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Congrès du Parlement

Compte rendu
analytique officiel

LUNDI 19 FÉVRIER 2007

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ
2ème SÉANCE

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

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modification du titre IX de la constitution

L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre  J’ai l’honneur, au nom du Président de la République, Jacques Chirac, de soumettre à votre approbation le projet de loi portant modification du titre IX de la Constitution. Avec le statut pénal du chef de l’État, c’est tout le fonctionnement de notre démocratie et la légitimité de nos institutions que nous voulons consolider. Dans la constitution de la Ve République, le Président est la clé de voûte des institutions. Élu au suffrage universel, il tire sa légitimité et son autorité directement du peuple. Garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités, il est le chef des Armées et il est doté de pouvoirs propres. C’est dire combien il est essentiel de protéger sa fonction.

En même temps, chacun voit bien que les Français demandent à leurs responsables politiques de se soumettre aux mêmes règles, lois et contraintes. Ils refusent l’impunité, et nous partageons tous cette exigence républicaine, qu’il nous revient de mettre en œuvre, tout en protégeant l’indispensable stabilité de nos institutions.

Aujourd’hui, la responsabilité du chef de l’État est définie par l’article 68 de la Constitution, dont les rapporteurs, MM. Houillon et Hyest auxquels je rends hommage, ont souligné l’ambiguïté avec beaucoup de force et de rigueur. Le contenu et la nature de la haute trahison pourraient permettre, selon les circonstances, une mise en cause incessante du Président de la République. En outre, le texte ne dit rien de la responsabilité judiciaire du chef de l’État.

Ces difficultés ont été mises en évidence par les récentes décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Par sa décision du 22 janvier 1999, relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l’article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a en effet précisé que, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président ne pouvait être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article. Dès lors, il n’y a pas lieu de distinguer selon l’époque à laquelle les actes ont été commis, ni s’ils entravent ou non l’exercice du mandat présidentiel.

Dans son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne pouvait être poursuivi devant aucune juridiction pendant l’exercice de son mandat. Pour autant, elle a estimé qu’il ne bénéficiait pas d’un privilège de juridiction.

Ces deux décisions s’accordent sur un point déterminant : hormis le cas de haute trahison, le Président de la République ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. L’ambiguïté concerne la portée des dispositions de l’article 68, et cette incertitude s’ajoute à celle relative à la notion de haute trahison.

Vous le savez, nous n’avons, jusqu’à présent, pas tiré les conclusions de ces décisions. C’est pourquoi le Président Chirac a demandé à une commission, présidée par Pierre Avril, de proposer une clarification de cet aspect important de notre Constitution. Cette commission a suggéré une révision complète du titre IX consistant en une réécriture intégrale des articles 67 et 68 qui le composent.

Le chef de l’État et le Gouvernement ont choisi de suivre les propositions de la commission Avril, en vue de fixer un régime de responsabilité pragmatique et conforme aux aspirations d’une société moderne.

Ces propositions s’inscrivent dans nos traditions institutionnelles, car il s’agit d’abord de confirmer l’immunité dont bénéficie le chef de l’État pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. Tel est l’objet du premier alinéa de l’article 67.

Elles sont également conformes aux aspirations d’un État de droit moderne : à côté de l’immunité, la réforme qui vous est soumise institue une inviolabilité temporaire concernant tous les autres actes et prenant fin avec le mandat présidentiel. Redevenu simple citoyen, le chef de l’État devra répondre de l’ensemble de ses actes devant les juridictions de droit commun.

Je sais qu’à l’occasion des débats devant les deux assemblées, la question de l’extension de cette inviolabilité aux juridictions non pénales a suscité de nombreuses interrogations. Je le réaffirme : pour protéger la fonction présidentielle, l’inviolabilité doit être totale.

Le mérite de cette réforme, c’est aussi de préciser les conditions dans lesquelles doit être envisagé le retour au droit commun à l’issue du mandat du chef de l’État. Avec nombre d’entre vous, le Gouvernement a estimé qu’il s’agissait d’une question essentielle, qui mérite d’être inscrite dans la Constitution : le troisième alinéa de l’article 67 fixe ainsi à un mois après la cessation des fonctions le délai à l’issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.

Avec ce texte, nous reconnaissons au Parlement le pouvoir de destituer le chef de l’État, en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Des faits de cet ordre pourront conduire le Parlement, réuni en Haute cour, non pas à juger le Président de la République, mais à le rendre à nouveau justiciable des juridictions de droit commun, en mettant fin à son mandat ; c’est l’objet de l’article 68, composé de six alinéas.

La notion de haute trahison est remplacée par celle de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Nous disposons ainsi d’un critère plus objectif, qui ne fait référence ni à la nature ni à la gravité de l’acte. La rédaction du texte permet de protéger la fonction de toute logique partisane. Ce dispositif modifie la nature de la responsabilité du chef de l’État, laquelle était jusqu’à présent pénale, sa condamnation ne pouvant revêtir qu’un caractère juridictionnel.

Désormais, c’est une définition politique qui est instaurée ; elle suppose d’apprécier le comportement du chef de l’État au regard des exigences de sa fonction.

Cela implique que sa légitimité, si elle doit être remise en cause, le soit par un organisme juridictionnel, doté d’une légitimité démocratique égale. C’est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement, siégeant, dans son intégralité, en Haute cour.

La procédure de destitution a été améliorée au cours des débats parlementaires : ainsi, la proposition de réunir la Haute cour doit être successivement adoptée par chacune des deux assemblées. Présidée par le président de l'Assemblée nationale, la Haute cour statue ensuite par un vote à bulletins secrets ; afin de mettre la procédure à l’abri de tout risque de dérive partisane, tous les votes devront être acquis à la majorité qualifiée des deux tiers, comme l’a suggéré avec pertinence Bernard Accoyer. Toute délégation de vote sera interdite et le délai imparti à la Haute cour sera limité à un mois, afin de protéger l’autorité du Président, dans le cas où la procédure n’aboutirait pas. La décision de la Haute cour est d’effet immédiat, le Président de la République destitué redevenant, de ce fait même, un justiciable ordinaire.

Mesdames et messieurs, le présent projet, équilibré, loin de mettre en cause l’équilibre institutionnel de la Ve République, le renforce. Il répond à une double exigence : celle de transparence et d’égalité entre les citoyens, et celle de stabilité de l’État. En adoptant cette réforme, nous renforçons la Ve République. Nous démontrons une nouvelle fois sa capacité à évoluer et à s’adapter aux exigences de nos concitoyens. Un pays qui grandit, c’est une République qui vit et qui change. Depuis des décennies, la Ve République a montré qu’elle était assez résistante pour surmonter les épreuves les plus graves et assez souple pour répondre aux attentes des Français.

En adoptant ce texte, nous montrons que la Ve République est une République d’aujourd’hui et nous faisons un choix démocratique majeur : celui de la responsabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Explications de vote

M. André Vallini (Groupe Socialiste – Assemblée nationale) – La réforme du statut pénal du chef de l’État doit assurer le juste équilibre entre la protection de la fonction présidentielle et la responsabilité du titulaire de cette fonction. S’agissant de la protection de la fonction présidentielle, nous avions, en 2001, adopté une proposition de loi disant que, pour les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions, le Président de la République restait passible, en cas de haute trahison, de la Haute cour de justice, mais que, pour les crimes ou délits détachables de sa fonction, le chef de l’État restait soumis aux procédures et aux juges de droit commun, moyennant le filtre d’une commission chargée de vérifier que les poursuites engagées n’étaient pas abusives.

Le texte que vous nous proposez, Monsieur le Premier ministre, est différent, puisqu’il assure une immunité totale au Président de la République pendant la durée de son mandat.

Pour ce qui concerne la responsabilité du Président de la République, votre texte crée une nouvelle procédure : la destitution. Bien entendu, celle-ci devra rester exceptionnelle, tant ses conséquences seront lourdes, puisqu’elle pourra aboutir à destituer un homme – ou une femme – élu au suffrage universel par le peuple souverain. Au reste, c’est le peuple souverain qui aura le dernier mot, puisque la destitution entraînera mécaniquement une nouvelle élection présidentielle, ou qu’elle sera précédée d’une dissolution entraînant de nouvelles élections législatives.

Selon le projet initial, les décisions de réunir la Haute cour et de destituer le Président devaient être prises à la majorité simple. Par un amendement que j’ai présenté au nom de mon groupe, nous avons porté cette majorité aux deux tiers afin d’éviter que des coalitions de circonstance ne permettent de faire un usage politicien de cette nouvelle procédure. En effet, celle-ci ne doit en aucun cas se transformer en motion de censure politique du Parlement à l’encontre du Président de la République, et elle ne doit pas davantage ouvrir la voie à des manœuvres partisanes, notamment en période de cohabitation.

Il y a quelques semaines, je précisais à la tribune de l’Assemblée nationale qu’aux yeux des socialistes, il était plus que jamais nécessaire d’accompagner cette réforme de celle du mode d’élection des sénateurs. En effet, tant que le Sénat restera structurellement conservateur (Protestations sur de nombreux bancs), un président de gauche pourra beaucoup plus facilement être traduit devant la Haute cour – et le cas échéant destitué – qu’un président de droite par une majorité de gauche.

Les sénateurs socialistes se sont montrés plus exigeants que les députés socialistes et ils ont eu raison ! Cette réforme du statut pénal doit s’intégrer dans une réforme globale de nos institutions, y compris, bien sûr, celle du Sénat.

C’est la raison pour laquelle nous avons finalement décidé de nous abstenir. (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Patrice Gélard (Groupe Union pour un Mouvement Populaire – Sénat) – Nous avons hérité, avec la Constitution de la Ve république, d’un statut du chef de l’État obsolète et inadapté.

M. Jean-Pierre Brard – Ce n’est pas gentil pour le Général !

M. Patrice Gélard – Obsolète, parce qu’il est directement adapté du système monarchique et n’a joué, en fait, que pour juger des ministres. Inadapté, parce que la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale a conduit le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, à reconnaître d’une part le privilège de juridiction et de procédure du chef de l’État, d’autre part, la compétence de la Haute cour en matière pénale. Cette décision a été contestée par l’arrêt d’assemblée de la Cour de cassation du 29 juin 2001, qui a affirmé la totale compétence des tribunaux de droit commun, mais également la suspension des poursuites pendant la durée du mandat présidentiel. Il était donc pertinent que le chef de l’État, face à cette insécurité juridique, souhaite la constitutionnalisation de nouvelles règles en matière de responsabilité du Président de la République.

Le nouvel article 67 confirme et consacre le principe de l’immunité et reprend l’essentiel des conclusions de la commission Avril.

L’article 68 remplace la responsabilité pénale du chef de l’État par une nouvelle responsabilité de nature politique. Il est ainsi mis fin à l’ancienne Haute Cour de justice et à la procédure pénale en vigueur.

Dorénavant, le Président de la République ne pourra être destitué qu’en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »

Cette définition est sujette à interprétation. Il n’y a plus la moindre responsabilité pénale : le Président mis en cause dispose toujours de l’arme de la dissolution ou, en cas de destitution, de la possibilité de se représenter aux élections.

Le texte a été considérablement amélioré par l'Assemblée nationale, qui a modifié les majorités initiales, interdisant ainsi toute attitude qui viserait seulement à déstabiliser la fonction présidentielle.

Trois points méritent d’être mentionnés. Tout d’abord, l’égalité de l'Assemblée nationale et du Sénat dans la procédure : l’unité du Parlement représentant le peuple souverain est ainsi respectée. Le Sénat peut, un jour, être majoritairement de gauche… (Rires sur les bancs des groupes Union pour un mouvement populaire)

M. le Président  Revenons à la réalité, je vous en prie (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Patrice Gélard – Ensuite, l’interdiction des poursuites ou des actions devant la juridiction civile, nécessaire pour éviter le harcèlement judiciaire du chef de l’État, tout en lui faisant confiance pour agir dans le respect des droits des tiers. Enfin, il faudra procéder, dans un futur proche, à une nouvelle révision destinée à mettre fin au statut du chef de l’État en tant que membre de droit du Conseil constitutionnel.

Le groupe UMP du Sénat, dans sa très grande majorité, votera ce texte (Applaudissements sur divers bancs).

M. Nicolas Alfonsi (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen – Sénat) – S’il est un domaine pour lequel les Constituants de 1958 n’ont pas fait œuvre d’originalité, c’est bien celui qui nous occupe aujourd’hui.

Certains prétendent que l’examen de ce projet est bien tardif, mais cette considération n’est pas essentielle, dans la mesure où ce texte met un terme à l’ambiguïté actuelle.

Il tend, d’une part, à clarifier la règle de l’immunité qui protège la fonction du chef de l’État, d’autre part, à définir les conditions dans lesquelles la Haute Cour pourrait lever cette protection par sa destitution.

Tout d’abord, le texte comble les lacunes de la loi fondamentale en précisant la nature, la durée et l’étendue des immunités dont le Président bénéficie.

Le projet maintient sans véritable changement l’immunité de fond, nécessaire, en rappelant l’irresponsabilité du Président pour les actes accomplis en cette qualité. Elle s’entend à la fois sur le plan pénal et civil et ne connaît qu’une seule exception tenant à la compétence de la Cour pénale internationale.

En revanche, concernant l’immunité de procédure s’agissant des actes détachables de son mandat, le projet lève les incertitudes qui tenaient à l’absence de toute définition de l’inviolabilité du mandat présidentiel.

L’article 67 institue, conformément à l’arrêt de la Cour de cassation de 2001, une inviolabilité temporaire pour la durée du mandat, faisant obstacle en matières civile et pénale aux procédures engagées contre le Président.

Il est mis fin au privilège de juridiction dont il bénéficiait en matière pénale pour les actes « détachables » de l’exercice de ses fonctions et qui résultait de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel.

L’immunité civile prévue au projet, longuement discutée au Sénat, présente des inconvénients certains, mais est-elle plus choquante que l’immunité accordée en matière pénale ? Elle présente en tout cas l’avantage de protéger la fonction présidentielle, dans un contexte juridique où les procédures civile et pénale ne sont pas nécessairement étanches.

Au demeurant, dans le cas où il serait manifestement porté atteinte aux devoirs attachés à la fonction présidentielle, la durée de l’immunité est susceptible d’être écourtée par une procédure de destitution.

Le projet définit ainsi plus précisément les faits pour lesquels la responsabilité du chef de l’État pourrait être mise en cause devant la Haute cour. La notion de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » est plus claire que celle de haute trahison. Le projet définit la nature de la sanction pouvant être prononcée par la Haute cour : la destitution, sans en mentionner toutefois tous les effets, puisqu’il laisse pendante la question du maintien du Président destitué dans ses fonctions de membre du Conseil constitutionnel, question qui devrait être traitée par la loi organique.

Enfin, le nouvel article précise que c’est le Parlement réuni en Haute cour, sur proposition adoptée à la majorité des deux tiers, qui prononce, le cas échéant, la destitution dans un délai d’un mois. Ainsi, la Haute cour ne constitue plus une juridiction pénale ni même une cour de justice. Elle ne peut mettre en cause, dans des situations exceptionnelles, que la responsabilité politique du chef de l’État.

À ceux qui douteraient qu’il s’agisse là d’un progrès, faut-il rappeler les difficultés qu’une assemblée parlementaire rencontrerait dans la conduite de ses délibérations et le respect de la procédure pénale ? En définitive, on a adressé au projet des reproches contradictoires : d’une part, on donnerait à la Haute cour des pouvoirs exorbitants portant atteinte au régime présidentiel institué par la Ve République en permettant au Parlement de mettre en cause la responsabilité politique du Président, voire de détourner de son objet la procédure de destitution à des fins partisanes ; d’autre part, en disant que la décision de réunir la Haute cour requiert une majorité qualifiée des deux tiers, qu’elle n’emporte pas empêchement du chef de l’État et qu’elle n’exclut pas l’usage du droit de dissolution par celui-ci, il s’agirait de faire obstacle à l’aboutissement de toute procédure de destitution.

La vérité est sans doute à mi-chemin : si l’on ne peut se réjouir de l’application de la procédure de destitution, il est bon que le Parlement constitué en Haute cour puisse y recourir si cela se révélait nécessaire.

Si la diversité des sensibilités qui traverse notre groupe rend difficile toute unanimité, la majorité votera néanmoins ce projet (Applaudissements sur divers bancs).

Mme Anne-Marie Comparini (Groupe de l’Union pour la Démocratie Française – Assemblée nationale) – Depuis quelques années, la responsabilité pénale du chef de l’État est d’une brûlante actualité et, sur le principe, tous les parlementaires sont d’accord pour l’aménager. Cependant, fallait-il attendre la fin de la législature pour le faire ? Le groupe UDF ne le croit pas. Invoquer la technicité du projet ne tient pas car voilà plus de trois ans que la commission Avril a remis ses conclusions et que ce texte a été déposé sur le Bureau de l’Assemblée.

Cette inscription précipitée est donc choquante car, sous prétexte de régler le statut pénal du Président, on en vient à modifier les principes de notre régime politique à soixante-cinq jours d’une élection présidentielle.

Votre projet transforme ainsi à tort et hâtivement trois principes majeurs.

D’abord, il ignore la distinction entre les actes détachables ou non de la fonction présidentielle et, discrètement, vous introduisez ainsi l’immunité présidentielle totale, notamment à l’égard des actions civiles : le président ne pourra plus être poursuivi pendant son mandat. Monsieur le Garde des Sceaux, a-t-on bien mesuré la portée d’une telle mesure ? L’immunité en matière civile n’existe pas dans notre droit, à juste titre, car « tous les Français sont égaux devant la loi civile », mais elle n’existe pas non plus dans les autres démocraties européennes. Autant nous considérons que le Président, en raison de sa fonction particulière, doit être protégé, autant nous estimons qu’il n’en est pas moins un citoyen comme les autres. Nous regrettons donc que vous n’ayez pas suivi Jean Foyer qui écrivait en 1999 : « En tant que personne privée, le Président est pénalement et civilement responsable comme tout citoyen. »

Ensuite, cette nouvelle rédaction substitue à une responsabilité pénale une responsabilité politique. Si vous aviez voulu que la destitution soit prononcée pour de simples raisons judiciaires, elle l’aurait été par des magistrats aptes à démontrer le manquement du Président par un travail juridictionnel sérieux. Il n’en est rien, votre texte interdisant toute enquête judiciaire. Dès lors, les parlementaires ne voteront que sur une simple présomption. Finalement, la destitution proposée équivaut à une motion de censure du Président, ouvrant la porte au tribunal de l’opinion.

Enfin, cette nouvelle rédaction néglige le parallélisme des formes, qui est un principe démocratique puissant : le Président de la République, élu par le peuple, n’est responsable que devant lui ; c’est donc au peuple français de sanctionner ses manquements graves. Il est regrettable que vous n’ayez pas retenu cette conception car, en ces temps de discrédit politique, elle aurait montré que l’exercice du pouvoir suprême n’est pas un privilège qui dispense de rendre des comptes aux citoyens.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera contre ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs)

M. Pierre Fauchon (Groupe de l’Union Centriste - Union pour la Démocratie Française - Sénat) – Il convenait, sans doute, d’actualiser l’article 68 de la Constitution par une définition plus appropriée de la destitution du Président et d’en faire une sanction plus politique que pénale, en confiant au Parlement tout entier et à la majorité des deux tiers les décisions à prendre.

Notre régime ayant pris une tournure excessivement « présidentielle » au sens politique du terme, il convient plus encore de rétablir un équilibre entre le Président et le Parlement et ce dispositif, pour extraordinaire qu’il soit, n’en constitue pas moins un progrès dans cette direction.

Est-il pour autant acceptable que l’on profite de cette occasion pour introduire furtivement dans le statut du chef de l’État une immunité s’étendant aux actions civiles, ce qui constitue non une adaptation, mais une innovation d’autant plus surprenante que rien n’en a fait apparaître la nécessité et qu’on n’en a pas trouvé d’exemple dans les institutions des grandes démocraties, notamment européennes.

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien !

M. Pierre Fauchon – A-t-on bien mesuré la portée d’une telle mesure, qui fait payer à des tiers le prix d’une immunité totale du Président pendant au moins dix ans – si l’on en juge par l’expérience des deux derniers présidents ? A-t-on bien mesuré la gravité du préjudice ainsi causé, qui peut être irréparable, en particulier dans les affaires de caractère familial ? A-t-on pris conscience de cette inégalité proclamée entre un Président qui conserverait le droit d’agir en justice contre des tiers, et ceux-ci, qui n’auraient pas le droit d’engager des instances contre lui, ni même de se défendre s’ils sont attaqués ?

Est-il pensable que, dans l’hypothèse d’un conflit familial, un conjoint soit privé de la possibilité de divorcer et voie sa vie personnelle bloquée pendant cinq ou dix ans alors que le Président, lui, conserverait cette faculté, à laquelle le conjoint ne pourrait même pas s’opposer par une demande reconventionnelle ? Sommes-nous dans un État de droit ou dans une monarchie de droit divin ? On comprendra dès lors que notre groupe, se souvenant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « la loi doit être la même pour tous » ne puisse souscrire à de telles dispositions, ce qui nous conduira à l’abstention ou au rejet, dans un esprit non d’opposition, mais de résistance, fondé sur le libre examen qui est, selon nous, le premier des devoirs d’un parlementaire.

Les fastes versaillais méritaient peut-être mieux (Exclamations sur divers bancs). La présente législature aurait pu se clôturer d’une manière plus convaincante, sinon plus glorieuse, que par l’adoption au pas de charge de textes qui n’améliorent aucunement le fonctionnement de notre démocratie, pourtant si visiblement défectueux, étouffé qu’il est de toutes parts par le conformisme, pour ne pas dire la complaisance, le découragement ou le scepticisme.

Combien eût-il été préférable de nous réunir ici, sous l’image emblématique des États généraux, pour voter des réformes sur lesquelles il existe un consensus, à en juger par les programmes des candidats à l’élection présidentielle !

Je pense à la redéfinition des nominations aux plus hautes fonctions de la République, pour y associer le Parlement.

M. Jean-Pierre Michel. Très bien !

M. Pierre Fauchon. Je pense aussi à la reconnaissance du droit de voter des résolutions pour le Parlement, ou, à titre personnel, à l’introduction du principe de l’équilibre du budget de fonctionnement de la République.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Pierre Fauchon. S’il y a une urgence à mes yeux, c’est celle-là, et notre souhait – puisqu’il faut rester optimiste – est de nous retrouver dans quelques mois pour procéder à une véritable réforme de nos institutions propre à redonner au Parlement la plénitude de ses responsabilités dans une République revivifiée (Applaudissements sur quelques bancs).

M. Jean-Pierre Bel (Groupe Socialiste - Sénat) – Cette majorité – la vôtre, Monsieur le Premier ministre – a au moins toujours été constante sur un principe : les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent (Applaudissements sur quelques bancs).

Annoncée par le Président de la République dès la campagne électorale de 2002, la réforme du statut pénal du chef de l’État était présentée comme une urgente nécessité parce qu’elle concernait « les fondements mêmes de la République ». Elle était d’une telle urgence qu’elle était en attente depuis le mois de juillet 2003 et n’est finalement examinée par le Congrès que quelques jours avant la fin du mandat du chef de l’État. Sans doute l’a-t-il trouvée tellement excellente qu’il a décidé de la réserver à ses successeurs, ce qui a eu, peut-être, pour effet d’arrêter l’horloge judiciaire (Protestations sur quelques bancs). J’ajoute une autre considération, propre au Sénat : parce qu’il avait un compte à rebours annoncé, la programmation de nominations mécaniquement calées sur le tempo de la campagne électorale du candidat de la majorité, le Gouvernement a voulu passer en force, au prix d’ailleurs des réticences de quelques-uns de ses soutiens, ce qui nous a valu un vote conforme du Sénat – un Sénat au garde-à-vous, un Sénat aux ordres (Protestations sur quelques bancs), un Sénat qui a renoncé à jouer son rôle (Applaudissements sur plusieurs bancs).

L’Histoire rendra compte du comportement de la majorité sénatoriale face aux révisions constitutionnelles. Après en avoir bloqué certaines comme en 1984 et en 1990, après avoir voté à reculons des réformes comme la parité en 1999, le Sénat a abdiqué son pouvoir constituant depuis 2002, en votant conformes la plupart des révisions intervenues.

Son veto constitutionnel a un objectif simple : il le réserve à la Gauche, la Gauche unique objet de sa vigilance et unique victime de son couperet. Chacun comprend qu’il faudra en tirer les conséquences à l’occasion de la prochaine alternance (Applaudissements sur plusieurs bancs).

La réforme du statut pénal du chef de l’État, nous y sommes favorables. Cependant, c’est à tort que nous imaginions qu’il y avait place pour le dialogue. Il n’a pas eu lieu !

Pourtant, nous avions présenté trois amendements, inspirés l’un par une considération politique, l’autre par une considération juridique, et le dernier par le bon sens.

Sur le plan politique, la responsabilité pénale du chef de l’État devient politique. C’est un nouveau moyen de censure de l’exécutif. Or, dans nos institutions, l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, peut seule disposer de ce pouvoir de censure. En contrepartie de cette spécificité, elle peut se voir frapper par une décision de dissolution, - contrairement au Sénat, qui ne connaît en effet jamais, Monsieur le président du Congrès, l’alternance.

Sur le plan juridique, étendre l’immunité du chef de l’État en le soustrayant à toute action civile ou administrative relative aux événements de la vie ordinaire, donc étrangers à son mandat, nous a semblé franchement inacceptable. Si la fonction présidentielle doit être protégée, le chef de l’État ne peut pour autant être au-dessus de la loi, quand bien même il serait hors la loi.

Enfin, le bon sens aurait dû conduire le Gouvernement à accepter notre amendement tendant à ce qu’un président destitué ne puisse siéger à vie au Conseil constitutionnel comme membre de droit. Avec le texte qui nous est soumis, le président, destitué en raison d’un manquement grave incompatible avec sa fonction, pourrait juger de la constitutionnalité des lois votées par un parlement qui aurait lui-même voté sa destitution ! Cette situation grotesque aurait pu être corrigée grâce à la navette, mais on nous a indiqué au Sénat que la loi organique, ou même un décret, pourrait régler ce détail.

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Jean-Pierre Bel – Parce que cette réforme est, à la virgule près, taillée sur mesure pour la majorité actuelle, représentée dans cette campagne par Nicolas Sarkozy, parce qu’à aucun moment vous n’avez choisi la voie de la concertation pour trouver un équilibre et des convergences, nous refuserons de la voter et nous nous abstiendrons (Exclamations sur divers bancs).

Mais nous nous refusons à laisser les choses en l’état (Mêmes mouvements). Face à des institutions qui s’essoufflent, à l’insuffisance d’un système démocratique qui laisse planer sur la vie publique un discrédit inquiétant, nous donnons rendez-vous aux Français pour une réforme ambitieuse de nos institutions, pour des réformes refondatrices. Oui, demain, nous proposerons aux Français ce dont notre pays a besoin : une République nouvelle ! (Applaudissements sur quelques bancs).

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat (Groupe Communiste Républicain et Citoyen - Sénat) – Sur les 27 parlementaires qui sont intervenus ou interviendront aujourd’hui, quatre sont des femmes. Je me réjouis certes que trois appartiennent à ma sensibilité politique, mais il faudrait faire beaucoup plus pour honorer la parité (Applaudissements sur plusieurs bancs).

J’en viens au projet. La précipitation de cette fin de législature empêche tout débat sur la place du Président de la République dans l’architecture institutionnelle de notre pays. Je le regrette.

Au travers de la responsabilité ou de l’irresponsabilité du chef de l’État, c’est pourtant la nature du régime dans lequel nous vivons qui est en cause. S’agit-il de maintenir la filiation avec l’article de la Constitution de 1791 qui disposait que « la personne du Roi est inviolable et sacrée », ou d’évoluer vers un président citoyen, rompant ainsi avec la dérive monarchique de la Ve République ? Cette évolution serait l’un des éléments d’une démocratisation profonde de nos institutions.

La présidentialisation du régime a accompagné la bipolarisation, l’appauvrissement démocratique, et finalement la démission du politique face au pouvoir économique. Cette évolution, qu’aggrave la soumission du scrutin législatif au scrutin présidentiel par la combinaison du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral, est à l’opposé de l’aspiration croissante du peuple à la transparence et à la participation aux décisions.

Le renforcement de ses pouvoirs est tel que le Président de la République peut se permettre de ne pas tenir compte des résultats du référendum du 29 mai 2005. Du reste, on ne nous saisit même pas de l’abrogation de l’article 88. Le Parlement n’est plus qu’une chambre d’enregistrement.

Cette présidentialisation appauvrit la démocratie et provoque une regrettable « peoplisation » des campagnes électorales. Cette perte de contrôle du peuple et de ses représentants bénéficie finalement aux seuls décideurs économiques.

Ce texte, bien modeste, est surtout un affichage de fin de quinquennat.

Les sénateurs communistes sont résolument partisans d’une réduction des pouvoirs du Président de la République, du rétablissement de la primauté du Parlement et d’un Premier ministre chef de l’exécutif et responsable devant le Parlement.

Ils veulent donc que le président monarque redevienne un président citoyen responsable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat, l’irresponsabilité ne valant que pour les actes commis dans l’exercice de sa fonction.

Nous sommes donc opposés à ce projet qui rend le chef de l’État irresponsable ad vitam aeternam des actes commis en qualité de chef de l’État. L’irresponsabilité temporaire pour les actes de la vie privée est inacceptable. Que deviendront les preuves ou les témoignages après cinq ou dix ans de présidence ?

Le seul moyen de soumettre le Président de la République aux tribunaux pour des fautes pénales, civiles ou administratives, sera désormais la procédure de destitution, qui évoluera forcément vers un « empêchement » à l’américaine. Contrairement à l’objectif affiché, politique et judiciaire seront encore plus étroitement liés.

Enfin, le Sénat pourra, en toutes circonstances, engager une procédure de destitution à l’égard d’un président de gauche. Cette chambre élue au suffrage indirect ne devrait pas disposer d’un tel pouvoir.

Et cette destitution politique sera un facteur supplémentaire de personnalisation, de médiatisation, de présidentialisation.

L’Assemblée nationale avait voté en 2001 la compétence des juridictions de droit commun pour les actes privés. Nous regrettons que ce choix ne soit pas repris.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen votent contre ce texte qui permet au chef de l’État d’échapper à la justice durant son mandat et qui sème la confusion entre responsabilités politiques et judiciaires (Applaudissements sur quelques bancs).

M. Philippe Houillon (Groupe Union pour un Mouvement Populaire – Assemblée nationale) – Pendant près de deux siècles, le statut de chef de l’État n’a pas été clairement défini. Sous la Ve République, il est devenu la clé de voûte des institutions, tandis que croissait l’exigence d’égalité, de transparence et de justice.

Cette évolution nous invite à agir, d’autant qu’à l’usage, l’article 68 de la Constitution s’est révélé ambigu. Le mécanisme proposé est nécessaire et équilibré. Prétendre que le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, par leurs décisions de 1999 et de 2001, ont réglé la question, c’est aller vite en besogne. De toute façon, une jurisprudence ne suffit pas et le constituant doit dissiper toute zone d’ombre.

Le mécanisme est équilibré. La fonction de chef de l’État est protégée grâce à l’inviolabilité dont il jouit pendant la durée de son mandat, réserve faite des cas prévus par la Cour pénale internationale. En contrepartie, durant le mandat, tout délai de forclusion et de prescription est suspendu et, à son expiration, le titulaire de la fonction redevient un citoyen comme les autres.

D’autre part est instituée une procédure nouvelle de destitution. Ce n’est pas une révolution, et cette procédure ne peut jouer que dans des cas extrêmes et incontestables. Il ne faut surtout pas la confondre avec une procédure judiciaire. Les faits qui la fondent peuvent être qualifiés ou pas, avoir eu lieu pendant ou avant le mandat. La destitution est bien une procédure politique. D’autre part, il ne faut pas imaginer qu’on pourrait l’utiliser à volonté. C’est un pare-feu, pas un tison. Qui voudrait jouer à l’apprenti sorcier pourrait s’y brûler les doigts. Enfin, contrairement à l’impeachment américain, elle laisse le peuple souverain juger en dernier ressort, et réélire, s’il le veut, un président destitué.

Nous allons instituer une procédure solide, dont le caractère non partisan a été renforcé par la commission des lois et le groupe socialiste de l’Assemblée. Cette révision qui renforce et modernise la fonction présidentielle recueille l’approbation du groupe UMP de l’Assemblée. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jacques Brunhes (Groupe des député-e-s Communistes et Républicains – Assemblée nationale) – Selon l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme de 1789, « la loi doit être la même pour tous soit qu’elle punisse soit qu’elle protège ». Pour nous, ce principe doit s’appliquer à la responsabilité présidentielle.

Qu’il faille en préciser le régime, au vu des controverses doctrinales qui ont suivi la révélation des « affaires » de la mairie de Paris, et la contestable jurisprudence du Conseil constitutionnel à son égard, assurément, oui. Mais transformer l’Élysée en sanctuaire à la porte duquel les juges resteront, y compris pour recueillir un simple témoignage, comme on le propose ici, décidément non.

En effet, ce texte ne prévoit pas seulement l’immunité, légitime lorsqu’il s’agit des actes accomplis par le Président dans l’exercice de sa fonction. Il consacre aussi son inviolabilité pendant la durée de son mandat, pour les infractions commises antérieurement à ses fonctions ou sans rapport avec elles. De surcroît, cette inviolabilité s’étend au civil et à l’administratif. Ainsi, sa personne est inviolable et sacrée comme celle du roi au temps de la Constitution du 3 septembre 1791.

Des juristes aussi éminents que Léon Duguit ou Jean Foyer ont estimé que, pour les infractions détachables de ses fonctions, le chef de l’État doit répondre pénalement devant les tribunaux de droit commun, comme n’importe quel autre justiciable. C’est aussi notre opinion.

Quant à sa responsabilité politique en cours de mandat, selon le texte, le Président peut être destitué par le Parlement, constitué en Haute Cour, pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Quel est le sens de cette mesure dont l’incohérence est patente avec les institutions de la Ve République, selon lesquelles le Président n’est pas responsable devant l'Assemblée nationale ?

S’agit-il de créer l’illusion d’une démocratisation de la fonction présidentielle ? Illusion, car comment imaginer l’utilisation de cette procédure contre un Président de droite au vu de la composition conservatrice du Sénat, liée à son mode d’élection, et du « suivisme » des majorités présidentielles à l’Assemblée nationale ? S’agit-il plutôt d’affaiblir la position d’un Président de gauche, notamment en cas de cohabitation, seule hypothèse où le recours à cette procédure est envisageable ?

Enfin, celle-ci pourrait être déclenchée par l’une ou l’autre chambre, les mettant à égalité alors que la Constitution et l’élection au suffrage universel des députés confèrent à ces derniers une légitimité autre que celle des sénateurs (Murmures sur quelques bancs).

Ainsi, ce projet renforce le caractère monarchique du Président et, par la procédure de destitution, qui peut être utilisée de façon partisane, affaiblit la démocratie. Il ne pourra que conforter la méfiance des citoyens à l’égard des gouvernants et leur sentiment que la justice s’exerce différemment selon qu’on est puissant ou misérable. Il accentuera la dérive présidentialiste qui abaisse le Parlement, bipolarise la vie politique, rompt le lien entre l’expression du suffrage et l’exercice réel du pouvoir.

Dès lors, les députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, à la quasi-unanimité, voteront contre ce projet (Applaudissements sur quelques bancs).

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre IX de la Constitution.

Le scrutin est ouvert.
La séance, suspendue à 15 heures 30, est reprises à 16 heures 5.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : 869

Suffrages exprimés : 652

Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle :

(trois cinquièmes des suffrages exprimés) : 392

Pour l’adoption : 449

Contre : 203

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre IX de la Constitution, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le texte sera transmis à M. le Président de la République.

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interdiction de la peine de mort

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre – J’ai l’honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort. À quatre reprises, depuis la Révolution, le Parlement a eu à traiter de la peine de mort, et à quatre reprises les représentants du peuple français se sont divisés. On peut donc mesurer aujourd’hui le chemin parcouru : pour la première fois, la question peut être évoquée sereinement. Ce n’est plus un combat de gauche ou de droite. Il n’y a plus à invoquer l’esprit du catholicisme ou celui de la Révolution française. Nous pouvons nous unir dans la conviction que les devoirs les plus essentiels de l’humanité appellent l’abolition absolue de la peine de mort, en tout temps et en toutes circonstances.

La peine de mort n’a pas sa place dans un État moderne. La justice n’est pas la vengeance, le crime répondant au crime, mais la force sereine du droit contre la violence. L’honneur d’une civilisation est de refuser de verser le sang et de punir avec humanité ceux qui enfreignent ses lois. Il y aura toujours des voix pour affirmer l’effet dissuasif de la peine de mort. Pourtant rien ne l’a jamais prouvé, comme le montre d’ailleurs l’exemple des pays qui la pratiquent. Il y aura toujours des voix pour s’indigner des crimes les plus odieux, mais la dignité d’une grande démocratie est de refuser la loi du talion, de punir au lieu de venger.

Certains diront encore qu’en temps de guerre, dans des circonstances exceptionnelles, la peine de mort peut se justifier, mais c’est l’honneur d’une démocratie de rester fidèle à ses principes. C’est pour cette raison qu’il faut effacer la peine de mort du code pénal et du code de justice militaire mais aussi de la loi fondamentale : la peine de mort est illégitime en toutes circonstances, elle doit être abolie en toutes circonstances.

La décision historique que vous allez prendre couronnera le long engagement de la France dans ce domaine – d’abord celui de quelques hommes, comme Condorcet, Victor Hugo, Aristide Briand et Albert Camus, et aujourd’hui celui de la collectivité nationale tout entière, fière de ses valeurs et rassemblée autour des droits de l’homme. N’oublions pas le courage qui a été nécessaire, en 1981, à Robert Badinter, à François Mitterrand et à tous ceux qui les ont soutenus pour faire adopter la loi sur l’abolition de la peine de mort ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs)

N’oublions pas le choix européen, en 1986, du Protocole n° 6 sur l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Il y a quelque chose de grand, pour un peuple, à respecter les principes adoptés par une communauté de nations pour avancer toujours plus vers la justice et vers le droit.

À l’initiative de Jacques Chirac, notre pays va franchir une nouvelle étape. Cela aura été rendu possible par le travail exigeant et courageux de Philippe Houillon et de Robert Badinter, ce qui montre que la question dépasse les clivages. Nous pourrons ainsi ratifier le Protocole n° 13 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1989. Ce dernier était incompatible avec notre Constitution, le Conseil constitutionnel ayant jugé que l’abolition définitive de la peine de mort serait un engagement irréversible qui méconnaîtrait la souveraineté nationale. Il fallait donc passer par une révision constitutionnelle.

La France réalisera ainsi un progrès majeur et elle rejoindra les 16 pays européens et les 45 États du monde qui ont inscrit l’interdiction de la peine de mort dans leur texte fondamental.

Les mots « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » prendront place à l’article 66-1 de notre Constitution, au sein du titre VIII relatif à l’autorité judiciaire. Nous exclurons ainsi, définitivement, les crimes de guerre de la peine de mort, ce qui était une exigence de la démocratie : il suffit de penser aux résistants fusillés ou aux épurations sommaires pour se convaincre qu’il ne faut jamais accepter que nos principes cèdent en période de conflit.

Cette décision est le signe que la République progresse et grandit, pour son bien comme pour celui de tous les pays qui subissent aujourd’hui l’injustice et l’intolérance. Ce sera un symbole pour tous les peuples du monde, une étape pour de nouveaux progrès, et le résultat d’un combat mené avec les armes de l’humanisme et de la liberté (Applaudissements sur de très nombreux bancs).

Explications de vote

M. Jean-Michel Baylet (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen – Sénat) – Il est des circonstances où l’on doit être fier d’être législateur. En septembre 1981, encore jeune député, j’ai vécu un moment historique rare lorsque Robert Badinter est monté à la tribune de l'Assemblée nationale pour nous demander, dans un discours d’une extraordinaire hauteur de vue, de tenir le courageux engagement pris par François Mitterrand, devant une opinion pourtant majoritairement hostile, d’abolir la peine de mort.

J’ai participé avec fierté à ce progrès décisif, fruit de l’effort collectif de la nouvelle majorité, soutenu par des parlementaires de droite, dont Jacques Chirac lui-même, Jacques Toubon, ou encore Pierre Bas, infatigable militant de l’abolition.

Deux siècles plus tôt, Beccaria, Voltaire, Robespierre ou Hugo avaient déjà dépassé le débat moral pour l’amener sur le terrain juridique (Murmures sur plusieurs bancs). Avec éloquence et talent, ils avaient démontré que la peine de mort n’était pas dissuasive et que la justice parfois faillible ne devait pas s’armer d’une peine capitale (« Robespierre ? » sur divers bancs). Je veux bien réserver le cas de Robespierre.

Quoi qu’il en soit, mon plaidoyer est celui d’un homme épris de liberté. Si chaque citoyen abandonne une partie de sa liberté, dans le contrat social, à la collectivité, c’est précisément pour que celle-ci agisse mieux que les individus.

Mon instinct me pousserait comme tout le monde à vouloir tuer l’assassin d’êtres chers ou l’auteur d’un crime atroce. La société, pourtant, ne doit pas céder à ce réflexe. Chaque homme, quels que soient sa race, sa culture, sa religion ou son crime, incarne la condition humaine tout entière. En exécutant un criminel, c’est un peu de notre humanité que nous supprimons.

Le Conseil constitutionnel nous invite à mettre notre loi fondamentale en accord avec nos engagements internationaux et je suis fier de participer à l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans notre Constitution. Enfin, la suppression de cette pratique barbare devient irrévocable, quelles que soient les circonstances politiques.

Pour autant, ce combat qui s’achève en France doit se poursuivre ailleurs. Les États-Unis, notamment, doivent renoncer à la peine capitale, parce qu’une grande démocratie ne peut s’enorgueillir d’une justice où subsiste le meurtre raisonné. Cette année, cinq Américains ont déjà subi la peine de mort et dans trois jours, Newton Anderson sera exécuté au Texas. La Chine, l’Inde et le Japon font aussi partie des 69 pays qui appliquent encore ce châtiment.

« Il faut faire souvenir à tous les hommes qu’ils sont frères », disait Voltaire. Fidèle aux valeurs humanistes et partisan de l’abolition universelle de la peine capitale, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et les radicaux de gauche voteront naturellement ce projet de loi constitutionnelle (Applaudissements sur plusieurs bancs).

M. François Zocchetto (Groupe de l’Union Centriste - Union pour la Démocratie Française - Sénat) – Long est le combat contre la peine de mort. Il s’achèvera bientôt dans nos lois, mais il n’est pas fini dans les esprits, comme l’illustre le débat autour de la récente exécution de Saddam Hussein.

Ce texte répond à une exigence morale, politique et juridique. Tout d’abord, personne ne soutient plus que la peine de mort ait une valeur morale. À l’inverse, son abolition, par l’hommage qu’elle rend au droit à la vie, illustre le refus d’une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu’elle condamne. Utiliser la peine de mort contre les assassins, c’est adopter leurs valeurs. J’ajoute que les erreurs judiciaires sont encore trop fréquentes.

D’autre part, au plan international, l’inscription de l’interdiction de la peine capitale dans notre Constitution, par son caractère quasi irréversible, rapproche la France de toutes les nations ayant opté, à titre individuel et collectif, pour le rejet de l’exécution.

Exigence juridique enfin : pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. Or, en ce qui concerne le deuxième protocole facultatif du pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a estimé que sa ratification exigerait une révision de la Constitution. C’est l’objet du présent projet de loi.

L’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, c’est enfin un message aux Chinois …

M. Jean-Christophe Lagarde – « Justice rapide » !

M. François Zocchetto – …qui exécutent allégrement les opposants politiques, à certains pays du Golfe qui lapident des femmes dont le seul crime est l’amour, et aux États-Unis, qui ont oublié qu’ils sont aussi le pays des droits de l’Homme.

Près de 95% des exécutions qui ont lieu dans le monde frappent des Chinois, et les informations récoltées, même lacunaires, font frémir. Les organes principaux des condamnés sont prélevés pour être greffés sur d’autres personnes. Pire encore, un marché de la greffe d’organes existe – pour les riches évidemment. Les exécutions sont même parfois programmées aux fins de commandes déjà enregistrées.

Une telle situation ne peut rester sous silence, alors que la Chine se prépare à accueillir les Jeux olympiques, et que la France va signer un traité d’extradition avec elle. Certains se laissent entraîner par le mirage chinois en évoquant imprudemment la célérité de la justice en Chine (Applaudissements sur plusieurs bancs). La Chine peut évoluer si nous persévérons.

Voilà pourquoi le groupe UC-UDF votera cette révision constitutionnelle qui consolide le choix abolitionniste de 1981.

M Philippe Folliot (Groupe de l’Union pour la Démocratie Française – Assemblée nationale) – « Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne », écrit Victor Hugo dans Actes et Paroles.

La longue marche vers l’abolitionnisme est avant tout l’une des plus belles démonstrations des progrès de notre civilisation.

Il a fallu attendre le 9 octobre 1981 et la volonté commune de François Mitterrand et Robert Badinter pour que la loi abolissant la peine de mort soit promulguée, malgré la réticence d’une majorité de nos concitoyens. Voilà la grandeur du politique : ne pas toujours suivre l’opinion, être à l’avant-garde, même au risque de la contredire. Le Général de Gaulle nous l’a montré le 18 juin 1940, lui qui fut condamné à mort par contumace.

Parce qu’elle est irréversible, parce qu’elle interdit la deuxième chance, parce qu’elle n’a pas d’effet sur la criminalité et parce qu’elle est une violation des droits fondamentaux de l’être humain, la peine de mort doit être abolie à jamais et partout dans le monde.

Or, même si plus de la moitié des États membres des Nations unies l’ont abolie en droit ou en fait, elle est toujours utilisée dans un certain nombre de pays, notamment en Chine.

Deux siècles après que Le Peletier de Saint-Fargeau a demandé l’abolition de la peine capitale, à la première assemblée parlementaire qu’ait connue la France, l’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution est aujourd’hui le dernier pas d’une longue marche qui a débuté avec Voltaire et continué avec Hugo.

Ce projet a certes une portée plus symbolique que juridique et politique : l’état actuel du droit international rend déjà quasi impossible la réinstauration de la peine de mort, ne serait-ce que parce qu’elle obligerait la France à quitter l’Union européenne. Charte européenne des droits fondamentaux, protocoles n° 6 et n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, pacte international des droits civils et politiques : la France dispose déjà d’un arsenal juridique conséquent pour la défendre d’un éventuel rétablissement de la peine de mort.

Par ailleurs, notre groupe souhaite mettre en garde la représentation nationale contre la tentation grandissante de vouloir inscrire de plus en plus de mesures dans notre norme suprême.

La multiplication excessive des dispositions symboliques dans les articles de la Constitution – plutôt que dans son préambule – pourrait se révéler à terme contre-productive. Notre Constitution ne doit pas devenir un texte de principes, un fourre-tout dénué de portée normative. Elle doit au contraire organiser la séparation des pouvoirs et garantir le respect des droits fondamentaux. De plus, le groupe UDF regrette que ces modifications constitutionnelles interviennent en toute fin de législature.

Toutefois, il ne peut qu’apporter son soutien à ce projet de loi justifié tant sur le plan moral que sur le plan politique et juridique. Du point de vue moral, exécuter ceux qui tuent, c’est faire siennes leurs valeurs. Du point de vue politique, l’inscription de l’interdiction de toute peine capitale dans notre Constitution, par son caractère quasi irréversible, rapproche la France de toutes les nations qui ont opté pour le rejet de la peine capitale.

Enfin, du point de vue juridique, pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France doit ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. Or, le Conseil constitutionnel a estimé que la ratification du deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques exigerait une révision de la Constitution. Le présent projet permettra donc que la France participe à cet instrument d’abolition universelle de la peine de mort.

Comme l’a écrit Dostoïevski dans Crime et châtiment : « Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l’assassinat. »

M. le Président – Monsieur Folliot…

M. Philippe Folliot – Inscrire l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, c’est à la fois l’affirmer comme valeur fondamentale et souscrire aux engagements internationaux les plus forts.

Parce que seule la peine capitale mérite la peine de mort, le groupe UDF et apparentés votera en faveur de cette révision constitutionnelle (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Mme Éliane Assassi (Groupe Communiste, Républicain et Citoyen - Sénat) – Notre Parlement, réuni en Congrès, va accomplir un acte historique, qui s’inscrit dans le prolongement du mouvement abolitionniste né en France au siècle des Lumières et qui s’est concrétisé par l’adoption de la loi du 9 octobre 1981 de Robert Badinter, alors garde des sceaux.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat se réjouissent unanimement de l’inscription dans notre Constitution des mots : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Ils s’en réjouissent d’autant qu’ils sont, depuis longtemps, engagés dans le combat abolitionniste aux côtés d’associations ou d’organisations nationales, européennes et internationales. Partisans de l’éradication universelle du châtiment suprême, les communistes défendent cette conviction forte avec courage et détermination, persuadés que ce combat ne peut connaître ni exceptions ni justifications d’ordre politique, philosophique ou religieux.

La constitutionnalisation de l’abolition de la peine de mort, que nous attendions depuis longtemps, permettra à la France d’adhérer au second protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1989, et de ratifier le protocole n° 13 additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances.

Il s’agit bien de rendre l’abolition de la peine de mort irréversible dans notre pays, et impossible son rétablissement en cas de guerre ou d’événements exceptionnels.

Juridiquement nécessaire en ce qu’il répond à une recommandation du Conseil constitutionnel, le texte est d’une importance primordiale en ces temps troubles, marqués par le terrorisme et les guerres, où la tentation est grande, chez les nostalgiques de la guillotine, de rétablir la peine de mort en certaines circonstances. Comment ne pas regretter que certains parlementaires français ne soient pas insensibles à cette tentation !

Mais inscrire l’abolition dans notre texte fondamental ne constitue pas une fin en soi. Cette démarche doit marquer un nouvel élan, vers l’universalité de l’abolition de la peine capitale, toujours en vigueur dans soixante-dix-huit pays où près de 2 000 personnes attendent leur exécution.

La France doit continuer de dénoncer, partout où elle est pratiquée, cette loi du talion, traitement inhumain, cruel et dégradant, contraire aux droits de l’homme.

Inefficace contre la criminalité, irréparable en cas d’erreur judiciaire, la peine capitale qui est, de surcroît, davantage prononcée à l’encontre des membres des minorités ethniques et des plus démunis, est toujours synonyme de l’échec de la justice, de l’échec d’une société. Je me félicite de son recul dans le monde, mais je déplore que trop d’États continuent de l’appliquer et que d’autres aient repris les exécutions après des moratoires prolongés.

Nous devons tous nous engager avec plus de force encore pour obtenir la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale dans l’ensemble des États et faire ainsi grandir les valeurs qui fondent notre idée de la justice dans les démocraties. Cet objectif est loin d’être atteint puisqu’en Chine, aux États-Unis, au Japon, dans les pays arabes, en Iran et malheureusement dans bien d’autres États encore, on continue de prononcer des condamnations à mort et de les exécuter parfois pour de simples délits.

Atteindre ce but exige une mobilisation accrue des politiques nationale, européenne et internationale, qui doit s’accompagner d’une vigilance constante pour éviter toute régression. C’est un travail de longue haleine, mais indispensable, car l’éradication universelle de la peine de mort est synonyme de pacification et d’humanisation des relations internationales, par le renforcement des droits de l’homme.

Vous l’aurez compris, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat voteront en faveur de l’inscription dans notre Constitution de l’abolition de la peine capitale, démarche qui nous honore tous.

Je forme le vœu que ce que nous accomplissons aujourd’hui contribue au mouvement universel en faveur de l’abolition de la peine de mort.

Comme l’a dit le cinéaste américain Arthur Penn : « Quand nous tuons au nom de la société, c’est toute la société qui est diminuée par cet acte. » De fait, chaque condamnation à mort et chaque exécution sont des défaites pour l’humanité. En ce sens, nous contribuons aujourd’hui à faire progresser l’humanité vers plus d’humanité. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Marie-George Buffet (Groupe des député-e-s Communistes et Républicains – Assemblée nationale) – Il nous revient aujourd’hui de donner un nouveau signe au monde comme d’autres l’ont fait, contre la « barbarie » que dénonçait déjà en son temps Victor Hugo. Ainsi déclarait-il en 1848, devant l’Assemblée constituante : « Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine ».

Au moment de prendre la parole, j’ai en mémoire les insoutenables images de ces condamnés à mort exécutés par leurs bourreaux qui ont circulé il y a peu, au moment de la mort par pendaison de Saddam Hussein. Il n’existe aucune bonne raison de tuer et un État qui se comporte comme ceux qu’il prétend juger se fragilise.

Il y a quelques jours, Paris a accueilli le troisième Congrès mondial contre la peine de mort où se sont retrouvés mille représentants des abolitionnistes du monde. J’étais avec eux place de la Bastille et, au moment où nous allons accomplir un acte d’une haute valeur symbolique et politique, je tiens à les saluer.

En inscrivant l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution, nous allons confirmer le vote du 9 octobre 1981. Certains, peu nombreux mais à haute voix, souhaitent pourtant son rétablissement, et je regrette qu’en janvier encore, plusieurs parlementaires aient cru légitime de demander qu’elle soit appliquée aux auteurs d’actes terroristes.

Le combat abolitionniste est, on le sait, héritier des Lumières. Voltaire s’y est rallié en 1777, et les grandes voix qui le portèrent ensuite – Hugo, Briand, Jaurès, Camus – nous honorent. Près d’une centaine de propositions de loi tendant à l’abolition furent déposées au Parlement entre 1791 et 1981. En 1981, la gauche a été courageuse, et je remercie Robert Badinter pour le combat qu’il mena pour que la justice, en France, ne soit plus une justice qui tue. Vingt-cinq ans plus tard, une majorité de nos concitoyens considère que ce choix est irrévocable. Depuis 1981, plusieurs pays ont aboli la peine capitale en droit ou en fait, mais ils sont soixante-dix-huit qui continuent d’exécuter.

Le chantier reste immense. Amnesty international estime à 2 148 le nombre de personnes exécutées en 2005, et à 20 000 celui des condamnés qui attendent de l’être. La Chine, les États-Unis, l’Iran et l’Arabie Saoudite sont à eux seuls responsables de 80 % des exécutions.

Le combat abolitionniste est donc toujours d’actualité, et le vote du Congrès y participe.

Dans tous les pays où la peine de mort existe encore, nous devons être solidaires des voix, aussi timides soient-elles, qui la combattent.

Nous savons aussi, hélas, que dans les périodes troublées, la tentation affleure de substituer la vengeance à la justice et de légaliser le crime d’État pour punir le crime. L’horreur du 11 septembre 2001 a produit des lois liberticides ainsi que l’inconcevable camp de Guantanamo.

Et puis, trop souvent, la peine de mort s’associe à la raison d’État, cette raison qui, selon le mot de Voltaire, consiste à « donner à l’État la licence d’agir sans raison ». C’est sans doute ce qui se passe pour le journaliste noir Mumia Abu Jamal, condamné à la peine capitale en 1982, aux États-Unis, à l’issue d’un procès truqué. Je l’ai rencontré en avril, à la prison de Waynes-Burg. Je n’oublierai jamais ce terrible univers carcéral ni le message de cet homme, symbole des victimes d’une machine judiciaire qui est le miroir grossissant des discriminations sociales et ethniques de la société dénoncées par Bianca Jagger, admirable abolitionniste américaine. Aux États-Unis, 3 000 condamnés attendent leur exécution. Pourtant, la peine de mort n’est-elle pas incompatible avec la démocratie et le respect des droits de l’homme ?

Toutes les grandes nations qui la pratiquent – la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon en particulier – ont des comptes à rendre à la communauté internationale. Partout doit être banni ce châtiment barbare. Notre vote engagera les plus hautes autorités de l’État à mener clairement ce combat pour l’abolition, quels que soient leurs interlocuteurs.

Dans son livre Des délits et des peines, Cesare Beccaria s’interrogeait en 1764 : « En vertu de quel droit les hommes peuvent-ils se permettre de tuer leurs semblables ? », ajoutant : « Ce droit n’est certainement pas celui sur lequel reposent la souveraineté et les lois. » Et il concluait par ces mots : « Si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité. »

Aujourd’hui, l’adoption du présent projet renforcera la proposition du gouvernement italien d’un moratoire universel dans les États membres des Nations unies. C’est avec cet espoir que les député-e-s communistes et républicains voteront le texte, confiants que l’abolition universelle adviendra un jour.

Je conclurai par un vœu : qu’en 2008, aux Jeux olympiques de Pékin, le moratoire universel soit devenu une réalité (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. le Président – La parole est à M. Badinter (Vifs applaudissements sur de très nombreux bancs).

M. Robert Badinter (Groupe Socialiste - Sénat) – Voici un quart de siècle, la peine de mort était abolie en France. Voici vingt ans, l’abolition est devenue irréversible, par la ratification du 6e protocole annexe à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui interdit aux États signataires de recourir à la peine de mort. Aujourd’hui, nous sommes conviés par le président Chirac, abolitionniste de longue date, à inscrire dans la Constitution un nouvel article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à mort ».

Cette constitutionnalisation apparaît comme l’aboutissement du long combat mené en France par tant de hautes consciences, de Voltaire à Hugo et Camus, de Condorcet à Schoelcher et Jaurès… Et je tiens, à cet instant, à rappeler devant le Congrès le souvenir du président Mitterrand, car c’est à son courage et à sa volonté politique que nous devons l’abolition de la peine de mort en France en 1981 (Applaudissements prolongés sur de très nombreux bancs).

Cette révision aura des conséquences juridiques. Elle permettra à la France de ratifier le 2e protocole additionnel au pacte sur les droits civils et politiques des Nations unies, lequel conforte l’abolition dans les États signataires. Nous souhaitons – M. le Premier ministre l’a évoqué – que soit ratifié à cette occasion le 13e protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui a la même finalité.

Mais cette révision revêt surtout une portée symbolique et morale considérable. En l’inscrivant dans le titre VIII de la Constitution, consacré à l’autorité judiciaire, la République française proclame qu’il ne saurait plus jamais y avoir en France de justice qui tue.

Cette révision, enfin, s’inscrit dans les progrès constants de la cause de l’abolition, en Europe et dans le monde. En 1981, nous étions le trente-cinquième État à abolir la peine de mort. Vingt-cinq ans plus tard, sur près de 200 États qui composent l’ONU, 129 sont abolitionnistes ; c’est dire que l’abolition est devenue majoritaire parmi les États du monde.

En Europe, dans notre continent ravagé pendant tant de siècles par la pire des criminalités – en particulier dans la première moitié du XXe siècle –, la peine de mort a partout disparu, à l’exception de la Biélorussie, dernier des États staliniens. Quel progrès pour la civilisation européenne !

Je rappelle qu’en 2003, la Cour européenne de droits de l’homme, qui dit le droit en matière de libertés pour tout le continent, a condamné la peine de mort, en la considérant comme « une sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n’est plus autorisée par le convention européenne des droits de l’homme ». La Cour a marqué ainsi solennellement que l’abolition se fonde sur le premier des droits de l’homme, celui du respect absolu de sa vie, qu’aucun État démocratique ne saurait violer.

Dans l’ordre international, conventions et déclarations se sont succédé. Je citerai, simplement parce qu’il est très riche de sens, le traité de Rome de 1998 créant la Cour pénale internationale, dont on sait qu’elle a pour mission de lutter contre les pires criminels qui soient, mais dont les statuts ont exclu de recourir à la peine de mort.

Ainsi, l’humanité va de l’avant, même si certains États – la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite, et, aussi, hélas, les États-Unis, grande république amie – voient se succéder, trop souvent encore, condamnations et exécutions. C’est pourquoi la France se doit d’être partout présente quand il s’agit de combattre la peine de mort. En ce moment même, nous devons nous mobiliser pour que les cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien (Applaudissements sur tous les bancs), condamnés à mort en Libye, au mépris de toute justice, soient, par notre action, sauvés.

Il nous faut de même soutenir l’action entreprise par la présidence allemande de l’Union européenne, qui, dans une résolution toute récente, vient de demander « la mise en place sans conditions, d’un moratoire universel sur les exécutions capitales ». Ce moratoire doit inspirer la trêve olympique – qui remonte à la Grèce antique – sur la peine de mort, que nous réclamons à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, en 2008. Mais il ne suffit pas d’un moratoire sur les exécutions. Il faut aussi un moratoire sur les condamnations elles-mêmes. Car nous refusons que s’accroisse plus longtemps la masse des milliers de condamnés à mort dans le monde, parmi lesquels il y a, nous le savons, des innocents, qui peuplent les quartiers des condamnés à mort pendant des années, voire des décennies, dans l’attente angoissée de l’aube prochaine, qui sera peut-être la dernière.

Tant que, dans ce monde, on pendra, on décapitera, on empoisonnera, on lapidera, on suppliciera, toutes celles et tous ceux qui considèrent le droit à la vie comme un absolu moral, tous ceux-là ne doivent pas connaître de répit.

Je veux dire au Congrès, en cet instant, ma conviction absolue : la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde comme la torture, parce qu’elle est une honte pour l’humanité. Jamais, nulle part, elle n’a fait reculer la criminalité sanglante. Pis, elle transforme le terroriste en martyr ou en héros pour ses partisans. La peine de mort ne défend pas la société des hommes et des femmes libres, elle la déshonore.

Aussi refusons-nous toujours et partout que, sous couleur de justice, la mort soit la loi. Pendant la guerre civile d’Espagne, à Tolède, les fascistes espagnols criaient : « Viva la muerte ! » Qu’avons-nous, enfants de la liberté, à voir avec ce blasphème sanglant ? « Que vive la vie ! », c’est cela le sens de tout le combat pour l’abolition de la peine de mort. A cet instant, où nous accomplissons le vœu de Victor Hugo en 1848, l’abolition « pure, simple, irréversible », j’ajouterai seulement, pour la France, « universelle » (Presque tous les parlementaires se lèvent et applaudissent longuement).

M. le Président – Puisse, Monsieur le président Badinter, votre message être entendu partout dans le monde, car c’est la voix de la France.

M. Jack Lang (Groupe Socialiste – Assemblée nationale) – Je voudrais exprimer, au nom des députés socialistes, notre sentiment de reconnaissance et d’admiration – et pour beaucoup d’entre nous d’amitié – pour Robert Badinter. Mieux que quiconque, il a su dire le sens du vote que nous allons accomplir. Il s’agit donc de consacrer l’abolition de la peine de mort dans notre Constitution. Et je veux, comme il l’a fait lui-même, remercier le président Chirac, non seulement d’avoir voté la loi de 1981, mais aussi de nous inviter, à présent, à accomplir cet acte (Applaudissements sur de nombreux bancs).

Cet acte, cher Robert, chers collègues, nous oblige, un peu partout à travers le monde, à nous battre, à agir, à faire pression, à intervenir pour que, le plus tôt possible, ce châtiment indigne ait disparu de la planète.

En cet instant, nous ressentons de la fierté d’accomplir ensemble, quelles que soient nos convictions politiques, cette révision de la Constitution. Je souhaiterais en porter témoignage au nom des députés socialistes (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Hugues Portelli (Groupe Union pour un Mouvement Populaire - Sénat) – « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a pas de Constitution », proclame la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. « Une Constitution qui, au XIXe siècle, contient une quantité quelconque de peine de mort, n’est pas digne d’une République », ajoutera Victor Hugo. Combien de décennies aura-t-il fallu attendre pour que ces principes soient reconnus et respectés dans notre pays ? Certes, la constitutionnalisation de l’interdiction de la peine de mort réjouit tous les défenseurs des droits de l’homme, mais elle ne doit pas nous faire oublier que la France n’a aboli que tardivement cette peine inhumaine et qu’elle ne compte pas parmi les premiers pays à introduire cette interdiction dans sa loi fondamentale.

Un tel événement constitue un hommage à toutes les générations de combattants pour la dignité de la personne humaine et pour une justice respectueuse du droit à la vie. L’abolition de la peine de mort est une décision politique qui s’enracine dans le choix d’individus éclairés, soutenue par un mouvement international qui s’est traduit par des traités successifs. Sa traduction constitutionnelle démontre que, dans des cas aussi essentiels, il n’est pas possible de s’en remettre a priori à la volonté populaire, à la société civile ou à la décision des juges. Si, en 1981, un référendum avait été organisé sur la peine de mort, celle-ci aurait été maintenue. Après le vote du Parlement, guidé par les positions courageuses de François Mitterrand, Robert Badinter et Jacques Chirac, l’opinion a lentement évolué, se rendant enfin compte que la peine de mort, injuste moralement, était inefficace pénalement et socialement.

De même, l’observation des prises de position des grandes institutions religieuses montre qu’elles n’ont été ni unanimes ni rapides pour traduire dans leur enseignement social ce qui aurait dû naturellement découler de leur conception de l’homme. Au nom de la responsabilité de l’homme et de sa liberté de choisir entre le bien et le mal, certaines ont longtemps justifié l’acceptation de la peine de mort par la nécessité d’assumer les conséquences de ses fautes, proportionnellement à leur gravité. Il a fallu que le caractère sacré de la vie humaine soit posé comme un absolu pour que l’abolition de la peine de mort l’emporte enfin.

Enfin, l’expérience des États-Unis prouve, lorsque l’on examine les volte-face successives de la Cour Suprême, qu’une question aussi fondamentale ne peut être tranchée sous l’angle de la procédure juridictionnelle : la réponse à cette question doit s’appuyer sur un choix éthique qui ne peut être confié au juge mais dont la responsabilité incombe à la représentation nationale.

Dès lors que le législateur avait aboli la peine capitale et que la ratification des protocoles additionnels à la convention européenne des droits de l’homme comme l’acceptation de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg empêchaient le législateur de revenir sur sa décision, pourquoi introduire cette interdiction dans la Constitution ? Certes, la ratification par la France du deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui ne prévoit pas de possibilité de dénonciation, impose, selon le Conseil constitutionnel, une révision de la Constitution. Mais si cette révision a pris la forme d’une déclaration solennelle incluse dans le titre relatif à l’autorité judiciaire, c’est que le motif essentiel est d’une autre nature.

En 1958, notre Constitution avait pour priorité de reconstruire l’État, de restaurer sa souveraineté et ses institutions. Ses rédacteurs firent l’économie d’une déclaration solennelle des droits et s’en remirent à un renvoi aux grands textes fondateurs : Déclaration de 1789, grandes lois républicaines de la IIIe République, préambule de la Constitution de 1946. Ce renvoi n’avait cependant pas valeur de droit positif et il fallut attendre les décisions courageuses du Conseil constitutionnel pour qu’il en aille autrement.

Ces dernières années, sous l’influence du droit européen et international, la Constitution a intégré la protection de nouveaux droits fondamentaux. Désormais, c’est elle qui impose à l’État, à son Parlement et à ses tribunaux de respecter les droits du citoyen et, notamment, le droit à la vie. Il ne s’agit pas seulement d’interdire aux tribunaux de prononcer des peines « cruelles et inhabituelles », comme pourrait le faire la Cour Suprême américaine si elle lisait avec humanité le VIIIe amendement de la Constitution des États-Unis, mais de retirer purement et simplement à l’État le droit de vie ou de mort sur ses citoyens, au nom d’un droit international supérieur, d’essence morale, qui transcende toutes les souverainetés.

Cette révision n’est pas seulement la dernière étape d’un long mouvement historique parti du siècle des Lumières. Elle est surtout la reconnaissance par la République française de normes éthiques supérieures qui s’imposent aux États, et que nous devons défendre dans tous les États où la peine de mort n’est pas abolie, notamment dans les grandes démocraties comme les États-Unis ou le Japon. Elle ne clôt pas le débat sur le fonctionnement de notre justice, l’état de notre système pénitentiaire, ou le respect de la personne humaine jusque dans les prisons de la République. Là aussi, le chemin est encore long pour conduire la France au niveau des grandes démocraties d’Europe. Cette révision clôt encore moins le débat juridique sur la vie et la mort ou sur le statut du corps humain. L’interdiction absolue de la peine de mort sous-entend cependant une approche naturaliste et non positive du droit, une conception de l’homme comme être spirituel et pas simplement biologique. C’est l’honneur du politique que d’avoir tranché en faveur de la conception la plus noble et la plus exigeante de la personne humaine ! Le groupe UMP du Sénat, unanime, ne peut que la partager (Applaudissements sur de nombreux bancs).

M. Philippe Houillon (Groupe de l’Union pour un Mouvement Populaire – Assemblée nationale) Ce Congrès est celui des promesses tenues, des engagements remplis, de la parole de l’État honorée. Par trois fois, l'Assemblée nationale s’est engagée, suivie par le Sénat. Cet engagement doit être aujourd’hui confirmé. Dans le même mouvement, la nation réunie dans une expression unique doit également approuver cette troisième révision, qui portera haut le message humaniste de notre pays.

Nous n’avons pas besoin de la peine de mort, en aucune circonstance. En inscrivant son interdiction dans notre Constitution, nous nous plaçons dans un double mouvement.

Le premier, c’est celui de l’Histoire. Nous avons mis du temps avant de nous débarrasser de la guillotine, mais en 1981, par une loi ordinaire défendue par M. Badinter, que je salue, nous avons décidé de renoncer à la peine de mort en toute circonstance. La page du talion est tournée.

Le second mouvement, c’est celui du continent européen. Plus aucun des quarante-six membres du Conseil de l’Europe ne pratique la peine de mort et un grand nombre d’entre eux a constitutionnalisé cette interdiction. Je rappelle d’ailleurs que l’Italie, comme nous, est en train de supprimer définitivement la peine de mort, en toute circonstance, de son texte constitutionnel.

Nous devons à présent ratifier les deux instruments internationaux les plus précis dans la lutte contre la peine de mort : le premier est le plus abouti des traités européens, le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui abolit la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre, sans réserve possible ; le second traité, le plus universel, a été signé sous l’égide des Nations unies. Il s’agit du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques.

Pendant des décennies, la formule selon laquelle « tout condamné à mort aura la tête tranchée » a été donnée en exemple de précision et de concision, notamment par Stendhal. Elle sera avantageusement remplacée par la disposition qui nous est proposée, selon laquelle « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

M. Yves Bur – Très bien.

M. Philippe Houillon – Cette phrase conserve la sobriété de la formulation, mais traduit une confiance et un espoir en l’homme qui manquaient singulièrement à la précédente.

Notre Congrès s’honorera en s’inscrivant à la suite de la prestigieuse théorie des artisans les plus talentueux de l’abolition que furent ceux dont les noms ont été cités précédemment.

En inscrivant l’interdiction de la peine capitale dans notre Constitution, nous affirmons que la peine de mort ne fait plus et ne fera plus partie des moyens d’action de l’État, et que notre démocratie est plus forte que le crime, que notre République est plus forte que les terroristes et que notre justice est plus forte que la pire des injustices.

Pour ce dernier Congrès de la législature, je souhaite que nous approuvions unanimement un tel projet, qui honore le Parlement (Nombreux applaudissements).

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort.

Le scrutin est ouvert.
La séance, suspendue à 17 heures 15, est reprise à 17 heures 45.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : 876

Suffrages exprimés : 854

Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle :

(trois cinquièmes des suffrages exprimés) : 513

Pour l’adoption : 828

Contre : 26

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort (Applaudissements sur de très nombreux bancs).

Il a été approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le texte sera transmis au Président de la République.

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clôture de la session du congrès

M. le Président – L’ordre du jour du Congrès étant épuisé, je déclare close la session du Congrès du Parlement.

La séance est levée à 17 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

© Assemblée nationale