DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 6

Mardi 16 décembre 2003
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles (CNIDFF), sur le projet de loi relatif au divorce.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles (CNIDFF), sur le projet de loi relatif au divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous recevons aujourd'hui Mme Annie Guilberteau, directrice générale du Centre National d'Information et de Documentation des Femmes et des Familles, qui coordonne un réseau de 120 associations locales, réparties sur l'ensemble du territoire, chargées de répondre aux demandes d'information des femmes et des familles. Mme Annie Guilberteau est accompagnée de Mme Maryvonne Pasquereau, juriste au CNIDFF.

Notre Délégation souhaite engager un travail de réflexion et de proposition sur le projet de loi relatif au divorce, qui sera examiné au Sénat les 7 et 8 janvier prochains et dont on ne peut que partager l'objectif, celui de simplifier les procédures, lorsque les époux s'entendent sur le principe de la séparation et, dans le cas contraire, d'apaiser autant que possible leurs relations.

Grâce à votre pratique de terrain, vous avez une grande expérience des problèmes que rencontrent les femmes à l'occasion de procédures de divorce. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur les points suivants ?

La possibilité de prononcer le divorce après une seule rencontre du juge aux affaires familiales avec les requérants ne risque-t-elle pas de conduire, dans certains cas, à un prononcé trop rapide d'une décision, pourtant lourde de conséquences, certains divorces, qui ne sont consensuels que sur la forme, cachant une pression de l'un ou l'autre des époux ?

La procédure de divorce pour altération irrémédiable du lien conjugal, possible après deux ans de séparation, qui remplace la procédure de divorce pour rupture de la vie commune, est-elle à votre avis entourée de toutes les garanties nécessaires qui permettront d'éviter toute sorte de répudiation, notamment des femmes n'ayant jamais travaillé et qui ont consacré leur vie à leur famille ?

Le divorce pour faute, qui permet une réparation morale, notamment pour les conjoints victimes de violences conjugales, est maintenu par le projet ; mais le fait que la répartition du patrimoine entre époux ne soit plus nécessairement liée à l'appréciation de la faute devrait permettre de limiter le recours à cette forme de divorce, sans le supprimer toutefois. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, s'agissant de la médiation familiale, ne faudrait-il pas imposer, selon vous, certains garde-fous, notamment en cas de violences conjugales ?

Mme Annie Guilberteau : Mon propos témoigne d'une expertise de terrain, plutôt que d'une expertise juridique. J'espère pouvoir éclairer votre Délégation sur la réalité du divorce telle qu'elle est vécue par le public que nous accueillons et analysée par les professionnel(le)s de notre réseau sur le terrain.

Nous traitons, chaque année, 589 000 demandes d'information, émanant de femmes et de couples. Nous travaillons sur le terrain avec plus de 1 000 professionnels. Nous approchons les problématiques de manière globale. Les demandes que nous traitons concernent majoritairement le droit de la famille, mais celles concernant les violences sont très nombreuses - 32 000 en 2002 - tout comme celles concernant la réinsertion professionnelle et sociale des femmes.

Notre réseau est né à l'initiative du Gouvernement, il y a trente ans. Il s'agissait alors de faire en sorte que les femmes puissent connaître leurs droits de manière globale, de façon à ce que, progressivement, la question de l'égalité - qui est au cœur du problème - puisse être abordée de manière systémique et systématique. A titre d'exemple, les femmes en rupture de couple se trouvaient quasi-systématiquement confrontées, il y a une vingtaine d'années, au problème de l'insertion professionnelle. C'est moins vrai aujourd'hui, du fait de l'avancée des femmes sur le marché du travail. De la même manière, se posait aux femmes le problème de leur autonomie financière, en raison de leur forte dépendance financière vis-à-vis de leur conjoint, dépendance liée à une organisation ancestrale et stéréotypée des rôles dans la société.

Le caractère global et polyvalent des problèmes abordés par notre réseau explique les chiffres que je vous ai donnés.

75 % de notre activité touche le champ de l'accès au droit. Cette partie de notre activité concerne principalement le droit de la famille, c'est-à-dire le mariage et l'union libre. Mais les personnes viennent nous voir bien plus souvent pour s'informer sur les manières dont elles peuvent se défaire de ces liens que pour savoir, avant le mariage ou la constitution d'une union, quelles sont les obligations en découlant.

