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Deuxième séance du jeudi 22 juillet 2004

45e séance de la session extraordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

LIBERTÉS ET RESPONSABILITÉS LOCALES

Discussion, en deuxième lecture,
d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales (nos 1711, 1733).

Rappels au règlement

M. René Dosière. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. Mon rappel au règlement est fondé sur l'article 58, alinéa premier, de notre règlement.

Au moment où s'engage le débat sur la « mère des réformes », comme le Premier ministre se plaît à appeler ce texte, je souhaiterais quelques éclaircissements sur le déroulement de nos travaux. Hier soir, pendant la discussion du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, la commission des lois a profité d'une interruption pour se réunir et examiner les amendements portant sur le présent texte. Nous avons alors constaté qu'une partie de nos amendements n'étaient pas parvenus à la commission. Ils n'ont donc pas pu être étudiés.

Le président de la commission des lois nous a indiqué qu'il envisageait une nouvelle réunion au titre de l'article 91 du règlement. Au moment d'entamer les débats sur le présent projet de loi, nous souhaiterions savoir à quel moment cette réunion aura lieu. Si on interprète strictement le règlement, elle peut intervenir avant la discussion des articles, ce qui, en l'espèce, ne serait guère avant minuit. Même si un tel délai permettrait sans doute à tous nos amendements de parvenir à destination, ce ne serait guère convenable. Il serait sans doute plus opportun de la réunir, par exemple, après l'examen des deux premières motions de procédure. Mais peut-être le rapporteur peut-il nous donner quelques précisions ?

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Je prends également la parole en vertu de l'article 58 de notre règlement.

Je tiens à saluer les six députés du groupe UMP - sept en comptant M. le président de la commission des lois - (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) présents en séance pour entendre M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur ce texte que M. le Premier ministre considère comme « la mère des réformes », la plus importante de son mandat...

M. Christophe Caresche. Qui s'achève !

M. Didier Migaud. Cela montre que l'organisation du travail parlementaire, soumise aux ordres du Gouvernement, est complètement ubuesque et, me semble-t-il, en complète contradiction avec les discours que nous tenons, les uns et les autres, sur la nécessité de réhabiliter l'institution parlementaire.

Je voudrais surtout m'exprimer en tant que membre de la commission des finances. J'ai cru comprendre, hier, que cette commission serait à l'origine du retard pris dans l'examen des amendements déposés sur le texte que nous examinons aujourd'hui. D'une certaine façon, elle aurait empêché la commission des lois de se réunir à cette fin.

M. René Dosière. On nous l'a dit, en effet !

M. Didier Migaud. Je m'en étonne, car il n'est pas dans les usages que la commission des finances puisse ainsi retarder le déroulement de nos travaux. Nous aimerions en savoir plus, madame la présidente, et que l'on nous précise quand la commission des lois va pouvoir se réunir pour examiner nos propositions.

Nous avons déjà montré, au moment de l'examen du projet de loi sur l'assurance maladie et de celui relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, notre souci d'être constructifs. Nous avons présenté des propositions qui méritaient que l'on en débatte. Nous sommes donc inquiets du sort que la commission des lois pourrait réserver à certains de nos amendements. Avant d'entamer, madame la présidente, la discussion générale sur ce texte, nous souhaiterions donc que le président de la commission des lois nous rassure quant au bon déroulement de nos travaux.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Mes chers collègues, bis repetita placent, et je suis donc heureux d'avoir l'occasion de répéter ce que j'ai déjà expliqué hier soir. Je rappelle que la commission a siégé hier soir à partir de vingt heures au titre de l'article 88 du règlement. Nous étions saisis d'un peu plus de 4 000 amendements...

M. René Dosière. Il n'y en avait pas tant !

M. Pascal Clément, président de la commission. ...au caractère répétitif (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste) et dont l'auteur était, à l'évidence, une machine à traitement de texte. À de nombreuses reprises, en effet, on trouvait le même amendement signé par chacun des 170 députés socialistes !

M. Jean-Marie Geveaux. C'est scandaleux !

M. Pascal Clément, président de la commission. Je veux bien parler du droit d'amendement mais, comme l'observe le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, dans l'excellent entretien qu'il a accordé à un journal du soir au nom cosmopolite, ...

M. Didier Migaud. M. Accoyer n'est pas la meilleure des références !

M. Pascal Clément, président de la commission. ...on peut s'interroger sur le droit d'amendement quand l'auteur est une machine.

M. Didier Migaud. Parce que vous remettez en cause le droit d'amendement, maintenant ? Bravo !

M. René Dosière. De toute façon, si l'on en juge par son comportement lorsqu'il était dans l'opposition, M. Accoyer est mal placé pour en parler !

M. Pascal Clément, président de la commission. Bien entendu, il n'est pas question de remettre en cause le droit d'amendement. Ce que je ne reconnais pas, c'est le droit de la machine à amender. Si, toutefois, vous revendiquez ce droit, il s'agit d'un nouveau débat !

M. Didier Migaud. C'est grotesque !

M. Pascal Clément, président de la commission. Je n'aurais pas osé le dire, mais, puisque vous lâchez le mot, je le reprends : c'est effectivement grotesque.

M. Bernard Accoyer. Le mot est en effet bien choisi !

M. Didier Migaud. C'est vous qui êtes grotesque !

Mme la présidente. Mes chers collègues, le débat est en train de déraper...

M. Pascal Clément, président de la commission. Ne dites pas que je suis grotesque parce que je critique le fait de faire fabriquer 4 000 amendements par une machine. Vous pouvez toujours affirmer que vous ne l'êtes pas vous-même - ce qui est déjà bien téméraire -, mais vous ne pouvez m'empêcher de le penser !

Hier, à partir de vingt heures, la commission des lois a donc examiné ces amendements, sur lesquels je ne reviendrai pas maintenant que l'Assemblée est informée de leur nature mécanique.

M. René Dosière. Il y en avait très peu en discussion !

M. Pascal Clément, président de la commission. J'ai levé la séance à vingt heures quarante. La séance publique a repris à vingt-deux heures, et vous avez alors affirmé que d'autres amendements issus de votre groupe, et probablement perdus dans quelque labyrinthe, n'étaient pas parvenus à temps à la commission des lois. J'apprends à l'instant, par un membre de la commission des finances, que celle-ci pourrait être à l'origine du retard.

M. René Dosière. C'est le président de séance qui nous l'a dit hier ! Ne suivez-vous donc pas les débats ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Permettez-moi, monsieur Dosière, s'agissant de ce que je n'ai pas pu constater moi-même, de rester prudent et d'employer le conditionnel.

M. Dosière connaît parfaitement l'article 88 du règlement, mais l'article 91, alinéa 10, ne manque pas non plus d'intérêt. Il prévoit en effet que le rapporteur et le président de la commission peuvent juger si une nouvelle réunion de la commission est ou non opportune.

M. René Dosière. Elle l'est, en l'occurrence !

M. Pascal Clément, président de la commission. Sans avoir pris d'engagement, j'ai fait part, hier, de mon penchant, à savoir que nous pourrions très bien, avant l'examen des articles - c'est-à-dire après la discussion générale -, étudier les amendements restants, dont j'espère qu'ils sont d'une nature différente de celle que j'ai décrite tout à l'heure. Dans le cas contraire, je me concerterai avec le rapporteur, et il n'est pas exclu que nous jugions inutile de les faire examiner par la commission. Des amendements fabriqués par une machine n'ont en effet rien à voir avec le droit d'amendement, qui, lui, est sacré.

M. Didier Migaud. C'est scandaleux !

M. Jean-Pierre Brard. C'est discrétionnaire !

M. Didier Migaud. Arbitraire !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes impérial, monsieur le président de la commission !

M. Pascal Clément, président de la commission. On ne grandit pas sa pensée en employant des mots inadaptés à la situation.

M. Jean-Pierre Brard. Vous savez ce que disait Marx...

M. Pascal Clément, président de la commission. Non, et je ne veux pas le savoir. Contrairement à vous, monsieur Brard, je n'ai pas fait de Marx un guide politique. Je vous le laisse.

M. Jean-Pierre Brard. C'est pourtant une inspiration !

Mme la présidente. Monsieur Brard, laissez M. le président de la commission s'exprimer.

M. Pascal Clément, président de la commission. Selon que ces amendements sont ou non dignes de la discussion parlementaire, nous verrons, le rapporteur et moi, s'il est opportun de demander à la commission de les examiner.

M. Michel Piron. Voilà qui est sage !

M. Pascal Clément, président de la commission. C'est ce que prévoit le règlement de notre assemblée. Dans tous les cas de figure, nous le respecterons, et c'est la seule chose qui compte. Jusqu'à présent, vous ne l'avez invoqué que pour des raisons politiques, mais, comme vous le savez, il s'agit d'une attitude dont l'intérêt m'échappe un peu.

M. Jean-Pierre Brard. Nous le savons : vous-même, vous ne faites pas de politique...

M. Pascal Clément, président de la commission. Je souhaite maintenant que le débat puisse s'engager sur ce projet, ô combien important, de décentralisation. Arrêtez, mes chers collègues, de perdre du temps à ratiociner sur le règlement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cessez d'employer de grands mots, ou de nous prêter l'intention de limiter le droit d'amendement - chose que, à Dieu ne plaise, nous ne pourrions jamais envisager de faire ! Revenons au travail parlementaire, dont nous sommes devant les Français responsables de la qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche, pour un rappel au règlement.

M. Christophe Caresche. L'attitude du président de la commission des lois n'est pas acceptable. Il caricature notre position.

M. Dominique Richard. C'est malheureusement inutile !

M. Christophe Caresche. Nous avons déposé, sur le présent texte, des amendements à peine plus nombreux que sur le projet de loi relatif à la réforme de la sécurité sociale. Or ce débat a eu lieu normalement. D'ailleurs, M. Debré a envoyé une lettre de félicitations à l'ensemble des députés pour souligner les conditions exemplaires dans lesquelles il s'est déroulé.

M. Didier Migaud. Tout à fait. Et s'agissant de la « mère des réformes », nous pouvons faire au moins aussi bien !

M. Christophe Caresche. Nous voulons discuter de ce projet de loi sur la décentralisation dans les mêmes conditions.

Que s'est-il passé en commission des lois ? Nous avons déposé un certain nombre d'amendements, bien avant que celle-ci se réunisse, mais le vice-président nous a expliqué hier soir qu'ils ne pourraient pas être tous examinés, pour des raisons techniques - tout simplement parce que le service de la séance n'avait pas eu le temps de les traiter, dans la mesure où ils avaient été préalablement déférés devant la commission des finances pour examiner leur conformité avec l'article 40 de la Constitution.

Ce que nous demandons est simple, monsieur le président de la commission : nous voulons que la commission se réunisse pour que nous puissions accomplir normalement notre travail. Vous ne pouvez priver l'opposition du droit de voir ses amendements examinés en commission, comme cela se fait habituellement.

Je trouve votre réponse pour le moins provocatrice. On a le sentiment, dans cette affaire, que c'est vous qui voulez pratiquer l'obstruction.

M. Jean-Marie Geveaux. N'inversez donc pas les rôles !

M. Christophe Caresche. Vous donnez le sentiment de vouloir abréger ce débat. Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons le mener sereinement. C'est pourquoi nous vous demandons une réponse claire : allez-vous, oui ou non, réunir la commission pour qu'elle achève le travail commencé hier soir ?

Mme la présidente. D'après les renseignements que j'ai, monsieur Caresche, tous les amendements ont été examinés de façon tout à fait normale.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Si ces amendements avaient été examinés, madame la présidente, le président de la commission des lois, dont nous connaissons la bonne foi, n'affirmerait pas qu'il y a 4 000 amendements répétitifs.

M. Bernard Accoyer. Si !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, et un tel amalgame qui vise à faire croire que nous faisons n'importe quoi quand nous exerçons nos responsabilités d'élus de l'opposition est inacceptable.

M. Jean-Pierre Balligand. Accoyer faisait de l'obstruction quand il était dans l'opposition !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je prends, modestement, l'exemple du travail que j'ai effectué au sein de notre groupe sur les problèmes du logement. J'ai dû déposer une cinquantaine d'amendements, et je conteste qu'ils soient sortis d'une machine à photocopier. Ils portent la marque de nos compétences partagées, ils prolongent des débats que nous avons eus, et ils engagent celui que nous annonce le ministre de la cohésion sociale. Il y a des débats de fond à avoir, qui impriment celui sur la décentralisation, et nous voulons qu'ils aient lieu dans ce cadre.

Monsieur le président de la commission des lois, vous ne pouvez pas dire que tous ces amendements sont inacceptables. La commission des lois en a d'ailleurs retenu quelques-uns.

M. Jean-Marie Geveaux. C'est l'exception qui confirme la règle !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. À défaut de retenir notre rédaction, elle a retenu des réflexions qui étaient partagées.

On a terminé hier soir le débat sur la loi organique. Il a été d'une rare compétence, et je salue Jean-Pierre Balligand, René Dosière et Didier Migaud, qui ont largement discuté avec vous, monsieur le ministre délégué à l'intérieur. Aucun amendement de l'opposition n'a été retenu, le seul qui ait été retenu, c'est celui de M. Geoffroy, le rapporteur.

M. Didier Migaud. Même quand on reprenait les amendements du Premier ministre quand il était sénateur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

Autant vous dire qu'il y a un gouffre entre ce que dit le président de la commission des lois et la réalité du droit de l'opposition à amender et à exercer son mandat.

Nous voulons un débat de fond sur la décentralisation, et nous ne lâcherons pas, d'autant qu'il y a une majorité en France contre ce dispositif.

M. Bernard Accoyer. Non !

M. Didier Migaud. Tous les élus sont contre !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je le dis solennellement pour écarter toutes les manipulations qui pourront avoir lieu pour expliquer telle ou telle attitude ou l'usage de tel article de la Constitution, nous voulons qu'on parle de cette décentralisation,...

M. Guy Geoffroy. Ouvrons le débat !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...qui va s'abattre comme une chape de plomb sur nos régions, nos communes et nos EPCI. Nous voulons que le débat ait lieu (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), à partir de la confrontation des conceptions que nous avons de la liberté locale et de la démocratie locale.

Nos amendements s'inscrivent parfaitement dans la démarche de décentralisation que nous avons toujours portée depuis 1982. Prétendre que c'est de l'obstruction (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), c'est insulter notre mandat et nos responsabilités, et, du même coup, ceux qui nous ont élus.

Enfin, nous voulons travailler tranquillement,...

M. Michel Piron. C'est manifeste !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...mais en ayant préparé le débat. Ce que veut l'opposition, c'est savoir quelle est la position de la commission des lois sur tel et tel de nos amendements. Je me souviens qu'il y a quelques semaines, sur un autre texte, le Gouvernement a présenté des amendements qui en ont fait tomber des centaines d'autres, de la majorité comme de l'opposition.

Bref, nous voulons un vrai débat. La commission des lois va-t-elle examiner les amendements que nous avons déposés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Si vous voulez que le débat s'engage dans de bonnes conditions, laissez M. Dosière s'exprimer cinq minutes.

M. Guy Geoffroy. Pas plus !

Mme la présidente. Je surveille !

M. Guy Geoffroy. Nous aussi !

Mme la présidente. Le président de la commission répondra, et le débat pourra ensuite s'engager.

Vous avez la parole, monsieur Dosière.

M. René Dosière. Madame la présidente, je suis particulièrement surpris des propos de la présidence et de la présidence de la commission des lois.

Mme la présidente. De quelle présidence parlez-vous ? De la mienne ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Ça dérape !

M. René Dosière. Non ! Simplement, les réponses qu'on nous donne aujourd'hui aux questions que nous posons sont différentes de celles qu'on nous a données hier soir, et j'aimerais tout de même avoir des réponses claires. Si j'ai insisté hier sur le fait que nos amendements n'avaient pas été examinés par la commission, c'est parce que, selon le règlement, cela permet au ministre de refuser qu'ils soient examinés en séance. M. Copé nous a dit qu'il ne le ferait pas, on a tendance à le croire, mais, si les propos changent d'un jour à l'autre, pourquoi l'attitude ne changerait-elle pas ?

Le président de la commission des lois, qui exerce une présidence intermittente, puisqu'il n'est pas toujours là (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), nous a répondu que ces amendements seraient examinés en application de l'article 91, mais il vient de revenir sur sa position en expliquant qu'ils ne seraient examinés que s'ils sont acceptables, ce qui est tout de même assez incroyable.

M. Jean-Marie Geveaux. Tout ça, c'est du bavardage !

M. René Dosière. Nous souhaitons que nos amendements soient examinés par la commission, comme c'est la règle, et nous vous demandons donc à quelle heure elle va se réunir. Si c'était avant la discussion des articles, c'est-à-dire vers onze heures du soir ou minuit, ce ne serait pas très convenable. Nous ne sommes pas responsables du déroulement de nos travaux.

La présidence de l'Assemblée nous a dit hier soir que nos amendements n'avaient pas pu être examinés par la commission des lois parce qu'ils étaient encore soumis à la recevabilité financière.

