DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 20

Mardi 15 juin 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Danièle Touchard, directrice du Bureau des Temps à la mairie de Rennes.

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- Audition de M. André Daguin, président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH)

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La Délégation aux droits des femmes a entendu Mme Danièle Touchard, directrice du Bureau des Temps à la mairie de Rennes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous sommes heureux d'accueillir Mme Danièle Touchard, directrice du Bureau des temps à la mairie de Rennes et ancienne déléguée à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l'administration municipale. La création d'un Bureau des temps dans chaque commune était l'une des recommandations formulées par M. Edmond Hervé, maire de la ville de Rennes, dans le rapport « Le temps des villes », qu'il avait remis en juin 2001 à Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à M. Claude Bartoloné, ministre délégué à la Ville. Mais il n'en existe pas dans toutes les villes ?

Mme Danièle Touchard : Leur nombre augmente cependant. Il y en a à Nancy, Paris, Rennes, Poitiers, dans le département de la Gironde, le territoire de Belfort, le département de l'Isère, à Grenoble et à Marseille. Ces Bureaux des temps commencent à se développer, mais c'est une idée complexe à expliquer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous souhaitons connaître votre réflexion quant au travail que vous réalisez au sein de ce Bureau, mais aussi savoir la façon dont vous avez mené cette mission sur les temps, aussi bien le temps de travail, que le temps professionnel et le temps familial.

Nous aimerions, d'une part, connaître le bilan de la ville de Rennes et, d'autre part, obtenir des éléments précis et concrets sur les actions menées, leurs conséquences pour les employeurs et les personnels, notamment en termes de satisfaction au travail, et leurs insuffisances éventuelles.

Mme Danièle Touchard : Je me propose de dresser un tableau général, puis de répondre sur les évaluations en cours et passées, notamment en matière d'égalité.

Bien que la préoccupation de cette Délégation soit le travail à temps partiel, je voudrais d'abord en quelques mots évoquer la ville de Rennes et son travail sur cette question depuis presque vingt ans. Travailler sur les temps - sans encore s'appeler Bureau des temps - ainsi que sur l'égalité témoignaient d'une volonté forte du maire et des responsables de l'administration municipale, qui s'exprimait parfois de manière très volontaire, mais aussi, dans certains cas, de manière contingente.

Nous avons d'abord travaillé au sein de l'administration municipale, et nous essayons maintenant d'élargir ce travail à l'ensemble de la ville, à partir des connaissances acquises en interne.

Rennes est la capitale de la Bretagne. Elle compte 213 000 habitants au sein d'une agglomération de 38 communes, qui totalise 330 000 habitants. Il s'agit de petites communes, puisque de 213 000 habitants à Rennes, nous passons à 330 000 habitants pour l'agglomération. Seules deux communes dépassent 10 000 habitants dans la couronne. La situation n'a rien de commun avec celle de villes proches, comme Nantes, par exemple.

Nous avons également un statut de capitale universitaire, puisque nous accueillons 55 000 étudiants.

Depuis les années 70, l'industrie automobile (PSA) ainsi que des activités liées aux hautes technologies sont venues s'installer et s'appuyer sur l'université, notamment sur la faculté de sciences.

Plusieurs éléments ont créé ce cadre favorable à l'expérience rennaise sur « temps et égalité » : les excellentes performances scolaires et universitaires des filles en Bretagne ; un maillage associatif fort, notamment dans le domaine de l'égalité femme-homme, dont sont issus nombre d'élus et de femmes élues ; un intérêt ancien pour l'Europe qui a conduit les acteurs à s'appuyer sur le droit européen comme levier pour l'égalité ; la longévité des équipes municipales, car ce sont des problématiques qui demandent du temps, et il est vrai que deux maires seulement - des universitaires - se sont succédés, M. Henri Fréville, centriste, de 1953 à 1977, puis M. Edmond Hervé depuis 1977, à la tête d'une municipalité de la gauche plurielle ou d'union de la gauche ; la mise en place des trente-cinq heures dès 1983 dans l'administration qui a obligé à poser la question de l'organisation du temps...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dès 1983 ?

Mme Danièle Touchard : Oui. Cela se passait dans le cadre de contrats de solidarité signés avec l'Etat pour créer des emplois. A l'époque, avaient été créés près de 450 emplois, même si ce nombre a donné lieu à discussion. Nous n'avons pas créé de postes de maçon, par exemple, mais nous avons créé les aides ménagères ou les bibliothèques de quartier. C'était en 1983.

Dernier élément, une culture de concertation, puisque le comité de développement a été créé dès 1986, et d'inter-communalité : le district avait été mis en place sous le mandat de M. Henri Fréville, précédent maire.

Comment s'est passée cette prise de conscience que le temps peut être un élément de discrimination entre les hommes et les femmes ? Si c'est une évidence aujourd'hui, cela ne l'était pas en 1990.

Au début des années 90, Rennes était bien placée et on saluait sa qualité de vie, jusqu'à ce qu'un article publié dans Biba place Rennes en douzième position sur seize villes, créant un grand émoi chez les élus. Mme Anne Cogné avait notamment dit : « Mais nous faisons beaucoup pour les femmes en termes de crèches, d'accueils pré- et péri-scolaires, et nous sommes très mal placés ». Le décalage était lié notamment aux bonnes performances scolaires et universitaires des filles, mais à leur sous-représentation dans les postes d'encadrement. (Maintenant, elles sont aux postes d'encadrement, mais elles ne sont toujours pas dans les postes de direction).

Cette même année 1990, une étude a été conduite sur les trajectoires des femmes cadres au sein de l'administration municipale, qui représente 4 000 personnes et 200 métiers avec...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : 4 000 personnes ?

Mme Danièle Touchard : En effet, l'administration municipale comprend notamment 400 personnes dans les crèches, 400 dans les jardins, 600 dans les écoles, etc. Les personnels des écoles d'Art, du conservatoire, du musée sont également des employés municipaux. Les phénomènes de ségrégation se retrouvent ici identiques à ceux de l'ensemble du marché du travail, avec une forte féminisation puisque les services techniques diminuent globalement et que les services à la personne se développent.

Cette enquête sur les trajectoires des femmes cadres ne devait pas aboutir sur une problématique de temps ; or c'est bien cette problématique de temps qui est apparue en permanence. L'étude avait été réalisée par Mme Annie Junter, titulaire d'une chaire d'études féministes à l'université Rennes II. Mme Yvette Roudy avait créé quelques chaires, une à Paris, une à Toulouse, une à Rennes ; cette dernière est échue à Mme Annie Junter, dont la thèse portait sur « La place des femmes dans le code du travail ».

Les femmes cadres, vous le savez, sont plus célibataires, moins mères. Elles ne sont pas entrées dans le monde du travail en compétition avec les hommes : les chefs de service sont des hommes et les femmes occupent soit des postes nouvellement créés, au sein des services de la communication ou des relations internationales, soit des postes de chargées de mission, c'est-à-dire qu'elles préparent des dossiers pour des hommes qui vont les présenter le soir à un moment où, globalement, elles sont rentrées à la maison. Tant que l'effet de concours et d'école fonctionne, elles sont présentes, mais elles ne sont pas repérées, donc, personne n'est là pour reconnaître leur valeur. Le temps a donc une incidence.

Progressivement, les femmes ont exprimé qu'elles avaient envie de fonctionner différemment. Elles se sont déclarées efficaces, maîtrisant leur temps, mais peu reconnues puisque, pour faire carrière, il fallait s'aligner sur le « modèle masculin de l'horloge », selon la formule d'Annie Junter. Les femmes rêvaient d'agir différemment, d'introduire de nouveaux modes d'organisation pour mieux harmoniser vie professionnelle et vie personnelle.

Cette phase de réflexion n'avait pas été demandée par les femmes, mais Mme Anne Cogné, alors élue, l'a concrétisée en mettant en place un groupe de réflexion et de propositions, institutionnalisé en 1994, devenu le « groupe égalité des chances entre les femmes et les hommes », pour reprendre le vocabulaire européen. En 1995, le poste de délégué a été créé ainsi que différents groupes de travail dont un, intitulé « rapport au temps », auquel je m'attacherai aujourd'hui, puisqu'il traite du sujet de vos préoccupations.

