DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 9 décembre 2003
(1ère PARTIE)

(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Compte rendu de la conférence du réseau des commissions pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes des Parlements des pays membres de l'Union européenne et du Parlement européen, qui s'est tenue à Rome le 21 novembre 2003

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Chantal Bourragué présenter un compte rendu de la conférence du réseau des commissions pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes des Parlements des pays membres de l'Union européenne et du Parlement européen, qui s'est tenue à Rome le 21 novembre 2003.

Mme Chantal Bourragué a indiqué que cette conférence de Rome avait réuni des parlementaires des commissions s'occupant de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes des pays membres de l'Union européenne, des parlementaires de la commission des droits des femmes du Parlement européen, des observateurs des pays adhérents à l'Union européenne, ainsi que des observateurs d'autres organisations européennes (Conseil de l'Europe et Conseil nordique).

Elle-même et Mme Danielle Bousquet représentaient la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, Mmes Gisèle Gautier, Françoise Henneron et Hélène Luc, celle du Sénat.

Trois thèmes ont été plus particulièrement approfondis au cours de cette réunion  :

- le principe de l'égalité entre hommes et femmes dans le cadre du futur traité constitutionnel européen  ;

- les législations en matière d'égalité des chances dans l'Europe élargie, notamment en ce qui concerne l'égalité salariale, les congés parentaux, la conciliation du temps consacré à la vie familiale et du temps consacré au travail et la lutte contre la discrimination hommes/femmes  ;

- l'application du principe d'égalité entre hommes et femmes dans l'activité politique, et notamment dans la composition du Parlement européen, dans l'optique des prochaines élections de juin 2004.

La ministre de l'égalité des chances du Gouvernement italien, Mme Stefania Prestigiacomo, a ouvert cette conférence en présentant un constat de la situation des femmes dans la vie politique en Italie et en Europe.

En Italie, les femmes qui forment 53 % du corps électoral, ne représentent que 11,27 % des députés et 8,1 % des sénateurs.

Les pays les plus avancés - Suède (45,3 % de femmes au Parlement), Danemark (38 % de femmes) - ont accordé aux femme depuis longtemps le droit de vote, tandis que, dans les pays où ce droit est plus récent (France, Italie et Grèce), il y a une proportion de femmes dans les Parlements avoisinant les 10 %.

La ministre a fait part de la réunion interministérielle de Syracuse réunissant les ministres de l'égalité des chances des pays de l'Union européenne, au cours de laquelle a été adoptée une lettre à l'intention des partis politiques sur la participation des femmes aux élections au Parlement européen. Il y est demandé une représentation d'au moins 30 % de femmes parmi les candidats aux prochaines élections européennes, la parité de représentation demeurant l'objectif final.

La conférence de Rome s'est poursuivie par un échange de vues entre parlementaires sur les thèmes à l'ordre du jour de la réunion.

S'agissant des dispositions en faveur des droits des femmes dans le futur traité constitutionnel, les intervenants en ont dressé un bilan plutôt positif, puisqu'est reconnue l'égalité hommes/femmes parmi les objectif de l'Union, que la Charte est intégrée dans la Constitution, ce qui lui donne une valeur contraignante, que l'égalité hommes/femmes est évoquée dans plusieurs articles traitant des politiques de l'Union et qu'elle est consacrée comme clause transversale de toutes les politiques de l'Union.

Toutefois, le problème de l'inscription du principe de l'égalité hommes/femmes dans les valeurs de l'Union européenne a été à nouveau soulevé et cette revendication a été insérée dans la déclaration adoptée à l'issue de la réunion.

Par ailleurs, plus que l'affirmation du droit à l'égalité, plusieurs intervenants ont insisté sur l'importance de son application effective.

Le thème de l'égalité des chances dans le domaine professionnel a donné lieu à des échanges et à des confrontations d'expériences, notamment en matière d'inégalités salariales et de congés de paternité.

Mme Anna Karamanou, présidente de la commission des droits des femmes du Parlement européen, a évoqué la nouvelle proposition de directive de la Commission européenne visant à promouvoir le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans les domaines autres que l'emploi et l'activité professionnelle, c'est-à-dire - selon les termes de la proposition de directive - « dans l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services ».

Pour sa part, Mme Chantal Bourragué a indiqué qu'elle avait attiré l'attention sur le problème du vieillissement de la population et des problèmes démographiques qui se poseront à l'avenir, si on ne donne pas aux femmes les moyens de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

En ce qui concerne le thème de la mise en œuvre de l'égalité hommes/femmes dans la vie politique, notamment à l'occasion des prochaines élections au Parlement européen, en juin 2004, Mme Anna Karamanou a exprimé sa crainte d'une baisse importante du nombre de femmes élues dans le prochain Parlement européen, estimant qu'il pourrait passer de 31 % - chiffre actuel - à environ 14 %, en raison des risques de faible représentation féminine parmi les élus des pays adhérents.

Les représentants des pays membres de l'Union européenne à la conférence, soucieux que l'élargissement de l'Europe ne conduise pas à une diminution de la proportion de femmes élues au Parlement européen, ont adopté dans la déclaration finale une disposition demandant aux Gouvernements d'examiner la possibilité d'adopter des mesures permettant une représentation équilibrée des hommes et des femmes.

Mme Chantal Bourragué a observé cependant que les pays candidats à l'Union européenne avaient manifesté leur souhait de ne pas prendre d'engagement précis sur ce point.

Elle a ensuite donné lecture de la déclaration finale et une discussion s'est engagée devant la Délégation sur le problème de la représentation hommes/femmes au Parlement européen.

Mme Danielle Bousquet a précisé que, dans la déclaration finale, il était demandé au Gouvernements d'assurer une représentation équilibrée des hommes et femmes aux élections européennes « même en adoptant à titre transitoire, jusqu'à l'obtention de la représentation paritaire, des systèmes de quotas, comme par exemple l'obligation de l'alternance entre hommes et femmes dans des listes électorales bloquées ».

