DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 11

Mercredi 11 février 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition sur le projet de loi relatif au divorce de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi relatif au divorce en recevant aujourd'hui Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération nationale Solidarité-Femmes, et Me Maryvonne Boulet-Ansquer, avocate et membre de la commission Justice de cette Fédération.

Votre Fédération est à la tête d'un vaste réseau d'écoute téléphonique : « Violence conjugale, Femmes-Info service », à la disposition des victimes de violences conjugales. Votre réseau d'écoute téléphonique offre à ses interlocuteurs orientation, conseil et information. Il s'est vu confier en 1992 une mission de service public et reçoit environ 40 000 appels par an. Vous avez près de quinze ans d'existence, ce qui vous donne une expérience précieuse.

Pourriez-vous nous exposer brièvement l'organisation de votre fédération ? Comment vous faites-vous connaître auprès des intéressées ? Quelles sont vos interventions concrètes auprès des femmes victimes de violences conjugales ?

Dans les situations d'urgence, quelle aide leur apportez-vous pour les accompagner dans leurs démarches, notamment auprès de la police, porter plainte, rassembler des preuves et leur apporter assistance psychologique et juridique ?

Par ailleurs, les mesures de contrôle judiciaire à l'encontre du conjoint violent interviennent-elles fréquemment ? Sont-elles efficaces ? C'est un des aspects du projet de loi qui nous préoccupe beaucoup.

Le projet de loi prévoit la possibilité pour le conjoint victime d'obtenir du juge l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Cette disposition, qui permettrait d'assurer une meilleure protection à la femme et aux enfants, soulève cependant de nombreux problèmes d'application. J'aimerais avoir votre avis sur cette question.

La procédure contradictoire dans cette situation est-elle nécessaire ? Les délais de procédure permettront-ils de protéger rapidement la victime ? Quelles preuves pourra apporter le conjoint victime ?

Comment articuler cette procédure avec une procédure au pénal ? Quelles seront les modalités de la prise en charge du loyer, de la contribution de l'époux expulsé aux charges du ménage ? Le délai de trois mois au terme duquel les mesures deviennent caduques, sauf requête en divorce, n'est-il pas trop court ?

Enfin, ces nouvelles mesures ne devraient-elles pas s'appliquer également aux concubins et aux pacsés ? Je pense, en effet, que les appels téléphoniques que vous recevez ne viennent pas forcément de personnes mariées.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Exactement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous vous écoutons.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je remercie la Délégation de cette occasion de nous rencontrer et de nous connaître un peu plus. Nous avons apporté quelques matériels de présentation de la Fédération. Un petit dépliant montre nos missions et la couverture de nos activités.

La Fédération a une double mission :

- animer un réseau national de 58 structures, et probablement quelques-unes de plus dans les prochaines années. Des associations autonomes se sont réunies depuis une quinzaine d'années pour former la Fédération. Une partie de nos activités est représentée par le travail de ces associations dans les différentes régions françaises ;

- gérer un service d'écoute téléphonique qui reçoit à peu près 15 000 appels par an, dont 12 000 concernent des situations de violences conjugales, que nous pouvons statistiquement étudier, mettre en fiches et analyser. Sur les 12 000, 8 000 proviennent des victimes elles-mêmes et 4 000 de l'entourage, de la famille ou de professionnels, ce qui montre que la société aussi est en train de réagir. Il n'y a pas que les victimes elles-mêmes qui appellent. Souvent, même, des professionnels chargés d'intervenir sur le sujet ont besoin d'informations complémentaires.

Les victimes qui nous appellent, pour la moitié d'entre elles le font pour la première fois, pour l'autre moitié le font après avoir rencontré des difficultés dans leurs démarches : par exemple, des plaintes non prises en compte, des médecins qui n'ont pas fait de certificats médicaux ou qui n'ont pas donné d'interruption totale de travail (ITT) permettant de mesurer la gravité des violences ou des plaintes classées sans suite.

Ces chiffres illustrent bien que, si la loi existe, elle est encore appliquée partiellement. Les dix premières années ont été consacrées davantage au slogan « briser le silence », c'est-à-dire à faire réagir les femmes.

Aujourd'hui, l'accent doit être mis plutôt sur l'application de la loi et la prise de conscience de tous les acteurs, qu'il s'agisse des médecins
- les premiers à être en contact avec les victimes - qu'il s'agisse de la police sur le thème des plaintes, qu'il s'agisse de la Justice - c'est probablement, dans les quatre ou cinq dernières années, le secteur qui a le moins évolué dans sa sensibilité et sa compréhension des violences conjugales - ou qu'il s'agisse des travailleurs sociaux en général et de tous les réseaux d'aide.

Nos associations offrent ce service téléphonique national, mais travaillent aussi sur le terrain, reçoivent les femmes. A travers le réseau, indépendamment du service téléphonique, nous avons à traiter 36 000 situations de violences conjugales par an et nous recevons en hébergement - ce sont les chiffres 2002 - 2 500 femmes et 2 700 enfants. Notre travail ne concerne pas seulement l'hébergement. Souvent, quand on parle des violences conjugales, on centre le problème sur « partir dans l'urgence et trouver un hébergement tout de suite ». Ce n'est pas seulement cela. Un départ se prépare. C'est le travail que font souvent les écoutantes au service téléphonique. Il faut s'organiser, penser, souvent prendre des précautions, réunir des documents et ne pas partir, comme cela, dans la rue, avec les enfants, à toute vitesse.

L'évolution du projet de loi, en particulier cette mesure contre les violences, nous semble aller globalement dans le bon sens. Il ne nous paraît pas souhaitable que les femmes partent en urgence avec les enfants. Non seulement c'est injuste et coûteux, mais c'est contraire, même, à leur mouvement.

On demande toujours aux femmes pourquoi elles ne partent pas, comme si, face à la première claque, c'est ce qu'elles devraient faire. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles elles ne le font pas. D'abord, elles ont le sentiment que c'est injuste : pourquoi elles, qui sont victimes, devraient-elles partir avec les enfants ? Ensuite, c'est compliqué. Porter plainte et prendre des décisions radicales contre le père de ses enfants, c'est difficile.

