DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 1

Mardi 5 octobre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

Auditions sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe :

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- Mme Ariane Aubier, présidente de l'association des Chiennes de garde

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- Mme Françoise Laurant, présidente du Mouvement français pour le planning familial

- Mme Maya Surduts, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Ariane Aubier, présidente de l'association des Chiennes de garde.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Ariane Aubier, présidente de l'association des Chiennes de Garde, accompagnée de Mme Françoise Rambert et de M. Mathieu Arbogast.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à cette audition, qui est la première sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe. Nous tenons à entendre les associations qui, depuis des décennies, défendent les femmes.

Sachez d'emblée que ce projet de loi ne me convient pas en l'état. Je suis favorable à un projet de loi global concernant les femmes. Bien entendu, la volonté de condamner les propos à caractère sexiste et homophobe est une bonne intention, mais depuis le temps que l'on débat de la question de la femme, il ne convient pas de faire l'économie d'une grande loi qui mette en avant les problèmes rencontrés par les femmes dans notre société. Les « mesurettes » sont peut-être utiles, mais pas suffisantes ; si l'on veut que la femme puisse être respectée, il convient de lui donner sa place en affirmant que la femme est l'égale de l'homme.

Mme Ariane Aubier : Nous nous sommes immédiatement insurgés sur la façon dont a été présenté ce projet de loi qui ne reflète pas ce que nous demandons. Comme vous, nous souhaitons une loi globale qui nous permette d'agir à tous les niveaux et qui soit véritablement une loi contre toutes les violences faites aux femmes.

Ce projet nous a néanmoins interpellés, puisqu'il lutte contre les violences verbales sexistes dans l'espace public. Cependant, s'il était voté en l'état, ce texte établirait une hiérarchie entre les insultes à caractère homophobe et les insultes à caractère sexiste, ce qui nous paraît totalement injuste. Je dirais même que ce serait une régression. Une telle loi donnerait le sentiment que les insultes sexistes ne seraient en fait pas très graves, et en tout cas beaucoup moins graves que les insultes homophobes, alors que tout le monde sait aujourd'hui que la violence contre une femme commence par les insultes, et ce à tous les niveaux de la société.

La façon dont on perçoit la femme, c'est la façon dont on la traite. Si on les maltraite, si on les discrimine en les rabaissant avec des insultes verbales - aussi bien dans l'espace public que privé - cela veut dire que les femmes valent toujours moins que les hommes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous souhaitez donc une loi globale qui unifierait l'ensemble des textes concernant le problème des femmes, qui condamnerait les discriminations faites aux femmes - avec la création d'une Haute Autorité - et qui organiserait des actions tendant au respect de la femme.

M. Mathieu Arbogast : En fait, nous nous situons dans un double débat : celui de la lutte contre le sexisme, dans son ensemble, que nous souhaitons voir prise en compte dans une loi-cadre, et un problème de société repris par ce projet de loi présenté par le Gouvernement.

Nous sommes évidemment favorables à une grande loi, mais nous avons conscience qu'un problème de pédagogie se pose - auquel nous sommes constamment confrontés - concernant le contenu de notre combat et de nos revendications, ainsi que la légitimité même du combat de nos organisations féministes.

Nous souhaitons que les dispositions de ce texte concernant l'homophobie concernent également le sexisme.

S'agissant de l'homophobie, ce texte aggrave la portée des injures et de la diffamation ; il prévoit également que les associations puissent se porter partie civile. En fait, toute une partie de ce projet de loi ne concerne que l'homophobie, ce qui crée une discrimination qui n'est pas admissible. Cependant, ce texte prévoit de telles avancées sur l'homophobie qu'il est difficile de dire qu'il ne sert à rien.

Nous souhaitons donc que soient amendés les articles 3 et 4 de ce texte, afin qu'il traite sur un pied d'égalité le sexisme et l'homophobie.

Mme Ariane Aubier : Ce sont les articles concernant les injures et la diffamation qui font l'objet de circonstances aggravantes, mais uniquement pour l'homophobie.

M. Mathieu Arbogast : Ces amendements sont indispensables, car il serait inadmissible que la loi valide une hiérarchie dans les insultes au détriment des femmes. Il s'agirait non seulement d'une discrimination, mais surtout d'une régression et d'une violence à l'égard des femmes.

Si ce texte était amendé - dans le sens que nous souhaitons - il aurait la qualité suivante : il nous permettrait enfin d'avoir la législation avec nous, quand nous expliquons que le sexisme est aussi grave que le racisme et l'antisémitisme.

Je vous renvoie au numéro du journal Libération du 9 septembre 2004 qui traitait de la violence à l'égard des femmes. Un travail mené à partir des dépêches AFP par les journalistes de Libération démontre qu'entre le 29 juin et le 29 août 2004, 29 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur compagnon.

Mme Ariane Aubier : Aucune étude n'a été menée sur la violence conjugale.

M. Mathieu Arbogast : Jusqu'à la parution de cet article, nous n'avions qu'une estimation, qui était une extrapolation, du nombre de meurtres : le rapport du Professeur Henrion sur les femmes victimes de violences conjugales, de février 2001. Se fondant sur des chiffres de l'Institut médico-légal de Paris, il avait estimé qu'au moins 72 femmes par an étaient tuées par leur conjoint ou compagnon en France.

Mais le journal Libération a démontré cet été, simplement à partir des dépêches AFP, qu'il s'agissait d'une sous-estimation manifeste.

Mme Ariane Aubier : Ne sont pas prises en compte les femmes mortes en tombant dans l'escalier ou en se défenestrant, dont nous ne saurons jamais si elles ont été poussées par leur conjoint.

M. Mathieu Arbogast : Je vous cite ces chiffres pour vous montrer à quel point il est urgent d'agir et de donner un signe positif.

Depuis trente ans, nous sommes constamment renvoyés à la loi très positive de 1972 contre le racisme et l'antisémitisme. Cette loi a eu un impact pédagogique phénoménal et a été un instrument de légitimité, sur lequel les associations qui luttent contre le racisme peuvent s'appuyer sur le terrain, contrairement à nous.

Bien évidemment, il n'appartient pas à l'État de tout faire à ce sujet, et il est nécessaire que les associations continuent à avoir une action de terrain, mais nous nous rendons compte à quel point nous avons besoin d'une légitimité. C'est la raison pour laquelle, si cette loi valide une hiérarchie des insultes au détriment des femmes, elle aurait un impact catastrophique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Que pensez-vous du fait de traiter dans la même loi l'homophobie et le sexisme ?

