Accueil > Congrès du Parlement du 19 février 2007 > Compte rendu analytique de la séance

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Congrès du Parlement

Compte rendu
analytique officiel

République Française

CONGRÈS DU PARLEMENT

COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL

LUNDI 19 FÉVRIER 2007

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ
1ère SÉANCE
La séance est ouverte à onze heures.

Retour au haut de la page

ouverture de la session du congrès

M. le Président – Le Parlement est réuni en Congrès conformément au décret du Président de la République publié au Journal Officiel le 10 février 2007.

Le Règlement adopté par le Congrès le 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 demeure notre Règlement par décision du Bureau du Congrès.

Le Bureau a décidé que les scrutins auraient lieu dans les salles voisines de l’hémicycle.

Retour au haut de la page

article 77 de la constitution

L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 77 de la Constitution.

M. le Président – Les délégations de vote pour ce premier scrutin cesseront d’être enregistrées dans dix minutes, soit à 11 heures 15.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre  J’ai l’honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relatif au corps électoral spécial de la Nouvelle-Calédonie adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, conformément à l’article 89 de la Constitution. Je salue le travail remarquable des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, et en particulier de leurs rapporteurs, Didier Quentin et Jean-Jacques Hyest, qui ont permis à chacun de bien comprendre les enjeux politiques et institutionnels de ce projet.

Au sein de l’outre-mer, la Nouvelle-Calédonie occupe une place particulière. Son histoire a été trop longtemps marquée par les divisions, l’incompréhension et les injustices. Or, c’est une terre qui dispose d’atouts exceptionnels pour construire l’avenir de chacun, une terre où cohabitent depuis plus d’un siècle des communautés différentes, riches de leurs histoires respectives et de ce qu’elles ont su bâtir au prix d’efforts dignes de respect.

Ces communautés n’ont pas toujours réussi à trouver une voie commune pour construire l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous avons en mémoire les déchirements qu’elle a connus au cours des années 1980. C’est grâce au courage et à l’esprit de responsabilité d’un petit nombre d’hommes et de femmes que tout semblait pourtant opposer que ce territoire a pu retrouver le chemin de la paix civile, du dialogue et du partage des responsabilités.

D’un côté, les partisans de la République ont accepté que la question de l’indépendance soit posée à nouveau, au terme d’une longue période de réconciliation et de transition, après la mise en place d’institutions permettant un véritable partage des responsabilités sur le territoire.

De l’autre, les partisans de l’indépendance ont accepté la participation de tous les Calédoniens à la détermination d’un avenir commun.

Ensemble, les Néo-Calédoniens ont su reconnaître que la force ou la violence ne pouvaient pas fournir une solution durable. Ensemble, ils ont admis la nécessité de définir les contours d’une citoyenneté calédonienne ouverte aux citoyens français résidant en Nouvelle-Calédonie et justifiant d’attaches suffisantes avec elle pour participer à la définition de son destin. Chacun a su faire une part de chemin vers l’autre.

Quant à la République, elle a accepté des solutions différentes de celles qui prévalent ailleurs en France. Le peuple français tout entier a approuvé cette démarche lors du référendum de septembre 1988 sur les accords de Matignon. Le Congrès a suivi la même voie lors de la révision constitutionnelle de 1998 qui a inscrit les accords de Nouméa au sein de notre Constitution.

C’est cet esprit qui doit nous animer encore aujourd’hui : il se caractérise par le souci de la responsabilité, afin de faire travailler ensemble les différentes communautés ; par le souci, aussi, de la solidarité entre tous les peuples qui vivent en Nouvelle-Calédonie, sous la garantie impartiale de l’État ; par une volonté de pragmatisme enfin, qui nous a conduits à admettre des dérogations au droit commun de la République.

Je sais combien cet aspect des accords a été difficile à accepter pour beaucoup d’entre nous – pour tous ceux qui sont attachés à l’égalité républicaine. Et pourtant, c’est cette exception qui a permis de préserver la paix en Nouvelle-Calédonie. Ce que nous avons collectivement accepté, ce n’est pas une brèche dans l’unité et l’égalité territoriales, c’est un aménagement encadré et limité dans le temps de nos règles républicaines afin de garantir la paix et poursuivre la démarche engagée en 1988.

Je souhaite, comme une grande majorité, que cette démarche permette de construire l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. Ce sera possible si nous poursuivons le chemin engagé depuis les accords de Matignon. Nous avons accepté, dès cette date, de restreindre le corps électoral calédonien pour les élections aux assemblées locales et pour les éventuels référendums sur le maintien du territoire au sein de la République. Ces restrictions figurent à l’article 77 de la Constitution. La notion de citoyenneté calédonienne qui les fonde y est déjà inscrite. Le principe d’un corps électoral spécial est explicitement intégré à notre loi fondamentale. Toutes ces questions ont été traitées, il y a neuf ans par le Congrès du Parlement.

Le présent projet précise l’interprétation qu’il convient de donner à la notion de corps électoral spécial, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel de 1999. Cette décision concerne exclusivement la période transitoire qui couvrira les élections provinciales et territoriales de 2009 et, le cas échéant, de 2014.

