DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 21

Mercredi 15 juin 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

Audition sur le thème des femmes de l'immigration :

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- Mme Florence Lacaze, responsable de la commission femmes de la FASTI (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu, sur le thème des femmes de l'immigration, Mme Florence Lacaze, responsable de la commission femmes de la FASTI (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie d'accueillir Mme Florence Lacaze, responsable de la commission femmes de la Fédération des associations de solidarité aux travailleurs immigrés, dans le cadre de la réflexion que la Délégation aux droits des femmes a entamée en 2005 pour une meilleure intégration des femmes immigrées et issues de l'immigration.

Cette Fédération rassemblant de nombreuses associations autonomes, présentes sur tout le territoire, engagées dans un travail quotidien de solidarité avec les personnes immigrées, la Délégation a souhaité que Mme Florence Lacaze commence par décrire l'origine de la Fédération et les activités des associations qui la composent en direction des femmes immigrées, avant de répondre aux questions qui lui ont été adressées en vue de préparer l'audition, qui portent sur quatre thèmes principaux : l'accès des femmes immigrées à leurs droits et la conquête de leur autonomie juridique ; les problèmes particuliers des femmes immigrées confrontées aux mariages forcés, à la polygamie, aux répudiations ; l'insertion professionnelle de ces femmes, souvent peu qualifiées, possédant mal le français, davantage touchées par le chômage que les Françaises ; le problème de l'accueil des femmes migrantes qui arrivent pour la première fois en France, avec le nouveau contrat d'accueil et d'intégration.

Mme Florence Lacaze a répondu que la FASTI existe depuis 1966, qu'elle a été créée autour des bidonvilles et a suivi ensuite les évolutions de la politique d'immigration, passant d'un public majoritairement masculin, arrivé en quête de travail, à un public de plus en plus varié et de plus en plus précaire. Cela l'a conduit à développer des activités d'alphabétisation et d'accompagnement à l'autonomie, autour du vivre-ensemble, par exemple avec des cours de cuisine, des sorties culturelles et des actions pédagogiques. Les associations tiennent également des permanences juridiques d'accompagnement sur les questions du droit d'asile et des procédures liées aux actes racistes.

La Fédération regroupe une centaine d'associations implantées dans les grandes villes, mais aussi ailleurs, comme par exemple à Villefranche-de-Rouergue. Elle est subventionnée par le FASILD, mais les choses sont de plus en plus difficiles. Ainsi, elle n'a reçu aucun financement pour l'organisation récente d'un forum sur la prostitution. Il était pourtant indispensable et il s'est tenu, mais grâce à l'action des militantes.

Pour sa part, Mme Florence Lacaze est formatrice en travail social, et n'est pas salariée mais militante d'une association nantaise membre de la FASTI, le GASPROM - Groupement Accueil Service Promotion du Travailleur Immigré. D'ailleurs, chacune des co-responsables de la commission femmes de la FASTI conserve une pratique de terrain au sein d'une association locale.

Cette commission, composée principalement de structures regroupant des femmes issues de l'immigration et des femmes solidaires, a été constituée il y a une dizaine d'années à partir du constat que les femmes venaient vers les associations parce qu'elles vivaient une violence qu'il leur était difficile d'exprimer dans un lieu collectif et mixte. L'accueil qui leur est proposé permet de monter des dossiers, mais aussi de les écouter et de les orienter en cas de nécessité. La commission femmes s'est donc organisée autour de l'autonomie des femmes immigrées, afin qu'elles se ressaisissent de leur histoire et mènent leur propre combat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé à Mme Florence Lacaze si elle était convaincue qu'il y avait pour les femmes un combat différent de celui des hommes à mener.

Mme Florence Lacaze a répondu qu'elle en était persuadée : dans « femmes immigrées », il y a d'abord « femmes », et c'est bien à cela qu'il faut réfléchir en premier lieu. Il y a bien un parcours d'immigration propre aux femmes, lié à leur statut de mère et d'épouse et au fait que la législation les maintient en situation de dépendance. Il y a donc un travail supplémentaire à faire en vue de leur autonomie. Le but de la commission femmes est de leur permettre de se retrouver pour confronter leurs réflexions et leurs expériences sur les discriminations subies.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si les femmes venaient plus facilement qu'il y a quelques années et si la prise de conscience des problèmes était plus forte qu'en 1960.