M. Mathieu Arbogast : Nous pouvons le comprendre, car les médias, par exemple, font souvent l'association, mais il s'agit de deux problèmes différents. Et la réalité est que les mouvements gays, lesbiens, bi, trans et féministes travaillent de plus en plus ensemble, notamment ces derniers temps, avec l'Inter-LGBT (Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans), à propos de ce projet de loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comment réagit l'Inter-LGBT à l'égard de ce projet de loi ?

M. Patrick Delnatte : Il ne faut pas confondre « orientation sexuelle » et « identité ». Un propos sexiste touche à l'identité de la personne - homme, femme. Il est dangereux de mélanger les deux.

M. Mathieu Arbogast : Certains femmes sont confrontées à un autre problème, celui de la « lesbophobie » : ce n'est ni uniquement en tant que femme, ni uniquement en tant qu'homosexuelle que ces femmes sont discriminées, mais pour ces deux raisons. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas condamner l'association de ces deux problèmes
- l'identité et l'orientation sexuelle - au sein d'un même projet de loi. En effet, il n'y a pas que des femmes hétérosexuelles ou des hommes homosexuels.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En définitive, préféreriez-vous amender ce texte ou vous battre pour obtenir un projet de loi global ?

Mme Ariane Aubier : Nous sommes là dans l'urgence, c'est la raison pour laquelle nous sommes montés au créneau. Nous souhaitons amender ce texte, car nous ne voulons pas qu'il passe en l'état. Il s'agirait d'une régression, puisqu'il serait moins grave d'insulter un homosexuel en raison de son orientation sexuelle, qu'une femme en raison de son sexe.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais c'est ce qui risque d'arriver.

Mme Ariane Aubier : C'est pour cette raison que nous souhaitons amender ce texte. Mais bien évidemment, après avoir obtenu une miette de reconnaissance, nous irons beaucoup plus loin.

Mme Danielle Bousquet : Il serait peut-être plus intéressant d'enlever totalement le mot « sexisme » du projet de loi, et de le présenter clairement, tel qu'il a été élaboré à l'origine, comme un texte contre la discrimination homophobe - sans aborder le problème des femmes, qui a été rajouté et donc mal traité.

Mme Ariane Aubier : Ce serait tout de même reculer...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Devons-nous amender ce texte ou devons-nous nous battre pour obtenir un vrai texte concernant les femmes ?

Mme Danielle Bousquet : Nous sommes tous bien d'accord que ce texte est indispensable pour lutter contre l'homophobie.

Mme Ariane Aubier : Mais aussi contre les insultes sexistes.

Mme Danielle Bousquet : Nous sommes bien d'accord, mais il devrait s'agir d'un autre texte. Nous l'avons dit, le problème de l'homophobie et celui du sexisme ne sont pas de même nature. Alors ne faudrait-il pas dire oui à ce texte sur l'homophobie et refuser d'y inclure le sexisme, qui y est très mal traité ? Il est inacceptable qu'il soit traité de cette manière : abordons-le autrement, dans un autre projet de loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Accepteriez-vous que les parlementaires se battent pour obtenir cet autre projet de loi ?

M. Mathieu Arbogast : Selon nous, il serait illisible de demander le retrait des dispositions concernant le sexisme. Ou alors, il conviendrait de scinder le projet en deux.

Mme Danielle Bousquet : Imaginez que ce projet de loi soit voté en l'état ; une injure sexiste ne serait rien par rapport à une injure homophobe. Vous dites vous-mêmes qu'il s'agirait d'une régression. Il convient donc de mesurer la dangerosité de ce texte.

Je raisonne en termes de stratégie politique pour les femmes, et je pose la question : ne serait-ce pas une erreur d'accepter ce texte en l'état, sachant que nous ne sommes absolument pas sûrs qu'il puisse être amendé ?

M. Mathieu Arbogast : On se retrouverait alors complètement piégés.

M. Patrick Delnatte : J'ai le sentiment que pour ne pas stigmatiser l'homosexualité, on a rajouté le sexisme, alors qu'il s'agit de deux problèmes bien différents.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je n'ai pas souhaité que la Délégation demande à être saisie de ce texte. Je ne comprends pas que les deux problèmes soient traités dans un même projet, ne serait-ce que par respect des uns et des autres.

Mme Danielle Bousquet : On naît petit garçon ou petite fille, c'est le genre humain. Or, la discrimination à l'égard des petites filles a lieu dès la naissance. L'orientation sexuelle, elle, se décide plus tard. On voit donc bien qu'il s'agit de sujets qui ne sont pas de même nature. Le débat est rendu confus par cet amalgame entre les deux situations. Les homosexuels sont une minorité qu'il convient de respecter, alors que les femmes ne sont pas une minorité. On confond tout.

Ce texte est dangereux, car il fait un amalgame de deux réalités qui ne sont absolument pas de même nature ; la discrimination n'est donc pas non plus de même nature.

Comme vous le dites très justement, il s'agira d'une régression ; non seulement dans le débat, mais également sur le terrain, puisque les insultes homophobes seront davantage sanctionnées que les insultes sexistes. Les discriminations envers les femmes sont des discriminations de genre ; les femmes les subissent depuis qu'elles sont petites filles et tout au long de leur vie.

Dans ce projet de loi, le sexisme est minimisé à l'extrême.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les associations sont-elles prêtes à nous suivre si nous montons au créneau, ou acceptez-vous le projet a minima ?

M. Mathieu Arbogast : Non, en l'état, ce projet est inacceptable.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Alors espérez-vous réussir à le faire amender ?

M. Mathieu Arbogast : Nos amendements seront présentés, mais seront-ils acceptés ? Nous ne partons pas battus, nous sommes extrêmement actifs. Je ne parle pas simplement des Chiennes de Garde. Nous avons été à l'initiative d'un collectif d'associations qui comprend le Mouvement français pour le planning familial, le Collectif national pour les droits des femmes, Mix-Cité, la Grande Loge féminine de France, etc.

M. Patrick Delnatte : Mais ce collectif crée une confusion ; c'est également cela le problème.

Mme Ariane Aubier : Toutes les associations féminines et féministes demandent une loi globale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Alors pourquoi préférez-vous amender ce texte plutôt que de réclamer une loi globale ?

Mme Ariane Aubier : Mais nous travaillons depuis des années dans l'optique d'une loi globale !

Mme Mugette Jacquaint : Elles veulent une loi globale qui soit une émanation des propositions de l'ensemble des associations. Car, disons-le, il est rare qu'une loi reprenne leurs propositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait, et je dois vous dire que votre espoir d'amender ce projet de loi m'inquiète. Car je ne suis pas convaincue que le texte sera amendé.

