DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 9

Mardi 18 janvier 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM

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- Audition de Mme Catherine Chouard, directrice des ressources humaines du groupe Elior

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM.

Dans le cadre de la mission de suivi de l'application de la législation relative à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse confiée à la Délégation aux droits des femmes, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a accueilli Mme Nathalie Bajos, chercheure à l'INSERM dont l'article intitulé « Pourquoi le nombre d'avortements n'a-t-il pas baissé en France depuis 30 ans ? », paru dans Population et sociétés de décembre 2004, est pour le moins troublant. Alors que le législateur de 1974 espérait que la diffusion des moyens contraceptifs entraînerait la diminution progressive du recours à l'avortement, l'article démontre que, trente ans après la promulgation de la loi autorisant l'IVG, sa fréquence, relativement élevée, reste la même, et qu'il continue de s'en pratiquer environ 200 000 chaque année en France. Les modifications apportées par la loi du 4 juillet 2001 n'ont, semble-t-il, pas permis d'amélioration. Dans ces conditions, que faire ?

Mme Nathalie Bajos a précisé que cette étude constituait une synthèse de travaux réalisés par l'équipe qu'elle dirige et qui tendaient, en ce trentième anniversaire de la loi Veil, à alimenter et à éclairer le débat public sur le double paradoxe français : en premier lieu, le taux de recours à l'IVG est resté remarquablement stable en dépit d'une large diffusion de moyens contraceptifs - pilule et stérilet - à l'efficacité théorique très élevée. En second lieu, on dénombre en France, pays qui détient le record du monde des utilisatrices de contraception, encore 30 % de grossesses non prévues qui, pour la majorité, conduisent à des IVG.

La seule manière de comprendre la stabilité du recours à l'IVG consiste à décomposer le processus qui y conduit. Il faut d'abord que la femme ait des rapports sexuels sans souhaiter être enceinte ; il faut ensuite qu'elle n'utilise pas de méthode contraceptive ou qu'elle rencontre un échec de contraception ; il faut encore que, face à cette grossesse imprévue, elle choisisse de l'interrompre, et enfin qu'elle accède à temps à l'IVG dans les conditions prévues par la loi. Etant donné cette succession d'événements, il fallait déterminer si la stabilité du nombre d'IVG traduit la stabilité de chaque étape du processus ou si des évolutions contraires se compensent. Qu'en est-il au juste ?

La population concernée reste stable, puisque l'âge au premier rapport sexuel a très peu diminué et que la fréquence des rapports sexuels n'a pas varié; l'exposition au risque de grossesse est donc globalement la même. Dans le même temps, la diffusion massive de moyens contraceptifs efficaces a considérablement réduit le nombre des conceptions imprévues. Il en est résulté que la proportion de grossesses non prévues est passée de 46 % en 1975 à 33 % aujourd'hui. Il apparaît de prime abord difficile que la proportion de grossesses non prévues puisse chuter encore beaucoup; cependant, des pistes sont envisageables.

On compte donc moins de grossesses imprévues ; mais, lorsqu'elles se produisent, le recours à l'IVG est beaucoup plus fréquent, puisque 60 % de ces grossesses se terminent maintenant par une IVG, contre 40 % en 1975. On voit donc que la stabilité apparente du nombre d'IVG résulte de mouvements contraires : moins de grossesses accidentelles mais, lorsqu'il y en a, une propension plus marquée à les interrompre.

Contrairement à une idée reçue, la décision de recourir à l'IVG, dans l'immense majorité des cas, se prend en commun au sein des couples stables. Cependant, en cas de désaccord, la décision d'interrompre la grossesse est très largement corrélée au degré de dépendance sociale et économique de la femme : plus la femme est indépendante, plus son point de vue prévaudra. Plus largement, la qualité de la relation affective pèse fortement sur la décision, et le partenaire d'un soir n'est, le plus souvent, pas même informé de la grossesse.

De l'analyse des questionnaires et des entretiens très détaillés menés par l'équipe des chercheurs de l'INSERM, de l'INED et du CNRS, il ressort que les raisons du recours à l'IVG ne sont pas les mêmes selon l'âge des femmes. Si l'on constate un pic des interruptions de grossesse autour de 20-24 ans, l'IVG concerne toutes les femmes en âge de procréer, y compris celles qui sont en fin de vie reproductive.

