget du ministère de l'équipement pour la compensation des dépenses de fonctionnement ;

– 4,8 millions d'euros sur le budget du ministère de l’intérieur pour la compensation des dépenses d’investissement.

La rédaction actuelle de l’article 30 de la loi 13 août 2004 pose néanmoins problème pour le transfert des deux derniers ports que sont Dieppe et Caen-Ouistreham.

En effet cet article prévoit que toute collectivité territoriale ou groupement de collectivités territoriales pouvait demander, jusqu’au 1er janvier 2006, à devenir propriétaire et gestionnaire des ports autonomes relevant de l’Etat situés dans leur ressort géographique. Cet article prévoit en outre que, au cas où aucune autre demande n’a été présentée dans un délai de six mois suivant la notification de la première demande, le transfert est opéré au profit de la collectivité ou du groupement pétitionnaire.

Pourtant, dans les cas de Dieppe et de Caen, une seule collectivité territoriale s’est portée candidate dans les temps, mais il est ensuite apparu opportun à d’autres collectivités territoriales de s’associer à la première collectivité pour assurer la gestion de l’infrastructure portuaire. En Haute-Normandie, la région a été la seule collectivité territoriale à se porter candidate au transfert de Dieppe. Par la suite, elle a souhaité substituer à sa candidature celle d’un syndicat mixte associant la région, le département de Seine-Maritime, la communauté d’agglomération et la municipalité de Dieppe. Par ailleurs, la région Basse-Normandie était la seule candidate pour le transfert du port de Caen-Ouistreham ; toutefois, dans le cadre du projet de constitution d’un syndicat mixte entre la région et le département de la Manche pour recevoir le transfert du port de Cherbourg, il est apparu que ce groupement pourrait également accueillir le département du Calvados et recevoir le transfert du port de Caen-Ouistreham, dont la région devait être initialement la seule attributaire.

Tel que rédigé, l’article 30 de la loi du 13 août 2004 précité ne permet cette association. Les présentes propositions de loi ont donc pour objet d’adapter l’article 30 de la loi précitée, afin d’introduire plus de souplesse. En conclusion, soulignant que l’adoption dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale du texte déjà adopté par le Sénat permettra la promulgation rapide de la loi, le rapporteur a proposé à la commission d’adopter la proposition de loi du Sénat sans modification.

Après l’exposé du rapporteur, M. Jean Lemière s’est associé à ses conclusions. Il a indiqué qu’il n’avait pas d’objection à ce que la proposition de loi du Sénat soit adoptée de préférence à la sienne, pourvu que les dispositions concernées entrent en vigueur le plus rapidement possible.

M. Jean-Marc Lefranc a souligné que l’adoption de la proposition de loi du Sénat était nécessaire pour régler le cas des ports de Cherbourg et de Caen et, rappelant l’unanimité du Sénat sur ce projet, a souhaité que l’Assemblée nationale en fasse autant.

M. Léonce Deprez, rappelant les difficultés entourant le transfert des ports de Boulogne et de Calais, a souhaité obtenir des informations sur la manière dont ont été négociés et réalisés ces transferts, faisant état notamment de la difficulté à constituer un syndicat mixte attributaire de ces ports.

M. Daniel Fidelin, rapporteur, a indiqué que 18 ports étaient visés par ce transfert, qui est déjà devenu effectif pour le port de Bayonne. S’agissant des ports de Boulogne et de Calais, la phase de concertation est désormais achevée, la région Nord Pas-de-Calais ayant été désignée.

M. Alain Gouriou a indiqué que parmi les 18 ports en cours de transfert, le port du Larivot était situé outre-mer. Le transfert des ports de Boulogne et de Calais a soulevé certaines difficultés qui ont conduit l’Etat à trancher entre plusieurs collectivités.