Ces dispositions sont donc strictement limitées dans le temps et dans leur objet. Tous ceux qui ont suivi avec attention l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, qui ont mesuré l’ampleur des sacrifices consentis de part et d’autre pour construire l’avenir, qui connaissent la valeur de la parole donnée doivent prendre leurs responsabilités.

Aujourd’hui, il nous appartient en effet de tenir la parole donnée à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie : une parole donnée depuis 1998 à tous les niveaux, par le Président de la République, par le Premier ministre et le ministre de l’outre-mer ; une parole donnée également par les deux assemblées, sous deux majorités différentes, et confirmée à nouveau au début de cette législature. Cette parole n’est donc pas celle d’une majorité, d’un parti ou d’un homme : c’est celle de la France.

Aujourd’hui, l’occasion nous est donnée de la respecter et d’appliquer cet engagement si important pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Grâce à ses territoires d’outre-mer, la France est une nation ouverte sur les cinq continents. Sans la Nouvelle-Calédonie, la France n’est pas la France. Pour faire en sorte que cette diversité soit une chance et un atout, nous avons besoin de cohésion, nous avons besoin de nous rassembler, nous avons besoin d’ouverture, de générosité, de compréhension ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs)

explications de vote

M. Michel Vaxès (Groupe des députés-e-s Communistes et Républicains – Assemblée nationale) – C’est avec conviction et une certaine émotion que le groupe communiste et républicain votera un projet qui garantit le respect d’un point nodal de l’accord de Nouméa de 1998 et permettra, enfin, de réparer une faute politique.

Il s’agit en effet de lever toute ambiguïté quant à la définition du corps électoral spécial pour les élections du congrès et des assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Au terme de négociations difficiles, cette question a été tranchée dans le sens souhaité par le FLNKS : un corps électoral « figé », limité aux personnes arrivées avant 1998, vivant de façon permanente en Nouvelle-Calédonie ainsi qu’à leurs descendants, sous réserve de la période requise de dix ans de résidence.

Cette définition est conforme à l’esprit des accords de Nouméa, comme en témoignent les déclarations du Gouvernement, celles des rapporteurs des deux chambres et les interventions de la majorité des parlementaires lors du vote de la loi organique du 19 mars 1999. L’article 188 de celle-ci a certes fait l’objet d’une réserve d’interprétation par le Conseil constitutionnel mais souvenons-nous que, par la suite, nos assemblées respectives ont adopté le texte d’un nouveau projet de loi constitutionnelle précisant, de façon indiscutable, la volonté du législateur. L’ajournement de la réunion du Congrès prévue pour le 24 janvier 2000 n’a malheureusement pas permis le règlement définitif de cette question.

Depuis lors, le Président de la République et le Gouvernement, ont par la voix des différents ministres de l’outre-mer, pris l’engagement d’intégrer cette définition dans l’article 77 de la Constitution. Avec l’adoption de ce texte, la parole de l’État sera respectée mais, surtout, une démarche inspirée des valeurs les plus généreuses de la République pourra aboutir.

Les accords de Matignon et de Nouméa représentent en effet une formidable expérience de décolonisation pacifique. La réconciliation entre des peuples divisés par un siècle et demi d’épreuve coloniale a été rendue possible par le dialogue, lui-même nourri par la force de la volonté politique. Ce dialogue a déjà mis fin à la période ensanglantée qui coûta la vie à de grandes figures du mouvement de libération kanak.

Cette expérience est un « pari sur l’intelligence », disait Jean-Marie Tjibaou – l’intelligence du peuple kanak, qui tendait la main aux autres communautés calédoniennes, celle de Jacques Lafleur, qui avait compris que toute solution politique passait par la prise en compte de l’identité et des revendications kanaks, celle, enfin, des gouvernements de l’époque, qui ont su « reconnaître les ombres de la période coloniale… » et le « traumatisme durable » qu’elle a constitué pour les Kanaks, privés de leur terre, de leur nom, de leur lieu de mémoire.

C’est la grandeur de la France d’avoir admis, dans le préambule de l’accord de Nouméa, que « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité. Dans cette confrontation, des hommes et des femmes ont perdu leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en ont résulté. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté partagée dans un destin commun ».

Nous voterons ce texte pour préserver cet avenir partagé entre le peuple kanak, « population d’origine », et des « hommes et femmes venus en grand nombre, certains contre leur gré, d’autres pour tenter une seconde chance en Nouvelle-Calédonie, qui s’y sont installés et y ont fait souche ».

En adoptant ce texte, le Parlement s’honorera d’avoir écrit une belle page de l’histoire de la République française. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Robert Hue (Groupe Communiste Républicain et Citoyen – Sénat) – Aujourd’hui est un jour important pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France. Nous nous apprêtons en effet à voter la modification de l’article 77 de la Constitution, qui précise la définition du corps électoral spécial pour les élections au congrès et aux assemblées provinciales de la Nouvelle-Calédonie.

