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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L’ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

Mardi 13 février 2007

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Patrick Ollier,
Président

 

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– Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Parisot, présidente du Medef, sur le Livre blanc du Medef « Besoin d’air ».


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La Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a entendu Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, sur le livre blanc du MEDEF « Besoin d’air ».

Le président Patrick Ollier a remercié Mme Laurence Parisot d’avoir accepté de venir parler devant la commission de son projet pour la France, développé dans le livre intitulé Besoin d’air. Cet ouvrage, fruit d’une démarche collective – de « démocratie participative », pourrait-on dire – qui a impliqué 50 000 chefs d’entreprise, porte l’espoir et l’ambition de ces derniers de voir la France retrouver le chemin d’une croissance forte, de 3 % ou plus – espoir et ambition également défendus par le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris lors de son audition devant la Commission.

Le mot-clé pour bâtir cette stratégie de croissance est, selon Mme Laurence Parisot, celui de liberté, ce qui appelle des éclaircissements sur la manière dont les entreprises entendent mettre en œuvre ce concept car il n’est pas facile de déterminer où doit se trouver le curseur en la matière. S’il faut indéniablement plus de liberté au niveau de l’emploi, on ne saurait trop insister sur la nécessité de mieux sécuriser le parcours professionnel des salariés. Se pose dès lors le problème de concilier la protection des uns et la liberté d’agir des autres et il attend de Mme Laurence Parisot qu’elle expose ses recettes en ce domaine comme dans celui de la fiscalité.

Mme Laurence Parisot a remercié la Commission de l’avoir invitée à venir débattre de l’avenir économique et social de la France. Nombreux sont ceux qui appliquent le concept de démocratie participative. A l’instar des élus locaux qui le font régulièrement, les chefs d’entreprise ont, depuis longtemps, développé la notion de « management participatif ». Le MEDEF est fier d’avoir réussi, d’une part, à ce que près de 50 000 chefs d’entreprise participent à l’élaboration du livre et, d’autre part, à synthétiser leurs contributions en 150 pages faciles à lire. La première priorité est en effet de faire la pédagogie de l’économie. Le livre se veut accessible au grand public.

Avant toutes choses, il dresse un diagnostic, lequel débouche sur une mise en garde : la France se trouve à un point d’inflexion car elle peut basculer dans le meilleur comme dans le pire, étant confrontée à un risque d’appauvrissement. Les chefs d’entreprise ne sont pas aveugles. Ils vivent au milieu de la société, au contact de nombreux publics, et ils se rendent bien compte que des poches de pauvreté se développent, qu’il leur est chaque année un peu plus difficile de « rester dans le coup », notamment pour les TPE et les PME, et qu’ils ont plus de difficulté que leurs concurrents anglais, allemands, et maintenant espagnols, à disposer de marges de manœuvre leur permettant de prendre des risques pour se tourner vers l’exportation ou pour aller plus loin dans la recherche et l’innovation. Sur le plan macroéconomique, ils déplorent la faiblesse de la croissance en France par rapport à celle, par exemple, du Royaume-Uni. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que la France ait pu avoir un taux de croissance plus soutenu que les Etats-Unis dans les années 1960 et jusqu’au début des années 1970.

Besoin d’air n’est pas un livre de recettes. Un certain nombre de sujets y sont abordés avec beaucoup de modestie et d’humilité du fait de la complexité de certains enjeux auxquels la France doit faire face.

Une forte mise en garde est adressée contre les erreurs de raisonnement, notamment sur les questions économiques et sociales, qui ont amené le pays à faire des choix tragiques. Deux exemples frappants en sont l’erreur de raisonnement lié aux 35 heures et celle, de plus en plus fréquente, sur la création de richesse.

Concernant les 35 heures, le MEDEF ne dit ni qu’il faille repasser tout d’un coup de 35 à 39 heures, encore moins qu’il faille aller au-delà de 39 heures, ni même qu’il faille passer de 35 à 36 heures. Il se contente de dresser un triple constat.

En premier lieu, les différents dispositifs législatifs ont eu un impact mécanique et quantitatif catastrophique sur certains secteurs d’activité, notamment celui des services.

Ils ont eu également – et c’est le deuxième constat – un impact qualitatif désastreux, car ils se sont accompagnés d’un discours de discrédit du travail, qui a détérioré la relation du citoyen à celui-ci. Dans les réponses des 50 000 chefs d’entreprise aux questions relatives aux 35 heures dans le questionnaire qui leur a été remis, ils ont tous indiqué qu’ils étaient frappés de voir que certains de leurs salariés n’osaient plus dire qu’il était possible de prendre du plaisir au travail : c’est devenu tabou.

Troisième constat, enfin : l’erreur de raisonnement fondamentale des 35 heures a été de croire qu’il suffisait de répartir le travail différemment pour que chacun puisse y avoir accès. L’emploi, en effet, ne se divise pas. Il peut exister des exceptions dans certaines très grandes industries relevant d’une logique de production bien particulière mais elles sont marginales par rapport à cette règle fondamentale.

Deux exemples illustrent ce point. Dans une PME, une diminution de 10 % du temps de travail du responsable commercial n’entraînera pas la création d’un « job » supplémentaire. En revanche, sa relation avec ses clients s’en trouvera affectée parce qu’il sera moins disponible. C’est donc le service commercial qui est mis en danger. A l’inverse, un chef d’entreprise travaillant neuf heures par jour aura besoin de deux secrétaires au lieu d’une. Si l’emploi ne se divise pas, le travail, lui, se multiplie.