La présente proposition de loi parait opportune et permettra de régler les problèmes pratiques évoqués par le rapporteur, ce qui conduit les députés du groupe socialiste à se montrer favorables à son adoption. Pour autant, des réserves doivent être émises sur les modalités de transfert de manière générale, certaines questions demeurant en suspens, comme le statut des personnels des ports ou le rapport entre les autorités portuaires, soumises à la tutelle de l’Etat, et les nouveaux propriétaires.

La commission est ensuite passée à l’examen de l’article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat (n°3427).

Elle a adopté l’article unique de la proposition sans modification.

◊ ◊

La commission a ensuite procédé à l’examen, sur le rapport de M. Jean-Christophe Lagarde, de sa proposition de loi tendant à prévenir le surendettement (n° 2029).

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur, a constaté que l’objectif de la proposition dont il est aussi l’auteur est partagé par tous : améliorer encore le dispositif de lutte contre le surendettement, dont chacun, dans sa circonscription, peut constater les ravages. Au niveau national, la dernière enquête de la Banque de France sur le surendettement, fin 2005, a démontré l’ampleur persistante du phénomène et le contexte est toujours très préoccupant : alors que la Banque de France souligne que c’est la modestie des ressources ou la diminution voire la perte de certaines d’entre elles qui apparaît à l’origine des difficultés de remboursement, de 6 à 12% de la population française vit sous le seuil de pauvreté.

Les deux articles qui constituent le texte de la proposition avaient déjà été soumis à l’Assemblée nationale, il y a deux ans, lors de l’examen d’une première proposition de loi du groupe UDF. Deux autres articles de cette proposition avaient été adoptés, rendant obligatoire pour le prêteur comme pour l’emprunteur un délai d’agrément de sept jours, afin que la banque puisse vérifier la solvabilité de l’emprunteur et que ce dernier puisse se rétracter sans avoir à rembourser les sommes déjà engagées. Transmis au Sénat, ces articles n’y ont pas encore été examinés.

Le Parlement avait adopté à la même époque la proposition de loi de M. Luc Chatel qui facilitait la résiliation des contrats tacitement reconductibles, améliorait l’encadrement du crédit renouvelable, supprimait l’interdiction de publicité hors du lieu de vente pour le crédit dit gratuit et améliorait l’information sur le coût de ce crédit. Si la lettre de la loi est respectée, son esprit ne l’est pas toujours, et l’offre de crédit, notamment revolving, reste peu lisible, et trop agressive.

En tout état de cause, ces mesures, comme la procédure de rétablissement personnel, issue de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, laissent un chaînon manquant, celui d’une plus grande responsabilisation des prêteurs.

C’est ce partage des responsabilités que vise la présente proposition de loi.

Les deux articles repris ici, qui tendent à créer un fichier positif et à rendre l’établissement de crédit responsable de l’insolvabilité éventuelle du souscripteur en l’absence de vérification n’avaient pas été adoptés en 2005, le ministre ayant indiqué en séance que le Gouvernement s’engageait à poursuivre la réflexion sur ces sujets et à nommer un parlementaire en mission.

Ces engagements n’ont pas été tenus de manière satisfaisante. Il est important d’affirmer aujourd’hui de façon claire la volonté de notre assemblée de combler les lacunes du dispositif de lutte contre le surendettement et spécialement de son volet préventif.

Tous les groupes politiques s’accordent sur le principe. Lors de la discussion en séance publique, fin janvier 2005, le président de la commission, M. Patrick Ollier, objectait des difficultés d’ordre technique ou administratif, reconnaissait la nécessité de faire évoluer la législation, et demandait au ministre de prévoir un travail en commun sur ces questions, ce qui est resté lettre morte. L’orateur du groupe UMP, M. Luc Chatel, rappelait s’être prononcé dans un premier temps en faveur de la création du fichier positif, mais jugeait nécessaire d’affiner ce concept, dans lequel il voyait un objectif de moyen terme. Deux ans, n’est-ce pas un moyen terme ? Dès 2003 d’ailleurs, M. Masdeu-Arus et de nombreux membres UMP de notre commission avaient proposé un dispositif similaire.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, avait reconnu l’intérêt de la mesure, et annoncé la nomination d’un parlementaire en mission, afin de faire le tour de la question. Deux ans auparavant, il y a maintenant quatre ans, lors du débat sur la loi du 1er août 2003, le ministre avait annoncé que le gouvernement présenterait un texte sur la prévention du surendettement. Rien n’est venu. Le projet de loi sur la protection des consommateurs, tant annoncé, ne contient toujours pas de dispositions en ce sens.

