DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 4

Mardi 16 novembre 2004
(Séance de 17 heures )

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'activité de la Délégation, octobre 2003 - juillet 2004 (Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure).

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La Délégation aux droits des femmes s'est réunie le mardi 16 novembre 2004, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner son rapport d'activité annuel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a d'abord évoqué les travaux de la Délégation durant l'année 2003 2004 : publications de rapports (suivi de la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ; actes du colloque sur l'égalité professionnelle ; réforme du divorce) ainsi que les activités européennes et internationales auxquelles ont participé des membres de la Délégation. Elle a ensuite présenté le thème d'étude annuel retenu par la Délégation pour l'année 2004, celui du travail à temps partiel.

Elle a souligné l'importance qu'elle attachait à ce thème, rappelant que la Délégation lors de l'examen des projets de loi portant réforme des retraites et du divorce, s'était inquiétée des difficultés qui risquaient de frapper les salariés travaillant à temps partiel au moment d'une rupture familiale ou d'un départ à la retraite. Craignant l'émergence de nouvelles poches de pauvreté et d'exclusion, la Délégation a souhaité s'informer davantage sur la situation des femmes travaillant à temps partiel au regard de leurs conditions de travail, souvent précaires, et de leur protection sociale en matière de retraite.

Elle a procédé à de nombreuses auditions : représentants d'organisations syndicales et d'organisations professionnelles de branches particulièrement concernées, économistes, sociologues et hauts responsables de l'administration. Elle s'est ensuite rendue à l'invitation de la Fédération du commerce et de la distribution, dans deux hypermarchés de la région parisienne Carrefour-Bercy et Auchan-Val d'Europe, pour y rencontrer les responsables et les personnels des magasins, notamment les hôtesses de caisse.

Mme Marie Jo Zimmermann a ensuite présenté les grandes lignes de cette étude. Rappelant que le travail à temps partiel est essentiellement féminin - 30 % des femmes actives sont à temps partiel ; 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes -, elle a souligné qu'il était du devoir des parlementaires d'avertir de la montée des situations de précarité liées au travail à temps partiel.

La première partie du rapport est une analyse de l'évolution du travail à temps partiel depuis le début des années 90, et de la situation du temps partiel aujourd'hui, après la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

Le travail à temps partiel a connu une forte progression dans les années 90, passant de 12 % en 1990 à 17,3 % en 1999, sous l'effet de politiques incitatives de l'emploi par allègement des charges patronales et des besoins accrus des entreprises en matière de flexibilité du travail.

Le travail à temps partiel tend à se stabiliser depuis 2001 : la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, qui a supprimé progressivement les allègements de charges, a apporté aux salariés à temps partiel une meilleure protection juridique, renforçant les droits et les garanties individuels en matière d'organisation du travail.

Les salariés à temps partiel représentent aujourd'hui 16,2 % de la population active, soit un peu moins que la moyenne européenne.

La deuxième partie du rapport étudie les pratiques de temps partiels, très hétérogènes selon les secteurs d'activité. La Délégation s'est intéressée principalement à trois secteurs, la grande distribution, les entreprises de propreté et la fonction publique :

La grande distribution, à la fois pour mieux gérer la flexibilité indispensable à ses activités et soigner son image de marque vis à vis de la clientèle, oriente aujourd'hui l'organisation du travail de ses salariés à temps partiels dans trois directions :

· les temps partiels longs ou mini temps plein. La moyenne hebdomadaire de la durée du travail est aujourd'hui de 26 heures dans la profession, avec des pointes de 30 heures dans certaines enseignes ;

· l'organisation du travail en « îlots de caisses » par les hôtes, - car il y a maintenant des hommes - et hôtesses de caisse qui, à partir d'un planning imposé, gèrent collectivement leurs horaires hebdomadaires suivant les disponibilités de chacun ;

· la polyvalence, qui permet d'offrir aux hôtesses d'autres activités en rayons, pour parvenir à un temps complet et rompre le stress et la monotonie du travail aux caisses.