Souvent, il y a une banalisation des agressions. Surtout, le mécanisme principal est un retournement permanent de la situation : la victime elle-même se culpabilise : « C'est moi qui n'ai pas bien fait ce qu'il fallait » ; le mari a tendance à toujours minimiser sa propre responsabilité, à retourner la situation et à accuser la victime d'être coupable des faits.

Donc, ces mécanismes d'emprise sont complexes ; s'en défaire n'est pas facile.

Et puis, il y a les situations de dépendance qui ont duré. Souvent, les femmes qui nous appellent le font au bout d'un long moment, quand la situation devient insupportable, quand les enfants sont touchés, par exemple, quand elles se rendent compte de l'impact de la violence sur eux, quand ils disent quelque chose. Ce sont le plus souvent des situations qui se sont installées. Une personne qui est sous une emprise de longue date a perdu une capacité d'autonomie, a perdu aussi une lucidité et une vision de la situation. Elle se rend coupable elle-même des agressions dont elle est victime.

Rompre cette dépendance, non seulement est long, mais donne lieu très souvent à des allers-retours. On parle du cycle de la violence. Monsieur s'excuse, monsieur promet qu'il ne va pas recommencer. L'entourage en général ne s'en rend pas compte. Les violences qui se passent dans la vie privée sont difficiles à prouver. Très souvent, l'agresseur a une double attitude : il est une certaine personne dans l'espace public et une autre dans l'espace privé.

Réunir des témoignages, des preuves de violence dans l'espace privé est particulièrement difficile. Tout cela est très important pour ce que nous aurons ensuite à étudier au pénal et au civil.

Historiquement, on a parlé des « femmes battues », c'est-à-dire que l'on a mis l'accent sur les violences physiques, évidemment les plus faciles à prouver ; grâce aux médecins, on arrive à démontrer qu'il y a des lésions et à en décrire plus ou moins la gravité.

L'enquête ENVEFF, publiée l'année dernière, mais dont les premiers résultats ont été présentés en l'an 2001, a parlé du continuum des violences, a montré qu'elles ne sont pas seulement physiques, mais aussi morales et psychologiques et également sexuelles.

D'après le témoignage des femmes, ces violences morales sont des atteintes très profondes à l'estime de soi, à la capacité d'entreprendre, de développer son autonomie.

Il y a aussi les violences économiques, dont on parle assez peu, le harcèlement juridique, les violences autour de toutes ces procédures : souvent, les maris violents développent des stratégies multiples d'agression juridique, c'est-à-dire portent plainte pour un certain nombre de faits souvent irréels pour contre-attaquer dans le domaine juridique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelles sont les violences économiques ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Le fait de priver quelqu'un de ses ressources, par exemple, dépenser tout l'argent du compte commun, le retirer, empêcher madame de travailler - c'est un des mécanismes les plus courants - pour qu'elle n'ait pas d'autonomie, pour qu'elle ne puisse pas partir, pour qu'elle ne puisse pas prendre de décisions ; l'autonomie au sens le plus large, non seulement l'autonomie économique, mais un projet propre, des idées propres, etc.

L'interdiction aussi est une forme de violence. Cela commence très jeune. Ce sont probablement les signes que l'on doit signaler le plus à la nouvelle génération : quelqu'un qui vous interdit de vous habiller comme ci ou comme ça, qui vous interdit de voir tels et tels amis, qui vous interdit de voir votre famille. Les femmes victimes de violences sont souvent isolées. Le mari violent tisse une toile d'araignée autour d'elle pour l'empêcher, justement, d'avoir recours à la famille.

Cela dit, un certain nombre d'entre elles aussi peuvent nier auprès de la famille ou de l'entourage les violences subies, parce que subir des violences est humiliant. Elles se sentent coupables de ne pas être dignes d'être aimées, coupables de ne pas avoir fait ce qu'il fallait. Elles se font de plus en plus petites pour que monsieur ne se mette pas en colère. C'est difficile. On est à une époque moderne où les femmes ont du succès, les femmes sont partout, les femmes assurent, assument leur vie publique et leur vie privée. C'est un discours très fort dans les médias qui fait que des femmes modernes, qui travaillent, qui sont autonomes dans un de leurs espaces, peuvent aussi subir dans la vie privée le pire et ne pas vouloir ou oser le dire publiquement.

Les violences se développent pratiquement de la même façon, avec très peu de différences ou de toutes petites variations, dans toutes les classes sociales.

L'enquête ENVEFF a pu le démontrer scientifiquement et statistiquement. Dans tous les milieux sociaux, par exemple, on remarque que les jeunes femmes le signalent un peu plus. C'est dû à deux éléments : probablement, au fait qu'elles parlent un peu plus, qu'elles sont un peu plus conscientes, qu'elles ont au téléphone identifié plus facilement les violences dont elles étaient victimes, mais aussi parce que les rapports de force s'établissent au début de la vie conjugale - donc quand les personnes sont plus jeunes - et autour de la maternité.

Il est assez frappant et choquant de voir que les femmes enceintes qui sont dans une relation agressive et violente sont plus souvent victimes de violences. On se demande pourquoi. Alors que le mari qui attend un enfant avec cette femme devrait avoir envie de la protéger, eh bien non : c'est le moment où il se sent probablement écarté, où il sent que quelque chose se développe en elle qui lui échappe, et c'est particulièrement un moment de développement des agressions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je ne le savais pas.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Statistiquement, oui. C'est un phénomène sur lequel il faut encore s'interroger. On n'a pas vraiment analysé au fond cette situation.

Selon moi, quelque chose se développe qui échappe au mari. La femme enceinte est l'objet d'attentions de la part de tout le monde. Elle est sur la sellette, d'une certaine façon. Elle commence à trouver du plaisir à ce qui se passe en elle. C'est insupportable, non pas pour un homme, mais pour un mari violent. 10 % des maris tous les ans exercent des violences dans la vie privée sur leur conjointe, soit 1,5 million de personnes, ce qui n'est pas négligeable en termes statistiques et en termes de santé publique et de conséquences pour la société.

D'autres aspects sont importants, comme l'impact sur les enfants. Probablement, culturellement, c'est encore un des aspects où le sens commun inverse la réalité. Souvent, les juges ou la société pensent que signaler chez un père son comportement violent et le sanctionner, ce serait le déconsidérer aux yeux des enfants, d'où une hésitation. La mère entendrait le père dire : « Tu m'as envoyé en prison » ou l'enfant entendrait : « C'est ta mère qui m'a envoyé en prison », alors que c'est la société qui impose la loi et qui essaie de faire régner la paix dans les ménages.