Les réflexions de ce groupe ont porté sur deux thèmes. Le premier était la réorganisation du temps de travail en général et le second, la diminution des emplois incomplets. Je vous en parlerais, car c'est un mode d'exercice peu connu, y compris dans la fonction publique territoriale.

L'accord de 1982 avait mis en place une organisation basée sur cinq journées de travail de sept heures par jour. C'était très important. Les débats de l'époque sont là pour témoigner du bonheur que cela représentait, de travailler sept heures et de rentrer chez soi. C'est probablement la solution la plus compatible avec la prise en charge des enfants petits lorsque l'on habite dans une ville de province. C'était 7 x 5, soit 35 heures par semaine.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Etait-ce des horaires variables ?

Mme Danièle Touchard : Cela pouvait être des horaires variables sur des postes fixes, mais les horaires variables ne s'appliquent qu'aux personnes qui travaillent dans les bureaux. Pour beaucoup, il s'agissait de travail en équipe ; dans les jardins, les crèches, les maisons de retraite. Ces agents travaillent de manière différente, souvent par roulements.

Mais revenons aux groupes de réflexion et de propositions : les femmes ont fait des propositions plus diversifiées et, pour être crédibles et parce qu'elles en avaient la conviction, elles ont pensé qu'elles devaient interroger les usagers, les usagers du service public étant essentiellement des « usagères ». Des enquêtes l'ont confirmé à Rennes où, à plus de 60 %, ce sont des femmes qui sont concernées. Ce sont elles qui s'occupent le plus des enfants, qui vivent plus vieilles, et qui font les démarches administratives. Globalement, les usagers du service public sont très souvent des femmes qui, maintenant, travaillent.

Il a été proposé de réaliser une enquête sur les besoins des usagers, ainsi que sur les aspirations des agents : ils varient selon que l'on est une femme ou un homme, que l'on a 20 ans sans enfant, 30 ans avec de jeunes enfants ou 50 ans avec le souhait de partir en longs week-ends ; une analyse a été faite sur les capacités des services. Les mesures ont été prises par la direction générale et il a été décidé que la journée de travail de sept heures restait la référence - c'était un élément fort dans notre culture -, mais que l'on pouvait admettre des dérogations à sept heures et demie. Cela est arrivé, mais nous ne sommes pas revenues à 8 heures de travail par jour.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Sept heures et demie, cela signifie-t-il qu'on ne travaille pas le vendredi après-midi ?

Mme Danièle Touchard : Cela peut être le vendredi après-midi, mais on reste à 35 heures. Cela peut être aussi 70 heures sur 15 jours. On cherchait vraiment à s'adapter aux besoins du service. Par exemple, en ce moment, il semble normal que les personnes du service des jardins travaillent toutes et ne puissent pas prendre de congés.

Cela aussi a été l'occasion de prises de conscience de situations particulières. Les plombiers et les chauffagistes, autre exemple...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Eux ne prennent pas de congé en hiver.

Mme Danièle Touchard : Cela vous semble être le bon sens, mais ce n'est pas si évident de faire évoluer cette grosse machine qu'est l'administration municipale. Le fait de réaliser ces enquêtes a permis l'évolution de nombreux éléments en interne.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ils ont compris qu'il fallait qu'ils travaillent différemment.

Mme Danièle Touchard : Ils le comprennent, mais ils n'ont pas obligatoirement envie de changer.

Malgré tout, notre surprise a été - puisque nous parlons de services où il y a des hommes - de constater que les plus réfractaires au changement étaient les plus jeunes et non pas les plus âgés, comme nous le pensions. En fait, ceux qui travaillent dans le service public sont les éléments fixes du couple et ce sont eux qui s'occupent des enfants. Une enquête sur les gardes d'enfants malades a montré que, contrairement à l'idée reçue, elles touchaient autant d'hommes que de femmes, parce que ce sont ceux qui disposent de la meilleure protection. Ils gardent les enfants et deviennent les pivots de la famille.

Alors que le chef de service pensait par exemple que de jeunes couvreurs, qui avaient travaillé dix ou douze heures par jour en Belgique ou ailleurs, seraient ravis de faire de grosses journées pour récupérer du temps et jardiner, ce comportement n'a absolument pas été noté.

De plus, s'agissant du logement, plus ils sont jeunes, plus ils habitent loin, en raison du prix des terrains. C'est un élément que nous n'avions pas mesuré.

Quant au temps partiel, il a été octroyé de manière systématique, mais négocié et organisé. Cela vous semble aussi une évidence. Pourtant, ce n'est pas toujours le cas. Dans les crèches, par exemple, les personnels demandent souvent à travailler à temps partiel car, en général, ce sont des personnes attirées par les enfants et qui ont aussi envie de s'occuper des leurs. Le mercredi, les crèches connaissent une baisse d'activité. Nous avons demandé aux salariés de travailler moins ce jour ainsi que pendant les petites vacances scolaires, à cause de la baisse constatée du nombre d'enfants. Des exemples de ce type permettent de favoriser le changement. Tout le monde y trouve son compte. Une salariée disait que « plus elle était avec les enfants des autres, plus elle était avec les siens », c'est-à-dire que les jours où tous les enfants sont présents, elles font des journées plus longues, mais elles récupèrent des jours où elles peuvent être avec les leurs et où elles gagnent du temps pour elle.

Le cas le plus compliqué a été celui des cadres. La grande divergence entre le groupe égalité et la direction générale a porté sur les forfaits, qui imposent de très longues journées. Symboliquement, avoir le forfait, c'était être un chef. Après quelques incompréhensions, les choses ont fini par bien se mettre en place. Des expérimentations ont été menées dans cinq lieux et sont, maintenant, généralisées à l'ensemble des services.

Un autre phénomène propre aux collectivités locales, et souvent peu connu, est celui des agents qui travaillent à temps incomplet. Ce ne sont pas des temps partiels. Les temps partiels résultent d'une volonté de personnes qui souhaitent réduire leur activité et réduisent leur salaire. Les emplois incomplets sont très différents et concernent les femmes. Ce sont les « métiers dérivés des activités domestiques », tout ce que les femmes ont fait gratuitement dans leur foyer, c'est-à-dire faire du ménage auprès des personnes âgées, s'occuper des enfants ou des personnes âgées. Mme Sylvie Schwartz les nomme les « métiers de toujours » : j'ai trouvé cette expression assez jolie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quels sont ces métiers ?

Mme Danièle Touchard : Ce sont tous les métiers traditionnels des femmes, ceux qu'elles ont exercé gratuitement en tant que fille, mère et épouse, les métiers où elles ont toujours été présentes, dans les hôpitaux ou ailleurs.

Pour requalifier ces métiers, nous avions sollicité un programme européen, le programme PIC-EMPLOI NOW. A Rennes, il s'intitulait « Rennes, égalité des chances », puis « Rennes, apprendre au féminin ». Ces programmes nous ont permis de qualifier et de professionnaliser ces femmes, d'améliorer leurs conditions de travail et de lutter contre l'illettrisme.

Nous avons découvert alors que de nombreuses femmes occupaient leur emploi à temps incomplet. Une fonctionnaire à temps incomplet ou à temps partiel bénéficie d'une retraite de la CNRACL, si elle travaille à plus de 18/20ème. Elle bénéficie également de congés de longue durée et de longue maladie. Elle dispose de l'ensemble des garanties des fonctionnaires territoriaux. Mais certaines femmes travaillaient à temps incomplet, en dessous des fameux 18/20ème, le plus souvent dans des écoles ou des crèches, et avaient souvent, en plus, des emplois du temps hachés. Nous les avons donc requalifiées. 219 agents ont bénéficié d'augmentation du temps de travail, en travaillant par séquence, soit le matin de 7 h 30 à 15 h 30, soit l'après-midi de 11 h à 19 h. C'est une grande réussite, ces grandes plages horaires facilitent l'accès aux services, contrairement aux journées partagées entre le matin, le midi et le soir.

