DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 2

Mardi 12 octobre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mmes Diane Mouratoglou et Samia Meghouche, membres de l'association « Ni Putes Ni Soumises » et avocates, sur la situation des jeunes filles et des femmes dans les cités et sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Diane Mouratoglou et Samia Meghouche, membres de l'association « Ni Putes Ni Soumises » et avocates, sur la situation des jeunes filles et des femmes dans les cités et sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mmes Diane Mouratoglou et Samia Meghouche, membres de l'association « Ni putes, ni soumises » et avocates. Comme je l'ai dit la semaine dernière aux associations que nous avons auditionnées, ce que je souhaite aujourd'hui, c'est une loi globale concernant le respect des femmes. Certes, il fallait, aujourd'hui, prendre en compte le problème des propos discriminatoires contre les homosexuels, mais je trouve réducteur la manière dont la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste a été insérée dans ce texte. Je pense que la femme ne sera respectée qu'à partir du moment où l'on considérera le problème dans sa globalité. L'éclairage de votre lecture du projet de loi nous intéresse et nous apportera des arguments supplémentaires dans notre réflexion.

Mme Diane Mouratoglou : Vous évoquez un projet de loi global concernant le respect des femmes. L'association « Ni putes, ni soumises » a pour principal objectif de lutter contre la dégradation du statut des femmes qu'elle observe, notamment, dans les quartiers. Elle avance l'idée qu'il ne faut jamais faire de la femme une victime en tant que telle.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Je suis d'accord avec vous.

Mme Diane Mouratoglou : C'est un vrai problème. Il faut veiller à ce que la femme ne soit pas assimilée à un enfant mineur ou à une victime, qui n'a pas les moyens de se défendre seule, ni de réussir si on ne l'aide pas. Une femme peut réussir ; souvent elle doit travailler dix fois plus qu'un homme, c'est sûr, mais elle le peut. Cela lui demande plus de travail, elle va devoir « jongler » entre toutes ses obligations, parce que c'est encore et toujours la femme qui élève ses enfants. Elle arrivera à un résultat, souvent avec un salaire moins intéressant, mais elle y arrivera. Surtout, et c'est l'idée récurrente, la femme n'est pas une victime.

Un projet de loi global sur le respect des femmes est honorable, mais attention à ne pas tomber, dans le schéma : « vous n'êtes pas assez fortes pour vous défendre toutes seules, donc on va légiférer ».

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Je suis tout à fait de votre avis. Quand je mets en avant le terme respect, c'est justement pour bien mettre en évidence qu'il faut arrêter de prendre les femmes pour des victimes et qu'au contraire, il faut considérer qu'elles sont des êtres humains comme les hommes.

Mme Diane Mouratoglou : Citoyennes à part entière.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Les femmes ont droit au respect.

Mme Diane Mouratoglou : Nous ne nous sommes pas encore présentées. Nous sommes toutes les deux avocates et nous travaillons personnellement pour l'association « Ni putes, ni soumises ». A l'origine, j'ai connu l'association à l'occasion d'aide à la rédaction de contrats, parce que j'avais une sympathie pour ce mouvement, sans parfaitement le connaître. Par ailleurs, en tant que femme, en tant que mère, je ne veux pas vivre dans ce monde là et je ne veux pas que mes fils soient élevés dans cet esprit là. Le combat de l'association m'intéressait.

Mme Samia Meghouche : Je vais expliquer à quel titre j'interviens bénévolement pour l'association. En ce qui me concerne, je suis contactée lorsque des victimes se présentent à l'association et sont victimes, soit de violence, soit de mariage forcé ou au pire de viol collectif. Dans ce cas, lorsque la victime se rend à l'association, je suis contactée et je la reçois : tout d'abord je la conseille, je peux l'assister ou la représenter ensuite en justice, selon les cas.

Mme Diane Mouratoglou : Nous sommes dans ce combat, et en même temps, nous avons souvent des analyses de juriste, puisque c'est notre métier. Lorsque nous en parlons avec Fadela Amara, présidente de l'association, nous arrivons souvent à la conclusion qu'une loi, c'est bien, mais la loi existante, c'est-à-dire les valeurs actuelles qui devraient normalement être celles de la République, ne suffirait-elle pas aujourd'hui à assurer ce respect de la femme ? La République aurait-elle encore besoin de légiférer, parce qu'elle ne n'ose plus affirmer ses valeurs et les défendre bec et ongles, parce qu'elle a peur d'être taxée d'intolérance ? L'arsenal législatif n'existe-t-il pas déjà aujourd'hui ?

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Si, il existe, mais malheureusement il n'est pas appliqué.

Mme Diane Mouratoglou : Pourquoi ?

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Le premier travail d'un parlementaire est de voter la loi, et le deuxième travail est de voir si elle est appliquée. Si la loi est bonne, elle est appliquée et le maximum est fait pour l'appliquer, sinon il faut l'abroger.