Mme la présidente. Exactement ! Ils ont maintenant été traités.

M. René Dosière. Je vous demande donc, madame la présidente, au nom de mon groupe, une suspension de séance d'une demi-heure pour que chacun puisse faire le point.

Mme la présidente. M. Brard a demandé la parole. Je donnerai ensuite la parole au président de la commission et, en fonction de ses réponses, vous verrez si vous maintenez votre demande de suspension de séance qui, de toute façon, ne sera pas d'une demi-heure.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Nous ne nous sommes pas encore exprimés jusqu'à présent. Tout le monde sait de quoi nous allons parler et vous avez pu lire dans les gazettes ce qu'il faut en penser, n'est-ce pas, monsieur le ministre ?

C'est en fin de compte une sorte de texte testamentaire qui nous est soumis. Le principal impétrant sait bien que les jours lui sont comptés. Il a donc sorti les forceps pour essayer d'accélérer le processus. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Tout ça dans un contexte de dérapage de la vie publique, vous avez vu ce qui s'est passé chez Bosch, et cela sent la fin de règne.

M. Jean-Claude Lenoir. C'est la démocratie !

M. Jean-Pierre Brard. Non, c'est le chantage, la contrainte et la rupture du contrat social. Vous devriez relire Rousseau, cela vous ferait le plus grand bien.

M. Jean-Claude Lenoir. Passéiste !

M. Jean-Pierre Brard. Ce débat est donc le fruit de la volonté du Premier ministre et de lui seul, chacun le sait, il suffit de lire ce qu'a dit le président de notre assemblée, et qui était particulièrement sensé, ou ce que disent certains de nos collègues de l'UMP.

M. Didier Migaud. Dans les couloirs !

M. Jean-Pierre Brard. Je n'imagine pas que le député de Valmy, ici présent, bazarde l'héritage de notre État accumulé patiemment par les générations de républicains qui ont milité pour ce corpus social, ce corpus de libertés locales qui plonge ses racines dans le Moyen Âge.

Et puis, faire droit aux propositions de M. Dosière et de M. Caresche, c'est sortir M. de Villepin d'un mauvais pas. Chacun connaît M. de Villepin, c'est un vrai jacobin en dépit des apparences (Sourires), et il n'est pas prêt à accepter le démantèlement de l'État républicain, surtout après les élections du printemps qui montrent bien qu'il n'y a pas du tout de consensus sur ce texte. Les élections de 2002 ont eu lieu dans des conditions exceptionnelles que ne permettent pas de tirer des créances à crédit. Si vous êtes démocrate pas seulement dans les mots mais dans les faits, il faut intégrer cette réalité, ramener la sérénité, prendre du temps, écouter ce qui se dit dans les régions.

Monsieur de Villepin, vous qui fûtes si brillant quand vous parlâtes au nom de la nation à New York, nous n'attendons pas moins de vous maintenant. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission. D'abord, rien ne me touche davantage que de voir mes collègues socialistes s'inquiéter du respect du règlement...

M. René Dosière. On l'a toujours respecté !

M. Pascal Clément, président de la commission. ...par la commission des lois. Je peux leur donner acte de notre volonté commune de respecter d'une manière sourcilleuse notre règlement.

M. Didier Migaud. Déjà on ne vous croit plus !

M. Pascal Clément, président de la commission. Cela dit en exergue, je rappelle que nous sommes en deuxième lecture,...

M. Didier Migaud. Cela ne nous a pas échappé !

M. Pascal Clément, président de la commission. Ce qui vous a peut-être échappé, c'est que nous avons déjà examiné 1 650 amendements en première lecture, que le Sénat en a examiné 1 400, et que nous en sommes donc à plus de 3 000.

Personne n'imagine une seconde que votre subtilité intellectuelle puisse aller au-delà de 3 000 ajustements de la pensée.

M. Jean-Pierre Brard. Ne voyez pas les autres à votre image !

M. Pascal Clément, président de la commission. On peut faire mieux, j'en suis sûr,...

M. Jean-Pierre Brard. On peut toujours progresser !

M. Pascal Clément, président de la commission. ...mais 3 000 amendements, vous permettant d'affirmer le raffinement de votre pensée, ont été examinés par l'Assemblée et le Sénat et leurs commissions respectives.

Jeudi dernier, la commission s'est réunie au titre de l'article 46, et, pendant quatre heures, nous avons examiné le plus sérieusement du monde 300 amendements.

M. René Dosière. C'étaient tous des doublons ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Absolument pas !

M. René Dosière. Alors !

M. Pascal Clément, président de la commission. Ces amendements avaient une valeur incontestable, qu'il n'appartient à personne de juger. Une grande partie d'entre eux ont été repoussés. Le règlement de notre assemblée donne pouvoir au président de la commission et à son rapporteur de décider s'il est utile ou pas de se réunir à nouveau. Le rapporteur et moi-même aurons donc à prendre une décision le moment venu, lorsqu'on nous aura apporté les amendements.

M. René Dosière. Vous ne les avez pas encore ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Pour le moment, je ne les ai pas tous !

En voici deux, par exemple, que je prends au hasard. Le premier a trait au schéma économique, uniquement pour la région Alsace.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui !

M. Pascal Clément, président de la commission. Ça ne manque pas d'intérêt...

M. Jean-Pierre Brard. C'est un cas d'espèce, l'Alsace ! C'est la seule région qui vous reste !

M. Pascal Clément, président de la commission. Il n'y a aucune arrière-pensée, ça n'échappe à personne. Cela vaut-il la peine de réunir la commission pour se demander si on va l'accepter ou pas ?

Le second exemple n'est pas mal non plus. Nous avons quatre lignes de définition sur les objectifs du développement économique.

M. René Dosière. Vous avez donc les amendements !

M. Pascal Clément, président de la commission. Puisque vous parlez sans cesse depuis hier de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, vous savez comme moi que, s'il y a une chose qui agace au plus haut point le Conseil constitutionnel, c'est ce qu'il appelle le bavardage législatif. Cette définition du développement économique que vous voulez introduire dans la loi, ce n'est rien d'autre que du bavardage ! Le rapporteur et moi devons-nous déranger l'ensemble des commissaires aux lois pour déclarer que de tels amendements sont du bavardage et donc les repousser ? Je n'ai procédé qu'à un bref sondage. Nous verrons, au vu des amendements qui nous sont proposés, si nous devons réunir la commission.

Si vous voulez travailler de façon raisonnable, commençons la discussion générale. À la lumière des amendements qui nous seront remis, la commission se réunira, s'il le faut, avant l'examen des articles.

Soyez assurés en tout cas que nous respecterons scrupuleusement le règlement de notre assemblée. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Dosière, maintenez-vous votre demande de suspension de séance ?

M. René Dosière. Plus que jamais ! C'est bien la première fois que le président de la commission des lois attend de voir si des amendements lui semblent acceptables pour savoir s'il réunira la commission. C'est invraisemblable !

Je vous demande, madame la présidente, de saisir le président de l'Assemblée. Nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions, ainsi soumis au bon vouloir du président de la commission des lois !

M. Pascal Clément, président de la commission. C'est le règlement !

M. René Dosière. Oui, mais tous les amendements n'ont pas pu être étudiés au titre de l'article 88 !

M. Pascal Clément, président de la commission. Vous êtes partis avant !

M. René Dosière. Je demande une suspension de séance d'une demi-heure.

Mme la présidente. Je vous accorde dix minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. René Dosière. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. À la suite de la réunion de mon groupe, je souhaiterais connaître le sort qui sera réservé à nos amendements. Tous nos amendements - ceux du moins qui auront été déclarés financièrement recevables - seront-ils présentés en séance ? Par ailleurs, le Gouvernement usera-t-il de la possibilité que lui donne l'article 44, deuxième alinéa, de la Constitution de refuser les amendements qui n'auront pas été examinés par la commission des lois ?

Mme la présidente. Monsieur le député, je vous confirme que tous les amendements viendront en séance. Pour répondre à votre deuxième question, la parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur Dosière, le Gouvernement est animé aujourd'hui du même esprit qu'hier, avant-hier et tous les jours qui ont été consacrés au débat sur la décentralisation. C'est un esprit d'ouverture, de dialogue et de respect des droits du Parlement. Nous voulons que ce débat progresse et nous permette de parvenir, in fine, à l'adoption du projet de loi, afin de pouvoir réaliser le travail encore nécessaire en vue de sa mise en application au 1er janvier.

Dans cet esprit, il va de soi qu'à l'heure où je vous parle, le Gouvernement n'entend pas utiliser, par exemple, les dispositions prévues par l'article 44 alinéa 2 de la Constitution. Vous m'avez, d'ailleurs, déjà posé hier cette question, et je vous ai fait la même réponse.

Dans ce contexte, je vous propose d'entrer maintenant dans le vif du sujet. Dominique de Villepin et moi-même brûlons d'impatience d'aller au fond, et sommes à la disposition de l'Assemblée nationale.

Ouverture de la discussion

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Didier Migaud. M. Lurel avait demandé la parole pour un rappel au règlement.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est le ministre qui a la parole !

Mme la présidente. Monsieur Lurel, vous aurez la parole après le ministre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Migaud. Ce n'est pas normal !

Mme la présidente. Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Didier Migaud. Pour la « mère des réformes », où est le Premier ministre ?

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous sommes jeudi 22 juillet. Le soleil est à son apogée. La France veille et nous regarde peut-être, monsieur Brard, monsieur Dosière, monsieur Le Bouillonnec. Hélas, la Grande Boucle approche de sa fin sur les Champs-Élysées, et un Américain va peut-être gagner.

M. Didier Migaud. Et bientôt, ce sera la voiture-balai !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dans la sérénité de cet hémicycle, nous œuvrons, Gouvernement et Parlement, comme il est naturel, à la tâche, convaincus que notre peine n'est pas vaine,...

Un député du groupe socialiste. La peine, vous l'aurez !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...qu'au-delà des circonstances, c'est bien l'histoire de notre pays qui est en marche, et qu'il y va de l'organisation de notre nation au service de nos compatriotes.

Nous venons de prouver qu'en politique comme en amour, les préliminaires n'étaient pas toujours vains. (Sourires.) Ils ont leur importance ! Alors, avec audace, avec imagination et détermination, entrons, si vous le voulez bien, dans le vif du sujet ! (Sourires.)

M. René Dosière. Toujours de l'audace !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Le projet de loi que nous allons examiner a pour objectif l'amélioration de l'efficacité de l'action publique à laquelle participent les collectivités locales et les services déconcentrés de l'État.

Depuis ma prise de fonctions au ministère de l'intérieur, j'ai toujours manifesté, avec Jean-François Copé, mon souhait de mettre en œuvre cette réforme dans les délais prévus, soit le 1er janvier 2005. Je rappelle que l'entrée en vigueur de ce texte suppose une cinquantaine de décrets d'application : cela oblige ! Je souhaite donc que ce travail d'élaboration puisse s'engager rapidement, afin que les collectivités territoriales aient le plus tôt possible une connaissance précise de la mise en œuvre de cette loi. Il s'agit là d'un principe de responsabilité.

Soyez assurés de ma volonté de travailler avec les élus locaux dans un esprit de confiance. Cela exige, de la part du Gouvernement, une grande clarté sur les responsabilités nouvelles confiées aux collectivités locales et sur les moyens qu'elles recevront à cet effet. Cela exige également que nous leur donnions le temps indispensable pour s'organiser et se préparer à exercer leurs nouvelles compétences.

La décentralisation doit constituer un puissant levier de la réforme de l'État. C'est pourquoi la déconcentration et la réorganisation des services de l'État au niveau local sont bien pour moi une priorité. Ce travail de rationalisation de l'action territoriale a déjà été engagé, mais je souhaite que l'effort soit poursuivi pour que les collectivités locales puissent s'adresser à des interlocuteurs de l'État qui répondent pleinement à leurs attentes.

Le renforcement de l'échelon régional de l'État est en cours, les modalités d'une nouvelle articulation entre le préfet de région et les préfets de département ont été précisées, ainsi que la réorganisation des instances régionales de pilotage. Un important travail de réorganisation des services de l'État au niveau départemental complétera celui qui a déjà été lancé à l'échelon régional.

Grâce à ces mesures, la décentralisation ne remettra pas en cause la cohérence de l'État. C'est pourquoi j'ai souhaité que soit réaffirmée l'unité de l'État territorial et des services qui la composent sous l'autorité du préfet.

Cette deuxième lecture a été précédée d'une réelle écoute de la part du Gouvernement. Nous avons engagé, avec Jean-François Copé, un important travail de consultation et de concertation. Le Premier ministre, qui avait lui-même entamé ces discussions en recevant, le 19 avril, les présidents des conseils régionaux, les a poursuivies en recevant à nouveau ces derniers le 6 juillet, après la deuxième lecture du texte au Sénat.

M. René Dosière. Alors, pourquoi réduit-il leurs pouvoirs ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Jean-François Copé et moi-même avons rencontré les associations représentatives d'élus et les organisations syndicales. Enfin, un travail approfondi a été réalisé avec les commissions parlementaires concernées des deux assemblées.

Lors de ces consultations, nous avons été clairs sur deux points essentiels : il n'est pas question de remettre en cause le principe même de la réforme, ni les 135 articles votés conformes par l'Assemblée nationale et le Sénat, qui ne sont plus ouverts à la discussion.

M. Guy Geoffroy. C'est clair !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ensemble, nous devons améliorer ce texte en lui apportant les modifications indispensables, sans pour autant en bouleverser l'économie générale.

La deuxième lecture du Sénat a déjà permis d'enrichir le projet. L'esprit de la loi reste le même : elle transfère aux régions le développement économique et la formation professionnelle,...

M. René Dosière. Non ! On diminue leurs pouvoirs !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...aux départements l'action sociale et la gestion d'une grande partie du réseau des routes nationales. Elle transfère aussi la gestion des personnels techniques, ouvriers et de service...

M. Gérard Bapt. Hélas !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il était temps !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...et certains personnels des directions départementales de l'équipement.

Le Sénat a souhaité élargir le champ des expérimentations prévues par le projet de loi. L'expérimentation préalable permet, en effet, de donner une plus grande souplesse à la mise en œuvre du transfert de compétences. Elle permet surtout, avant généralisation, d'en évaluer les résultats. Ainsi, le transfert de la protection judiciaire de la jeunesse pourra être expérimenté par le département qui le souhaitera. La gestion des fonds européens pourra être attribuée aux régions qui le demanderont. Dans le même esprit, un amendement sénatorial a prévu la mise en œuvre expérimentale, dans un premier temps, d'un schéma régional de développement économique.

M. René Dosière. Avant, il était obligatoire !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cet amendement répond à la crainte de certains élus de voir la région exercer une tutelle sur les autres niveaux de collectivités...

M. René Dosière. C'est le passage à gauche des régions qui vous a fait changer votre texte !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'esprit de la décentralisation n'est pas de créer une hiérarchie entre les niveaux de collectivités. Il était donc tout simplement plus prudent d'expérimenter une telle réforme avant de la généraliser à tout le territoire.

M. René Dosière. Entre-temps, le corps électoral s'est prononcé !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cette expérimentation permettra de dresser un bilan, dans cinq ans, de ses avantages et de ses inconvénients. Le Gouvernement a donc émis un avis favorable sur l'amendement proposé par le sénateur Doligé, et nous souhaitons que la rédaction de l'article 1er issue des travaux du Sénat soit maintenue par l'Assemblée nationale.

Le Sénat a modifié certaines dispositions concernant les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, auxquels la loi prévoit la possibilité de déléguer la gestion des logements sociaux. Avec l'accord des maires, un président d'EPCI compétent en matière d'habitat pourra se voir déléguer, sous le contrôle du préfet, le contingent préfectoral de réservation de logements sociaux.

M. René Dosière. Quel abandon de l'État !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les communautés de communes pourront quant à elles, sans condition de seuil, solliciter une délégation des aides à la pierre, dès lors qu'elles auront élaboré un programme local de l'habitat. Enfin, une procédure allégée sera instituée pour ce programme, notamment en cas d'extension de périmètre de l'EPCI.

Vous allez maintenant débattre de toutes ces questions. Un grand nombre d'entre elles me semblent être des améliorations que le Gouvernement souhaiterait voir adopter par l'Assemblée nationale.

Avant de conclure, je voudrais saluer le travail remarquable de la commission des lois, en remerciant tout particulièrement son président, M. Pascal Clément, et son rapporteur, M. Alain Gest, pour leur précieuse contribution à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. C'est peut-être un peu trop !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous arrivons, je l'espère, au terme de ce long processus législatif, qui va durablement modifier le paysage institutionnel de notre République, désormais décentralisée. Au cours du débat, nous aurons l'occasion de vous apporter toutes les garanties sur les compensations financières des transferts de compétences, de rappeler la volonté du Gouvernement de respecter les principes désormais constitutionnels de l'autonomie financière des collectivités territoriales et de la compensation à l'euro près. Nous vous confirmerons aussi notre souci que les transferts de personnel s'effectuent dans les meilleures conditions possibles. Cette loi doit marquer une étape importante dans l'amélioration des services rendus à nos concitoyens, et je sais que votre assemblée a conscience de l'importance de cet enjeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)

M. Didier Migaud. C'est le service minimum, monsieur le ministre !

M. Gérard Bapt. Des préliminaires cursifs !

Rappels au règlement

M. Victorin Lurel. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour un rappel au règlement.

M. Victorin Lurel. Je l'avais déjà demandé bien avant l'intervention de M. le ministre. Il est fondé sur l'article 58 et concerne le déroulement de notre séance.

