DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 6

Mardi 23 novembre 2004
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

page

- Audition de Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France sur le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

2

   

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie d'accueillir Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France, réélue en septembre 2004 pour un second mandat, qui avait pris position dès le mois de mai en faveur d'une loi anti-sexiste et qui s'est exprimée à plusieurs reprises sur le projet relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

Le Garde des Sceaux vient d'annoncer le retrait du texte et sa reprise, avec des modifications substantielles, sous forme d'amendements du Gouvernement au projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en discussion aujourd'hui au Sénat.

De même qu'elle avait considéré que le texte n'était pas un progrès, mais une insulte pour les femmes, Mme Marie-Jo Zimmermann a estimé que son retrait n'est pas une victoire, à la différence de ce qu'a dit Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, mais une avancée, qui laisse le débat ouvert et montre la nécessité d'une vraie réflexion.

Certes, les nouvelles dispositions proposées par le Garde des Sceaux consacrent l'égalité de traitement entre femmes et homosexuels : désormais, les injures et diffamations à raison du sexe seront punies des mêmes peines - aggravées par rapport au droit commun - que les injures et diffamations à raison de l'orientation sexuelle.

Pour autant, et c'est le sens du communiqué qu'elle a publié cet après-midi, le problème reste entier et deux priorités demeurent. D'une part, il convient de mieux définir le sexisme, qui ne saurait être confondu avec la discrimination selon le sexe et qui prend un poids particulier quand il conduit vers la pénalisation. Le législateur, s'il laisse aux juges une totale liberté d'appréciation, n'aura pas fait œuvre sérieuse ; sans doute faudrait-il sortir du cadre strictement pénal et approfondir le concept d'atteinte à la dignité de la personne, qui permet des dommages et intérêts au civil. D'autre part, il faudrait élaborer une loi globale, prenant en compte et combattant l'ensemble des discriminations à l'encontre des femmes. Il conviendra notamment d'étudier la loi adoptée en Espagne à l'initiative du Gouvernement de M. José Luís Rodríguez Zapatero et de voir comment l'appliquer en France. C'est la direction dans laquelle souhaite aller la Délégation, convaincue que le projet abandonné ne satisfaisait pas à l'exigence d'une culture paritaire.

Dans le même esprit, la Grande Loge féminine a proposé une loi anti-sexiste distincte et prépare un Livre Blanc sur ce sujet.

Pour toutes ces raisons, cette audition demeure pleinement d'actualité, en dépit du retrait du texte.

Mme Marie-Françoise Blanchet a remercié la Délégation aux droits des femmes d'avoir bien voulu auditionner la Grande Loge Féminine de France. Elle-même porte le titre, féminisé depuis le XVIIIe siècle, de Grande Maîtresse : le respect de la tradition la place donc à la pointe de la modernité...

La Grande Loge Féminine de France est une association qui compte 11 300 adhérentes, âgés de vingt-et-un à presque cent ans, de toutes classes sociales, de toutes sensibilités religieuses et politiques. Première obédience maçonnique féminine mondiale - historiquement et quantitativement -, elle compte 360 loges, réparties en France métropolitaine, dans les DOM-TOM ainsi que dans plusieurs pays d'Europe, au Canada, au Venezuela, en Afrique, et jusqu'aux îles Mascareignes... Une loge partenaire a ouvert il y a peu à Jérusalem. C'est donc dans le monde entier, aux côtés des sœurs qui ont pris leur indépendance, que la Grande Loge féminine est attentive aux droits des femmes : on ne peut manifester pour soutenir les femmes afghanes et ignorer ce qui se passe en France dans les banlieues.

Le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe a été publié au moment où la Grande Loge féminine avait déjà lancé un vaste chantier de réflexion en profondeur afin d'élaborer un Livre blanc pour une loi anti-sexiste. En effet, les franc-maçonnes sont animées par des valeurs et des principes fondés sur le respect des autres et de soi-même, sur le désir d'amélioration personnelle et collective, sur I'engagement à œuvrer pour un monde plus juste et plus solidaire. Aussi les franc-maçonnes du XXIe siècle ont-elles vocation à devenir les défricheuses des droits à venir. L'association affirme donc son engagement à contribuer à l'émancipation des femmes, à la reconnaissance et au respect de leurs droits, à l'exercice de leur liberté, à la défense de leur intégrité physique et morale, à l'affirmation de leur dignité. Enfin, les violences faites aux femmes, véritable négation de l'autre fondée sur le genre, incisent à la fois l'ordre symbolique et l'éthique qui rassemblent les franc-maçonnes. Pour toutes ces raisons, la Grande Loge féminine s'est estimée particulièrement légitime pour témoigner, de façon très concrète, de l'expérience que ses membres ont du sexisme « ordinaire » dans leur vie privée, professionnelle et dans l'espace public.