M. Mathieu Arbogast : Nous n'en sommes pas persuadés non plus. Mais nous ne pouvons pas laisser le projet en l'état en disant que nous refusons la partie concernant le sexisme. Au contraire, nous voulons nous en saisir pour en faire un marchepied pour cette loi-cadre dont on commence à parler grâce aux Espagnols ; nous avons dans nos cartons un projet de loi anti-sexiste.

M. Ariane Aubier : Réussir à amender ce texte serait une première étape. Car s'il était voté en l'état, ce serait très grave.

M. Mathieu Arbogast : Nous savons bien que nous allons avoir du mal à faire passer une loi-cadre ; nous allons avoir besoin d'instruments de légitimité. Or, si nous réussissons à amender le texte du Gouvernement, nous aurons un premier outil pour faire passer l'idée que le racisme et le sexisme sont aussi graves.

Mme Ariane Aubier : De toute manière, il faudra voter une loi contre les propos sexistes.

Mme Muguette Jacquaint : Il est vrai que les filles sont victimes de racisme et de sexisme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Donc si nous nous battons pour obtenir une loi globale, vous nous soutiendrez ?

Mme Ariane Aubier : Evidemment ! C'est ce que nous demandons depuis des années.

Mme Muguette Jacquaint : Si nous réclamons une loi globale, elle doit correspondre aux attentes des femmes et des associations qui les représentent. Nous devons véritablement travailler ensemble.

M. Mathieu Arbogast : Dans un premier temps, nous attendons de voir quelle sera l'attitude des parlementaires face aux amendements que nous proposerons sur l'actuel projet de loi ; ce sera un premier signe - ou non - de cette volonté de se battre pour une loi-cadre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je souhaite vraiment me battre sur ce sujet, car il est inadmissible de faire cet amalgame entre le sexisme et l'homophobie. Ce projet de loi, en l'état, ne respecte ni les uns ni les autres.

M. Mathieu Arbogast : Bien identifier la spécificité de chaque discrimination pour la comprendre en tant que telle est très important, mais en même temps, dans notre dispositif national - et en droit international -, un amalgame existe déjà, puisque certaines dispositions concernent les personnes « sans distinction de race, de sexe, de religion ou d'orientation sexuelle ». Alors même s'il peut choquer, il existe déjà en droit national et international, dans des dispositions qui vont dans le bon sens.

Mme Danielle Bousquet : Il est vrai que cet amalgame est fait de cette manière. Cependant, dans un certain nombre de documents internationaux et dans le projet de traité constitutionnel, il est question de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Ariane Aubier : En fin de compte, le mieux serait de ne pas voter ce projet de loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et de persuader le Gouvernement de présenter deux projets de loi.

Mme Muguette Jacquaint : S'il doit être adopté, il faut qu'il soit amendé.

Mme Ariane Aubier : Bien entendu. Mais s'il n'est pas voté, les associations homosexuelles diront que ce projet de loi en leur faveur n'a pas été adopté à causes des associations féministes. Alors que ce n'est pas du tout la réalité. On nous monte presque les uns contre les autres, alors que nous avons travaillé ensemble.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Françoise Laurant, présidente du Mouvement français pour le planning familial.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons maintenant Mme Françoise Laurant, présidente du Mouvement français pour le planning familial, accompagnée de Mmes Maïté Albagly, secrétaire générale, et Fatima Lalem, membre du bureau national.

La Délégation a souhaité recevoir les associations afin de connaître leur avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

Sachez que je ne suis pas favorable à ce projet de loi - qui ne respecte ni la femme, ni les homosexuels -, mais que je souhaite une loi globale, spécifique, sur les femmes. Cette loi globale unifierait tous les textes qui existent déjà relatifs aux discriminations que subissent les femmes. Le Gouvernement prouverait ainsi sa volonté de lutter contre ce type de discriminations. Car je ne retrouve pas, dans ce projet de loi, des éléments rassurants pour les femmes.

Mme Françoise Laurant : Nous aimerions apporter notre expérience sur ce sujet, fondée sur la grande pratique que nous avons auprès des jeunes et des femmes. Tout le monde pense que nos activités sont limitées à la contraception et à l'IVG, ce qui est tout à fait faux ; vous-mêmes, vous commencez à le savoir.

Les constantes que nous retrouvons dans nos rapports, individuels ou collectifs d'intervention auprès de groupes de jeunes, de groupes mixtes, de groupes de femmes ou d'hommes, sont les suivantes : le blocage face à une prise de responsabilités et d'initiatives leur permettant de maîtriser leur vie est lié au fait que les femmes vivent dans un contexte où tout ce qui concerne la femme est dévalorisé ; ce sont les rapports de domination de l'homme sur la femme qui sont la référence. Il est donc évident qu'une femme qui n'est pas respectée, qui n'est pas valorisée, a beaucoup de mal, notamment une femme en difficulté, à prendre confiance en elle et à penser que la société est contre cet état de fait, etc. Or, la société ne réagit pas contre cet état de fait.

Nous faisons des animations, avec des photos-langages, des jeux de rôles ; vous n'imaginez pas comment les situations sont représentées ! Parfois même, le fait d'être le dominant pose des problèmes à certains jeunes hommes. Nous vivons dans une société, dans laquelle des spécialistes analysent bien les causes de certains problèmes : les échecs contraceptifs sont liés au fait que les femmes ne se sentent pas légitimées à oser penser qu'elles ont le droit à..., que ce qui leur arrive n'est pas normal. Or, il appartient à la société de le leur dire.

Notre pays n'engage pas de véritable politique globale sur ce terrain ; il s'agit d'une grosse défaillance. Si nous avions la possibilité, dans nos animations avec les jeunes, de leur citer des lois obligeant à respecter la femme, nous pourrions avancer. A l'heure actuelle, même l'Education nationale a intégré que la culture aujourd'hui c'est le stéréotype du garçon qui réussit, de la fille qui doit séduire, etc.

Un conseil général a demandé à l'une de nos associations départementales d'intervenir sur le thème de la prévention des comportements violents et des comportements sexistes ; or, tout ce qui concernait le sexisme ordinaire, y compris à l'école, le rectorat nous a demandé de le retirer nous disant : « vous n'y êtes pas, c'est la culture moderne ! Vous êtes ringardes ! » Et ces paroles venaient du conseiller du recteur.

En l'absence de toute intervention de la société française - prenons l'exemple espagnol, où toute la société civile travaille avec les politiques à l'élaboration d'une loi anti-sexiste - nous n'avancerons pas. Alors nous vous applaudissons des deux mains si votre intention est de réclamer une loi globale anti-sexiste. Je dis bien globale, touchant toute la société et non pas seulement la presse ; en effet, la première limite de ce projet de loi est qu'il ne vise que la presse.