Je crois donc pouvoir dire, sans manifester une ambition démesurée, que nous avons une véritable expertise de terrain. C'est au regard de cette pratique que nous fondons notre analyse du projet de réforme du divorce. Nous avons soumis une analyse du premier projet de loi déposé par M. François Colcombet à la commission des lois du Sénat en 2002. Notre souci de pacifier les relations conjugales au moment où elles se distendent, rejoint le sien, mais nous avons affirmé dès 2002 notre opposition à l'idée d'abroger totalement le divorce pour faute, notamment au regard de la problématique des violences conjugales. Une telle idée peut se comprendre dans son principe, mais dans la réalité des relations humaines, elle laisse une trop grande place à l'époux ou à l'épouse inscrit dans une incorrection, voire un délit à l'endroit de l'autre.

Le projet qui va être débattu prochainement par votre Assemblée répond, dans ses grands principes, aux évolutions qui ont, ces dernières décennies, marqué l'évolution de la structure familiale et nous sommes en accord avec sa philosophie. La réforme est sous-tendue par une volonté de simplification des procédures. Notre pratique de terrain nous confirme qu'il est nécessaire de simplifier, mais qu'il ne faut pas simplifier à outrance, au risque de devenir injuste. Nous appelions de nos vœux cette simplification des procédures, ainsi que la logique de pacification des conflits.

Pour assurer la pacification des conflits, il est fait une grande place à la médiation familiale. Nous y sommes favorables, à condition qu'elle prenne sa juste place et qu'elle ne soit pas une forme d'alternative au règlement de certains délits. La médiation rentre dans le champ d'une alternative à la gestion des conflits, mais le droit pénal doit prendre toute sa place, tant réelle que symbolique, dans les cas d'atteinte aux personnes et de violence conjugale. La médiation doit être utilisée à bon escient et ne doit pas entrer dans le champ de l'injonction, car il est essentiel qu'elle relève du libre discernement des deux parties.

Ce projet assouplit certaines procédures, mais maintient le divorce pour faute. Ce maintien nous semble indispensable en cas de violation grave des obligations du mariage, et particulièrement en cas de violences conjugales ou familiales.

Le prononcé du divorce reste de la compétence du juge et le ministère d'avocat demeure obligatoire. Nous sommes favorables à ces dispositions. En effet, si un certain nombre de couples sont en mesure de rompre une relation conjugale sans la présence d'un tiers, le tiers offre néanmoins la possibilité de réinscrire le droit au moment d'un conflit et il est rare de se séparer en se rappelant que l'on s'aime !...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle est selon vous la proportion de couples en mesure de rompre leur relation conjugale sans la présence d'un tiers ?

Mme Annie Guilberteau : Il m'est très difficile de vous répondre, car nous voyons rarement ces couples dans nos permanences. Nous savons qu'ils existent, mais il n'est cependant pas possible d'orienter un projet de loi en fonction de situations particulières ; c'est pourquoi la présence du tiers nous semble indispensable.

Nous sommes favorables à ce que chaque partie soit représentée par un avocat, car c'est une garantie de distanciation de la relation conflictuelle, mais la procédure de divorce par consentement mutuel permet d'engager la procédure avec un seul avocat. Le panel proposé par ce nouveau projet est donc suffisamment large pour répondre de manière adaptée à la majorité des situations.

Cette réforme intègre, pour la première fois, une disposition spécifique relative aux violences conjugales permettant de protéger le/la conjoint(e) victime. Nous y sommes évidemment favorables.

En ce qui concerne maintenant la modernisation législative, nous considérons que le maintien du pluralisme des cas de divorce garantit la liberté des individus et offre une palette suffisamment complète pour répondre à la complexité des situations de rupture, même si nous avons conscience qu'une procédure de divorce idéale n'existe pas.

En ce qui concerne le divorce par consentement mutuel, qui suppose que les époux s'entendent sur la rupture et sur ses conséquences, la nouveauté réside dans la suppression de la seconde audience devant le juge. Cette suppression nous a beaucoup interpellés, car la question se pose de savoir si le juge peut avoir la certitude de recueillir le consentement libre et éclairé des deux parties. Systématiser le deuxième entretien présente une garantie, mais ce projet pourra contribuer à orienter vers la procédure de consentement mutuel les situations qui relèvent véritablement d'un consentement affirmé. Toutefois, nous pensons qu'il faut réaffirmer le devoir du juge, déjà contenu dans les dispositions actuelles, d'entendre les deux parties de manière différenciée, afin d'éviter que la procédure ne soit parasitée par les phénomènes d'emprise que nous connaissons très bien. La pratique nous montre que, dans la procédure de divorce par consentement mutuel actuelle, beaucoup de consentements sont contraints. Nous insistons donc sur la nécessité d'organiser les entretiens du magistrat avec chacune des deux parties.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qu'entendez-vous par l'expression « consentement contraint » ?