Avec la diffusion de la contraception médicale, les normes sociales de la parentalité se sont modifiées, en ce sens que les femmes se sentent désormais tenues de choisir le meilleur moment pour faire naître un enfant, en prenant en compte le contexte affectif, les carrières des deux partenaires, afin de réunir les conditions les plus favorables à l'accueil et à la prise en charge de cet enfant à naître. Autrement dit, la décision d'avorter renvoie en miroir aux normes sociales de la « bonne parentalité ». Les femmes auront plus souvent recours à l'IVG si la grossesse non prévue se déclare à un « mauvais » moment, ce moment étant apprécié en fonction de raisons qui varient selon l'âge. En particulier, l'engagement scolaire apparaît déterminant pour les très jeunes femmes ; une étudiante de 18 ans décidera de recourir à une IVG car la naissance de l'enfant obérerait ses perspectives de carrière, mais des adolescentes en échec scolaire décideront plus souvent de laisser la grossesse se poursuivre, car une maternité précoce, à leurs yeux, devrait leur permettre d'acquérir un statut social. Ce clivage se retrouve dans de nombreux pays industrialisés.

Par ailleurs, les femmes ont des trajectoires affectives et sexuelles plus diversifiées que par le passé, et l'on constate que le « bon » moment pour accueillir un enfant est plus difficile à trouver ; voilà pourquoi la probabilité d'une IVG en cas de grossesse imprévue est plus grande qu'il y a trente ans. Les considérations financières jouent aussi, bien sûr, et le fait qu'une femme ne dispose pas de ressources suffisantes peut la conduire à avoir recours à l'IVG, mais ce n'est pas, loin s'en faut, l'argument premier pour la grande majorité des femmes. C'est bien le contexte affectif et professionnel qui conditionne la décision.

C'est pourquoi mieux vaudrait, en matière d'IVG, parler de « situations à risque dans la vie des femmes » que de « femmes à risque ». Certes, il existe des femmes qui, cumulant des difficultés affectives, sociales et économiques particulières, y compris la difficulté d'accès à la contraception, recourent de manière répétée à l'IVG (plus de trois IVG ou deux IVG rapprochées dans le temps), mais elles sont peu nombreuses. Or, près de 40 % des femmes seront confrontées à une interruption de grossesse, et près du double à des grossesses non prévues. Comment expliquer ces échecs contraceptifs ?

La stabilité apparente des taux d'IVG masque un phénomène qui pose question en termes de santé publique. En effet, si la moyenne pondérée du taux d'IVG des femmes reste de 14 °/°°, ce taux augmente chez les femmes de moins de 25 ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est alarmée de cette évolution.

Mme Nathalie Bajos a précisé que cette augmentation apparente pourrait peut-être relever en partie d'enregistrement statistique des IVG par âge chez les plus jeunes. Cependant, un autre facteur joue, celui de l'utilisation sans cesse croissante du préservatif, considéré comme un moyen de protection contre le VIH, et comme une contraception. L'utilisation de plus en plus fréquente du préservatif au premier rapport sexuel a pour conséquence de retarder le recours à la pilule, qui se fait davantage au moment de la stabilisation de la relation. On peut se demander si les grossesses accidentelles ne sont pas plus nombreuses dans cette phase d'utilisation du préservatif, méthode qui dépend de l'accord et de l'expérience du partenaire.

On constate que si, en raison de campagnes d'information répétées, les jeunes sont sensibilisés au risque de contamination par le VIH, leurs connaissances en matière de contraception sont très faibles. Il est vrai qu'il n'est pas facile de diffuser un discours portant simultanément sur les préservatifs et sur la pilule, cette dernière ne protégeant pas, comme on le sait, des infections sexuellement transmissibles. De plus, le nombre d'heures consacrées à la sexualité dans les programmes d'enseignement est très réduit, et l'aspect relationnel y est très peu abordé. Ce sujet mériterait réflexion.

Un autre facteur clé a été mis en évidence chez les plus jeunes : l'importance de la reconnaissance sociale de leur sexualité. La situation est relativement bonne en France, puisque le taux d'IVG chez les mineures y est un des plus bas des pays industrialisés. Le corollaire est manifeste : plus le discours sur la sexualité et la prévention est axé sur l'interdit, plus le nombre de grossesses non prévues, d'IVG et d'infections par le VIH chez les jeunes augmente. Et ce sont les Etats-Unis, où l'on préconise l'abstinence, qui détiennent le record des pays industrialisés en ces domaines.

La non-acceptation de leur sexualité par le milieu dans lequel ils vivent est l'un des facteurs d'échec de l'accès à la contraception chez les jeunes. Comment une jeune fille qui redoute de se faire réprimander - ou pis encore - pourrait-elle prendre le risque que sa plaquette de pilules soit découverte ? De tels problèmes se posent chez des jeunes filles en difficulté, mais aussi chez des femmes plus âgées qui se sentent coupables, par exemple, d'avoir des aventures extra-conjugales. En bref, accès à la contraception et information sont nécessaires, mais tout ne se résume pas à cela. Quant au sentiment d'ambivalence à l'égard de la grossesse ou au désir de tester sa fertilité, souvent mis en avant, il est loin d'expliquer les 200 000 IVG annuelles et l'ensemble des échecs contraceptifs.