Elle a indiqué qu'elle avait proposé un amendement, qui avait été adopté, pour assurer une limitation dans le temps du système des quotas, de manière à éviter le risque que les partis ne se satisfassent de ce système et s'abstiennent d'y mettre fin, alors que cette situation doit demeurer transitoire.

Elle a estimé qu'il serait important d'obtenir l'inscription de ce principe dans le futur traité européen, mais elle a noté l'opposition de nombreux pays au système de listes bloquées, à plus forte raison de listes bloquées avec alternance.

Mme Chantal Bourragué a indiqué que le Parti populaire espagnol, par exemple, ne souhaitait pas un telle modification.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente a observé qu'en application du principe de subsidiarité, il n'était pas possible de leur imposer un mode de scrutin.

Mme Danielle Bousquet a estimé positif que la question d'une représentation équilibrée d'hommes et de femmes aux élections se pose à l'heure actuelle dans tous les pays européens - à l'exception des pays de l'Europe du Nord, qui sont déjà beaucoup plus avancés -. Elle a souligné également que les pays européens portaient une appréciation positive sur la législation française en matière de parité.

Mme Marie-Jo Zimmermann a cependant relaté l'étonnement de certains de ses interlocuteurs étrangers quand elle devait leur exposer que la loi sur la parité n'avait conduit qu'à l'élection de 12,3 % de femmes à l'Assemblée nationale.

Elle a souligné que la loi française était positive, sauf pour les élections législatives, et elle a observé qu'au-delà de la loi il fallait agir pour faire évoluer les mentalités.

Mme Claude Greff a partagé ce point de vue et observé qu'elle avait fait la même constatation dans les réunions internationales auxquelles elle avait participé, à savoir notre retard par rapport à certains pays méditerranéens, comme l'Espagne et le Portugal.

Mme Danielle Bousquet a indiqué que les pays européens qui ont plus de 30 % de femmes dans leurs Parlements élisaient leurs députés, soit suivant un système proportionnel (cas de la Suède), soit suivant un système pour partie proportionnel et pour partie majoritaire (cas de l'Allemagne). Elle a souligné que le scrutin proportionnel était celui qui permettait l'élection du plus grand nombre de femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann a estimé que c'était effectivement le scrutin proportionnel qui permettait d'insuffler une véritable parité et elle a fait part de son sentiment selon lequel, pour les scrutins uninominaux, il faudra envisager un financement des partis politiques non plus en fonction du nombre de candidates, mais en fonction du nombre d'élues.

Mme Danielle Bousquet a également observé que, s'il appartient bien aux partis politiques de présenter les candidats qu'ils souhaitent, on constate qu'ils ont des difficultés à opérer leur " révolution culturelle " et à présenter davantage de candidates.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que le dernier rapport de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes contenait un ensemble de déclarations très intéressantes des présidents de partis politiques en matière de parité.

Mme Danielle Bousquet a relevé que la préoccupation de la place à donner aux femmes dans les Parlements nationaux, se manifestait dans tous les pays européens qui n'ont pas encore atteint le chiffre de 30 % de femmes dans leurs Parlements, car ce n'est qu'au delà de ce chiffre que la voix des femmes peut se faire entendre.

Mme Chantal Bourragué et Mme Danielle Bousquet ont observé que pour le Président du Sénat italien, président de la conférence, le projet de traité européen ne devrait pas être modifié, car l'équilibre obtenu est le moins mauvais possible et toute réécriture porterait atteinte à l'architecture d'ensemble.

Mme Danielle Bousquet s'est cependant félicitée de la volonté manifestée à cette réunion par toutes les parlementaires.

En conclusion, Mme Chantal Bourragué a indiqué qu'une conférence extraordinaire du réseau se tiendrait, à l'invitation de Mme Anna Karamanou, au printemps prochain à Bruxelles, pour débattre de ce sujet et évaluer les progrès réalisés.

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DÉCLARATION FINALE

de la conférence annuelle du réseau des commissions parlementaires

pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes (CCEC),

20-21 novembre 2003, Rome (Italie)

Les femmes aux élections européennes de 2004

Nous, représentantes élues aux Parlements nationaux des États membres de l'Union européenne, des pays candidats et du Parlement européen, participant à la huitième conférence du réseau des commissions parlementaires pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, tenue à Rome,

conscientes que la création d'une union de plus en plus étroite entre les peuples et les États d'Europe, telle que dessinée dans le projet de Traité instituant une Constitution européenne, doit se fonder sur les valeurs universelles de la dignité humaine, de la liberté, de l'égalité et de la solidarité ;

conscientes qu'un ordre démocratique aspirant à la paix, à la justice sociale et à la promotion des droits de l'homme doit inclure parmi ses principes constitutifs l'égalité de traitement et des chances entre les femmes et les hommes, en dehors de laquelle il ne saurait y avoir de véritable égalité substantielle ;

conscientes que la réalisation du principe de l'égalité de traitement et des chances entre les femmes et les hommes demande la promotion d'actions positives par l'Union et les États membres, sur la base du principe de subsidiarité, pour lever tous les obstacles qui s'opposent à l'obtention d'une égalité effective ;

nous déclarons que:

_ l'égalité entre les hommes et les femmes, conçue comme égalité de traitement et des chances dans tous les domaines de la vie, constitue un droit humain fondamental ;

_ la valeur de l'égalité est indissociablement liée à la différence de genre ;