Le projet a été annoncé en mai dernier, au moment où les légitimes revendications des homosexuels quant aux discriminations dont ils sont victimes étaient mises sous le feu d'une actualité tragique. La classe politique a semblé soudain prendre conscience de l'urgence à entendre les demandes de cette minorité et à agir pour que cesse l'intolérable. « Ce sera la loi Sébastien Nouchet », a ainsi déclaré le Garde des Sceaux. Pourtant, lorsqu'il s'agit de dignité humaine, la loi doit dépasser le cas individuel et se libérer de l'événement, si tragiques soient-ils, pour atteindre à l'universel. Les femmes, elles, ne demandent pas de « loi Sohane »...

Dans le même temps, les discriminations, les atteintes à la dignité, les violences dont sont victimes la moitié de l'humanité, pour la seule raison qu'elles sont femmes, se poursuivent, dans l'indifférence, le mépris goguenard ou la franche hostilité envers les victimes qui osent élever la voix ou envers ceux qui refusent d'être complices.

C'est pourquoi la Grande Loge féminine a accueilli avec intérêt ce projet de loi, dont le cadre n'était que l'extension du champ de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais aussi avec une déception à la mesure des enjeux, ainsi que des attentes dont elle est, avec d'autres, porteuses.

Certes, ce projet marque, dans son principe, une avancée, mais son architecture est déséquilibrée, dès lors que la pénalisation des discriminations en raison du sexe est évacuée des articles 2, 3 et 5. Ce silence est, en soi, une prise de position culturelle, juridique, politique. Pourquoi une loi anti-sexiste déchaîne-t-elle un tel rejet, alors que les lois anti-racistes ou anti-homophobes trouvent leur aboutissement ? Comment accepter que le sexisme soit relégué au rang d'incidente de l'homophobie ? « Cachez ce sexisme que nous ne saurions voir », semble-t-on ainsi signifier...

L'histoire se répète : la mobilisation de nombreuses associations dans les années 1970 comme les tentatives d'évolution de la législation dans les années 1980, se sont toujours heurtées à des campagnes de dénigrement d'une violence inouïe, comme si tout projet anti-sexiste ranimait dans l'inconscient collectif du mâle dominant la peur de l'émasculation sous les ciseaux d'Anastasie... Ne s'agit-il pas plutôt de protéger la liberté d'une catégorie de population - les hommes - au détriment de l'autre - les femmes - et, plus encore, la liberté mercantile de générer sur leur dos, ou plutôt sur leurs corps sans tête, des gros paquets de publi-dollars ?

Ce sont les mêmes qui brandissent l'étendard de la résistance contre le supposé retour de la pudibonderie et de l'« ordre moral ». Alors que l'on n'ose plus avancer ces mauvais arguments pour défendre la liberté d'être homophobe, pour le sexisme, fût-il le plus épais et le plus haineux, on l'ose, sans retenue.

Quand le combat des femmes se porte sur le terrain du droit, chasse gardée du dominant, il est perçu comme une menace directe, et le recours contre l'oppression est alors dénoncé comme outil de répression. Quand on dit que l'arsenal législatif actuel est bien suffisant pour punir les délits, on occulte tout bonnement le fait que le passage à l'acte violent s'enracine et se nourrit des propos, des images, des comportements dégradants que la société banalise et, par-là même, légitime. Dès lors, la notion d'interdit - et les peines qui en découlent - deviennent incompréhensibles au coupable : on le voit bien chez les auteurs de viols en réunion.

Quand on prétend que la référence faite au sexisme dans les articles 2, 3 et 5 est inopérante ou superfétatoire - on devrait alors s'interroger sur l'impérieuse nécessité de la référence à l'homophobie... -, on feint d'oublier que, dès lors qu'il s'agit de dire le droit, il est impératif de qualifier l'offense afin de pouvoir la poursuivre.

Certes, une loi ne fait pas bouger du jour au lendemain les structures mentales, mais elle peut y contribuer, on l'a vu avec les actions pour le respect des places de stationnement pour les personnes handicapées ou avec la politique volontariste de lutte contre la consommation tabagique.

La Grande Loge féminine a plaidé devant la commission présidée par M. Bernard Stasi pour la nécessaire force symbolique d'une loi pour le respect de la laïcité et de l'égalité entre hommes et femmes ; cela vaut aussi pour la lutte contre le sexisme.