Un autre facteur important, est l'inadéquation entre les méthodes contraceptives utilisées et les conditions de vie des femmes auxquelles elles sont prescrites. La très forte médicalisation de la contraception qui prévaut en France fait que la seule absence de contre-indication médicale suffit à ce que la pilule soit prescrite. Or, la contraception orale est très efficace théoriquement, mais une femme dont la vie sexuelle est irrégulière oubliera bien plus souvent de prendre la pilule qu'une autre qui vit en couple stable ; et les oublis sont plus fréquents lorsque le rythme de vie est bouleversé par des tout-petits, ou si la femme travaille selon des horaires irréguliers. Et que dire de la sexualité des adolescentes, caractérisée par des relations de courte durée suivies de périodes sans partenaire ? La pilule n'est pas nécessairement ce qui leur convient le mieux. Quant au stérilet, il reste sous-utilisé pour des raisons qui n'ont pas de fondement épidémiologique, les médecins estimant, à tort, qu'il ne convient qu'aux femmes qui ont eu tous les enfants qu'elles désiraient, alors que la contre-indication scientifiquement reconnue est l'existence d'une infection sexuellement transmissible (IST) au moment de la pose, qui aggraverait le risque de salpingite.

A la rigidité actuelle de la prescription contraceptive devrait se substituer un dialogue permettant de prendre en considération le mode de vie de chaque femme, ses réticences éventuelles et ses préférences. Ces résultats ont été pris en compte par l'ANAES dans l'élaboration du guide de bonnes pratiques en matière de contraception diffusé en décembre dernier. Il resterait à revoir la formation des médecins, auxquels ne sont dispensés, au long de leur cursus universitaire, que deux heures de cours relatifs à la contraception, en tout et pour tout..., à l'exception de ceux qui suivent une spécialité en gynécologie, et à qui l'on enseigne qu'un stérilet ne doit pas être posé chez une femme nullipare. Dans ces conditions, comment s'étonner de méconnaissances persistantes ?

En conclusion, la contraception chez les jeunes reste problématique car il faut tenir compte, aussi, de la nécessité de la prévention des infections sexuellement transmissibles ; faute de campagnes nationales, les femmes ne sont pas sensibilisées à la contraception ; une plus grande souplesse est nécessaire dans la prescription contraceptive, ce qui suppose d'améliorer la formation des prescripteurs ; enfin, on note des difficultés persistantes d'accès à la filière de prise en charge des IVG.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure, s'est dite particulièrement frappée par les indications figurant dans l'étude selon lesquelles moins d'un tiers des femmes n'utilisaient pas de contraception au moment de la conception ayant donné lieu à une IVG. Revenant sur l'éducation à la contraception, elle s'est interrogée sur la formation des professeurs de SVT censés l'assurer au sein des établissements d'enseignement.

Mme Nathalie Bajos a indiqué que l'étude ne portait pas sur cet aspect de la question, mais elle a souligné que les lacunes de l'éducation à la contraception ne suffisent pas à expliquer la stabilité du nombre des IVG. Ainsi que Mme Bérengère Poletti l'a opportunément rappelé, 28 % seulement des femmes n'utilisaient aucune méthode contraceptive au moment de la conception. Et encore, ce groupe n'est-il pas représentatif de la population française, car il s'agit de femmes en période de transition, soit qu'elles changent de partenaire, soit qu'elles changent de méthode contraceptive. Pour de multiples raisons, il est très difficile de faire un parcours « sans faute » entre 17 et 50 ans ; dans la très grande majorité des cas, on constate une difficulté à gérer la contraception au jour le jour.

Mme Bérengère Poletti a observé que bien des grossesses non désirées se produisent après que le médecin a recommandé, pour des raisons qui lui appartiennent, l'arrêt de la contraception orale pendant un ou deux mois. Par ailleurs, la conviction est tenace qu'il ne faut pas poser un stérilet chez une nullipare.

Mme Valérie Pecresse a souligné que, l'âge venant, la contraception orale tend à être rejetée, souvent par crainte d'un risque accru de survenue d'un cancer, et que, pour ce qui est de la contraception par stérilet, l'idée est répandue d'un fort taux d'échec chez les femmes « trop fertiles ». Quant à l'augmentation du taux d'IVG chez les jeunes femmes, ne doit-elle pas être corrélée au recul de l'âge de la première maternité ? Autrement dit, les conditions de vie des jeunes ne sont-elles pas perçues comme tellement difficiles qu'ils ne se sentent pas prêts à être parents avant la fin de la vingtaine ?