J'aimerais comprendre comment fonctionne notre assemblée. J'ai fait 8 000 kilomètres, alors que je suis président de région, que j'ai du travail et de l'ouvrage,...

M. Pascal Clément, président de la commission. Cumulard ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel. ...pour participer à ce débat. J'avais l'intention d'y être actif. Nous avons été reçus le 22 juin dernier par M. Copé, ici présent, et par Mme Girardin, ministre de l'outre-mer. J'étais représenté par mon deuxième vice-président, ancien député, Ernest Moutoussamy. Nous avons été reçus le 6 juillet par M. le Premier ministre, qui nous a même demandé d'adresser nos amendements au Gouvernement, lequel en ferait son affaire.

Or, j'apprends à l'instant que Mme la ministre de l'outre-mer vient de déclarer, sur les ondes de RFO, que le Gouvernement refusera les amendements déposés par les quatre présidents de régions d'outre-mer (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Gérard Bapt. Quel mépris !

M. Victorin Lurel. ...au motif qu'il y aurait un problème juridique. Pourtant, les amendements acceptés au Sénat n'ont pas soulevé de problèmes ni de querelles juridiques, et la commission des lois de l'Assemblée nationale a accepté les amendements déposés, notamment ceux concernant le transfert des TOS.

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas un rappel au règlement.

M. Victorin Lurel. La commission a admis qu'il fallait un délai supplémentaire pour nous permettre de digérer cette affaire. En région Guadeloupe, j'ai 600 TOS laissés par mon prédécesseur - c'est déjà beaucoup -, et j'en recevrai 350 de plus ! En région Île-de-France, ils sont 2 000, il y en aura 12 000 de plus ! C'est donc une question importante, qu'il faut examiner.

M. François Hollande. Bien sûr !

M. Victorin Lurel. Cela n'a pas posé de problèmes au Sénat, ni à la commission. M. Accoyer lui-même vient de dire que le Gouvernement pourrait l'accepter en l'état.

J'ai déposé, avec beaucoup d'autres collègues, des amendements qui n'ont pas été examinés par la commission. Je demande donc à son président d'accepter de les examiner avant que nous ne commencions la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen et M. Guy Geoffroy. Il a déjà répondu !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Gérard Bapt. M. Clément est en train de lire Gala !

M. Pascal Clément, président de la commission. Madame la présidente, je n'ai toujours pas été saisi de ces amendements. Je ne peux donc pas vous donner un avis sur leur recevabilité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je suis tout de même très étonnée de votre réponse.

La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. Madame la présidente, je comprends de moins en moins ce qui se passe. Certains des amendements dont a parlé notre collègue Lurel, ceux qui concernent le transfert des TOS, ont été acceptés par la commission.

M. Xavier de Roux. On va les examiner !

M. René Dosière. Il s'agit de donner aux départements d'outre-mer un délai supplémentaire pour effectuer ce transfert, étant donné les disparités qui existent. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Vous avez voté contre ! Ayez le courage de le dire !

M. René Dosière. Si la ministre est opposée à ces amendements, il est important qu'elle vienne en séance pour nous expliquer quelle est la position du ministère de l'outre-mer.

Mme la présidente. Nous allons d'abord interroger M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission. Tout d'abord, je présente mes excuses à notre collègue de la Martinique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. De la Guadeloupe !

M. Pascal Clément, président de la commission. De la Guadeloupe ! Pardonnez-moi ce lapsus.

M. Gérard Bapt. Vous ne connaissez pas la France !

M. François Hollande. Et si on vous avait appelé président de la Haute-Loire, monsieur Clément ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Cela ne m'aurait pas vexé ! Monsieur le premier secrétaire, pourquoi la Haute-Loire serait-elle vexante ? Un département pourrait-il être vexant par rapport à un autre ? Pour le premier secrétaire, un département serait vexant par rapport à un autre ! Je suis profondément choqué. Cela ne vous ressemble pas, monsieur Hollande. En tout cas, la Martinique et la Guadeloupe ont la même place dans mon cœur, c'est-à-dire la toute première ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur le président de la commission, revenons à notre sujet.

M. Pascal Clément, président de la commission. J'ai cru que M. Lurel évoquait des amendements nouveaux. Pour ce qui est des amendements qui ont été présentés par nos collègues de l'outre-mer, je tiens à dire combien j'ai admiré leur patience lors de notre réunion : ils sont restés pendant près de quatre heures, fort silencieusement ; puis, ils ont défendu leurs amendements, sans aucune pression de quiconque.

M. François Hollande. Heureusement !

M. Pascal Clément, président de la commission. Je tiens à dire que l'exécutif, c'est une chose, et le législatif, c'en est une autre. La commission n'a pas retenu ces amendements, mais ce serait une erreur de considérer qu'il y a eu, de la part de l'exécutif, une pression quelconque. Monsieur Lurel, je vous donne ma parole que nous n'en avons subie aucune.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas nécessaire, vous avez une mentalité de valets !

M. Pascal Clément, président de la commission. Que le Gouvernement ait pris connaissance de ces amendements et qu'il ait constaté qu'ils avaient été repoussés par la commission, on ne peut pas lui en faire grief.

Mme la présidente. Nous verrons ce qu'il en sera au cours de l'examen des amendements.

Reprise de la discussion

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes excellent, monsieur Gest, pour dénoncer les sectes, y compris quand elles sont à Matignon ! (Sourires.)

M. Alain Gest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Merci, monsieur Brard, d'avoir de la mémoire !

Madame la présidente, monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, monsieur le ministre délégué à l'intérieur, mes chers collègues, avec la deuxième lecture du projet de loi sur les libertés et responsabilités locales, nous abordons la dernière partie de cette deuxième grande étape de décentralisation qu'ont souhaitée le Président de la République et le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Et vous me permettrez de souligner d'entrée la caractéristique essentielle de la démarche engagée, à savoir l'ampleur de la concertation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Balligand. Il y a de quoi rire !

M. Alain Gest, rapporteur. Souvenons-nous, en effet, que les grandes lignes de ce texte avaient été présentées par Jacques Chirac, au cours de la campagne présidentielle, et que les candidats de l'UMP en avaient fait un engagement lors des élections législatives.

M. René Dosière. Ils sont moins enthousiastes aujourd'hui !

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas vrai, monsieur Dosière !

M. Alain Gest. Dès l'automne 2002, l'organisation des Assises des libertés locales avait permis de recueillir les avis de 55 000 personnes et de susciter environ 600 propositions très concrètes. Faisant suite à cet exemple de démocratie participative (Rires sur les bancs du groupe socialiste), le Gouvernement a proposé de doter notre pays d'une véritable organisation décentralisée, dont le principe a été affirmé en tête de notre constitution grâce à sa révision de mars 2003.

M. Jean-Marie Geveaux. Les socialistes ne savent pas ce qu'est la démocratie participative !

M. Alain Gest, rapporteur. Ça, je l'avais déjà constaté.

Ont découlé de cette révision trois lois organiques, portant sur le référendum local, sur l'expérimentation par les collectivités territoriales et, enfin, sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, dont nous venons, cette nuit même, d'achever l'examen. Entre l'annonce de ce projet et notre discussion d'aujourd'hui, deux ans et demi ont passé.

M. Jean-Pierre Brard. Un vrai chemin de croix !

M. Alain Gest, rapporteur. Monsieur Brard, comme vous avez de la mémoire, comparez avec 1982 : trois mois bâclés, sans démocratie participative. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Voilà la réalité de ce débat.

M. Jean-Pierre Balligand. On va voir le résultat !

M. Jean-Pierre Brard. On l'a déjà vu !

M. Alain Gest, rapporteur. On le verra.

Je tiens à dire à nos collègues de l'opposition, notamment socialiste, que nous abordons cette deuxième lecture dans un climat d'ouverture et de débat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Qui peut objectivement soutenir que le débat n'a pas eu lieu ou qu'il se déroule dans la précipitation ?

M. Jean-Pierre Balligand. Demandez-le aux électeurs !

M. Alain Gest, rapporteur. S'agissant du texte que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, le temps du débat était d'ailleurs parfaitement justifié par l'ampleur de la réforme.

Celle-ci, loin d'être purement technique, concerne effectivement la vie quotidienne de nos compatriotes, du logement au tourisme, en passant par les transports ou l'action sociale. Elle représente 11 milliards d'euros de compétences transférées et concerne 130 000 agents de l'État. Il était donc logique que le Sénat et l'Assemblée nationale aient eu à examiner de l'ordre de 3 000 amendements à ce jour, comme l'a rappelé le président de la commission des lois. En février et mars dernier, notre assemblée avait apporté de notables améliorations au texte, notamment à l'initiative de notre rapporteur de l'époque, Marc Philippe Daubresse, à qui je tiens à rendre hommage. Le Sénat, en deuxième lecture, a largement cautionné notre travail en adoptant conformes près de 80 des 197 articles

C'est donc dans la continuité de ce travail et dans un esprit d'écoute et de conciliation que votre commission des lois a abordé cette deuxième lecture. Comme le texte qui nous est soumis comporte peu de sujets qui font encore réellement divergence entre nos deux assemblées, votre rapporteur vous proposera le plus souvent de vous en tenir à la rédaction du Sénat.

Ce projet de loi s'articule autour de quatre grands axes, dont le principal concerne le transfert de compétences. Avant d'aborder les deux principaux sujets sur lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat présentent des appréciations différentes, à savoir l'économie et le logement, j'évoquerai les quelques points qui suscitent encore des interrogations dans les autres domaines.

La région est définitivement confirmée comme responsable de la formation professionnelle. Il nous appartiendra, d'une part, de préciser si nous souhaitons ou non que celle-ci demeure de la compétence de l'État s'agissant des Français établis hors de France et, d'autre part, de déterminer si la mission d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes et des adultes est également du ressort des régions.

Concernant le volet « infrastructures », la suppression de l'article sur les péages des routes express ayant été confirmée par le Sénat, il nous reste à arrêter les critères régissant la définition du domaine public national. Notre commission des lois a préféré la vision décentralisatrice qu'avait exprimée son président, et l'a donc rétablie.

Dans le domaine des grands équipements, le Sénat a supprimé l'expérimentation du transfert des ports que nous avions souhaitée, notamment par souci d'harmonisation avec le transfert des aérodromes. Ce transfert suscite encore des interrogations chez certains de nos collègues, et nous en débattrons. Pour ce qui concerne les aérodromes et les canaux, je vous propose de retenir la proposition du Sénat qui, tout en maintenant la prééminence de la région, accorde une dérogation quand ces infrastructures sont déjà gérées ou concédées par d'autres collectivités, qui garderont ainsi une priorité pour assumer le transfert.

Nous aurons également à déterminer l'organisation définitive des transports en région Île-de-France, et particulièrement la composition du Syndicat des transports d'Île de France.

En matière d'action sociale, le ministre de l'intérieur a rappelé que le rôle du département est conforté par la loi. Les seuls désaccords persistant avec le Sénat tiennent là encore au degré de volonté décentralisatrice, que l'Assemblée nationale semble davantage manifester. Il en est ainsi de la responsabilité que nous souhaitons laisser aux départements pour mener librement la concertation préalable à l'élaboration du schéma départemental de l'action sociale ou médico-sociale. Il en est de même concernant la gestion du fonds d'aide aux jeunes en difficulté. Décentraliser, c'est accepter de faire confiance aux collectivités locales qui ont démontré, depuis vingt ans, leur efficacité et leur sens des responsabilités.

Dans le domaine de l'éducation, la quasi-totalité des articles a fait l'objet d'un vote conforme des deux assemblées. La cohérence l'a emporté s'agissant de la gestion des agents techniciens, ouvriers et de service, les TOS : elle sera confiée aux collectivités départementales et régionales propriétaires des équipements dont elles assurent la maintenance. Cette cohérence est conforme, non seulement au système existant depuis toujours au niveau communal, mais également au souhait exprimé par Gaston Defferre dès 1982 - souhait non suivi d'effet - et par Pierre Mauroy dans son rapport de 2000.

M. René Dosière. Vous vous permettez de le lire quand cela vous arrange !

M. Alain Gest, rapporteur. Je vous propose néanmoins d'adopter la disposition introduite par le Sénat qui laisse à l'État le soin d'organiser les concours de recrutement et l'affectation des personnels jusqu'à la rentrée 2005.

S'agissant de la question très débattue du transfert de la médecine scolaire aux départements, le Sénat a confirmé, au grand regret de votre rapporteur, le vote prudent de notre assemblée, choisissant ainsi de maintenir cette compétence à l'État. Je continue de penser qu'au nom de la même cohérence dont nous avons fait preuve pour les TOS, les compétences relatives à la médecine scolaire, mais aussi aux assistants sociaux, auraient eu toute leur place au sein des conseils généraux.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Jean-Claude Lemoine. Il a raison !

M. Alain Gest, rapporteur. Les transferts dans le domaine du patrimoine et des enseignements artistiques ne soulevant pas de difficultés majeures, c'est dans le secteur du sport, par contre, que votre commission a manifesté des divergences avec le Sénat. Nous avions introduit en première lecture, notamment à l'initiative de notre collègue Landrain, quelques articles dont la plupart répondaient à une demande insistante du mouvement sportif. Je vous proposerai donc de les rétablir.

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. Alain Gest, rapporteur. Il en est ainsi notamment de la Conférence régionale du sport et du transfert aux départements des compétences relatives aux sports de nature.

Restent les deux sujets essentiels déjà évoqués : l'économie et le logement.

S'agissant de l'article 1er concernant l'économie, après de très longs débats qui avaient mis en valeur la crainte exprimée par les départements, les communes et leurs groupements de voir les régions exercer une forme de tutelle sur les autres collectivités, nous avions reconnu le rôle de chef de file de la région. Celle-ci devait notamment être chargée d'élaborer un schéma de développement économique. Le Sénat a pris en compte les craintes qui ont été exprimées, en confiant le soin à des expérimentations...

M. René Dosière. Il a surtout pris en compte les résultats des élections régionales !

M. Alain Gest, rapporteur. Je vous répondrai le moment venu. Vous ne perdez rien pour attendre, monsieur Dosière !

Le Sénat, disais-je, a pris en compte les craintes qui ont été exprimées, en confiant le soin à des expérimentations de démontrer que ce rôle de chef de file et l'établissement des schémas pouvaient parfaitement respecter la liberté des autres collectivités.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est une honte !

M. Alain Gest, rapporteur. La région est néanmoins confirmée dans son rôle de coordination des initiatives locales. Cette version donne d'ailleurs satisfaction...

M. Michel Piron. À M. Bockel !

M. Alain Gest, rapporteur. ...tant aux associations de communes, comme l'Association des maires de grandes villes de France, présidée par Jean-Marie Bockel, qui se réjouit que ces villes ne soient pas en quelque sorte sous la tutelle des régions, qu'à l'Assemblée des départements de France, nouvellement présidée par M. Lebreton, et dont le bureau se réjouit de la « reconnaissance du rôle des conseils généraux dans le domaine économique ».

M. René Dosière. Je croyais que les associations d'élus ne servaient à rien !

M. Alain Gest, rapporteur. Cette version a donc été retenue par votre commission des lois.

De même, en matière de tourisme, nous avons confirmé le choix du Sénat de maintenir la compétence de l'État pour le classement des équipements touristiques.

Enfin, dans le domaine du logement, la deuxième lecture du Sénat, si elle a rapproché les points de vue, laisse subsister des divergences. Votre commission a réaffirmé sa préférence pour la rédaction de l'article 49 A, en particulier en ce qui concerne le lien entre la gestion des contingents de logement sociaux réservés et les conventions de délégation d'aide à la pierre, la compétence confiée aux présidents d'EPCI et de conseils généraux plutôt qu'aux maires, et les seuils de population des groupements de communes candidates à la gestion.

On le voit, les principales discussions qui demeurent concernent donc le domaine des transferts de compétences. S'agissant des transferts de personnels et des transferts financiers, votre commission s'est contentée de rétablir des outils de transparence financière et d'évaluation.

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le temps est décidément venu de conclure un débat qui dure maintenant depuis vingt-deux mois, et dans lequel le Sénat est finalement peu éloigné de l'approche que nous avons d'un texte qui va conforter la décentralisation dans notre pays. À ce stade, on peut comprendre la position de ceux qui, à gauche, mais aussi à droite, bien qu'en nombre peu important, rejettent la décentralisation.