Actuellement, dans un archipel de textes séparés par des océans de vide juridique, trop de domaines ne sont pas couverts, et le projet de loi demeurerait bien réducteur en s'en tenant au contexte de la loi de 1881 et en omettant, par exemple, les insultes proférées dans les lieux publics.

Il est vrai que la démarche qui avait conduit à déposer d'abord un projet de loi contre les propos homophobes puis à y ajouter le sexisme n'était pas bonne, et que le risque d'évolution communautariste, en contradiction avec toute l'histoire des droits et de la République, est réel. Par ailleurs, si on lie ces questions à celle de la Haute autorité, encore faut-il savoir quels en seront les pouvoirs et les moyens, qui y sera nommé et par qui. La Grande Loge féminine souhaite donc une véritable loi-cadre anti-sexiste, distincte, qui intègre l'ensemble des dispositifs législatifs existants et introduise les modifications demandées, notamment à la loi sur la liberté de la presse. C'est bien dans cette logique que s'est inscrit le projet présenté par le Premier ministre espagnol.

Il convient, a minima, de réintroduire l'expression « en raison du sexe » avant « en raison de l'orientation sexuelle », dans ce qui était les articles 2 (diffamations), 3 (injures) et 5 (article 48-4) du projet, ce qui a une incidence automatique sur l'article 4 et inclut donc la possibilité, fondamentale, de saisir le ministère public.

La Grande Loge féminine ne saurait se résoudre ni à une hiérarchisation ni à une confusion des discriminations homophobes et sexistes : elles procèdent des mêmes préconçus, mais les secondes sont transcatégorielles et se cumulent avec toutes les autres.

Dans l'esprit des gens, même des femmes, même au sein des loges, on peut parler de discriminations, de lutte contre la violence ou pour la dignité des femmes, mais le mot sexisme fait peur, sans doute parce qu'on craint une dérive « à l'américaine ». Il y a donc un vrai travail de « marketing » à faire pour le remplacer par un autre.

Mais il s'agit d'un travail de longue haleine, et c'est pourquoi la Grande Loge féminine ne publiera son livre blanc que fin 2005 ou début 2006, à l'issue des réflexions menées dans toutes ses loges. Il s'agira d'abord de dresser le constat de la façon dont les lois existantes sont ou ne sont pas appliquées, contournées, voire détournées contre les femmes. Des points noirs pourront ainsi être mis en évidence, ce qui débouchera sur des propositions. D'ici-là, la Grande Loge féminine, animée par une réelle volonté politique de faire progresser les droits des femmes, est prête à contribuer à toute réflexion,

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Marie-Françoise Blanchet d'avoir demandé à être auditionnée. En fait, elle-même avait d'abord souhaité, dans la mesure où elle ne comprenait pas la discrimination qui était faite entre les homosexuels et les femmes et où elle souhaitait une loi globale, que la Délégation ne soit pas saisie du texte. Mais, au fur et à mesure de l'avancement des auditions, elle l'a estimé nécessaire. Elle a constaté une sensibilité commune avec la Grande Loge et souhaité poursuivre les échanges pendant la période de réflexion des loges, avant une nouvelle audition lorsqu'elle sera achevée.

Mme Marie-Françoise Blanchet a rappelé que, si la Grande Loge féminine ne fait pas de politique, le politique est le domaine de tout citoyen et de toute citoyenne. Entendre les homosexuels demander, après le drame vécu par Sébastien Nouchet, une loi pour « les protéger » l'a mise en fureur, car cela conduirait à distinguer les gens selon des catégories, tandis que les femmes, composante transversale, n'auraient pas vocation à être protégées lorsqu'elles n'entrent pas dans une de ces catégories ! Il fallait donc réagir, et soumettre le sujet à la réflexion des 360 loges. Et même si certaines paraissaient un peu frileuses, elles ont été emportées par l'enthousiasme de leurs sœurs étrangères, notamment d'Afrique et d'Europe de l'Est, qui savent toute l'exemplarité de ce qui est fait en France.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a jugé que la France, pays des droits de l'homme, ne devrait pas avoir de problèmes en la matière. Or, on en est bien loin dans la réalité quotidienne... Il faut donc bien commencer par se préoccuper de ce qui se passe à sa porte avant d'en faire un exemple.

Mme Marie-Françoise Blanchet a souligné que la France est le dernier pays francophone où l'on parle encore de droits de l'homme et non pas de « droits humains ».