Ces expériences menées au sein de l'administration municipale, le débat externe sur la parité ainsi qu'une sensibilisation des décideurs administratifs et des organisations syndicales - car si ces femmes étaient délaissées, c'est que les organisations syndicales ne s'étaient pas mobilisées pour améliorer leur situation -, nous ont appris à lire les discriminations et à identifier les problèmes d'articulation des temps sociaux, notamment pour les femmes et personnes les plus vulnérables.

Quels sont les besoins observés hors de l'administration municipale par le Bureau des temps, mis en place par Edmond Hervé en 2001, comme il l'avait préconisé dans son rapport sur le temps des villes ?

Structurellement, un Bureau des temps ne représente rien ; il est composé de trois personnes. Ce n'est qu'un petit service transversal.

Dans le cadre de ce Bureau des temps, nous avons reçu tout d'abord pour mission de connaître les modes de vie, les besoins et les contraintes en terme de temps des usagers de la ville, des employeurs, des salariés et des prestataires de service. Cette notion de Bureau des temps est venue d'Italie par l'intermédiaire de Mme Annie Junter. Son principe est de mettre en place des tables quadrangulaires réunissant des représentants de toutes les composantes de la société : employeurs, salariés, prestataires de service, élus décideurs et usagers de la ville. Il s'agissait, en liaison avec le comité de développement économique et social du pays de Rennes (CODESPAR), de se concerter avec ces acteurs au niveau de l'agglomération. Nous sommes, en effet, de moins en moins en rapport avec des citoyens ou des habitants de la ville, mais plutôt avec des usagers de la ville, qui habitent un lieu et viennent faire leurs courses ou fréquenter des services culturels dans un autre lieu, ce qui engendre beaucoup de déplacements. Nous rencontrons d'ailleurs quelques difficultés à identifier nos interlocuteurs. Notre mission consistait aussi à préconiser des évolutions ou des créations de services, le tout sur un fond de sensibilisation générale.

Nous avons bénéficié d'un nouveau programme européen Equal, intitulé cette fois « Rennes, égalité des temps », ayant pour objet d'agir sur les temps sociaux comme facteurs de lutte contre les discriminations qui affectent particulièrement les femmes, agents de nettoyage et cadres, ces deux catégories socioprofessionnelles nous apparaissant susceptibles d'éclairer la situation de la population en général. Le choix du secteur du nettoyage repose sur le nombre de ses agents : 12 000 personnes pour 330 000 habitants. Cela représente le premier métier de femmes sur le bassin d'emploi de Rennes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Occupent-elles vraiment des temps partiels ?

Mme Danièle Touchard : Oui, des petits bouts de temps. Elles sont présentes dans les hôpitaux, les cliniques, les lycées, partout.

Ce deuxième projet prévoit des études, des conférences, des rencontres. Ces études sur les agents d'entretien dévoilent certains éléments. Elles ont mis en évidence les difficultés des salariés lors de leurs différents temps de vie. Il en résulte souvent du stress pour les femmes cadres, de la fatigue physique pour les agents d'entretien, qui sont en mauvais santé
- elles mangent n'importe quoi, n'importe quand, n'importe où, y compris sous des abris bus - et psychologique, elles ont des problèmes avec leurs enfants et culpabilisent. Ce tableau est aggravé par le fait qu'elles veulent être des « mères aimantes et des épouses attentives », pour reprendre la formule entendue, ce qui crée ces vécus douloureux, marqués par les conditions de vie difficiles.

Des pistes de réflexion émergent et nous avons essayé de lister l'inventaire des besoins. Je vous laisserai l'étude. Les difficultés et les souhaits des salariés interviewés montrent que de nombreux services restent à développer, à organiser, à inventer, à expérimenter pour améliorer l'articulation des temps de vie. Nous avons actuellement neuf pistes de réflexion, mais il faut prendre en considération que cette commande émane d'une collectivité en tant qu'acteur-collectivité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous y réfléchissez depuis 1983. Qu'il n'y ait pas eu de changement depuis témoigne du degré de blocage des mentalités !

Mme Claude Greff : Pour que ce problème soit si peu perçu, il y a véritablement une volonté pour que les choses ne s'arrangent pas. Ce constat est inquiétant.

Mme Danièle Touchard : Il y a des avancées, notamment des employeurs et des services. Je prenais l'exemple de PSA qui lançait une chaîne de montage ; très rapidement, des bus ont été mis en place par la métropole et la ville de Rennes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : PSA développe une politique d'égalité professionnelle. Est-ce la ville de Rennes qui met des bus à disposition ?

Mme Danièle Touchard : Oui, car PSA dispose de bus à l'extérieur ; mais il restait à relier Rennes et la métropole. Mais c'est complexe, car le souci des collectivités est de savoir jusqu'où accompagner.

Mme Claude Greff : Cette réflexion mérite que l'on s'y intéresse et le travail de notre Délégation en témoigne. Cependant, bien que vos propos amènent à constater des avancées, je suis effrayée de la situation en 2004.

Mme Danièle Touchard : Vous prêchez une convaincue, mais démontrer qu'un travail incomplet est une discrimination a nécessité dix ans. Et pourtant nous sommes soutenus par le maire lui-même.

Nos femmes cadres, celles qui ont réussi à être ingénieur ou à entrer à France Télécom, sont stressées. Elles ont mauvaise conscience. Il me semble aussi qu'elles se mettent des barres trop hautes.

Mme Danielle Bousquet : Elles n'ont pas le choix, l'organisation les y conduit.

Mme Danièle Touchard : C'est vrai sur le plan professionnel aussi bien que privé. Leurs enfants doivent être parfaits. Ils sont occupés en permanence, ils font de l'anglais à trois ans... Il me semble que nous devons jumeler cette question du temps à une réflexion plus générale.

Mme Claude Greff : Nos enfants vont perdre leur jeunesse ou plutôt cet état d'insouciance liée à la jeunesse et la notion du « temps perdu », inutilisé, mais non moins constructif.

Mme Danièle Touchard : Il est effrayant de constater que ces enfants participent à sept ou huit activités, et ne savent plus rien faire seuls.

Mme Claude Greff : Bien que ce soit inquiétant, nous sommes malheureusement obligées d'en faire le constat, puisque les femmes y sont contraintes.

Mme Danièle Touchard : Il y a une pression formidable qui s'exerce sur les femmes. A Rennes, les services de la petite enfance essaient de redonner du sens à la cour de récréation, car c'est le lieu nécessaire pour se recréer, bien que, comme tout le monde, nous ayons mis en place de nombreuses activités. Nous devons parvenir à faire entendre qu'il y a besoin de temps de vacances pour l'esprit, de ne rien faire, de jouer. Par ailleurs, c'est aussi le lieu où l'on établit des liens avec les autres, sans lesquels on en fait de petits êtres très individualistes.

Je continue à vous livrer les pistes que nous essayons de construire.

Ces femmes rencontrent des problèmes de déplacements, notamment les femmes de ménages qui travaillent sur des sites extrêmement éclatés. Nous avons mis en place le VAL avec des plates-formes multi-modales, vélos, voitures, bus, pour lesquelles un billet unique a été créé.

Il faut créer des lieux de repas car ces femmes de ménage mangent sur le pouce, sur un coin de bureau, dans leurs voitures ou sous les abris bus. Il est d'autant plus atterrant de le savoir que, sur une des deux zones d'activité que nous observons, il existe un restaurant universitaire et un restaurant inter-entreprises.

La gestion administrative et domestique devrait être allégée. Un suivi et une aide aux devoirs sont redemandés : il faut prévoir une occupation des jeunes, ou au moins une information, car nous avons l'impression d'avoir déjà fait beaucoup de choses, mais qui ne sont pas encore suffisamment connues. Il faut améliorer les gardes d'enfants, car il existe toujours un déficit en crèches et garderies. Nous travaillons maintenant à l'échelle de l'agglomération.