Le secteur de la propreté demeure un secteur soumis à de fortes contraintes : faible durée hebdomadaire du travail, rémunérations en conséquence, horaires « décalés ». Ce sont les « travailleurs de l'ombre » occupés entre 6 heures et 9 heures le matin, 19 heures et 21 heures le soir.

- En revanche, la fonction publique favorise le temps partiel choisi, à la demande du salarié. De droit pour raisons familiales ou sur autorisation, il est rarement refusé.

La situation des travailleurs à temps partiel y est très favorable en matière de rémunération : les temps partiels longs à 80 % et 90 % bénéficient de salaires bonifiés ; les temps partiels sont réversibles vers le temps plein.

La troisième partie du rapport s'attache à analyser la situation de précarité d'un grand nombre de travailleurs à temps partiel et formule des propositions pour valoriser et réhabiliter le travail à temps partiel.

A la distinction entre temps partiel d'embauche (environ 50 % des salariés à temps partiel) et temps partiel choisi pour raisons familiales ou pour raisons personnelles, se superpose une autre différenciation basée sur le critère de satisfaction des salariés à temps partiel. Environ un tiers de ces salariés souhaitent travailler davantage ou à temps complet et peuvent être considérés comme des salariés à temps partiel contraint ou subi.

Ces catégories de salariés subissent une grande précarité dans leurs conditions de travail :

- en raison des rémunérations, fixées sur la base du smic horaire et proportionnelles à la durée hebdomadaire du travail. Les organisations syndicales entendues par la Délégation, ont dénoncé la situation précaire de nombreux salariés à temps partiel d'embauche, dont les faibles durées hebdomadaires de travail engendrent des bas salaires. Ces travailleurs viennent grossir les bataillons de travailleurs pauvres, majoritairement des femmes ;

- en raison d'une organisation du travail soumise aux exigences de flexibilité de l'entreprise, qui pèse lourdement sur les salariés, en ce qui concerne notamment l'amplitude du travail dans la journée, le régime des coupures, les délais de prévenance, les horaires atypiques ;

- en raison d'une insuffisance de la protection sociale en matière de retraite. Les règles actuelles de validation des droits à pension du régime général pénalisent les temps partiels, en particulier les temps partiels réduits. Les femmes arrivées sur le marché du travail à temps partiel dans les années 90, cumulant les périodes de temps partiels, d'inactivité et de chômage, ne bénéficieront à l'âge de la retraite que de faibles pensions, du minimum contributif ou du minimum vieillesse.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a ensuite présenté l'ensemble des recommandations.

En ce qui concerne la première recommandation, elle a souligné la nécessité d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur les dangers de la précarité de cette forme de travail.

Une large discussion s'est engagée sur la deuxième recommandation, notamment sur la possibilité ouverte par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, de cotiser sur la base d'un temps plein, avec l'accord de l'employeur.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente, a souligné la difficulté de mise en œuvre de cette disposition, qui demande à la fois un effort du salarié et un effort de l'employeur. Afin que cette mesure ne reste pas illusoire, la recommandation envisageait, par accords collectifs, la prise en charge par l'employeur des cotisations patronales sur la base du temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande pour des raisons liées à sa vie familiale.

Mme Danielle Bousquet s'est interrogée sur la signification de cette référence à la vie familiale du salarié à temps partiel.

Mme Marie Jo Zimmermann, présidente, a évoqué les contraintes familiales particulières qui pèsent sur de nombreux salariés à temps partiel, principalement les femmes : contraintes liées aux enfants, mais aussi aux parents âgés. Dans ces cas, le travail à temps partiel est plus une obligation qu'un temps partiel de confort choisi pour des raisons personnelles.

Mme Danielle Bousquet a estimé ce critère trop restrictif parce qu'il cantonne les femmes dans des rôles familiaux. Elle a considéré que la possibilité de cotiser sur un temps plein devraient être ouverte à tous les salariés à temps partiel.

Par ailleurs, rappelant que les femmes, dans leur grande majorité, ne choisissent pas le travail à temps partiel, et évoquant l'inégalité de traitement existant entre le travail à temps partiel contraint et le travail à temps partiel choisi, elle s'est demandé s'il ne convenait pas de retenir un autre critère, celui du travail à temps partiel contraint.