Je tenais également à vous dire que nous avons été peinées que M. Bernard Stasi, qu'il s'agisse des discriminations ou du débat sur la laïcité, ait refusé de nous entendre. Or, nous avons su, par d'autres personnes qui ont été auditionnées et que nous connaissons, que des questions comme celles-ci ont été posées : « Ne pensez-vous pas que les discriminations sexistes, dont la Haute autorité sera chargée, devraient être considérées comme l'une des discriminations ? » Or l'expérience nous prouve que, quand on commence à noyer le sexisme dans un tas d'autres choses, il n'est jamais pris en compte.

Or, la loi sur la Haute autorité, chargée de l'ensemble des discriminations est en débat aujourd'hui au Parlement. C'est l'occasion de dire qu'un organisme indépendant
- comme le réclame la convention CEDAW - devrait être mis en place pour s'occuper du suivi, de la coordination et des évaluations relatives à la lutte contre le sexisme envers les femmes dans la société. Si une grande loi anti-sexiste de lutte contre la domination du masculin sur le féminin était élaborée, elle montrerait une véritable volonté du Gouvernement de traiter des discriminations sexistes. Or, ce n'est pas le cas.

En ce qui concerne le projet de loi, le fait de considérer que le sexisme est aussi grave que l'homophobie, pour l'incitation ou la provocation à la discrimination, est une chose, mais ne pas le dire pour les deux autres éléments du texte - diffamation et injure - est vraiment grave et contre performant.

En effet, les jeunes qui regardent les débats à la télévision nous diront : « Alors, en fait, c'est moins grave de traiter une femme de « sale pute », que quelqu'un de « sale pédé » ! Et le jeu aidant, cette idée entrera dans les mœurs.

Nous avons donc presque envie de dire, que s'il est impossible de rajouter le mot « sexisme » à côté du mot « homophobie » dans ce projet de loi, alors il vaut mieux l'enlever partout et ne pas traiter du sexisme dans ce texte, et dans le titre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dès le début, j'ai été très sceptique quant à ce projet de loi, car ce n'est pas rendre service aux femmes que d'approuver un tel texte.

Mme Françoise Laurant : Nous sommes également confrontés aux questions des jeunes sur l'orientation sexuelle. Ils ont besoin de parler seul à seul avec nous sur ces questions, nous sommes donc très attentifs. Car nous savons tous quels dégâts peut produire l'homophobie. Nous ne sommes donc pas contre ce que réclament les mouvements homosexuels.

Je me demande si, à l'origine, ce projet de loi ne concernait pas uniquement l'homophobie, et si le Gouvernement n'a pas rajouté un peu d'anti-sexisme...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si, c'est tout à fait ça. Ils ont rajouté le sexisme pour faire plaisir à tout le monde.

Mme Muguette Jacquaint : Et, en définitive, personne n'est content.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En tant que législateurs, nous sommes responsables du contenu des lois que nous votons et elles doivent satisfaire les personnes concernées.

Mme Fatima Lalem : Nous sommes ravies d'apprendre que vous partagez notre ambition d'un grand projet de loi contre le sexisme.

Il y a effectivement un problème. Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, a jugé bon d'introduire ce petit additif, qui finalement est totalement contre-productif. Il l'est d'un point de vue pédagogique : comment allons-nous expliquer aux jeunes gens cette hiérarchie dans les insultes ? La loi a une fonction pédagogique extrêmement importante.

Il est contre-productif par rapport au travail que nous menons de prévention et de lutte contre les violences sexistes. Nous expliquons aux femmes que nous recevons, victimes de coups, d'insultes, de violences psychologiques, l'ensemble du processus, car les violences ne commencent pas par les coups. Il ne faut absolument pas banaliser la violence verbale et accepter l'inacceptable : les femmes tuées par leur compagnon.

Une telle loi ne nous apportera rien quant à notre capacité de pouvoir saisir un juge, nous ne pourrons pas nous constituer partie civile en cas de diffamation. Je ne vois donc pas ce qu'elle apporte sur le plan politique, sur le plan sociétal et sur le plan éducatif. Il s'agit d'un projet qui, en l'état, est totalement contre-productif.

S'il existait une proposition allant dans le sens d'un traitement égal, sans hiérarchie, alors nous la considérerions comme un réel progrès. L'idée d'un projet global qui intégrerait l'ensemble de la problématique des discriminations faites aux femmes, quelle que soit leur forme et quel que soit le lieu - la presse, le foyer, à l'école ou au travail - est intéressant ; les femmes devraient pouvoir trouver un traitement égal.

Mme Maïté Albagly : J'ai vu hier, à la télévision, une publicité pour une crème qui enlève les bleus - l'on voit une femme battue, avec un cocard. Je suis scandalisée. Nous allons publier un communiqué dès demain, car la banalisation qui existe sur ce sujet dans notre pays est insupportable.

Les Espagnols ne se sont pas arrêtés au vote d'une loi anti-sexiste, puisqu'ils continuent avec une loi très intéressante sur l'éducation : éducation à la société, mixité, respect de l'autre, seront les thèmes abordés dans le programme. Il serait dangereux, en France, de traiter ce sujet uniquement dans l'espace public et de laisser de côté le privé.

Mme Muguette Jacquaint : Vous préféreriez une loi globale traitant du sexisme. Mais si ce texte devait passer en l'état, quelles propositions d'amendements feriez-vous ?

Mme Françoise Laurant : Ce texte est mauvais, car les actes de nature sexistes ne sont condamnés que dans un seul cas, contrairement aux actes et insultes homophobes. Le problème, c'est cette inégalité de traitement.

Notre position est claire : si le sexisme n'est pas traité comme l'homophobie, nous préférons qu'on n'en parle pas dans cette loi.

Nous utilisons déjà des trésors d'ingéniosité pour persuader les jeunes, les femmes que nous recevons, que la société est contre la violence, contre les inégalités homme/femme. Alors, avec ce projet de loi qui va défrayer la chronique, nous allons avoir encore plus de mal à le leur expliquer

Par ailleurs, quand nous parvenons à saisir les tribunaux à propos d'injures dont nous sommes victimes, nous sommes traitées de vieilles ringardes, nous n'avons pas le sens de l'humour !!, etc. Vous le savez bien, mesdames les députées, vous êtes vous aussi insultées régulièrement ! Alors, outre la banalisation des insultes sexistes qui sont toujours minimisées, on ne veut surtout pas voir la gravité de leurs effets sur certaines femmes. En les minimisant, on légitime les attitudes des hommes qui battent leurs femmes, qui les insultent ou ne les respectent pas, qui les tuent.