Il faut réfléchir aux aides aux loisirs familiaux car, quand on manque de temps, on n'organise plus les réceptions entre amis ou en famille. Nous avons aussi à inventer des activités pour le week-end, y compris pour les femmes cadres, car elles se retrouvent souvent dans un environnement inconnu. Elles arrivent dans nos villes pour leur travail et n'ont pas toujours des amis en dehors de ce cadre.

Il existe des phénomènes de solitude que nous n'avions pas repérés auparavant. Il faut donner la possibilité d'accéder aux loisirs et au temps pour soi, surtout en direction des femmes seules qui ressentent plus encore la sensation de ne pas avoir de temps et une culpabilité à s'occuper d'elles-mêmes.

Nous allons essayer de nous engager à trois niveaux :

Le premier, à l'échelle de l'agglomération, pour améliorer les services offerts.

Le deuxième, sur la zone d'activités. En France, dans les années 70-80, on a créé des zones d'activités dont on a confié la réalisation à des aménageurs, comme si personne ne vivait sur ces zones d'activités. Il n'y a donc pas de coiffeur, pas de services, pas d'activités. Nous devons essayer de réfléchir à un réaménagement possible et mettre en place une information importante sur l'offre associative, les chèques-découverte, les politiques événementielles. Nous avons la sensation que ces informations, qui sont bien faites en centre-ville et maintenant dans les quartiers, doivent entrer maintenant dans les lieux de travail. Il faut que nous travaillions en collaboration avec les comités d'entreprise et, peut-être, les employeurs pour développer une information visant à créer des réseaux de sociabilité au niveau de l'agglomération.

Nous réfléchissons à la création de « maison des salariés » mais, visiblement, auprès des employeurs, ce terme ne convient pas. Nous allons peut-être plutôt parler de « kiosques services », expression qui passe mieux. Ce serait des lieux de repos permettant un temps pour la sieste, pour le coiffeur, pour l'esthéticienne ou pour faire de la gymnastique. Les Italiennes font très bien cela. Ces lieux accueilleraient des services marchands ou de restauration rapide, des services d'informations sur la formation, tout ce qui touche aux loisirs et à l'accueil des enfants.

Le troisième niveau d'intervention se situe au niveau idéologique, culturel et politique pour lutter sur le plan de la communication locale contre les ségrégations homme-femme. Nous en reparlerons, car nous ne savons pas bien faire cela. C'est vraiment un axe fort.

En résumé, nous envisageons un travail sur l'agglomération, sur les zones d'activité et sur les stéréotypes, pour essayer d'« entamer » le travail à temps partiel.

Nous réalisons également une enquête auprès des employeurs du secteur privé. Le bilan à mi-parcours était plutôt décevant. Leur première réponse a été de considérer qu'il s'agissait d'une question intéressante, mais que les 35 heures ayant été mises en place, ils ne souhaitaient pas, quant à eux, prendre en compte ce problème.

Il faut signaler que les salariés n'osent pas faire part de leurs difficultés alors que, parfois, les employeurs pourraient le prendre en compte. Les organisations syndicales appuient peu ces demandes - nous le verrons au sujet de crèches. Il reste toujours un travail important à réaliser à ce niveau.

Quant aux entreprises, elles estiment avoir déjà fait un effort pour la mise en place des 35 heures et ne pas avoir à aller plus loin. Par ailleurs, elles considèrent que ces questions ne relèvent pas des acteurs économiques, même si nous connaissons tous des entreprises - le groupe Accor et d'autres - qui essaient de le prendre en compte. Probablement que le levier sera la pénurie de main d'oeuvre.

Les emplois à temps partiel ne constituent pas un problème pour les entreprises de nettoyage puisqu'elles en proposent. Les entreprises de nettoyage que vous avez reçues ont confirmé que les fortes amplitudes de travail n'étaient pas de leur fait - elles respectent la législation -, mais celui des salariées, elles-mêmes, qui juxtaposent plusieurs employeurs pour pouvoir bénéficier de rémunérations qui leur permettent de survivre. Personne ne veut voir, ces personnes qui travaillent tôt le matin ou tard le soir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est à cause des contraintes horaires de travail dans l'administration.

Mme Danièle Touchard : Je vais vous dire quelques mots de ce que nous avons fait en interne pour l'administration. Nous pouvons sans doute réorganiser le travail et donner des horaires convenables ; avec des prises de conscience, on y arriverait.

Prenons l'exemple d'une association qui a installé, loue et gère des locaux et des services à de petites entreprises de haute technologie sur une zone d'activité. Celles-ci sont regroupées dans un bâtiment de quatre ailes, chacun des patrons laissant à sa secrétaire le soin d'organiser le nettoyage. Chacune d'elles fait jouer le marché pour obtenir le moins disant. Il y a donc quatre entreprises de nettoyage, avec quatre femmes de ménage occupées une heure. Avec un minimum de concertation, peut-être serait-il possible de regrouper ces quatre entreprises, qui travaillent déjà ensemble - ce sont de petites entreprises qui ont cinq ou dix salariés - pour qu'un marché commun soit passé pour nettoyer les quatre ailes ; au total, il y aurait quatre heures de travail pour une même personne.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce serait plus intelligent.

Mme Danièle Touchard : C'est en cela qu'il y a une sensibilisation à développer, me semble-t-il. Ce sont souvent des astuces de ce type qui améliorerait la situation de tout le monde. Pourtant, la première fois qu'on l'évoque, la réaction est de dire que c'est impensable, impossible.

De même, au sein de l'administration, quand on analyse les absences des unes et des autres, en proposant à ces femmes de travailler le matin et le midi ou le midi et un peu tard le soir, on arrive à faire le nettoyage à peu près partout. A mon avis, une sensibilisation permettrait de régler les problèmes de services et de qualité de vie. Cela a un coût social considérable, qu'il serait très intéressant d'améliorer.

Pour en revenir au temps partiel, globalement, les entreprises sont d'accord sur le temps partiel, excepté pour les cadres. Cela ne passe pas, y compris chez TRANSPAC, y compris dans les entreprises les plus ouvertes. Il existe un phénomène d'accumulation : si une femme travaille à temps partiel, c'est ressenti par le chef d'entreprise comme un désinvestissement professionnel.

La situation est encore plus critique dans les entreprises japonaises. Ils sont très durs. Chez Mitsubishi et quelques autres, il n'y a aucune culture de la présence des femmes dans l'entreprise ; la pression économique et horaire est très forte, même si le directeur essaie de faire évoluer la situation.

Je vous l'ai dit, avant de consulter les employeurs du secteur privé, nous avons essayé « de nettoyer devant notre porte », pour reprendre l'expression de M. Edmond Hervé. Les dernières femmes à temps incomplet étaient celles qui occupaient les emplois de nettoyage dans les bureaux municipaux. Il a été décidé que le travail serait gardé en régie et qu'il y aurait deux types d'horaires : 7 h 30-15 h 30 et 10 h 45-18 h 45, et qu'elles travailleraient en binôme - ce qui est un vrai progrès, car elles ont peur dans nos grands bâtiments municipaux à 6 h du matin ou le soir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elles ont raison.

Mme Danièle Touchard : Maintenant, elles sont sur des emplois complets, elles pourront passer des concours d'agents techniques et d'agents de maîtrise et on leur proposera des déroulements de carrière.

Mme Danielle Bousquet : En leur accordant des temps complets au lieu de temps partiels, avez-vous réduit le nombre de personnes ?

Mme Danièle Touchard : Oui, nous avons réduit le nombre de personnes. Nous avons gagné en productivité, parce que les personnels sont rattachés à un service et connaissent les personnes avec qui elles travaillent. Elles signalent des ampoules manquantes, par exemple, et l'absentéisme a baissé de 40 %. Ce sont des arguments et des indicateurs que nous essayons de conserver, car ils sont importants. C'est aussi un des problèmes des entreprises de nettoyage qui ont des turn over absolument considérables et qui seraient prêtes à travailler différemment.

Si les entreprises pour qui elles nettoient étaient prêtes à y réfléchir, il est sûr qu'elles-mêmes seraient tout à fait intéressées. Cela fait partie des raisons pour lesquelles, quand nous avons décidé de travailler sur le temps partiel et le travail des femmes, nous avons choisi cette catégorie. Nous aurions pu travailler sur les vendeuses du supermarché. A priori, les sociétés de nettoyage, ou certaines en tout cas, seraient prêtes à réfléchir sur le sujet, car elles rencontrent des problèmes de recrutement. Elles seront intéressées par des évolutions.