Cela ne signifie pas pour autant que le temps de travail sera toujours identique. Si l’on se place dans une perspective historique, on constate une baisse du temps de travail. Mais le facteur déterminant qui doit induire cette baisse est la productivité. On peut très bien imaginer que, dans une entreprise où les salariés travaillent 37 heures, une innovation technologique déterminante dans la production permette l’année suivante de passer à 35 heures. La productivité est le seul facteur qui permette d’ajuster la durée du travail.

Pour le MEDEF, il serait souhaitable que celle-ci ne soit plus déterminée par la loi. Une telle proposition n’a rien d’ahurissant. La plupart des pays européens n’ont pas de durée légale du travail définie de manière uniforme pour tous les secteurs d’activité. Le MEDEF préconise qu’elle soit déterminée par les partenaires sociaux, soit au niveau de l’entreprise, c’est-à-dire par discussions entre le chef d’entreprise et les élus du personnel, soit au niveau de la branche professionnelle. Suivant la taille, l’organisation et le métier, une organisation à 35 ou à 36 heures peut être très différente. Elle peut également varier d’une année sur l’autre. Suivant la conjoncture, il peut y avoir des périodes où il est préférable de travailler sur une base de 35 heures et d’autres, au contraire, où il faut fournir des efforts sur la base de 36 ou de 37 heures.

Le « besoin d’air » qui donne son titre au livre correspond à une demande non seulement des entreprises mais également du pays, et notamment des partenaires sociaux, à qui il faut laisser beaucoup plus d’autonomie et de responsabilité. Il faut leur laisser l’espace pour contracter et décider par eux-mêmes.

L’erreur de raisonnement sur les 35 heures a coûté très cher à la France, d’autant que le pays est passé brutalement, c’est-à-dire sans lien avec les gains de productivité permettant de le faire, de 39 à 35 heures au moment même où se produisait en Asie une expansion démographique et économique d’une ampleur inconnue jusqu’alors et où l’Amérique du Nord connaissait une croissance économique forte. Alors que le monde entier se mettait à travailler plus, la France décidait brutalement et de manière autoritaire de travailler moins.

Il est à craindre qu’aujourd’hui, une erreur de raisonnement analogue soit faite sur la question de la richesse. La nouvelle équipe du MEDEF n’a de cesse, dans ses interventions et ses relations avec les partenaires sociaux, d’expliquer qu’il est impossible de déconnecter le social de l’économique. Les deux sont liés. Dans la préface du livre, est cité un discours du président Clinton pendant sa deuxième campagne présidentielle. À des partisans habitant des quartiers modestes de Chicago, il a dit qu’il ne pouvait pas leur offrir ce qu’ils voulaient sur le plan social sans construire au préalable un « socle de prospérité » durable. Cette notion est essentielle. Ce qui manque à la France depuis longtemps, c’est une telle construction, c’est-à-dire une croissance non seulement de meilleur niveau mais régulière, alors que c’est la force historique des Etats-Unis, en tout cas depuis la Seconde guerre mondiale.

La France a tendance à voir la richesse comme un gâteau déjà sur la table, dont la répartition serait le seul sujet de discussion. En fait, la prospérité n’a rien à voir avec cette représentation. La croissance est plutôt comme un gaz en expansion ou en diminution, c’est-à-dire quelque chose qui est en permanence en mouvement. La question est dès lors de savoir comment faire pour que ce soit toujours en mouvement croissant.

La première question à se poser est donc de savoir si la France se donne les moyens aujourd’hui d’avoir une croissance forte, créant des richesses et lui permettant de rester un pays prospère. À ce sujet, la campagne électorale actuelle est intéressante, car sont enfin abordés des sujets économiques et sociaux fondamentaux qui ne l’étaient pas auparavant.

Il est cependant une question qui n’est pas encore suffisamment étudiée, à savoir celle des conditions de la croissance. Pour sans doute avoir trop lu de résumés de la vie d’Antoine Pinay, les Français pensent que la confiance est l’élément miraculeux qui crée la croissance. Or c’est l’inverse qui est vrai : c’est quand il y a de la croissance qu’il y a de la confiance. Dans les pays où la croissance est forte, la bonne humeur est au rendez-vous. Par contre, pas plus la joie extraordinaire suscitée par l’élection de François Mitterrand en 1981 que la satisfaction de nombreux Français lors de celle de Jacques Chirac en 1995 n’ont suffi à créer de la croissance.

Plusieurs facteurs structurels concourent à stimuler la croissance et méritent examen.

Le premier est la réduction du chômage. Plus de travail induit mécaniquement plus de croissance, en même temps qu’une baisse d’un certain nombre de déficits et une diminution des problèmes de délinquance.

Un autre élément majeur est la réforme du marché du travail, lequel est victime d’un double dysfonctionnement. Premièrement, l’offre et la demande ne se rencontrent pas. Deuxièmement, dans un même secteur d’activité, une entreprise britannique est à plein effectif par rapport à ses capacités de production et à son carnet de commandes, tandis qu’une entreprise française est en léger sous-effectif, car le chef d’entreprise a peur d’embaucher.