Mme Florence Lacaze a souligné que les difficultés tiennent essentiellement à la politique d'immigration et à la fermeture des frontières : on sait bien que réussir à obtenir un statut légal sur le sol français ou européen oblige à un véritable parcours du combattant et qu'on peut même parler aujourd'hui d'une certaine criminalisation de l'immigration. Les femmes qui viennent sont très impliquées dans ce mouvement ; elles étaient souvent militantes avant de venir ou ont rencontré, dans les associations, des personnes qui leur ont donné envie de lutter.

De ce point de vue, il est important de rappeler que la FASTI n'est pas une administration, même si elle est appelée à faire de la domiciliation postale pour les dossiers d'asile, mais bien une fédération d'associations militantes. Et le message qu'elle délivre aux femmes est : « vous avez votre histoire, votre lutte, nous sommes solidaires, mais c'est à vous de vous mobiliser pour la porter ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a exposé que la directrice d'une association turque, reçue hier par la Délégation, a expliqué constater une radicalisation dans la communauté turque, les femmes étant forcées à venir pour se marier et se trouvant souvent sous la coupe d'une belle-mère qui perpétue, en France, les traditions de l'Anatolie. Ces femmes se rendent-elles auprès des associations de la FASTI ?

Mme Florence Lacaze a répondu que oui, et qu'on a bien le sentiment d'un retour au communautarisme, lequel est d'ailleurs souvent en décalage avec l'avancement du pays d'origine vers la modernité. Mais c'est aussi lié à la question de la fermeture des frontières : aujourd'hui le corps des femmes est devenu la seule possibilité pour accéder à un statut légal... C'est particulièrement frappant chez les Turcs : soit on vient épouser une femme française pour obtenir ce statut, soit la femme doit passer par la procréation pour obtenir des papiers. Cette ambiguïté doit conduire à envisager la question des femmes immigrées dans le contexte politique lié à l'immigration. Car il est bien difficile de se saisir de sa lutte, d'être autonome quand on est sans cesse menacée d'expulsion. Les femmes qui viennent voir les associations sont donc extrêmement courageuses.

Elles ont des histoires extrêmement lourdes et violentes, comme cette femme congolaise victime de viols à répétition et qui a vu son mari assassiné devant elle. Or, ceux qui les reçoivent sont obligés de redoubler cette violence en leur soutirant leur histoire pour monter le dossier de l'OFPRA : quand on n'a que 21 jours, il est très douloureux de creuser rapidement le parcours d'une femme qui a subi 15 années de viols. Qui plus est, on sait que même une histoire aussi abominable ne suffira pas à lui faire obtenir un statut. Tant que la convention de Genève et les institutions ne reconnaîtront pas les femmes en tant que groupe social discriminé, même celles dont le retour est impossible dans un pays où le viol est une arme de guerre quotidienne ne pourront obtenir de papiers. On les aura donc amenées à raconter leur histoire, on aura redoublé la violence qu'elles ont subie, et elles seront malgré tout expulsées. Tel est le quotidien auxquelles les associations sont confrontées.

Alors, parler d'autonomie des femmes, oui, mais dans quel contexte ? Car cela signifie d'abord leur assurer une sécurité de base, c'est-à-dire un hébergement - et ce n'est majoritairement pas le cas -, de quoi manger - et ce n'est pas davantage le cas -, la sécurité de leurs enfants - et ce n'est toujours pas le cas -, une place dans la société - et ce n'est bien sûr pas le cas non plus. Le travail des associations est donc d'abord, avant de parler d'autonomie, de leur assurer cette base, et on voit bien qu'avec la politique actuelle on n'y est pas...