L'Assemblée nationale et le Sénat avaient voté ces dispositions en 1999. Mais depuis l’ajournement, par le Président de la République, du Congrès prévu pour le 24 janvier 2000 en raison du retrait du texte renforçant l’indépendance de la magistrature, nous attendons – avec les représentants du peuple kanak – le vote de ce projet de loi constitutionnelle.

La parole donnée va être enfin respectée.

Il était temps, car un nouveau report risquait de déstabiliser la Nouvelle-Calédonie. L’espoir était né, les accords signés à l’Hôtel Matignon le 26 juin 1988 par le Premier ministre, par huit représentants du RPCR et par cinq représentants du FLNKS, accords précisés et confortés ensuite par les accords de Nouméa du 5 mai 1998.

Avant nos votes de 1999, les accords de Matignon avaient été approuvés par référendum national le 6 novembre 1988. Les accords de Nouméa, bien plus précis quant au corps électoral, ont été validés par 72 et 74 % des participants de Nouvelle-Calédonie.

Au-delà des représentants du peuple, la parole donnée engage donc la Nation.

Pourquoi ce collège électoral spécifique ? Le peuple kanak a souffert ; le colonialisme l’a chassé de ses terres, parqué dans des réserves et enfin exhibé en métropole au titre de curiosité. Il a droit à une reconnaissance pleine et entière.

N’oublions pas non plus que le sang a coulé en 1988, à Ouvéa. Les accords de Matignon ont évité alors la guerre civile à laquelle conduisaient des fautes politiques majeures commises. Le passé colonialiste de la Nouvelle-Calédonie formait le cœur du problème.

Ces accords ont institué un corps électoral « gelé » et non pas « glissant », – c’est-à-dire adaptable aux nouveaux arrivants. Dans le premier cas, et conformément aux accords passés et aux votes successifs du Parlement, seuls les habitants de la Nouvelle-Calédonie résidant depuis plus de dix ans en 1998, pourront voter aux élections concernant l’assemblée de province et le congrès. Cette disposition d’exception, déjà validée pour les référendums à venir, relatifs à l’accession à la pleine souveraineté, répond à la volonté de fonder une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française.

Ce concept forme le socle du fragile équilibre qui fut la condition de l’arrêt des violences et d’une cohabitation sereine entre communautés.

Les accords de Nouméa prévoient un transfert progressif et irréversible de toutes les compétences – excepté les compétences régaliennes –, à la Nouvelle-Calédonie, sur une durée de quinze à vingt ans. Au terme de cette période, un ou plusieurs référendums décideront de l’accession ou non du territoire à la pleine souveraineté.

Ce corps électoral répond à un objectif politique précis, accepté par tous les signataires. Ce fut une décision politique, partagée et assumée, celle d’assurer la pérennité du corps électoral existant pour les scrutins concernés.

L’avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend de notre vote. Il est grand temps que la représentation nationale s’unisse pour l’aider à entrer dans une nouvelle période de son histoire.

Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie est sur la voie de la réconciliation. Les sénateurs et sénatrices du groupe communiste républicain et citoyen renouvelleront donc leur vote positif sur ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Michel Mercier (Groupe de l’Union Centriste – Union pour la Démocratie Française – Sénat) – Nous sommes convoqués ce matin pour modifier l’article 77 de la Constitution, afin de conférer aux accords de Matignon et de Nouméa relatifs à la Nouvelle-Calédonie la plénitude de leur application et de permettre à ce territoire d’outre-mer de se développer dans la paix civile retrouvée, en donnant à tous ceux qui étaient prêts à en découdre – Kanaks et Caldoches – la possibilité de choisir librement et ensemble leur avenir.

Par cette révision constitutionnelle, la République garantit à tous l’application de ces accords. Elle soutient le nouveau pacte social qui en résulte et nourrit ce qui manquait le plus à la Nouvelle-Calédonie en 1988 : la confiance – confiance entre les diverses communautés, confiance dans l’État – qui trop souvent avait fait défaut.

Ce qui garantit que l’exécution des accords de Matignon et de Nouméa sera conforme à l’esprit qui a conduit à leur adoption, c’est un corps électoral spécial. Et pour constituer celui-ci, nous devons réviser la Constitution.

Le premier effet des accords de Matignon a été le rétablissement de la paix civile en Nouvelle-Calédonie. En 1988, le territoire était au bord de la guerre civile, et il est juste de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont su faire les concessions nécessaires pour que chacun puisse avoir un avenir en Nouvelle-Calédonie. Sans leur courage et leur lucidité, rien n’aurait été possible hormis la violence.

La question du statut du territoire – donc celle de l’indépendance – était alors renvoyée à dix ans. En 1988, les accords de Nouméa ont reporté le référendum d’autodétermination à 2018 au plus tard. Dans la paix retrouvée, la Nouvelle-Calédonie doit consacrer ce délai au développement culturel et économique, répartir les richesses entre les hommes, les communautés et l’ensemble du territoire, faire en sorte que l’exploitation du nickel profite également à la communauté mélanésienne. Il faut pour cela, en respectant les cultures, former l’ensemble des Calédoniens. Pour que chacun se sente chez soi, un nouveau mode de gouvernance a été mis en place : trois provinces, avec trois assemblées provinciales et un congrès du territoire assumant les pouvoirs d’une large autonomie. La République, représentée par un Haut-Commissaire, assure les pouvoirs de l’État qui garantit cette autonomie et ce développement économique et culturel.