Un troisième élément est donc la levée des freins psychologiques à l’embauche.

Il existe encore d’autres éléments, mais ceux qui viennent d’être cités sont des leviers majeurs, auxquels on ne s’est jamais attaqué de manière satisfaisante.

Une étude de l’OCDE sur la législation de protection de l’emploi montre que, plus le degré de protection d’un pays est fort, plus le taux de chômage y est élevé. Il n’est évidemment pas question de prôner une protection zéro mais le fait est qu’une protection trop forte agit comme une barrière, protégeant ceux qui sont dans l’emploi mais empêchant ceux qui n’y sont pas – jeunes arrivant sur le marché du travail ou personnes qui, à la suite d’un accident dans leur vie professionnelle, se retrouvent au chômage – d’y accéder. On peut donc se demander si certaines protections ne sont pas en réalité des freins à la baisse du chômage. Les auteurs qui ont écrit que « la France a fait le choix du chômage » ont exprimé une idée profondément juste.

Une fiscalité compétitive pour les entreprises est déterminante, ce terme devant être entendu comme englobant à la fois la fiscalité et les charges sociales. L’ensemble des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises – selon les données de 2004, dernière année disponible – s’élèvent à 280 milliards d’euros en France contre 220 milliards en Allemagne, alors que ce pays a un PIB – quel que soit le critère retenu – supérieur au moins de moitié à celui de la France, et 120 milliards d’euros au Royaume-Uni, alors que l’économie anglaise et l’économie française ont beaucoup de points de comparaison, qu’il s’agisse de la démographie ou des structures par secteurs d’activité. Les entreprises françaises sont les plus taxées au monde. En transposant la situation dans le monde sportif et en comparant les entreprises à des athlètes devant courir le marathon, cela revient à faire courir les athlètes français avec un sac de 28 kg sur le dos, les Allemands avec 22 kg et les Britanniques avec 12 kg. Il n’y a, dès lors, pas lieu de s’étonner que les entreprises françaises aient de plus en plus de mal à exporter, à augmenter les salaires et à prendre des risques, alors que c’est la vocation normale de tout entrepreneur.

Quitte à ce que ce discours surprenne les organisations syndicales, le MEDEF déplore lui-aussi la faible progression du pouvoir d’achat, qui ne permet pas à tous les Français de prétendre à une consommation moderne, comme posséder un téléphone portable ou avoir accès à Internet. Mais comment les TPE et les PME – il n’est pas question ici des cent plus grandes entreprises françaises dont 70 % de l’activité se situe hors de France – pourraient-elles augmenter les salaires, étant donné que leurs résultats sont en baisse sur les cinq dernières années selon les études réalisées par certaines banques, et que leur trésorerie n’a jamais été aussi fragile tandis que celle des entreprises allemandes est de plus en plus solide ? C’est une donnée structurante, qui doit être intégrée dans le débat.

Une comparaison intéressante a été réalisée entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, sur la base d’un salaire brut de 50 000 euros par an. Le salarié américain perçoit, en net, 42 000 euros, tandis que le coût pour l’entreprise américaine est de 54 000 euros. Dans le modèle français, ces montants sont respectivement de 38 000 et 73 000 euros. Le modèle allemand (respectivement 36 000 et 60 000) se situe entre ces deux extrêmes.

En conclusion, si le MEDEF veut participer à la campagne électorale, c’est pour faire prendre conscience aux Français que les entreprises sont au cœur de la vie économique et ont une vision proche de la réalité. Elles n’ont pas une vision pessimiste. Elles estiment qu’il suffirait de modifier légèrement quelques paramètres pour redonner à la France cet « air » dont elle a besoin. Parmi ces paramètres, il y a, bien entendu, les problématiques purement économiques dont il vient d’être question, mais la France a une capacité d’adaptation bien plus grande que ce que l’on croit, à condition qu’on lui donne plus d’espace d’autonomie et de liberté.

C’est pourquoi le MEDEF demande une révision de la Constitution afin que soit accordé aux chefs d’entreprise en tant que partenaires sociaux un vrai champ de responsabilité propre. Il revient certes au législateur de déterminer les grands principes généraux du droit du travail et du droit social mais il doit laisser les entreprises conclure et aboutir par le contrat, la discussion et la négociation. Ce qui empêche aujourd’hui certaines négociations d’avancer, c’est que tous les partenaires sociaux réunis autour de la table savent que l’Etat, in fine, interviendra par voie réglementaire ou législative. Un tel changement serait un accélérateur de la réforme qui donnerait à tous les Français un peu plus d’air.

M. François Brottes a remercié, au nom du groupe socialiste, Mme Laurence Parisot d’être venue témoigner de son expérience devant la Commission, sans arrogance. Si le ton du MEDEF a changé, il n’y a guère d’évolution dans le contenu de son message et quelques éléments caricaturaux peuvent être relevés dans l’exposé de sa présidente : la théorie du « gâteau » n’a pas cours au parti socialiste, ni la croyance que l’on puisse faire du social sans économique ou créer de l’emploi sans croissance. Sans vouloir polémiquer sur la réduction du temps de travail, il faut quand même signaler que la loi accorde aux cadres commerciaux, de ce point de vue, un statut particulier et qu’elle a introduit pour la première fois l’annualisation du temps de travail, notamment pour les entreprises de travaux publics. Il y a certainement un certain nombre de points à revoir, mais la réalité est plus nuancée que ne le laisse entendre le MEDEF.