Mme Claude Greff s'est dite favorable à ce que l'éducation sexuelle soit assurée par des professionnels de la santé plutôt que par les professeurs de SVT. Elle a demandé si l'IVG est l'occasion d'une prise de conscience ou si l'on constate des interruptions de grossesse répétées chez les mêmes femmes.

Mme Nathalie Bajos a répondu que la contraception orale progresse dans toutes les classes d'âge, y compris chez les jeunes, mais que l'on constate un très fort clivage : pour les femmes les plus âgées, la pilule est symbole de liberté alors qu'elle est davantage synonyme de contrainte pour les plus jeunes. Quant à l'épidémiologie des cancers associés à la contraception orale, elle est compliquée, et les résultats épidémiologiques les plus récents sont présentés dans le rapport de l'ANAES. Mais aucune recherche à ce sujet n'est financée en France... Mme Nathalie Bajos a indiqué à ce propos que, faute de financement public suffisant pour la recherche en santé publique, particulièrement mal lotie, les recherches menées par son équipe sont largement financées par l'industrie pharmaceutique.

Mme Valérie Pecresse s'est demandé si le fait que la contraception orale soit perçue comme une contrainte n'expliquait pas les oublis de pilule.

Mme Nathalie Bajos a répondu qu'ils sont liés à l'irrégularité de la sexualité et des conditions de vie. Pour ce qui est du stérilet, comme indiqué dans le guide de bonnes pratiques de l'ANAES, rien de scientifique n'étaye les préjugés selon lesquels il ne pourrait être posé à une nullipare par crainte d'une stérilité induite, ou que l'absorption d'anti-inflammatoires en contrecarrerait l'effet contraceptif, ou encore qu'il favoriserait la survenue de grossesses extra-utérines. Comme le montre la littérature épidémiologique mondiale, la contre-indication avérée, c'est une IST au moment de la pose. Le docteur Frédéric de Bels a coordonné l'élaboration du guide de l'ANAES qui présente l'ensemble des contre indications médicales pour les différentes méthodes de contraception. L'enjeu est aussi économique : non seulement certaines pilules sont vendues très cher, mais leur prescription suppose une visite de contrôle tous les six mois. Si le stérilet était proposé aux femmes indemnes d'infection sexuellement transmissible au moment de la pose, indépendamment du nombre d'enfant et de leur âge, sachant que l'efficacité pratique du dispositif est très grande, et supérieure à celle de la pilule, cela pourrait permettre d'éviter des grossesses accidentelles.

Répondant à Mme Bérengère Poletti qui a souhaité savoir comment se place la France par rapport aux pays dont on connaît les prescriptions contraceptives, Mme Nathalie Bajos a rappelé que le taux d'utilisation des méthodes médicales réversibles en France, est le plus élevé du monde, tout en mettant en évidence la stabilisation de l'utilisation du stérilet alors que celle de la pilule augmente. On pourrait proposer la pose d'un stérilet en première intention, au même titre que la contraception orale ou d'autres méthodes de contraception encore.

A Mme Valérie Pecresse, qui s'est demandé si le progrès ne serait pas dans une contraception plus douce, Mme Nathalie Bajos a répondu par la négative, soulignant que l'important est une plus grande souplesse dans les prescriptions, pour mieux tenir compte des différences de modes de vie entre femmes. Elle a ensuite indiqué que le délai entre l'âge d'entrée dans la sexualité et la première maternité a augmenté de cinq ans depuis 1974 ; ce qui rend compte pour partie de l'augmentation du recours à l'IVG en cas de grossesse non prévue.

Mme Valérie Pecresse, approuvée par Mme Claude Greff, a conclu de ces précisions qu'il existe aussi des causes sociales à l'IVG : si les conditions de vie professionnelle et d'accès au logement étaient meilleures, peut-être les femmes accepteraient-elles plus tôt de mener une grossesse imprévue à son terme.

Mme Nathalie Bajos a dit douter de la possibilité de revenir à une norme sociale ancienne relative à l'âge moyen à la maternité, tout en soulignant par ailleurs l'importance de la stabilité affective dans la décision d'accepter une naissance.

Mme Valérie Pecresse a fait valoir que l'insertion professionnelle la facilite.