Je ne partage pas, par exemple, le point de vue de M. Chassaigne, de M. Brard, qui s'est exprimé encore tout à l'heure, et de leurs collègues communistes, mais cette position a au moins le mérite de la cohérence. Le parti communiste est centralisateur,...

M. Jean-Pierre Brard. Mettez vos fiches à jour : je n'en suis plus membre !

M. Alain Gest, rapporteur. ...il l'affirme - les apparentés communistes ayant la même position - et c'est bien ainsi dans la mesure où cela a au moins le mérite de la clarté. Je crains, par contre, que d'autres fassent fausse route en entravant la démarche de réforme de l'État dans laquelle s'inscrit cette loi. En 1982, l'opposition de l'époque s'était opposée, à tort, à Gaston Defferre parce qu'elle dénonçait l'insuffisance des ressources transférées accompagnant les compétences.

M. René Dosière. Mais non ! Ce n'était même pas pour cela !

M. Alain Gest, rapporteur. Mais, cette fois, le Gouvernement, tenant compte des erreurs commises par d'autres, a introduit une garantie constitutionnelle concernant les transferts financiers.

M. Guy Geoffroy. Eh oui !

M. Alain Gest, rapporteur. Nous venons hier de garantir également un niveau important d'autonomie financière.

M. Jean-Pierre Balligand. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! Vous avez eu raison d'être absent hier, monsieur Gest !

M. Alain Gest, rapporteur. J'étais là, monsieur Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. On ne vous a pas entendu ! Vous n'aviez sans doute rien à dire !

M. Alain Gest, rapporteur. En votant ce texte, nous aurons parachevé cette grande démarche décentralisatrice, en rapprochant davantage les décisions de leurs lieux d'application. Il nous restera à faire œuvre de pédagogie pour faire connaître à nos concitoyens l'organisation territoriale nouvelle de la République, ainsi que le rôle et les compétences des élus locaux.

M. René Dosière. Allez convaincre les électeurs !

M. Alain Gest, rapporteur. II reste sur ce plan beaucoup de progrès à faire, comme l'a démontré la récente campagne électorale. Mais organiser une République décentralisée sans l'expliquer avec détermination à nos concitoyens, c'est nier qu'à l'issue de ce vote, nous aurons clairement conforté le rôle de la région en matière de formation professionnelle, d'infrastructures, de transport, que les conseils généraux seront tout aussi clairement chargés du pôle social, ainsi que des routes nationales, et que le rôle de l'État en région aura été simplifié.

Le temps est donc vraiment venu de conclure ce débat, pour que la loi et ses décrets d'application puissent entrer en vigueur dès le 1er janvier 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rappels au règlement

M. Bertho Audifax. Je demande la parole pour un rappel au règlement, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertho Audifax, pour un rappel au règlement.

M. Bertho Audifax. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58.

Je voudrais préciser ce qu'a dit M. Clément à la fin de son exposé, en réponse à M. Lurel. Je rappelle que la commission des lois, en notre présence, a repoussé l'amendement présenté par le groupe des député-e-s communistes et républicains et par M. Dosière. Autrement dit, la commission des lois a permis qu'un délai soit accordé aux régions d'outre-mer en ce qui concerne le transfert des compétences relatives aux TOS. Je tenais à apporter cette précision parce qu'il me semble que la fin de l'exposé de M. Clément n'était pas dépourvue d'ambiguïté sur ce point. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Dosière. S'il y a ambiguïté, il faudrait réunir la commission !

M. Bertho Audifax. Je vous rappelle, chers collègues, que vous avez contre cette disposition !

Mme la présidente. Ce n'était pas vraiment un rappel au règlement.

M. Victorin Lurel. Je demande la parole, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous la donne à condition que vous soyez très bref, monsieur Lurel. Car M. Audifax a lancé un débat qui ne relève pas d'un rappel au règlement.

M. Victorin Lurel. Madame la présidente, j'ai été interpellé par mon collègue : je suis absolument obligé de répondre.

Mme la présidente. Rapidement !

M. Victorin Lurel. Il est bon de savoir, puisqu'on évoque les amendements déposés par le groupe des député-e-s communistes et républicains, que l'amendement qui a été adopté au Sénat l'a été pratiquement à la demande des présidents de région, suite à une concertation qui a eu lieu le 22 juin, au ministère de l'outre-mer, à la demande expresse de M. le Premier ministre. Et compte tenu des difficultés politiques, puisqu'une campagne avait été menée à la Réunion tendant à dire que les présidents de région avaient obtenu du Gouvernement cet aménagement, un sénateur UMP de la Réunion a été obligé de déposer un amendement, qui a été accepté.

Après discussion au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale, alors que le Gouvernement n'était pas très favorable,...

M. Claude Goasguen. Le Gouvernement n'était pas représenté !

M. Victorin Lurel. ...la commission a accepté cette disposition. Le président du groupe UMP en personne, M. Accoyer, a déclaré qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que le Gouvernement accepte ce texte en l'état et à ce que l'Assemblée l'adopte dans les mêmes termes que le Sénat.

Dans ces conditions, nous demandons pourquoi un ministre, qui a pris des engagements envers nous, se permet de faire des déclarations sur une radio périphérique...

Mme la présidente. Monsieur Lurel...

M. Victorin Lurel. ...en disant que le Gouvernement refusera cet amendement.

M. Claude Goasguen. Nous sommes à l'Assemblée nationale, nous ne sommes pas sur RFO !

M. Victorin Lurel. Je rappelle, madame la présidente, que le Premier ministre lui-même nous a demandé de bien vouloir déposer encore des amendements, que le Gouvernement en ferait son affaire,...

Mme la présidente. Merci, monsieur Lurel...

M. Victorin Lurel. ...et qu'il était prêt à voir appliquer l'article 73 de la Constitution. La Réunion n'a pas voulu voir appliquer le principe de dérogation,...

Mme la présidente. Merci, monsieur Lurel !

M. Victorin Lurel. ...mais elle est encore redevable du principe de l'adaptation. Nous pouvons voir appliquer le principe de l'adaptation à l'outre-mer. Voilà ce que nous demandons. Je suis personnellement d'accord avec ce que disait...

Mme la présidente. Ce n'est pas un rappel au règlement. Merci, monsieur Lurel.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains...

M. Guy Geoffroy. Je demande la parole pour un rappel au règlement, madame la présidente.

Mme la présidente. Vous le ferez après l'exception d'irrecevabilité, monsieur Geoffroy.

M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, l'UMP fait de l'obstruction ! (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. C'est l'hôpital qui se moque de la charité !

M. Claude Goasguen. Ne parlez pas de charité à M. Brard, s'il vous plaît !

M. Jean-Pierre Brard. En effet, je préfère la justice !

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais donc apporter un peu de quiétude dans ce débat, que j'espère faire revenir à des considérations de fond.

Il y a quelques mois, vous le savez sans doute, messieurs les ministres, eurent lieu en France des élections régionales et cantonales. Les Français ont alors eu l'occasion d'exprimer franchement leurs choix pour leurs régions et départements. La politique de votre gouvernement a été, pour le moins, désavouée.

Un projet de votre gouvernement, un de ces projets que vous appelez pompeusement des « réformes », a alors focalisé l'attention. Il s'agit bien sûr des lois de décentralisation.

Il venait d'être discuté au pas de charge à l'Assemblée, en pleine campagne électorale. Ces débats sur la décentralisation avaient mis à jour le désolant mépris que le pouvoir exécutif de ce pays manifeste envers la représentation nationale.

Ébranlés par votre déroute, vous vous étiez engagés, non pas à céder à l'expression du peuple souverain ou aux revendications des nouveaux présidents de région, mais au moins à reprendre l'examen de ce texte dans des formes un peu plus respectueuses des règles démocratiques.

Je souhaite vous rappeler les mots... Je constate que l'intérêt porté à mes propos sur certains bancs est tout relatif.

Je souhaite, disais-je, vous rappeler les mots - et les mots ont un sens - prononcés par M. le ministre de l'intérieur le 14 avril dernier, lors du vote solennel de ce texte en première lecture par l'Assemblée nationale. Il confirmait alors les mots d'apaisement prononcés par M. le Premier ministre, en déclarant ceci : « Après le vote en première lecture, nous pourrons reprendre la discussion devant les deux assemblées. Ensemble, nous pourrons alors définir les améliorations nécessaires à ce texte. Cette étape doit se dérouler dans le même esprit de confiance et d'ouverture. Je connais les inquiétudes des uns et des autres ; avec Jean-François Copé, nous les avons entendues. »

M. le ministre délégué à l'intérieur. Belle citation !

M. André Chassaigne. Aussi, nous attendions sereinement la deuxième lecture de ce texte. Enfin l'occasion de discuter du fond du problème posé par ce projet de loi ! Enfin un approfondissement de la discussion, notamment au sujet des gigantesques problèmes qui résulteront inévitablement de l'accroissement des dépenses obligatoires des départements et des régions, et donc de la perte prévisible d'autonomie de gestion des collectivités territoriales à l'avenir ! Enfin une discussion sur l'aménagement du territoire, enterré de fait par cette réforme, ou même sur des principes fondamentaux, comme le principe d'égalité entre les territoires, honteusement violé par ce projet de loi !

Au final, cette deuxième lecture - et encore, je ne parle que de la forme de ce débat, de son organisation - non seulement est limitée à une discussion sur des bribes de ce texte, le Sénat ayant adopté l'essentiel des dispositions dans les mêmes termes que notre assemblée, mais en outre elle a lieu en plein mois de juillet, histoire de s'assurer de l'indifférence de l'opinion. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et à cela s'ajoutent aujourd'hui le refus d'examiner plusieurs centaines d'amendements, et même la menace de l'antidémocratique 49-3. Quelle considération vous avez pour « la mère des réformes » !

En juin 2002, lorsque j'ai été élu, j'avais une haute idée du travail de parlementaire. J'ai découvert depuis le mépris pour la République, un mépris incommensurable, pour ses valeurs ou ses principes. (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Dominique Le Mèner. C'est vous qui dites ça ? Un peu de pudeur !

M. André Chassaigne. Et ne dites pas que vous n'en avez pas conscience !

Ces méthodes de gouvernance, pour reprendre un mot qui vous est cher, sont choquantes en soi. Et elles deviennent particulièrement scandaleuses quand on considère l'importance considérable du texte en discussion, qui constitue, aux dires du Premier ministre, « la mère des réformes » !

Ainsi, nous ne pourrons pas débattre de la décentralisation de la formation professionnelle, d'action sociale et médico-sociale, de politique de santé, de protection judiciaire de la jeunesse, de la décentralisation des TOS ou de politique culturelle. Sur tous ces sujets, le Sénat a, discrètement, voté « conforme ». Qu'espérez-vous d'un débat estival aussi tronqué, sinon une nouvelle humiliation de notre Parlement, et encore, si débat il y a ! Il est vrai que nous aurions été naïfs d'attendre autre chose de votre part. Cette forfaiture (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française)...

M. Guy Geoffroy. Gardez du vocabulaire pour la suite !

M. André Chassaigne. ...je dis bien cette forfaiture latente dans la façon d'organiser les débats parlementaires, se retrouve, latente, tout au long de ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les plus anciens d'entre nous ont-ils le souvenir, en effet, d'un projet qui ait été vendu à l'opinion avec des arguments aussi mensongers et fallacieux que les vôtres, un tissu d'effets d'annonces qui ne sont que contrevérités et faux-semblants répétés et psalmodiés avant moi à cette tribune par le rapporteur de la commission des lois ?

M. Dominique Le Mèner. C'est Lutte ouvrière !

M. André Chassaigne. Jamais cette décentralisation ne renforcera une quelconque proximité entre les citoyens et les élus. Vous le savez bien ! Jamais les collectivités territoriales ne verront leur libre administration confortée par le vote de cette trop fameuse décentralisation. Bien au contraire, leur autonomie de gestion sera tout bonnement annihilée ! Jamais, comme vous feignez de le croire, la gestion publique ne gagnera en efficacité. Du fait de l'enchevêtrement des compétences entre collectivités, des difficultés financières auxquelles seront bientôt confrontées les collectivités territoriales et de la privatisation des services, les citoyens ne gagneront qu'augmentations d'impôts locaux et dégradations des services !

Cette décentralisation, aujourd'hui, n'est plus portée que par les zélateurs les plus intransigeants du néolibéralisme. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Grenet. Le MEDEF !...

M. André Chassaigne. Les Français n'ont pas à payer le prix de ce dogmatisme. Ils ne vous ont pas élus pour cela. Ils vous l'ont d'ailleurs vivement rappelé ce printemps.

Pourtant, vous nous le garantissez avec des propos qui tiennent de l'acte de foi : cette décentralisation libérera les énergies locales et renforcera cette sacro-sainte proximité entre les élus et le peuple souverain. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Vous avez bien lu le texte !

M. Guy Geoffroy. Vous avez tout compris !

M. André Chassaigne. Nous aurions peut-être pu, si l'on avait laissé le Parlement délibérer plus amplement, analyser sérieusement cette notion de proximité, ses fondements idéologiques et ses implications politiques.

Si l'on vous écoute, cette proximité doit constituer le vecteur par lequel nous reconstituerons le lien social, rompu par des années de politiques libérales quasiment ininterrompues, entre les citoyens et les élus. De fait, cela signifie que cette brillante analyse occulte l'origine principale de la crise à laquelle nous sommes confrontés : la destruction de structures sociales et des modes de solidarité traditionnels. Je pense à la sécurité sociale, aux services publics, aux syndicats, aux associations de locataires. Bien évidemment, le fait d'invoquer une meilleure proximité pour retisser des liens détruits par ailleurs par le néolibéralisme constitue un excellent moyen pour réduire l'analyse à une question strictement individuelle et donc éviter la mise en accusation du système économique à l'origine de tout ce gâchis.

Aussi, jamais votre décentralisation ne pourra renforcer une quelconque proximité entre les élus et les Français, puisqu'elle aboutira à amplifier la dégradation des services publics et à réduire les solidarités. Les structures sociales existantes seront encore fragilisées. L'isolement, social ou géographique dans lequel vivent de plus en plus de nos citoyens, sera conforté. Qu'aurons-nous alors gagné, si ce n'est les froides satisfactions des défenseurs du libéralisme le plus extrême ? Votre mère à tous, Margaret Thatcher (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), aimait à dire qu'elle ne savait pas ce que signifiait le mot « société » et ne comprenait que le mot « individu ».

M. Michel Piron. Vous vous trompez de génération !

M. André Chassaigne. Avec cette décentralisation, vous faites un grand pas, un de plus, vers ce rêve thatchérien d'une société complètement atomisée.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Et le collectivisme, c'est mieux ?

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne savez pas de quoi vous parlez, madame !

M. André Chassaigne. À aucun moment, vous ne cherchez à transformer cet appel à la proximité en autre chose qu'une approche particulièrement consumériste de la politique, une politique obsédée par la seule défense de son pré carré. N'aurions-nous pas pu profiter de ces invocations à la proximité pour renforcer, par exemple, les formes d'expression de la démocratie locale et les liens entre la démocratie représentative et la démocratie participative ? N'aurions-nous pas pu chercher à approfondir les champs d'expression démocratique pour investir, notamment, la sphère économique ? Force est de constater qu'à aucun moment, ces questions ne vous ont effleurés. En effet, jamais ces textes relatifs à la décentralisation n'ont cherché à renforcer, au jour le jour, l'organisation démocratique des pouvoirs locaux. En quoi, par exemple, le transfert du CNDP à Chasseneuil-du-Poitou... (Exclamations et rires sur divers bancs.)

M. Pascal Clément, président de la commission. Ce n'est pas en Auvergne...

M. André Chassaigne. ...pourra-t-il contribuer à redonner confiance aux citoyens dans les valeurs de notre République ? Ce transfert, bien au contraire, n'est qu'une caricature des effets pervers qu'apportera la décentralisation en termes de clientélisme et de satisfaction des égoïsmes de potentats locaux.

M. Alain Gest, rapporteur. Non, c'est privilégier le milieu rural !

M. André Chassaigne. Ce sens du clientélisme est sûrement aussi ce que vous appelez « efficacité de la gestion publique ». Comme ce concept oiseux d'efficacité constitue le cœur de votre catéchisme, il est, bien entendu, au centre de cette décentralisation.

Nous savons tous que vos efforts pour améliorer cette efficacité de la gestion publique dissimulent en fait deux objectifs : votre obsession à comprimer les dépenses publiques, et notamment les dépenses de personnels, et la multiplication de délégations de service public, au nom de la supériorité autodéclarée de la gestion privée sur la gestion publique. C'est bien pourquoi cette décentralisation vous offre surtout une bonne occasion pour diminuer drastiquement les dépenses de personnels de l'État. Ce sont plus de 100 000 fonctionnaires - des TOS aux agents de l'équipement - qui, demain, disparaîtront tout simplement des comptes de l'État. Comme les compensations de ces transferts aux collectivités territoriales seront partielles et n'auront pas de caractère dynamique, évolutif, il s'agira évidemment pour l'État d'une excellente opération comptable.