Mme Diane Mouratoglou : S'agissant du projet de loi, j'ai déjà été auditionnée par Mme Brigitte Barèges, rapporteure au nom de la commission des lois, sur ce sujet. Je vais vous redire très rapidement ce que j'avais exprimé à l'époque au nom de l'association. Ce projet de loi ne constitue pas une grande avancée, mais cependant, il a le mérite d'exister, d'avoir une valeur déclarative. Au moins, il rappelle que la norme, aujourd'hui, c'est que l'on ne tient pas de propos racistes, antisémites, ni de propos fondés sur une discrimination sexiste ou homophobe.

Mme Samia Meghouche : Nous avons remarqué dans l'exposé des motifs que le projet de loi n'allait pas restreindre la liberté de la presse, car il ne permet pas de poursuivre des propos à caractère sexiste comme le seront les propos homophobes.

Mme Diane Mouratoglou : Il est écrit que les diffamations et injures sexistes continueront de tomber sous le coup des diffamations et injures de droit commun, afin de permettre de concilier la liberté de la presse et la nécessité de lutter contre des discriminations. On va donc les punir, mais on passe à côté du sexisme, comme si il ne pouvait pas y avoir de diffamation à caractère sexiste.

Comme l'a souligné Mme Brigitte Barèges, personne ne comprend la distinction faite entre propos homophobes et propos sexistes.

Mon hypothèse - car des rumeurs avaient couru qu'éventuellement la presse aurait fait savoir qu'une telle loi était attentatoire à sa liberté - est que cela résultait d'une espèce de négociation avec la presse. Viser les propos homophobes d'accord, mais les propos sexistes, non, parce que la presse ne pourrait plus rien dire. Tant que l'on vivra dans une société où des millions de personnes entendent les journalistes tenir des propos sexistes aussi idiots que « elle aurait mieux fait de rester chez elle à torcher ses mômes », le Français moyen se dit que, si un journaliste le pense, il peut le penser. Il est dommage que de tels propos soient tenus par des journalistes ayant un niveau élevé d'éducation. Je crois qu'ils n'en sont pas conscients et le pire c'est qu'ils présentent cela comme quelque chose de drôle, mais ce n'est pas drôle, parce qu'il y a des millions de femmes qui se battent pour essayer de travailler.

Mme Catherine Génisson : Pourquoi une nouvelle loi ? Un article récent de Libération dénonce le fait que la violence conjugale conduisant au crime n'est pas caractérisée dans le code pénal.

Mme Samia Meghouche : Il me semble qu'il y a trop d'infractions. Ce n'est pas forcément opportun d'en créer une nouvelle. L'infraction de meurtre existe. Ensuite, il y a des circonstances aggravantes. Les violences conjugales ...

Mme Catherine Génisson : Le crime passionnel bénéficie de circonstances atténuantes.

Mme Diane Mouratoglou : Souvent, pas officiellement, mais les jurés le perçoivent comme tel en général, c'est vrai. Combien de personnes n'avez vous pas entendues dire, dans le cadre de l'affaire de l'actrice Marie Trintignant tuée par Bertrand Cantat : « Ah ! ce Bertrand Cantat, j'avais de la sympathie pour lui ; elle devait être dingue ». Là n'est pas le problème ; quand bien même elle serait méchante, infidèle et dingue, qu'est ce qui justifierait qu'elle ait reçu des coups qui l'aient conduit à la mort ? C'est de la violence.

Mme Samia Meghouche : C'est le système de défense des agresseurs qui, parlant de leur femme ou de leur concubine, invoquent toujours l'hystérie, qui justifierait les coups, pas vraiment volontaires, qu'ils ont pu porter.

Mme Diane Mouratoglou : Que dans le cadre d'un procès, les personnes accusées se défendent, c'est de bonne guerre ! Mais que ces idées soient relayées par la presse et que l'on ait des rapports psychologiques disant que la famille Trintignant était elle même oppressive, etc ! Dans le cadre d'un procès pénal, entre personnes bien informées, qui savent manier ces notions, d'accord, mais que l'on répande ces éléments là, dans le public, c'est un scandale ! Rien ne mérite qu'une personne soit rouée de coups au point d'en mourir.

Mme Catherine Génisson : S'agissant de l'affaire du rugbyman qui a tué sa femme, on considère qu'il s'agit d'un meurtre isolé, qui a un minimum de légitimité.

Mme Diane Mouratoglou : Il était ivre et « elle en avait rajouté... ».

L'article de presse allait même plus loin en évoquant le cas du meurtrier en série Fourniret qui avait eu cette expression : « il y avait des matins, je me levais et je partais à la chasse aux vierges ». C'est un malade, c'est un fou, bien sûr ; mais en allant plus loin, si des hommes se réveillent le matin en se disant : « j'ai envie d'aller à la chasse aux vierges », c'est qu'un certain nombre d'idées qui circulent dans la société sont dangereuses.

