DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

Mardi 17 novembre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Yvette Roudy, présidente de l'Assemblée des femmes, ancienne ministre des droits de la femme, sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Yvette Roudy, présidente de l'Assemblée des femmes, ancienne ministre des droits de la femme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Yvette Roudy, présidente fondatrice de l'Assemblée des femmes, ancienne députée du Calvados, ancienne maire de Lisieux, ancienne députée européenne et ancienne ministre des droits de la femme de 1981 à 1986.

La Délégation aux droits des femmes a souhaité l'entendre sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoire à caractère sexiste ou homophobe, qui a été présenté en Conseil des ministres le 23 juin dernier, et qui devrait être discuté à l'Assemblée nationale au cours de la première quinzaine du mois de décembre.

Mme Yvette Roudy a été au premier plan du combat des femmes : en matière d'égalité professionnelle, c'est à elle que l'on doit la première loi sur le sujet ; s'agissant de la lutte contre le sexisme, elle a tenté de faire aboutir un projet de loi en ce sens.

Vingt ans après, le Gouvernement actuel vient de déposer un projet de loi qui ne peut être approuvé : soit il faut l'amender pour que les propos sexistes soient sanctionnés de la même façon que les propos homophobes, soit il faut réfléchir à une loi globale contre les discriminations et les violences faites aux femmes. Le texte ne répond pas aux difficultés que les femmes peuvent rencontrer et il n'aide pas à l'émergence d'une véritable culture du respect des femmes.

Après l'audition de Mme Marie-Cécile Moreau la semaine dernière, Mme Marie-Jo Zimmermann s'est interrogée également sur l'opportunité d'adopter en la matière un texte pénal, qui heurte toujours de manière frontale le principe de liberté d'expression. N'y aurait-il pas lieu de mener une réflexion sur le concept d'atteinte à la dignité de la personne, qui permet des dommages-intérêts au plan civil ?

Mme Marie-Jo Zimmermann a souhaité que Mme Yvette Roudy donne son éclairage sur le projet de loi et exprime son opinion sur ce qu'il convient d'en faire : le faire évoluer ou adopter une loi globale sur le respect des femmes.

Mme Yvette Roudy a rappelé son expérience dans le combat des femmes, qu'elle continue à mener aujourd'hui au plan associatif. L'Assemblée des femmes, qu'elle préside, créée en 1992 à la suite de la Charte d'Athènes, qui avait fait émerger le terme de parité dans le panorama politique, n'a cessé d'organiser des rencontres, des colloques, des universités d'été et de prendre des initiatives.

Elle-même, en marge de cette association, a pris de nombreuses initiatives, notamment en 1996, où, avec l'aide de 10 ministres, 5 de droite, 5 de gauche, elle a tenté de secouer le monde politique dans le domaine de la parité. Des progrès ont été réalisés depuis cette date ; il y a maintenant une loi, - celle du 6 juin 2000 -, qui, si elle n'est pas parfaite, a amélioré la situation pour les scrutins à la proportionnelle ; en revanche, pour les autres scrutins, les partis politiques français ont préféré payer des amendes plutôt que d'entrouvrir la porte aux femmes.

Alertée sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, elle a suivi son évolution et essayé d'en comprendre l'historique.

Tout a commencé par un fait divers particulièrement violent qui a secoué l'opinion : Sébastien Nouchet a été brûlé vif par des voyous en janvier 2004. Le Garde des Sceaux a immédiatement réagi, la communauté homosexuelle s'est révélée très active et efficace, un projet de loi a été élaboré.

Les associations féminines se sont rendues compte que les homosexuels allaient obtenir la protection qu'elles ne cessent de réclamer depuis 25 ans. C'est en effet en 1982 qu'elle-même avait déposé un projet de loi, qui était la mise en œuvre d'une des 110 propositions du Président de la République. Simone de Beauvoir avait demandé un tel texte à la suite de l'acquittement d'un homme qui avait battu sa femme à mort, parce que les jurés avaient considéré que c'était un acte d'amour... Il y a une espèce d'indulgence autour des violences à l'encontre des femmes qui fait partie de notre culture.

Un article du projet de loi a été modifié et concerne à la fois les femmes et les homosexuels. Les femmes ont obtenu un petit strapontin, mais on se trouve face à un texte complètement déséquilibré, puisque les homosexuels vont être mieux protégés que les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué qu'au cours de l'émission télévisée « Mots croisés », à laquelle elle a participé le 8 novembre dernier, M. Pascal Houzelot, président de Pink TV, a fait observer qu'il ne fallait pas séparer la cause des homosexuels et des femmes et que c'est grâce à eux que les femmes obtiendraient une meilleure protection.