M. Xavier de Roux. Eh oui ! Ce n'est pas si mal !

M. André Chassaigne. Au-delà du fait qu'il est triste de constater que la vision politique du Gouvernement ne dépasse pas celle d'un boutiquier (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Xavier de Roux. Qu'est-ce que vous avez contre les boutiquers ?

M. André Chassaigne. ...ce transfert atteste que cette décentralisation n'est pas faite au profit des collectivités territoriales, mais dans l'intérêt comptable d'un État épicier (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Guy Geoffroy. Cette critique contre le petit commerce est indigne. On le lui fera savoir !

M. Éric Raoult. Vous préférez les grandes surfaces ?

Mme la présidente. S'il vous plaît !

M. André Chassaigne. ...un État épicier qui justifie l'empressement de ses représentants à passer en force. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Xavier de Roux. Les électeurs s'en souviendront !

M. André Chassaigne. Je l'espère ! J'espère que mes électeurs se souviendront de mon intervention et que les vôtres se souviendront de votre capitulation ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. André Chassaigne. À l'évidence, toutes les arguties gouvernementales sur la proximité, les grandes qualités des élus de terrain ou la meilleure capacité des collectivités territoriales à répondre aux préoccupations des citoyens ne sont qu'une farce. Cette décentralisation n'est pas faite pour les collectivités. Elle n'est pas faite pour renforcer le pouvoir local, mais pour réduire les capacités d'intervention de l'État, diminuer ses charges budgétaires et, surtout, réorganiser le schéma institutionnel de la République autour d'un principe idéologique, celui de la concurrence entre les collectivités territoriales. Chacun le sait, le transfert de compétences obligatoires aussi massives que nouvelles aux collectivités territoriales ne pourra, une fois encore, qu'altérer profondément leur autonomie de gestion. L'élasticité des budgets des collectivités territoriales est déjà beaucoup plus faible aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Autant les collectivités ont pu lever les ressources nécessaires pour rénover les collèges et les lycées dans les années 80, autant elles ne pourront pas fournir le même effort d'investissement aujourd'hui pour les routes, l'action sociale et la formation professionnelle, tant le dynamisme et le poids des dépenses de fonctionnement est élevé aujourd'hui dans leurs budgets. Ce n'est pas en transférant plus de 100 000 fonctionnaires d'État à ces mêmes collectivités que l'on augmentera leurs capacités d'initiative et d'intervention ! Pensez que dans certaines régions, le simple transfert des TOS va quintupler les dépenses de personnels du conseil régional ! Et l'on sait bien que les dotations de compensation que l'État versera aux collectivités territoriales auront une évolution bien moins dynamique que celle des postes de dépenses transférés. On peut déjà mesurer ce que sera l'augmentation de ces crédits de personnels avec la nécessité de pallier demain l'insuffisance des moyens affectés aujourd'hui par l'État aux services qu'il transfère aux collectivités territoriales. Qui supportera également le coût du remplacement des CES et CEC des collèges et des lycées par des emplois statutaires ? Nous l'avons constaté lors de l'examen du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, les finances locales ne sont pas en mesure, aujourd'hui, de répondre aux nombreux enjeux posés aux élus locaux. La fiscalité locale est aussi injuste qu'inadaptée. Son augmentation future, inéluctable au vu des blocs de compétences que vous cherchez abusivement à transférer, deviendra tout bonnement intolérable pour nos concitoyens. Aussi, vous en appelez à la responsabilité des élus locaux, pour mieux fuir vos responsabilités !

Bien sûr, on ne pourrait que se féliciter que les élus rendent mieux compte à leurs électeurs des décisions qu'ils prennent et des politiques qu'ils suivent. Plus la responsabilité politique des élus est facilement mise en jeu, plus le fonctionnement démocratique des institutions s'affermit. C'est une évidence. Avec ce projet, vous cherchez à ce que les élus locaux rendent compte à leurs électeurs de décisions pour lesquelles ils ne sont pas responsables. Les collectivités territoriales ne seront pas responsables des hausses d'impôts locaux consécutives à ces transferts de compétences imposés. Elles ne seront pas responsables du mauvais état des routes, dû au fait que l'État a systématiquement rogné les crédits d'entretien du réseau routier depuis vingt ans.

M. Michel Bouvard. Qui a été au pouvoir depuis vingt ans ? Le nom de M. Gayssot vous dit-il quelque chose ?

M. André Chassaigne. Elles ne seront pas responsables de la généralisation, via le RMA, de la précarité au travail et de l'institution d'un travail quasi forcé, en vertu de règles définies par votre seul gouvernement.

Face à ces contraintes terribles, les élus locaux ne tarderont pas à comprendre où l'État cherche à les conduire. Menacées d'asphyxie budgétaire, les collectivités locales seront inéluctablement poussées à réduire leurs interventions dans des domaines de compétences non obligatoires comme la politique culturelle ou les politiques de soutien aux petites communes et aux associations, ce qui ne pourra, là encore, qu'exacerber les difficultés sociales de nombre de nos concitoyens. Elles seront aussi poussées à réduire la qualité de leurs prestations de service public, en réalisant des économies sur les dépenses de personnel, en rognant sur les dépenses de fonctionnement et, au final, en déléguant progressivement à des entreprises privées les missions qu'elles ne seront plus à même de remplir.

Il est donc clair que ce grand projet ne vise, pour l'essentiel, qu'à infliger aux collectivités territoriales la même cure d'austérité que s'impose l'État. Encore un bel exemple de votre respect pour le principe de libre administration des collectivités territoriales !

Ces belles paroles sur l'efficacité de la gestion publique prennent aussi tout leur sens si on les rapproche du nouveau code des marchés publics, et notamment de la nouvelle procédure de partenariat public-privé. Celle-ci autorise l'État ou toute autre collectivité publique à confier à un organisme privé, pour une période déterminée, la conception, la construction, le financement, l'entretien, la maintenance et la gestion d'ouvrages ou de services publics : d'un côté, avec la décentralisation, vous poussez les collectivités territoriales à privatiser les services qu'elles ne parviendront plus à gérer ; de l'autre, vous créez le cadre juridique adéquat pour systématiser ces privatisations de services publics locaux.

La construction des brigades de gendarmerie offre un bel exemple du passage obligé par le privé. Les élus sont soumis à un véritable chantage : de fait, les autorisations sont désormais subordonnées à l'appel au privé concernant la construction des bâtiments, pour le grand bonheur du groupe Vinci, qui s'est spécialisé dans ce genre de montages.

Votre but n'est pas, sur ce dossier, de renforcer l'efficacité de la gestion publique. Le secrétaire général du Gouvernement, en présentant le dispositif, a lui-même rappelé que « ces contrats de partenariat s'avéreront parfois plus coûteux que les formes traditionnelles ». Car il faudra bien rémunérer les actionnaires ! Non, votre but, sur ce dossier si proche de celui de la décentralisation, est bien de dynamiter les modes de gestion publique, en vue d'instaurer votre rêve du tout privé, du tout profit.

C'est complètement irresponsable ! La situation budgétaire de nombre de collectivités territoriales est pourtant suffisamment préoccupante pour que l'on ne cherche pas, comme vous le faites, à les étouffer encore davantage. Deux rapports sénatoriaux de M. François-Poncet et de M. Belot, relatifs à la péréquation interdépartementale et à la péréquation interrégionale, ont récemment rappelé l'ampleur des inégalités financières entre collectivités et, au regard de leurs charges obligatoires, les profondes difficultés, notamment, d'un certain nombre de départements.

Dans leurs rapports, ces sénateurs UMP analysent l'autonomie de gestion de chaque collectivité territoriale en mesurant « la part de ressources dont elle dispose encore après déduction des charges qui lui sont imposées par la loi, c'est-à-dire la bonne exécution des compétences obligatoires dont [elle] a reçu la charge. »

Et ils précisent : « La différence entre les recettes existantes et les dépenses obligatoires constitue la marge de manœuvre [qu'elle] peut mettre à profit pour une politique plus généreuse dans les domaines imposés par la loi ou pour une politique facultative qui lui est propre dans des domaines laissés à sa discrétion. »

Ces rapports révèlent une évidence que vous avez en permanence refusé de reconnaître lors des débats sur l'autonomie financière des collectivités territoriales : l'ampleur des inégalités de ressources et de charges. Ces inégalités constitueront immanquablement une excellente base pour attiser la concurrence entre collectivités : vous espérez sûrement des plus riches d'entre elles qu'elles se lancent dans une course au moins-disant fiscal, afin de leur donner l'occasion de punir les plus pauvres d'être si pauvres. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lemoine. Oh !

M. Michel Piron. C'est outrancier !

M. André Chassaigne. Votre objectif est bien de renforcer l'attractivité de certains territoires en accélérant la désertification des autres, sûrement au nom des valeurs de la République et de l'aménagement équilibré du territoire...

En dépit de ces inégalités financières et bien que certaines collectivités territoriales soient confrontées à des difficultés quasi insurmontables sans relèvement urgent des dotations versées au titre de la péréquation, vous n'hésitez pas à leur transférer de nouveaux blocs de compétences, de nouvelles dépenses obligatoires, sans compensation intégrale et pérenne, nous le savons bien.

L'efficacité de cette politique ne fait aucun doute : les fractures territoriales seront renforcées ; la concentration des activités et des richesses au sein de quelques rares pôles urbains sera encore aiguisée. Et la République et ses valeurs seront une nouvelle fois bafouées.

Aussi, il semble clair qu'en aucun cas ce projet ne garantira une meilleure efficacité de la gestion publique. Seuls les déséquilibres et les fractures seront affermis.

Comme nous ne pouvons sous-estimer une totale inconséquence de votre part, il nous semble évident que vous poursuivez, avec ce texte, d'autres objectifs, inavoués.

Vos motivations réelles sont d'une autre ambition : adapter les interventions de l'État aux mutations du capitalisme. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Quel raisonnement archaïque ! C'est toujours la même chose !

M. Jean-Claude Lemoine. Il va en venir au MEDEF et au baron ! Enfin !

M. André Chassaigne. Nous sortons d'une période historique où chaque nation pouvait fonctionner de manière économiquement autonome autour de son État et de son territoire. En France, la politique gaullienne, à laquelle vous ne cessez de vous référer,...

M. Éric Raoult. Et que vous n'avez cessé de combattre !

M. André Chassaigne. ...en fut un bel exemple : dois-je vous rappeler la création du Commissariat du Plan et de la DATAR, la politique d'investissements industriels dans l'ouest de la France, avec, par exemple, l'implantation de Citroën à Rennes, ou l'enracinement de services publics comme La Poste ? La combinaison du pouvoir de l'État et des grandes entreprises permettait d'assurer une régulation globale du système politique et économique.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'était bon à l'époque !

M. André Chassaigne. Mais ces structures ont été bouleversées par la financiarisation de l'économie, que symbolisent si bien le pouvoir acquis par les fonds de pension dans la gestion des entreprises et leur exigence de rentabilité à deux chiffres.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Votre raisonnement saute des dizaines d'années !

M. Guy Geoffroy. Le raccourci est effectivement audacieux !

M. Charles Cova. Ils ont la mémoire sélective !

M. André Chassaigne. Les populations en subissent aujourd'hui les conséquences, faites de licenciements, de fermetures d'usines et d'éclatement des solidarités entre les travailleurs.

M. Guy Geoffroy. Que d'amalgames !

M. André Chassaigne. Votre projet de décentralisation consiste, ni plus ni moins, à redéfinir en profondeur les modes d'intervention et les missions de l'État pour achever son adaptation à cette économie financiarisée. Dans ce contexte, l'État n'assume plus la régulation du système ; il n'a qu'à superviser le bon fonctionnement des marchés financiers et à gérer les contraintes mondiales engendrées par ces mutations économiques, en désertant le véritable terrain économique.

Les contradictions internes sautent pourtant aux yeux. Les scandales financiers, les délocalisations, les krachs boursiers, les guerres et les conquêtes impériales modernes rythment la vie d'un système à bout de souffle. Vous-mêmes, le nez contre la vitre, êtes obligés d'en convenir. Vous avez bien dû intervenir pour préserver provisoirement l'avenir d'entreprises aussi importantes qu'Alstom. Et vos amis, aux États-Unis, ont provisoirement dressé des barrières douanières pour protéger leur industrie sidérurgique.

L'État a pourtant été un lieu où les gouvernements avaient le pouvoir effectif de définir à la fois les orientations sociales et économiques de la nation. C'est pour cette raison, parce qu'il rendait possible une intervention des citoyens, même très parcellaire, dans les affaires économiques, que nous n'acceptons pas son démantèlement. Ce n'est pas par hasard que les Français ont pu arracher, notamment après-guerre, même sous le pouvoir de celui qui vous a si longtemps inspirés, le général de Gaulle, tous les droits économiques et sociaux que vous remettez aujourd'hui en cause.

M. Guy Geoffroy. Oh !

M. Michel Bouvard. Nous ne remettons rien en cause ! Vous faites un contresens !

M. André Chassaigne. Aucune collectivité territoriale n'aura, elle, le pouvoir financier ou juridique d'affronter une multinationale. En Auvergne, je n'ai jamais vu un élu local oser affronter Michelin. Seul l'État avait encore le pouvoir de le faire. Pour combien de temps encore, au vu de ce que vous projetez ?

Non, contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, cette décentralisation n'a pas pour objet de répondre aux besoins de nos compatriotes ; elle cherche tout simplement à organiser l'impuissance politique des institutions élues au suffrage universel, comme s'il s'agissait d'institutionnaliser, et donc de pérenniser, l'impuissance manifestée par les autorités publiques face aux licenciements boursiers, face au cynisme de Lu, de Michelin, de Metaleurop ou de Lustucru.

Les vraies décisions, déterminantes pour l'avenir des Français comme de tous les autres Européens, seront prises dans des institutions où le contrôle démocratique est nul - je pense à la Banque centrale européenne - ou suffisamment faible pour qu'il ne puisse porter préjudice aux intérêts des multinationales - je pense évidemment aux autres institutions européennes. Le projet de Constitution européenne, soutenu avec tant de verve par votre gouvernement, marque, quant à lui, le parachèvement de cette nouvelle construction politique, libérale et antidémocratique.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. N'est-ce pas un peu éloigné du sujet ?

M. André Chassaigne. Si vous trouvez que c'est éloigné de la décentralisation, c'est que vous ne comprenez pas grand-chose, chère collègue. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Chassaigne, je vous en prie !

M. Pierre Hellier. M. Chassaigne, lui, comprend tout !

M. Bruno Bourg-Broc. C'est scandaleux !

M. André Chassaigne. Certaines réactions sont autrement scandaleuses ; permettez-moi d'être aussi vif dans mes réponses. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. S'il vous plaît, laissez terminer M. Chassaigne !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Il serait bon qu'il s'arrête là !

Mme la présidente. M. Chassaigne a droit au temps réglementaire.

M. André Chassaigne. Il serait bon que les propos désobligeants ne viennent pas toujours du même côté.

Les régions seront appelées à constituer le lieu d'enracinement et de gestion des politiques européennes, mais elles n'auront évidemment aucun pouvoir sur les questions essentielles.

C'est donc parce que votre projet cherche avant tout à disjoindre les lieux de pouvoir effectifs des lieux d'expression démocratique que nous le rejetons avec fermeté. Nous ne voulons pas encourager, comme vous le faites, l'impuissance du politique. La démocratie ne se brade pas ainsi !

Au vu de cette analyse rapide (Sourires) et sans entrer dans le détail des articles de votre projet de loi (Sourires et exclamations),...

M. Jean-Pierre Balligand. Ce sera pour la semaine prochaine !

M. André Chassaigne. ...il est clair que celui-ci contrevient au principe d'égalité, au principe de souveraineté et surtout au principe de libre administration des collectivités territoriales, et j'en passe. Son inconstitutionnalité est manifeste. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Balligand. Très bien !

Mme la présidente. Souhaitez-vous intervenir, monsieur le ministre ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Plus tard, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Gest, rapporteur. Je répondrai courtoisement à M. Chassaigne, dont les propos n'ont étonné personne. Il a confirmé, d'une certaine façon, ce que j'avais dit tout à l'heure, à savoir que le groupe communiste et ses apparentés...

M. Jean-Pierre Brard. Merci !

M. Alain Gest, rapporteur. ...avait une position on ne peut plus claire, centralisatrice et hyper-jacobine !

Je m'attacherai à quelques points de votre intervention, monsieur Chassaigne, pour rétablir certaines vérités, même si, je le répète, je respecte, sans les partager, vos convictions.

Selon vous, le débat aurait été tronqué. Je n'ajouterai rien à ce que M. le ministre et moi-même avons déclaré cet après-midi même. Vingt-deux mois de débat, cela fait-il vraiment un débat tronqué ? Le qualificatif me paraît bien éloigné de la réalité. Quant aux amendements qui vont être examinés, ils ont déjà fait l'objet de discussions en première lecture. Ils ont été rejetés, mais il en va ainsi du débat démocratique.