Mme Annie Guilberteau : Il s'agit d'un consentement formel, mais pas d'un consentement sur le fond. Je ne veux pas généraliser mon propos. Mais, généralement, les femmes, qui disposent souvent de moins de revenus, peuvent être victimes de pressions, en particulier financières, et n'ont donc pas toujours la possibilité d'exercer leur libre arbitre.

Nous sommes favorables à l'entretien unique, dans la mesure où le juge, s'il n'est pas certain du consentement, peut proposer un autre entretien, dans un délai maximum de six mois. Le projet présente à nos yeux les garanties nécessaires pour obtenir un consentement éclairé, mais le fait de recevoir le consentement de chacune des parties dans un espace différencié est une garantie supplémentaire et nous insistons beaucoup sur ce point. Le code stipule clairement aujourd'hui que le juge doit mener un entretien avec chaque époux, mais il est souhaitable de le rappeler dans l'orientation même du projet.

M. Patrick Delnatte : Quelle suite faudrait-il donner selon vous à une demande de seconde audience par une des parties, hypothèse qui n'est pas prévue dans le projet ?

Mme Annie Guilberteau : Une seconde audience tenue à la demande d'une des parties pourrait présenter une garantie d'un consentement libre et éclairé que doit rechercher le magistrat, ne serait-ce que pour éviter des recours ultérieurs allongeant la procédure.

M. Patrick Delnatte : Dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel, les parties peuvent n'avoir qu'un seul avocat, mais lorsqu'elles en ont un chacune, il ne serait pas anormal de prévoir la possibilité pour une des parties de demander une seconde audience. C'est un sujet de débat. Il faudra attendre que le projet soit débattu et voté au Sénat pour que nous puissions nous déterminer sur ce sujet.

Mme Maryvonne Pasquereau : Il peut être souhaitable d'attendre l'application de la convention provisoire pour savoir si c'est véritablement ce qui convient aux deux époux. Cela peut être un des éléments en faveur de la deuxième entrevue chez le juge. En effet, bien des époux sont déjà séparés au moment de l'introduction de leur requête, mais certains ne le sont pas et il peut être souhaitable d'attendre l'application concrète de la convention provisoire pour savoir si elle doit être reconduite ou si elle doit être modifiée.

Mme Muguette Jacquaint : Le délai maximum de six mois entre les deux audiences devant le juge ne vous paraît-il pas trop long ?

Mme Annie Guilberteau : Dans le premier texte, ce délai était fixé à trois mois, ce qui nous a paru trop court, notamment lorsque le souhait de divorcer n'est pas consensuel. Le juge peut détecter l'emprise d'un époux sur l'autre, mais nous voyons fréquemment dans nos permanences des cas dans lesquels ces phénomènes n'ont pas été détectés. En effet, lorsqu'un des époux est un véritable manipulateur, il est difficile pour le juge de le détecter au cours d'un entretien d'une heure. Nous sommes là au cœur de relations humaines très particulières. Les processus d'accompagnement qui permettent, petit à petit, aux personnes de prendre conscience de leur capacité, ou de leur incapacité, à s'exprimer, nécessitent du temps.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais ne pensez-vous qu'il est souhaitable de prévoir des délais assez courts dans le cadre de relations conflictuelles ?

Mme Annie Guilberteau : Le projet prévoit un délai maximal de six mois. Il n'y a donc pas de seuil, mais il y a un plafond, ce qui ouvre des possibilités d'adaptation à la réalité des situations. .

J'insiste sur le fait que la possibilité donnée à l'une des parties de demander un second entretien serait une évolution positive, car elle présente une garantie supplémentaire d'analyse du libre consentement.

M. Patrick Delnatte : Le projet ne prévoit pas une telle possibilité. Je ne suis pas le porte-parole du Garde des Sceaux, mais, dans le cadre de cette procédure, où tous les aspects du divorce font l'objet d'un accord, le juge a toujours la possibilité de convoquer les parties pour une seconde audience, au cas où il détecterait une manipulation. Un des buts de la simplification des procédures étant de permettre au juge de consacrer plus de temps à ces entretiens, il sera donc peut-être plus à même de détecter les manipulations. Ceci dit, l'intervention d'une des parties peut être une garantie supplémentaire. Je n'ai pas encore d'opinion arrêtée, je me contente pour l'instant d'écouter.