Pour rester sur une note optimiste, nous avons mis en place deux services concernant l'accueil des enfants. Le premier, Parendom, est une crèche complémentaire de celles existantes, qui propose la mise à disposition de professionnels pour prendre en charge les enfants au domicile des parents. Ce service intervient seulement en cas d'urgence, lorsque les parents ont des horaires décalés ou en attendant une place de crèche et en complémentarité avec d'autres modes de garde. Ces services coûtent très cher à la collectivité. Pour les usagers, cela représente une somme allant de 1,50 à 9 euros, mais cela a coûté très cher à la caisse d'allocations familiales et à la ville de Rennes : trois heures à domicile correspondent au coût de revient d'une journée en crèche pour la collectivité. Le second mode d'accueil, Calaïs, est une crèche associative qui compte 25 places régulières, une place d'urgence ainsi que des places d'accueil occasionnel, là aussi pour permettre des « soudures ». Les enfants peuvent être gardés 10 heures consécutives entre 6 h et 21 h 30.

Nous avons également mis en place des rencontres plus festives.

D'une part, pour chaque spectacle de l'Opéra, le directeur propose des happy hours qui ont lieu entre 18 h et 20 h avec une garde d'enfants. La garde d'enfants à partir de trois ans, spectacle compris, coûte 3,50 euros. Cette formule connaît un grand succès, car elle permet de voir un spectacle avant de rentrer chez soi.

D'autre part, des concerts d'une heure, avec un sandwich et une bouteille d'eau, sont proposés le midi et le dimanche à 11 heures. Vingt-cinq concerts ont été organisés qui ont connu le même succès. Nous avons maintenant délocalisé cette expérience sur les zones d'activités puisque, l'an dernier, de manière expérimentale, nous avons donné deux représentations et, à chaque fois, nous avons affiché complet.

Mme Claude Greff : Quel était le prix ?

Mme Danièle Touchard : Entre 6 et 10 euros, sandwich compris. Et c'est sympathique.

Ma conclusion rejoint vos propos : la problématique de l'articulation des temps et de l'égalité professionnelle soulève des incompréhensions ou des contradictions souvent difficiles à lever. Les acteurs ne voient pas les différences. Le temps partiel est sans doute porteur de bien-être pour des parents qui vivent en couple et pour leurs enfants, mais reste inaccessible aux familles monoparentales. Il demeure compliqué à gérer pour des organisations, des employeurs et des gestionnaires de service, discriminant pour les femmes cadres et pour toutes les femmes en matière de retraite, car, de ce point de vue, le problème n'a pas été réglé.

Une solution avait été proposée il y a quelques années, c'était que les femmes puissent cotiser sur un temps plein et avoir une retraite à temps plein. Mais toutes ne pourront pas assumer financièrement cette charge.

Mme Danielle Bousquet : Sans même parler de cela, l'employeur ne suivra pas. Il ne paiera pas une cotisation à temps plein pour quelqu'un qui serait à temps partiel.

Mme Danièle Touchard : C'est vrai. Le temps partiel est souvent confondu avec l'emploi partiel. Non choisi, peu rémunéré, il n'est presque jamais synonyme de qualité de vie. Les femmes n'ont pas de déroulement de carrière.

Trop peu d'acteurs sont sensibilisés aux difficultés d'articulation des temps, qu'il s'agisse des employeurs, des organisations syndicales, des élus, des hommes et des femmes elles-mêmes. Les inégalités qui touchent les femmes, surtout si elles sont cadres, paraissent moins injustes que celles qui touchent les hommes. Le levier des plus pauvres est l'injustice sociale ; cet élément au moins est compris par les organisations syndicales. Mais dire qu'il est injuste qu'une femme cadre gagne 30 ou 50 % moins qu'un homme cadre n'est pas ressenti de la même façon ; une femme travaille, donc, de quoi se plaint-elle ? Aucun résultat durable ne sera atteint sans une politique offensive pour lutter contre les stéréotypes qui frappent les hommes et les femmes. Force est de reconnaître qu'en France, nous ne savons pas bien faire dans ce domaine malgré tous nos souhaits et nos projets, même en termes de communication. Pour avoir travaillé avec des Italiennes, je peux confirmer qu'elles savent collaborer avec des sociologues, des psychologues et des personnes qui connaissent les femmes, qui leur apprennent à négocier avec leur famille, à lui faire prendre conscience que dès lors qu'elles travaillent, elles apportent un salaire dont la famille tire un bien-être et que tous doivent faire des efforts à la maison, pour faire la vaisselle, ranger les affaires, faire le ménage. En France, nous ne savons pas faire cela. Nous n'avançons pas, parfois même nous reculons. Nous ne savons pas comment faire pour que ce message soit entendu.

Mme Danielle Bousquet : Il faudrait que ce message soit relayé par le pouvoir politique. Si ce message est porté par la nation entière, nous pourrions en attendre un effet, mais s'il ne l'est que par une partie de la société représentant les femmes qui vivent mal cette situation ou qui le disent, cela n'aura pas grand écho. La majorité des femmes ne parlent jamais de ces questions. Rares sont celles qui reconnaissent qu'elles n'y arrivent pas.

Mme Claude Greff : Si, en plus, elles le reconnaissaient, ce serait avouer qu'elles ne sont pas capables.

Mme Danielle Bousquet : Ce n'est pas un discours qui passe socialement ; donc, s'il n'est pas relayé au plus haut niveau, on voit bien la difficulté.

Mme Claude Greff : Il s'agit d'un problème de mentalité de la société en général. Est-ce que cela changerait, si le discours était repris au plus haut niveau ?

Mme Danielle Bousquet : Dans d'autres pays, cela se fait.

Mme Danièle Touchard : Aux Pays-Bas, par exemple, le ministère du travail a lancé des spots publicitaires sur un ton assez humoristique. Un cadre jouant au golf dit : « Moi, le dimanche matin, je travaille ; j'entretiens mes réseaux. » Du point de vue médiatique, la critique dans la presse a été très dure. Mais cela a permis de discuter. C'est tout récent.

Mme Danielle Bousquet : Les Italiennes qui se battent dans une société d'Europe du Sud, dont chacun sait qu'elle n'est pas vraiment très progressiste, ont très bien avancé sur toutes ces questions.

Cela devient un vrai problème d'intérêt général, qui doit être relayé de manière très importante par l'éducation, - cela paraît évident - mais aussi par des spots, par exemple, pour sensibiliser l'opinion. En vingt ans, la modification de la répartition du travail ménager est insensible. Toutes les études montrent que la situation est inchangée. Or, les femmes françaises sont parmi les femmes d'Europe qui travaillent le plus, à 80 %. La situation des jeunes couples est tout à fait explosive.

Si les couples craquent, c'est qu'à un moment donné, l'équilibre n'est pas réalisé. Dans les grandes villes, il n'est pas supportable d'être une jeune femme qui travaille avec des enfants, quand on habite à une heure de son lieu de travail, etc. Cette non-prise en charge de la vie commune familiale engendre de fortes difficultés sociales.

Mme Danièle Touchard : C'est en effet un problème social. Le taux de divorce est d'ailleurs considérable. Ces femmes cadres sont perdues. Elles doutent et se retrouvent seules. Il y a, par exemple, beaucoup de demandes de coaching de vie personnelle.

De manière anecdotique, la semaine dernière, j'ai regardé l'émission  Envoyé spécial ; le sujet en était les couples en difficulté, qui envisagent de divorcer parce qu'ils vivent dans l'incompréhension. Cela se situait à Paris et dans des grandes villes. Apparemment, un livre fait fureur, intitulé : Comment apprendre à se parler sans s'engueuler, d'où naturellement découlent des week-ends fort chers pour apporter des réponses. Le problème n° 1 est le partage des tâches.