Mme Nathalie Bajos a indiqué que même le fait d'avoir un travail ne suffit pas à faire accepter une naissance imprévue, car la crainte d'une instabilité professionnelle future joue aussi. Mais des progrès sont possibles en matière d'information sur la contraception, tant au sein de l'Education nationale que par des campagnes nationales ou par l'amélioration de la formation des prescripteurs. Mme Nathalie Bajos a dit s'interroger sur l'opportunité de faire dispenser l'éducation sexuelle par les professeurs de SVT. Le sujet, très vaste, doit conduire à aborder, de manière positive et globale, les enjeux affectifs, le respect de l'autre et le plaisir avant de parler des risques. C'est ce qui se pratique aux Pays-Bas, avec d'excellents résultats. S'en tenir aux seuls aspects biologiques est inefficace, car immédiatement viennent des questions sur la sexualité ; mais les élèves peuvent-ils en parler sans détours avec un professeur qu'ils connaissent ?

Mme Valérie Pecresse, revenant sur l'augmentation du nombre des grossesses imprévues auxquelles il est mis fin, a observé que l'IVG était de moins en moins taboue. La tendance à privilégier les conditions de vie s'affirme-t-elle au point que l'on en viendrait à ce que 80 % des grossesses imprévues soient interrompues ?

Mme Nathalie Bajos a répondu que la proportion des grossesses imprévues interrompues pourrait se stabiliser, les échecs existeront toujours, et que l'on peut s'attendre à une diminution du taux moyen d'IVG, par l'effet mécanique du vieillissement de la population. Elle a souligné que la décision de recourir à l'IVG reflète les normes sociales relatives aux bonnes conditions de la parentalité, et insisté sur le fait qu'aucune femme ne considère une IVG comme un épisode banal et anodin.

Mme Valérie Pecresse s'est demandé si le recours à l'IVG ne traduisait pas la volonté de contrôler entièrement sa vie en toutes circonstances.

Mme Nathalie Bajos a répondu que ce sentiment existe en effet, mais elle a souligné la grande différence de trajectoires entre la femme d'il y a plus de trente ans, qui avait un mari pour la vie et ne travaillait pas, et celle d'aujourd'hui, dont le parcours affectif et professionnel est beaucoup plus diversifié. Elle a ensuite rappelé qu'une IVG n'est pas une naissance en moins mais une naissance différée. Quant aux IVG répétées (plus de trois IVG ou deux dans un délai temporel court), elles sont le fait de femmes en très grande difficulté ; pour certaines de ces femmes, la question de la contraception ne se pose même pas. La très grande majorité des autres femmes ayant recouru à l'IVG « feront attention ». Mais un parcours contraceptif « sans faute » est très difficile. Que l'on prenne conscience du nombre de comprimés avalés au cours de la vie reproductive, et l'on comprendra pourquoi 60 % des utilisatrices de pilule ont oublié de la prendre au moins une fois dans l'année...

Mme Nathalie Bajos a ensuite réfuté l'opinion avancée par Mme Claude Greff selon laquelle de nombreuses jeunes filles refuseraient de prendre la pilule, lui préférant la contraception d'urgence. Par ailleurs, il ne transparaît dans aucune enquête que l'administration du RU 486, qui est une IVG médicamenteuse, serait devenue une méthode de contraception. Quant à la « pilule du lendemain », elle demeure largement sous-utilisée. Mais serait-elle davantage utilisée qu'il ne faudrait pas en attendre une diminution de plus de 20 % des IVG, car les femmes qui recourent à l'IVG ne sont pas toutes conscientes du risque qu'elles ont pris.

Mme Valérie Pecresse a observé que ce serait déjà un progrès sensible mais que, là encore, le manque d'information est patent.

Mme Nathalie Bajos a insisté, en conclusion, sur le fait que les IVG pratiquées en France n'ont pas de conséquences sur la santé de femmes : elles n'entraînent plus de décès et aucune étude ne montre qu'elles réduisent la fertilité.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Catherine Chouard, directrice des ressources humaines du groupe Elior.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a accueilli Mme Catherine Chouard, lauréate du Trophée « DRH de l'année » pour 2004 et l'a invité à exposer devant la Délégation son parcours personnel exceptionnel, mais aussi, au moment où le Président de la République a annoncé un projet de loi sur l'égalité salariale, à donner son sentiment sur la manière dont le législateur peut contribuer à faire progresser l'égalité professionnelle dans les entreprises.