Mme Annie Guilberteau : Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative entre le vrai consensus et la faute caractérisée. Le projet instaure de nouvelles alternatives. On peut donc penser que, dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel, il y aura plus de vrais consentements qu'aujourd'hui. Cette procédure, telle qu'elle apparaît dans le projet, permettra de régler les situations qui existent de fait, mais peut-être faut-il donner la possibilité à certaines personnes de se prémunir contre le risque de s'engouffrer dans une procédure très simple, alors que la situation cache des complexités qui n'ont pas été exprimées.

Il faut donner à un couple qui se sépare le temps nécessaire pour être entendu par le magistrat. Or, nous constatons aujourd'hui, dans le cadre de nos permanences, que beaucoup de personnes regrettent l'indisponibilité des magistrats.

Le divorce par acceptation du principe de la rupture du mariage présente un changement philosophique profond que nous apprécions. Dorénavant, ce divorce repose sur un simple accord des parties relativement à leur rupture et non plus sur un double aveu rendant la vie impossible et produisant les effets d'un divorce aux torts partagés. Cette réorientation suppose une information préalable précise des couples en amont de la procédure, car, une fois le consentement recueilli et accepté, il n'est plus possible de revenir dessus, même en appel. En outre, les garanties de recueil de ce consentement doivent être drastiques.

M. Patrick Delnatte : Le tronc commun des demandes de divorce permet aux couples de disposer de toutes les informations nécessaires avant de s'engouffrer dans telle ou telle procédure.

Mme Annie Guilberteau : Nous sommes très favorables à ce tronc commun.

Mme Muguette Jacquaint : Qui doit donner les informations sur les procédures de divorce ? Les tribunaux sont tellement engorgés que les juges risquent de ne pas avoir le temps et la médiation familiale n'intervient pas à ce stade de la procédure.

Mme Annie Guilberteau : Le CNIDFF a une mission d'intérêt général confiée par l'Etat en matière d'information sur les droits des femmes et des familles et nous sommes localement très connus, les chiffres en témoignent. Nous sommes implantés sur tout le territoire. Ceci étant, nous ne répondons pas à toutes les situations qui en auraient besoin.

Beaucoup d'élus et un certain nombre de magistrats et de policiers réorientent vers nos associations des demandes d'information. Le rôle d'information des avocats n'est pas non plus à négliger. Les notaires ont un rôle important dans l'information sur le droit de la famille, principalement sur les aspects touchant à la liquidation de la communauté. Ils respectent un principe déontologique d'information gratuite et nous avons recours très fréquemment à leurs services. Les structures d'accès au droit et les maisons de la justice et du droit peuvent aussi informer sur le droit de la famille, mais elles ne sont pas implantées sur tout le territoire.

Nous avons la conviction que l'information préalable est une garantie de l'utilisation à bon escient de l'ensemble du dispositif.

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal se substitue dans le projet à l'actuel divorce pour rupture de la vie commune. Il implique une cessation de la communauté de vie, tant affective que matérielle durant les deux années précédant la requête initiale en divorce ou pendant une période de deux ans entre l'ordonnance de non-conciliation et l'introduction de l'instance. Notre expérience nous conduit à penser que l'actuel divorce pour rupture de la vie commune, qui ne représente que 1,4% des demandes, est sollicité, essentiellement pour des raisons historiques et sociologiques, par des hommes face à la résistance exprimée par leurs épouses refusant le principe de divorce. Notre pratique nous conduit à entendre de la part de ces femmes des récits de situation matrimoniale vide de sens, ou de recompositions familiales dans lesquelles leurs conjoints sont engagés. La question de fond que pose cette forme de rupture est de savoir si le désamour justifie une rupture. Pour certaines de ces femmes, l'attachement au principe même du mariage est évident et la perspective d'un divorce est excessivement douloureuse. Je pense particulièrement aux femmes assez âgées ayant vécu en couple pendant de très nombreuses années et n'ayant jamais travaillé, car elles ont préféré consacrer, conformément aux normes sociales en vigueur au moment de leur mariage, leur vie à la famille. On ne peut pas nier cette réalité, mais il faut tenir compte de l'évolution des mentalités, tout en reconnaissant que tout le monde n'évolue pas au même rythme. Il nous faut comprendre les raisons pour lesquelles certaines femmes s'accrochent de manière un peu suicidaire à une relation qui n'a plus de sens.