Il convient de relativiser la force, qualifiée d’ « historique » par Mme Laurence Parisot, des Etats-Unis, tout comme la fascination exercée par ce pays qui distribue plus de pouvoir d’achat qu’en France à ceux qui ont la chance de travailler. En visite à la Nouvelle-Orléans avec plusieurs autres députés un an après le passage du cyclone Katrina, il a pu constater que les routes étaient toujours dans le même état, les pylônes toujours par terre et les gens toujours logés dans des tentes ou des caravanes à côté de leur maison, faute de services publics, de mutualisation du risque et de solidarité nationale. Si c’est le modèle social et économique que le MEDEF souhaite développer en France et en Europe, qui pourrait y adhérer ? Les entreprises ont raison d’avoir des exigences à l’égard des pouvoirs publics, mais il faut aussi qu’elles définissent, avec les élus et les partenaires sociaux, un modèle social et économique susceptible de fournir à la fois la formation nécessaire aux salariés et les infrastructures dont elles-mêmes ont besoin.

Il est dommage que le MEDEF ne se soit pas prononcé sur la question de l’énergie. Dans la circonscription de M. François Brottes, les charges fixes de bon nombre d’entreprises ont doublé dans ce domaine, soit une progression bien plus forte que celle des coûts salariaux. Il serait souhaitable de connaître la position du patronat français sur les tarifs régulés et la libéralisation du secteur de l’énergie. Il y a certainement des combats communs à mener sur ce sujet, car il n’est pas bon de garder le nez sur le guidon et de ne s’intéresser qu’aux variations de cotation des actions.

Il est un autre domaine qui a « besoin d’air » : celui de la gouvernance des entreprises Nombreux sont en effet les exemples qui montrent que l’on ne laisse plus le temps à l’investissement de devenir rentable, même dans l’industrie. Il est important que, là aussi, une réflexion commune se développe.

On peut enfin s’interroger sur la pertinence de la dernière initiale du sigle MEDEF. Les problèmes ne sont pas seulement franco-français et ne se réduisent pas au code du travail national. La difficulté de définir des stratégies communes au niveau européen est problématique.

M. Jean-Paul Charié s’est félicité, au nom du groupe UMP, de la venue de Mme Laurence Parisot devant la Commission. Il est en effet inconcevable de développer une politique d’intérêt général en dehors des acteurs essentiels que sont les entreprises. Dans un monde de plus en plus complexe et changeant, les politiques doivent, pour être efficaces, être de plus en plus humbles et anticiper les réformes avec ces développeurs de richesse que sont les entreprises.

Il faut donc qu’il y ait des rapports plus étroits entre le monde de la politique et celui des entreprises. Or si, dans leur circonscription, les députés sont systématiquement invités par les maires, ils ne le sont quasiment jamais par les chefs d’entreprise, souvent aussi méfiants vis-à-vis du monde politique que le sont les politiques à l’égard des lobbyistes. Or, si les élus ont besoin des chefs d’entreprise, l’inverse n’est pas moins vrai.

Puis M. Jean-Paul Charié a posé quatre questions à Mme Laurence Parisot.

La première a trait au développement de la culture économique. Il est surprenant que la France, qui se situe parmi les premières puissances économiques du monde, figure au dernier rang pour la confiance en l’économie de marché. Il est impossible de faire de bonnes lois, quelles que soient les idées politiques, avec une aussi mauvaise connaissance du fonctionnement de l’économie de marché et de la libre entreprise.

La deuxième question est celle de l’éthique. Après s’être identifiée à la clientèle, puis au capital, la valeur de l’entreprise intègre maintenant la dimension humaine. Quelle est la position du MEDEF à l’égard des stock options, des sur-rémunérations et autres « parachutes en or », qui portent un tort moral considérable à l’ensemble du patronat ?

Il serait opportun, en troisième lieu, de réfléchir à la question de la représentativité syndicale.

Enfin, face au sentiment de lassitude éprouvé par les entreprises françaises, ne serait-il pas possible, comme en Allemagne, de faire jouer davantage la solidarité entre le monde des grandes entreprises, de la grande distribution notamment, et celui des petites entreprises, notamment en matière de délais de paiement et de marges arrière ?

M. Michel Raison a souligné l’importance des contacts entre les entreprises et les parlementaires. Rappelant que lui-même avait pris l’initiative de rencontrer pas moins de 157 entreprises dans sa circonscription, il a appelé l’attention de Mme Laurence Parisot sur les difficultés qu’elles éprouvent à trouver des personnels qualifiés répondant à leurs besoins. Il a souhaité connaître les propositions du MEDEF en vue de résoudre ce problème.

Il est regrettable par ailleurs que les règles qui gouvernent le monde des entreprises soient conçues pour être adaptées aux cent plus grandes entreprises françaises, tout en pénalisant les autres, lesquelles sont en général plus créatrices d’emplois.

Les études comparatives menées par le MEDEF ont fait apparaître, en matière de charges sociales, des écarts considérables entre les entreprises américaines et françaises, mais les écarts entre les différents pays européens, quoique moindres, restent importants. Cela appelle une explication. Les régimes d’assurance sociale ont-is, dans les autres pays de l’Union européenne, d’autres sources de financement, ou les prestations y sont-elles nettement inférieures ?