Quant au groupe socialiste, il avait voté pour la proposition de loi, et le groupe communiste avait présenté des amendements, reconnaissant ainsi que le principe en était fondé.

Le groupe UDF estime aujourd’hui nécessaire d’adopter ce dispositif simple et opérationnel.

La situation l’exige : 648 500 ménages étaient surendettés à la fin de l’année 2005, selon le comité consultatif du secteur financier (CCSF). Ces ménages sont particulièrement vulnérables : de plus en plus souvent (64 % des cas en 2004, 58 % en 2001), il s’agit de personnes seules. Cette proportion a doublé depuis les années 1990. Près de 54 % des surendettés ont au moins une personne à charge. 70 % des surendettés perçoivent des revenus inférieurs ou égaux à 1 500 euros par mois. Les ouvriers et employés sont les catégories les plus représentées, la part des chômeurs et inactifs progresse (34% en 2004, 32 % en 2001).

Certes, et c’est l’une des critiques le plus souvent faites à la proposition, les situations de surendettement dit « passif » restent majoritaires (73 %), et progressent. Mais c’est une évidence : la perte d’un emploi demeure toujours le principal « accident de la vie » (31 %) à l’origine des situations de surendettement, devant le divorce ou la séparation (15 %).

Néanmoins, le rôle de l’endettement bancaire ou financier est souvent déterminant : dans six dossiers sur dix, il représente au moins 75 % de la totalité des dettes. La part des crédits à la consommation est en augmentation. Le nombre de crédits renouvelables dans les dossiers de surendettement augmente de 5 % par rapport à 2001. Fait essentiel, ils se concentrent sur un nombre plus faible de dossiers (63 % en 2004, 82 % en 2001), mais leur nombre moyen par dossier augmente (6 en 2004, 3 en 2001). Si le crédit à la consommation n’est pas la cause première du surendettement, il l’aggrave, les ménages concernés croyant souvent qu’y recourir leur permettra d’attendre le retour à une meilleure fortune. Dans un nombre croissant de situations, (32 %, contre 27 % en 2001), les commissions de surendettement constatent une absence totale de capacité de remboursement.

Le dispositif prévu par la proposition de loi à une finalité très claire, la prévention du surendettement. L’usage commercial des informations est exclu. Un fichier positif public aurait de grandes chances d’éviter le développement de fichiers privés, qui offriraient moins de garanties à cet égard. C’est pourquoi le fichier positif serait confié à la Banque de France, et sa consultation ne serait possible qu’avec l’accord du prêteur. Il serait soumis à la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dont le non-respect est puni par le code pénal, les sanctions pouvant aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement.

L’absence de consensus avait servi à justifier certaines oppositions à ce projet en 2005. Mais comment pourrait-il exister, au sein des établissements de crédit, dans la mesure où ceux-ci se sentent menacés, craignant que le dispositif n’accroisse la concurrence de banques étrangères et que son financement ne leur incombe ?

Le fichier positif permettrait aux établissements de crédit de disposer d’informations plus fiables sur leurs clients potentiels sans que celles-ci puissent être exploitées en vue de prospections commerciales. Il faut souligner que ces sociétés utilisent sans problème, à l’étranger, ce type de fichier, par l’intermédiaire de leurs filiales. On ne peut que regretter cette alliance de conservatisme et de protectionnisme.