Il faut tenir compte de ces situations particulières, mais elles ne peuvent pas conduire à un principe d'interdiction du divorce. Le projet de loi est, de ce point de vue, globalement équilibré. A condition que la rupture soit accompagnée et qu'un travail de deuil soit accompli, le divorce peut permettre à ces femmes de prendre un nouveau départ. Il faut aussi tenir compte, au plan pécuniaire, des effets directs que le divorce va avoir sur leur vie quotidienne, sur leur vie identitaire et sur leur vie psychologique.

Cette nouvelle disposition est satisfaisante sur bien des points, notamment parce qu'elle offre une véritable alternative entre le divorce purement consensuel et le divorce pour faute et parce qu'elle organise de manière plus équilibrée les conséquences financières de la rupture. Elle ne réglera toutefois pas une partie des problèmes que nous entendons dans nos permanences concernant une frange de la société qui se réduit, mais qui existe. Nous souhaitons donc, mais cela ne rentre pas forcément dans le champ du projet, que des processus d'accompagnement soient mis en place pour permettre à ces femmes de prendre un nouveau départ après la rupture.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle structure devrait accomplir ce travail d'accompagnement ?

Mme Annie Guilberteau : On peut penser à la médiation familiale, aux conseillers conjugaux ou aux services spécialisés de certains CIDF.

Le délai de deux ans prévu dans le projet de loi, alors que celui prévu dans la procédure actuelle de divorce pour rupture de la vie commune est de six ans, permet à nos yeux d'éviter l'enkystement des situations, tout en permettant d'engager un processus de deuil.

M. Patrick Delnatte : Ce délai de deux ans fait actuellement débat. Certains pensent qu'il est trop court.

Mme Annie Guilberteau : Ce délai serait effectivement trop bref s'il courrait entre le moment où le couple vit ensemble et le moment où le divorce est prononcé, mais, tel qu'il est prévu dans le projet, il court à partir du moment où l'ordonnance de non-conciliation est rendue dans la première hypothèse, et, dans la seconde hypothèse, ce délai de deux ans concerne la période sans vie commune. De toute façon, la rupture participe déjà d'un travail qui a amorcé le processus de distanciation et il n'y aura jamais de délai idéal pour les personnes résolument décidées à ne pas divorcer.

M. Patrick Delnatte : Le risque est de voir dans cette procédure une forme de répudiation.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le problème est de déterminer le moment à partir duquel le délai va être décompté. Si la séparation de fait est préalable au dépôt de la demande en divorce, on tombe dans le cas déjà prévu par la loi actuelle. En revanche, si le délai peut courir à partir du moment où l'ordonnance de non-conciliation est rendue, comme le prévoit le projet, un problème peut se poser, car les femmes pourraient ressentir une telle procédure comme une répudiation.

Mme Annie Guilberteau : Certains femmes ressentent déjà le divorce pour rupture de la vie commune comme une répudiation alors que le délai est de six ans.

Mme Muguette Jacquaint : Ce qui pose problème, je le vois dans ma permanence, ce sont les conséquences financières. Tant que le divorce n'a pas été prononcé, les conjoints ne peuvent pas vendre les biens du couple.

Mme Maryvonne Pasquereau : A cet égard, le délai de deux ans pourrait permettre de résoudre l'inconvénient que vous soulevez.

Mme Muguette Jacquaint : Les femmes concernées par la procédure de divorce pour rupture de la vie commune se retrouvent dans une situation difficile, car elles ont consacré leur vie à leur famille. Dans ces conditions, plus la situation dure, plus le travail de deuil sera difficile et j'ai dû conseiller à certaines personnes de consulter un psychologue.

Mme Maryvonne Pasquereau : En effet, si la situation se prolonge, certaines femmes pourront penser que le mariage pourra encore être sauvé, alors qu'il est totalement vide de sens.

Mme Annie Guilberteau : Le délai de deux ans nous semble globalement raisonnable, même s'il fait encore débat chez nous. Certains de nos professionnels se demandent si un tel délai est suffisant pour permettre de se reconstruire. En effet, la plupart des femmes concernées ont un certain âge, ce qui ne facilite pas leur reconversion professionnelle. A mon sens, le délai de six ans ne change pas fondamentalement les choses et accentue les difficultés que pourront rencontrer certaines femmes pour se convaincre qu'elles doivent prendre un nouveau départ.

Mme Maryvonne Pasquereau : L'introduction de la procédure de divorce pour rupture de la vie commune en 1975 était à l'époque une nouveauté, ce qui explique toutes les garanties l'entourant : prise en charge du coût du divorce, maintien de l'obligation de secours et délai de six ans. Or, ce qui était justifié alors l'est certainement moins aujourd'hui du fait de l'évolution de la société.