_ la sous-représentation des femmes dans le processus décisionnel politique est un déficit fondamental qui caractérise les démocraties modernes européennes ;

nous réaffirmons nos demandes contenues dans la déclaration de Copenhague intitulée "Construire une Europe démocratique pour les femmes et pour les hommes", adoptée au cours de la conférence du réseau du 23 novembre 2002 ;

nous réaffirmons nos demandes contenues dans la déclaration d'Athènes intitulée "Les femmes et la Convention européenne", adoptée lors de la conférence du réseau du 31 mars 2003 ;

nous regrettons que la Convention n'ait pas inséré à l'intérieur du chapitre relatif aux institutions un article sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des institutions de l'UE ;

nous sollicitons les Gouvernements de tous les États membres et des pays candidats de vérifier dans les meilleurs délais l'impact différentiel des systèmes électoraux sur la représentation politique des femmes dans les organes électifs, d'examiner la possibilité d'adapter ou de réformer ces systèmes et, si nécessaire, d'adopter des mesures aptes à assurer une participation équilibrée, même en adoptant, à titre transitoire, jusqu'à l'obtention de la représentation paritaire, des systèmes de quotas, comme par exemple l'obligation de l'alternance entre hommes et femmes dans les listes électorales bloquées ;

nous sollicitons le Parlement européen de prendre rapidement des initiatives afin que les principes communs fixés par l'Acte relatif aux élections des représentants nationaux au Parlement européen incluent et prévoient des instruments normatifs spécifiques aptes à garantir une représentation équilibrée des femmes et des hommes et, à cet effet, à transmettre un message fort à l'électorat féminin ;

nous sollicitons les partis politiques, aux niveaux national et européen, y compris par le recours au financement public, de revoir leur réglementation interne pour favoriser en leur sein la participation des femmes aux processus décisionnels et d'adopter des stratégies appropriées pour atteindre l'objectif de la représentation équilibrée entre les sexes dans les assemblées électives et, notamment, de créer des conditions appropriées au choix des femmes de se porter candidates au Parlement européen et de les soutenir aux élections européennes ;

nous croyons que les prochaines élections européennes représentent une occasion à ne pas manquer pour assurer une représentation plus importante des femmes à la vie des institutions ;

nous estimons que la réalisation du principe de l'égalité de traitement et des chances entre les femmes et les hommes demande normes, actions, et comportements caractérisés par une forte transversalité par rapport à toutes les politiques et à tout domaine d'activités de l'Union, comme il a été affirmé dans la Déclaration d'Athènes ;

nous affirmons que le principe de l'égalité de traitement et des chances entre les femmes et les hommes prend une importance particulière dans la phase de l'élargissement par rapport à la nécessité de renforcer les capacités institutionnelles et administratives de l'Union et des États membres pour assurer la réalisation complète de l'acquis communautaire en la matière, y compris pour consolider les progrès significatifs que la majorité des pays candidats ont connu dans ce domaine;

nous affirmons, en référence aussi à la IIIe partie du Projet de traité, que l'égalité de traitement et des chances entre les femmes et les hommes constitue une pierre angulaire du modèle social européen et qu'il est donc nécessaire qu'elle rentre parmi les matières où l'Union a une compétence concurrente avec celle des États membres ;

nous souhaitons, compte tenu des objectifs de croissance du taux d'emploi féminin dans le marché du travail qu'ont notamment fixés le Conseil européen de Barcelone et le Conseil européen de Lisbonne, que l'Union européenne et les Etats membres, chacun pour ce qui le concerne, ainsi que les pays candidats prennent des initiatives appropriées, en vue surtout de l'élargissement. Ces initiatives doivent avoir pour but :

· d'oeuvrer pour l'égalité de rétribution entre hommes et femmes, domaine où persistent des inégalités fortes et inacceptables ;

· d'améliorer la qualité du travail féminin, tant dépendant qu'entrepreunarial et, à cet effet, de prévoir des actions positives, ainsi que les financements correspondants, et de sanctionner tous les comportements discriminatoires à partir des plus traditionnels, liés aux rôles, jusqu'à ceux qui empêchent l'accès des femmes aux qualifications professionnelles les plus élevées ;

· de promouvoir la réinsertion au travail des femmes qui veulent réintégrer le marché du travail après des périodes consacrées à d'autres activités, notamment aux soins parentaux ;

· de promouvoir des politiques de conciliation des temps professionnels et familiaux, y compris à travers des initiatives spécifiques de la Commission, et de garantir à cet effet l'accès à des services socio-éducatifs de qualité pour les enfants et à des services de soins et d'assistance aux personnes non autonomes, pour favoriser une distribution équilibrée des tâches familiales entre les sexes ;

nous demandons à tous les États membres, y compris les pays adhérents, aux partis politiques ainsi que la Commission européenne, de s'employer afin que le principe de l'égalité de traitement et des chances entre les hommes et les femmes soit pris en compte en vue des prochaines élections du Parlement européen, sur la base aussi des expériences de quelques pays, dont la France, la Belgique et l'Italie, qui ont déjà sanctionné ce principe dans leurs Constitutions, ou adopté une législation spécifique en la matière ;

nous exhortons la Commission européenne, les Gouvernements et les organisations féminines à financer et à organiser des campagnes de sensibilisation en vue de promouvoir la participation des femmes à la politique, en vue des élections du Parlement européen de 2004 ; ces campagnes devraient tenir compte des différentes réalités nationales et notamment des besoins spécifiques des pays candidats ;

nous demandons au Président de cette conférence de bien vouloir transmettre la présente déclaration aux Présidents des Parlements nationaux et du Parlement européen et aux Présidents de la Commission européenne et du Conseil.