Mme Fatima Lalem : Je voudrais reprendre l'exemple cité par des femmes - que vous allez certainement recevoir - et qui était le suivant : pourquoi le chef d'entreprise aurait-il besoin d'inciter à la diffamation et à la discrimination - seul cas prévu dans le projet de loi ? Il lui suffit de discriminer - et il le fait dans la pratique - ; il n'a pas besoin d'aller inciter d'autres personnes à le faire.

Alors quand on nous dit que le sexisme est pris en compte dans ce texte, non. Il n'y a que cette provocation à la violence, à la haine et à la discrimination, et ce n'est rien du tout.

Mme Danielle Bousquet : Si à côté « d'orientation sexuelle », il était inscrit, à chaque fois, « et sexiste », pensez-vous que l'on arriverait à quelque chose de convenable ?

Mme Françoise Laurant : Non, mais le texte n'aurait plus les dangers que je viens d'expliquer.

Quand je dis que la société doit afficher ses intentions dans ce domaine, je veux parler, par exemple, de la création d'une Haute autorité, ou d'un organe indépendant contre les discriminations sexistes. On a besoin que la société affirme de façon claire que le sexisme doit être combattu partout et par tout le monde.

Mme Danielle Bousquet : Les représentants de l'association que nous avons reçue avant vous jugeaient cette avancée - rajouter le mot sexiste à côté de ceux « d'orientation sexuelle » - comme un progrès.

Mme Françoise Laurant : Ce serait un progrès par rapport à la presse, qui a un poids sur l'image de la femme. Mais, je le redis, nous avons besoin que la lutte contre les discriminations sexistes soit affichée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce projet de loi concernait, au départ, les propos homophobes. En rajoutant le mot « sexiste » ici ou là, on minimise le problème de la femme. Ce texte est un texte a minima pour les femmes.

Mme Maïté Albagly : Ajoutons que pour les femmes, la discrimination commence avant la naissance. Cette différence est fondamentale.

Mme Françoise Laurant : Etant donné la réaction des représentants de la presse et de la publicité, je pense que si l'on rajoutait le mot « sexiste » à côté « d'orientation sexuelle », ça les gênerait tout de même. Alors si cela les gêne, pourquoi ne pas le faire ; mais cela ne répondra pas à la question globale.

L'initiative de Mme Nicole Ameline, de missionner l'organisme de vérification de la publicité et d'en faire son partenaire, est intéressante, mais ce serait plus efficace si cette initiative faisait partie d'un ensemble de mesures portant sur les différents aspects de la société.

Mme Muguette Jacquaint : Les publicitaires se permettent d'agir ainsi, parce que la question de fond sur les femmes n'est pas réglée. Il y a même un recul depuis de nombreuses années sur cette question.

Mme Danielle Bousquet : Il faudrait que tous les partis politiques refusent de voter ce texte si le sexisme n'était pas mis au même rang que l'homophobie ; cela aurait peut-être un certain effet.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les femmes ne sont pas satisfaites par un tel texte. Ma responsabilité en tant que parlementaire est de tenter de le faire changer pour obtenir ce que les femmes attendent depuis trente ans.

Mme Danielle Bousquet : Ce projet de loi aurait pu, dès le début, intégrer le sexisme. S'il a été écrit de cette manière-là, ce n'est pas complètement le fruit du hasard. J'ai donc bien peur que les amendements que nous déposerons ne soient refusés

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Maya Surduts, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je souhaite la bienvenue à Mme Maya Surduts, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, qui est accompagnée de Mme Jocelyne Fildard, déléguée de la Coordination nationale lesbienne de France.

Avant tout, sans doute serait-il bon que vous nous rappeliez comment sont nées ces deux organisations que vous représentez aujourd'hui.

Mme Maya Surduts : Le Collectif national pour les droits des femmes s'est constitué au mois de janvier 1996, à l'issue d'une manifestation appelée par la CADAC
- Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception - le 25 novembre 1995.

Des organisations et des partis politiques, des syndicats et des associations avaient participé à l'organisation de cette manifestation qui a réuni trois générations, 40 000 personnes, dont un tiers d'hommes. C'est dans la foulée qu'a donc été créé le Collectif pour les droits des femmes, qui a mené un certain nombre de campagnes sur des thèmes comme la réduction massive du temps de travail, dont j'ai conscience qu'elle n'est pas très à la mode, ou le refus de l'imposition du temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann : Ce sujet est, en revanche, d'actualité puisqu'il fait l'objet d'un rapport de la Délégation aux droits des femmes, qui sera prochainement examiné.

Mme Maya Surduts : Une de nos revendications s'est trouvée satisfaite par « la loi Aubry II » : la suppression des exonérations de charges pour le travail à temps partiel, bien que les modalités des anciens contrats aient été maintenues.

Nous avons également mené campagne contre l'extrême droite, lorsqu'elle a passé des alliances avec la droite, pour dénoncer et expliquer ce qu'impliquait pour les femmes une idéologie fascisante.

L'année 1997 a été celle des Assises nationales pour les droits des femmes, qui ont mobilisé 2 000 personnes et au cours desquelles ont été définies un certain nombre de priorités, dont la lutte contre l'imposition du temps partiel. En 2000, nous avons organisé une manifestation, estimant que c'est l'une des façons de rendre les femmes visibles et de matérialiser un rapport de force, pour défendre un certain nombre de revendications. Cette action a certainement joué un rôle dans la promulgation de la loi en faveur de l'IGV et de la contraception du 4 juillet 2001, à laquelle nous avons œuvré avec la CADAC, l'Association nationale des centres d'IVG et de contraception ainsi que le Mouvement français pour le planning familial, avec qui nous travaillons de façon privilégiée.

Enfin, nous avons tenu de nouvelles Assises en 2002 et nous avons également lancé, il y a un an, une nouvelle campagne sur les violences, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

Ce dernier sujet fait partie de nos préoccupations. La situation est grave et la presse y est apparemment sensibilisée : 29 femmes sont mortes cet été des suites de violences. Aussi, confortées par le fait que le rapport sur les violences faites aux femmes n'a pas donné les résultats escomptés, nous avons décidé d'appeler à une manifestation nationale, samedi 27 novembre, à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre la violence.

Par ailleurs, nous lançons avec le Mouvement français pour le planning familial des réunions unitaires pour préparer une manifestation nationale pour le droit à l'avortement et à la contraception. Elle devrait avoir lieu le 15 janvier prochain, étant précisé que les opposants à la loi s'apprêtent à manifester, quant à eux, le 23 janvier sur le thème : « Trente ans, ça suffit ! ».