Accepter de poser la question de l’autodétermination était important, et pour la communauté kanak, accepter que le référendum d’autodétermination soit reporté de dix ans – puis encore de quinze ou vingt, au maximum – est une concession de poids. Elle montre que tous les Calédoniens présents en Nouvelle-Calédonie peuvent désormais penser que leur avenir est sur cette terre, quelle que soit leur communauté d’origine. Cette concession montre clairement que les accords de Matignon, puis ceux de Nouméa, ont restauré une confiance qui avait disparu – confiance entre Calédoniens, entre communautés, mais aussi dans l’État et la République, dès lors que le peuple français a approuvé les accords de Matignon par référendum.

Cette confiance retrouvée a besoin d’une garantie claire, évidente pour tous les signataires des accords de Matignon et de Nouméa : que les électrices et les électeurs qui se seraient prononcés sur l’indépendance en 1988 ou 1998 soient ceux qui, avec leurs descendants, le feront au plus tard en 2018. Ce sont également eux qui désigneront les membres des assemblées provinciales élues avant cette date.

C’est donc un corps électoral figé qui se prononcera sur cette condition essentielle. La communauté kanak pouvait admettre le report de la question de l’indépendance, mais elle ne pouvait accepter de voir son importance numérique diminuée par l’arrivée de métropolitains attirés par le boom du nickel et par la perspective de retraites bénéficiant d’indices correcteurs excessifs.

Nous comprenons parfaitement l’amertume et la frustration des citoyens qui, présents depuis plus de dix ans dans le territoire, ne pourront se prononcer sur son destin. Mais nous savons aussi que, sans ce corps électoral figé, il n’y aurait point de paix civile, de développement économique ni d’avenir pour tous en Nouvelle-Calédonie.

Ce sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement et le RPCR ont accepté cette condition dans les accords de Matignon. Cette parole de la France nous oblige aujourd’hui. Elle est la condition de la paix civile et du développement retrouvés. Les sénateurs UDF voteront donc cette réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jean-Jacques Hyest (Groupe Union pour un Mouvement Populaire - Sénat) – L’équilibre auquel sont parvenus les signataires des accords de Matignon et de Nouméa a mis fin à des années d’instabilité et de violence.

Pour ceux qui ont tendance à se scandaliser du « gel » du corps électoral pour les élections provinciales et au congrès, il n’est pas inutile de rappeler l’histoire récente de la Nouvelle-Calédonie. La tragédie d’Ouvéa, le 22 avril 1988, marquait le paroxysme d’une situation voisine de la guerre civile. Pour ramener la paix, le Premier ministre de l’époque engagea des négociations. Des hommes de bonne volonté ont fait alors prévaloir ce qui les rassemblait sur ce qui les séparait. Au premier rang d’entre eux figurent Jacques Lafleur et Pierre Frogier ainsi que Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, tous deux assassinés en 1989. Nous pouvons leur rendre hommage.

Les accords de Matignon amenaient un nouvel équilibre en Nouvelle-Calédonie. Ils ont été prolongés par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, qui détermine, pour une période transitoire de quinze à vingt ans, l’organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et les voies de son rééquilibrage économique et social.

Cet accord reconnaît une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, au sein de la nationalité française ; il définit un contrat social entre toutes les communautés en faisant une large place à l’idendité kanak ; il prévoit que le congrès de la Nouvelle-Calédonie puisse adopter des lois du pays. Ces innovations ont impliqué la révision de la Constitution du 20 juillet 1998, et depuis, les institutions issues de ces accords fonctionnent bien.

La définition d’un corps électoral restreint est fondée sur la reconnaissance d’une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie. Dès les accords de Matignon, l’État, le RPCR et le FNLKS avaient convenu que les « populations intéressées » à l’avenir du territoire seraient seules autorisées à se prononcer sur les scrutins déterminants pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire non seulement le scrutin d’autodétermination mais aussi les élections aux assemblées de province et au congrès.

L’accord de Nouméa précise que, « conformément aux accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées de province et au congrès sera restreint ».

Et la loi organique du 19 mars 1999, dont j’étais le rapporteur au Sénat, a défini trois listes électorales distinctes. Or, si la liste électorale générale et celle concernant les consultations sur l’accession à la pleine souveraineté ne sont pas contestées, la liste électorale pour les élections au congrès et aux assemblées de province a donné lieu à une interprétation divergente de la part du législateur organique et du Conseil constitutionnel.