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DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À l'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 9 décembre 2003

(2ème PARTIE)

(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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Audition de Mmes Maïté Albagly, secrétaire générale, et Fatima Lalem, membre du bureau national, du Mouvement Français pour le Planning Familial, sur les problèmes soulevés par la création d'un nouveau délit d'interruption involontaire de grossesse

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Maïté Albagly, secrétaire générale, et Fatima Lalem, membre du bureau national, du Mouvement Français pour le Planning Familial.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons souhaité vous entendre pour recueillir votre avis sur l'« amendement  Garraud », créant un nouveau délit d'interruption involontaire de grossesse, adopté, le 27 novembre dernier, à l'occasion du débat en deuxième lecture sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Vous venez d'être auditionnées par M. Dominique Perben, ministre de la justice ; moi-même, j'ai été reçue par son directeur de cabinet. J'ai déploré le fait qu'un amendement de cette nature, qui avait déjà été déposé sur le projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière, ait été voté par l'Assemblée nationale, sans que la Délégation aux droits des femmes n'ait été consultée.

Le problème auquel nous sommes confrontés ne porte pas sur la nécessité ou non d'un tel amendement, mais sur le fait d'avoir voulu le faire adopter, dans la foulée d'un second projet de loi.

Cet amendement a ouvert un débat à l'intérieur de la société. Selon M. Jean-Paul Garraud, le but de son amendement n'est pas du tout de remettre en cause l'avortement. Toutefois, un certain nombre de personnes considèrent que cet amendement était une façon indirecte de le remettre en cause.

Lorsque j'ai été reçue au ministère de la justice, j'ai évoqué les deux possibilités suivantes :

- soit retirer l'amendement, quitte à le revoir ultérieurement dans un débat qui lui soit consacré,

- soit envisager, lors du nouvel examen du projet de loi par le Sénat, une façon de l'intégrer dans le texte, sous un vocable différent de celui d'« interruption involontaire de grossesse », comme, par exemple, celui d'atteinte à l'intégrité corporelle de la femme.

Le Président de l'Assemblée nationale, dans sa grande sagesse, s'est prononcé pour le retrait de l'amendement, quitte à ce qu'il soit repris plus tard, après des explications très précises à la fois de M. Jean-Paul Garraud et des opposants à cet amendement.

C'est dans ce contexte que nous avons souhaité recueillir votre point de vue sur cet amendement et la façon dont vous avez perçu ses dangers.

Tout d'abord, je souhaiterais savoir si vous ne considérez pas que l'article 223-10 du code pénal, voté à l'initiative de M. Robert Badinter, qui punit l'interruption de grossesse sans le consentement de la femme, n'impliquait pas déjà implicitement le statut du fœtus ?

Par ailleurs, pensez-vous qu'il faut accorder une protection spécifique d'ordre pénal à la femme enceinte qui perd accidentellement l'enfant à naître ou estimez-vous que la mise en cause de la responsabilité civile est suffisante au titre de la réparation ?

Enfin l'approche du rapporteur du Sénat sur le projet de loi, M. François Zocchetto, visant à s'appuyer sur la notion d'intégrité corporelle de la femme enceinte, vous paraît-elle une solution envisageable ?

En conclusion, comme je l'ai indiqué au cabinet du ministre, je considère que si le texte est modifié en seconde lecture au Sénat au mois de janvier, il n'y aura plus de possibilité de débat à l'Assemblée nationale à ce stade de la discussion du texte, ce qui n'est évidemment pas souhaitable.

Mme Maïté Albagly : Je vous remercie de nous recevoir. Nous sommes ravies d'être à nouveau auditionnées par la Délégation aux droits des femmes, notamment pour exposer les problèmes posés par cet amendement.

A la Confédération du Mouvement Français pour le Planning Familial, nous avons été choquées tant par la forme que par le fond de cet amendement.

En ce qui concerne la forme, cet amendement a été voté en catimini en deuxième lecture du projet de loi sur la criminalité, sans que nous en soyons informées. Rétrospectivement, nous avons pu faire un lien entre le jour du vote de cet amendement et le jour où SOS-Tout petit et son président, Xavier Dor, ont décidé d'organiser une manifestation devant les locaux du Planning familial.

Cette manifestation de SOS-Tout petit, la première à Paris, a eu lieu le 27 novembre à 19 heures, devant nos locaux, rue Vivienne. Or, comme par hasard, le vote était prévu la nuit suivante à l'Assemblée nationale. En fait, le vote a été avancé à la dernière minute et a eu lieu en fin d'après-midi. Nous avons eu connaissance de tout cela, par hasard, le 26 novembre dans l'après-midi.

Sur la forme de cet amendement, au Planning familial, nous n'analysons pas ce problème isolément d'un contexte beaucoup plus général de recul du droit des femmes en France et en Europe. Avec Françoise Laurant, présidente du Mouvement Français pour le Planning Familial, lorsque nous avions été auditionnées, il y a environ un an ou un an et demi par la Délégation, nous avions déjà évoqué les dangers de la politique globale présentée à Mexico City et mise en œuvre par M. George Bush.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Etes-vous persuadée de ce lien ?

Mme Maïté Albagly : Tout à fait. De plus, nous ne pensons pas être paranoïaques en donnant une telle signification à cette manifestation devant le Planning familial, accompagnée d'une campagne d'affichage abjecte dans toute la rue et à l'intérieur du passage qui va à nos locaux, le jour même du vote de l'« amendement Garraud ». Ne pas le dénoncer serait ne pas mettre toutes les chances de notre côté pour éviter que cela n'arrive encore. D'ailleurs, ce n'est pas terminé car, le 18 décembre, ils viendront manifester devant nos locaux nationaux square St-Irénée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais pour ce qui est de l'« amendement Garraud », c'est terminé.

Mme Maïté Albagly : Oui, effectivement M. Perben a déclaré qu'il demandait le retrait de cet amendement , mais quand les opposants ont lancé cette manifestation, l'amendement n'avait pas été rejeté. Nous croyons que les événements ne sont pas si isolés que cela.