Mme Catherine Génisson : Tout à l'heure, on parlait de respect, mais le respect c'est d'être traité à égalité. Sur les sujets abordés par le projet de loi, il n'y a même pas de traitement à égalité.

Mme Diane Mouratoglou : J'ai craint au début un texte concernant les discriminations contre les femmes. Non, il a bien été écrit : « discriminations à raison du sexe », ce qui peut viser également le sexe masculin ; des hommes peuvent se sentir eux aussi victimes. Le projet de loi a bien respecté l'idée que c'est la discrimination fondée sur le sexe qui est punissable, pas seulement une atteinte portée aux femmes.

Mais, ensuite, le texte établit une distinction incompréhensible. Ce texte aura une valeur normative, certes, mais dans la pratique, cela ne changera pas grand chose. S'agissant des femmes vivant dans les cités, elles sauront qu'il existe une loi sur la discrimination, mais en ce qui les concerne, lorsqu'elles se font seulement insulter, elles sont contentes. Les insultes, les propos sexistes, c'est leur lot quotidien. Le curseur est déjà placé plus loin pour ces femmes.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Une loi comme celle-ci ne sert donc à rien pour elles ?

Mme Diane Mouratoglou : Si. Son intérêt est sa valeur déclarative. Elle existe. La loi, la République française, combat les propos discriminatoires, toute discrimination fondée sur le sexe, c'est la norme. Maintenant, telle qu'elle est rédigée, elle ne permettra pas de réprimer les diffamations et injures fondées sur le sexe. En pratique, je pense qu'elle peut servir à éviter certains excès commis par les journalistes. Mais, elle ne changera rien à la vie quotidienne des femmes. L'impact pratique est assez faible, a priori.

Mme Danielle Bousquet : Les associations qui vous ont précédées la semaine dernière, nous ont dit que cette loi n'était pas vraiment utile, mais qu'elle était en plus dangereuse, dans la mesure où elle établissait une hiérarchie des normes. Je vais utiliser des propos grossiers et vous allez m'en excuser, mais il vaudra mieux dire « sale pute » que « sale pédé ».

L'avis des associations était de dire : « Surtout, ne voter pas un texte ainsi rédigé ». Autrement dit, ou bien on écrit sexiste partout ou on ne l'écrit nulle part. La hiérarchie qui est faite est extrêmement dangereuse et ne peut que conforter, auprès des jeunes, l'idée que le sexisme, ce n'est pas grave.

Mme Samia Meghouche : Surtout auprès des femmes des quartiers qui ont déjà l'impression que la violence dont elles sont victimes - j'entends la violence verbale, les propos à caractère sexiste - est normale, car elles sont insultées régulièrement par tout le monde. Si le projet de loi établit une différence entre les femmes et les homosexuels, cela voudra dire que les violences verbales dont elles sont victimes ne sont pas si importantes. Au contraire, la République doit leur montrer que ce sont des infractions qui doivent être réprimées, pour qu'elles mêmes parviennent à combattre et à dénoncer ces violences.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Votre intervention conforte ce que je pense depuis le dépôt de ce projet de loi. Je n'ai pas souhaité que la Délégation en soit saisie parce que je considère que l'on ne doit pas mélanger les genres, même si certains considèrent qu'il s'agit d'une avancée. Je pense que ce n'est pas une avancée positive pour les femmes.

Mme Diane Mouratoglou : L'exposé des motifs du projet de loi précise : « les diffamations et injures sexistes continueront évidemment de tomber sous le coup des diffamations et injures de droit commun afin de permettre la conciliation entre le principe constitutionnel de la liberté d'expression et les nécessités de la lutte contre les discriminations. » Implicitement, la presse aurait donc le droit de tenir des propos sexistes... Les médias ont sans doute fait valoir le problème des frontières du propos sexiste et la crainte de poursuites judiciaires à raison d'une publicité ou d'un propos de cette nature.

Mme Danielle Bousquet : L'homophobie et le sexisme n'ont pas le même statut dans la société. L'homophobie est une chose contre laquelle les personnes qui ont un peu réfléchi s'élèvent. Le sexisme est largement partagé, quels que soient les milieux et ne touche pas aux mêmes ressorts. Le sexisme est parfaitement intégré, de tout temps et dans toutes les civilisations... C'est la raison pour laquelle, la Présidente a évoqué une loi globale concernant tous les ressorts du sexisme, en particulier la publicité qui nous montre des images humiliantes et dégradantes des femmes. Je ne souhaite pas que mon petit fils, par exemple, soit élevé dans cette atmosphère. Il ne s'agit pas de pudibonderie, ni de morale, mais de respect des individus. Le texte proposé ne répond pas du tout aux questions fondamentales qui sont posées à notre société.