Les cinq loges espagnoles sont extrêmement satisfaites de la nouvelle loi, qui va permettre de rompre avec des violences conjugales jusque là abominables. Si les milieux catholiques ont organisé, comme ils l'avaient déjà fait contre le mariage homosexuel, des manifestations de fidèles à la sortie de l'office, au prétexte de défendre la famille, c'est surtout parce qu'en décidant de financer les cultes proportionnellement au nombre de fidèles, le gouvernement de José Luís Rodríguez Zapatero s'en est pris au porte-monnaie de l'Eglise.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité que la Délégation se rende en Espagne pour rencontrer des parlementaires, mais aussi les médias, car ce sont eux qui ont fait évoluer la politique, en faisant prendre conscience à l'opinion de la nécessité d'une loi antisexiste. Car, à travers les violences, c'est bien de dignité humaine qu'il s'agit.

Mme Marie-Françoise Blanchet a aussi pensé qu'il est essentiel que les médias n'occultent pas les violences contre les femmes. Ici, l'agression de Sébastien Nouchet a fait bien plus de bruit que ce que subissent toutes les femmes tuées ou blessées par leur conjoint. Taper sur sa femme fait partie des choses normales ; récemment, un homme accusé d'avoir battu et blessé sa femme a demandé ingénument au juge qui lui faisait la morale : « Mais comment faites-vous donc pour vous faire obéir ? » C'est cette banalisation qu'il faut combattre.

Or, elle commence dans les programmes de télévision, qui proposent aux filles comme seul modèle celui de la poupée Barbie chantante de la Star Academy, ou dans les journaux pour adolescentes, même aussi bien-pensants que Julie, qui ne leur parlent que de mode et de maquillage. C'est aussi dans ce conditionnement, qui commence dès l'âge de sept ans, que le sexisme est à l'œuvre. Rien n'a changé depuis les années 1970...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que les femmes étaient alors plus attentives et plus nombreuses à s'élever contre ce genre de choses.

Mme Marie-Françoise Blanchet s'est souvenue qu'à partir du vote de la loi sur l'IVG, quand Simone Veil avait été traitée de manière indigne, puis au moment où Yvette Roudy a tenté de faire passer des textes contre le sexisme, on a assisté à un vaste mouvement destiné à discréditer les femmes et les mouvements féministes. Aujourd'hui encore, quand une femme est partie prenante du monde politique, on la taxe de féminisme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que c'est parce qu'elle refuse cette vision qu'elle a déclaré à Libération qu'elle n'était ni féministe ni révolutionnaire, tout en considérant que le projet de loi était une insulte pour les femmes.

Mme Marie-Françoise Blanchet a observé que les féministes sont vues comme « dangereuses ». Joue aussi l'image des féministes américaines, à propos desquelles on a inventé le mot terrible de « feminazi ».

Ce n'est pas du tout ce vers quoi elle-même veut aller : elle s'affirme féministe, mais elle a très bien vécu sa vie professionnelle dans un univers masculin puisqu'elle était colonelle de l'armée de l'air. C'est là qu'elle a compris qu'il fallait laisser la porte ouverte pour celles qui suivraient, en étant jugée sur ses capacités, en refusant d'être traitée en phénomène, mais aussi de gommer sa féminité. A l'inverse, certaines femmes politiques semblent avoir renoncé à être vues comme des femmes lorsqu'elles sont élues ; c'est dommage, car les hommes ont plus de respect pour celles qui savent rester femmes.

Mme Mary Breitenstein, attachée de communication de la Grande Loge féminine, a souligné qu'il est aussi difficile de s'imposer dans l'industrie, où les femmes se font plus rares quand le niveau de responsabilités monte. Dans une société de 15 000 personnes, à sa première réunion des directeurs généraux, elle a été accueillie par quelques sifflets...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a constaté qu'il reste encore beaucoup à faire. Pour autant, il faut prendre son temps, considérer que le retrait de la loi est une avancée, pas une victoire.

Lors de sa participation à l'émission « Mots Croisés », Mme Marie-Jo Zimmermann, a expliqué à Pascal Houzelot, président de Pink TV, que, sans nier la nécessité d'une loi contre les propos homophobes, elle s'opposait à un texte commun par crainte d'une véritable régression des droits des femmes : elles sont la moitié de l'humanité, on ne saurait donc les enfermer dans telle ou telle catégorie !