Ainsi, la carte de trois mois ne donnera jamais accès à un emploi : deux ans est un minimum. Qui plus est, l'autorisation de travailler dépend d'une décision préfectorale. Il y en a très peu, et il y a donc très peu de possibilités de développer l'autonomie de ces femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a regretté qu'on n'aborde jamais, quand on parle d'immigration, les problèmes particuliers des femmes, que ce soit sous l'angle de leur statut dans leur pays d'origine ou de la façon dont les choses fonctionnent dans le pays d'accueil.

Mme Florence Lacaze a souligné qu'il y avait aussi une confusion entre immigration et droit d'asile : quand on parle encore d'« immigrées de la troisième génération », il y a de quoi penser que le travail d'intégration n'est pas bien effectué... Pour sa part, aux logiques d'intégration et d'assimilation, elle préfère celles du métissage et de l'interculturalité, qui sous-entendent que les femmes arrivent avec leur culture et qu'il y a échange, et non pas qu'on les oblige à la laisser à la porte pour entrer dans une culture différente.

On pourrait par exemple se rendre compte qu'il est difficile pour une femme qui arrive d'une structure communautaire d'être accueillie en vis-à-vis, toute seule, par exemple lors d'une consultation gynécologique. Si on cherche à accompagner ces femmes, il faut réfléchir à la façon de mieux prendre en compte leur culture. Autre exemple, alors qu'en Occident quand on baisse les yeux c'est qu'on a quelque chose à cacher, en Guinée se regarder les yeux dans les yeux est un geste violent, la marque d'un manque d'éducation.

Les membres de la commission femmes sont particulièrement vigilantes à ne pas être elles-mêmes productrices de violence au moment de l'accueil, même si elles y sont parfois contraintes pour monter un dossier.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a déploré qu'on ne prenne jamais en compte la difficulté de la confrontation de la culture de ces femmes à celle du pays d'accueil. Ne serait-il pas plus facile qu'elles soient accueillies par des femmes elles-mêmes issues de l'immigration plutôt que par des Françaises, blanches ?

Mme Florence Lacaze a raconté l'histoire d'une femme, en France depuis deux ans, à qui elle a dit, alors qu'elles réfléchissaient ensemble à l'écriture d'un texte militant, qu'elle pouvait utiliser sa propre façon de parler. Elle s'est ainsi sentie, pour la première fois, acceptée telle qu'elle était. Ce qu'il faut, c'est considérer qu'on s'adresse d'abord à des personnes. Ce qui est important, c'est donc la manière dont on accueille ces femmes, pas le fait que celle qui les accueille soit française. D'ailleurs, confier cette tâche uniquement à des femmes issues de l'immigration renforcerait le communautarisme. Cela étant, le métissage des associations est très riche, chacune apporte sa vision différente, on est obligé de se réinterroger sans cesse sur le fonctionnement et c'est ainsi que se construit une identité collective.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité savoir comment les choses se passaient concrètement dans les associations et si elles tenaient des permanences quotidiennes.

Mme Florence Lacaze a répondu que le GASPROM tient des permanences quasi quotidiennes, de 18 à 20 heures, qui ne désemplissent pas. Elles ont lieu dans un local du centre-ville de Nantes fourni par la mairie, mais que la préfecture essaie régulièrement de faire fermer. Ainsi, l'association accueille des prostituées, mais elle ne souhaite pas qu'elles soient identifiées en tant que telles mais en tant que femmes. Or la préfecture, qui s'intéressait à ces femmes à des fins de démantèlement de réseaux, a porté plainte contre l'association pour proxénétisme aggravé... Heureusement, la mobilisation des associations nantaises a empêché que cette plainte aboutisse, mais on voit bien là que toute la politique liée à l'immigration tend à l'isolement des personnes immigrées. À l'opposé, les associations essaient de les accompagner, d'obtenir pour elles le maximum de droits, notamment, s'agissant des prostituées, en étant des intermédiaires auprès de Médecins du monde.

Dans la permanence du GASPROM, chaque vendredi soir le premier étage est strictement réservé aux femmes qui se retrouvent dans une salle collective, avec les enfants, avec la possibilité de s'isoler quand il faut creuser une histoire difficile, même si l'accueil collectif favorise aussi le soutien des femmes entre elles.