Quant au fond, l'amendement est dangereux. Par une sorte d'« entourloupette », on donne en fait un statut à l'embryon. Je vous rappelle les propos que M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, a tenus lors de notre audition : nous ne recevons que des plaintes de femmes enceintes ayant eu des accidents de la route et aucune réclamation de celles qui ne peuvent normalement avoir une IVG en France, alors qu'elles sont dans les délais légaux. En ce qui concerne le Planning familial, nous considérons que toutes ces manœuvres qui, petit à petit, grignotent le droit à l'avortement, sont dangereuses et qu'il faut les dénoncer ouvertement. Nous sommes donc favorables à un retrait pur et simple de cet amendement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est fait.

Mme Maïté Albagly : Non, nous ne pensons pas que cela soit fait. Cet amendement est intégré dans le texte qui va être débattu prochainement au Sénat, il est devenu un article de la loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais au Sénat, cet amendement sera supprimé.

Mme Maïté Albagly : Je l'espère. Je vous rappelle ce qui s'est passé lors du vote du texte renforçant la lutte contre la violence routière. M. Jean-Paul Garraud a présenté un amendement, M. Dominique Perben lui ayant assuré que, s'il le présentait dans un projet de loi, il le prendrait à son compte. Ensuite, le ministre lui a demandé de retirer l'amendement pour le représenter différemment.

M. Dominique Perben, lors de la présentation de cet amendement sur un article du projet de loi sur la criminalité, l'a accepté, mais il aurait pu tout aussi bien le refuser. De plus, il faut se souvenir qu'à l'occasion de la discussion du texte relatif à la violence routière, les sénateurs ont certes retiré l'amendement, mais immédiatement après, quarante-sept d'entre eux ont déposé une proposition de loi le reprenant. C'est dangereux.

Cette fois-ci, nous ne sommes pas du tout rassurées et nous restons très vigilantes. C'est très bien que M. Dominique Perben ait eu le courage de dire que l'amendement serait retiré, mais rien n'est fait. C'est la raison pour laquelle nous restons aussi vigilantes et mobilisées qu'avant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je comprends que vous restiez mobilisées. Mais je doute que cet amendement ne revienne.

Mme  Maïté Albagly : Nous pensons que ce n'est pas un hasard si, dimanche dernier, le ministre Jean-François Mattei a répondu ainsi, sur LCI-Le Monde-RTL, aux questions suivantes. La présentatrice, Ruth Elkrief, lui demandait s'il ne trouvait pas que ce Gouvernement avance et recule, en lui donnant quelques exemples : le prix du tabac et « l'amendement Garraud », notamment. En ce qui concerne l'« amendement Garraud », M. Jean-François Mattei a répondu que, certes, M. Dominique Perben a demandé le retrait de cet amendement, mais, qu'il faudrait le réécrire, car certains points étaient mal rédigés. Il a donc parlé d'une réécriture. Quand la présentatrice, Ruth Elkrief, a souligné que cela supposait qu'il représente un autre amendement, M. Jean-François Mattei a répondu que « ce n'est pas d'actualité aujourd'hui ». Il n'a pas dit qu'une fois l'amendement retiré, il ne le représenterait plus. Nous restons donc très vigilantes et nous gardons une position très ferme sur ce point.

Mme Claude Greff : Je ne pense pas que le Gouvernement ait l'intention de remettre cet amendement à l'ordre du jour.

Mme Maïté Albagly : Peut-être pas le Gouvernement, mais un député éventuellement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il me semble qu'il n'y a pas de risque.

Mme Claude Greff : Moi aussi, là-dessus je suis assez confiante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai peut-être été imprudente dans la mesure où j'étais convaincue que le Gouvernement demanderait son retrait. C'est ce qui m'avait été rapporté et je reconnais que j'ai été un peu prise de court. Mais, je dois dire que la montée au créneau des uns et des autres a donné une leçon.

En ce qui concerne « l'amendement Garraud », il s'agit d'une question fondamentale de la vie. Par conséquent, il est clair que personne n'ira de nouveau se risquer à le proposer.

Mme Maïté Albagly : Nous pensions la même chose que vous au mois de mai. Donc nous restons vigilantes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comme moi je le suis sur la parité.

Mme Fatima Lalem : Toutes les femmes, que ce soit les représentantes du Planning familial ou les femmes politiques, doivent rester vigilantes au regard de la façon dont cet amendement a été présenté, sous forme de « cavalier ».

Nous appelons votre vigilance, car nous considérons que nous pouvons compter sur vous. En effet, au-delà de cet amendement, cela pose la question du rapport à l'IVG et, comme cela a pu vous être démontré, la situation de ce droit peut être très fragile. Il ne faut pas méconnaître l'incidence psychologique de cette fragilité, mais au contraire la prendre en compte dans une situation où la culpabilisation des femmes, l'accès à l'IVG, la mise en pratique des modalités d'application de la loi de 2001 font encore grandement défaut.

Encore aujourd'hui, trois semaines d'attente sont nécessaires, dans un certain nombre d'endroits, avant de pouvoir accéder à l'IVG. Hier, je recevais une jeune fille qui, orientée par un hôpital, avait été examinée dans une clinique privée. On lui avait indiqué, dans cette clinique, qu'elle pourrait avoir un rendez-vous pour une IVG. Lorsque le médecin a effectué l'échographie, il lui a fait le commentaire suivant : « Vous êtes à treize semaines, nous ne pourrons pas vous faire d'IVG ; il ne manquerait plus qu'on les tue à la naissance ». Voyez un peu le genre de discours qu'entendent les femmes au quotidien !

Nous sommes dans un contexte où, si ces femmes pouvaient avoir des conditions normales d'accès à l'IVG dans le secteur public, elles ne seraient pas dans l'obligation de rencontrer ce type de praticien. Cette anecdote visait à vous donner un aperçu de la façon dont les femmes vivent au quotidien leur demande d'interruption volontaire de grossesse.