Mme Marie Jo Zimmermann : Je partage votre inquiétude. Nous qui sommes impliquées dans des métiers comme l'enseignement, la médecine, la petite enfance, nous connaissons les problèmes de l'éducation. En tant que parlementaire, soit en proposant un texte, soit en le votant, nous avons un devoir moral. C'est la raison pour laquelle je continuerai à m'élever contre ce projet de loi. C'est une solution de facilité qui a été choisie, avec une pincée de publicité en ce qui concerne les propos sexistes. Je crois que le respect de la femme est un problème global et si on ne le prend pas en compte, on manque véritablement ce qui doit être à la base de l'éducation.

Mme Catherine Génisson : Le texte tel qu'il est présenté actuellement est inacceptable.

Mme Danielle Bousquet : Même le titre est inacceptable. Je le rappelle : « La lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe ». Or, les propos à caractère sexiste ne sont mentionnés que dans le titre !

Mme Catherine Génisson : A propos de publicité, par exemple, en ce moment, on voit dans le métro une publicité C & A : « deux pantalons, pour le prix d'un », montrant deux jambes de pantalon d'homme avec une photo de femme, jupe fendue jusqu'aux fesses et une autre photo représentant une jeune fille, jupe plissée relevée...

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Il y a pourtant une charte qui a été signée avec le Bureau de vérification de la publicité.

Mme Diane Mouratoglou : Un équilibre doit être trouvé entre l'élégance, la séduction, la féminité sur lesquelles il doit être possible de jouer et le respect de la femme. La publicité se sert de l'argument de séduction. Et en soi ce n'est pas anormal.

Mme Catherine Génisson : Cela me choque lorsque c'est une image qui dégrade.

Il y a toutefois des obstacles à une loi anti-sexiste, notamment le risque de tomber dans la pudibonderie et la moralisation. L'anti-sexisme est considéré comme relevant du domaine privé et non pas du domaine public. Il est toujours considéré quelque part que la femme le fait exprès... ; « si elle ne s'était pas habillée ainsi, cela n'arriverait pas », dit on.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Je voudrais savoir si l'intégration des femmes et des jeunes filles des cités a progressé.

Mme Samia Meghouche : Je dirais plutôt qu'il y a aujourd'hui une régression dans l'intégration.

Dans les cités habitent des familles d'origine soit maghrébine, soit africaine, dont les traditions, la culture et la religion sont, en général, difficilement conciliables avec les valeurs de la République. Ces familles là ont des difficultés et les jeunes filles de ces familles, nées en France, donc françaises, ont du mal à s'émanciper. Les garçons, pour leur part, perpétuent malheureusement ces traditions qui leur sont favorables. Les jeunes filles se retrouvent sous la pression des parents, des familles, de la cité et également des frères, dont la mission est de préserver l'honneur de la famille, aussi bien par rapport au père qu'aux autres membres de la communauté, et de le faire respecter par leurs sœurs.

L'honneur de la famille, notion très importante dans ces communautés, repose sur l'honneur de la jeune fille, qui doit rester vierge jusqu'au mariage.

Sur le terrain, je vois des jeunes filles dans des situations de mariage forcé, emmenées dans le pays d'origine pour se marier, parce qu'elles font prendre des risques à l'honneur de leur famille en voulant s'émanciper et nouer des relations extérieures au milieu d'origine.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Quand la jeune fille part au pays, sait-elle que c'est pour un mariage forcé ?

Mme Samia Meghouche : En général, non.

Il y deux cas. Dans un premier cas, la jeune fille est au courant et elle est « consentante », en se disant que ce sera mieux que de rester enfermée à la maison sans liberté. C'est peut-être un mal pour un bien.

Dans un deuxième cas, comme ses parents pressentent qu'elle n'est pas prête à l'accepter, elle n'est pas du tout mise au courant. On lui dit que l'on part en vacances comme chaque année au pays, et là elle se retrouve mariée. Il est courant que l'acte de mariage, dans le pays d'origine, ne soit même pas signé par la jeune fille elle même.

Mme Marie Jo Zimmermann : C'est un mariage par procuration.

Mme Samia Meghouche : La jeune fille n'a pas son mot à dire. La liberté de se marier, ou pas, avec la personne de son choix n'existe pas. On ne cherche pas à savoir s'il y a, ou non, consentement.

Ensuite, ces jeunes filles reviennent avec des hommes, originaires de ces pays, en possession d'un visa et qui ne sont pas français. La transcription du mariage est faite automatiquement, sans que soient posées des questions. Il faudrait à ce stade, peut-être, poser des barrières, instituer un contrôle, vérifier par des entretiens individuels le consentement de la jeune fille.

Mme Marie Jo Zimmermann : Sera-t-elle capable de dire la vérité ?

Mme Samia Meghouche : Lors d'un entretien individuel, je pense que beaucoup d'entre elles, la dirait, ou du moins, la ferait comprendre. Des questions pourraient être posées. Il peut sembler bizarre qu'une jeune fille de 17, 18 ans, née en France, poursuivant ses études, revienne mariée, après un mois passé dans son pays d'origine.