Mme Nathalie Gautier a observé que les femmes à temps partiel, en général peu qualifiées, disposent de faibles salaires qui ne leur permettent pas d'assumer les frais de garde des enfants et qu'elles les considèrent davantage comme un complément de revenu. Elles se retrouvent dans des situations de précarité dont elles n'ont souvent pas conscience, en particulier au moment de la retraite.

Elle a également exprimé des réserves quant à la référence à la vie familiale, qui va automatiquement concerner les femmes. Tout en soulignant l'utilité sociale du travail à temps partiel, le rôle d'entraide qu'il permet de jouer entre les générations, elle s'est demandé si le critère des niveaux de rémunérations ou celui du critère du travail imposé ne pourraient pas plutôt être retenus.

Pour Mme Claude Greff, le travail à temps partiel peut, dans certains cas, être conçu comme un devoir ou un choix délibéré, permettant de venir en aide à la famille ou d'accompagner des proches. Il est légitime, à son avis, qu'en contrepartie soit envisagé une protection sociale spécifique. La disposition proposée permettrait ainsi de valoriser la référence à la vie familiale.

Mme Geneviève Levy, d'un point de vue pragmatique, a considéré suffisante la restriction proposée liée à la vie familiale

M. Patrick Delnatte a suggéré de laisser ouverte la possibilité d'allègement par l'Etat du supplément des cotisations sur la base du temps plein.

Mme Nathalie Gautier a fait remarquer que l'effort demandé aux travailleurs à temps partiel, étant donné leurs faibles salaires, sera très difficile, sauf si l'Etat accepte de le soutenir à 100 %.

Quant aux entreprises - professionnels du tourisme, grande distribution -, si elles trouvent un intérêt dans la flexibilité apportée par le travail à temps partiel, elles mènent aujourd'hui une réflexion sur les moyens de fidéliser les salariés à temps partiel par des efforts en matière de logements, de protection sociale, de formation.

Il est important également que l'on donne la parole aux femmes salariées à temps partiel, précarisées et peu syndiquées.

Selon Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, les travailleurs à temps partiel, en général, n'envisagent pas la possibilité de cotiser pour leur retraite sur la base du temps plein, car ils ne réalisent pas la précarité qui les attend, lorsqu'ils arriveront à l'âge de la retraite.

Au terme de la discussion sur la deuxième recommandation, elle a proposé - ce qui a été accepté - de supprimer la référence à la vie familiale et d'étendre à l'ensemble des travailleurs à temps partiel la possibilité offerte de cotiser sur la base d'un temps plein.

S'agissant de la sixième recommandation visant à limiter la durée excessive du travail à temps partiel dans le parcours professionnel des salarié(e)s, Mme Danielle Bousquet, tout en approuvant cette suggestion, a néanmoins souligné les difficultés qu'elle risquait de soulever dans les petites entreprises qui ont peu de postes à offrir. Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, lui a précisé que la formulation retenue n'avait pas de caractère contraignant.

Présentant la septième recommandation, Mme Marie-Jo Zimmermann a fait observer que les statistiques concernant le travail à temps partiel avaient besoin d'être affinées et actualisées.

A la dixième recommandation sur l'information des filles à l'école, Mme Danielle Bousquet a souhaité, s'agissant des filières féminines, que l'on précise les filières de service « aux personnes » et à la onzième recommandation que l'on ajoute, parmi les sujets de réflexion autour du travail à temps partiel, la prise en charge des personnes âgées.

La Délégation a ensuite adopté l'ensemble des recommandations, compte tenu des observations formulées et des modifications suggérées :

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION
AUX DROITS DES FEMMES

1. Le travail à temps partiel, après une forte progression depuis le début des années 90, s'est stabilisé depuis 2001. Fait économique difficilement réversible, il conduit souvent, malgré l'amélioration des conditions de travail apportées par la loi du 19 janvier 2000, de nombreux salariés à temps partiel - essentiellement des femmes - à des situations de précarité. Les pouvoirs publics devraient, d'une part, veiller à la bonne application des dispositions existantes du droit du travail et, d'autre part, dans un souci de meilleure cohésion sociale, apporter aux travailleurs à temps partiel une aide financière en matière de protection sociale.