Mme Annie Guilberteau : Nous sommes héritiers du passé. Pendant longtemps, le divorce n'était pas permis en France. Puis, il a été rendu possible en cas de faute et il a fallu attendre 1975 pour qu'il soit possible de divorcer en dehors de toute faute caractérisée, mais le législateur n'a jamais tranché sur le point de savoir si le « désamour » justifiait en tant que tel la rupture. Dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel, les deux parties sont d'accord pour reconnaître qu'il n'y a plus d'amour dans la relation, mais la procédure de divorce pour rupture de la vie commune laisse penser qu'une seule des parties ne trouve plus son compte dans la relation.

L'honnêteté et la transparence m'obligent à dire que, parmi les cas de divorce pour rupture de la vie commune, on voit des femmes qui ne sont plus du tout attachées à leur conjoint sur un plan affectif, mais qui le demeurent pour des raisons financières.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Un de nos rôles est de défendre l'égalité professionnelle des femmes, notamment pour prévenir ce genre de situations. A cet égard, les femmes travaillant à temps partiel se retrouveront dans des situations très difficiles après une rupture.

Mme Muguette Jacquaint : C'est d'autant plus important qu'il n'est pas rare de voir des femmes en situation de rupture ne disposer d'aucun revenu avant que les biens du ménage ne soient divisés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Donner l'autonomie financière aux femmes est une question de respect.

Mme Annie Guilberteau : Elle est en effet indispensable et leur permet une réelle liberté de choix.

En ce qui concerne la procédure de divorce pour faute, le projet de loi reprend le texte de l'actuel article 242 du code civil, mais le terme « renouvelée », qui caractérise la violation des devoirs et obligations du mariage, n'y figure plus, ce qui laisse entendre que ce divorce se fonde uniquement sur la gravité de la faute et non plus sur sa répétition. C'est une avancée concernant les violences familiales.

Le demandeur devra apporter la preuve des faits invoqués à l'appui de sa démarche. Le texte du projet prévoit l'impossibilité pour un descendant d'être entendu sur les griefs invoqués par les époux, en conformité avec les dispositions du code de procédure civile. Nous comprenons cette disposition, mais, en matière de violence conjugale, la règle est encore aujourd'hui le silence. Il est rare qu'une femme invoque les violences conjugales dès les premières violences qu'elle a subies. Notre expérience nous montre que, dans la plupart des cas, il y a un très lourd passé de violence avant que les femmes, notamment les femmes âgées, osent dire publiquement ce qu'elles vivent et déposer plainte. Par ailleurs, beaucoup de femmes craignent le passage à la retraite de leur conjoint violent et, fréquemment, en cas de violences installées, redoutent la confrontation quotidienne avec celui-ci, d'autant que la retraite du conjoint coïncide généralement avec le départ de la maison des enfants majeurs. Il arrive donc fréquemment que ces femmes se manifestent auprès de nous à ce moment. La plupart de ces femmes n'ayant pas de preuves matérielles du passé de violence, on peut se demander s'il ne serait pas souhaitable, dans des situations de ce type, de permettre à des descendants majeurs qui le souhaitent d'être entendus afin qu'ils puissent témoigner du passé familial.

Mme Muguette Jacquaint : Les violences conjugales font aussi des ravages sur les enfants et, en témoignant, ils pourraient être amenés à revivre ces traumatismes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : N'y a-t-il pas aussi un risque de pression des parents sur leurs enfants ?

Mme Annie Guilberteau : Nous avons conscience qu'une telle disposition ouvrirait une brèche et irait à l'encontre du principe auquel nous souscrivons pleinement, qui consiste à protéger les enfants d'un conflit par nature conjugal. Toutefois, il ne s'agit pas de mettre l'enfant au cœur du conflit, mais l'expérience nous montre que les enfants peuvent aussi souhaiter se situer du côté du droit. Ce n'est pas simple, mais pour les femmes extrêmement exposées, cela peut être un moyen de constituer un faisceau d'indices prouvant la réalité des violences subies pendant des années dans le silence.

M. Patrick Delnatte : Une femme très exposée à la violence pourra sans doute recueillir d'autres témoignages que ceux des enfants. Par ailleurs, l'enfant pourrait faire l'objet de harcèlement s'il devait témoigner.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si l'enfant souhaite être entendu, peut-il l'être ?

Mme Annie Guilberteau : Le code de procédure civile est très clair : les descendants ne peuvent pas être entendus, alors que nous constatons que certains enfants majeurs sollicitent nos services pour aider le parent violenté et souhaitent être entendus. Il faut bien reconnaître que, dans certaines situations, souvent, seuls les descendants ont connaissance des violences qui s'exercent dans le secret absolu de la famille.