Mme Catherine Chouard a d'abord décrit son parcours professionnel, quelque peu atypique. Après des études d'économie, elle a trouvé un premier poste dans la fonction publique, à la DDASS de Paris. Puis, ayant réussi le concours d'attaché d'administration centrale, elle a quitté la Ville pour le ministère du Travail et la Délégation à l'emploi, à l'époque des grandes restructurations et des licenciements collectifs notamment dans la sidérurgie. Elle a rejoint ensuite la direction des études et de la recherche nucléaire d'EDF-GDF comme attaché administratif (contrôle de gestion et RH), tout en contribuant à y définir une organisation novatrice de la recherche - par projets et non plus par disciplines. Simultanément, elle a entrepris un DESS de management avancé des ressources humaines, puis intégré la direction du personnel et des relations sociales de l'entreprise. En 1990, elle a rejoint le secteur privé en devenant responsable du personnel chez DHL International, avant d'être nommée, un an plus tard, DRH de l'entreprise - ce qui ne l'a point empêchée, pour remplacer une personne en congé de maternité, d'exercer en même temps, pendant une année, la direction du service « clientèle ». Après avoir suivi, en 1995, un cycle de formation au management général de l'INSEAD, elle a rejoint, sur sollicitation, la société GrandVision pour y créer la fonction de directrice des ressources humaines au moment où le groupe multipliait les acquisitions, en France et à l'international, ce qui l'a conduite à séjourner au Royaume Uni pendant de longues périodes. En 2001, âgée de quarante ans et de nouveau sollicitée pour une création de poste, elle a rejoint Elior pour y exercer la fonction de directrice des ressources humaines groupe.

Elior est une société de restauration sous contrat qui opère dans deux secteurs : la restauration collective (Avenance) pour les entreprises, les écoles et les établissements de santé ; la restauration de concession (Eliance) sur les autoroutes (Arche), dans les aéroports et dans les villes (dans des domaines aussi variés que la tour Eiffel, les musées, les gares, les parcs d'exposition...). L'organisation du travail qui, avec une dizaine de conventions collectives différentes, est tout sauf monolithique, et aussi d'une grande complexité. Par exemple, quand l'entreprise gagne un contrat, elle « gagne » aussi l'équipe d'employés correspondante, et les logiques de gestion sont à adapter au cas par cas.

Les femmes constituent plus de 60 % d'un effectif de 50 000 collaborateurs, répartis sur 11 500 sites. Mais si le taux de féminisation est plus ou moins le même partout, il n'est pas uniformément réparti, puisque les femmes représentent 80 % des employés mais seulement 25 % de l'encadrement entendu au sens large. Traditionnellement, dans le métier de la restauration, les femmes sont affectées aux préparations froides, la partie « noble » - le chaud - étant le domaine des hommes. D'ailleurs, le vocabulaire traduit la pratique : ainsi de ces femmes dites « étagères » au motif qu'elles sont chargées de les garnir... Considérant que tous les mots comptent, il a été obtenu que, dans la convention collective, soit substitué à ce vocable le terme d'« aide-préparatrice »... qui traduit encore la féminisation de fait de la branche professionnelle.

Il est apparu que le groupe éprouvait des difficultés à promouvoir les femmes à la fonction de responsable de secteur. L'analyse a montré que les réticences s'expliquaient tant par des raisons matérielles - nombreux déplacements, obligation de passer du temps dans différents points de vente - que par des raisons psychologiques : souvent, le fait de franchir les étapes du management n'intéresse pas les femmes. La question s'est alors posée de savoir s'il fallait imposer la promotion des femmes en instituant des quotas de responsables femmes par secteur, ou s'il fallait respecter le goût de chacun(e). La réflexion est conduite secteur par secteur, en concertation avec les directions générales de divisions.

Dans le même temps, la direction des ressources humaines a poussé les feux de la qualification des femmes en définissant, avec les partenaires sociaux et en partenariat avec une école professionnelle réputée (Ecole Supérieure de Cuisine Française, Grégoire et Ferrandi), des certificats de qualification professionnelle et notamment celui de « chef gérant », reconnu non seulement au sein du groupe mais aussi par le marché. De plus, 250 à 300 femmes reçoivent une formation qualifiante chaque année. Le premier axe de la promotion des femmes est donc de favoriser leur qualification - notamment pour celles dont le niveau initial de formation est faible - afin qu'elles puissent évoluer au même titre que les hommes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si l'âge peut constituer un obstacle à la promotion des femmes au sein de l'entreprise et si certaines refusent une formation ou une promotion pour privilégier leur vie familiale.

Mme Catherine Chouard a répondu que ce n'est pas le cas dans les métiers de service, où la notion d'âge entre peu en ligne de compte, contrairement à la condition physique, en raison de la pénibilité des tâches.