Nous avons une demande à vous soumettre, celle de nous aider pour l'application de conditions plus décentes d'accès à l'IVG en France. En effet, aujourd'hui encore, on rencontre d'énormes difficultés pour faire appliquer la loi.

Mme Claude Greff : Ce que j'apprécie dans votre intervention, c'est le mot vigilance. Vous avez raison, nous devons au quotidien rester vigilants, que l'on soit femme ou homme.

Cela étant, l'IVG fait partie des acquis et il ne faudrait pas de la vigilance passer à la suspicion. C'est sur ce danger que j'attire votre attention, car cette suspicion finirait par avoir des effets contraires à ce que nous essayons de construire, vous comme nous, depuis de nombreuses années. Je ne pense pas que la mentalité naturelle des Français soit de vouloir empêcher l'IVG, mais malheureusement, nous sommes confrontés à une difficulté de recrutement de médecins.

Aujourd'hui, les anciens médecins sont encore présents, mais les nouveaux ont beaucoup de difficultés à pratiquer les IVG. C'est peut-être ce qui explique l'attente des femmes désirant obtenir une IVG. Si nous avions aujourd'hui beaucoup plus de médecins et si cela avait été prévu depuis bien longtemps, aujourd'hui nous aurions une population de jeunes médecins qui auraient évolué, et nous ne rencontrerions pas les difficultés pratiques et techniques dont vous faites état.

Je crois que votre combat nécessite certes une vigilance, mais surtout pas une suspicion. Cela finirait par avoir l'effet contraire de ce que nous attendons, nous les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pour aller dans le même sens que Mme Claude Greff, le problème aujourd'hui, que vous avez raison de soulever, est l'attente relativement importante imposée aux femmes qui veulent obtenir une IVG. Comme je le vois dans ma région, le problème c'est qu'aujourd'hui certains médecins sont très réticents, et le sont même de plus en plus.

A titre d'exemple, je vous citerais l'hôpital public de ma circonscription. Je sais que les médecins y ont énormément de difficultés pour assurer les avortements. A l'époque, quand on avait allongé le délai de douze à quatorze semaines, je me souviens que j'avais rencontré de nombreux gynécologues. Je les rencontre aujourd'hui pour d'autres raisons, car nous avons à Metz des problèmes pour le passage d'un hôpital privé à un hôpital public. Dans l'hôpital public, les médecins sont obligés de pratiquer des avortements, et je peux vous assurer que le médecin-chef du service m'affirmait qu'il n'arrivait plus à trouver de médecins. Cela devient un problème majeur.

Un des points qui m'avait beaucoup marquée lorsque le délai avait été allongé de douze à quatorze semaines, c'est que les médecins eux-mêmes sont aussi très souvent réticents, parce que l'acte d'avortement n'est pas forcément facile à faire. Sans même invoquer une question de religion, c'est le médecin lui-même qui y est réticent. C'est un des gros problèmes que je rencontre dans ma circonscription et qui m'inquiète.

Mme Maïté Albagly : Fatima Lalem vous donnera les raisons pour lesquelles nous rencontrons cette situation aujourd'hui en matière d'IVG.

Pour ma part, je voudrais revenir sur la suspicion. Ce qui m'apparaît intéressant, c'est que les associations féministes et le Planning familial ont un devoir de décodage. Quand nous avons fait la lecture de cet amendement et que nous avons tiré la sonnette d'alarme, les gens de la rue ne comprenaient pas pourquoi on pouvait lier cet amendement « gentil », qui avait pour objet de protéger les femmes, à la mise en danger possible de l'IVG.

Je crois que notre obligation, en tant qu'association féministe et responsable, et depuis longtemps engagée, c'est de dire quelles seront, à notre avis, les conséquences d'un tel amendement. On pourrait penser que c'est un problème de suspicion, mais si on pousse la logique jusqu'au bout, ce qui pourrait paraître comme une suspicion est en fait un réel danger. Cela étant, je comprends bien ce que vous dites, mais je pense que le Planning familial, dans sa relecture de l'amendement, y a vu un réel problème ; la preuve, il est question de le retirer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Est-ce votre intime conviction ?

Mme Maïté Albagly : Oui, il y avait un réel danger, même avec le sous-amendement adopté, qui ne voulait rien dire. Notre travail consiste justement à pointer des éléments qui, à première lecture, pourraient le faire considérer comme un amendement qui défend les droits des femmes. C'est ce qui a été le cas, car beaucoup de personnes ne comprenaient pas notre position. Nous avons dû l'expliquer maintes et maintes fois. Nous nous sommes dépensées pendant quinze jours à expliquer ce qui pouvait se jouer derrière cet amendement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pour vous, était-ce vraiment une remise en cause de l'avortement ?

Mme Maïté Albagly : A terme, oui.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est Mme Danielle Bousquet qui m'a alertée. Dès lors que la rédaction de cet amendement pose problème à ce point, je pense qu'il faut prendre du recul, le revoir, mais non pas le réécrire. Je vous donne raison de nous avoir alertées sur les aspects internationaux de ce problème, mais je voudrais que vous m'expliquiez plus précisément comment vous y voyez une remise en cause de l'avortement ?

Mme Fatima Lalem : L'article 223-10 du code pénal, qui fait état d'une interruption de grossesse sans le consentement de la femme, s'applique à une IVG forcée. On oblige la femme à une interruption de grossesse. Cela peut être, par exemple, son mari qui va lui donner un coup et qui va interrompre sa grossesse sans qu'elle le désire. C'est ainsi que je lis ce texte. C'est donc bien la femme qui est au centre de cette question. Je ne vois pas comment, juridiquement, on peut faire un lien avec le fœtus ou l'embryon dans ce cas là.