Mme Diane Mouratoglou : Notre but est vraiment une mission de protection de la femme. Quand on lutte contre les mariages forcés, il apparaît normal de vérifier la situation d'une jeune fille qui a fait toutes ses études en France, qui habite en France, qui est de nationalité française et qui, après deux mois passés au Maroc, en Algérie ou dans un autre pays, revient avec un mari, lui même en situation irrégulière. Ce n'est pas la situation irrégulière du mari qui nous importe, mais celle de la jeune fille. Or, nous nous heurtons à des associations de protection des droits des étrangers, qui vont critiquer notre intervention comme hostile aux étrangers.

Nous essayons de protéger ces jeunes filles en situation d'enfermement vis-à-vis de tout le monde : le père, la mère, les frères, la famille, la cité. Quelle est l'option qui s'offre à elles ? Dire non, mais pour faire quoi ? Elles n'ont pas de travail. Il convient aussi de considérer l'aspect affectif de leur situation, car même si les parents sont un peu durs, ou les frères un peu casse-pieds, elles continuent à les aimer. Le parallèle peut être fait avec les enfants maltraités qui aiment leurs parents. Ces jeunes filles devront se mettre en rupture affective, mais ensuite et pour parler concrètement, il faudra bien qu'elles gagnent leur autonomie.

Mme Samia Meghouche : Nous avons des cas concrets à l'association « Ni putes, ni soumises ». Des jeunes filles viennent nous voir juste avant le mariage envisagé, qui est en réalité un rapt, et qu'elles n'acceptent pas, pour demander de l'aide, pour dire qu'elles ne veulent pas partir. S'agissant de mariages célébrés en France, nous devons saisir le Procureur de la République pour empêcher le mariage au niveau de la mairie. Il est des familles qui ne lâchent pas pour autant la jeune fille, qui la recherchent et qui sont prêtes à aller très loin. Or, nous n'avons pas les moyens de protéger ces jeunes filles en détresse.

Nous avons récemment accueillie une jeune fille. Elle a été hébergée par un membre de l'association « Ni putes, ni soumises », qui a pris également des risques.

Mme Diane Mouratoglou : Il y aurait des moyens matériels à mettre immédiatement en œuvre, mais qui n'existent pas actuellement. Il faudrait qu'on puisse proposer un logement et un travail à la jeune fille, qui a déjà le courage d'accepter la rupture morale et affective, et qui est prête à partir et à subvenir à ses besoins.

Ce phénomène toucherait en France entre 50 000 et 70 000 femmes par an, mariages dits « civils », mais aussi mariages « coutumiers », qui existent aussi.

Le mariage coutumier concerne surtout certains pays d'Afrique subsaharienne et répond au souci de préserver la virginité de la jeune fille, l'honneur de la famille, pour s'assurer que celle-ci reste bien dans le clan, qu'elle va se marier avec quelqu'un de sa race, de sa religion. On va, le cas échéant, faire venir le jeune homme à la maison et puis, un prêtre, un clerc, un représentant de la religion va célébrer un mariage purement religieux. Ensuite, le jeune homme va prendre possession de la jeune fille. Mais, quand la jeune fille a douze ans, cela s'appelle du viol organisé et sponsorisé par la famille, parce qu'à douze ans, on est une petite fille, même si on est formé et si on a eu ses règles. Le dispositif législatif actuel ne prévoit pas de sanctions extrêmement sévères à l'encontre de la personne qui célèbre ce mariage coutumier, en dehors de toute intervention du maire. Ces situations existent aujourd'hui en France. Mais des éléments statistiques sont très difficiles à réunir.

Un projet de loi global sur le statut de la femme pourrait être l'occasion de s'attaquer à ces problèmes.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Quels ont été les effets de la loi sur le voile, en positif ou en négatif ?

Mme Diane Mouratoglou : La position de « Ni putes, ni soumises » sur ce sujet est extrêmement claire. C'est pour cela que Fadela Amara et « Ni putes, ni soumises » sont souvent critiquées, car elles défendent leurs idées de manière très nette et ne transigent pas sur certaines valeurs. L'excision, c'est non. Le voile, c'est non. Le mariage forcé, c'est non. Votre culture, quand elle pratique l'excision, le mariage forcé ou l'interdiction de certains lieux aux jeunes filles, c'est non.

En ce qui concerne la loi sur le voile, les médias en ont fait l'affaire du siècle, alors que nous avions déjà une loi.

Mme Samia Meghouche : Nous avons eu l'impression que la majorité des jeunes filles musulmanes en France étaient concernées, alors que ce n'était pas le cas. La majorité ne porte pas le voile et en est très contente d'ailleurs. Elles sont musulmanes de par leurs parents, mais la plupart n'ont aucune envie de porter le voile. Ce problème ne concernait qu'une toute petite minorité.