En réponse à une question de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, Mme Florence Lacaze a indiqué que les moyens de l'association ne lui permettaient malheureusement pas de se rendre dans les quartiers, où il y a pourtant un important travail à faire. Elle a également souligné que l'association collabore avec le Planning familial, Médecins du monde et SOS femmes, mais pas avec la mairie, avec laquelle elle est parfois obligée de créer un rapport de forces pour aboutir à l'hébergement de familles qui sont à la rue. Évidemment, il est ensuite difficile de travailler ensemble...

Il est d'ailleurs de plus en plus difficile de régler le problème de ces familles qui se retrouvent à la rue parce que leurs dossiers sont en attente ou parce qu'elles sont sans papiers. De telles situations sont de plus en plus fréquentes. Quand on voit errer des femmes enceintes ou avec des enfants en bas âge et qu'on appelle le 115, on voit bien que la priorité est donnée à la population française et qu'ensuite seulement, s'il reste de la place, on accueille les femmes immigrées. Mais quand on est en France depuis une semaine, se trouver séparée de son mari est source d'une grande angoisse.

Il est impossible de savoir combien de personnes sont concernées, mais il y en a beaucoup. Alors que Nantes n'est pas une ville de forte immigration, le GASPROM reçoit de 500 à 1 000 lettres par semaine...

Revenant sur les subventions du FASILD, Mme Florence Lacaze a indiqué que leur diminution avait amené l'ASTI d'Orléans à interrompre, au prix d'une perte du savoir-faire de l'association, un projet très intéressant d'apprentissage linguistique pour les femmes, bien éloigné de la logique du contrat d'accueil et l'intégration.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente lui ayant demandé si la FASTI bénéficiait de l'écoute du ministère de l'intérieur, Mme Florence Lacaze a répondu que tel n'était absolument pas le cas, le soutien de la Fédération aux idées de libre installation et de libre circulation n'étant guère conforme aux tendances actuelles... Il est toutefois vrai qu'on voit mal comment on pourrait aujourd'hui se passer des activités de terrain des associations de solidarité avec les travailleurs migrants. Mais, si relations il y a, elles sont plutôt avec le ministère des affaires sociales et le service des droits des femmes qu'avec celui de l'intérieur.

Il est d'ailleurs anormal de faire systématiquement le lien entre ministère de l'intérieur et immigration, en particulier quand on parle de femmes installées en France depuis des années. Mais c'est bien dans cette logique qu'on s'inscrit quand on affirme que l'immigration est un danger et qu'on associe systématiquement, depuis les attentats du 11 septembre 2001, immigré et terroriste. Pourtant, la tentative de fermeture des frontières liée à tout l'imaginaire qui se développe autour du risque d'invasion est un leurre, puisqu'on sait bien que l'exil a lieu essentiellement vers des pays limitrophes. Avec l'élargissement de l'Europe, la France est encore moins à même de subir une éventuelle explosion de l'immigration. À quoi bon, dès lors, continuer de véhiculer l'idée d'envahissement ? Ceux qui sont déjà installés en France vivent de plus en plus mal cette stigmatisation. Or, la loi du 23 février 2005 en faveur des Français rapatriés va aussi dans ce sens et des relents de colonialisme y apparaissent clairement.

On peut aussi s'étonner que le film sur le « vivre en France » diffusé à l'occasion du contrat d'accueil et d'intégration ne soit pas traduit... On voit bien là qu'il est indispensable de se demander à qui on s'adresse et comment on le fait, quel discours on véhicule, comment il est perçu par les populations qui arrivent et par celles qui sont installées, comment éviter un repli communautaire qui découle précisément de tout cela.

Si l'autonomie des femmes reste la grande priorité de la FASTI, qui cherche à stimuler leur auto-organisation, la Fédération prend bien soin de ne pas créer un décalage avec les hommes issus des mêmes communautés. Nacira Guénif-Souilamas a beaucoup travaillé sur ce sujet, en particulier dans son livre Les féministes et le garçon arabe. Elle a montré qu'on rendait impossible l'autonomie des femmes en stigmatisant les hommes, en particulier maghrébins, car on les obligeait à se resituer au sein de la communauté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'il paraissait nécessaire de s'intéresser à la formation, notamment en sociologie et en psychologie, des travailleurs sociaux et de tous ceux qui sont appelés à rencontrer les femmes immigrées. Si on avait eu affaire à des gens bien formés, il paraît évident que le film aurait été traduit...