Cette inversion de la réalité est assez commune, aussi bien dans l'entourage que chez les juges eux-mêmes, qui pourtant sont chargés de faire respecter la loi.

Or, laisser dans l'impunité des violences conjugales, même légères, c'est éduquer les enfants dans la loi du plus fort, dans l'impunité. Ce n'est pas construire la loi, même celle du père, au sens psychanalytique du terme. Dans la psychanalyse - encore que l'on pourrait revoir un peu ces conceptions - un des rôles principaux du père est de marquer des limites et d'inscrire les enfants dans la société, dans la loi des hommes, au sens large du terme.

L'homme violent rompt essentiellement cette loi et, comme le secret est maintenu sur son comportement et qu'il jouit de l'impunité dans la vie privée, c'est une marque indélébile qui reste aux enfants : celle de la loi du plus fort. Pas pris, pas puni. Du moment que personne ne sait, c'est le plus fort qui s'impose.

C'est extrêmement dommageable du point de vue psychologique et éducatif. Probablement, le non-respect de la loi pourrait être lié à un non-respect des limites et de l'intégrité des personnes dans la vie quotidienne depuis l'enfance.

C'est difficile encore à analyser et à faire passer. Le rapport de M. Roger Henrion, professeur de médecine qui, il y a deux ans, a organisé un groupe de travail pour étudier l'impact des violences conjugales sur la santé des femmes, a montré cet impact sur les enfants.

Ceci a des répercussions importantes sur notre conception de l'autorité parentale. Nous avons beaucoup bataillé en 2002 autour de la nécessité de mentionner dans la loi les violences conjugales, comme une exception dans la résidence alternée, par exemple. Nous ne l'avons pas obtenu.

Le sentiment de la société que les pères sont mis à l'écart et qu' il faut leur donner des moyens supplémentaires, voire coercitifs, pour obtenir plus facilement la garde des enfants, va bien dans le sens général, puisque nous, les féministes, réclamons un meilleur partage des tâches et une plus grande participation des hommes dans les soins aux enfants ; mais, dans le cas des violences conjugales, c'est complètement contradictoire.

Considérer qu'un homme violent peut être un bon père, alors qu'il a imprimé dans la psychologie de ses enfants le non-respect de la loi, c'est complètement contradictoire. C'est lui permettre le harcèlement. Or, nous savons que les crimes et les situations les plus graves - malheureusement, nous avons eu un exemple il y a deux jours - arrivent dans les moments de séparation et les moments post-divorce.

Il y a deux insuffisances dans le projet de loi :

Dans la loi sur la résidence alternée ou l'autorité parentale, l'exception pour violences conjugales n'a pas été mentionnée. Nous avions demandé que cela soit introduit dans le projet de loi sur le divorce, et il n'a pas été jugé opportun de remettre le thème de l'autorité parentale dans les décisions post-divorce ;

En ce qui concerne les circonstances aggravantes, qui permettent de réprimer les atteintes aux personnes, les ex-conjoints ne sont pas pris en compte. Or, c'est après le divorce très souvent que les crimes arrivent, lors des séparations. Les atteintes les plus graves sont fréquemment liées à ce moment où madame échappe à l'emprise de monsieur, ce qui lui est insupportable.

Quand le divorce arrive à terme ou quand il a abouti et que la femme a repris de l'autonomie, de la joie de vivre, cela est souvent insupportable à son ex-conjoint ; les faits les plus graves se situent donc très souvent dans ces circonstances.

Nous en avons malheureusement - nous en parlions ce matin - un exemple absolument tragique : monsieur tue sa femme et ses enfants, ou tue sa femme ou ses enfants et se suicide. Nous avons un dossier sur ces soi-disant faits divers ou crimes passionnels, ainsi nommés dans l'usage courant, qui étaient l'objet d'ailleurs de circonstances atténuantes par le passé.

Cela continue, dans la culture ou dans l'esprit des personnes et même parfois des juges, à fonctionner comme des circonstances atténuantes, alors que ce sont des circonstances aggravantes. Mais cette loi est en application depuis à peine dix ans et les mentalités sont plus lentes à évoluer.

Voilà le panorama de notre activité.

Les associations reçoivent les personnes en urgence ou en séjour plus long. Elles ont cependant du mal à fonctionner. Les années de campagne « briser le silence » ont fait leur effet. La demande d'hébergement dépasse largement les capacités d'intervention. Souvent, les rendez-vous sont donnés à dix ou quinze jours, et les associations essaient de trouver des moyens, par exemple en s'associant, pour recevoir les femmes le plus vite possible.

L'urgence ne touche qu'une partie de cet hébergement. Elle est toujours relative, car recevoir une personne pour une ou deux semaines, un mois voire deux, souvent, c'est déjà la préparer à repartir et à trouver une solution. C'est un travail très intense pour régler des problèmes pratiques immédiats et la remettre dans la dynamique de chercher des solutions, faire le virage entre subir, subir, subir, patienter et se faire de plus en plus petite et reprendre sa vie en main. C'est ce déclic que les associations travaillent le plus avec les femmes en situation d'urgence.

Ensuite, dans les CHRS, les lieux d'hébergement et de réinsertion sociale, des séjours sont prévus pour trois ou six mois. La moyenne est plutôt d'un an actuellement, voire deux, non pas que les femmes ne se remettent pas relativement rapidement par rapport à d'autres situations précaires ou d'autres types de populations accueillies, plutôt touchées par la précarité ou la pauvreté (les femmes n'ont pas forcément tous les problèmes en même temps : elles sont victimes de violences, mais ont des capacités qu'elles remettent en jeu, elles trouvent du travail, un logement, résolvent les problèmes des enfants), mais la crise du logement social actuelle maintient dans les CHRS beaucoup de femmes qui sont déjà en conditions personnelles de pouvoir assumer un logement indépendant.

C'est la crise de tous les CHRS, le problème du droit d'asile. Il existe un engorgement des lieux d'hébergement d'urgence à moyen terme, à cause de la crise du logement social. Il faudrait travailler toute cette filière pour trouver des solutions plus efficaces.