Vous avez affirmé, ensuite, que nous n'avions pas été élus pour cela et que, d'ailleurs, on nous l'avait rappelé au mois de mars dernier. Je m'inscris en faux contre ces deux affirmations. Je conviens que la décentralisation n'a pas été le seul engagement de nos campagnes électorales, tant celle de Jacques Chirac pour la Présidence que celles des députés de l'UMP pour les élections législatives. Elle figurait néanmoins au nombre de nos propositions et la trame du texte en débat depuis vingt-deux mois avait bien été présentée par le Président de la République, à Rouen, en février 2002.

Quant aux résultats de mars dernier - que je ne conteste pas -, vous pouvez, pour les expliquer, invoquer toutes les raisons du monde, mais sûrement pas celle-là ! C'est fort éloigné de la réalité et je serais tenté de dire : malheureusement ! En effet, nos concitoyens connaissent bien peu le fonctionnement actuel de nos institutions. C'est d'ailleurs la raison de ma proposition, que j'ai réitérée tout à l'heure, de les informer mieux du rôle des conseillers généraux et des conseillers régionaux, et de leur apprendre la différence entre le fonctionnement des communes et des groupements de communes, par exemple.

En tout cas, ce n'est pas sur ce point qu'ils ont porté un jugement au printemps dernier, mais bien plutôt - tout le monde l'a admis - sur une politique qu'ils n'ont pas, pour le moment, semble-t-il, appréciée à sa juste valeur. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez dénoncé une dégradation des services publics et l'augmentation des inégalités sociales. Je vous fais observer que, depuis le début de la décentralisation, les départements ont augmenté les dépenses sociales de 145 % pendant que le coût de la vie n'augmentait que de 52 %. Cela signifie qu'ils ont consenti des efforts considérables et que, globalement, ils ont dépensé trois fois plus que l'« État sauveur », que vous défendez, consacrait antérieurement aux dépenses sociales. Et, en Auvergne, comme ailleurs, peut-être même davantage dans cette région, j'imagine que l'état des lycées s'est considérablement amélioré, de même que celui des routes départementales ! Tout démontre depuis vingt ans le contraire de ce que vous prétendez.

Il est un point qui vous inquiète tout particulièrement, par expérience, c'est le risque d'une hausse des impôts locaux. Si je dis par expérience, c'est que votre formation politique participait au gouvernement qui, de 1997 à 2002, a été à l'origine de l'augmentation de la fiscalité locale que nous constatons actuellement ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je sais que cela vous gêne, mais c'est la réalité !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, c'est inexact !

M. Alain Gest, rapporteur. Allocation personnalisée d'autonomie, services d'incendie et de secours, 35 heures dans les maisons de retraite, etc : vous avez cautionné tout cela par votre présence dans ledit gouvernement. Aujourd'hui, vous craignez que l'actuel ne sache pas faire mieux que ses prédécesseurs.

Mais, je vous l'ai déjà dit, cette fois, des précautions ont été prises : la garantie constitutionnelle et l'autonomie financière des collectivités territoriales, que M. Geoffroy défendait ici même, hier. Les gouvernements précédents n'avaient rien prévu de cela. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je suis étonné que vous puissiez redouter la dégradation, par exemple, des routes nationales puisque, dans le même discours, vous reprochez aux divers gouvernements qui se sont succédé de n'y avoir pas consacré suffisamment d'argent. Autrement dit : ça ne va pas, mais, surtout, ne changeons rien !

Pour ma part, je fais confiance aux départements que je connais un peu, qui ont su améliorer la qualité des routes départementales et auxquels on va confier l'équivalent, en moyenne, de 3 à 5 % du patrimoine routier de plus. Il est vrai que, selon les endroits, notamment pour notre collègue Michel Bouvard en zone de montagne, la tâche sera plus ou moins compliquée.

M. Michel Bouvard. Beaucoup plus !

M. René Dosière. Même dans la Loire, demandez donc au président du conseil général !

M. Alain Gest, rapporteur. Le coût au kilomètre n'est pas le même.

En tout état de cause, quand une solution n'est pas bonne, pourquoi ne pas en chercher une autre ?

Dans votre conclusion, vous avez essayé, monsieur Chassaigne, de raccrocher vos propos à l'objet de votre motion : l'inconstitutionnalité supposée du projet de loi. J'ai eu du mal à vous suivre !

En fait, vous avez surtout dénoncé ce qui vous apparaît comme l'expression de l'impuissance du politique. Je pense, au contraire, que les collectivités territoriales ont démontré - dans les vingt-deux ans d'application de lois essentiellement voulues par les socialistes - la capacité des élus à améliorer la situation du patrimoine, notamment, mais aussi la condition de l'ensemble de nos concitoyens, pour autant que les décisions soient prises localement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur Chassaigne, je vais vous faire une confidence...

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes sûr que vous pouvez la faire ici ? (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Elle ne peut être faite qu'ici !

En écoutant très attentivement votre exposé, tant sur la forme que sur le fond, je me disais : je ne retrouve pas André Chassaigne !

M. Jean-Pierre Brard. Il a été encore meilleur que d'habitude !

M. Jean-Pierre Balligand. J'ai parfois cru entendre Michel Debré !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Lors de la discussion sur la loi organique, j'ai trouvé en vous un interlocuteur attentif, courtois, soucieux de la précision de ses interventions sur ces aspects complexes mais néanmoins passionnants de l'autonomie financière des collectivités, apportant à l'évidence une contribution importante à notre débat.

M. René Dosière. Hier, vous ne disiez pas cela !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je retrouve, présentant cette exception d'irrecevabilité, un parlementaire agressif (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne savez plus ce qu'est une agression !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...utilisant, je le dis courtoisement, des mots qui m'ont blessé, comme celui de « forfaiture », dont on n'use pourtant pas si fréquemment ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sans oublier certaines formules qui, dépassant les limites de l'art oratoire, m'ont paru excessives.

M. Christophe Caresche. Vous vous en remettrez !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce n'est pas le problème !

Au-delà des effets oratoires, et sur un texte aussi essentiel, mieux vaut privilégier le débat de fond plutôt que de donner à la forme des élans qui peuvent précisément dénaturer le fond.

Sur le fond, justement, nous sommes en désaccord total et c'est la raison pour laquelle j'appellerai l'Assemblée à ne pas voter l'exception d'irrecevabilité.

À la suite d'Alain Gest, et dans le même esprit, je présenterai quelques remarques.

Vous prétendez que la République décentralisée porte atteinte au principe d'égalité. Je pense l'inverse. Notre République, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, est génératrice de nombreuses inégalités. Nous les constatons et notre objectif est de faire en sorte, avec la décentralisation que nous proposons, de donner aux acteurs qui sont sur le terrain, le moyen de lutter plus efficacement contre ces inégalités. En effet, la situation n'est pas la même dans un centre ville, dans un quartier sensible ou dans une zone rurale. Au Nord, au Sud de la France, dans votre région, les situations ne sont pas semblables : c'est une évidence !

Il appartient à l'État de veiller à assurer ce qui relève de la solidarité nationale et aux élus locaux, grâce à leur créativité, leur dynamisme et leur courage, d'être en première ligne sur le terrain.

Je vous vois, monsieur Chassaigne, nier par geste cette réalité. Pour avoir, comme beaucoup ici, une expérience d'élu local, je peux vous assurer que rien ne vaut le rôle de ce dernier si l'on veut que l'action publique soit efficace. (« Très bien ! »sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je déplore que vous ayez foulé aux pieds, avec beaucoup d'agressivité, le travail préalable qui a été accompli, déclarant, entre autres, que le fait que tant d'articles aient été votés conformes par les deux assemblées constituait un « déni de démocratie ». C'est tout le contraire : que le Sénat en ait adopté conformes un si grand nombre...

M. Jean-Pierre Brard. Montre qu'il est bien de droite !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...est bien plutôt la démonstration, alors que nous arrivons dans la dernière ligne droite, que le travail accompli en amont a été suffisamment complet pour que chacun y retrouve une part de ses convictions. Dans un débat de cette importance, c'est irremplaçable.

On le voit, il faut prendre le temps de discuter pour parvenir au consensus le plus large. Après dix-huit mois de travail, des assises décentralisées sur tout le territoire, la mobilisation de milliers d'élus et la consultation des syndicats et des associations d'élus, nous aboutissons à un résultat législatif dont je souhaite qu'il fournisse à nos concitoyens le service public de grande qualité qu'ils attendent.

À vous en croire, la libre administration des collectivités serait mise en péril. Pas du tout ! Hier soir, à l'issue d'une semaine consacrée au débat sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités locales, devant vous qui m'écoutiez avec attention et m'avez même donné le sentiment, à une ou deux reprises, que vous approuviez, j'ai dit que cette notion allait désormais doter les collectivités locales d'une base financière claire et leur permettre d'organiser leur gestion. Le concept d'autonomie financière est une garantie majeure de la libre administration des collectivités locales. Il est un élément essentiel dans le débat qui nous occupe aujourd'hui.

Parce que vous avez adopté, parce que le Parlement a adopté...

M. René Dosière. Votre majorité !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...la loi organique sur l'autonomie financière, nous avons désormais le moyen de faire avancer les choses dans le bon sens, celui de la modernisation de nos institutions.

La décentralisation porte-t-elle atteinte aux valeurs de la République, comme vous le prétendez ? Non, bien sûr, elle les conforte dès lors que l'État joue pleinement son rôle.

Comme Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin avant moi, je veux affirmer ici que notre philosophie est claire : la décentralisation ne sera réussie que si l'État engage sa propre réforme, que si le mouvement de déconcentration s'organise, que si l'État, pour ce qui concerne ses missions, assure l'efficacité de l'action publique que chacun de nos concitoyens est en droit d'attendre. Alors, les valeurs de la République seront pleinement préservées.

Transparence, responsabilité et efficacité : c'est ce que les Français attendent de leurs élus, toutes tendances confondues. Ils ont une obligation de résultat à leur égard et nous avons à cœur de les satisfaire.

Lorsque les grands rendez-vous du suffrage universel viendront, en 2007, nous pourrons présenter, dans notre bilan,...

M. Jean-Pierre Brard. Nous nous chargerons de le faire !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...la mise en œuvre des grands engagements que nous avons pris devant eux.

Ce qui nous oppose, c'est notre conception de la République. Nous la voulons moderne.

Le conservatisme ne peut pas l'emporter sur l'esprit de réforme. Car, à y regarder de près, la différence réside dans notre capacité à réfléchir à l'avenir, à la modernisation de notre république, et donc à la décentralisation, à l'image de ce qui se fait dans tous les grands pays modernes. Tout cela montre que nous allons dans le bon sens.

Voilà, monsieur Chassaigne, quelques raisons qui s'inscrivent dans le droit-fil de ce qu'a brièvement rappelé Alain Gest et qui m'incitent à demander à l'Assemblée de repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. L'inconstitutionnalité de ce texte a été mise en doute. Mais dès lors que le principe d'égalité qui figure sur le fronton de nos bâtiments est mis en cause, il y a inconstitutionnalité. Aussi le substantif de forfaiture, qui a fait tout à l'heure sauter au plafond certains d'entre vous, est-il parfaitement légitime.

M. Geoffroy a parlé de « raccourci audacieux » ; je le mets plutôt en garde face aux déviations dangereuses qu'il opère en soutenant le texte du Gouvernement.

Quant à Mme des Esgaulx, elle a mis en cause notre collègue Chassaigne en l'accusant de tenir toujours le même raisonnement. Cela vaut mieux que de n'en avoir aucun ! D'autant que le raisonnement de notre collègue Chassaigne se fonde sur la fidélité aux valeurs de notre État républicain.

Par ailleurs, mes chers collègues, ce n'est pas parce que vous êtes de droite que certains d'entre vous ne sont pas pour autant des gens d'expérience et de bon sens. Vous avez sans doute constaté, monsieur Geoffroy, la brièveté du propos de M. de Villepin.

M. Guy Geoffroy. Il a fait preuve de concision et de précision !

M. Jean-Pierre Brard. En réalité, M. de Villepin n'a fait qu'énoncer de jolies formules. Nous avons retenu la musique de la langue, mais, quant au fond, il faut se donner de nouveaux rendez-vous pour l'entendre.

M. de Villepin a affirmé que la compensation se ferait « à l'euro près ». Et M. Gest de nous expliquer, dans un élan d'honnêteté intellectuelle, la substantifique moelle du texte gouvernemental : « à l'euro près » signifierait à peu près trois fois plus d'euros, à la charge des collectivités territoriales. Il a également indiqué que les dépenses sociales des départements avaient augmenté de 145 %, contre 52 % pour celles de l'État. On voit bien que l'État, défaillant sous votre conduite, manque à son devoir de solidarité, ce qui conduit les collectivités locales à s'y substituer. Elles le font en augmentant la fiscalité et c'est ainsi que vous réussissez votre tour de passe-passe !

Ainsi, votre texte est une ruse politique pour vous désengager et renvoyer à d'autres la responsabilité et le poids politiques de vos choix. Vous réduisez les charges budgétaires et, en cela, vous rompez l'égalité. Le dialogue était pour vous un argument post-électoral. Vous veniez de subir une douleur intense et, de même qu'on impose la pommade du Tigre en Extrême-Orient, vous avez eu l'impression de la soulager avec un peu d'onguent ! (Sourires.)

Monsieur Gest, vous qui soutenez avec ardeur le Gouvernement, vous avez parlé d'augmentation d'impôts et vous avez bien fait. Car M. Copé, à ses débuts, ici, a déjà soutenu un gouvernement de droite, celui de M. Juppé, qui a procédé à une augmentation de la TVA, impôt injuste s'il en est, puisqu'il pèse en priorité sur les plus modestes. Mais il faut rendre justice à M. Raffarin : il baisse l'impôt, celui des plus riches ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Moins 10 milliards en deux ans !

M. Jean-Pierre Brard. C'est bien ce que je dis ! Car quand on aime, monsieur Copé, on ne barguigne pas, on distribue, comme la Semeuse que nous imaginions dans notre enfance ! Et je ne parlerai pas de la TIPP, parce que cela nous emmènerait trop loin.

Quant à la libre administration, prétendument mise en cause par notre collègue Chassaigne, que peut-elle signifier en l'absence de moyens ?

Enfin, monsieur Copé, vous détournez le sens des mots et je vous conseille, quand vous ne serez plus ministre, d'entamer la rédaction d'un dictionnaire des contresens. À vous entendre, le conservatisme, que vous dénoncez, désigne la fidélité aux valeurs de solidarité de notre État républicain.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Absolument pas !

M. Jean-Pierre Brard. Si le conservatisme consiste à sauvegarder les valeurs fondamentales de notre État, que nous envie le monde entier, alors, oui, nous sommes pour !

Quant au modernisme, il consiste pour vous à démanteler et à libéraliser. Tout à l'heure, notre collègue Chassaigne a provoqué un grand frisson quand, dans un souci pédagogique, il a appelé à la rescousse le fantôme de Mme Thatcher, car tel est votre idéal ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Laissez Mme Thatcher tranquille !

M. Jean-Pierre Brard. Madame des Esgaulx, ne vous impatientez pas ! Si vous avez quelque chose à dire, demandez à votre groupe de renoncer à la loi du bâillon qu'il impose aux députés UMP depuis le début de la session extraordinaire et inscrivez-vous dans la discussion pour participer à nos échanges !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Si vous m'interpellez, c'est parce que vous n'avez rien à dire !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas ce que je dis que je n'ai rien à dire, madame des Esgaulx ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour conclure, malgré le pluralisme qui règne dans notre groupe, j'estime qu'il faut voter l'exception d'irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe UMP.

M. Michel Piron. Je suis aussi de ceux qui ont été surpris par la tonalité de vos propos, monsieur Chassaigne, tant sur la forme que sur le fond.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il était méconnaissable !

M. Michel Piron. Sur la forme, compte tenu de la modération à laquelle vous nous avez habitués, je regrette que l'outrance vous ait souvent tenu lieu d'argumentaire. Je ne pouvais m'empêcher de penser à la citation de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. »

M. Jean-Pierre Brard. Cette citation est banale !

M. Michel Piron. Sans doute, mais cela ne l'empêche pas, hélas, de rester juste. Et nous venons d'en avoir l'illustration, monsieur Brard !

Sur le fond, vous confondez les lieux et les temps. Les lieux d'abord, en refusant la décentralisation et les réponses de proximité qu'elle propose pour prendre en compte la diversité des territoires et des situations. C'est probablement ce qui nous différencie le plus, tant votre conception de l'égalité se réduit à l'uniformité.

Les temps, enfin, car vous avez évoqué une société qui a beaucoup changé depuis cinquante ans, même si ce n'est pas toujours en bien. Et c'est précisément cette évolution qui doit nous conduire aujourd'hui à redéfinir le rôle de l'État. Car, pour notre part, nous croyons à un État qui doit différer de ce qu'il était il y a cinquante ans. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Telles sont les raisons pour lesquelles nous rejetons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste.