Mme Florence Lacaze a fait observer qu'elle-même travaillait en pédagogie active, c'est-à-dire en partant de l'activité des personnes.

Elle a constaté qu'il était très douloureux pour les travailleurs sociaux d'accueillir quelqu'un appelé à raconter l'histoire de sa vie. Leur formation de base les prépare à accueillir des personnes en échec social. Or, la population migrante n'a pas forcément de problèmes d'intégration sociale, ce sont les questions de statut légal qui la mettent dans cette position. Et quand le mal-être des femmes est lié à leurs difficultés à obtenir des papiers, les travailleurs sociaux ne savent pas comment les accompagner, d'autant que l'intégration par le travail est dans ce cas impossible. Ils se rendent compte qu'ils produisent de la violence, mais ils ne savent pas quoi faire d'autre. Par exemple, ils proposent à une femme qui arrive seule avec son enfant de deux ans, et qui va mal parce qu'elle attend des papiers et qu'elle a une histoire difficile, de mettre son enfant à la crèche, mais pour elle c'est inconcevable ! Il est donc indispensable d'améliorer leur formation, pour l'instant très variable. Mais il semble difficile de leur apprendre à accueillir une population qui est là de fait, mais dont ce n'est pas la place.

Il y a, chez la population immigrée, une forte demande de travail. Il est fréquent qu'un homme qui arrive avec l'illusion qu'il apportera quelque chose à la France par son travail, sombre dans la dépression devant la réalité. Trois mois après, on le retrouve parmi ceux qui fréquentent la mosquée... C'est donc bien la politique d'immigration qui favorise ce processus.

On est dans un double discours : d'un côté on confie l'accompagnement au travailleur social, de l'autre on lui demande, par exemple en matière d'hébergement, de favoriser le public français. Et quand un partenariat se noue entre les ministères de l'intérieur et de l'Education pour aller chercher les enfants sans papiers dans les écoles, comment les enseignants peuvent-ils défendre les valeurs républicaines ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé quelles autres personnes que les travailleurs sociaux pouvaient se charger de cet accompagnement.

Mme Florence Lacaze a souhaité que le personnel administratif soit préservé du discours ambiant de méfiance vis-à-vis des étrangers comme de l'idée que les étrangers ne peuvent être assimilés. Cela passe par une formation sur ce qu'est un parcours migratoire, sur le fait qu'on ne naît pas immigré, que l'immigration est un moment de la vie, que personne ne demeure immigré pendant plusieurs générations. Cette formation devrait toucher aussi le personnel de l'ANPE pour éviter la discrimination à l'embauche. Pour cela, des directives ne suffisent pas, il faut aller à la rencontre de ces fonctionnaires et leur expliquer les choses pour faire évoluer les modes de pensée. Il faudrait aussi travailler avec la police sur l'accueil des femmes victimes de violence. Car la fermeture des frontières et la chasse au mariage de complaisance permettent aux hommes d'exercer un chantage par la rétention des papiers. Souvent, des femmes victimes de violences ne peuvent quitter leur conjoint parce qu'elles ne sont pas au bout des deux ans d'obligation de vie commune. Si elles passent outre, elles peuvent être dénoncées : l'homme sera entendu et la femme aura du mal à porter plainte. Toutes les femmes sont confrontées à ce genre de difficultés, à une certaine complaisance vis-à-vis du discours de l'homme, mais les femmes immigrées plus encore.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, lui ayant demandé si elle était optimiste ou pessimiste, Mme Florence Lacaze a répondu qu'elle était extrêmement pessimiste mais qu'elle continuait à lutter ! En effet, on ne peut lâcher des femmes qui ont une telle envie d'avancer, et qui, malgré un parcours de vie aussi difficile, malgré une violence redoublée au moment de l'accueil, continuent à se battre quand même !