Mme Yvette Roudy a alors fait remarquer qu'elle avait soutenu les homosexuels lors du vote de la loi sur le PACS, mais qu'elle réfléchirait à deux fois avant de leur apporter son soutien, car ils n'ont pas aidé les femmes sur le projet de loi. Certains homosexuels sont certes un peu gênés que les injures et diffamations voient leurs peines aggravées pour les homosexuels alors qu'elles restent des peines de droit commun pour les femmes. Cela revient à donner autorisation à continuer comme par le passé en matière de violences faites aux femmes.

Pour le Gouvernement, il est deux fois plus grave de proférer des insultes homophobes que sexistes, quatre fois plus grave de diffamer un homosexuel qu'une femme.

Dans le cas de l'assassinat de Sohane, les criminels peuvent encourir 30 ans de prison, dans le cas de Sébastien Nouchet, c'est la perpétuité. Si une femme de couleur ou de religion juive ou musulmane est agressée, ses avocats auront intérêt à plaider le crime raciste plutôt que le crime sexiste.

Le sexisme n'est toujours pas reconnu par la loi. Ce terme ne figure dans le dictionnaire que depuis peu. Elle-même a eu beaucoup de mal à le faire exister dans une proposition de loi. Les progrès vont lentement.

Pour Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, ce texte est une grande avancée pour les femmes ; pour Mme Marie-Jo Zimmermann, ce texte est une humiliation pour les femmes. Mme Yvette Roudy a déclaré partager cette dernière opinion.

Ce texte reflète la pensée générale de la société dont la culture est imprégnée de machisme. Toutes ces attitudes ont toujours été traitées avec une sorte de dérision, par des moqueries, de sourires. On pense même que les femmes provoqueraient ces attitudes. Certains hommes ont même écrit que la nature particulière des femmes les pousserait à rechercher la souffrance.

Ces violences à l'encontre des femmes ont été souvent niées et banalisées ; cela a été également le cas des violences envers les homosexuels. Il a fallu attendre les années 1970 pour que le viol ne soit plus seulement un attentat à la pudeur, mais un crime.

Ce conditionnement et cette culture conduisent les femmes elles-mêmes à se considérer d'abord comme responsables de cette violence. A cet égard, Mme Yvette Roudy a cité le remarquable film espagnol « Ne dis rien », où l'on voit le cheminement d'un couple sur la voie de la violence, les efforts du mari, son traitement médical, mais aussi son incompréhension devant la conduite de sa femme. La culture patriarcale qui a longtemps imprégné nos comportements pèse lourdement. Ce n'est que dans les années 70 que l'on a pu remplacer dans nos textes l'autorité paternelle par l'autorité parentale.

En ce moment, on assiste à une résurgence des violences dans les banlieues. Notre éducation est en faillite par rapport à certaines populations issues de l'immigration. On n'a pas suffisamment expliqué que notre pays est un Etat de droit, où existe l'égalité entre hommes et femmes et que certaines coutumes ne doivent pas avoir la primauté sur notre droit.

Mme Yvette Roudy a évoqué l'effet pervers du patriarcat bien analysé par Engels. Selon cette culture patriarcale, la différence biologique entre hommes et femmes pourrait justifier les inégalités. On en trouve des exemples dans la littérature du XIXème siècle, dans les fabliaux du Moyen-Age, mais aussi dans « La mégère apprivoisée » de Shakespeare, une femme matée comme un cheval sauvage. Comme disait Simone de Beauvoir avec raison : « On ne naît pas femme, on le devient ».

Parmi les discriminations fondées sur le sexe, on peut citer la pratique courante en Chine de noyer les bébés filles, ce qui conduira ce pays à un déséquilibre démographique, ou le problème du voile. Il est un signe d'infériorité accepté par la femme et il représente un cheval de Troie dans notre laïcité : c'est en fait une sorte d'apartheid qui peut conduire à des heures séparées dans les piscines ou des séparations à l'école et dans les lieux publics.

La discrimination à l'encontre des femmes est différente de celle à l'encontre des homosexuels, puisque dès la naissance, les filles ont un statut différent, inégal. Aujourd'hui, les femmes de caractère peuvent s'en dégager, d'autant que les lois existent, mais les femmes ne sont pas encore sorties d'affaire, notamment pour les violences au quotidien. Le Premier Ministre espagnol, M. José Luis Rodriguez Zapatero, a bien compris le problème.

Ce sont des problèmes politiques : les femmes posent des problèmes qui dérangent l'ordre social établi et elles veulent des transformations sociales. On l'a vu au moment des élections américaines, et au moment de l'élargissement de l'Europe, avec le problème posé par la Pologne.

Une études ENVEFF lancée par Mme Nicole Péry a montré que 4  ou 5 femmes meurent chaque mois de violences conjugales ; la mort de Marie Trintignant a également mis en lumière ce phénomène ; cet été, 29 femmes ont été tuées par leurs compagnons. Cette violence se retrouve dans tous les milieux sociaux. Beaucoup d'hommes expriment leur embarras devant cette violence ; une grande majorité d'entre eux n'est pas violente ; les hommes violents ne sont pas des malades, il faut donc les sanctionner ; ils bénéficient encore de trop d'indulgence.