Mais si les accords de Nouméa avaient retenu la notion de corps électoral « glissant », et s’il s’agissait seulement de satisfaire aux conditions de résidence de dix ans, quelle que soit la date d’arrivée sur l’archipel, pourquoi l’accord et la loi organique prise en application de l’article 77 de la Constitution préciseraient-ils que les électeurs de la consultation de 1998 peuvent participer aux élections provinciales ? Ce serait incompréhensible.

En 1999, à une écrasante majorité, les deux assemblées ont de nouveau précisé la nature du tableau annexe visé à l’article 188 de la loi organique. Cela entraînait une révision constitutionnelle qui, pour des raisons extérieures, n’est pas allée jusqu’à son terme. Nous la faisons aujourd’hui – tardivement, il est vrai. Mais nous avons pu ainsi vérifier que le gel du corps électoral était compatible avec nos engagements internationaux.

En tout état de cause, le respect des engagements de l’État nous obligeait à trancher définitivement sur une disposition jusqu’ici transitoire. Pour la troisième fois, il est proposé au Parlement de confirmer la cristallisation du corps électoral de Nouvelle-Calédonie pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le groupe UMP du Sénat, dans sa très grande majorité, votera cette révision (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Georges Othily (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen - Sénat) – C’est au nom de l’histoire qui lie la Nouvelle-Calédonie et la France, mais aussi pour mieux préparer l’avenir, que nous sommes réunis pour décider du gel du corps électoral calédonien et ainsi honorer la parole de la France.

Nous devons garder en mémoire les trop nombreuses victimes que firent dans les deux communautés les événements tragiques de 1984 à 1988. Ce cycle infernal de la violence aurait pu dégénérer en guerre civile.

Les accords de Matignon et de Nouméa, obtenus dans des conditions difficiles, ont rétabli la concorde. En 1988, un réel compromis a caractérisé les accords de Matignon, qui ont restreint aux seules personnes ayant un lien suffisamment fort et durable avec la Nouvelle-Calédonie le corps électoral appelé à voter lors des scrutins qui décideraient de l’avenir du territoire calédonien.

Le statut du 9 novembre 1988, adopté directement par le peuple français, était prévu pour dix ans. Mais à l’approche de l’échéance, il est apparu qu’un nouveau scrutin aurait pu susciter deux camps antagonistes.

Afin de maintenir le dialogue et le consensus, on a signé, le 5 mai 1988, l’accord de Nouméa, par lequel, dans le prolongement direct des accords de Matignon, les Kanaks, les Caldoches et l’État se sont entendus sur ce qui rassemble et ont exclu ce qui divise.

Cet accord instaure, dans la nationalité française, une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie.

Dès lors, de quelque origine que l’on soit, c’est le droit de vote qui fonde la citoyenneté.

Il nous revient aujourd’hui de lever une dernière difficulté. Dans sa décision du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que toutes les personnes arrivées après 1998 pourraient obtenir le droit de vote. Cela avait conduit le gouvernement de l’époque, en accord avec le Président de la République, à se prononcer en faveur d’une révision constitutionnelle pour geler le corps électoral. Dans ce cadre, ce sont environ 700 électeurs inscrits en 1999 qui seront privés du droit de vote aux élections de 2009. D’autre part, la réforme ne s’applique que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution. Et elle n’affecte pas le droit de vote aux élections autres que territoriales et provinciales.

Au-delà de ces aspects juridiques, l’enjeu est le respect de la parole donnée par l’État et par le Parlement. Revenir sur les engagements pris et sur le compromis qui fonde l’équilibre actuel mettrait en péril une paix civile encore fragile.

C’est donc animés par leurs convictions et par l’esprit de responsabilité que les sénateurs de notre groupe approuveront ce projet de loi constitutionnelle (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. René Dosière (Groupe Socialiste – Assemblée nationale) – Adopter ce texte, c’est d’abord respecter la parole de la France, donnée par le chef de l’État, par trois Premiers ministres et quatre ministres de l’outre-mer, ainsi que par la représentation nationale à deux reprises. C’est aussi faire vivre pleinement l’accord de Nouméa signé en 1998 entre l’État, des indépendantistes patients et des anti-indépendantistes réalistes.

Prolongeant pour vingt ans l’accord de Matignon, celui de Nouméa propose aux citoyens calédoniens de construire un destin commun. Ceux qui bénéficient de cette citoyenneté – les définir est important – auront le droit de vote aux élections provinciales de 2009 et 2014, qui seront décisives. Ils doivent justifier d’un lien fort avec le pays, qui s’exprime par dix ans de présence. Se rappelant les pratiques électorales auxquelles on eut recours autrefois dans les colonies – je pense à l’Algérie notamment –, les socialistes approuvent l’exigence des Kanaks de confier aux seuls Calédoniens présents en 1998 la mise en œuvre des accords, à l’exclusion des nouveaux arrivants.

Une interprétation malheureuse du Conseil constitutionnel a jeté le trouble dans les esprits. Aujourd’hui, nous allons le dissiper définitivement.

N’ayant rien oublié des drames de la décolonisation, Michel Rocard et Lionel Jospin, deux hommes d’État auxquels les socialistes sont fiers de rendre hommage de leur vivant, ont innové pour assurer à la Nouvelle-Calédonie une décolonisation pacifique.