Mme Muguette Jacquaint : Les cas de violence conjugale sont toujours difficiles. J'ai ainsi eu connaissance d'un tel cas où le mari violent a fait pression sur les voisins, qui souhaitaient témoigner.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le médecin de famille pourrait aussi être entendu.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le médecin peut faire un constat de l'état physique de sa patiente et en particulier constater les violences, mais il n'est pas présent lors de ces faits. Il peut aussi recueillir les dires de sa patiente, mais ne peut en aucun cas certifier, sauf à en avoir été témoin direct, de l'auteur des violences.

Mme Annie Guilberteau : On voit donc tout l'intérêt d'ouvrir la possibilité pour les descendants majeurs d'être entendus pour les faits particuliers de violences. Nous sommes conscients des limites de cette proposition, mais le problème de la constitution de la preuve des violences conjugales contre des femmes qui n'ont jamais déposé plainte est réel.

Mme Muguette Jacquaint : Il est prévu que le domicile sera attribué au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences. Les mesures fixant le domicile prendront automatiquement fin à l'issue d'une période de trois mois. Que pensez-vous de cette disposition ?

Mme Annie Guilberteau : Cette disposition est demandée depuis longtemps par de très nombreuses associations. La question est de savoir si cette disposition garantira suffisamment la sécurité des personnes.

Toutefois, elle présente une alternative à la situation actuelle et un changement de perspective sur la responsabilisation des auteurs de violences. En effet, dans la grande majorité des cas, c'est la femme qui est contrainte à quitter le domicile. Or, beaucoup de femmes nous disent vouloir rester dans le domicile et ne comprennent pas pourquoi elles doivent partir. Certaines, toutefois, souhaitent partir pour des questions de sécurité.

Nous sommes favorables à cette disposition, à condition qu'elle ne devienne pas une solution systématique, qu'elle soit assortie d'un contrôle judiciaire et qu'elle fasse l'objet d'un accompagnement. Par ailleurs, si au bout du délai de trois mois, aucune procédure de divorce ou de séparation n'est engagée, il faut pouvoir proroger ce délai. Nous considérons en effet que le délai de trois mois prévu par le projet est insuffisant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est bien sympathique de maintenir la personne battue dans le domicile, mais qui paiera le loyer ?

Mme Annie Guilberteau : Ce sont les ressources du couple.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Des garanties seront nécessaires et il faudra se montrer très vigilant vis-à-vis de la personne qui doit payer le loyer et qui ne peut plus rester dans le domicile conjugal. Comment cette personne pourra-t-elle accepter le fait d'avoir été mise à la porte, de payer le loyer du domicile conjugal ainsi que celui de son nouveau domicile ?

Mme Annie Guilberteau : Le problème se pose de la même manière aujourd'hui.

Mme Maryvonne Pasquereau : Cette contribution aux charges du mariage pourrait être fixée dans la décision prononçant l'éviction du conjoint.

Mme Muguette Jacquaint : Aujourd'hui, il n'est pas rare de voir des femmes battues qui quittent le domicile conjugal aller à l'hôtel, car il n'y a pas assez de foyers pour femmes battues. Bien souvent, c'est nous qui payons l'hôtel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette disposition est très humaine, mais il faut tenir compte de la réalité des faits. Le propriétaire du domicile souhaitera avoir des garanties quand il saura que le conjoint évincé du domicile conjugal doit payer deux loyers.

Mme Muguette Jacquaint : Ce qui doit nous préoccuper avant tout, c'est la situation des femmes battues.

Mme Annie Guilberteau : L'attribution du domicile passe par une décision du juge.

Cette disposition améliore la situation actuelle. C'est une véritable révolution, mais, dans certaines situations, elle ne pourra être appliquée, pour des raisons de sécurité ou parce que certaines femmes ne le souhaiteront pas.

Par ailleurs, il nous semble que le délai de trois mois est trop court, ce n'est même pas le temps qu'un centre d'hébergement offre dans une logique de réinsertion sociale. Ce délai devrait être porté à six mois. Après ce délai, se posera le problème de la propriété du domicile ou de savoir qui devra payer le loyer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut aussi tenir compte de l'état psychologique de la femme battue : exposée à la peur d'être battue à nouveau, elle devra en outre faire face à la peur de ne pouvoir payer le loyer.

Mme Muguette Jacquaint : Et la peur de se retrouver à la rue avec ses enfants...