Le deuxième axe de promotion des femmes a pris un aspect plus symbolique. Pour mettre ses chefs à l'honneur, le groupe organise depuis plusieurs années un concours interne de cuisine. Jusque-là n'avaient participé que des hommes mais, lors du dernier concours, l'obligation a été instituée de constituer des binômes, chaque chef étant tenu de faire équipe avec une femme tant pour le choix de la recette que pour sa réalisation. Ainsi a-t-on cassé le mythe du chef qui travaille seul. Les chefs interrogés lors de la finale ont indiqué que la nouvelle organisation du concours avait réduit leur stress, les femmes présentes étant au moins aussi intéressées par le travail des autres équipes que par la concurrence proprement dite, ce qui avait modifié l'ambiance générale. Surtout, on a constaté que, par la suite, les équipes considérées travaillaient différemment. Voilà un exemple des méthodes structurantes que l'on peut mettre au point en jouant sur la logique de projet et le partage d'informations, pour faire évoluer les mentalités et introduire des valeurs féminines dans le management.

Comme il a été dit précédemment, certaines difficultés pratiques peuvent être un obstacle à la promotion de femmes et même à leur embauche. C'est particulièrement le cas pour les restaurants d'autoroutes, dont l'accès suppose la disposition d'un véhicule. La direction des ressources humaines a donc mis au point une politique de covoiturage tendant aussi à ce que les salariées soient raccompagnées chez elles quels que soient leurs horaires de travail. Elle a par ailleurs fait évoluer la politique de recrutement en décidant qu'à compétence égale, priorité serait donnée aux femmes. Par ces deux moyens notamment, un terme a été mis à la pénurie chronique de personnel sur ces sites. De plus, il a été décidé de tenir compte des contraintes personnelles, mais aussi des hobbies, dans les plannings des collaborateurs ; de la sorte, les équipes gèrent elles-mêmes les horaires de ceux qui les composent et un mécanisme de solidarité interne s'établit, le tout fluidifiant les rapports au travail.

On le voit, les partenaires sociaux - qui sont principalement des hommes... - d'un groupe assez fortement féminisé s'attachent aussi à accompagner le parcours des femmes, y compris celles dont le niveau de qualification initial est faible, pour leur donner une meilleure chance d'évoluer. Mais, comme chacun l'aura compris, des équilibres doivent être trouvés, qui ne dépendent pas seulement de la négociation des accords.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite fascinée par ce parcours personnel impressionnant, qui suppose une grande capacité d'adaptation.

Mme Catherine Chouard a précisé que cela avait tenu à l'intérêt des projets et des enjeux, ainsi qu'à la personnalité de ceux avec qui elle avait été amenée à travailler. S'agissant du groupe Elior, le défi d'intégration était de taille, car y devenir directrice des ressources humaines signifiait aussi être la seule femme d'un comité exécutif où la moyenne d'âge était de cinquante trois ans et dont les autres membres travaillaient ensemble pour la plupart depuis plus de 10 ans. Quatre ans après la création de la fonction, l'action menée porte ses fruits, et le moment est venu de développer de nouveaux sujets de fond ; c'est d'ailleurs pourquoi elle-même vient de recruter une adjointe chargée de créer une université d'entreprise. Elle se rend par ailleurs régulièrement sur le terrain, et trouve particulièrement touchant de s'entendre dire par des employées, comme il lui est arrivé récemment encore, qu'elles se sentent rassurées de se savoir « représentées » au comité exécutif. Il s'agit d'être aussi vigilant au style de management : l'augmentation du nombre de femmes dans des postes à responsabilités n'est pas forcément le seul critère. Il s'agit aussi de développer des valeurs féminines de management (entraide, participation, persuasion, partage du pouvoir) aussi bien parmi les hommes que parmi les femmes et d'encourager les femmes à incarner leur différence de style de management.

Mme Catherine Chouard a estimé que son passage dans le secteur public lui a inculqué la notion de l'intérêt collectif et l'a poussée à réfléchir plus généralement à l'organisation du travail, en cherchant toujours à faire partager des valeurs. Il est difficile de faire fonctionner des projets en réseaux, mais dès lors que des modèles de communication transversale et de travail en commun sont encouragés, la vision du monde évolue et l'on accepte mieux les autres, tous les autres, qu'il s'agisse de femmes, d'étrangers... Il faut donc s'attacher à faire évoluer les mentalités en montrant en quoi le travail avec des femmes conduit à des évolutions ; par ailleurs, plus universels et moins sexuellement connotés seront les programmes éducatifs, plus la prise de conscience s'accélérera.

D'autre part, pourquoi, au terme des formations initiales, continuer de faire passer des examens individuels lorsqu'il s'agit d'accéder à des métiers qui supposent de travailler en commun ? Pourquoi ne pas faire réaliser à quelques étudiants un travail collectif pour les évaluer aussi sur leur capacité d'écoute, de recherche de compromis, de solutions créatives ? Mais on en est encore loin, et on continue de faire porter les examens sur les seuls savoirs, sans tenir compte des comportements et attitudes qui facilitent la vie collective. Pourtant, qui achète un service achète en quelque sorte aussi la personne qui le rend : si le produit est bon mais le vendeur déplaisant, la vente ne se fera pas. Qui dit économie de services dit création de valeur et d'emplois, mais il n'y a pas encore de représentation collective de ce que cela implique en termes d'évolution des comportements.