M. René Dosière. Le groupe socialiste, lui, votera cette exception d'irrecevabilité, et ce pour quatre raisons. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Pour vous associer à l'outrance !

M. René Dosière. Premièrement, à ce stade, il serait inconstitutionnel de voter ce texte, alors que le Conseil constitutionnel n'a pas encore validé la loi organique, qui ne peut donc pas être promulguée. Or nous aurons à tenir compte des remarques éventuelles du Conseil sur l'application des transferts de compétences. Vous prenez donc un risque sur ce point.

M. Claude Goasguen. Quel pauvre argument !

M. René Dosière. Deuxièmement, la rédaction actuelle de votre projet affaiblit le rôle économique des régions. Cet affaiblissement est affligeant, car il représente une régression de la décentralisation et rend illisible la répartition des compétences. Cela traduit votre défiance à l'égard des compétences des régions et, plus généralement, du fait régional en France. Cette régression est stupide, car elle va à l'encontre de l'évolution de tous les pays européens, qui renforcent l'échelon régional, au lieu de le diminuer, comme vous le faites. Enfin, elle est scandaleuse, parce que vous l'organisez après les élections régionales qui ont été un succès pour la gauche. En réalité, en faisant de la politique avec un petit « p », vous déconsidérez la politique avec un grand « P ».

Troisièmement, ce texte programme une hausse des impôts locaux, car vous transférez pour l'essentiel des compétences dans lesquelles les personnels tiennent une grande place. Or nous savons tous que les établissements concernés souffrent d'un manque de personnel. Et le Gouvernement s'étant refusé à toute remise à niveau avant le transfert de compétence, ce sont les collectivités qui devront l'effectuer et faire face à l'évolution progressive des dépenses de personnel.

Quatrièmement, ce n'est pas un texte de décentralisation que vous nous présentez, mais de démembrement de l'État. Nous sommes très éloignés de la décentralisation républicaine conduite par Pierre Mauroy.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pas du tout !

M. René Dosière. Vous ne cessez de citer le rapport de Pierre Mauroy. Or, monsieur le ministre, ce rapport n'émane pas exclusivement de Pierre Mauroy. C'est celui d'une commission pluraliste (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), présidée par Pierre Mauroy, et que Jean-Pierre Raffarin a quittée avec fracas en affichant son désaccord.

M. Michel Terrot. Ce n'est pas un argument !

M. René Dosière. Se recommander aujourd'hui d'une commission à laquelle on a refusé hier de participer est quelque peu abusif ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le plus grave est que vous avez réussi cet exploit de déconsidérer aux yeux des Français cette belle idée de la décentralisation - ainsi qu'on peut le constater lors d'élections ou de sondages. Cela suffit à nous faire voter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'annonce la discussion générale de ce projet de loi en deuxième lecture, je ressens l'ampleur de la tâche qui m'a été confiée : il me revient de donner au Gouvernement et à sa majorité une ultime chance de surseoir à l'examen de ce texte et de mettre ainsi un terme - ne serait-il que provisoire - à une entreprise contestée, aussi bien sur le fond, par les élus locaux, que sur la forme, par le Conseil constitutionnel.

Ce débat intervient, en tout état de cause, dans un contexte politique et institutionnel chargé. Loin de constituer une excuse pour le Gouvernement, ce contexte est une circonstance aggravante, qui fait de sa persévérance une véritable obstination, voire une quasi-surdité face aux vrais enjeux de la décentralisation.

Les faits sont connus. Ils gagnent cependant à être rappelés, alors que nous touchons au terme d'un parcours qui aura duré plus de deux ans. Puisque, chers collègues, certains d'entre vous se sont référés tout à l'heure au Président de la République et au Premier ministre, je veux leur citer plus précisément certains passages du discours prononcé par le premier à Rouen le 10 avril 2002, et consacré à la décentralisation. Présidant depuis plus de dix ans, avec Adrien Zeller, l'Institut de la décentralisation, j'y ai été particulièrement attentif. Ces propos, empreints des meilleures intentions, apparaissent rétrospectivement comme autant de morceaux d'anthologie : « Si la France veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités » ; ou bien encore : « faire dépendre plus de la moitié des ressources des collectivités locales de dotations de l'État, les subordonner au vote annuel du Parlement, et vouloir encore aggraver la situation en privant les collectivités du produit de la taxe d'habitation, c'est la négation même de toute responsabilité démocratique et de toute liberté locale » ; enfin : « rendre impossible tout investissement local de quelque ampleur sans la mise en jeu de subventions d'autres collectivités et de l'État, c'est diviser pour mieux régner en empêchant l'épanouissement d'une démocratie locale pleinement autonome. »

Je m'arrête là, pour ne pas accabler davantage le Gouvernement, alors que vient d'être voté un projet de loi organique censé précisément protéger l'autonomie financière des collectivités territoriales, et qui les livre en réalité au bon vouloir de l'État.

Un an plus tard, mes chers collègues, le 28 février 2003, en clôture des Assises des libertés locales, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin tenait à son tour sur la question de la décentralisation un discours, dont il n'est pas mauvais de rappeler quelques extraits, tant la mise en œuvre allait profondément s'en éloigner par la suite : « Il est grand temps de démêler l'enchevêtrement des compétences et des niveaux qui dilue beaucoup trop les responsabilités » - j'y reviendrai à propos de l'amendement Doligé, qui a été adopté par le Sénat. Mais voici une autre affirmation : « Transférer les compétences n'est rien si les financements ne suivent pas [...] la décentralisation ne sera pas un jeu de dupes. [...] Nous ne décentraliserons pas les déficits, ou les charges galopantes » ; enfin, perle parmi les perles, « mère des perles », comme il y a la mère des réformes : « La région sera le chef de file pour les interventions économiques. Les aides aux entreprises que gèrent les services déconcentrés de l'État doivent être transférées aux régions. »

M. René Dosière. C'était avant les élections !

M. Jean-Pierre Balligand. Comme quoi, mes chers collègues, on peut tout dire en politique, l'essentiel étant que l'on vous croie.

M. Alain Gest, rapporteur. Vous êtes experts en la matière !

M. Xavier de Roux. Oui, vous en savez quelque chose !

M. Jean-Pierre Balligand. À votre place, je serais plus prudent, monsieur de Roux !

Le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République est promulguée. Je vous rappelle encore une fois que les socialistes ont voté contre cette réforme car vous avez un peu trop tendance à arguer de cette première étape législative pour justifier le tour pris par votre réforme.

Un an et demi s'est écoulé depuis lors, et les belles intentions ont laissé place à l'organisation chaotique que l'on sait.

M. Jean-Pierre Brard. Et aux désillusions !

M. Jean-Pierre Balligand. Je vais y venir.

Les transferts de charges ont d'abord précédé, parfois de plusieurs mois, les lois organiques prévues par la Constitution pour préciser la loi constitutionnelle. Le cas est particulièrement flagrant pour la loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, qui a été promulguée le 18 décembre 2003, alors qu'aucun projet de loi organique n'avait encore été examiné par notre assemblée !

M. Christophe Caresche. Exactement !

M. Jean-Pierre Balligand. Et on ne peut pas dire qu'il s'agissait d'un transfert de peu d'importance !

Statuant le 29 décembre 2003, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu que « la méconnaissance [des] dispositions [de l'article 72-2 de la Constitution] ne peut être utilement évoquée tant que ne sera pas promulguée la loi organique qui devra définir les ressources propres des collectivités territoriales ».

M. Christophe Caresche et M. René Dosière. Il a bien précisé « promulguée » !

M. Jean-Pierre Balligand. Il a aussi rappelé dans ses considérants l'obligation pour l'État « de maintenir un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert » : ce rappel sonne comme une critique majeure de la manière de procéder du Gouvernement.

Pour notre part, nous avons réclamé à cor et à cri que le projet de loi organique, censé apporter les garanties financières aux collectivités locales, soit enfin inscrit à l'ordre du jour du Parlement, conformément aux desiderata du Conseil constitutionnel, avant que ne soit abordée la lourde étape des transferts massifs de compétences.

Ce n'est pas ce que vous avez fait : le projet de loi relatif aux responsabilités locales a été déposé sur le bureau du Sénat le 1er octobre 2003, alors que le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, déposé le 22 octobre 2003 à l'Assemblée nationale, qu'il n'a été examiné en commission des lois que le 14 avril 2004 et débattu en séance publique à partir du 12 mai 2004 ; or la loi ordinaire avait déjà été adoptée en première lecture ! Beau respect de la logique et des procédures législatives ! Bel hommage rendu à la valeur du travail parlementaire !

Outre cet incroyable désordre calendaire, les positions du Gouvernement n'ont pas cessé de varier sur le fond durant nos débats. En fonction de l'auditoire, selon la pression des lobbies ou au gré d'arrière-pensées politiciennes mouvantes, des promesses ont été tour à tour faites puis retirées, touchant la médecine scolaire, la possibilité de péages routiers et urbains, ou encore le rôle de chef de file de la région en matière économique.

Je ne nie pas que le décentralisateur que je suis, comme beaucoup de mes collègues socialistes, s'était réjoui des ambitions affirmées à cette tribune il y a deux ans.

M. Michel Piron. Ah !

M. Jean-Pierre Balligand. Mais, hélas ! les ambitions proclamées sont restées lettre morte : foin de la réforme démocratique annoncée - elle n'est nulle part dans votre texte, qui se prétend pourtant l'acte II de la décentralisation ! Foin de la lisibilité des compétences ! Voilà pourtant dix ans que les décentralisateurs de ce pays, qu'ils soient de gauche ou de droite, disent qu'il y a un problème de chevauchement des compétences, et qu'il est fondamental de les clarifier, afin que le citoyen sache qui fait quoi dans ce pays. Or cette prétendue « mère des réformes » n'apporte strictement aucune lisibilité à la répartition des compétences.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous ne croyez pas vous-même ce que vous dites !

M. Jean-Pierre Balligand. Ce sera même encore pire avec l'invention des amendements Doligé et autres, de l'avis de tous ceux qui savent quel gaspillage d'argent public entraîne la concurrence entre collectivités. Moi qui ai exercé à peu près toutes les responsabilités à tous les niveaux des collectivités, je peux vous dire que c'est une véritable catastrophe. Et je ne suis pas le seul à dire cela, et pas seulement sur les bancs socialistes : ce diagnostic est partagé sur tous les bancs.

M. Michel Piron. Le texte sert à remédier à ce problème !

M. Jean-Pierre Balligand. Mais non ! Il n'y a rien ! Foin d'une véritable autonomie financière des collectivités locales !

M. Michel Piron. Que de foin !

M. Jean-Pierre Balligand. Foin de la concertation avec les élus et les syndicats, foin du respect du vote des citoyens, foin, surtout, du renforcement promis de l'intercommunalité.

M. Michel Piron. Quelle fenaison ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Balligand. Vu d'ici, le prétendu acte II de la décentralisation apparaît en réalité comme une succession incohérente de saynètes, enchaînées sans fil directeur et jouées sans filet. Bref, ce prétendu acte II évoque la Ligue d'improvisation plus que la Comédie française !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. Cela n'irait déjà pas sans mal si les enjeux en présence n'étaient pas aussi importants et, surtout, si le pouvoir en place n'avait pas été par deux fois désavoué publiquement par les Français. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Et durement !

M. Alain Gest, rapporteur. Quel rapport ?

M. Jean-Pierre Brard. Vous n'aimez pas qu'on vous rappelle ce cauchemar !

M. Michel Piron. Cela n'a rien à voir avec le texte !

M. Jean-Pierre Balligand. Ça a quand même à voir pour la concertation !

Les résultats des élections régionales et cantonales du 28 mars 2004, outre qu'ils ont constitué un camouflet historique pour le Gouvernement, ont provoqué une transformation sans précédent de l'équilibre territorial entre les forces politiques traditionnelles. Les Français ont sciemment mis aux commandes de la majorité des régions et des départements - c'est-à-dire à la tête des lieux emblématiques où doit s'accomplir votre action décentralisatrice - un contre-pouvoir d'exception forgé dans l'expression démocratique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest, rapporteur. Quel aveu, monsieur Balligand !

M. Xavier de Roux. C'est le cœur de la discussion !

M. Jean-Pierre Balligand. Du jour au lendemain, la France a radicalement changé de physionomie politique, dessinant, face à une hégémonique majorité parlementaire, l'ébauche d'une nouvelle majorité territoriale.

Alors que le Premier ministre promettait par écrit - il est vrai que c'était le 1er avril ! - de « consulter les présidents des groupes parlementaires et les présidents des associations d'élus » avant de décider du calendrier et du fond de sa réforme, le débat parlementaire a finalement suivi son cours sans changement notable. L'Association des régions de France a bien été reçue en audience par Jean-Pierre Raffarin le 19 avril 2004, mais c'était pour exprimer sa position sur un texte déjà voté depuis cinq jours ! Aucune réunion de travail n'a été alors programmée, malgré la demande des élus, et aucun autre échange n'a eu lieu avant celui du 6 juillet dernier, dans des conditions matérielles contestables.

Les vœux pieux formulés rapidement par le Gouvernement, les promesses d'attention, d'écoute et de rencontres - en la matière vous êtes un spécialiste, monsieur le ministre - qui n'ont été honorées ni dans les temps, ni dans les termes, ni dans les lieux indiqués - ont donc laissé la place à votre dédain coutumier envers des scrutins dits « intermédiaires », des échelons de gouvernement jugés secondaires, une expression populaire considérée comme anecdotique.

Bel aveu de faiblesse, en vérité, pour des chantres de la décentralisation, officiellement soucieux de bâtir une « République des proximités » qui s'appuierait sur la démocratie locale ! Les régions et les départements de France avaient pourtant bien des choses à vous dire, concernant notamment un transfert des personnels techniques, ouvriers et de service de l'éducation nationale, les TOS, dont ils vous répètent depuis des mois qu'ils n'en veulent pas faute d'être en mesure d'en assumer la charge.

Ce projet de loi, qui revient devant l'Assemblée nationale, souffre donc de multiples faiblesses.

J'avais déjà eu l'occasion de les relever au nom du groupe socialiste dans le cadre de la question préalable que j'avais défendue le 24 février dernier, lors de la première lecture. Force est de constater que ces faiblesses se sont aggravées. Pis, ce texte a perdu le peu de lisibilité qu'il pouvait avoir.

Cette faiblesse est tout d'abord politique. Ce gouvernement a érigé la proximité et la décentralisation en lignes directrices de sa politique. Or, dans plusieurs domaines sensibles de son activité, il a tourné le dos à ses propres orientations.

Il s'agissait de bâtir une « République des proximités, unitaire et décentralisée » qui, en s'appuyant sur plusieurs piliers, la région, le département et l'échelon intercommunal, serait comprise des citoyens et efficace.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand. Je ne crois pas, monsieur Piron, avoir travesti le projet du Gouvernement.

M. Michel Piron. En effet, ce passage de votre discours est très bon !

M. Jean-Pierre Balligand. Le décalage entre les discours enflammés tenus en 2002 et 2003 lors des Assises des libertés locales, que vous avez évoquées, monsieur le rapporteur, et la réalité de votre réforme, crève aujourd'hui les yeux.

Dois-je vous rappeler que, dans le texte d'origine, les régions étaient chargées de la cohérence et de la programmation ? Elles ne sont plus, depuis le vote par le Sénat d'un amendement auquel le Gouvernement a souscrit, responsables du développement économique sur leur territoire : elles en assurent simplement la coordination.

M. Michel Piron. Ce qui n'est pas rien !

M. Jean-Pierre Balligand. Dès l'article 1er de ce texte, vous revenez donc sur vos conceptions régionalistes et vous allez même plus loin en organisant - ce qui est plus grave - la compétition et la concurrence entre les territoires et les structures.

En effet, au VI de l'article 1er, vous modifiez l'article L. 1511-5 du code général des collectivités territoriales en prévoyant que l'État et une collectivité territoriale autre que la région ou un groupement, donc une ville ou un département, peuvent passer une convention pour compléter des régimes d'aide économique. Enfin, sans doute par remords, le IX du même article prévoit une expérimentation autour du schéma régional de développement économique qui pourrait être confié à la région.

En vérité, il n'y a aucune logique ni aucune cohérence dans votre texte.

Lors des Assises des libertés locales, le Gouvernement proclamait que l'acte II de la décentralisation allait « muscler » les régions et clarifier la décentralisation. Le résultat politique est affligeant.

Je veux le redire ici, pas au nom de mon groupe, mais au nom du travail que nous avons accompli, nous, maires de grandes villes, présidents de communauté d'agglomération - je peux les citer, parce que nous avons depuis longtemps fait des textes sur tout cela -,...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je les ai reçus !

M. Jean-Pierre Balligand. ...au nom des présidents de conseil général, qui sont bien sûr d'accord avec moi, des présidents d'intercommunalité et des présidents de région : seules les régions sont capables d'organiser des synergies, et c'est ce qui est fondamental, entre les universités, les laboratoires, les entreprises et les collectivités locales. Or elles sont dépouillées de cette compétence. Seraient-elles punies d'avoir majoritairement voté à gauche en mars dernier ?