M. Patrick Delnatte : Cette disposition inverse les mentalités. On était habitué à ce que la femme victime de violences quitte le foyer, ce serait désormais celui qui est violent qui devra partir et qui devra payer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette obligation de payer le loyer devra être accompagnée de garanties.

Mme Maryvonne Pasquereau : Il y a solidarité des époux sur la dette ménagère. Le juge pourra donc, sur demande du conjoint maintenu dans le domicile, fixer une somme au titre de la contribution aux charges du mariage que le conjoint évincé sera tenu de verser à l'autre conjoint afin qu'il puisse payer le loyer. Ce sera certainement une meilleure garantie que de compter sur le paiement spontané du loyer par le conjoint évincé qui détient les ressources du ménage.

Mme Annie Guilberteau : Aujourd'hui, on voit des cas où l'époux, qui reçoit un salaire, est maintenu dans le domicile, alors que la femme et les enfants recherchent un appartement sans disposer d'aucun moyen financier. Cette situation est inacceptable.

Mme Muguette Jacquaint : Et en plus il est très difficile de trouver des places dans les foyers.

Mme Annie Guilberteau : La perspective du suivi judiciaire dans certains cas ne doit pas être mise de côté, car elle représente une sécurité.

Mme Maryvonne Pasquereau : Nous voulons pour finir vous faire part de nos réflexions sur la liquidation de la communauté et sur les conséquences du divorce quant à la prestation compensatoire.

Dans le projet, l'attribution de la prestation compensatoire est déconnectée de l'attribution des torts dans le divorce. C'est un point positif.

En effet, grâce à cette disposition, les époux, dans le cadre d'un divorce pour faute, seront certainement moins acharnés à gagner leur divorce. Elle devrait donc permettre de pacifier les procédures.

De même, cette disposition met les époux à égalité, car il n'y aura ni gagnant ni perdant. L'examen de leur situation financière respective sera fait de manière plus neutre, dans la mesure où il n'y aura plus cette idée de compensation, de réparation ou de revanche.

La prise en considération, dans la détermination des ressources et des besoins des époux, des conséquences des choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer est un autre élément intéressant du projet. Le projet prévoit que l'arrêt de l'activité professionnelle de la femme résultant de choix faits en commun par les époux sera pris en considération. L'arrêt de l'activité professionnelle ou le passage au temps partiel n'est pas sans conséquence sur le niveau des revenus, notamment des retraites, et peut aboutir à des situations très difficiles au moment du divorce.

Enfin, nous souhaitons également attirer l'attention de votre Délégation sur le problème des pensions alimentaires impayées, qui se pose, nous le constatons sur le terrain, de façon récurrente, malgré les procédures de recouvrement mises en place par la loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je le constate moi-même dans nos régions frontalières, où des personnes devant verser des pensions alimentaires vont travailler au Luxembourg et ne payent plus les pensions, sans être inquiétées.

Mme Maryvonne Pasquereau : Le projet prévoit la possibilité, dès l'ordonnance de non-conciliation, de prendre, au titre des mesures provisoires, certaines mesures qui prépareront la liquidation de la communauté. C'est un point positif.

Le délai pouvant être imparti aux ex-époux pour liquider la communauté est lui aussi positif. En effet, actuellement, la loi ne fixe aucun délai et les notaires peuvent se retrouver face à des époux qui font traîner les opérations de liquidation. De plus, la liquidation de la communauté est souvent le moyen de régler des conflits qui ne l'ont pas été au moment du prononcé du divorce.

Nous constatons dans nos permanences que certaines personnes se trouvent confrontées à des problèmes de dilapidation très organisée du patrimoine commun. La préparation en amont des opérations de liquidation et la fixation d'un délai nous paraissent de nature à protéger les intérêts de chacune des parties et à éviter de tels problèmes.

L'attribution d'une avance sur communauté permet elle aussi de prévenir de telles dilapidations, car, même avec un délai d'un an, un époux, en cas de crispation ou de désaccord, pourra toujours demander de revenir devant le juge qui tranchera le litige, même si on peut penser que de telles situations seront résiduelles car des mesures auront été prises en amont. Par ailleurs, l'attribution d'une avance sur communauté permettra de compenser les inégalités dans les ressources respectives des époux. Ces dispositions existent, mais elles ne sont pas très utilisées. Il faut donc les réhabiliter.

Mme Annie Guilberteau : Si, sur des points précis, vous avez besoin d'une consultation rapide de notre réseau, n'hésitez pas à nous solliciter.


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