Mme Marie-Françoise Blanchet a fait avec la présidente le constat que l'égalité ne progresse pas et que les choses s'aggravent même dans certains domaines. Ainsi, comment les femmes pourraient-elles s'investir dans la vie associative, syndicale, politique alors qu'elles sont la grande majorité des chefs de familles monoparentales et qu'elles ont bien du mal à faire garder leurs enfants ? Qui plus est, même les textes sur la parité sont détournés, comme on l'a vu avec la multiplication des listes dissidentes, toutes conduites par des hommes, aux élections sénatoriales. Par ailleurs, les hommes membres des commissions d'investitures ont tendance à choisir les femmes qui ne vont pas leur faire d'ombre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que l'Observatoire de la parité va lancer une enquête à mi-mandat sur les conseillères municipales nouvellement élues : alors qu'elles pensaient faire avancer les choses, certaines, dans l'opposition, ont le sentiment de ne faire que de la figuration, tandis que d'autres, dans la majorité, ne sont que des potiches lorsqu'elles ne sont pas adjointes... Il faut analyser précisément leur situation et déterminer si elles continueront à s'investir en politique.

L'Observatoire a déjà auditionné tous les dirigeants de partis politiques, et fera de même avec le nouveau président de l'UMP. Au moment des investitures pour les élections législatives, les électeurs devront être informés de ce qu'ils ont dit lors de ces auditions. Chacun doit être conscient qu'on ne saurait à la fois prétendre à un destin national et être le fossoyeur de la parité.

Mme Marie-Françoise Blanchet a rappelé qu'à la fin des années 1970, au moment des élections législatives, le journal Elle avait rappelé à ses lectrices le vote de chaque sortant sur les textes relatifs aux femmes...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'une vigilance de tous les instants est nécessaire ; on l'a encore vu récemment avec le problème posé par les pensions de réversion.

Mme Christiane Taubira s'est réjouie d'avoir entendu aujourd'hui Mme Marie-Françoise Blanchet, qui, lors de leur précédente rencontre à Marseille, n'avait pu développer l'ensemble de son propos sur le statut personnel des citoyens.

Mme Marie-Françoise Blanchet lui a répondu que c'est en effet un sujet qu'elle lie habituellement à celui de la laïcité, ce qui permet de sortir plus aisément du système des communautés, dont on voit les effets au Proche-Orient. Là-bas, en effet, il n'y a pas d'état civil et l'on est enregistré comme appartenant à une communauté religieuse. On se marie ensuite religieusement et on meurt dans la religion. Ainsi, au Liban, les droits successoraux varient selon que l'on est sunnite ou chiite.

Mme Christiane Taubira s'est déclarée très sensible à la détermination de la Grande Maîtresse quand elle revendique des progrès législatifs, que l'élargissement de l'Europe rend encore plus nécessaires si l'on ne veut pas assister à une véritable régression.

En Espagne, les associations ont obtenu que la télévision traite les violences domestiques comme n'importe quel crime. En France, on parle encore de « drames passionnels » pour qualifier les homicides conjugaux.

Sur ce sujet, comme sur celui de l'esclavage domestique ou sur celui du divorce, il faut absolument mettre l'accent sur l'accueil et l'accompagnement des victimes, jusqu'ici trop oubliés dans notre arsenal législatif.

Mme Marie-Françoise Blanchet a rappelé que les femmes turques ont eu le droit de vote quinze ans avant les Françaises, qu'il y a eu en Espagne une femme pilote de chasse trois ans plus tôt qu'en France. Agit-on davantage quand on est face à l'adversité, tandis qu'ailleurs on ronronne dans un relatif confort ? Se souvient-on où en était l'Espagne il y a trente ans ? Aujourd'hui, la loi est sur le point d'y être adoptée tandis qu'on tergiverse encore en France... Les Espagnoles sont fières d'être ainsi à la pointe du combat.

Mme Christiane Taubira a demandé si la Grande Loge féminine s'était penchée sur le futur Traité constitutionnel, notamment sur la nécessité de traiter la question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le chapitre des valeurs de l'Union et pas seulement dans celui sur les objectifs.

Mme Marie-Françoise Blanchet a répondu que le Comité de liaison international de la maçonnerie féminine avait pris position en mars 2003 pour son inscription dans les valeurs et que le texte finalement adopté le fait figurer à la fois dans les valeurs et dans les objectifs. Pour l'heure, il semble difficile que les Français se prononcent par référendum sur un texte dont ils n'ont jusqu'ici eu connaissance qu'à travers des commentaires de journalistes. La liberté de conscience suppose le libre examen. A défaut, les citoyens pourraient avoir l'impression d'avoir été manipulés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a conclu cette audition très instructive en remerciant Mme Marie-Françoise Blanchet et en envisageant de reprendre cette discussion lorsque la Grande Loge féminine aura achevé la réflexion qu'elle a engagée.

--____--


© Assemblée nationale