Quant aux associations de consommateurs, leurs réserves portent sur deux points principaux. Un tel fichier risquerait de restreindre l’offre de crédit et d’aboutir à une automatisation accrue de l’octroi du crédit faisant disparaître l’appréciation personnalisée de la situation des emprunteurs. Bien au contraire, au niveau individuel, le fichier positif permettrait l’ouverture du marché du crédit à des personnes exclues de fait par les systèmes de sélection statistique (credit scoring), puisque la décision du prêteur serait fondée sur des faits directement imputables à un emprunteur donné. Le Président de la République avait rappelé, dans ses vœux aux forces vives en janvier 2005, que 40% des Français sont exclus du crédit. La deuxième réserve est celle liée au risque de démarchage commercial opéré à partir d’un tel fichier.

L’objection la plus forte et en tout cas celle qui bloque le Parlement vient du ministère de l’économie et des finances qui considère qu’un tel instrument pourrait être un frein à la croissance et à la consommation. La conviction forte des auteurs de la proposition de loi est qu’il n’y a pas de croissance saine et durable fondée sur le surendettement, dont les effets sont humainement insupportables. Globalement, le coût social du surendettement qui exclut durablement de toute consommation de nombreuses familles dépasse le surcroît de consommation très passager permis par celui-ci. On ne peut donc laisser entendre que les mesures proposées seraient un frein à la croissance.

L’autre sujet de préoccupation tient à la protection de la vie privée.

Ces craintes semblent très exagérées : le dispositif proposé est très encadré. Consulté lors des précédents débats sur cette proposition, le Gouverneur de la Banque de France avait considéré que les techniques disponibles permettaient d’offrir les garanties nécessaires. Le fichier ne sera consultable que par les établissements de crédit, avec l’accord de l’emprunteur, et ils ne pourront réutiliser les données consultées à d’autres fins que leur décision d’octroi de crédit. Le dispositif étant incitatif, les banques n’auront pas l’obligation de consulter ce fichier, mais si elles ne le font pas, elles devront en assumer les conséquences.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Alain Gouriou a indiqué que le groupe socialiste n’avait pas d’opposition formelle à la proposition de loi, soulignant que celle-ci mettait en exergue un certain nombre de dérives dangereuses. Toutefois, la Banque de France n’avait semble t-il pas accueilli favorablement ce texte lors de son dépôt initial, mais peut-être la position de celle-ci a-t-elle évolué depuis. Deux questions demeurent qui devraient être traitées par la proposition de loi. La première concerne l’introduction d’une information obligatoire du conjoint de l’emprunteur. En effet, l’endettement dû au crédit revolving, notamment avec le cumul de cartes de crédits dans les établissements commerciaux, est souvent contracté à l’insu du conjoint. La signature des époux pour chaque contrat devrait à cet égard être obligatoire. Le second point concerne la conservation des informations relatives aux emprunteurs dans les bases de données des entreprises de crédit : celle-ci ne peut en effet se prolonger au-delà de l’expiration du crédit contracté. C’est là un point très important sur lequel la CNIL est particulièrement attentive.

M. Jacques Bobe, s’exprimant au nom du groupe UMP, a estimé que la proposition de loi poursuivait des objectifs louables eu égard au taux de surendettement en France et à l’insolvabilité des ménages concernés. Les structures bancaires sont toutefois défavorables à l’instauration d’un fichier positif et ce, d’autant plus, qu’à l’heure actuelle, les situations bancaires des emprunteurs font déjà l’objet d’un examen approfondi. Par ailleurs, depuis 2002, un nombre important de dispositions visant à lutter contre le surendettement ont été prises, que ce soit dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine ou de la loi de sécurité financière en 2003, de la loi de programmation pour la cohésion sociale en 2004 ou encore de la proposition de loi de M. Luc Chatel tendant à conforter la confiance et la protection du consommateurs adoptée en 2005. D’autres projets sont en cours, par exemple s’agissant de l’accès au crédit des personnes malades. Il apparaît donc préférable au groupe UMP de s’efforcer d’améliorer les outils existants, dans le cadre du fichier négatif, plutôt que d’en créer de nouveaux. En outre, la mise en place d’un fichier positif pose des problèmes de confidentialité bancaire et de gestion partagée des données. Il serait donc opportun de différer l’examen de la proposition de loi afin de poursuivre la réflexion.