En revanche, dans l'« amendement Garraud », il y a de fait une dissociation entre la femme et son projet d'enfant ; on ne parle ni de fœtus ni d'embryon, mais il y a « quelque chose » qui va avoir un statut juridique, donc on va parler de statut de la personne. Il y a une brèche. Dès lors qu'il s'agit d'une personne, sa mort, volontaire ou non, peut glisser sur l'homicide. Par ce biais, on ouvre indirectement des brèches.

Les opposants à l'IVG ont pensé qu'avec cet amendement, on pourrait demander une remise en question de l'IVG, en raison de la dissociation entre la mère et le fœtus. Le fait d'acter un statut juridique à ce fœtus et à cet embryon ouvre, sur le plan juridique, une brèche qui peut être saisie par certains pour demander une remise en question de l'IVG, puisque ce fœtus a des droits et que, dès lors qu'il a des droits, le premier d'entre eux est celui à la vie. C'est la logique des partisans anti-IVG.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : A partir du moment où, dans la loi, on ne parle pas du statut juridique du fœtus, ce n'est donc que par une brèche qu'on peut remettre en question l'IVG ?

Mme Maïté  Albagly : Non, c'est plus que cela. Quand vous créez un délit, il est porté par une personne juridique. Jusqu'à présent, l'embryon est indifférencié de la mère. Tant qu'il ne respire pas, il n'a pas de statut de personne, il est lié à la mère. Avec cet amendement on dissocie le fœtus - certains l'appellent le bébé à naître - de la mère qui le porte, d'où deux personnes juridiques.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je comprends votre inquiétude et la façon dont vous êtes montées au créneau. Vous considérez donc que si cet amendement avait été voté, c'était aller vers un statut juridique du fœtus.

Mme Fatima Lalem : Oui, puisque c'est le préjudice de la perte de ce fœtus qui est indemnisé. En droit pénal, le préjudice corporel de la personne est reconnu lorsqu'il y a trois mois d'interruption de travail. Mais dissocier le préjudice du fœtus, donc de l'enfant à naître, cela signifie qu'il y a préjudice d'une entité qui a un statut juridique.

Peut-être avons-nous du mal à nous faire comprendre. Les juristes ont deux discours : tout d'abord, certains ont donné une lecture de l'amendement, selon laquelle il ne remettait rien en question. D'autres, comme nous, ont posé le fait que cette reconnaissance juridique pouvait donner lieu à un statut juridique, qui peut, à terme, remettre indirectement en cause l'avortement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : A la limite, l'« amendement Badinter » faisait la même chose. Or personne ne l'a contesté.

Mme Maïté Albagly : Non, cela concerne la femme. Nous ne disons pas qu'il n'est pas douloureux, pour un couple qui a le projet d'avoir un enfant, que, suite à des circonstances non prévues, quelqu'un provoque la perte de ce projet. Il faut l'indemniser de cette douleur. Mais, psychologiquement, ce n'est pas le code pénal qui va indemniser la souffrance de la femme. C'est quelque chose qu'elle va porter en elle. En tout cas, si une femme enceinte a un accident de la route ou un autre accident et qu'elle perd son enfant à naître, elle ne sera pas indemnisée de la même façon que si elle n'est pas enceinte. Cela est déjà prévu par l'« amendement Badinter ». Ce qui n'est pas prévu, c'est que le fœtus à naître soit, par sa seule existence, indemnisé.

Dans cet amendement, de quel moment de la grossesse parle-t-on ? Est-ce le moment à partir duquel on peut faire une IVG ? Mais quelle contradiction ! Cela voudrait dire que l'on est en train de tuer quelqu'un, que c'est un homicide volontaire.

Pour vous ridiculiser encore plus cet amendement, imaginons une femme enceinte faisant ses carreaux, grimpée sur un escabeau, pendant que son mari lit le journal. La femme tombe de l'escabeau, fait une fausse couche et perd l'enfant. Qui est responsable ? Est-ce la femme parce qu'elle est montée, enceinte, sur un escabeau ou son mari qui lisait le journal ?

Dans l'amendement, il est question « d'imprudence, d'inattention, de négligence ou de manquement à une obligation de sécurité ». Selon les termes de cet amendement, la femme et son mari seront tous les deux condamnés. Elle peut attaquer son mari, tout comme lui aussi peut attaquer sa femme.

Pour nous, il est clair qu'il faut comprendre les dangers contenus dans cet amendement et ne plus jamais y revenir. Il me semble qu'il y a un vrai danger, car on ne sait pas qui sera un jour au Gouvernement : cela pourrait, par exemple, être un parti d'extrême-droite, avec un Opus dei extrême.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Votre exemple me permet de mieux comprendre ce que vous voulez dire.

Que pensez-vous de la suggestion du rapporteur du Sénat, qui voudrait s'appuyer sur la notion d'atteinte à l'intégrité corporelle de la femme enceinte ?

Mme Fatima Lalem : Tant que l'on considère que c'est un préjudice subi par la femme, il peut y avoir un travail autour de la façon dont est pris en compte ce préjudice. Toutefois, dès lors que l'on va aborder son projet d'enfant et parler de fœtus et d'embryon, nous ne sommes plus d'accord. Cela nous pose problème.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On pourrait évoquer des circonstances aggravantes par le fait qu'elle est enceinte.

Mme Fatima Lalem : Il convient également de considérer le cadre. Dans le cas présent, il s'agit du projet de loi sur la criminalité, ce qui est complètement hors de propos.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Là-dessus nous sommes d'accord.

Mme Fatima Lalem : En dehors même de cette situation, il peut y avoir quantité de circonstances aggravantes. Certains préjudices sont mal pris en compte dans le droit français actuellement. Il faut donc peut-être examiner plus largement à quel niveau cela peut être traité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a des cas de femmes enceintes qui, aujourd'hui, se considèrent comme lésées, lorsqu'elle subissent un accident, en raison du vide juridique actuel. Il conviendrait donc d'avoir une autre approche de la femme enceinte, sans évoquer le statut juridique du fœtus.