L’accord de Nouméa comporte en effet des innovations constitutionnelles : l’attribution au Congrès de la Nouvelle-Calédonie d’un pouvoir législatif véritable, puisque les lois de pays sont soumises directement au Conseil constitutionnel ; la formation d’un gouvernement local composé, obligatoirement, de membres issus de toutes les forces politiques de Nouvelle-Calédonie ; la pleine reconnaissance de l’identité kanak, ce qui rend nécessaire le recueil de données démographiques sur une base ethnique, disposition qui n’a pas été respectée lors du dernier recensement ; enfin, la priorité en matière d’emploi en faveur des citoyens calédoniens.

Une telle remise en cause des fondements de notre ordre démocratique ne manque pas de susciter l’hostilité de tous ceux qui craignent sa transposition dans d’autres territoires de la République.

En réalité, comme le souligne le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « il s’agit moins de dispositions constitutionnelles particulières que d’une autre constitution, celle de la Nouvelle-Calédonie, que notre texte de 1958, bien accueillant, abrite dans son titre XIII ».

Il reste dix ans pour construire une Nouvelle-Calédonie plus unie, plus juste et plus prospère. Le travail à accomplir est considérable pour diversifier l’économie et pour la rééquilibrer géographiquement, notamment par la création d’autres usines métallurgiques, pour donner à chaque communauté sa juste place et pour offrir à tous un logement décent, une formation et un travail.

La paix ne peut s’obtenir par une simple proclamation. Elle doit se nourrir en permanence de l’esprit qui a permis de l’établir et en particulier de l’esprit de dialogue.

L’application de l’accord de Nouméa dépend fondamentalement des partenaires calédoniens, auxquels je rends hommage aujourd’hui. Ils ont eu le courage d’accepter le compromis, de l’expliquer et de l’appliquer. Certains sont dans les tribunes du public, d’autres sur les bancs du Congrès. Je n’exclus pas de cet hommage les parlementaires de Nouvelle-Calédonie malgré le vote négatif qu’ils vont émettre. Je souhaite seulement que, surmontant les péripéties locales, ils retrouvent leur place parmi les signataires pour continuer d’apporter leur pierre à la construction de la maison commune dont ils ont posé les fondations.

Aujourd’hui, il s’agit de tenir la parole de la France, pour que plus jamais la Nouvelle-Calédonie ne connaisse les drames qui l’ont endeuillée et qui n’étaient dignes ni d’elle ni de la France. La Nouvelle-Calédonie mérite que nous fassions taire nos divergences pour aller à l’essentiel : effacer les blessures de l’histoire par une décolonisation sans rupture (Applaudissements).

M. Didier Quentin (Groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Assemblée Nationale) Le présent projet de loi constitutionnelle, déjà adopté en termes identiques par nos deux assemblées aujourd’hui réunies en Congrès, répond à une triple exigence de fidélité à la parole publique, de continuité de l’État et de l’ordre républicain et de respect de l’État de droit.

S’inscrivant dans la logique de l’accord de Nouméa du 5 mai 1988, il précise que pourront voter aux élections du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie les citoyens français installés dans l’archipel au moment de la signature de l’accord et qui justifieront lors du scrutin de 2009 de dix ans de résidence.

Cette restriction du corps électoral, qui a déjà une longue histoire, constitue une exception à l’article 3 de la Constitution qui affirme l’égalité du suffrage. On peut s’étonner de cette exception à l’un des principes fondamentaux de notre démocratie, mais il est un autre principe, celui de la majorité : or, il s’est trouvé une majorité substantielle, dans chacune des assemblées, pour approuver cette exception, après avoir entendu toutes les parties.

Cette exception est légitime, parce qu’elle se place dans le droit fil de la révision de juillet 1998 qui a inscrit dans notre Constitution l’accord de Nouméa. Or, la Constitution peut prévoir des exceptions à ses dispositions générales – l’article 16 en est un exemple. La restriction du corps électoral pour l’élection des institutions propres à la Nouvelle-Calédonie a été stipulée dans les accords de Matignon du 26 juin 1988, et confirmée par la loi référendaire du 9 novembre 1988, reprise dans l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, et précisée par la loi organique du 19 mars 1999. Elle est consubstantielle au processus d’évolution du statut de l’archipel, depuis près de vingt ans. La révision de la Constitution autorisant une exception à l’article 3 répond donc précisément à l’exigence de l’État de droit.

Cette exception est ensuite nécessaire pour permettre la mise en œuvre de l’accord signé par l’État et les deux principales forces politiques locales et limiter le corps électoral à ceux qui, présents sur l’archipel au moment de la signature, en 1998, ont été directement témoins de ce moment historique.

La décision du Conseil constitutionnel relative à la loi organique de mars 1999 a mis en évidence des ambiguïtés qu’il importait de lever. Le législateur constitutionnel s’y est attelé dès 1999, et seul un concours de circonstances a empêché la procédure d’aller jusqu’à son terme.