M. Dominique Le Mèner a souhaité connaître l’appréciation de Mme Laurence Parisot sur le contexte démographique dans lequel évolue l’économie française. Les départs en retraite seront nombreux dans les années qui viennent. La situation est comparable dans le reste de l’Union européenne, dont la part relative dans la population mondiale ne cesse de diminuer. S’adapter à cette évolution pourrait nécessiter un allongement de la durée du travail tout au long de la vie, corollaire de l’allongement de l’espérance de vie. D’autre part, la France est confrontée à des problèmes très spécifiques. Elle est par exemple le pays d’Europe dont le taux d’emploi des seniors est le plus faible.

M. Alain Marty s’est fait l’écho des préoccupations des chefs de petites et moyennes entreprises du département de la Moselle, lesquels constatent qu’ils perdent des parts de marché face aux entreprises allemandes en raison du fait que les PME n’ont pas les outils nécessaires pour être compétitives à l’exportation. Le MEDEF a-t-il mené une réflexion sur la manière d’aider les PME à être plus performantes ?

S’agissant du contrat de travail, il a souhaité connaître les propositions du MEDEF susceptibles de le faire évoluer en vue de libérer l’économie française, tout en respectant l’exigence de protection du salarié. Le temps de formation mérite notamment une attention particulière.

Le pouvoir d’achat des Britanniques augmente d’environ 5 % par an, notamment du fait que le Royaume-Uni est plus proche du plein-emploi que la France. C’est l’objectif qu’il faut s’efforcer d’atteindre d’ici quelques années. Comment y arriver ?

M. Daniel Fidelin a souligné que les chefs d’entreprise du bâtiment se plaignent de ne pouvoir trouver du personnel qualifié. À ce problème préoccupant s’ajoute le fait que ceux d’entre eux, et ils sont nombreux, qui sont appelés à partir en retraite dans les prochaines années risquent de ne pas trouver de repreneurs.

Mme Claude Darciaux a indiqué que dans sa circonscription, plus de 1 500 emplois qualifiés ont disparu entre trois ans, dans des grandes entreprises comme Thomson, mais aussi dans des entreprises de cinquante salariés. Elle s’est interrogée sur l’absence d’anticipation des directions d’entreprise, dans des domaines tels que la formation des salariés ou le développement de la recherche et des nouvelles technologies. Thomson, notamment, n’a pas anticipé l’évolution de la télévision analogique vers le numérique.

Le risque d’appauvrissement est réel, mais ne pas concerne pas tout le monde. Une entreprise industrielle a récemment distribué 82 millions d’euros aux actionnaires, alors que ses salariés, dont le salaire mensuel moyen est de 960 euros, demandaient 5 % d’augmentation. Leur demande de pouvoir d’achat et de formation appelle une réponse.

M. François Brottes a rappelé le propos de Mme Laurence Parisot selon lequel les taux de chômage des différents pays européens seraient inversement proportionnels à ce que les chefs d’entreprise considèrent comme étant la « dureté » des lois sociales. Mais il convient de prendre en compte également les taux de précarité. Quand de nombreux salariés connaissent le temps partiel non choisi, ou vont d’un employeur à l’autre, la sérénité n’est pas possible, ce qui a une incidence négative sur le niveau de la consommation, donc sur la croissance.

L’appel à davantage de paritarisme, à une régulation par le contrat plutôt que par la loi, se heurte d’autre part au déséquilibre entre les organisations syndicales et le patronat, notamment dans les entreprises privées. Dans ces conditions, il est difficile de confier au paritarisme le soin d’organiser les règles de vie de l’entreprise. Il serait opportun de renforcer la représentativité des syndicats.

Enfin, quand il s’agit de faire face à une restructuration ou de sauver une entreprise en difficulté, les élus sont très seuls. Ils le constatent notamment quand ils font appel aux chambres de commerce et d’industrie, qui ne réagissent pas toujours avec la vigueur que l’on pourrait attendre d’elles. La CGPME fait parfois preuve de volontarisme. Le MEDEF semble plus concerné par les entreprises d’une certaine taille. Cela est regrettable, car lorsqu’il est nécessaire d’élargir le capital d’une entreprise, de trouver d’autres partenaires, qui mieux que le réseau des employeurs pourrait jouer un rôle efficace ? Si tous les acteurs d’un territoire doivent se mobiliser ensemble dans le même sens, au service de l’activité, de l’emploi et du développement, il faut savoir reconstituer des réseaux utiles.

Le président Patrick Ollier a souligné que les relations difficiles entre les Français et l’entreprise pouvaient s’expliquer par le rapport particulier qu’ils entretiennent avec l’argent.

Il s’est demandé si le développement de la participation et de l’actionnariat salarié ne serait pas un bon moyen de réconcilier les Français avec l’entreprise. D’adversaires, les chefs d’entreprise et les salariés peuvent ainsi devenir partenaires. Le climat au sein des entreprises pourrait s’en trouver transformé. À cet égard, le Parlement a récemment adopté un texte qui, si l’on peut le juger timide, a au moins le mérite d’exister. Il est souhaitable d’aller plus loin.

En réponse à M. François Brottes, Mme Laurence Parisot a souligné qu’en citant des chiffres concernant les entreprises américaines, elle n’avait nullement pour but d’ériger les États-Unis en modèle. Il convient seulement de se souvenir qu’il fut une époque où la croissance française était supérieure à la croissance américaine, alors même que la France construisait ses services publics et son modèle social.