Pourtant, les emplois dans les services sont ouverts au plus grand nombre et c'est un secteur dans lequel l'ascenseur social fonctionne encore bien, puisque la possibilité existe d'une véritable évolution professionnelle. Mais c'est aussi un secteur qui risque de ressentir très fortement les effets des transferts de population induits par l'ouverture de l'Europe. Malgré cela, la réflexion est encore inexistante sur les moyens d'accompagner, sur le plan professionnel, des gens qui, si ce n'est pas fait, se trouveront sans emploi et à la charge de la collectivité.

Il faut donc modifier les représentations sociales relatives au secteur des services, qui demeure relativement mal connu et peu attirant par rapport aux standards de la « réussite » sociale, alors que c'est pourtant celui qui salarie le plus grand nombre d'employés et de femmes.

Mme Bérengère Poletti a demandé si des salariées manifestent une réticence à l'idée de prendre des responsabilités d'encadrement par manque de confiance en soi.

Mme Catherine Chouard a dit avoir constaté de telles réactions, ajoutant qu'un homme à qui l'on propose une promotion répond d'emblée « Je prends ! », alors qu'une femme dira plus volontiers « Il y a dans ce que l'on me demande là des choses que je ne sais pas faire ». Pour surmonter l'obstacle du manque de confiance en soi, la direction des ressources humaines d'Elior a décidé de privilégier la formation sur les sites pendant le temps de travail, plutôt que de pourvoir des regroupements régionaux ou nationaux ; non seulement cette facilité résout les difficultés liées à la garde des enfants et évite que les conjoints qui ne suivent pas de sessions de formation se sentent dévalorisés, mais ces expériences nouvelles sur le site de travail permettent aux intéressées de prendre conscience tout de suite de ce dont elles sont capables.

Il est vrai que, souvent, les femmes n'osent pas se lancer ; mais l'on connaît, à l'inverse, des cas de confiance excessive en soi... Dans tous les cas, la lucidité sur ses propres capacités devrait prévaloir, mais parfois l'inhibition est telle qu'en l'absence de sollicitation, il ne vient même pas à l'idée de certaines femmes qu'elles pourraient demander quelque chose. On observe d'ailleurs que moitié plus d'hommes que de femmes demandent une promotion ou une augmentation de salaire. C'est souvent que, se sentant tenues à la parole donnée, elles préfèrent être sollicitées que risquer de ne pouvoir respecter l'engagement pris en demandant une promotion, de par l'évolution ultérieure de leur vie familiale. Les hommes, eux, veulent progresser et se posent moins ce genre de questions. Certaines femmes sont confrontées à des choix personnels déchirants, qui se traduisent par des souffrances et des résignations auxquelles l'entreprise ne peut rien.

Mme Bérengère Poletti lui ayant demandé quels étaient à présent ses objectifs, Mme Catherine Chouard a répondu que son premier défi était de replacer l'Homme au cœur de la décision stratégique. Elle a expliqué avoir rejoint le groupe Elior au moment de sa cotation et de son internationalisation, moment où les enjeux économiques primaient, toute l'entreprise étant tendue vers le résultat. Ce défi est de parvenir à ce que le temps consacré aux salariés par le comité exécutif et le comité de direction augmente substantiellement par rapport à celui consacré à l'activité financière. Pour cela, il faut alimenter le débat, présenter des projets misant sur le potentiel des salariés, savoir montrer, preuves en main, le coût d'une intégration ratée ou d'un turnover excessif. Parler dans le registre de ceux qui décident situe la discussion dans la logique interne de l'entreprise. En faisant valoir que, puisqu'une entreprise de services a besoin d'un personnel qualifié et fidèle, tout doit être fait pour parvenir à cette fin, on se fait beaucoup mieux entendre de sa direction générale qu'en se limitant à affirmer que le management doit être féminisé. Autrement dit, il faut, partout où cela est possible, créer le langage commun qui permet de transformer la réalité en l'éclairant par des informations qui n'avaient pas forcément été perçues. Il faut aussi se convaincre de l'utilité de ce Dieu des petits riens cher à la romancière indienne Arundhati Roy, et savoir qu'en changeant de petites choses là où l'on est, on peut parvenir à créer un profond mouvement d'évolution.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié vivement Mme Catherine Chouard et l'a chaleureusement félicité pour un trophée amplement mérité.

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