Mme Danielle Bousquet : Notre société dysfonctionne à ce niveau-là. C'est un problème très sérieux d'équilibre, même si cela paraît anecdotique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est sérieux et cela peut être une raison de divorce.

Je vous remercie. Nous avons du travail devant nous et je ne pense pas malheureusement que nous parvenions rapidement à le conclure. J'ai le sentiment que ce sera encore celui de nos enfants.

Mme Danielle Bousquet : Il faut trouver un mode de communication et faire en sorte que ce problème devienne une préoccupation populaire. Il faut le partager en tant que préoccupation sociale. C'est une situation dont tout le monde souffre et qui n'est pas présentée en tant que préoccupation sur laquelle le politique doit avoir une action. Chacun se débrouille, ce n'est pas acceptable.

Mme Claude Greff : Comment le politique pourrait-il agir ? Il s'agirait plus d'une forme de prise de conscience sociétale que politique. Je suis d'accord pour dire que nous avons un rôle à jouer à ce sujet. Ceci étant, je ne pense pas que ce soit à nous de l'insuffler.

Mme Danièle Touchard : Il y a l'action que peuvent mener les collectivités, comme c'est le cas à Rennes. Mais je suis convaincue de la nécessité de sensibiliser, c'est-à-dire de considérer ce problème comme une véritable question sociale à traiter avec l'implication des médias, - articles de presse, émissions télévisuelles -, pour qu'il devienne un axe central de la préoccupation que le politique, au sens large du terme, affiche.

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La Délégation aux droits des femmes a ensuite entendu M. André Daguin, président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous sommes heureux d'accueillir M. André Daguin, président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, secteur qui rassemble près de 80 000 hôtels, restaurants, cafés, discothèques, employant plus de 850 000 personnes.

Dans vos métiers, le temps partiel est pratiqué à une échelle relativement importante et depuis déjà longtemps. J'aurais souhaité que vous nous donniez des précisions sur la façon dont le travail à temps partiel fonctionne dans votre secteur. Comment est-il ressenti par les employeurs et par les employés ? Certaines employées ont-elles envie de rester à temps partiel, d'autres de passer à temps complet ?

Aujourd'hui, une réflexion est menée sur des mesures transitoires d'allègement de charges dans l'attente d'une diminution du taux de la TVA. En contrepartie, les employeurs devraient s'efforcer de réaliser des avancées en matière d'embauche, de revalorisation des salaires et de modernisation de la profession, de façon à donner une compensation sociale à cet allègement de charges.

D'une manière générale, que préconisez-vous pour améliorer la situation des travailleurs à temps partiel ?

M. André Daguin : Je dresserai tout d'abord un tableau rapide du secteur. Vous l'avez indiqué, il emploie 850 000 actifs dont, je le précise, 660 000 salariés. 200 000 personnes travaillent donc à leur compte, notamment des couples ; il ne s'agit pas de travail au noir, mais de travail non salarié. Cela paraît beaucoup, évidemment, mais à l'instar de la formule de Beaumarchais : « Quand on se voit, on est content, mais quand on se compare, on s'inquiète », je pourrais dire que nous ne comptons en France que 850 000 actifs, salariés et actifs non salariés, quand en Espagne, ils sont un million, en Italie, un peu moins d'un million, en Allemagne, 1,3 million et, en Grande-Bretagne, 1,7 million. Ce secteur représente donc un gisement d'emplois formidable et ces allègements de charges devraient permettre d'embaucher très fortement.

Le temps partiel, dans notre secteur, est un peu particulier. D'ailleurs, tout est particulier dans un métier où l'on travaille quand les gens s'amusent ou dorment ou mangent, quand ils sont en week-end ou en vacances ; on ne peut pas s'attendre à ce que tout soit normal ; c'est en dehors de la norme. Donc, le temps partiel aussi ne sera pas aussi normal qu'ailleurs.

Pour nous, les temps partiels, ce sont les « extras », c'est-à-dire des personnes qui viennent pour une occasion. Le temps partiel institutionnalisé existe assez peu dans notre secteur, puisque nous sommes plutôt en pénurie en matière d'emplois. Nous ne refusons jamais de passer un salarié au plein emploi, nous cherchons des salariés supplémentaires. Les raisons tiennent sans doute à la particularité de ce métier et à son côté mal commode, qui n'est pas contrebalancé par des salaires supérieurs à ceux pratiqués ailleurs. Mais nous y travaillons et devrions y arriver.

Voilà pour les caractéristiques du temps partiel chez nous, qui n'est pas tout à fait le même qu'ailleurs.

Cependant, il est certain que les femmes ont une grande importance dans ce secteur, puisque 50 % du temps partiel et 50 % des salariés sont des femmes. Ce sont des métiers où les deux sexes sont sollicités. C'est facile à comprendre puisque recevoir, faire la cuisine, servir à boire sont des métiers d'hôtesse. Il est donc normal que ce métier soit exercé non pas par une majorité, mais presque à égalité par des femmes.

De plus, de nombreuses organisations syndicales dans les départements sont présidées par des femmes ; c'est aussi assez inhabituel. C'est une caractéristique de ce métier qui témoigne d'une avancée par rapport à d'autres.

Notre secteur compte plus de femmes à temps partiel que d'hommes. Je n'ai pas d'explication claire à vous donner, car les discussions avec les syndicats de salariés au sujet de la coupure ont fait ressortir des témoignages très curieux. En général, un homme qui travaille viendra faire son boulot jusqu'au bout et, après, s'en ira. Pour les femmes, ce n'est pas du tout le cas. En province, elles veulent chercher les enfants à l'école, faire les courses. Même à temps partiel, elles préfèrent travailler deux heures le matin et deux heures le soir pour être libres l'après-midi.

C'est très particulier et je ne suis pas sûr que l'on puisse tirer les mêmes lois dans d'autres secteurs d'activité. Naturellement, il est très facile de ne mettre le doigt que sur des spécificités. Malgré tout, dans notre secteur, il y en a beaucoup.

On sait que 54 % des femmes à temps partiel déclarent que leur temps partiel est contraint. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai chez nous. Je pense que le temps partiel est vraiment un temps choisi et que l'entreprise, elle, préfèrerait embaucher des personnes à temps plein. Mais souvent le temps partiel est préféré par le personnel.

Mme Claude Greff : Je me permets de vous interrompre, car ce que vous venez de dire à l'instant m'interpelle. D'après vous, les femmes choisissent ce temps partiel parce qu'elles pensent pouvoir l'adapter plus facilement à leur temps familial. Est-ce bien cela ?

M. André Daguin : Je n'ai pas parlé des femmes dans leur ensemble, mais de certaines, puisque je parlais des femmes en province, et non pas de celles des grandes villes.

Je me suis aperçu que l'on butait sur une opposition de nos employées quand on leur proposait d'étudier un temps de travail d'un seul bloc. Elles refusaient, elles souhaitaient une coupure. Les femmes à plein temps souhaitaient une coupure longue et celles à temps partiel disaient qu'elles voulaient bien travailler deux heures le matin et deux heures le soir et avoir du temps libre dans la journée, dans la mesure où le transport n'était pas pour elles un inconvénient.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et dans la mesure où elles ont les moyens de faire garder leurs enfants.

Mme Claude Greff : Par rapport à la vie de famille, c'est pourtant le matin et le soir qu'une mère de famille est amenée à s'occuper davantage de ses enfants.

M. André Daguin : Je dois préciser les mots matin et soir ; il s'agit des services du midi et du soir. Pendant le service du midi, les enfants sont à la cantine et pour celui du soir, c'est peut-être le père qui s'en occupe. Les mères ne veulent pas travailler à plein temps, car aller chercher les enfants à l'école et les ramener à la maison peut se faire pendant la coupure. Ce n'est pas une situation facile, mais c'est ainsi. Nous l'avons observé.