M. Jean Dionis du Séjour a souligné que la proposition de son groupe s’attaquait à un vrai sujet social, rencontré fréquemment par les députés dans leurs permanences, et susceptible de briser des vies. L’argument du ministère de l’économie et des finances relatif à la croissance est par ailleurs scandaleux ; il privilégie une croissance artificielle plutôt qu’une croissance durable et relève d’un cynisme absolu. Le principal mérite de la proposition de loi est sa simplicité et sa rusticité, qui présagent favorablement des chances de réussite du dispositif instauré. La responsabilisation des prêteurs est une bonne chose ; il semblerait néanmoins que celle-ci doive être précisée : il conviendrait peut-être de définir le niveau d’endettement à partir duquel les organismes prêteurs ne peuvent plus se retourner contre l’emprunteur. La Banque de France est l’institution la plus à même de mettre en œuvre un fichier positif, dont l’existence est aujourd’hui avérée dans onze pays européens. A cet égard, si l’on constate que le niveau d’endettement est traditionnellement moindre en France que dans d’autres pays européens, l’élargissement du crédit doit concerner les ménages solides financièrement et non les 650 000 familles aujourd’hui dans l’impasse.

M. Léonce Deprez a indiqué que dans le Nord Pas-de-Calais, le surendettement était une question brûlante liée aux inégalités de niveaux de vie et à la pauvreté économique, qui reste le problème numéro un dans cette région. La question du surendettement ne relève pas que de la problématique de la perte d’emploi mais également du désir d’accéder à la propriété. Des mesures ont certes été prises par le gouvernement, mais le système est désormais si complexe que les intéressés rencontrent de nombreuses difficultés pour faire valoir leur droit à des aides financières dans le cadre de l’accession sociale à la propriété. Il est clair que les réponses technocratiques existantes ne sont pas satisfaisantes et que le fichier négatif doit à tout le moins être développé.

M. Jacques Bobe, soulignant la nécessité de mener une large concertation avec l’ensemble des groupes politiques afin de trouver au problème du surendettement des solutions communes et globales allant au-delà de la création d’un fichier positif qui soulève manifestement beaucoup de questions, a demandé que la commission ne procède pas à l’examen des articles de la proposition de loi et ne présente pas de conclusions.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a tout d’abord insisté sur le fait que la Banque de France était tout à fait à même de gérer et d’alimenter le fichier instauré par la proposition de loi, y compris en matière de crédit revolving, même si la grande variabilité de celui-ci, en particulier s’agissant des cartes de supermarché, imposera de fixer des seuils de déclenchement. D’ailleurs, pour les auteurs de la proposition de loi, seule la Banque de France doit pouvoir se voir confier cette tâche, et non des opérateurs privés, comme c’est le cas dans 9 des 11 pays européens déjà dotés d’un fichier positif. S’agissant de la question de l’information du conjoint, il n’apparaît pas opportun de la traiter dans le cadre de la présente proposition de loi, en ce qu’elle concerne la question fondamentale des droits et obligations du mariage, prévus par le code civil. De plus il faudrait envisager le cas du PACS et pas seulement du mariage. Enfin, en ce qui concerne la conservation des données au-delà de la date d’expiration du crédit, il convient de distinguer, d’une part, les données relatives au crédit en lui-même qui ne peuvent bien évidemment pas perdurer et, d’autre part, les données relatives au niveau d’endettement global de l’emprunteur qui ont servi de base à la décision de l’organisme de crédit d’accorder ou non un prêt et qui doivent pouvoir être conservées par ce dernier, non sous forme de fichier automatisé mais sous forme papier, afin qu’il puisse prouver sa bonne foi, notamment en cas de recours en justice. A cet égard, aucun seuil d’endettement ne saurait être fixé par la loi.