Le MEDEF a réagi face à l’augmentation des tarifs d’EDF en soulignant que dans un marché comme celui de l’électricité, il était essentiel de prévoir une période de transition entre la logique de monopole et l’ouverture à la concurrence.

En ce qui concerne la gouvernance des entreprises, il faut souligner les mérites du capitalisme familial, mais aussi ses limites. Ce n’est pas le seul modèle possible. S’il est certes compréhensible que le rachat d’une entreprise par des fonds d’investissement puisse susciter des inquiétudes, il importe de rappeler que beaucoup d’entreprises sont sauvées grâce à l’apport en capital des fonds d’investissement qui les rachètent, et qui introduisent dans leur gestion des pratiques plus modernes. La question centrale est de savoir comment faire pour que les PME françaises aient plus de fonds propres. Il est souhaitable que plus de business angels investissent dans des PME qui se trouvent en difficulté parce que leur modèle de développement ne correspond plus à la réalité économique du monde actuel.

Ce sont les organisations patronales elles-mêmes, le MEDEF et l’AFEP, qui ont décidé il y a quelques années d’organiser la transparence des rémunérations des dirigeants des entreprises cotées. La révélation de ces rémunérations a produit un choc dans l’opinion publique. Si la transparence des revenus était organisée dans d’autres métiers, on y découvrirait des rémunérations beaucoup plus élevées que celles des dirigeants d’entreprises cotées. Il reste que le choc produit dans l’opinion publique, qui continue de produire ses effets, a conduit certains à l’idée de fixer une limite aux salaires des dirigeants d’entreprises. Mais en vertu de quelles modalités de calcul serait-elle fixée ? En outre, si la France fixait un plafond, les dirigeants qui ont des revenus très élevés parce qu’ils ont des compétences de très haut niveau iraient à New York, Londres ou Shanghai. Cela ne profiterait pas aux entreprises françaises. Cela étant, il est inadmissible que des rémunérations élevées ne soient pas en relation avec des compétences de haut niveau, des performances élevées, ni avec l’intérêt général de l’entreprise. Au printemps 2006, la presse s’est fait l’écho d’un cas où cette relation n’existait pas. Le conseil d’administration de l’entreprise concernée en a tiré les conséquences. Un cas particulièrement choquant vient d’être révélé aux États-Unis, où un dirigeant a reçu une rémunération très élevée pour quitter une entreprise en train de s’effondrer. Il importe que les critères qui mettent en relation les rémunérations et les performances soient connus des actionnaires, et qu’ils soient établis au moment de la signature du contrat. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin, étant entendu que les jeunes Français doivent savoir qu’ils peuvent eux aussi, s’ils acquièrent les compétences nécessaires, s’engager dans des carrières qui les conduiront à des rémunérations élevées.

S’agissant de la précarité, il importe de souligner l’usage très extensif qui est fait de ce mot. La précarité peut désigner des situations inacceptables, marquées par l’exclusion et la grande misère. Mais certains emploient ce mot pour désigner ce qui est en réalité une chance. Quand un jeune se voit proposer un CDD dans une entreprise de biotechnologie qui est en forte croissance, bien de loin de subir la précarité, il bénéficie d’un formidable tremplin. Il convient d’autre part de rappeler que les contrats courts sont plus nombreux dans le secteur public et la fonction publique que dans le secteur privé.

En réponse à M. Jean-Paul Charié, Mme Laurence Parisot a souligné à son tour la nécessité de relations plus suivies entre le monde politique et celui de l’entreprise. En outre, il faut faire tomber les clivages et les cloisons.

Il est sain que le débat sur la représentativité ait lieu. Mais avant même d’aborder cette question, il faut s’interroger sur la légitimité. La vocation des organisations syndicales et patronales doit être clarifiée. De ce point de vue, l’organisation d’élections visant à consacrer la représentativité de chacune d’entre elles risquerait d’introduire une certaine confusion, pouvant aller jusqu’à mettre le champ des partenaires sociaux en concurrence directe avec le champ politique.

Les critères de représentativité résultant du décret de 1966 sont obsolètes. Les résultats des élections professionnelles qui ont régulièrement lieu dans les entreprises peuvent constituer une base pour faire évoluer ces critères. Elles permettent d’évaluer le poids des différentes organisations syndicales. Il n’est pas nécessaire, ni opportun, de balayer plus de cent ans d’histoire sociale, au cours desquels le syndicalisme s’est construit autour de la logique d’adhésion. La démocratie politique est fondée sur le suffrage universel et l’élection. La démocratie sociale est fondée sur l’adhésion syndicale. C’est cette adhésion qu’il faut encourager. Dans ce but, l’effet d’un crédit d’impôt ne peut être que marginal. L’adhésion syndicale ne peut trouver sa source ailleurs que dans le sentiment que les organisations syndicales ont effectivement les moyens de peser sur les relations sociales et les conditions de travail. Si le salarié sait que la durée du travail dans son entreprise et dans sa branche dépendra des négociations entre organisations syndicales et patronales, il attachera de l’importance à l’adhésion au syndicat. Si par contre il sait que la durée du travail ne dépendra que de la volonté du législateur, on ne voit pas pourquoi il accorderait un intérêt particulier à l’action du syndicat et à sa vision des choses. Enfin, il faut rappeler que la réforme de la représentativité ne divise pas profondément les organisations syndicales et le patronat, mais les organisations syndicales entre elles.