Je vous ai dit que la part des femmes dans l'emploi salarié diminuait depuis 20 ans, en valeur relative, mais pas en valeur absolue, puisque nous avons créé dans ce secteur plus de 152 000 emplois en douze ans, et à peu près à égalité. En revanche, il est intéressant de noter que la durée moyenne du temps de travail hebdomadaire de ce secteur a fortement diminué, puisqu'en 1982 elle était de 42,4 heures et qu'elle est passée en 2000 à 36,4 heures (32,2 heures pour les femmes). Cela prouve qu'il y a plus de femmes à temps partiel ou à temps réduit que d'hommes.

Quelques autres précisions :

- La situation des travailleurs étrangers dans le secteur est stable depuis 20 ans.

- De 1987 à 1999, nous avons créé 110 164 emplois féminins.

- Le caractère particulier de ce métier est aussi lié au fait que, dans la même heure ou heure et demie, la fabrication, la livraison et la facturation sont réalisées et, en général, dans un même lieu. La fabrication, c'est la cuisine, la livraison, le service, et la facturation, l'addition.

- Le temps partiel comme le temps complet ne répond pas chez nous aux mêmes critères qu'ailleurs. Pour nous, la pendule, c'est le client : le moment où il arrive, dont nous pouvons être un peu maîtres, dans la mesure où nous pouvons décider des heures d'accès au restaurant, par exemple, mais surtout le moment où il s'en va, dont nous ne sommes pas maîtres du tout. En France, jusqu'à nouvel ordre, si on pousse les clients vers la sortie, on ne les y pousse qu'une fois, car on n'a pas l'occasion de les pousser une deuxième fois, puisqu'ils ne reviennent plus jamais. D'où notre difficulté, qui touche spécialement les femmes, puisqu'elles travaillent plus au service que les hommes.

Enfin, chez nous, on ne peut pas parler de productivité. Je ne vois pas comment rendre un service productif, si ce n'est peut-être de porter la tasse de café en courant, auquel cas, il n'en reste plus à l'arrivée ! Je ne vois pas non plus comment nous pourrions délocaliser. C'est un métier fait pour moitié par des femmes et on ne peut pas demander à des Indiennes en Inde de servir quelqu'un à Paris. Donc, on ne délocalise pas. Alors, nous continuerons à être des créateurs d'emplois permanents et souhaitons que le temps partiel croisse, mais nous avons du mal à y arriver. C'est l'inverse dans les autres secteurs, d'après ce que j'ai cru comprendre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pourquoi le souhaitez-vous ?

M. André Daguin : Parce que nous manquons de personnel. Nous préférons avoir une personne à plein temps que deux personnes à mi-temps. C'est plus facile à gérer ; on peut mieux former quelqu'un pour un poste que deux demies pour le même, mais nous avons du mal.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pensez-vous que ce sont les salariées qui demandent à travailler un peu le matin et un peu le soir ?

M. André Daguin : Ou autrement, mais de toute façon pas à plein temps.

Mme Claude Greff : Vous parliez de non productivité, mais tout est relatif. Si je reprends votre exemple de la tasse à café, si vous servez dix cafés au lieu de deux, vous satisferez davantage de monde et, automatiquement, le client reviendra. Vous avez donc, vous, tout à fait intérêt à ce que le personnel travaille vite et bien.

M. André Daguin : On ne peut pas accroître la productivité d'un serveur de qualité et compétent, si ce n'est en organisant tellement le service que c'est le client qui risque d'en souffrir. Sinon, les self service n'existeraient pas ; ce sont des endroits où l'on a résolu le problème du service, c'est le client qui se débrouille. Ce n'est pas de la productivité, et ce n'est pas non plus créateur d'emplois.

Nous voudrions essayer, grâce à nos bataillons de restauration traditionnelle, qui ne sont pas seulement dans les restaurants, mais aussi dans les hôtels, les cafés restaurants, etc., de réaliser le potentiel de création d'emplois par le passage de mi-temps ou de temps partiel à des plein temps. Nous sommes maîtres de l'embauche, dans la mesure où nous trouvons des personnes, mais nous ne sommes pas maîtres de faire passer à temps plein celles - j'emploie le féminin, car c'est le cas le plus fréquent - qui ne souhaitent travailler qu'à temps partiel, parce que cela les arrange de travailler de cette manière.

Mme Claude Greff : Pour prendre un exemple concret, dans un hôtel, vous avez tout intérêt à employer des salariées le matin, puisque c'est le moment durant lequel se font les chambres, puis à leur donner du temps libre entre midi et 17 heures, période durant laquelle les clients sont peu présents et où il n'y a pas tellement de mouvement, ni grand besoin de personnel.

Ces salariées souhaiteraient peut-être travailler à temps plein, mais le propriétaire de l'hôtel n'a pas intérêt à les embaucher à temps plein, étant donné qu'il n'a besoin d'eux que le matin.

M. André Daguin : Oui, mais le secteur de l'hôtellerie emploie un peu moins de 200 000 salariés, alors que la restauration en emploie 500 000.

Il n'est sans doute pas de l'intérêt de l'hôtelier de demander à celles qui font les chambres de travailler plus qu'à mi-temps, mais il y a peut-être d'autres façons de faire. Avec le service du petit déjeuner, le travail peut s'étaler sur une période allant de 6 à 11 heures du matin. Vous savez, nous ne sommes pas loin du plein temps ; nous sommes déjà à 5 heures par jour. C'est pour cela que le patron n'y a pas tellement intérêt, dans ce cas précis, et elles non plus, parce qu'elles peuvent être chez elles à midi. Je parle de la situation en province. Paris ne compte pas.

Mme Claude Greff : C'est une ville différente. Dans la restauration, en effet, les employés préfèrent le temps partiel.

M. André Daguin : En général, dans la restauration, les gens sont payés au pourcentage de service. Donc, plus ils travaillent, plus ils sont contents. Cela est vrai pendant dix ans. Ensuite, ils veulent prendre un peu de recul. Mais pendant la période où ils travaillent, ils travaillent très dur. C'est pour cela que quand les 35 heures sont arrivées, les opposants de principe étaient les salariés au pourcentage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est certain.

M. André Daguin : Si vraiment il avait fallu les appliquer, bien que ce soit très compliqué, nous aurions embauché des salariés supplémentaires. Mais ceux qui travaillaient ont manifesté une opposition farouche, rétorquant qu'ils voulaient garder leurs gains. C'est une façon de faire dans ce domaine ; là, il n'y a pas de mi-temps ou de temps partiel, sauf les extras dont nous parlions précédemment.

Dans les grandes villes, les traiteurs ont une brigade d'extras et il est rare que l'extra refuse de venir quand on l'appelle, sinon il se fait renvoyer ; mais il faut savoir que les extras, ce sont des salariés à temps partiel, qui gagnent bien plus qu'un temps complet.

Mme Claude Greff : Je connais bien ce domaine, mais je connais aussi le problème du restaurateur et du barman qui, dans une ville, ont besoin de plus de personnel à certaines périodes - de mai à septembre et en décembre-janvier pour la période de Noël. Le reste du temps, il ne se passe rien et, de la même manière, le restaurateur a tout intérêt à embaucher du personnel non pas à temps partiel, mais en extra, donc, à minimiser le temps complet.

M. André Daguin : La solution que nous avons est d'embaucher des saisonniers auxquels nous essayons de trouver une seconde saison. Nous sommes en train de mettre sur pied quelques accords intelligents avec les syndicats de salariés : le saisonnier fera l'été à Royan et l'hiver à la montagne. Cela lui donnera deux fois un mois de congé, parce que c'est mérité et deux fois quinze jours de formation obligatoire. Nous y réfléchissons actuellement. Cela pourrait permettre à ces saisonniers d'être plus aptes à devenir permanents après quelques années. Car il ne faut pas dire que le saisonnier n'aime pas ce qu'il fait : il aime travailler dur et ne rien faire durant cinq mois, sinon dépenser tout ce qu'il a gagné. Mais, peu à peu, après une dizaine ou une quinzaine d'années comme ça, il faut leur proposer des méthodes pour sortir de cette situation. En voilà une : deux saisons, avec une formation de quinze jours entre les deux et deux mois de vacances.