S’il faut reconnaître qu’un certain nombre de dispositifs ont été mis en place depuis 2002, que ce soit à l’initiative du gouvernement ou de la représentation nationale, ils visent essentiellement la faillite personnelle d’une part, qui a, certes, eu des effets très importants pour les personnes pour lesquelles il s’agit de la seule issue possible et qui échappent ensuite généralement au surendettement voire au crédit, et d’autre part l’information du consommateur, par le biais de la loi Chatel. S’agissant d’ailleurs de ce dernier texte, on constate tous les jours que les publicitaires contournent largement la volonté du législateur. Il s’agit cependant d’une matière où il est très difficile de légiférer : l’information ne peut donc être le seul angle d’attaque du problème du surendettement, a fortiori si l’on considère que 15 % de la population française est illettrée et qu’au sein de cette population, on relève un nombre important d’emprunteurs.

Il est donc temps désormais de valoriser la prévention. Celle-ci ne passe pas uniquement par l’instauration d’un fichier positif mais l’efficacité de celui-ci est prouvée au moins pour le tiers des 200 000 familles qui se retrouvent en situation de surendettement chaque année, et qui correspond à des acheteurs compulsifs – soit 60 000 à 65 000 familles – ainsi que pour le quart des familles restantes qui voient leur situation basculer par la souscription d’un crédit à la consommation. L’adoption de la présente proposition de loi permettrait donc de venir en aide à environ 100 000 familles, ce qui est loin d’être négligeable.

L’opposition des structures interbancaires au projet de loi n’est pas une surprise, celles-ci jouent leur rôle de lobby. A noter cependant que certains acteurs du marché comme Cofinoga, par exemple, n’y sont pas défavorables. Il font valoir que l’existence d’un fichier positif leur permettrait de prêter à certains déciles de la population qui sont à l’heure actuelle exclus du système en raison des méthodes statistiques de score qui écartent d’emblée du crédit environ 40 % de la population française, sans examen de la situation individuelle des emprunteurs. Par ailleurs, les établissements bancaires et commerciaux doivent être en mesure de s’adapter à la législation, ce qu’ils font déjà ailleurs en Europe puisque sur les 15 anciens États membres de l’Union européenne, seuls deux d’entre eux, la Grèce et le Luxembourg, ne disposent d’aucun système de fichier ; la France, la Finlande et le Danemark n’ayant mis en place qu’un fichier négatif, tous les autres pays disposent des deux types de fichiers.

Enfin, il faut rappeler que les familles recensées en France dans le fichier négatif, le FICP, sont uniquement celles qui ont connu un incident de paiement : l’ensemble des personnes surendettées en France est estimé entre 1 et 2 millions par l’INSEE. Au vu de ces chiffres, il apparaît nécessaire de passer outre l’opposition du ministère des finances, dont les arguments ne tiennent pas, pour envoyer un signal fort en direction des personnes concernées. La réflexion sur le sujet est maintenant engagée depuis plusieurs années, c’est pourquoi le groupe UDF a redéposé cette proposition de loi et souhaite son adoption par l’Assemblée nationale.

La Commission a alors décidé de ne pas passer à l’examen des articles et en conséquence de ne pas présenter de conclusions, le groupe UMP votant contre et les groupes UDF et socialiste pour.

◊ ◊

Informations relatives à la Commission

La Commission a procédé à la nomination de rapporteurs. Elle a désigné :

– M. Luc Chatel sur le projet de loi en faveur des consommateurs (n° 3430) ;

– M. Frédéric Soulier sur le projet de loi, adopté par le Sénat en 1ère lecture après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur (n° 3460).

– M. Jean-Christophe Lagarde sur sa proposition de loi tendant à prévenir le surendettement (n° 3490).