Mme Diane Mouratoglou : En ce qui me concerne, j'ai lu certains articles, émanant d'intellectuels, disant qu'il fallait respecter la tolérance et qu'avec cette loi sur le voile, on allait exclure du système scolaire des dizaines de milliers de jeunes femmes. Je crois que le problème en France s'est posé au premier jour pour quatre cents jeunes filles pour l'ensemble de la France ; je pense que c'est peu ; au bout d'une semaine le problème ne se posait déjà plus que pour une douzaine d'entre elles. Si douze jeunes filles sont exclues éventuellement du système scolaire, pour que des milliers d'autres suivent leur scolarité normalement et sereinement, c'est très dommage pour elles... Mais, l'école doit assumer son rôle émancipateur dans le respect de l'égalité des chances. Quelle égalité des chances y a-t-il entre une fille voilée et le reste de ses camarades ? Pense-t-on qu'en arrivant voilée, elle dispose d'une égalité des chances pour faire des études supérieures, occuper des postes importants ? Selon une phrase souvent employée par les membres de l'association « Ni putes, ni soumises » : « la femme voilée aura le poste que sa pudeur impose ». Elle sera manutentionnaire, elle emballera des sacs à l'arrière d'une usine. Elle ne sera même pas caissière, parce que le voile ne passe pas. Elle ne fera pas d'études supérieures et ne sera pas médecin, avocate ou magistrate. L'égalité des chances ne lui est pas assurée. La République aurait commis une faute en laissant passer ce problème de voile.

Mme Samia Meghouche : Je pense que cette loi, au contraire, aide vraiment les jeunes filles contraintes de porter le voile et qui, heureusement, sont obligées de le retirer pour aller à l'école et respecter les lois de la République. Dans ce sens, cette loi est salvatrice.

Mme Diane Mouratoglou : Des parents qui n'étaient pas forcément excessifs, mais qui se sentaient obligés de faire porter le voile à leurs filles, sont déculpabilisés.

Nous sommes une société différente de la société anglaise, fondée sur le communautarisme. En Angleterre, par exemple, j'ai rencontré, récemment, même dans les administrations, des femmes voilées d'origine pakistanaise. Cela ne choque pas là-bas. En France, nous ne sommes pas une société à l'origine de communautarismes. Nous n'en avons pas la tradition, ni la culture. Maintenant, il existe en Angleterre, au delà des communautarismes, une adhésion tacite de chacun à un pacte social. Ce qui est regrettable en France, c'est qu'il n'y a plus d'adhésion forte à ce pacte social. Il y a une perte de confiance dans l'idée collective que nous avons de nos différences, de nos cultures, de nos religions. Nous allons pourtant tous dans le même sens, nous habitons tous le même pays, c'est notre lien transcendant, unique et fondamental ; tout le reste n'est que littérature. La France doit reconstruire cette idée d'adhésion sociale.

Mme Samia Meghouche : Je crois que l'Education nationale a un grand rôle à jouer en enseignant aux enfants dès leur plus jeune âge l'éducation civique. L'éducation civique aurait elle été supprimée des programmes ?

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : J'ai enseigné jusqu'en 1998 et j'ai toujours fait mes cours d'instruction civique, qui ont d'ailleurs toujours été au programme. Mais le problème, c'est que les professeurs ont pris l'habitude de ne pas enseigner l'instruction civique pour la raison que cette matière n'était pas sanctionnée par une note à l'examen. C'est cela qui est regrettable.

Mme Danielle Bousquet : Tout ce que vous nous dites en ce moment est relativement nouveau historiquement. Il y a quinze ans, vous n'auriez sans doute pas dit cela. Cette violence en direction des jeunes filles me semble relativement nouvelle. Il y a vingt ans, on ne s'occupait pas de cette manière là de la virginité des jeunes filles dans les familles et le voile n'était pas imposé. Comment expliquez-vous la dérive qui a conduit à ce repli identitaire et communautaire, à cette violence en direction des jeunes filles dans les banlieues ?

Mme Samia Meghouche : Il y a eu un renversement des valeurs. Le point d'origine en est l'école en raison du grand nombre de jeunes qui se sont retrouvés en échec scolaire. Le problème vient aussi de la formation des professeurs qui, à l'issue d'un concours, sont envoyés dans les quartiers « difficiles ». Ils n'ont jamais enseigné, n'ont aucune formation et ne connaissent pas les problèmes spécifiques de ces quartiers. Comment pourraient-ils aider ces enfants, alors qu'ils ne connaissent pas leurs difficultés et n'ont pas de pédagogie ? Ils en viennent à les laisser de côté. On tente d'orienter ces enfants, on leur propose une formation de serveur... De fils en aiguilles, ils se retrouvent en échec scolaire, et comme on est dans le cercle fermé de la cité, la tentation de l'argent facile, des trafics, les guette.