Les prochaines élections des institutions territoriales de la Nouvelle-Calédonie devant avoir lieu en 2009, il est temps de régler cette question, ainsi que s’y était engagé le Président de la République.

Enfin, cette exception sera temporaire. Nous sommes déjà à mi-parcours de l’accord de Nouméa, dont la durée a été fixée à vingt ans. Une fois les consultations finales organisées, il sera toujours temps de remettre l’ouvrage sur le métier. C’est la logique de l’accord que nous devons respecter.

L’accord de Nouméa porte en lui plus de cent cinquante ans d’une histoire riche et compliquée, de vie commune faite de tensions et de réconciliations. Surtout, il porte en lui l’avenir de l’archipel. C’est pourquoi il est de notre responsabilité de faire en sorte qu’aucune de ses stipulations ne prête à confusion, et qu’aucune des voies qu’il ouvre ne s’achève en impasse.

La France est digne de la Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie est digne de la France. Nos valeurs sont celles du respect de la parole républicaine, de l’État de droit et de la participation de tous au développement social et économique. En adoptant le présent projet de loi constitutionnelle, nous serons fidèles à nous-mêmes et à la République. La disposition légitime, nécessaire et temporaire qui nous est proposée mérite une approbation franche et massive (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Jean-Christophe Lagarde (Groupe de l’Union pour la Démocratie Française – Assemblée nationale) – Ce projet de loi constitutionnelle est crucial pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il est la traduction constitutionnelle des accords de Nouméa, s’inscrivant dans la filiation de ceux de Matignon qui ont permis à ce territoire français d’outre-mer de retrouver la paix civile.

Celui-ci avait en effet été marqué de lettres de sang, avant que les accords de Matignon ne soient signés, puis ratifiés par le peuple français. Par ces accords le Gouvernement et le peuple français se sont engagés à accompagner les Calédoniens pour parvenir à un meilleur équilibre des richesses économiques – que ce soit géographiquement ou entre Caldoches et Kanaks –, mais également à une plus grande autonomie dans la gestion du territoire, par la création de trois provinces. L’objectif était de rétablir la sérénité, ainsi que la capacité des Calédoniens à définir leur avenir ensemble, en attendant un référendum sur leur avenir dans la République française.

Par ces accords, les Caldoches comme les Kanaks se reconnaissaient mutuellement leur légitimité à vivre sur ce grand et bel archipel et affirmaient que leur avenir se déciderait en commun, ce qui constituait un tournant historique.

Dès l’origine, le problème du corps électoral s’est posé de façon aigue, car les indépendantistes redoutaient une arrivée massive de métropolitains – bref, une nouvelle colonisation par les urnes. Des restrictions furent donc posées, d’un commun accord entre les parties, pour définir qui aurait le droit de vote lors du ou des référendums d’autodétermination. C’est un des piliers des accords de Matignon et de Nouméa, qui n’a jamais été remis en question par aucun des signataires.

D’autres restrictions, tout aussi essentielles, fixent l’ancienneté nécessaire pour avoir le droit de vote aux élections provinciales. Les accords de Matignon et de Nouméa définissent donc un équilibre politique d’ensemble, dont l’État français s’est porté garant à deux reprises. En fixant le périmètre du corps électoral, on garantissait aux deux parties que ceux qui avaient décidé de faire la paix ensemble décideraient ensemble de leur avenir, sans que des apports nouveaux de population risquent de raviver les tensions.

Lors des accords de Nouméa, on s’est demandé s’il fallait rouvrir le droit de vote pour les élections provinciales aux nouveaux arrivants, afin de tenir compte du report de la date du référendum d’autodétermination. Les indépendantistes avaient fait une concession importante, alors qu’ils étaient en droit d’exiger que se tienne le référendum prévu par les accords de Matignon. Mais ils ont demandé en contrepartie que le corps électoral pour le référendum d’autodétermination soit le même que celui défini en 1988, et que celui des élections provinciales soit lui aussi figé.

Si l’on ne connaît pas la situation, une telle restriction du droit de vote pour des citoyens français, dans un territoire de la République, peut paraître incompréhensible. Elle ne l’est pas pour l’UDF. François Bayrou, seul candidat à la Présidence de la République à s’être rendu deux fois en Nouvelle-Calédonie au cours des deux années passées pour comprendre la situation (Interruptions sur de nombreux bancs), a pu dialoguer avec toutes les parties, et conclure que l’accord passé devait être respecté.

À l’époque, nos représentants locaux avaient dénoncé les accords de Nouméa et appelé les Calédoniens à voter contre lors du référendum de 1998, car ils ne souhaitaient pas de corps électoral figé. Mais une fois ces accords acceptés par la population de Nouvelle-Calédonie, il fallait les appliquer.

Comment oser encore dire que le corps électoral figé n’avait pas été accepté, alors que l’État, présent lors des discussions, est à la fois témoin et garant des engagements pris et que les gouvernements successifs ont tous donné la même interprétation de l’accord ?