Quand il n'y a pas hébergement, de toute façon, il y a un accompagnement juridique et psychologique pour reprendre sa vie en main et prendre des décisions : accompagnement dans les divorces, au pénal et au civil.

Nous souhaitons cette meilleure articulation entre le pénal et le civil. Nous avons apporté quelques documents pour illustrer notre propos : une présentation de la Fédération, d'autres exemplaires de la présentation du service téléphonique, expliquant comment se passe l'écoute.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qui répond aux appels : des psychologues ou des bénévoles ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Ce sont différentes professions. Il ne s'agit pas de faire des thérapies ; donc, si nous avons des psychologues, elles n'interviennent pas en tant que telles, mais pour écouter les personnes. Souvent, ces dernières ne savent pas si ce qu'elles vivent est ou non de la violence.

C'est l'une des questions les plus fréquemment posées : « Est-ce de la violence ? Voilà ce qui m'arrive : est-ce normal ? ». Elles veulent entendre quelqu'un leur dire : « Non, ce n'est pas normal. Non, il n'a pas le droit. Même si la soupe n'est pas chaude, il n'a pas le droit de vous frapper ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout de même !

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je le dis de façon caricaturale. « Même si vous l'énervez, il n'a qu'à partir. Il n'a pas le droit de vous frapper, quelles que soient les circonstances, quel que soit le conflit ». Il faut bien faire la différence entre conflit et violence. Il faut faire passer ce message.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est-à-dire ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans un conflit conjugal, les deux personnes sont à égalité. Deux êtres ne sont pas d'accord. Ils peuvent connaître des moments difficiles, mais ils se respectent fondamentalement.

La violence, c'est quand une personne écrase l'autre systématiquement et peu à peu cherche à la détruire. Ce sont deux processus tout à fait différents. La violence conjugale est un processus de destruction de l'autre personne : tout faire systématiquement pour saper son autonomie, son indépendance, pour la dénigrer de façon permanente.

C'est pourquoi les violences psychologiques accompagnent toujours les violences physiques, même si l'on ne réagit que quand il y a des coups ou des atteintes physiques trop visibles. Les violences psychologiques, c'est le dénigrement systématique, dire à la personne qu'elle ne vaut rien, qu'elle ne fait rien de bien, qu'elle est moche... Je ne vous fais pas la liste de toutes les insultes et de toutes les horreurs que l'on peut entendre au service téléphonique.

Par exemple, une femme de 70 ans téléphone pour dire que son mari appelle ses amis et la soumet à des sévices sexuels avec tous ses copains. Cela n'existe pas que dans les banlieues. On entend qu'un monsieur agriculteur, dans la France profonde, pratique aussi ce genre de chose pour son amusement, son divertissement. Souvent, c'est difficile à écouter.

Les écoutantes sont de différentes professions : enseignantes, etc.

M. Patrick Delnatte : Dans le domaine de la violence physique, il peut y avoir un problème de constat, mais il n'y en a pas sur la nature de la violence.

Dans le domaine psychologique, vous nous avez fait des descriptions de l'enfer, si je puis dire. Or, nous recevons aussi des associations de pères, qui nous décrivent des situations, relevant plus du psychologique que de la violence physique, qui ne sont pas faciles à vivre.

Dans ce domaine psychologique, ce n'est pas uniquement la femme qui est victime : l'homme peut l'être aussi. Je ne connais pas les statistiques, mais, d'après les témoignages, il existe des situations extrêmement difficiles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La violence physique est visible, mais la violence psychologique est plus difficile à percevoir.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une petite remarque sur cette observation : il faudrait arriver à ne pas faire le parallèle entre les associations de pères et les associations de femmes.

Les pères ne sont pas forcément des hommes violents. Nous ne parlons pas des pères en général, mais des hommes violents. Nous savons que parmi les pères éventuellement entrés dans une association pour défendre leurs droits, il peut y avoir des hommes violents ; ils n'ont pas intérêt à montrer qu'ils ne sont pas tout à fait clairs dans leurs actions.

Mais il ne faut pas opposer les associations de femmes, qui défendent les femmes en général, mères ou pas, conjointes dans ce cas-là, aux associations de pères.

En revanche, les associations de pères ont exercé une forte pression pour la résidence alternée. On pourrait faire quelque objection à ce que la résidence alternée puisse être imposée. Elle demande tellement d'habileté et d'accord dans la vie quotidienne qu'entre deux personnes qui ne s'entendent pas du tout, c'est probablement la pire des solutions pour l'enfant.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est contraire à l'intérêt de l'enfant.

M. Patrick Delnatte : Dans le texte du projet de loi, on ne revient pas sur l'autorité parentale. Ce n'est pas le problème aujourd'hui.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous ne pouvons pas nier qu'il puisse y avoir quelques situations inversées de violences exercées par une femme sur un homme. Cependant, il faudrait bien les analyser.

Dans quels cas toutes les conditions sociales (avoir davantage de revenus, contrôler ceux de l'autre, contrôler sa vie personnelle, contrôler son estime de soi, le contrôler psychologiquement et par rapport aux enfants, le frapper physiquement) peuvent-elles être réunies pour qu'une femme exerce ces violences ?

Ce dont certaines associations masculines se plaignent, c'est du discours insupportable de certaines femmes : elles les embobinent, se plaignent, etc. Face à une relation insatisfaisante, désagréable, il faut rompre probablement. C'est un des cas où il faut arrêter ce cercle vicieux, et les nouvelles formes de divorce sont prévues pour ces cas où la vie est insupportable.

Il faut sanctionner aussi la femme qui passe son temps à épuiser l'autre, ses ressources, etc., mais l'on en rencontre assez peu statistiquement.

En tout cas, il n'y a pas de symétrie du tout : c'est à 95 % dans un sens. Mais il peut exister des cas de femmes, qui ont à la fois un pouvoir économique, un pouvoir psychologique, une emprise sur un homme et qui tissent une toile d'araignée autour de lui.

Nous avons parfois aussi quelques appels d'hommes violents qui souhaitent parler de leur situation : 20 à 30 appels par an, soit 2 %.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelles explications donnent-ils de leur violence ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Ils expliquent qu'ils perdent le contrôle d'eux-mêmes. Quelques-uns souhaitent avoir une aide psychologique pour sortir de la spirale. Ils aiment leur femme, mais, chaque fois qu'ils sont exaspérés, qu'ils ont des problèmes à l'extérieur, ils les résolvent dans la vie privée.

De même, une mère peut se sentir exaspérée, taper sur ses enfants et se dire : « Ce n'est pas bien, je ne veux pas continuer, chaque fois que je suis exaspérée, je tape sur mon enfant, donc je veux changer ». Des hommes aussi en prennent conscience.

Nous nous intéressons, depuis peu, en tant que Fédération, à toutes les initiatives pour aider les hommes violents. Historiquement, les associations de femmes se disaient : « Est-ce à nous de les prendre en charge ? Ils se présentent comme des victimes, ils se disent malheureux, etc. ». C'était un peu difficile, mais la situation a évolué et des associations de notre réseau sont en lien avec des associations - il y en a très peu en France - qui font de l'intervention.

Cela peut se faire aussi par des accords avec le procureur qui, au moment où il prend des sanctions, propose un appui et une forme d'intervention ou de réflexion aux hommes violents.

Des expériences ont lieu actuellement à Cergy, à Saint-Etienne, à Marseille, à Paris, à Belfort, à Limoges. Nous participons à un projet européen d'évaluation de ces formes d'intervention, pour savoir si les hommes évoluent, si cela fonctionne, si c'est efficace et quelle est la relation entre la sanction et l'appui personnel psychologique.

Nous avons défini quelques prérequis. Les mêmes associations n'interviennent jamais auprès de la femme et auprès de l'homme. Les femmes ne comprendraient pas de croiser des hommes dans les mêmes lieux ; aussitôt, elles projetteraient leur propre histoire sur la situation vécue. Donc, il faut vraiment des acteurs différents.

Par ailleurs, nous ne participons à des groupes de réflexion que quand il y a respect de la loi, c'est-à-dire sanction, et non médiation pénale.

C'est un des sujets sur lesquels nous pourrons revenir. Nous pensons que la médiation familiale dans le cas du divorce, la médiation pénale s'il y a plainte est inappropriée en cas de violences. Elle met les personnes de nouveau sur un pied d'égalité. Elle ne reconnaît pas qu'il y a violence, donc délit. Elle ne rétablit pas la loi. Elle fait grandir un sentiment d'impunité chez l'agresseur et elle conduit tout droit à la récidive.

M. Patrick Delnatte : Nous avons auditionné les médiateurs. Ils sont d'accord : la violence ne doit pas entrer dans le jeu de la médiation au début, mais, après, il peut y avoir des processus de médiation ; ils ne sont pas incompatibles avec des comportements violents dans le passé.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous sommes d'accord.

M. Patrick Delnatte : Exclure totalement la médiation en cas de violences conjugales... Cela dépend à quel moment.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans la première étape.

M. Patrick Delnatte : Mais, après, il ne faut pas l'exclure. Le mettre dans le texte serait même assez dangereux.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Evacuer le problème et le renvoyer tout de suite en médiation familiale dans le cas du divorce est une pratique courante. Il faudrait donc la faire évoluer. Si on ne le signale pas dans le projet de loi, elle est pratiquée dès le départ et conduit à des dénis de justice fréquents.

M. Patrick Delnatte : Je parle de la médiation familiale du divorce, qui n'est pas imposée, mais proposée, à la différence de la médiation en matière d'autorité parentale, qui peut être imposée par le juge. Dans le projet de loi relatif au divorce, elle n'est pas imposée, mais proposée. Il y a une information sur la médiation et, après, si le couple l'accepte, il fait une médiation.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans l'article 255 du code civil, dans un premier temps, le juge peut proposer, mais, dans l'actuel projet de loi, il y a une deuxième possibilité : le juge peut enjoindre.

M. Patrick Delnatte : Il peut enjoindre une information. On est toujours dans le domaine de l'information. Par manque de moyens, souvent, dans les tribunaux, c'est une information collective. On en a eu l'expérience à Lille. Je pense qu'il faudrait aller plus loin, parce que le financement de l'Etat sera assuré pour cette information. Il y a deux hypothèses : proposer ou enjoindre, mais c'est toujours une information, et non une médiation obligatoire.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est gênant dans le cas évoqué précédemment de rapports de domination, quand l'un est sous la coupe de l'autre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le juge peut enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur, qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation.

M. Patrick Delnatte : Les juges que l'on a rencontrés n'imposeront jamais une médiation ou une information quand il y a des situations de violences. Avez-vous des exemples actuellement ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On donne une importance énorme au juge seul, qui va prendre une décision à l'écoute du couple. Or, quand la personne vient en tentative de conciliation et qu'il existe véritablement une situation de violences conjugales - nous faisons la différence avec le conflit - quand l'un a l'emprise sur l'autre, avec une déstructuration complète de la personnalité de la femme, elle a tendance, devant celui auquel elle prête tous les pouvoirs et qui sait en jouer, à s'effacer et à ne plus dire ce qu'elle veut, donc à accepter tout.

Là, le juge a une grande responsabilité. Il rencontre les personnes très rapidement. Devant quelqu'un qui dira oui, il aura tendance à prendre une décision rapide ne reflétant pas la situation. Proposer ou même enjoindre une information, cela peut, à ce stade, avoir des conséquences sur tout le reste de la procédure, quand il y a des violences conjugales et notamment psychiques.

M. Patrick Delnatte : Dans notre hypothèse, on est dans le cadre de violences reconnues, donc du divorce pour faute, celle-ci étant beaucoup plus orientée vers la violence. Je ne vois pas un juge qui imposerait une information sur la médiation dans le cadre de divorce pour faute en raison de violences. Je me permets de rappeler que 80 % des divorces sont demandés par les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis beaucoup plus nuancée. Je crois que l'on n'a pas la perception exacte de ces violences. C'est un monde que l'on cache. Même le juge ne vit pas cette situation. Donc, il va essayer de calmer le jeu.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans la pratique, quand la médiation a commencé à être instaurée - et c'est une bonne solution dans bien des cas, fort heureusement - on a eu des cas où le juge aux affaires familiales disait : « On va régler la situation par la médiation d'entrée de jeu » ; on a perdu du temps et les situations pourrissaient. Maintenant, on a déjà un petit recul par rapport à certaines de ces décisions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est pas de la mauvaise volonté de la part du juge, au contraire.

M. Patrick Delnatte : Là, le juge imposait une médiation. Ici, il peut enjoindre une information.

Tous les médiateurs que l'on a rencontrés nous ont dit : « On ne peut pas traiter lorsque la violence conjugale existe, ou seulement dans un deuxième temps ». En l'introduisant dans le texte, on risque de faire perdre à une information qui n'est pas une médiation des possibilités, parce que, si la violence physique est très nettement caractérisée, la violence psychologique est plus difficile à percevoir.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est le mot « enjoindre » dans la loi qui me gêne. On peut proposer, mais enjoindre a un caractère péremptoire.

Enjoindre veut dire : « Vous n'avez pas le choix : vous passez à l'information ». Dans le projet de loi, on a le tronc commun. A part le consentement mutuel, on ne connaît pas quel sera le choix de la procédure ultérieure. Or enjoindre, dans des situations de violences, même une information, c'est terrible, parce que la personne dira amen.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On est dans le rapport dominé/dominant. En présence du dominant, le dominé dira oui.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je voudrais revenir sur la perception des violences par le juge. Je crois qu'il y a une sous-estimation même des violences physiques. Quelles sont les preuves dans ce cas ? Le certificat médical. Les médecins hésitent énormément à donner des ITT, qui pourraient permettre au pénal de mesurer la gravité et éventuellement de sanctionner.

Pour l'illustrer, j'ai ici deux certificats médicaux.

L'un dit : « Une femme porteuse d'un hématome au front. Ecchymose à l'œil droit avec hémorragie conjonctivale. La vue est conservée. Egratignures à la tempe droite, ecchymose sur le cuir chevelu. Enceinte de six mois. Le fœtus bouge bien. ITT : 0 ».

L'autre concerne également une femme : « Traumatisme crânien avec perte de connaissance, hématomes, etc. Violences sexuelles avérées. Contusions, etc. Les lésions entraînent, sauf complication, une incapacité totale temporaire de deux jours et un arrêt de travail de quinze jours ».

La conception de l'ITT est complètement variable selon les médecins. C'est un problème qui se discute dans des commissions entre juristes et médecins ; c'est très compliqué. Pour certains médecins, l'incapacité totale de travail, c'est être grabataire. Pour certains, c'est ne pas pouvoir bouger physiquement. Cette personne peut encore bouger ; donc, on ne lui donne que deux jours d'ITT. En revanche, elle n'est pas en capacité de travailler.

Dans ce cas concret où un médecin a donné deux jours d'ITT, cela ne va pas être sanctionné pénalement, mais peut-être classé sans suite. Or, les circonstances sont assez graves.

Ce lien entre le pénal et le civil n'est pas fait. Quand on a la conception qu'au pénal ce sera bien sanctionné, au civil, on va pacifier les choses et régler la vie conjugale, le problème des enfants, etc. Quand au pénal, ce n'est presque pas sanctionné, il n'y a pas cet équilibre au civil et, donc, les violences ne sont pas reconnues non plus. C'est tellement évident qu'on ne le dit pas ; or, il vaudrait mieux quand même le dire. Il y a des choses tellement évidentes qu'on ne les dit jamais, et on retombe un peu dans le cercle vicieux.

Il faudrait mentionner les violences conjugales dans certains cas, par exemple pour signifier que la médiation pénale est alors inappropriée ; sinon, on n'arrive pas à avancer dans les perceptions des juges. Pourquoi, quand quelque chose est tellement évident et que tout le monde est d'accord, ne pas le dire ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le travail du juge est vraiment très délicat.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Souvent, il n'a pas les éléments suffisants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai été enseignante. Quand on a en face de soi un enfant battu, s'il a des traces, on le voit, mais, s'il s'agit d'une maltraitance psychologique, il faut un certain temps pour le sentir. Il en est de même de la violence conjugale.

Mme Marie-Dominique de Suremain : C'est dans la durée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, et il faut dire que le juge, avec toutes les affaires qu'il doit traiter, n'a pas le temps de s'attarder sur le cas de la femme battue. Si elle n'a pas des ecchymoses et autres, allez le prouver !

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On bute chaque fois sur le problème du système de la preuve. On voit des décisions de justice, avec des certificats médicaux, conduire à un débouté de la demande en divorce pour cause de violences, parce que le médecin n'écrit pas que le mari est l'auteur de ces violences ; sinon, le certificat médical justifierait une sanction. D'où le problème de la corrélation entre le certificat médical et l'auteur, même au niveau de la preuve.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Souvent, le médecin ne mentionne pas qui est l'auteur du fait.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il ne peut pas.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Si. Il peut relever les paroles de madame. Il peut dire : « Madame se présente et me dit que... ». C'est un témoignage, qui a une réalité très concrète. Dans les modèles de certificats médicaux que nous essayons de promouvoir, que le Professeur Henrion promeut et que les associations de médecins qui travaillent sur le sujet proposent, le médecin doit relever toutes les paroles de la victime. Cela donne un élément de base.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ces situations s'amplifient-elles ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Les violences psychologiques, oui. On en voit beaucoup plus aujourd'hui qu'autrefois.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Les femmes parlent plus. C'est peut-être une réaction à leur changement, certains hommes n'acceptant pas l'évolution des mentalités.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On avancera au civil quand au pénal on réussira à utiliser pour les femmes les lois qui existent. La violence physique sur conjoint ou concubin est tout de même un délit aggravé.

Or, la jurisprudence des tribunaux et des cours a tendance à moins sanctionner l'auteur des violences physiques du conjoint ou du concubin parce que, justement, c'est le conjoint ou le concubin. Les sanctions seront des peines d'emprisonnement avec sursis généralement.

Je connais un cas : monsieur est à peine sorti du tribunal correctionnel. Les réquisitions ont été sévères. Il a interjeté appel et, deux jours après, il a recommencé sur sa femme et, pour l'instant, rien ne se passe.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Je vous ai apporté quelques exemples de certificats médicaux sans ITT, de plaintes classées sans suite, de droits de visite normaux et d'hébergement pour les hommes violents, de résidences alternées imposées en contexte de violences, - alors que, logiquement, si tout est si évident, cela devrait être évité - de résidences principales des enfants attribuées à des hommes violents et de femmes victimes divorcées aux torts exclusifs ; quelques exemples qu'a relevés notre association de Grenoble pour illustrer notre propos.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : J'ai eu une décision hier. Il a été fait droit à la demande de l'épouse, qui avait des certificats médicaux multiples et circonstanciés, et droit à la demande reconventionnelle du mari qui disait que son épouse était fragile psychologiquement, et la motivation du bien-fondé de sa demande reconventionnelle était qu'il devenait violent à cause de cette « fragilité psychologique » de son épouse !!

M. Patrick Delnatte : Cela ne pourra plus se passer ainsi, parce que le juge sera obligé d'examiner d'abord la demande de divorce pour faute et, au cas où celui-ci ne sera pas accepté, il passera à la demande reconventionnelle, mais il devra examiner en premier le divorce pour faute.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : A partir du moment où il dit qu'il est violent parce qu'elle est fragile, ce n'est pas une faute. Comment voir la faute ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : La demande reconventionnelle du mari était fondée sur la fragilité psychologique de l'épouse. Donc, le juge - et l'article est maintenu - pour faire droit à la demande reconventionnelle du mari, tire argument d'un comportement de l'épouse considéré comme fautif. Il écrit que la fragilité psychologique de l'épouse est une faute !

Mme Marie-Dominique de Suremain : Sur le domicile, nous avons quelques propositions à faire. Nous vous avons apporté un document. L'article 22 du projet sur l'éviction du conjoint violent nous paraît constituer une avancée, mais il faut probablement le rendre plus concret.

M. Patrick Delnatte : Il ne faut pas tomber dans le droit commun de l'expulsion. On y travaille.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avec tous les aspects financiers que l'on avait mentionnés.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : On avait pensé à l'astreinte civile.

M. Patrick Delnatte : Faites des propositions. On se situe avant la procédure de divorce, donc, dans le droit commun du mariage.

Mme Marie-Dominique de Suremain : On demande que la mesure soit prise de façon contradictoire.

M. Patrick Delnatte : Ce sera - cela a été dit au Sénat et le Gouvernement y tient - dans le code de procédure civile. On ne peut pas le mettre dans le texte de la loi. Le ministre l'a annoncé. Cela ne relève pas de la loi, mais du règlement et du code de procédure.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Vous nous avez demandé si nous pourrions craindre que l'emprise ne se reproduise dans l'audience contradictoire ? Non. Nous pensons qu'il faudrait, dans tous ces cas, avoir l'aide juridictionnelle automatique pour les femmes victimes de violences.

Appuyée par un avocat, nous ne craignons pas une procédure contradictoire, et elle nous paraît une garantie que des décisions soient prises, parce que l'effet pourrait être inverse : s'il n'y avait pas de procédure contradictoire, les juges seraient moins enclins à utiliser cette mesure, puisqu'elle paraîtrait relativement inéquitable ou pourrait être ressentie comme injuste. Donc, il nous paraît bien que les recommandations soient faites pour le code de procédure civile, pour qu'elle soit contradictoire et appuyée sur une aide juridictionnelle automatique sans délai, ce qui éviterait d'être en prise directe et permettrait d'avoir l'aide d'un avocat.

Ensuite, l'astreinte financière.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Nous proposons une astreinte par jour de maintien dans les lieux. Elle sera liquidée ensuite par le juge du divorce. Si on donne l'autorisation de résidence séparée avec maintien dans les lieux à l'épouse, le mari ne partira pas. On le voit quand on donne un délai. Actuellement, il y a attribution du domicile conjugal, au niveau de la tentative de conciliation, à l'épouse, avec délai au mari pour partir d'un à trois mois. S'il se maintient à l'issue des trois mois, c'est l'expulsion. On n'y arrive pas et, souvent, de guerre lasse, c'est elle qui s'en va.

M. Patrick Delnatte : Que comprend l'astreinte financièrement ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Le juge l'évaluera à partir des éléments qu'il aura. S'il y a une procédure contradictoire au moment de la demande de résidence séparée, les deux parties pourront être entendues. On saura quelles sont les facultés contributives de celui qui peut la payer, pour éviter des impossibilités d'exécuter. En matière civile, en droit commun, si quelqu'un n'exerce pas son obligation, le juge peut l'y contraindre par cette sanction civile qui est une menace : l'astreinte.

M. Patrick Delnatte : Est-ce pour subvenir aux frais du ménage ?

Mme Marie-Dominique de Suremain : Non. C'est une sanction.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est pour l'obliger à partir. Si le juge dit : « J'attribue à l'épouse, parce qu'elle a subi des violences, le domicile conjugal. Je vous donne l'autorisation... », en rappelant le délai de trois mois, etc., il va dire : « Monsieur, vous avez compris, puisque c'est une audience contradictoire, que vous devez maintenant vous organiser et partir. Si vous ne partez pas tout de suite, par jour de maintien dans les lieux, vous paierez telle somme », par exemple 50 € ou moins, peu importe !

M. Patrick Delnatte : Cela ne le désengage pas de la charge du loyer, etc. ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Non, cela n'a rien à voir. C'est pour le faire partir physiquement, pour qu'il respecte cette obligation qu'on lui donne. C'est un outil que l'on a en droit commun : autant l'utiliser.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je crois que M. Patrick Delnatte étudie ce problème avec la Chancellerie.

M. Patrick Delnatte : On cherche à ce que la procédure d'expulsion classique ne s'applique pas dans ce cas. Le problème des astreintes n'a pas été évoqué.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est intéressant juridiquement. A qui sera opposable cette astreinte ? Le juge la fixera comme une menace, mais elle sera opposable seulement à l'autre époux, pas aux tiers. Cet instrument existe dans le code. Il est simple et efficace. Cela nous évitera d'aller au pénal.

Mme Geneviève Levy : Dans l'objectif de simplification, cette astreinte, sanction civile, n'est pas inintéressante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce peut être une proposition de la Délégation.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Est-ce qu'on peut la faire figurer dans le texte de la loi ou est-ce que cela relève de la procédure ? Je crois que c'est un élément fondamental qui doit figurer dans le texte de la loi, et non dans la procédure. Ce n'est pas simplement procédural. C'est quelque chose qu'au moment du débat contradictoire pour l'attribution du logement les deux parties vont pouvoir connaître. On ne peut pas appliquer une astreinte à quelqu'un qui ne connaît pas cette menace et qui ne connaît pas son droit.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : L'astreinte est une excellente idée.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Dans les pays où cette mesure est appliquée, elle est encore plus efficace : elle est policière. C'est le cas en Autriche, par exemple, où elle a déjà deux ou trois ans. En France, ce n'est pas le mécanisme proposé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette annonce de l'éviction du conjoint violent m'a toujours beaucoup souciée, parce que, si elle n'est pas suivie d'effets, c'est que le texte n'est pas suffisant.

La Délégation peut proposer cette astreinte financière.

M. Patrick Delnatte : Il faut voir si cela relève de la loi ou du code de procédure, mais, en soi, l'idée paraît intéressante.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une autre proposition de notre commission : la recommandation que ce soit le même juge qui prenne les premières décisions et qui ait ensuite à s'occuper du divorce, pour assurer une cohérence et une continuité entre les deux procédures. Je ne sais pas si cela peut être spécifié dans la loi.

Déjà, la situation est difficile avec trois juges : le juge pour enfants, le JAF et le juge au pénal, qui souvent ont à voir la même situation et prennent des décisions dans des sens différents. Avec le texte actuel, ce ne seront plus trois, mais quatre juges qui seront concernés par l'affaire.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Ce serait plus simple.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais ce sera difficile à gérer parce qu'on touche au fonctionnement d'un tribunal.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : C'est une attribution du JAF.

M. Patrick Delnatte : Il est variable d'un tribunal à un autre. De même pour la liquidation du régime matrimonial : un juge peut s'occuper de la procédure, un autre de la liquidation.

Mme Marie-Dominique de Suremain : C'est une recommandation. Il est vrai que cela est assez compliqué à gérer et aboutit souvent à des incohérences.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On peut l'introduire dans les recommandations.

M. Patrick Delnatte : On ne peut pas imposer. Les juges dans les tribunaux sont de plus en plus mobiles.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : En fonction des dossiers, les juges changent, mais, au moins, il s'agit des mêmes cabinets, avec les mêmes antériorités. Avec l'informatique, c'est facile.

Par exemple, actuellement, dans le cadre de la loi de 1975, un conjoint initie une procédure selon l'article 233 du code civil. Si l'autre époux ne reconnaît pas les faits, il y a caducité de la demande en divorce. Quelques mois plus tard, cette même personne se décide, parce que c'est le seul outil dont elle dispose, à initier une procédure selon l'article 242 du code civil. Grâce au système informatique, le service de l'enrôlement va confier l'affaire au même cabinet de JAF, et l'ancien dossier sera alors ressorti.

Il serait également pratique de préciser que le juge aux affaires familiales va connaître de l'autorisation de résidence, mais c'est peut-être plus procédural.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Une autre proposition : que cette mesure puisse être prise éventuellement à différentes étapes du divorce, c'est-à-dire que, si elle n'a pas été prise avant le divorce, elle puisse intervenir à un autre moment, cela pour tenir compte des allers-retours et des difficultés des femmes, sachant que certaines reviennent au domicile. On ne doit pas leur faire grief à un moment donné d'être revenues, mais comprendre qu'elles ont pu croire que la situation s'améliorait et que ce n'est pas le cas. Si à un moment donné la femme a renoncé ou est partie d'elle-même et revient, cette procédure doit pouvoir intervenir à différents moments, quand le juge en est saisi. Elle ne doit pas être pénalisée d'un retour au domicile.

M. Patrick Delnatte : Dans le cadre des mesures provisoires, qu'est-ce qui interdit à un juge de le faire ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Actuellement, le juge ne peut modifier une mesure provisoire qu'il a prise en cours de procédure par la voie de ce que l'on appelle l'incident que si l'on apporte la preuve d'un élément nouveau ; sinon, il ne fait pas droit à la demande.

Or, là, s'il en est de même avec les allers-retours, ce n'est pas véritablement un élément nouveau. Actuellement, on peut à tout moment saisir le juge en cours de procédure, mais il ne fera pas droit à la demande s'il n'y a pas d'élément nouveau. C'est une règle globale.

M. Patrick Delnatte : Et la violence ?

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Si elle existait au départ et existe après, on va dire que ce n'est pas un élément nouveau. Le problème est celui des allers-retours, de la difficulté d'expression par celle qui subit des violences. L'interlocuteur s'interroge. Par moment, c'est énervant. Il faut dépasser cela et essayer de comprendre. Il peut penser qu'elle est versatile s'il n'y a pas véritablement d'élément nouveau.

Il faudrait pouvoir permettre cela sans cette notion d'élément nouveau.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Voilà nos propositions. Nous vous laissons quelques documents sur la situation des femmes immigrées, les mariages forcés, la médiation pénale, l'articulation entre le code pénal et le code civil.

Nous n'avons pas abordé la situation des concubins, mais nous sommes dans le cadre du divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un problème qu'il faudra aborder un jour.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Celui des concubins et des ex. Une auditrice de justice en stage chez nous a élaboré une proposition de loi pour élargir aux ex-conjoints le concept du caractère aggravant des violences. Actuellement, les concubins et les conjoints sont concernés, mais pas les ex-conjoints.

Me Maryvonne Boulet-Ansquer : Dans le code, il y a la loi sur l'exercice de l'autorité parentale, la loi sur le divorce, mais rien sur les ex.

Mme Marie-Dominique de Suremain : L'ex-conjoint est une personne quelconque par rapport à une violence.

M. Patrick Delnatte : On est là dans un cadre pénal. On ne va pas recréer des liens une fois le divorce prononcé. Au contraire, on cherche plutôt à éviter les contentieux post-divorce.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous vous signalons des sujets de réflexion futurs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous aurons l'occasion de vous entendre de nouveau. Votre audition a été très instructive.

Mme Marie-Dominique de Suremain : Nous sommes heureuses d'avoir eu l'occasion de nous exprimer. Merci beaucoup de cette invitation.


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