Mme Claude Greff : C'est une question de responsabilité civile qui se gère avec les assurances.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On peut se demander également s'il faut légiférer pour quelques cas.

Mme Fatima Lalem : Selon les juristes, il y a déjà dans le droit français matière à trouver des solutions. Parler de vide juridique, c'est le discours de M. Jean-Paul Garraud.

Mme Maïté Albagly : Il existe un autre vide juridique. Dans le passé, on parlait de fausse-couche quand une femme perdait son enfant avant terme. Mais avec cet amendement, il n'y aura plus de fausses couches. Lorsque la femme aura été harcelée au travail et qu'elle aura perdu l'enfant, on pourra parler de problème psychologique. Il n'y aura plus de fausse couche, parce qu'il y aura toujours un responsable.

Pour poursuivre ce que disait Fatima Lalem sur l'IVG, - M. Dominique Perben nous a invitées à le faire et je pense que nous le ferons -, c'est de déterminer le nombre de femmes qui ont eu un enfant alors qu'elles ne le voulaient pas et qu'elles avaient demandé une IVG, étant donné que les conditions posées en France pour la pratiquer n'avaient pu permettre de la réaliser dans les délais impartis par la loi.

En France, même si la femme demande une IVG dans les temps, elle se trouve très vite hors délai. Beaucoup de femmes ont des bébés alors qu'elles n'en ont pas envie ou ne peuvent pas financièrement aller avorter à l'étranger. A cet égard, il y aurait aussi un vide juridique. Le chef de cabinet de M. Dominique Perben nous a invités à faire des référés chaque fois qu'il y aurait ce cas d'espèce. Il faut voir les choses a contrario.

Mme Claude Greff : Ce que vous dites m'interpelle, c'est pourquoi je parlais aussi de suspicion. Je ne pensais pas que l'amendement ait eu ce premier objectif. Quand je l'ai lu pour la première fois, mon impression était qu'il voulait « donner un statut à la femme enceinte », c'est-à-dire la protéger un peu mieux que le simple citoyen, à partir du moment où elle avait en plus la vie en elle.

Cela étant, si je reprends l'argumentaire que vous venez de développer, il est vrai que ce débordement pourrait exister à partir du moment où une femme est enceinte, que son patron la contrarie, et qu'elle fait une fausse-couche.

Cela mérite que nous en discutions et que nous restions vigilants, mais sincèrement, je ne pensais pas que l'amendement pouvait avoir toutes ces implications.

Mme Maïté Albagly : Il ne faut pas oublier qu'après le vote de l'amendement, M. Xavier Dor, président de l'association SOS-Tout petit a indiqué qu'il se félicitait du vote de cet amendement, parce que la brèche était ouverte pour lutter contre l'IVG en France. Il représente des intégrismes religieux.

Mme Fatima Lalem : Mme Christine Boutin a également dit, à chaud, que cela allait enfin donner des droits à l'enfant à naître.

Par ailleurs, l'association Droit de naître a un bureau à Bruxelles. Dans le lobbying politique, ils sont plus construits et plus conséquents que SOS-Tout petit .

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est Mme Danielle Bousquet qui m'a vraiment informée du problème, ce qui m'a amené à demander à être reçue par M. Dominique Perben. Au départ, j'ai eu une certaine dose de naïveté, je le reconnais, car je n'ai pas du tout ses arrière-pensées en matière d'IVG.

Mme Maïté Albagly : Il faut se tourner du côté de la Pologne et voir comment les femmes souffrent aujourd'hui avec la nouvelle loi, alors que l'IVG a été un droit en Pologne pendant quarante ans.

Mme Danielle Bousquet : Je me pose quand même beaucoup de questions. Cet amendement a déjà été discuté lors d'un premier projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière et a été retiré in extremis par le Sénat en mars de cette année, avec le même ministre de la Justice. Or ce même ministre de la Justice laisse voter le même amendement sur un nouveau texte, alors que la première fois, il avait été retiré en raison des mêmes arguments, c'est-à-dire une remise en cause du droit à l'IVG par le détour d'un « cavalier ».

Cette fois-ci, on retrouve le même amendement, avec le même auteur et le même ministre de la Justice, qui s'étonnent de toutes les implications que l'on peut y voir. Cela m'interpelle beaucoup. En effet, madame la Présidente, nous avions alerté un grand nombre de personnes sur la dangerosité de cet amendement qui remettait en cause l'équilibre du texte sur l'IVG. Or il a été voté quand même. De plus, le ministre n'a pas demandé à M. Jean-Paul Garraud de retirer son amendement, mais l'a soutenu en séance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les unes et les autres, nous avons alerté un grand nombre de personnes. Le Président Jean-Louis Debré lui-même, qui n'était pas président de séance à ce moment-là, était convaincu que l'amendement serait retiré.

Mme Danielle Bousquet : Quand je l'ai alerté, il m'a dit la même chose. Il s'est donc passé quelque chose qui ne peut pas être neutre. Tout le monde savait que cet amendement risquait d'être voté, et le ministre est allé jusqu'au bout en le soutenant.

Au-delà du fond, on voit bien qu'il y a des stratégies d'enfermement ; nous devons en être conscients et attirer l'attention des responsables de nos groupes sur ce point.

Mme Maïté Albagly : Nous ne voulons accuser personne, mais il est vrai que cela fait dix-huit mois que nous demandons un rendez-vous avec M. Jean-François Mattei pour discuter de l'IVG et qu'il ne répond à aucune de nos lettres. Nous connaissons les idées de M. Jean-François Mattei en ce qui concerne l'IVG.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous remercie de toutes vos explications qui nous ont permis d'avoir un autre éclairage sur cette question.

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