On constate quand même quelques évolutions, notamment sur la question de l'excision, même si cette pratique existe toujours. Une voie pour l'éradiquer serait sans doute, au-delà de la formation et de la sensibilisation, de rendre la visite médicale scolaire obligatoire jusqu'à 16 ans et d'y intégrer un examen gynécologique. Car les associations, notamment le GAMS, constatent que les petites filles sont très souvent excisées après l'âge de huit ans, qui correspond à la dernière visite médicale obligatoire. Cet examen devrait être généralisé pour ne pas stigmatiser une fois encore cette population, mais cela présenterait un intérêt général, en particulier dans la problématique du suicide des adolescents, en permettant aux garçons comme aux filles de parler librement à un médecin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a craint la réaction des parents, même si on peut penser que c'est le fait même de rencontrer un médecin qui est dissuasif et qu'un examen de la vulve ne serait pas forcément nécessaire. Mais le GAMS sera prochainement auditionné et pourra apporter des précisions sur ce point.

Mme Florence Lacaze a souhaité aborder également la question de la prostitution à laquelle la FASTI s'est particulièrement intéressée quand on a vu arriver un grand nombre de femmes étrangères sur les trottoirs des villes françaises. Le choix a été fait d'accueillir toutes celles qui voulaient venir, sans les stigmatiser, et de parler avec celles qui le souhaitaient, y compris en les aidant, avec Médecins du monde et avec le Nid, à chercher un hébergement d'urgence. À Nantes, il est possible d'obtenir un accord préfectoral, au cas par cas, pour l'obtention d'une carte de six mois.

Si l'État a vraiment une volonté abolitionniste, il doit se pencher très rapidement sur la traite. Or, 80 % des prostituées repérées sont d'origine étrangère. On peut se demander ce que cette proportion a à voir avec l'imaginaire de la clientèle... Cette question renvoie d'ailleurs plus largement à celle de l'image de la femme : il est quand même étonnant qu'il n'y ait pas davantage de mobilisation contre les publicités comme celles qu'on peut voir dans le métro.

Ces femmes sont dans une situation de violence extrême, avec des pratiques extrêmement risquées. Certaines, notamment les Guinéennes et les Sierra-léonaises, ont reçu une éducation dans laquelle la femme a pour fierté de ne rien exprimer. Les quarante associations qui ont participé au forum ont toutes souligné que la difficulté de sortir de la prostitution était liée à celle d'obtenir des papiers. Il est donc indispensable que celles qui souhaitent en sortir aient un accès immédiat à des papiers, c'est-à-dire à un statut légal. Pour cela il faut pour l'instant qu'elles dénoncent les proxénètes. Or, cela signifie des violences pour elles et pour leurs familles, et c'est en outre inutile puisque, selon le syndicat des avocats de France, même la dénonciation a rarement débouché sur l'arrestation de proxénètes. De ce point de vue, il semble que la loi sur la sécurité intérieure ne change pas grand-chose et que la dénonciation reste un marché de dupes. En effet, pour obtenir des papiers définitifs, il faut que la femme prouve sa volonté d'intégration, ce qui suppose qu'elle travaille. Mais elle ne trouvera jamais d'emploi avec une carte de trois ou de six mois. Qui plus est, à Nantes, la seule femme qui a dénoncé son proxénète a été la plus lourdement condamnée...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a vu là une mauvaise application de la loi et a fait part de son intention de saisir M. Jean-Luc Warsmann, qui travaille actuellement sur ce sujet.

Mme Florence Lacaze a indiqué que la FASTI s'apprêtait à organiser une campagne de masse sur la prostitution des femmes étrangères en vue d'obtenir un accompagnement à la sortie de la prostitution, sans condition de dénonciation. Il y aura, en particulier, une journée nationale de sensibilisation à ces questions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Florence Lacaze pour cette audition extrêmement intéressante et pour ces réflexions enrichissantes, qui confirment que le sujet choisi par la Délégation n'est pas facile.


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