Mme Diane Mouratoglou : Je pense qu'il y a deux choses qui ont joué. La première, c'est plus largement que l'échec scolaire, le manque de perspective. A partir du moment où vous n'avez plus de rêve, vous ne croyez plus en rien, vous ne pensez pas que vous pouvez vous en sortir et tout vous paraît insurmontable. La difficulté c'est que, pour s'en sortir, il faut être encore plus volontaire, intelligent et travailleur, encore plus aidé et soutenu par sa famille qu'un enfant « normal » qui grandit dans un quartier « normal ».

Quand le meilleur exemple que vous ayez sous les yeux, c'est le garçon qui a réussi parce qu'il est chef des livreurs au Casino, ce n'est pas excitant. Le manque de perspective engendre un sentiment de rejet : « de toute façon, la société ne nous aime pas et nous ne l'aimons pas non plus ». Pourtant d'énormes efforts ont été faits pour tendre la main ; on a combattu sévèrement le racisme ; des subventions ont été trouvées. De temps en temps, cette population joue aux victimes. Tout le monde n'est pas raciste en France, il convient de ne pas culpabiliser ; il y a beaucoup de personnes de bonne volonté. Le manque de perspective conduit à un manque d'investissement personnel.

Deuxièmement, il existe une sorte de sentiment de misérabilisme : « la société ne nous aime pas, pourquoi ferions-nous des efforts ? » Cela s'est doublé à mon avis d'un sentiment de culpabilisation des instances dirigeantes qui n'osaient plus dire les choses franchement. Tout était strictement encadré. Nous avons peut-être manqué de courage, d'affirmation de nos propres idées. Face au Front national, il convenait de ne pas se faire le relais de propos d'extrême droite. Il y a eu aussi peut-être les excès de mai 1968. La liberté était le mot d'ordre. On ne sait plus aujourd'hui ce qu'est la politesse, la tenue, la pudeur et cela engendre des réactions peut-être intégristes. Pendant plusieurs années, au nom de la liberté, dont peut-être certains avaient manqué, il était interdit d'interdire. On n'osait plus dire « non » à l'école, dire : « vous êtes rasé, vous êtes propre, vous n'avez pas de couvre chefs sur la tête, vous n'avez pas une frange qui vous couvre les yeux ». Je pense qu'il ne faut pas craindre de remettre à la mode les valeurs de base de respect, de politesse et d'éducation.

Après dix ans de dérive, les enfants, dans les cités, ne savent même plus que l'on ne va pas à l'école en tutoyant son professeur, en étant mal rasé, en ayant des « trucs » sur la tête avec lesquels on ne voit plus les yeux. A l'occasion du débat sur le voile, des journalistes se sont crus autorisés à dire : « Attendez, cette loi, les élèves ne vont rien y comprendre. Sera-t-on autorisé à aller à l'école avec une casquette ? un bandana ? un string ? » La question ne se pose même pas : on ne va pas à l'école avec sa casquette, son bandana et son string. En quoi attente-t-on à la liberté de quelqu'un en lui disant : « Monsieur, vous est êtes en cours avec moi, je ne vois pas vos yeux, tenez vous correctement. » ?

Mme Danielle Bousquet : Pourquoi les enfants des banlieues auraient-ils été plus marqués que d'autres ? Pourquoi ces dérives ont-elles conduit ces garçons à être violents vis-à-vis des filles ?

Mme Diane Mouratoglou : Quand l'éducation ne se fait plus, certains mythes, comme ceux de la virginité, de la pureté, la remplacent et prennent une importance démesurée et nous en voyons l'aboutissement qui peut aller jusqu'au mariage forcé.

La petite fille, jusqu'à un certain âge, est autorisée à voir des copains garçons, à se promener librement, mais dès qu'elle est pubère, tout cela s'arrête, car il y a risque de perte de la virginité ; mais cela veut également dire perte de toutes les libertés : elle ne va plus où elle veut, elle n'est pas autorisée à aller dans les cafés, dans les salles de sport. Il semblerait qu'une grande piscine de la ville de Lille ait pris des mesures afin d'avoir des horaires mixtes. L'association « Ni putes, ni soumises » est opposée à ce genre de choses.

Il s'agit d'une première atteinte à la liberté d'aller et venir, d'une atteinte à la liberté de son corps, parce que la jeune fille ne s'habille plus comme elle l'entend. Porter un décolleté sera vu comme malsain, et ce qui peut arriver serait considéré comme mérité. La jeune fille risque gros, soit l'insulte, soit le viol collectif, qui sont devenus normaux, puisqu'on ne connaît plus la femme, qu'on ne la fréquente plus. L'éducation des garçons est également basée sur l'interdit et le sexe est considéré comme tabou. Le garçon et la fille ne se connaissent plus ; ils n'ont pas appris à se respecter, à se connaître et cela laisse libre cours à toutes les explosions.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : La permissivité a provoqué effectivement cette montée de l'intégrisme.