Le flou qui a été créé autour de ce sujet n’a existé que parce que certains n’ont pas su assumer leur position devant les électeurs calédoniens. Mais ce n’est pas parce que des accords ont été cachés aux électeurs calédoniens qu’on doit remettre une parole en cause, et encore moins celle de l’État.

L’UDF comprend l’amertume des citoyens arrivés récemment en Calédonie, et qui se sentent quelque peu floués.

M. le Président – Monsieur Lagarde…

M. Jean-Christophe Lagarde – Mais, fidèles à notre esprit de responsabilité, nous considérons qu’un accord est un accord et que lorsque la France engage sa parole, elle doit la tenir.

C’est la raison pour laquelle nous saluons le courage du Gouvernement qui, en présentant ce projet de réforme constitutionnelle, se montre sur ce sujet, à la hauteur des enjeux et de ses responsabilités.

La Nouvelle-Calédonie s’est engagée sur un chemin de paix.

M. le Président – Merci, Monsieur Lagarde (Mouvements d’impatience sur de nombreux bancs).

M. Jean-Christophe Lagarde – Elle fait confiance à la France pour traiter équitablement chacune des parties. Si la parole de l’État n’était pas tenue, il n’y aurait bientôt plus d’État en Nouvelle-Calédonie (Applaudissements sur plusieurs bancs).

M. Louis Le Pensec (Groupe Socialiste – Sénat) – Nous sommes réunis pour préciser l’accord de Nouméa sur la composition du corps électoral appelé à voter en 2009 et 2014 pour les élections du congrès et des assemblées provinciales de Nouvelle-Calédonie, conformément à la réserve formulée par le Conseil constitutionnel à propos de la loi organique.

Cet ajustement est essentiel pour que l’accord de Nouméa, après ceux de Matignon et d’Oudinot, garantisse la paix civile et le développement de l’archipel. En tant que ministre de l’outre-mer, j’ai eu l’honneur de mener en 1988 la négociation de l’accord d’Oudinot qui complétait ceux de Matignon. Ils n’auraient pas abouti sans une restriction du corps électoral. C’est pourquoi notre vote est aujourd’hui décisif.

Avant ces accords, la Nouvelle-Calédonie était plongée dans une quasi-guerre civile, conséquence de graves erreurs politiques, mais aussi de notre refus de reconnaître d’identité du peuple kanak – qu’une immigration massive avait rendu minoritaire – et du non-respect récurrent de la parole donnée au nom de la France. En 1988, cette identité fut enfin reconnue, et le corps électoral limité. Aujourd’hui comme alors, la France doit tenir la parole donnée par ses dirigeants successifs.

Le préambule de l’accord de Nouméa reconnaissait la participation au développement de l’archipel des communautés y vivant légitimement – y compris les populations non originaires – et créait une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie.

Ouvrant le droit d’élire les institutions locales, celle-ci est accordée aux électeurs inscrits pour le référendum de 1998 – domiciliés dans l’archipel depuis 1988 au moins – ainsi qu’à ceux qui, au fur et à meure qu’ils avaient dix ans de résidence, étaient inscrits sur les listes électorales générales entre 1988 et 1998, et à leurs descendants majeurs. Les Français installés en Nouvelle-Calédonie depuis 1998 en sont donc exclus.

Ainsi, seul un corps électoral figé correspond aux principes de l’accord de Nouméa. On pourrait invoquer le principe démocratique « un homme, une voix » ; aussitôt s’y opposerait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Évitons cette opposition d’où sont nés tant de drames, et que les accords de Nouméa et d’Oudinot sont parvenus à surmonter.

Je le dis devant Mme Tjibaou, présente dans les tribunes : sans le courage et la force de persuasion de Jean-Marie Tjibaou – et de Jacques Lafleur –, et sans l’appui décisif de MM. Rocard et Jospin, ces accords n’auraient pas été possibles. L’espoir qu’ils ont suscité ne peut être déçu. Continuons d’avancer dans la voie du développement économique, de la formation des hommes, du partage des richesses et du façonnement d’une conscience collective et d’un destin commun, afin d’ouvrir un nouveau chapitre des relations entre la Nouvelle-Calédonie et la République.

Trop d’événements ont démenti notre devise républicaine. Aujourd’hui, la France n’a plus à rougir de ce qu’elle accomplit en Nouvelle-Calédonie pour préparer une décolonisation sans rupture. C’est pourquoi le groupe socialiste du Sénat votera ce projet de loi consolidant l’accord de Nouméa qui a réconcilié les Calédoniens et fait honneur à la France !

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 77 de la Constitution. Le scrutin est ouvert.

La séance, suspendue à 12 heures 5, est reprise à 12 heures 50.

M. le Président – Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : 870

Suffrages exprimés : 814

Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle :

(trois cinquièmes des suffrages exprimés) 489

Pour l’adoption : 724

Contre : 90

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 77 de la Constitution, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le texte sera transmis à M. le Président de la République.

La séance est levée à 12 heures 55.
Prochaine séance, cet après-midi à 14 heures 30.

La Directrice du service
des comptes rendus analytiques,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale