DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 9

Mardi 10 février 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition sur le projet de loi relatif au divorce de Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'Association pour la promotion de la famille (APPF) et de Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'Association pour la promotion de la famille (APPF) et Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'Association pour la promotion de la famille et membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Elle est accompagnée de Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate, membre de l'association.

Dès l'annonce de la réforme du divorce, vous aviez souhaité que nous nous rencontrions pour informer les membres de la Délégation de votre point de vue sur le projet de loi.

Dès le mois de juin 2003, vous avez fait connaître votre appréciation sur ce projet qui, vingt-cinq ans après la réforme de 1975, s'efforce d'améliorer les procédures de divorce dans le souci de faciliter le recours au consentement mutuel, d'apaiser les conflits et d'éviter les trop nombreux contentieux du divorce pour faute.

Vous distinguiez des aspects positifs à cette réforme, mais vous aviez aussi émis des réserves.

La procédure du consentement mutuel accéléré, puisqu'il n'y aura plus qu'une seule audience, vous paraît-elle protéger suffisamment l'expression du libre consentement de l'un et l'autre époux ? L'intervention de deux avocats est-elle nécessaire ?

S'agissant du divorce pour faute, que pensez-vous de la dissociation des effets pécuniaires du divorce et de l'attribution des torts ?

Les nouvelles modalités d'attribution de la prestation compensatoire vous paraissent-elles apporter une protection suffisante au conjoint divorcé, en particulier à certaines épouses qui se retrouvent divorcées après de longues années de mariage, ayant consacré leur vie à leur famille et lui ayant tout sacrifié ? Nous avons tendance à protéger les premières épouses, surtout quand elles n'ont pas de situation. Mais se pose également le problème des deuxièmes épouses : elles disent que leurs époux n'arrivent plus à assumer les prestations compensatoires en même temps que les frais domestiques de la deuxième épouse qui, la plupart du temps, a de jeunes enfants à élever, et que ces situations dramatiques ont pu conduire certains au suicide.

Enfin, que pensez-vous de la nouvelle disposition du projet de loi permettant au juge, en cas de violences, de prononcer l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal ? Quelles mesures suggéreriez-vous pour que cette éviction se passe le mieux possible à la fois pour la femme, mais aussi pour le conjoint ?

Mme Marguerite Delvolvé : Nous vous remercions de bien vouloir auditionner l'Association pour la promotion de la famille au sujet du projet de loi de réforme du divorce. L'association agit pour la reconnaissance du fait familial, de son apport à la société et du rôle essentiel qu'il joue dans le maintien du lien social, l'épanouissement des personnes et les solidarités entre générations. Il nous a paru nécessaire de réagir devant la contradiction entre la volonté affichée du Gouvernement de récréer du lien social et ce projet de réforme qui manifeste une volonté non moins délibérée de dénouer le lien familial.

Le projet qui va être soumis au vote du législateur risque de passer en catimini - c'est sans doute notre première objection - sans que son contenu et ses conséquences n'aient été compris des Français. On nous a assuré que le divorce allait être pacifié, rendu indolore et, sur ce point, tout le monde était d'accord, en omettant de préciser que cela se ferait aux dépens des femmes, qui risqueront d'être désormais abandonnées sans qu'aucune obligation de secours ne pèse sur leur ancien conjoint.

On a assuré que le mariage républicain serait revalorisé. On a oublié de préciser qu'il aura, entre-temps, été vidé de son contenu par la suppression dans les faits de l'engagement de fidélité, secours et assistance.

Enfin, comme pour la rupture d'un Pacs, les grands oubliés de la loi sont les enfants. Les conséquences prévisibles de la réforme pour les divorcés, les enfants, et la société tout entière doivent être considérées avec responsabilité. Les femmes que vous représentez avec leur double sphère d'activité familiale et professionnelle sont particulièrement concernées par le projet de loi et sont les mieux à même d'en pressentir les conséquences dramatiques.

Je laisse maintenant la parole à Me Ghislaine Jacques-Hureaux, avocate, qui traitera plus particulièrement des aspects juridiques du projet de loi.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Je vais tenter de répondre sur « les vices cachés de la loi ».

Vous nous avez posé quatre questions.

La première concerne le divorce par consentement mutuel, donc le divorce par requête conjointe, qui, en l'état actuel de la législation, prévoit une première comparution des époux, un délai de réflexion au minimum de trois mois, au maximum de neuf mois, puis une seconde comparution des deux époux avec leur avocat.

Un ou deux avocats ? J'ai toujours été hostile, surtout lorsqu'il y a des biens et des enfants, à assurer la défense des deux époux, car j'ai toujours l'impression que j'aurais tendance, sans trahir le secret professionnel, à ne pas bien défendre de la même façon le mari et la femme. C'est pourquoi je pense utile que la loi précise une fois pour toutes que chacun des époux doit être défendu par son conseil. Cela évitera des conflits d'intérêts en cas de difficultés postérieures devant M. le Bâtonnier.

Qu'en est-il de la suppression de la seconde comparution ? Le consentement ne peut-il être vicié ? Nous nous sommes documentées : nous avons pris connaissance du rapport du professeur Hauser, qui est à l'origine de la réforme et qui, lui-même, émet les plus grandes réserves quant à la nature et à la qualité du consentement qui peut être donné, lorsque l'un des époux est plus ou moins amené par l'autre à signer une requête en divorce par consentement mutuel, étant rappelé que l'époux signe également la convention qui fixe la liste des conséquences du prononcé du divorce. Ce sont les époux qui prévoient eux-mêmes les conséquences sur les plans patrimonial et de garde des enfants. Ce délai de réflexion est souvent critiqué. On pourrait peut-être le réduire de neuf à six mois, mais le supprimer me paraît dangereux.

Voilà les deux réflexions que je voulais présenter sur le divorce sur requête conjointe.

Nous sommes satisfaites que le divorce pour faute soit maintenu. Aux termes de la proposition de loi de M. François Colcombet, il était prévu, au nom de la pacification, de le supprimer des procédures. Un divorce ne peut jamais être pacifique. Dans la plupart des cas, c'est un échec. Nous qui recevons les personnes, surtout au début de la procédure, nous savons que c'est très dur. Parfois, les familles passent du cabinet de l'avocat au cabinet du psychiatre et du pédopsychiatre. C'est un échec pour toute la famille. Mme Marguerite Delvolvé évoquera plus avant les conséquences en termes de coûts social et financier du divorce.

Le maintien de la faute est donc une bonne chose. En revanche, la déconnexion du prononcé du divorce aux torts exclusifs, de l'attribution ou non d'une prestation compensatoire me paraît choquante. C'est dire qu'un époux fautif, aux torts exclusifs duquel le divorce sera prononcé, pourra prétendre à une prestation compensatoire comme si de rien n'était. Qui dit « faute » dit « sanction », «responsabilité », « culpabilité ». Notre association ne peut accepter cette déconnexion.

Vous nous avez interrogées sur les modalités de paiement de la prestation compensatoire. La réforme du 30 juin 2000 a prévu comme règle le versement en capital. Les cabinets des juges aux affaires familiales sont encombrés de ce qu'ils appellent eux-mêmes « des queues de divorce », c'est-à-dire des difficultés de paiement de prestations compensatoires. Si le paiement en capital avait été effectué une fois pour toutes, il n'y aurait plus cette difficulté de paiement des prestations compensatoires.

Mais qui, aujourd'hui, au prononcé du divorce est en mesure de signer un chèque de 50 000, voire de 100 000 euros ? La plupart des gens sont salariés et nos dossiers font apparaître plus de dettes que de capital ou de patrimoine à partager. Ne serait-ce pas un projet de réforme de divorce pour des riches, pour des personnes qui pourraient dire : « Je te laisse la maison de campagne, tu gardes l'appartement parisien » ? Cela me semble irréalisable pour les dossiers où les deux époux sont salariés et, pire, où seul le mari est salarié, la femme restant à la maison pour élever trois enfants. Dans ce cas de figure, on emprunte, on liquide un bien propre, on construit une maison. Finalement, madame reste au domicile conjugal, monsieur paye les crédits et, le jour où intervient la séparation, monsieur est dans l'incapacité absolue de régler la prestation compensatoire. Cette idée force de retenir le capital me semble très dangereuse. Vous me direz que le délai de huit ans vient en atténuation : exceptionnellement, on permettra à l'époux de verser la prestation compensatoire sous forme de rente dans un délai fixé à huit ans. Quand on est abandonné à cinquante ans et que le paiement de la rente s'interrompt à cinquante-huit ans, que fait-on ? C'est le minimum vieillesse, le RMI...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Même avant cinquante-huit ans.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Oui, ce peut être beaucoup plus jeune. On ne peut reconstruire une carrière professionnelle à quarante ans. Des jeunes femmes diplômées ont décidé et ont fait le choix de ne pas travailler. Peut-être est-ce là leur erreur. Mais la société est là pour les assumer. Ces jeunes femmes se tourneront vers les organismes sociaux, vers les CAF, d'où un coût social. La limitation à huit ans me paraît irréaliste et dangereuse pour la plupart des femmes.

Le dernier point a trait à la possibilité d'éviction du conjoint violent. Il n'y a pas de solution miracle. J'ai trouvé que c'était une excellente idée. J'ai sur mon bureau quelques dossiers extrêmement contentieux. Même si le domicile conjugal a été accordé à la femme, on n'arrive à rien, parce que la police ne prend pas les plaintes en compte. Elle a tendance à considérer que ce sont là des problèmes intimes. On a du mal à évincer, à faire partir concrètement le mari violent, le mari alcoolique, le mari joueur, le mari qui élève des pitbulls au domicile conjugal. Nous n'avons pas de solution miracle, mais c'est une bonne chose que de prévoir cette possibilité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente :Qui va payer le loyer ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Où va-t-il aller dormir ce mari ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas mon problème, il n'avait pas besoin de frapper sa femme ! Je m'interroge sur les problèmes financiers.

Lors de notre dernière audition, un détail a retenu mon attention : le coût de la serrure. Le domicile peut appartenir au mari, mais imaginons qu'il s'agit d'un domicile de fonction, que le mari est violent, et qu'il est évincé de ce domicile.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Sa femme ne peut y demeurer.

Mme Madeleine Delvolvé : Elle ne peut y rester en effet. Et s'il s'agit d'un bien propre à ce monsieur, si on le met à la porte, qui est-ce qui paye ?

Mme Geneviève Levy : Si c'est un bien propre, c'est moins grave.

Mme Brigitte Barèges : C'est celui qui occupe le logement qui paye.

Mme Geneviève Levy : D'où la difficulté.

Mme Brigitte Barèges : Le cas du loyer est le moins compliqué : les femmes qui n'ont pas de revenus et qui ont des enfants à charge touchent un maximum d'allocations logement. A la limite, parfois, c'est une solution pour le couple avec enfants d'emprunter lorsqu'il veut acheter. Souvent, après calcul, on constate qu'il est préférable que ce soit la femme, même sans ressources qui reste au domicile, parce qu'elle touche une APL plus forte que le mari qui a les enfants à charge, ce qui permet de rembourser le crédit. C'est un calcul d'apothicaire, mais il se fait au moment de la conciliation pour savoir qui des deux époux reste. Ce n'est pas le cas le plus complexe.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : En effet, le plus compliqué est celui du domicile de fonction. Nous avons eu à connaître du cas d'un secrétaire général de préfecture, d'un directeur d'hôpital violent. Le juge ne sait pas quoi faire. Dans les faits, juridiquement, il ne peut attribuer la jouissance du domicile à la femme. Finalement, c'est elle, qui est battue, qui doit partir.

Mme Brigitte Barèges : On pourrait penser que celui qui bat son conjoint doit s'en aller. Or, concrètement, c'est la force qui s'impose.  C'est le mari qui, bien souvent, met sa femme à la porte.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, mais à partir du moment où cela figurera dans la loi ?

Mme Brigitte Barèges : Comment faites-vous exécuter cette mesure ? Les huissiers ne veulent pas s'en charger, les gendarmes non plus.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et pourquoi s'y refusent-ils ? Peut-être suis-je optimiste, mais j'aurais tendance à penser qu'à partir du moment où cela figurera dans la loi, il sera plus facile de les mettre à la porte.

Mme Brigitte Barèges : C'est toute la difficulté de l'exécution des décisions de justice. Il faut espérer.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : En tout cas, il faut que l'éviction figure dans la loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Geneviève Levy : Vous avez balayé rapidement et de manière synthétique et complète les questions que nous nous posions et sur lesquels nous aurons l'occasion d'insister, tout particulièrement, dans le cadre du rapport de la Délégation.

Mme Brigitte Barèges : Le propos de Mme Ghislaine Jacques-Hureaux est très important : un seul avocat par partie. Dans la loi précédente sur le consentement mutuel, cette disposition avait été proposée par souci d'économie. Mais, bien souvent, lorsque l'on reçoit deux époux, des problèmes surgissent, surtout liés aux enfants. Si l'avocat entreprend des négociations et qu'au dernier moment, faute d'aboutir à un accord, l'un des deux époux refuse de signer des conventions, il est obligé de se déporter, car il n'a pas le droit de rester l'avocat de l'un ou de l'autre. Vous ne pouvez imaginer les conflits. Des confrères peu scrupuleux continuent de défendre l'un des deux clients, alors qu'ils devraient normalement saisir le bâtonnier. Avec l'obligation de deux avocats, chaque époux aura son avocat, y compris dans le cas d'un divorce par consentement mutuel, Si le consentement mutuel achoppe, chaque partie restera avec son avocat, ce qui évitera les conflits de confraternité et garantira la déontologie, comme la défense du client.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Peut-on souhaiter dans la loi l'inscription de la présence de deux avocats ?

Mme Geneviève Levy : Nous en avons parlé ce matin ; des débats très complets ont déjà eu lieu sur le sujet au Sénat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela poserait-il des problèmes financiers, notamment une augmentation des frais d'aide juridictionnelle ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Ces dossiers sont très peu payés, bien que réévalués dernièrement.

Mme Brigitte Barèges : L'argument économique n'est pas un bon argument.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le Gouvernement considère également que 90 % des couples qui divorcent par consentement mutuel choisissent un seul avocat.

Mme Brigitte Barèges : Oui, mais des clients sont lésés. C'est malheureux à dire, mais il y a des avocats qui font leur métier, d'autres non, ils font de l'abattage. Même par consentement mutuel, il y a toujours une victime dans un divorce : un des époux est décidé à divorcer, l'autre moyennement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le Gouvernement est donc défavorable au principe des deux avocats.

Mme Brigitte Barèges : Le texte proposé conserve le dispositif qui figurait dans la loi de 1975 et qui donnait le choix aux parties d'un seul ou de deux avocats. Mais, dans la pratique, ce n'est pas une bonne chose.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation pourrait-elle recommander la présence de deux avocats pour mieux protéger la femme ?

Mme Brigitte Barèges : Une telle mesure serait utile, ne serait-ce que pour débattre du montant de la pension alimentaire. 

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : La situation se résume en ces termes : « Monsieur, faites un effort, madame, soyez moins gourmande. » C'est impossible. C'est le grand écart. Les avocats n'y arrivent pas.

Mme Brigitte Barèges : Nous ne sommes pas à l'aise. Notre métier consiste à défendre, non à jouer les juges et arbitres. Nous ne sommes pas des juges.

Mme Geneviève Levy : Nous sommes dans le cadre d'un texte qui trouve sa source dans un esprit de simplification. Peut-être existe-t-il des cas où la présence d'un avocat n'est pas indispensable, notamment lorsqu'il y a ni enfants ni patrimoine, ni biens à partager.

Mme Brigitte Barèges : Les magistrats ont exprimé leur refus sur ce point, au moment où il avait été proposé de divorcer devant les maires. Là non plus, la présence des avocats n'était pas requise. La tendance est à la déjudiciarisation. Cela dit, chacun a refusé la formule, les magistrats les premiers.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Plus nous auditionnons, plus je m'interroge.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Une dernière observation, à propos de l'instauration d'une nouvelle procédure de divorce, le divorce pour altération définitive du lien conjugal. C'est la grande nouveauté de ce texte, qui suscite des critiques et qui fait dire à notre confrère Jean Villacèque, avocat au barreau de Perpignan, qu'il s'agit « des habits neufs de la répudiation », dans la mesure où, désormais, au bout de dix-huit mois ou deux années de séparation, un époux pourra présenter une requête en divorce s'il existe une altération du lien conjugal, ce qui permettra aux magistrats de prononcer le divorce. Quelle est la possibilité de défense de l'autre partie, c'est-à-dire du conjoint abandonné ? Je ne la vois pas dans l'article 229 du projet. Autrefois, il s'agissait d'un divorce pour rupture de la vie commune qui prévoyait une séparation de six années et qui impliquait le maintien du devoir du secours.

Mme Brigitte Barèges : Celui qui demandait le divorce avait la charge du divorce, des frais de procédure.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Le devoir de secours courait durant toute la vie du conjoint dont il envisageait de se séparer. Le conjoint abandonné pouvait invoquer l'exceptionnelle dureté du divorce qu'on cherchait à lui imposer. Or, avec cette nouvelle forme de divorce, au bout de dix-huit mois ou deux ans, le mari peut demander le divorce. Le juge ne peut même pas sanctionner ce monsieur qui, unilatéralement, a pris cette décision.

Mme Geneviève Levy : Est-ce le délai qui vous gêne ?

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Tout à la fois le délai et le fait que l'on ne puisse plus invoquer l'exceptionnelle dureté. Dès lors, quelles sont les possibilités de l'époux abandonné : former une demande reconventionnelle, demander le prononcé d'un divorce aux torts ?

Mme Brigitte Barèges : Le but de la loi est bien de faciliter le divorce.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : On instaure - telle est notre conclusion - une forme d'automatisme : il ne s'agit plus d'un droit au divorce, mais d'un droit automatique au divorce. Devant la cour d'appel de Paris, nous sommes confrontés à des décisions de déboutés de plus en plus nombreuses. On refuse de prononcer le divorce au motif que l'époux n'a pas suffisamment de griefs à l'encontre de sa femme et que cette dernière n'a pas suffisamment de torts.

Mme Brigitte Barèges : Aujourd'hui, on peut divorcer, soit par consentement mutuel, soit pour faute. Une troisième forme vient s'y ajouter : la séparation des époux depuis au moins deux ans, sans possibilité de conciliation.

Cela peut paraître choquant. Il n'en reste pas moins que, dans la pratique, j'ai rencontré beaucoup de cas pour lesquels débouter ne règle rien, car les époux ne reprennent pas la vie commune pour autant. Rien n'est réglé : ils demeurent mariés, le patrimoine reste en commun ; c'est compliqué à l'extrême.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : On les condamne à représenter une requête conjointe.

Mme Geneviève Levy : En plus, on les entretient dans un climat où la haine ne fait que croître.

Mme Brigitte Barèges : Est-on condamné à rester mariés ? Il ne faut pas se voiler la face : le but de la loi est de faciliter le divorce. On est pour, on est contre. En tout cas, c'est la grande nouveauté.

Mme Marguerite Delvolvé : On ne l'a pas dit, on aurait pu l'exprimer plus fortement. Les promoteurs du projet ont parlé de pacifier, non de faciliter. On n'a pas parlé d'ouvrir grand la porte en disant : c'est votre droit ! C'est hypocrite.

Mme Geneviève Levy : Je vous laisse le droit de le penser.

Mme Brigitte Barèges : Appartient-il à la loi de s'adapter à la société ou d'être garante de certains principes ? C'est un problème d'éthique.

Mme Geneviève Levy : On peut se placer sur une voie médiane.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La protection de la femme n'est pas suffisamment assurée, j'en suis maintenant convaincue.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Vous en serez d'autant plus convaincue, lorsque vous aurez entendu Mme Marguerite Delvolvé qui va vous brosser le coût d'une telle réforme.

Mme Brigitte Barèges : Auparavant, permettez-moi une observation : vous dites qu'il y a déconnexion entre la notion de faute et la prestation compensatoire. Dans l'ancien texte, la prestation compensatoire était fonction des conditions de ressources, de disparités, etc. En matière de procédure, le cas était double : soit dans le cas du divorce prononcé contre l'époux qui devait payer la prestation compensatoire, soit dans le cas d'un tort partagé. En revanche, la loi prévoyait que l'époux fautif, celui contre lequel le divorce est prononcé, n'y avait pas droit. C'était une sanction. Vous parlez d'une déconnexion entre la faute et la prestation compensatoire ; or le texte du projet de loi précise : « Toutefois, le juge peut refuser d'accorder une telle prestation si l'équité le commande, soit en considération des critères prévus à l'article 271, notamment lorsque la demande est fondée sur l'altération définitive du lien conjugal, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. » La situation est identique. En fait, le juge a la faculté de refuser cette prestation compensatoire, mais ce n'est pas automatique.

Me Ghislaine Jacques-Hureaux : Le juge a la faculté de le déconnecter, alors que ce n'était pas permis auparavant.

Mme Brigitte Barèges : Auparavant, le lien était automatique, dès lors que l'on était fautif.

Mme Marguerite Delvolvé : Nous arrivons aux conséquences pécuniaires de la réforme. Qui va payer ? La société tout entière. Dès lors que l'on augmente les droits individuels, on arrive à une contradiction, car ce sont finalement les époux qui tentent de se réconcilier et de durer qui paieront. Quantité de causes potentielles de divorce existent. Qui raccrochent les wagons ? Les générations précédentes, les amis qui encouragent l'un ou l'autre membre du couple à ne pas lâcher, le temps permettant aux choses de s'apaiser et de s'arranger. Finalement, ce sont ceux qui se comportent bien, qui seront obligés de payer la note de ceux qui lâchent trop vite la corde. C'est pour cela que je défends la famille. La famille n'est pas une petite affaire personnelle, c'est une affaire de société. Si la famille n'assume plus ses responsabilités, si elle n'est plus encouragée par l'Etat à la stabilité, à la fécondité, à l'éducation, c'est la collectivité tout entière qui devra supporter les conséquences néfastes et souvent irrémédiables de la rupture familiale.

Notre association participe, à la conférence de la famille, à l'atelier « Santé des adolescents ». Nous étudions la première génération d'adolescents de parents divorcés. Nous constatons un tabou ; la société se ferme les yeux, se refuse à voir les conséquences. A l'issue de la conférence de la famille, des maisons d'adolescents seront créées pour essayer de récupérer les 45 000 jeunes qui tombent dans l'errance, dans la désocialisation, la déscolarisation chaque année. Le divorce est la première cause de suicide des adolescents. On peut s'interroger.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous le direz ?

Mme Marguerite  Delvolvé : Oui, nous le disons et le répétons. C'est ce qui a provoqué la conférence de la famille, car la séparation des parents pose un problème de santé publique. Nous sommes inquiets. Les adolescents n'arrivent pas à construire leur identité. On leur dit que la famille doit donner des repères. Mais des parents qui n'assument pas leurs responsabilités, c'est un repère qui tombe ; un mariage qui ne dure pas est un repère qui tombe. Toutes les enquêtes réalisées auprès d'adolescents font ressortir qu'ils souhaitent le mariage, qu'ils veulent y croire, mais ont du mal. Que doivent leur donner les adultes si ce n'est un signal dans le sens positif, vers l'avenir, une espérance. Or, en l'occurrence, vous donnez un signe inverse. Cela me fait mal ! Car ce signal signifie : chacun pour soi !

Nous collaborons beaucoup avec le ministère. Notre association réfléchit, enquête, mène des études pour que tous les ministères concernés prennent en compte cette réalité familiale, car chaque Français a une famille. Le problème de la stabilité familiale touche à tous les aspects de la vie en société, y compris l'entreprise. Un employé heureux n'est-il pas plus efficace qu'un autre qui connaît des problèmes familiaux ? Il faut plutôt étudier les causes de divorce. C'est de cela dont notre société a besoin.

Il faut savoir que l'augmentation du travail de la femme a été concomitante de l'augmentation des divorces. Vous allez me rétorquer que je suis contre le travail de la femme. Mais non, je ne suis pas contre ! Je trouve que les femmes qui arrivent à gérer tout au long de leur vie au même rythme vie professionnelle et vie familiale sont de petits héros. Mais il faut se rendre compte que toutes les femmes n'ont pas la carrure de le mener tout au long de leur vie ; elles ont besoin de petits entractes pour souffler et précisément consolider la vie de famille, la faire fonctionner. Agrandir une famille, ce n'est pas un petit enfant que l'on met en garde. Après cela, il y a toutes sortes de problèmes, d'aménagement d'horaires, tous ces problèmes de conciliation auxquels vous êtes fortement intéressés et au titre desquels vous faites fortement progresser les choses.

Parallèlement aux problèmes de conciliation, la femme doit toujours garder cette vaillance pour défendre sa famille. Elle le fait. Si l'esprit de la réforme considère que l'on a le droit au divorce, parce que l'on n'arrive pas à gérer, parce que c'est trop dur et que l'on en a par-dessus la tête, c'est là un très mauvais message à délivrer à la jeunesse, qui souffre. On a parlé de malaise psychologique.

La conférence a fait ressortir un autre malaise : les filles vont plus mal que les garçons, les filles connaissant une difficulté à construire leur identité dans la durée sur cette double identité d'épouse et de mère. Notre société nie cette dimension. Ce sont les limites du féminisme, pourrait-on dire. Vous vous êtes bien battues, vous n'avez pas toutes les places que vous devriez avoir dans le monde politique, mais notre apport au monde politique est notre identité de femmes, qui portons le souci de la famille ; c'est nous, pour l'essentiel, qui portons la cohésion familiale.

Fondamentalement, une loi qui libéralise le divorce va à l'encontre de l'identité féminine, car les femmes veulent que cela tienne.

Mme Geneviève Levy : Je ne peux vous laisser dire que le message de ce projet de loi est celui-ci : vous avez le droit au divorce, on vous ouvre toutes les portes pour divorcer sans que vous ayez ni soucis ni problèmes - ne serait-ce parce que c'est utopique. Je ne pense pas que l'esprit du texte soit tel, ni même les conséquences. La loi - et c'est d'ailleurs son rôle - précise que l'on est dans une situation telle que la vie de couple, la vie familiale n'est plus envisageable sereinement, qu'il est par conséquent inutile de traumatiser plus encore les conjoints et les enfants par des procédures longues qui fragilisent ce qui peut encore rester. Telle est mon approche de la loi. Mais je conçois que vous ayez des craintes. Ce que vous dites est très juste et trouve racine dans les faits : les conséquences du divorce sur les jeunes, sur le travail et d'autres domaines. A ce titre, je suis tout à fait d'accord avec vous. Toutefois, vous me permettrez de ne pas l'être sur le message envoyé par le projet de loi. Je ne pense pas que votre description corresponde au message que veut faire passer le législateur.

Mme Marguerite  Delvolvé : En tout cas, ce qui nous choque, c'est le divorce imposé sans devoir de secours.

Le divorce proposé est une attaque frontale portée au mariage républicain. Tout ce qui touche au divorce, symboliquement, touche au mariage, au sérieux de l'engagement du mariage. Et les Français restent très attachés au mariage républicain. A la petite homélie, à la lecture de l'article 202 du code civil, un moment d'émotion saisit l'officier de l'état civil et les époux. On se marie souvent aujourd'hui après la naissance du premier enfant. Cela veut dire beaucoup : que l'enfant porte le même nom, qu'il a un père et une mère pour la vie, cela signifie beaucoup de choses dans l'esprit des gens. En l'occurrence, vous lui donnez un coup, en gommant la responsabilité liée à l'engagement de fidélité, d'assistance et de communauté de vie. Je pense qu'il y a une contradiction interne à la loi.

J'en viens aux femmes maghrébines, sujet sur lequel nous travaillons depuis longtemps au sein de l'association. Les femmes maghrébines arrivent en France de pays où se pratique la répudiation. Elles sont très heureuses d'arriver dans un pays, la France, où elles auront la liberté de choix de leur époux, où il n'y aura pas de mariage forcé possible. S'y ajoutent l'égalité des droits, le partage de l'autorité parentale. C'est une promotion de la femme, ce mariage républicain. Insidieusement, subrepticement, vous ajouteriez la répudiation, la menace qu'elles pourront être « jetées », parce que monsieur aura abandonné le domicile conjugal pendant deux ans ? A ce moment-là, la répudiation sera quasi automatique, faute de moyens de défense. C'est ainsi : le mari veut divorcer, on ne peut le retenir. Mais il a promis ! Eh bien, tant pis !

C'est une passerelle d'intégration que l'on est en train de faire sauter, ce qui est très dommage.

Je me suis entretenue avec de jeunes femmes musulmanes. Ce qu'elles m'ont dit vient en écho de mon analyse. Peut-être une telle affirmation n'est-elle pas fréquente, mais elles m'ont dit que les valeurs familiales étaient immuables dans les pays musulmans et que l'on n'y touchait pas. On parle beaucoup de la répudiation, mais l'essentiel est une institution qui ne bouge pas. En règle générale, les enfants au Maroc, en Tunisie, s'élèvent bien, parce que les relations familiales ne bougent pas. Sur ce qui s'est passé cet été en France - les morts de la canicule - ces jeunes femmes musulmanes m'ont dit que cela ne se serait jamais produit dans leur pays. On a honte lorsque l'on entend cela. Nous sommes en train de courir après nos droits, alors que ces cultures ont conscience de former une famille. Peut-être est-elle oppressive, sans doute le père ou le frère aîné détient-il trop de pouvoir. Précisément ! Elles arrivent en France avec cet amour de la famille, qui est leur vie, toute leur vie. Et vous allez tenter l'homme de la laisser. Il aura un enfant avec une autre, touchera des prestations sociales, une seconde allocation logement, l'allocation de parent isolé. La société française est très généreuse pour rattraper tous les dégâts. On ne laisse pas les gens mourir de faim, mais, encore une fois, qui paiera ?

On manque là quelque chose. La famille stable, monogamique, serait une liberté pour la femme et on crée une injustice, ce qui est dangereux dans la durée. Prenez des renseignements auprès des familles installées en France. La famille se dégrade assez facilement en l'absence de cohésion du tissu social. Et cela sans évoquer le sort de la femme de la première génération, qui a cinquante ans, qui n'a pas de formation, et qui n'a été qu'épouse et mère. Nous œuvrons pour qu'elle accède au contrat d'intégration, à des travaux pour lesquels elle serait adaptée, celui du travail au sein de la famille. Les femmes musulmanes viendront s'occuper de la famille, de la femme française, qui travaille, parce que, précisément, elles sont porteuses de cette culture de l'éducation, de la tenue de la maison. Ce sont des femmes sûres. Nous avons donc ce moyen d'intégration.

Si ces femmes sont abandonnées, elles n'auront pas le droit à la retraite, car elles n'ont jamais cotisé. Elles auront droit aux minima sociaux. Elles ont de l'honneur. Il n'y a aucune raison pour qu'elles se retrouvent à la mendicité. Il faut les intégrer de façon honnête et noble.

Voilà le point sur lequel je tenais à insister fortement, car il me touche profondément.

Mme Geneviève Levy : Je vous remercie de susciter notre réflexion - tel est, au reste, l'objet de nos auditions - et de nous ouvrir des cercles de plus en plus larges dans le cadre de l'élaboration de la réflexion. Nous allons en tirer partie.


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