La solidarité entre le monde des grandes entreprises et celui des PME est importante. Il est vrai que les grandes entreprises ont atteint un seuil critique au moment où l’évolution de l’économie mondiale s’accélérait de façon prodigieuse, à la fin des années 1980, alors que les PME, à la même époque, n’avaient pas la taille suffisante pour être tirées aussi vite vers le haut. Il s’en est suivi un très grand écart entre ces deux types d’entreprises, d’où des rapports de forces difficiles. Le MEDEF, auquel adhèrent plus de 700 000 entreprises et non pas seulement celles du CAC 40, est particulièrement attentif à cette situation. Les chefs d’entreprise ont de plus en plus conscience du problème. Des initiatives se multiplient pour organiser le partenariat entre les très grandes entreprises et les moyennes. Par exemple, EDF, qui a beaucoup progressé sur le marché chinois durant ces dernières années, a permis à 35 PME de conquérir en Chine des marchés spécifiques, qui ne sont pas liés à EDF. Total aide différentes PME en mettant à leur disposition différents bureaux à travers le monde. Ces initiatives se multiplient, et doivent être encouragées, ce qui n’exige aucune disposition législative ou réglementaire. Cela étant, la meilleure façon de réduire l’écart entre la grande et la moyenne entreprise est d’aider celle-ci à grandir, et donc de s’attaquer aux obstacles qui l’en empêchent.

En réponse à M. Michel Raison, Mme Laurence Parisot a confirmé que beaucoup d’entreprises ne trouvent pas le personnel qualifié dont elles ont besoin. Un accord entre les partenaires sociaux a abouti à la création des observatoires de métiers. Le MEDEF souhaite opérer une synthèse de leurs travaux afin de disposer d’une compréhension plus globale du problème.

D’autre part, un certain état d’esprit ne favorise pas la mobilité. Il conviendrait de souligner que travailler à quarante kilomètres de chez soi pour entrer dans la vie active n’est pas un drame.

Enfin, les jeunes diplômés ont parfois tendance à penser qu’ils ne peuvent accepter qu’un emploi correspondant exactement à leur formation. À l’inverse, les directions des ressources humaines ont tendance à écarter tout candidat dont la formation ne correspond pas exactement au poste à pourvoir. Cette segmentation excessive, aussi bien de l’offre que de la demande, ne facilite pas les choses. Une plus grande ouverture d’esprit est nécessaire. Le MEDEF incite notamment les entreprises à ne pas craindre d’embaucher des jeunes dont la formation est littéraire. Le MEDEF a conclu un accord avec l’université de Marne-la-Vallée, aux termes duquel les diplômés en sciences humaines intéressés par l’entreprise se voient proposer une formation de trois mois, financée par le MEDEF, destinée à leur faire comprendre les données de base de la vie de l’entreprise. Grâce à cette formation passerelle, ils pourront mettre en œuvre leurs compétences acquises à l’université sans être en déphasage par rapport au monde de l’entreprise.

En réponse à M. Dominique Le Mèner, Mme Laurence Parisot a regretté qu’ait prévalu pendant plusieurs décennies un consensus général autour de l’idée qu’il convenait d’inciter les seniors à quitter la vie active. Tout le monde a pris conscience que c’était une erreur, mais elle ne sera pas corrigée en quelques mois. Cinq années au moins seront nécessaires avant qu’une orientation nouvelle puisse avoir un impact perceptible. L’accord senior passé entre les partenaires sociaux témoigne d’une révolution des esprits.

En réponse à M. Alain Marty, Mme Laurence Parisot a souligné que les dispositifs visant à aider les PME à exporter sont relativement satisfaisants. Les difficultés dans ce domaine tiennent d’abord au fait que les Français ne parlent pas suffisamment l’anglais, contrairement aux Allemands. D’autre part, les PME n’ont pas le temps nécessaire pour déployer les efforts nécessaires pour conquérir des parts de marché à l’étranger. Pour exporter en Espagne, il faut qu’au moins deux personnes, de formation commerciale ou technico-commerciale, prennent le temps d’engager les premiers contacts, un temps pendant lequel leur activité ne sera pas immédiatement rentable. Mais l’entreprise est tellement prise à la gorge par d’autres tâches qu’elle n’a tout simplement pas les moyens de consacrer ce temps à l’exportation.

L’industrie allemande est structurellement forte dans la production de biens d’équipement dont la mondialisation a particulièrement besoin en ce moment. Quand la mondialisation sera passée à un autre stade, les entreprises françaises seront dans une situation plus avantageuse, qui leur permettra de donner toute la mesure des performances dont elles sont capables.