Nous réfléchissons aussi au logement des saisonniers. Le tourisme est un secteur très difficile. 80 % des touristes occupent 20 % du territoire, donc la pression immobilière est terrible. Nos petits employés ne peuvent pas se loger. Sur ce sujet aussi, nous sommes en train d'étudier la possibilité de faire construire en série, non pas des chalets légers, mais un peu solides, qui seraient à la montagne et à la mer, à la charge pour moitié du salarié, et pour moitié du patron. Cela représenterait un loyer de l'ordre de 150 euros par mois, ce qui est tolérable.

Mme Claude Greff : C'est une proposition intéressante.

M. André Daguin : Mais ce n'est toujours pas du temps partiel. Un temps saisonnier, ce n'est pas un temps partiel, c'est plus qu'un plein temps. Le saisonnier est une bête sauvage, qui veut gagner beaucoup pour dépenser après. Il veut travailler dur et être riche, mais il ne peut pas le faire toute sa vie. Pendant dix ans, pourquoi pas ?

De plus, ce sont de grands professionnels, mais il faut les soutenir. Là aussi il y a presque autant de femmes que d'hommes, peut-être un peu plus d'hommes, malgré tout. Il y a des couples aussi. Mais dès qu'une femme a un enfant, c'est terminé.

Je voudrais parler des femmes dans ce métier, parce que celui-ci est mieux exercé par les femmes que par les hommes. La cuisine est l'affaire des femmes ; il y a au monde un milliard de femmes qui font à manger deux fois par jour...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comment expliquez-vous que les grands chefs soient des hommes ?

M. André Daguin : Il suffit d'observer. Il existe des cuisinières de grande qualité, solistes. Mais je ne connais pas de femme chef qui accepte de commander une brigade de femmes. J'en connais beaucoup qui commande des brigades d'hommes, et comme il faut. Mais elles refusent la conduite de femmes. Je n'ai pas d'explication à cela, mais je le constate, et j'ai parcouru le monde.

Mme Claude Greff : Les exemples qui me viennent à l'esprit sont, effectivement, des femmes qui en veulent, mais qui commandent des hommes.

M. André Daguin : On voit cependant arriver dans les cuisines des filles de qualité, dans des brigades mixtes commandées par des hommes.

Je me dis qu'il doit bien y avoir une raison pour que les femmes qui ont plus de goût, plus d'odorat que les hommes - la preuve en est que la cuisine de femme n'est jamais trop salée, trop épicée, ni trop sucrée - ne soient pas chef. Je crois que la raison en est que deux femmes entre elles ne font pas autant de travail que deux hommes entre eux. Les hommes savent mieux faire équipe. C'est mon explication.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je pense que vous avez raison.

M. André Daguin : Le fait est qu'il n'existe pas de femme chef avec une brigade de femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et chef de brigades mixtes ?

M. André Daguin : Des brigades mixtes, il en existe, commandées par des hommes. Je n'en connais pas encore commandées par des femmes. Il va y en avoir, bien sûr, puisque les femmes arrivent dans les cuisines de brigades. A terme, il est probable que cela va changer. Mais aujourd'hui, la situation est telle que je la décris.

Nous sommes loin du temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En fait, nous avions l'idée préconçue que, dans l'hôtellerie, il y avait beaucoup de temps partiel et nous découvrons que ce n'est pas du tout la situation.

M. André Daguin : Il y en a, mais c'est un temps partiel souhaité dans la plupart des cas.

Mme Claude Greff : Ce sont des temps décalés, c'est la raison pour laquelle on a le sentiment que ce sont des temps partiels. En plus, comme vous disiez, les besoins sont différents des nôtres, puisqu'ils travaillent quand nous ne travaillons plus.

M. André Daguin : C'est un métier en décalage. C'est aussi une des raisons pour laquelle on a du mal à trouver du personnel. On sort un peu du sujet, mais il est bon que vous le sachiez aussi. Nous nous heurtons aux mêmes difficultés que les menuisiers, les plombiers, les électriciens pour trouver du personnel. La même difficulté que les boulangers, les pâtissiers, les poissonniers et les charcutiers. Ni plus ni moins. Seulement eux, quand ils les ont, ils les gardent. Chez nous, au bout d'un an, beaucoup s'en vont.

Prenons le cas d'un ou d'une élève d'une école hôtelière. Bon élève, il apprend bien, il fait de la restauration, des services. Il apprend son métier tous les jours, à midi, le lundi, mardi, mercredi, jeudi et parfois le vendredi. Jamais le soir, jamais le dimanche, jamais les jours de fêtes, jamais pendant les vacances de Noël, ni de Pâques, jamais le 14 juillet ou le 15 août. Et on le lâche dans cette arène de fous où il travaille ces jours là. Si son père est percepteur et sa mère receveuse des postes, ils l'enlèvent de là tout de suite, à moins qu'il ne gagne deux fois plus d'argent qu'ailleurs. Heureusement pour nous, quand c'est au service, cela arrive souvent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pas en cuisine ?

M. André Daguin : Eh, non, parce qu'il n'y a pas de pourboires. Le pourboire n'est pas rien dans ces métiers. Je ne parle pas du pourcentage.

Dans certaines brigades, on partage, dans d'autres non. Mais vous n'empêcherez pas un maître d'hôtel qui reçoit un billet de vingt euros de le mettre dans sa poche et d'oublier le partage. Vous aurez remarqué que ce métier est un métier où l'on travaille trop, mais dans lequel il n'y a jamais de grève. La seule qui ait éclaté depuis longtemps, s'est produite à l'hôtel Méridien de Montparnasse, où ils sont à 35 heures, ont treize mois de salaires et une prévoyance à 1,2.

Le métier est très divers. Dans les grandes villes, cela ne se passe pas comme cela : c'est un temps partiel de quatre heures : petits-déjeuners, ménages des chambres, et le salarié s'en va.

Mme Claude Greff : Ce sur quoi je m'interroge en vous entendant, c'est le fait que vous disiez que le temps partiel serait un temps choisi par les femmes, le soir. Cela me paraît tellement anachronique, parce que la femme aime bien assumer sa vie professionnelle et sa vie familiale aussi.

M. André Daguin : Laissez-moi préciser cette idée. Les femmes préfèrent, en effet, travailler pour le service de midi. Mais cela ne suffit pas, même pour un temps partiel. Il faut donc qu'elles reviennent aussi après ; mais si on a un service comme dans certains pays qui s'éternise de midi à quatre heures de l'après-midi, alors elles ne prendraient que cela et ne reviendraient pas le soir. On peut donc dire que leur temps partiel est un peu contraint.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pour les personnes qui sont à temps partiel, comment se gère la retraite ? Comment, éventuellement, l'employeur peut-il aider à gérer cette retraite ?

M. André Daguin : Nous avons parlé de cette question il n'y a pas très longtemps et il y a des réponses que je vous enverrai, si vous le souhaitez.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, très volontiers, car c'est une de nos préoccupations les plus importantes. Quand les salariés sont à temps partiel, fatalement, ils auront une retraite partielle.

Souhaitez-vous nous exposer d'autres points ?

M. André Daguin : L'expression temps partiel ne recouvre pas chez nous la même chose qu'ailleurs. Je puis vous assurer que, pendant Roland Garros, par exemple, les maîtres d'hôtel ne sont pas à temps partiel. Ils font des heures dont vous n'avez même pas idée. Ils peuvent faire deux extras dans une journée. Ils peuvent faire un extra pour le déjeuner, et un autre pour le dîner. Il est fréquent qu'ils travaillent de 9 heures du matin à 1 heure du matin.

Mme Claude Greff : Beaucoup font même quasiment vingt-quatre heures lors de réceptions de mariage.

M. André Daguin : Certains peuvent très bien faire midi et soir à temps partiel, avec deux employeurs différents. En plus, c'est très curieux mais c'est valorisant. Quand on les entend parler de leur travail, c'est comme les parachutistes chez les soldats ou le GIGN chez les gendarmes. Ce sont ceux qui sont capables de travailler vingt-quatre heures sans arrêt. Après, ils vont dormir trois jours, mais ils l'ont fait.

C'est un métier particulier à double titre : il est en décalage et il réserve aux femmes une place plus grande que d'autres métiers.

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