2. La faiblesse des retraites perçues par les femmes
- inférieures de plus de 40 % à celle des hommes - s'explique par des carrières souvent incomplètes et moins bien rémunérées. Dans le secteur privé, les années travaillées à temps partiel pénalisent les femmes, dès lors qu'elles entrent dans les 25 meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension.

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu, pour les salariés du secteur privé à temps partiel, la possibilité de cotiser sur un temps plein, avec l'accord de l'employeur. Afin que cette disposition ne reste pas illusoire, il conviendrait que les accords collectifs prévoient la prise en charge par l'employeur des cotisations patronales sur la base du temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande. Une contribution financière pourrait être apportée par l'Etat sous forme d'un allégement du supplément des cotisations qui en résulte.

3. L'absence de prise en compte des activités à temps partiel de faible durée par le régime général de sécurité sociale pénalise ces travailleurs, qui, bien qu'ayant cotisé, ne pourront prétendre à l'âge de la retraite qu'au minimum vieillesse. Il serait souhaitable de permettre aux salariés dont l'activité aura été inférieure au seuil de validation des droits à pension, de capitaliser les cotisations versées sur les salaires perçus de façon à pouvoir bénéficier d'une validation des droits correspondants.

4. Dans le secteur privé, les accords de branche pourraient préconiser en faveur des travailleurs à temps partiel, rémunérés au SMIC horaire, une contrepartie sous forme de compensation salariale qui permettrait de valoriser le temps partiel, de fidéliser les salariés et de lutter contre la précarité.

5. De nombreux salariés à temps partiel souhaitent pouvoir travailler à temps plein. La reconnaissance dans l'entreprise ou l'établissement d'une priorité pour l'attribution d'un emploi équivalent à temps plein est une revendication majeure. Cette priorité inscrite dans le code du travail doit être respectée par l'employeur. Elle doit être valable pour une création d'emploi à temps plein, comme pour une libération d'emploi, et réaffirmée dans les accords collectifs de branche ou d'entreprise.

6. Les femmes travaillent de plus en plus longtemps et l'activité à temps partiel n'est souvent qu'une étape dans leur carrière. Pour éviter que les salariés ne restent trop longtemps à temps partiel, ce qui les pénalise fortement dans la constitution de leurs droits à retraite, une offre de réintégration dans un emploi à temps plein devrait leur être proposée, après une période maximum de travail à temps partiel à déterminer.

7. Dans ce but, une meilleure connaissance statistique de la part du temps partiel dans le parcours professionnel des salariés est indispensable et devrait faire l'objet d'enquêtes spécifiques de la part de la DARES et de l'INSEE.

8. Les salariés lors d'une embauche à temps partiel ou lors du passage d'un travail à temps plein à un travail à temps partiel doivent être informés des conséquences de ce mode de travail en matière de retraite.

9. Dans certaines activités, comme la grande distribution, les amplitudes d'horaires hebdomadaires devraient être mieux organisées et encadrées, dans le souci du respect de la personne. L'organisation du travail en îlots de caisse, qui donne aux hôtesses de caisse une certaine autonomie dans l'aménagement de leur travail, devrait être favorisée.

10. Dès l'école, une meilleure information des filles sur les carrières et l'organisation du travail dans certaines professions devrait être donnée, l'orientation des filles se faisant encore aujourd'hui principalement vers des carrières très féminisées, filières de service aux personnes ou filières médico-sociales, qui offrent une part importante d'emplois à temps partiel.

11. Au niveau des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, une réflexion en profondeur doit être conduite, sur l'articulation des temps sociaux, l'amélioration du système de garde des enfants, la prise en charge des personnes âgées, la prise en compte du temps global des salariés à temps partiel leur permettant une meilleure organisation du temps de travail et du temps familial.

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