Avant de terminer il me reste à ajouter que nous sommes, naturellement, partie prenante de la Marche mondiale des femmes.

Mme Jocelyne Fildard : J'interviens au titre du Collectif national pour les droits des femmes, mais également au titre de déléguée de la Coordination lesbienne en France, qui regroupe une vingtaine d'associations sur le territoire et un collège de personnes qui, soit sont dans l'impossibilité, pour des raisons géographiques, d'adhérer à une association, soit ne trouvent pas de structures susceptibles de leur correspondre.

Il faut savoir que la coordination lesbienne s'est créée sur une discrimination. Ainsi, alors que les groupes féministes ont été associés à la préparation de la conférence de Pékin, les associations lesbiennes en ont été écartées.

Mme Marie-Jo Zimmermann : Ce sont pourtant des femmes.

Mme Jocelyne Fildard : Bien sûr et c'est pourquoi je vous parlerai de nos luttes spécifiques, qui ont justifié la création de nos associations. Cela étant, nous ne nous enfermons pas dans ces spécificités. En effet, nous faisons partie à la fois du Collectif national pour les droits des femmes, ce qui prouve que nous nous relions totalement au groupe social femmes, et de l'Inter - LGBT - l'interassociative lesbienne, gaie, bi et trans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avez-vous souhaité créer votre structure par rapport à l'homosexualité ou pour faire reconnaître votre spécificité ?

Mme Jocelyne Fildard : Il est clair que nous souffrons de discriminations spécifiques, puisque les associations de lesbiennes, qui sont pourtant des femmes comme les autres, mises à part les spécificités liées à leur orientation sexuelle, n'ont pas été conviées à la préparation de la conférence de Pékin. Si nous nous sommes constituées en mouvement, c'est pour opposer une force au Gouvernement et aux institutions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Selon vous, on s'occupe plus des homosexuels que des lesbiennes ?

Mme Jocelyne Fildard : Oui et je vous l'expliquerai plus clairement en vous disant pourquoi nous parlons de « lesbophobie ».Vous avez mis le doigt sur un point important que vous ne percevez pas : notre invisibilité.

Mme Maya Surduts : On les range dans la catégorie « homo ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On prend donc le terme dans un sens général ?

Mme Jocelyne Fildard : Lorsque l'on emploie le terme « homophobie », les lesbiennes sont noyées dans l'universalisme gai, tout comme les femmes sont noyées dans l'universalisme quand on parle des « droits de l'homme ». C'est exactement la même chose.

Mme Maya Surduts : En pire.

Mme Jocelyne Fildard : Nous nous sommes regroupées, en 1997, en mouvement national. Nous faisons partie du Collectif national pour les droits des femmes. Nous sommes aussi fortement impliquées dans la Marche mondiale des femmes et nous travaillons également avec les gays, notamment au sein de la LGTB où nous commençons seulement à être visibles - on parle maintenant, non plus de Gay pride, mais de Marche des fiertés -, mais après avoir livré, là encore, un rude combat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle appréciation portez-vous sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe ?

Mme Maya Surduts : Nous considérons que le pouvoir a opté en faveur d'un projet de loi qui, en dépit de son titre, donne du sexisme l'impression qu'il est une pièce rajoutée, d'où les réticences que nous éprouvons à son égard. Au départ, il s'agit quand même d'un projet de loi conçu sur le modèle de la loi de 1972 relative au racisme et à l'antisémitisme, complétée en 1992.

Nous avons nettement l'impression que ce projet de loi sera voté, alors qu'il ne fait état du sexisme que dans les articles 1 et 2 et qu'il n'en est plus question dans les articles 3 et 4, ce qui ne fait que nous renforcer dans notre conviction qu'il est un peu « bricolé » ; mais je suppose que tout cela a déjà été dit et répété.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, mais la répétition est un outil pédagogique et je peux vous assurer que vous avez été entendue.

Mme Maya Surduts : Cette affaire est compliquée car vous n'ignorez rien du sort réservé au projet de loi déposé par Mme Yvette Roudy, à qui nous tenons à rendre hommage, car elle a livré un combat dans une période particulièrement difficile. Ses efforts n'ont même pas abouti à un débat en séance publique, ce qui prouve à quel point ce débat dérange et ce qui illustre bien le fait, même si nous avons pu croire le contraire, qu'il n'y a jamais eu de sociétés matriarcales et que, quel que soit le système économique, nous avons toujours vécu dans des sociétés patriarcales.

Cette affaire de la domination des femmes est donc particulièrement difficile à éradiquer et complique singulièrement la lutte contre les discriminations.

Nous en sommes réduites à la portion congrue puisque tout ce qui concerne les injures et les diffamations n'est pas retenu, et il est légitime de penser qu'il en est ainsi parce ces aspects sont considérés comme allant de soi. On accepte, en fait, comme étant normal, un certain type de rapports de domination et tout ce qui en découle. Cela explique qu'il soit si difficile de venir à bout, voire de faire reconnaître, même les violences.

Si le Gouvernement et les pouvoirs publics ont été conduits à légiférer sur la parité, c'est tout simplement parce que la situation était, en France, particulièrement scandaleuse. Le patriarcat sévit partout dans le monde de façon plus ou moins exacerbée, mais on a le sentiment qu'il existe une spécificité française tout à fait incompréhensible : alors que les femmes représentent, en France, 46 % de la population active, leur niveau d'insertion place notre pays au dernier rang des pays européens, bien loin derrière la Grèce. C'est la raison pour laquelle il a fallu légiférer, avec les résultats que l'on sait. Comme par hasard, le pouvoir est passé aux intercommunalités et la loi sur la parité n'a pas créé les conditions suffisantes pour faire rentrer les femmes dans les instances exécutives qui ont le pouvoir de décision.

J'ai bien conscience de répéter des évidences, mais elles montrent à quel point les résistances sont profondes. Je dois avouer que les élections sénatoriales ont, en la matière, marqué une avancée notable.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Seulement dans les départements où s'appliquait la proportionnelle. Au total, les femmes n'occupent que 16,9 % des sièges...

Mme Maya Surduts : Je ne considère pas que ce soit miraculeux. Nous avons appris à nous satisfaire de peu, je dirai même du dérisoire. On finit par s'adapter et par accepter des situations qui sont à la limite de l'inacceptable : c'est la réalité et c'est ce à quoi nous sommes conduites. C'est d'ailleurs de ce point de vue que nous considérons qu'en l'état, le projet de loi, est, lui aussi, inacceptable. Il ne répond pas au besoin : il nous faut une loi.