Mme Samia Meghouche : L'intégrisme aggrave encore plus les discriminations. De prétendus imams viennent inculquer à des jeunes qui n'ont aucune connaissance de la religion, une interprétation « extrémiste » de la religion conduisant à discriminer les femmes : elles doivent se couvrir pour sortir, cacher les poignets, les cheveux. Il n'y a pas de règles de cette nature dans le Coran, ce ne sont donc que des interprétations que les jeunes vont suivre pour opprimer leur sœur, leur femme...

Mme Diane Mouratoglou : Les religieux n'arrivent pas à canaliser ces jeunes, car leurs propos sont ambigus. S'agissant des viols collectifs, ces religieux évidemment vont diront que ce n'est pas bien, car le sexe est considéré comme étant mal ; ils ajouteront que les femmes qui se couvrent méritent le respect, sous entendu pour certains « avec les autres, faites ce que vous voulez... ».

Deux faits divers effectivement très durs sont symboliquement révélateurs de ces problèmes de perception et d'inversement des valeurs. Le premier dont nous avons eu connaissance, est l'histoire d'un jeune garçon d'environ 15-16 ans dans une cité. Des garçons d'une cité voisine qu'il connaît un peu de vue mais pas très bien, viennent le chercher et lui disent : « il y a une fille qui tourne à côté ». Le garçon les suit, peut-être pour ne pas se ridiculiser, et se rend compte que c'est sa sœur que l'on est en train de violer. Il retourne chez lui, prend une arme, revient dans la cave, tue sa sœur et ensuite se tue.

Mme Samia Meghouche : Elle avait souillé l'honneur de sa famille, même si cela n'était pas de sa faute.

Mme Diane Mouratoglou : Le second exemple est l'affaire du viol de la dalle d'Argenteuil, qui a été très médiatisé. C'est l'histoire d'une jeune fille qui a eu une amourette avec un garçon de la cité. Celui-ci en a parlé à ses copains : elle doit être une fille facile, perdue, etc. ... on va y aller. Elle a été ensuite menée une première fois par d'autres filles, elle a été violée par vingt garçons et elle y est retournée trois fois. On ne parle pas de sexe dans sa famille, on ne va même pas chez le médecin. On ne va pas voir un gynécologue avant d'être marié, on ne prend pas la pilule. Il n'était donc pas possible pour cette jeune fille d'avouer à ses parents qu'elle avait été violée. Elle ne pouvait pas aller voir la police, parce que ses parents l'auraient su et que la honte était présente. Il aura fallu trois viols pour qu'elle se décide. Elle pense que l'honneur de sa famille a été atteint, elle ne pense pas qu'il peut y avoir des criminels.

Mme Samia Meghouche : Elle se remet forcément en question parce qu'on lui a toujours appris qu'il fallait baisser la tête, aller à l'école, rentrer chez soi. Et comme elle a flirté avec un garçon, elle l'a un peu cherché. Il faut qu'elle réussisse à dépasser cela, pour aller plus loin et essayer de faire sanctionner ces actes.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Quand situez vous le renversement des valeurs qui est à l'origine de ces comportements ?

Mme Diane Mouratoglou : A la fin des années 80.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : On ne touchait pas aux jeunes filles à l'époque. J'ai senti personnellement ce changement avec mes élèves, à la fin des années 80, au début des années 90.

Mme Samia Meghouche : Offrir une perspective est un élément important pour montrer à ces jeunes qu'ils peuvent réussir. Il arrive cependant que certains se démarquent parce qu'ils ont plus de volonté, qu'ils sont davantage poussés par les parents, mais c'est une minorité. A ces enfants en difficulté, on ne montre pas ceux qui réussissent et qui arrivent à s'en sortir. Cet état de fait est quelquefois renforcé par les professeurs eux-mêmes qui dévalorisent les enfants en leur disant qu'ils ne sont pas bons élèves, qu'ils ne seront pas capables de suivre, par exemple, une formation de droit.

Mme Diane Mouratoglou : Les professeurs peuvent causer des dégâts chez les enfants très jeunes, en leur disant : « tu es nul... » L'enfant intègre ce message qui vient de l'autorité, et lorsqu'on le lui dit depuis qu'il a six ans, il devient effectivement mauvais. Valoriser un enfant, par la parole, ce ne sont pas des moyens qui demandent beaucoup d'argent.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente : Il conviendrait d'affecter dans les ZEP des professeurs qui ont de l'expérience. Certains sont très négatifs. J'ai le souvenir de collègues donnant les appréciations suivantes sur les bulletins : « Tout est nul », « Peut mieux faire ». C'était terrible, alors qu'il y a des possibilités de valoriser l'enfant.

Je vous remercie beaucoup de votre intervention extrêmement instructive. Des témoignages comme les vôtres peuvent nous faire avancer.

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