En réponse à M. Alain Marty et à M. François Brottes, Mme Laurence Parisot a rappelé qu’elle ne demandait pas un bouleversement du code du travail. Ce sont les conséquences possibles d’une séparation d’avec le salarié, et non le contrat de travail en lui-même, qui posent problème. La judiciarisation folle à laquelle on assiste en ce domaine coûte cher à l’entreprise, en temps et en argent, mais aussi au salarié, en temps et en estime de soi. La séparation entre l’entreprise et le salarié ne peut être, en France, que violente. Après des mois aux prud’hommes et en appel, l’entrepreneur perd dans 70 % des cas. La peur de l’embauche s’explique par cette raison et par aucune autre. Une judiciarisation kafkaïenne a pour effet que l’entrepreneur peut perdre pour des raisons de pure forme, qui ne sont pas loin de la simple faute d’orthographe. Ainsi, la lettre de convocation préalable au licenciement doit mentionner la faculté pour le salarié, en l’absence d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, de se faire assister par un conseiller de son choix inscrit sur une liste dressée par le représentant de l’État dans le département et préciser l’adresse de l’inspection du travail et de la mairie où cette liste est tenue à la disposition des salariés. Dans une affaire récente, la Cour de cassation a considéré que l’employeur n’avait pas respecté la procédure, et ce au motif que la lettre de convocation ne mentionnait pas l’adresse de la mairie. Quand le chef d’une PME sait que de telles mésaventures peuvent lui arriver à tout moment, on comprend qu’il hésite à embaucher.

Il serait temps d’inventer un mode de séparation qui ne passe pas systématiquement par la logique de la faute. Dans bien des cas, l’entreprise et le salarié sont d’accord pour se séparer. Mais le salarié ne veut pas démissionner, parce qu’il ne veut pas renoncer au filet de sécurité de l’assurance chômage. Il n’y a alors pas d’autre solution que de procéder à un licenciement pour faute. C’est ainsi que l’on entre dans une logique plus violente, culpabilisatrice et destructrice de part et d’autre. Il serait bon d’inventer une procédure de séparation par consentement mutuel, qui donnerait au salarié l’accès à l’assurance chômage. Les relations sociales s’en trouveraient extraordinairement pacifiées. Les chefs d’entreprise ne considèrent pas ceux qu’ils emploient comme des « salariés jetables ». Cette accusation fausse n’est pas sans rappeler l’argument de ceux qui, lors de l’introduction du divorce par consentement mutuel, y étaient opposés au motif que ce nouveau type de divorce allait « favoriser le caprice ».

S’agissant du temps de formation, il est possible d’optimiser les dispositifs existants. Il faut surtout donner à la réforme ayant institué le droit individuel de formation (DIF) le temps de s’installer. Certaines réformes sont lourdes, même si elles paraissent simples sur le papier. Le DIF donne droit à 20 heures de formation par an. C’est une bonne chose, mais il faut se poser la question de savoir quelle est la bonne formation pour pouvoir passer d’un défi à un autre, d’un secteur à un autre.

S’agissant de la qualification du personnel, il faut jouer la carte de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation. Le recours à ces dispositifs doit devenir encore plus naturel pour les jeunes, pour leurs parents et les chefs d’entreprise.

La transmission des entreprises est également un dossier important. Pour que des jeunes soient incités à reprendre des entreprises, le discours général sur l’entreprise doit être un peu moins défavorable. La France est en train de connaître un exil des jeunes talents comme elle n’en a jamais connu dans son histoire. Il serait bon que la commission des affaires économiques demande des statistiques permettant de suivre régulièrement le flux des jeunes Français qui partent à Los Angeles, Londres ou Shanghai. Il y a aujourd’hui dans cette dernière ville 7 000 Français, dont la plupart ont moins de trente ans. Ils ne sont pas salariés de grands groupes installés à Shanghai, ils y créent leur entreprise. Il est à souhaiter qu’ils créent leur entreprise en France, ou reprennent celles qui sont en difficulté.

En réponse à Mme Claude Darciaux, Mme Laurence Parisot, tout en précisant qu’elle ne connaît pas le cas particulier de l’entreprise Thomson, a indiqué que l’hypothèse d’un défaut d’anticipation n’était pas à exclure. Dans beaucoup de cas, les dirigeants d’entreprise ou de filiales tentent d’anticiper au mieux les évolutions du marché, et peuvent se tromper. Cela dit, l’anticipation peut aussi exiger, dans certains cas, l’installation à l’étranger d’une filiale de production qui permettra à l’entreprise de continuer à exister. Interdire une délocalisation tant que l’entreprise gagne de l’argent aurait des effets néfastes. Car quand elle perd de l’argent, aucune banque ne l’aidera à installer sa filiale. Enfin, l’évolution des demandes du consommateur est rapide et difficilement prévisible. Or, c’est la demande du client qui guide l’entreprise, et non les exigences de l’actionnaire. Voilà pourquoi il est important de donner à l’entreprise les marges de manœuvre dont elle a besoin pour être plus réactive.

L’appauvrissement des salariés est un phénomène réel, et qu’il faut combattre. Mais si l’on ne modifie pas dans un sens favorable l’environnement des entreprises, on ne parviendra pas à faire progresser les salaires plus rapidement.

Le président Patrick Ollier a remercié Mme Laurence Parisot d’avoir répondu avec sincérité, et dans un grand souci de transparence, à toutes les questions qui lui ont été posées, et souligné qu’elle a donné du MEDEF une image d’humilité. Cette attitude est d’autant plus appréciable qu’elle marque un changement réel par rapport à ce que les parlementaires ont pu connaître par le passé. C’est le meilleur moyen de faire en sorte que le monde de l’entreprise soit plus accessible à ceux qui, par esprit doctrinaire, ont l’habitude d’assener leurs certitudes à son sujet.

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