A cet égard, il faut rendre hommage au projet de loi que s'apprête à voter le Gouvernement espagnol. Nous en avons eu connaissance et j'ai même participé, ce week-end, dans le cadre de la Marche mondiale, à une réunion où j'ai pu rencontrer des femmes de différentes origines, aussi bien des Basques, que des Catalanes ou des Galiciennes, qui m'ont dit qu'il était prévu de débloquer 60 à 80 millions d'euros, alors que j'avais entendu dire que les moyens ne suivraient pas. Quoi qu'il en soit, les échanges se poursuivront avec les femmes espagnoles et je maintiens que, pour ce qui nous concerne, nous avons besoin d'une loi-cadre qui prenne en compte la complexité de la situation et qui nous permette de faire un bond en avant.

Par ailleurs, nous ne sommes pas de celles qui disent se désintéresser du sujet au prétexte que les mesures privilégieraient encore les hommes et la lutte contre l'homophobie
-  même s'il est vrai qu'il y a eu de sérieuses avancées en la matière - et non pas contre la « lesbophobie ». Nous sommes solidaires des lesbiennes, nous menons des luttes communes, nous les soutenons, mais nous risquons d'être piégées par ce projet de loi.

Dans ces conditions, que faire ?

C'est la question que nous entendons aborder dans toutes les opérations que nous préparons contre la violence, même si nous n'avons pas encore définitivement arrêté nos modalités d'action : nous hésitons entre la publication d'une pétition ou celle d'un manifeste élaboré à partir de revendications précises.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La solution du manifeste me paraît plus pertinente.

Mme Maya Surduts : Avant de terminer, je rappellerai que la France, qui a ratifié, en 1984, la convention de 1979 pour l'élimination des discriminations faites aux femmes, s'est faite « retoquer » à plusieurs reprises, à l'ONU. C'est grave pour un pays qui se veut être le pays des droits de l'homme : il est peut-être le pays des droits de l'homme, mais pas celui des droits des femmes. Qu'elles soient lesbiennes ou hétérosexuelles, certaines femmes se trouvent encore dans une situation plus difficile que les autres, et à ceux de mes amis qui, notamment au sein de la LGTB, prétendent que de tels propos les insultent, je réponds : « homos ou hétéros, vous êtes des hommes ... ». Les hommes représentent le pouvoir économique, social et nos amies lesbiennes sont encore en plus grande difficulté que nous ne le sommes nous-mêmes.

En conclusion, je dirai qu'en l'état, le projet de loi est une discrimination ; c'est encore une violence qui est faite aux femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis « montée au créneau » à plusieurs reprises ces deux dernières années et j'entends le faire également à propos de ce projet de loi.

Pour obtenir un réel respect des femmes, il nous faut une loi globale, rassemblant tous les textes existants, disséminés de-ci, de-là, et qui mette l'accent sur des actions volontaristes de lutte contre les discriminations.

Ce qui me choque dans cette loi, c'est que l'on y ait « rajouté », comme vous l'avez dit, une pincée de sexisme, comme on rajoute une pincée de sel dans une préparation culinaire. Je crois qu'il fallait promulguer une loi contre les propos homophobes ou lesbophobes, mais je considère que c'est desservir aussi bien l'homosexualité que les problèmes des femmes que de les mélanger. Les deux questions sont importantes et doivent être traitées de la même façon.

Certaines personnes, de l'Observatoire de la parité notamment, qui ont travaillé à l'élaboration de ce projet de loi, m'ont confié qu'au départ, il ne visait que les propos homophobes. Je me félicite que vous ayez perçu ce défaut du texte à sa lecture, car, aujourd'hui, j'y suis également sensible et je trouve qu'il est extrêmement dommageable pour la femme en général.

A mon sens, on ne doit pas faire des petites mesures. Sans être de la même mouvance qu'Yvette Roudy, je lui tire mon chapeau parce que, en travaillant sur ce sujet, elle a montré qu'elle avait de la suite dans les idées, sans doute à une époque encore plus difficile que la nôtre. Même si nous nous heurtons à des réticences, nous n'avons pas, comme a dû le faire Yvette Roudy, à affronter toute la classe politique. On ne peut pas m'accuser de partager ses idées politiques, mais j'ai pour elle beaucoup d'admiration. Elle a ouvert une voie qui, aujourd'hui encore, n'est pas bien comprise par tout le monde. Certains ont été très surpris par mes prises de position, mais, en la matière, je me situe dans la même logique qu'elle.

Cela étant, je ne peux pas garantir le résultat, car nous avons vu, lors des élections sénatoriales, que nous étions bien seules à la Délégation à défendre nos positions et à éviter un retour en arrière.

Mme Jocelyne Fildard : Je vais évoquer maintenant la spécificité lesbienne, ce qui éclairera nos précédents propos.

Si je devais la décrire à l'aide de mots (ou de maux)-clés, je choisirais les suivants : invisibilité, négation, stigmatisation, haine, rejet. Dans la même démarche, si je devais en décrire les conséquences, j'emploierais les termes : autocensure, isolement, mal-être, mépris de soi. Je vous livre une définition de la « lesbophobie » qui a été retenue par la Coordination lesbienne : la « lesbophobie » est une aversion à l'égard des lesbiennes, qui est une forme de rejet de l'autre, comportement qui rejette celles ou ceux qui sont différents(es), comme des sous-êtres humains indignes de vivre.

Enfin, qu'est-ce que la « lesbophobie » ? C'est un cumul de discriminations et de violences : le cumul des discriminations d'une part liées au sexisme - comme nous faisons partie du groupe social femmes, nous connaissons toutes les discriminations dont souffrent les femmes -d'autre part, dues à notre « orientation sexuelle », étant précisé que je n'aime pas beaucoup cette formule car, l'hétérosexualité étant également une orientation sexuelle, elle ne singularise pas suffisamment l'homosexualité. Elle n'est pas « parlante ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelle formule préconisez-vous ?

Mme Jocelyne Fildard : L'orientation homosexuelle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vois là une forme d'incohérence dans la mesure où vous refusez que l'on parle, vous concernant, d'homophobie.

Mme Jocelyne Fildard : Qui entend homophobie pense hommes et rattache donc le terme aux homosexuels et pas aux lesbiennes. S'agissant de « l'orientation homosexuelle », je prends l'adjectif au sens général, par opposition à l'orientation sexuelle qui correspond à l'orientation majoritaire.