Le traitement différent des hommes et des femmes dans le projet de loi est le reflet de cette inégalité. On ne peut pas l'accepter. Aussi, faut-il deux lois, car le problème posé n'est pas le même : les femmes ne peuvent échapper à leur statut d'inégalité, alors que les homosexuels le peuvent en cachant leur homosexualité.

Les agresseurs sexuels agressent plus faibles qu'eux : M. Michel Fourniret parlant de la « chasse aux vierges » indigne moins que si l'on parlait de chasse aux juifs ou aux homosexuels.

C'est une question de démocratie. Il faut dénoncer cette violence sexiste. Le sexisme est une attitude agressive à l'encontre de l'autre sexe, il est la conséquence de la domination masculine sur les femmes.

Les hommes doivent mettre fin à ces violences, qu'il faut chercher partout, y compris dans les représentations des images publiques. Il faut une loi spécifique, prendre modèle sur la loi espagnole. Il faut des programmes spécifiques à l'école, des campagnes d'explications et des sanctions. Le texte doit être élaboré après consultation des associations qui ont étudié cette question. Il faut cesser de se dire qu'il y a une double morale sexuelle, permissive pour les uns, répressive pour les autres. Selon l'avis de M. José Luis Rodriguez Zapatero, que Mme Yvette Roudy partage, cela constitue le défi majeur du XXIème siècle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, revenant sur l'idée qu'on ne peut dissimuler le fait qu'on est une femme, a indiqué qu'il fallait revoir ce projet de loi en urgence.

Mme Danielle Bousquet a évoqué l'urgence à faire émerger une discussion sur ce texte, qui va mettre en difficulté toute la classe politique, soit vis-à-vis des homosexuels si on refuse le projet, soit vis-à-vis des femmes si on l'accepte en l'état.

Le projet doit être retiré ou réécrit. Ce n'est pas un texte contre le sexisme. En disant que c'est un bon texte, Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, fait considérablement reculer la lutte contre le sexisme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est déclarée stupéfaite que la ministre ait pu dire qu'il s'agissait d'une avancée pour les femmes.

Mme Yvette Roudy a interrogé les parlementaires sur l'action qu'ils entendaient mener contre ce texte. Même si le Gouvernement est maître de l'ordre du jour, les parlementaires peuvent manifester leur opposition à un texte, demander à rencontrer le Premier Ministre ou les présidents de groupes parlementaires, voire même démissionner tous ensemble de leur mandat.

Le texte ne serait pas acceptable, même si deux amendements rétablissaient le mot « sexe » en cas d'injure et de diffamation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué qu'elle demanderait un rendez-vous au Premier Ministre pour expliquer cette position. Elle a observé qu'à la suite de sa participation à l'émission « Mots croisés », elle avait reçu beaucoup de courriers de femmes lui disant qu'elle avait tout à fait raison.

Mme Yvette Roudy a évoqué la phrase scandaleuse de l'exposé des motifs selon laquelle « les diffamations et injures sexistes continueront de tomber sous le coup des diffamations et injures de droit commun ». Les articles 3 et 4 sont une insulte pour les femmes. Il faut le dire au Premier Ministre. On piétine la dignité des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé qu'au mois de juin dernier, elle n'avait pas souhaité demander à être saisie du projet parce qu'elle le considérait comme un texte indigne. Après les auditions qu'elle a menées au sein de la Délégation, elle est aujourd'hui plus partagée sur ce point, se demandant s'il ne faudrait pas que la Délégation prenne une position très ferme sur le texte, au moment de la discussion parlementaire.

Mme Yvette Roudy a indiqué qu'il faudrait enrichir le projet de loi de 1983 à la lumière de la loi espagnole votée il y a un mois, à l'unanimité, notamment introduire l'obligation, dans les programmes scolaires, d'expliquer les droits des femmes.

Mme Danielle Bousquet a observé que la proposition de loi de M. Yvan Lachaud était satisfaisante, mais qu'elle n'abordait pas le domaine de la publicité. Quant à la « loi Zapatero », elle est intéressante, mais elle fait référence à des institutions espagnoles différentes des nôtres.

Mme Catherine Génisson a estimé nécessaire que la Délégation soit saisie du projet de loi et a souhaité que le Premier Ministre soit averti de la position négative de la Délégation sur ce texte.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a évoqué les autres cas où la Délégation avait exprimé son désaccord : retraites, élections sénatoriales, et où elle n'avait pas été entendue. Elle a indiqué qu'elle solliciterait un entretien du Premier Ministre et qu'elle tiendrait une conférence de presse sur le sujet.

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