Les violences que subissent les lesbiennes vont de l'agression verbale au viol punitif en passant par les menaces, le harcèlement, les violences psychologiques et les coups. J'en prendrai deux exemples, dont l'affaire Nicole Abard dont vous avez peut-être entendu parler : il s'agit d'une femme qui, entraînant une équipe de foot féminine dans une municipalité de la région parisienne, s'est vu supprimer ses subventions au motif, déclaré en ces termes par le maire durant une séance du conseil municipal : « Je ne veux pas de brouteuses de gazon dans mon équipe ».

Nous en sommes là au stade de l'injure, mais les choses peuvent aller beaucoup plus loin. Nous avons eu à connaître du cas d'une jeune lesbienne qui a été insultée par des voisins, menacée, aspergée de whisky, rouée de coups au point d'avoir des côtes fracturées, avant de subir un viol collectif, ce qui illustre à quelles extrémités peuvent conduire les insultes et je ne parle pas du cas du couple de lesbiennes qu'il nous a fallu cacher pour éviter que leurs parents ne les tuent.

Souvent, des clichés caricaturaux nous relèguent à des rôles pervers, largement utilisés dans la pornographie pour alimenter les fantasmes masculins.

Si nous parlons de « lesbophobie », c'est parce que nous ne pouvons pas nous reconnaître dans la seule homophobie, puisque, comme nous l'avons vu, la « lesbophobie » est faite à la fois de sexisme et d'homophobie. A l'inverse des gays, la discrimination la plus ravageuse et la plus violente est notre invisibilité tenace. L'étude sur les violences envers les femmes de Mme Nicole Péry, ancienne secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, qui, à aucun moment, ne mentionne les lesbiennes, en est un exemple frappant. Je peux pourtant vous dire qu'à chaque rencontre j'ai harcelé Mme Nicole Péry et ses collaborateurs pour attirer leur attention sur notre situation, mais rien n'y a fait : nous sommes restées invisibles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Parce que les problèmes des lesbiennes ne sont pas médiatisés comme ceux des homosexuels.

Mme Jocelyne Fildard : C'est bien pourquoi je parle d'invisibilité.

Je peux citer un second exemple : alors que nos camarades gays, bien que nous ne soyons pas toujours en bons termes avec eux, font l'effort, le jour de la Marche des fiertés, de nous faire défiler en tête pour que nous soyons visibles, la presse nous ignore. Si j'ai pu me faire entendre auprès des journalistes, c'est parce que j'ai couru après eux, parce que je les ai harcelés : c'est véritablement épuisant.

Les conséquences de cette invisibilité sont terribles, d'autant que les lesbiennes, déjà invisibles pour les autres, accentuent elles-mêmes le phénomène en s'autocensurant et en se cachant, de peur d'être mises au ban de la société, d'être injuriées, humiliées, agressées. Toute cette forme de non-existence se traduit par un mal-être qui entraîne souvent une fuite dans la drogue, dans l'alcool ou une auto-négation par le mensonge : le lundi, de retour au travail, au moment où chacun raconte son week-end, les lesbiennes soit parlent « neutre », soit s'inventent un compagnon ou se disent célibataires. Cette situation peut aller jusqu'au suicide non seulement chez les adultes, mais aussi, et c'est un grave problème, chez les jeunes. Imaginez ce qu'on peut ressentir quand, vivant dans une société où le seul référent identitaire est l'hétérosexualité, on se sent lesbienne ou homosexuel. Selon l'étude Daphné, 30 % des suicides sont dus à la « lesbophobie » et à l'homophobie ambiantes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la découverte de son homosexualité qui pousse parfois le jeune au suicide.

Mme Jocelyne Fildard : Ce n'est pas ainsi que je vois les choses : si la « lesbophobie » et l'homophobie étaient absentes de la société, la découverte de l'homosexualité ne poserait pas de problème.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est parce l'homosexualité sera mal accueillie dans la société, que le jeune qui se découvre homosexuel, se sent incapable de tenir le coup et pense au suicide : j'ai eu à connaître de cette situation, dans le passé, avec certains de mes élèves.

Mme Jocelyne Fildard : Oui, mais j'ai envie de compléter cette analyse en disant que c'est aussi par rapport à la « lesbophobie » et à l'homophobie ambiantes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous sommes d'accord.

Mme Maya Surduts : Je crois que l'on mesure mal la souffrance qu'engendre une telle situation.

Mme Jocelyne Fildard : Pour en revenir au projet de loi, une fois de plus, nous nous sentons les grandes oubliées. En créant le concept de « lesbophobie », nous n'avions aucune illusion sachant que, dans les textes de loi, on parle « d'orientation sexuelle », mais nous cherchions à « visibiliser » les lesbiennes.

Pour nous, il serait important que, dans son énoncé, la loi associe la « lesbophobie » au sexisme et à l'homophobie et que le terme figure dans l'exposé des motifs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce terme existe-t-il ?

Mme Jocelyne Fildard : Non, c'est un terme que nous avons créé. Je vais vous faire un petit aveu : l'affaire est partie du Collectif national pour les droits des femmes, le jour où le mot m'est venu à l'esprit, pendant que nous préparions des affiches pour une campagne contre l'extrême droite.

Comme je le disais à mes camarades, nous avons une lutte à mener : il faut faire en sorte que le terme « lesbophobie », à l'instar de celui d'homophobie, rentre dans le dictionnaire.

Mme Danielle Bousquet : Cela risque de prendre du temps. Or, le texte doit venir en examen à l'Assemblée nationale avant Noël...

Mme Jocelyne Fildard : A tout le moins, il faudrait que les lesbiennes y soient mentionnées.

Nous voudrions émettre un autre souhait qui dépasse la réalité lesbienne : que soit associée aux termes « orientation sexuelle », l'identité de genre, ce qui permettrait de prendre en compte les transsexuels, qui sont également l'objet de discriminations, mais pas en raison de leur orientation sexuelle. Dans leur cas, c'est une affaire d'identité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On ne peut pas mélanger l'orientation et l'identité.

Mme Jocelyne Fildard : Mais que va-t-on faire pour eux ?

Mme Danielle Bousquet : J'ignore comment procéder : je suis d'accord pour dire qu'il y a de réelles discriminations à leur encontre, mais il n'y a pas de genre pour les transsexuels..

Mme Jocelyne Fildard : Même si je sais qu'il ne faut pas mélanger les choses, j'ai un devoir d'information et c'est pourquoi je tiens à attirer votre attention sur leur situation. Certes, nous sommes, nous, lesbiennes, les grandes oubliées, mais, même si nous souffrons de discriminations et si nous subissons de grandes violences, mieux vaut être lesbienne que transsexuel. Je peux vous dire, en effet, pour en avoir connu quelques-uns et quelques-unes, que leur vie est un enfer.

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