Enfin, où est l'efficacité si, dans ce domaine du développement économique et de l'emploi, tout le monde peut faire à peu près ce qu'il veut sans cadre normatif sérieux, puisque même l'État est encouragé à passer des conventions financières avec les départements et les villes ? Est-ce cela la simplification et la lisibilité pour les citoyens ?

M. Christophe Caresche. Catastrophe !

M. Jean-Pierre Balligand. Pas de cohérence donc, mais une concurrence organisée par la loi.

M. Christophe Caresche. Absolument !

M. Jean-Pierre Balligand. Le travail organisé au Sénat n'a pas non plus, malheureusement, permis de corriger vos orientations en matière d'intercommunalité.

M. Christophe Caresche. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand. Cette fois-ci, c'est le vice-président de l'ADCF qui vous parle ! Mais les collègues de droite qui sont aussi, comme moi, vice-présidents du bureau au côté du président, M. Censi...

M. Alain Gest, rapporteur. Cumul !

M. Jean-Pierre Balligand. Il y a des gens qui travaillent, monsieur Gest ! Et moi, je n'ai pas été battu aux élections locales ! Pas de chance pour vous !

M. Alain Gest, rapporteur. Voilà qui est très délicat ! Cela arrive pourtant à tout le monde, même à M. Dosière !

M. Jean-Pierre Balligand. Cela peut m'arriver aussi, c'est pour cela que je suis prudent !

M. le ministre délégué à l'intérieur. C'est ce qui s'appelle se rattraper aux branches !

M. Jean-Pierre Balligand. Ce n'est pas pour cela que je n'ai pas le droit de m'exprimer au nom de l'ADCF !

Je rappelle pour mémoire qu'au 1er janvier 2004 plus de 50 millions de Français vivaient désormais dans des structures intercommunales et plus de 60 % de celles-ci sont fiscalement très intégrées, avec une taxe professionnelle unique et partagée. On aurait pu penser, et souhaiter, que ce succès des lois Joxe et Chevènement de 1992 et 1999 soit sacralisé dans un texte baptisé pompeusement « acte II » de la décentralisation, tant notre pays a besoin aujourd'hui d'une reconstruction subsidiaire de son organisation territoriale autour de deux pivots majeurs : le pôle régional, d'une part, et celui de l'agglomération et du pays, d'autre part.

M. Xavier de Roux. Mais non !

M. Jean-Pierre Balligand. Or il n'en est rien.

Le titre IX de ce projet est en fait consacré à des aménagements législatifs, voire à la reprise des dispositifs antérieurs, quand il ne s'agit pas d'intégrer dans le droit positif des jurisprudences du Conseil d'État ou de cours administratives d'appel.

Bref, là où l'on attendait un texte qui établisse politiquement la position déterminante des structures intercommunales, on observe une série de dispositions techniques - articles 99 AA, 103, 107, 112 - qui simplifient, certes, la vie des élus communaux et intercommunaux, mais surtout celle des fonctionnaires de la direction générale des collectivités locales !

On tombe à un niveau indigne de l'élan politique des débuts, surtout quand - écoutez bien, mes chers collègues - avec l'accord du préfet, on autorise une commune à se retirer d'un groupement pour adhérer à un autre, plus offrant sans doute : c'est ce que prévoit article 117 bis A nouveau.

M. Xavier de Roux. Et alors ? C'est très bien !

M. Jean-Pierre Balligand. Là encore, les maîtres mots semblent bien être : cohérence non, concurrence oui !

M. Xavier de Roux. Nous ne voulons pas de vos carcans idéologiques ! Nous sommes pour la liberté des communes ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Liberté du renard dans le poulailler !

M. Jean-Pierre Balligand. Ce sont des propos d'irresponsable, monsieur Deroux !

Faiblesse budgétaire, et financière ensuite.

Les transferts de compétences constituent un motif sérieux de désaccord, lequel transcende d'ailleurs la ligne de partage entre majorité et opposition parlementaires.

Les transferts de compétences, qui confortent le statu quo institutionnel mis en place il y a plus de vingt ans, vont entraîner au moins 11 milliards d'euros de transferts de charges, dont 3 milliards pour les régions et 8 pour les départements. Est-on sûr, cependant, que le compte y est ?

Pour les transferts classiques, voire de bon sens - 20 000 kilomètres de voirie nationale, les ports, les aéroports, etc. -, il n'y a guère de problème,...

M. Michel Piron. C'est donc une bonne mesure !

M. Jean-Pierre Balligand. ...mais pour les personnels, c'est une tout autre histoire. L'État espère transférer les TOS, soit de 90 000 à 95 000 agents techniques d'exploitation indispensables dans les lycées et les collèges, mais leur nombre est notoirement insuffisant, et cela fait plus de deux ans que l'État n'a pas recruté !

L'alternative est simple pour les collectivités locales bénéficiaires : soit recruter entre 35 000 et 40 000 personnels supplémentaires pour couvrir les besoins - et encore, ce chiffre est-il taillé court -,...

M. Michel Piron. 50 % d'augmentation !

M. Jean-Pierre Balligand. ...soit externaliser ces prestations auprès d'entreprises privées.

Tout a déjà été dit sur ce sujet, et il faudra de toute manière y revenir au travers de la réforme des dotations de l'État et de la fiscalité locale, mais je constate globalement une volonté manifeste de punir les collectivités locales, notamment les régions, en les asphyxiant budgétairement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Balligand. Avec ce texte, conseils régionaux et généraux vont être confrontés à des choix compliqués : intégrer à marche forcée ces personnels, avec les coûts associés mais cachés de cette intégration, quitte à couper sur d'autres budgets, à augmenter la fiscalité locale - sous réserve que le mécanisme ouvert aux régions de voter un taux de TIPP soit praticable - ou à se contenter au fil de l'eau, à périmètre budgétaire constant, de faire face à ces compétences.

M. Xavier de Roux. N'importe quoi !

M. Jean-Pierre Balligand. Bref, elles n'auront pas le choix, à la différence de l'État, qui transfère ses déficits et sa contrainte budgétaire sur les autres.

II faut bien que je vous mette en garde au nom de mes collègues : ces transferts déséquilibrés auront un coût révélé qui sera double. L'ampleur et l'inadéquation des charges aux ressources transférées vont poser le problème de leur « soutenabilité » budgétaire dans les régions et les départements. Cela risque fort de se traduire par la mise en sommeil de toute politique novatrice des régions à l'égard de l'emploi et des conseils généraux et régionaux à l'égard de la création culturelle, alors que les collectivités locales sont les premiers et quasiment les uniques soutiens de cette politique.

M. Bertho Audifax. Comme M. Frêche !

M. Jean-Pierre Balligand. En définitive, ce texte est marqué par l'absence totale de souffle politique. Il est devenu, au fil de ses lectures successives, une juxtaposition de mesures et de dispositifs hétérogènes, de nature administrative.

Ce qui est confondant, c'est le déséquilibre d'un transfert institutionnel de déficits sans aucune évaluation. L'État est incapable de se réformer et d'adapter ses structures à la nouvelle donne institutionnelle, et c'est le citoyen qui sera le grand perdant de cette politique de gribouille inégalitaire.

Ce qui est organisé, c'est le laisser-faire institutionnel et, soyons clairs, c'est quasiment un marché de compétences,...

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. ...un véritable mercato, entre les régions, les départements et les villes, avec comme arbitres les banques et les grandes entreprises (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), friandes de conclure des partenariats public-privé avec des collectivités conduites vers une impasse budgétaire.

M. Alain Gest, rapporteur. À quand l'alliance PS-LO ?

M. Jean-Pierre Balligand. Ce texte de revanche politique, ni pensé ni chiffré, incite désormais la gauche à bâtir un acte III de la décentralisation. Ce ne sera pas une mince affaire, après le travail de siphonnage des finances locales que vous menez depuis 2002. Il faudra sans doute plusieurs années pour redonner du crédit à l'idée même de décentralisation et remettre ce chantier sur le métier, pour donner enfin à la démocratie territoriale ses lettres de noblesse et assurer aux élus locaux la protection qu'ils attendent. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour l'heure, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette question préalable. Le Gouvernement prendra ainsi le temps - il aura tout l'été pour cela - de revoir sa copie.

Il y va du respect de nos institutions et de la représentation parlementaire - particulièrement malmenée ces temps-ci - mais aussi du respect des élus locaux et, à travers eux, des Français.

Je terminerai par quelques mots personnels.

Je suis très chagriné que Jean-Pierre Raffarin, qui fut pendant de nombreuses années l'un des vice-présidents de l'Institut de la décentralisation, et dont je n'ai jamais mis en cause - il le sait - les convictions décentralisatrices qui étaient les siennes, nous demande aujourd'hui, après l'écrémeuse du Sénat mais aussi de l'Assemblée nationale, d'adopter en deuxième lecture un texte qui n'opère aucune clarification des compétences - il y a même une complexification des compétences -, qui aboutit à une exclusion totale du citoyen, et, surtout, qui réalise un complet démantèlement de l'État - car c'est peut-être cela la réalité du projet. Je regrette de constater que le Premier ministre aura détruit cette belle idée de la décentralisation qu'il portait...

M. René Dosière. Hélas !

M. Jean-Pierre Balligand. ...et que nous aurons, avec mes collègues, beaucoup de travail à faire pendant plusieurs années pour la réhabiliter dans ce pays. Ce texte est loin de cette belle idée de décentralisation républicaine. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Gest, rapporteur. Cher collègue Jean-Pierre Balligand, vous avez terminé votre propos en indiquant que vous étiez chagriné.

M. Christophe Caresche. C'était une démonstration implacable !

M. Alain Gest, rapporteur. Permettez-moi de vous dire que je suis dans le même état d'esprit, mais pas pour les mêmes raisons. Personne ici ne contestera votre connaissance personnelle des problèmes de décentralisation.

M. Christophe Caresche. Balligand est excellent !

M. Jean-Pierre Balligand. Ce n'est pas le problème !

M. Alain Gest, rapporteur. C'est important de le dire !

M. Michel Piron. Oui, il faut le souligner !

M. Alain Gest, rapporteur. Par conséquent, en véritable connaisseur de ce sujet, vous auriez pu, d'une part, vous dispenser d'appréciations personnelles agressives et inutiles, d'autant que ce n'est pas la première fois aujourd'hui.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le propos de M. Balligand n'était pas agressif !

M. Pascal Clément, président de la commission. Récidive !

M. Alain Gest, rapporteur. C'est une récidive, et c'est oublier que les péripéties de la démocratie peuvent, c'est vrai, toucher tout le monde, les uns après les autres. Convenez-en avec nous, monsieur Dosière, et nous aurons aujourd'hui marqué un point au niveau du fair-play !

M. René Dosière. Pourquoi m'agressez-vous ?

M. Alain Gest, rapporteur. Parce que vous l'avez fait également tout à l'heure et en commission l'autre jour, et que j'ai de la mémoire !

D'autre part, je suis chagriné - M. Brard est sorti, mais sans doute était-il déçu par la citation de M. Piron tout à l'heure, qui s'appliquait beaucoup plus à vous, monsieur Balligand, qu'aux propos de M. Chassaigne, venant de quelqu'un qui connaît parfaitement la décentralisation...

M. Christophe Caresche. Répondez sur le fond !

M. Alain Gest, rapporteur. Ne vous pressez pas trop, je vais répondre, d'autant plus que, manifestement, nous n'écoutons pas les mêmes responsables politiques que vous, et je vais vous en donner au moins un exemple.

Permettez-moi d'être surpris des confidences que, semble-t-il, vous fait le Conseil constitutionnel. En effet, hier, dans le cadre du débat sur le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, et aujourd'hui encore, vous avez fait allusion à des critiques qu'aurait formulées le Conseil constitutionnel. Je ne l'ai pas entendu s'exprimer à ce sujet, et pour cause : il ne le fera − vous l'avez rappelé − qu'après avoir étudié le projet de loi organique que le Sénat a voté conforme ce matin. Ne soyez donc pas trop pressé, attendons tranquillement et nous verrons bien ce qui se passera.

Vous nous avez reproché de nous être éloignés de l'esprit initial du texte, celui d'une « République des proximités ». Mais le renforcement de la démocratie participative, que nous avons mis en place dans la loi organique relative au référendum local, et la présente loi de transfert de compétences ne vont-ils pas dans le sens d'une plus grande proximité ? Ne trouvez-vous pas que mieux gérer les routes nationales en les confiant à une collectivité départementale − dont, naguère, vous avez su apprécier l'utilité −, c'est de la proximité ? Je me demande ce que, pour vous, recouvre ce terme.

Cet exemple est éclatant, et je pourrais en citer bien d'autres.

Vous dites que cette loi ne contribue en rien à démêler l'enchevêtrement des compétences. Mon expérience est certes moins grande que la vôtre, mais, pour autant, elle n'est pas négligeable : j'ai siégé dans un conseil régional − le même que vous ; j'ai présidé un conseil général, comme vous ; j'ai été conseiller municipal, comme vous. Seule me manque, contrairement à vous, l'expérience de l'intercommunalité.

M. Pascal Clément, président de la commission. Moi, je l'ai ! J'ai tout ! (Sourires.)

M. Alain Gest, rapporteur. Mais je sais bien que, malgré les lois que vous avez votées, malgré celles que vous avez prétendu améliorer, la formation professionnelle, qui, depuis des années, est réputée relever de la compétence des régions, n'était que très partiellement gérée par elles. Or le texte leur attribue toute la compétence de la formation professionnelle. N'est-ce pas là une clarification ? N'en apporte-t-il pas également une dans le domaine des infrastructures − ports, aérodromes, canaux ? En complétant les dispositifs du RMI et du RMA − que vous avez évoqués dans des termes qui me paraissent excessifs −, n'affirme-t-il pas le rôle déterminant du conseil général comme pôle social ? Et, là encore, je pourrais citer bien d'autres exemples.

Certes, on peut toujours espérer mieux...

M. Michel Piron. Le mieux n'est pas toujours l'ennemi du bien !

M. Alain Gest, rapporteur. ...mais ne dites pas que cette loi n'apporte pas d'améliorations sensibles en matière de clarification des compétences.

Venons-en à la question de l'économie, qui a particulièrement retenu votre attention. Depuis deux mois, vous essayez de faire croire que, avant les élections de mars dernier, le statut de « chef-de-filat » en matière économique faisait l'objet d'un consensus, que tout le monde était enthousiaste à l'idée de voir les régions disposer de la compétence économique.

M. Michel Bouvard. Ce n'est pas vrai ! J'y ai toujours été hostile, dès la loi relative à la démocratie de proximité !

M. Alain Gest, rapporteur. Monsieur Balligand, vous avez fait référence à des personnages illustres, le Président de la République ou le Premier ministre, et vous me permettrez d'en citer un, qui l'est sans doute un peu moins qu'eux, mais qui connaîtra peut-être un parcours tout aussi brillant.

M. Pierre Albertini. L'exercice est dangereux !

M. Alain Gest, rapporteur. Permettez-moi de vous lire quelques morceaux choisis de l'intervention que ce personnage a faite au Sénat, lors du débat en première lecture, avant les élections de mars 2004 : « La rédaction actuelle du projet de loi nous amène à douter de la marge d'initiative réelle qui restera aux communes et aux groupements de communes. » Un peu plus loin − mais les lignes que je saute ne modifient pas le contexte : « Nous pensons qu'on établit ainsi, malgré l'article 72 de la Constitution, une tutelle de la région sur les autres collectivités territoriales en matière de politique économique et que cet article est profondément inconstitutionnel. »

M. Christophe Caresche. C'est un sénateur !

M. Alain Gest, rapporteur. Comme vous êtes copains avec le Conseil constitutionnel, vous allez pouvoir lui demander ce qu'il en est. « S'il s'agit, comme il est dit dans le texte de loi, d'une simple concertation, les villes et les agglomérations pourront dire ce qu'elles voudront. Finalement, ce sera la région qui, souverainement, prendra la décision. Elle pourra ainsi exercer un contrôle ou, pis encore, témoigner une certaine indifférence à l'égard du développement de secteurs vitaux pour les grandes agglomérations, car elle sera loin des réalités du terrain. »

M. Xavier de Roux. C'est exactement ce que je pense !

M. Alain Gest, rapporteur. Enfin, s'adressant au prédécesseur de M. Copé, notre orateur concluait : « Monsieur le ministre, je ne voudrais pas que l'on brise l'élan économique de nos grandes villes en les mettant sous la tutelle lointaine d'une région. »

M. le ministre délégué à l'intérieur. Qui est-ce ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Le nom !

M. Édouard Landrain et M. Xavier de Roux. Un nom !

M. Alain Gest, rapporteur. À la demande générale, je vais donner le nom de l'orateur. Sans doute aurait-il eu un peu de mal à participer aux délibérations du groupe de travail que vous avez évoqué tout à l'heure. Il s'agit de Gérard Collomb...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il n'est pas tellement « illustre » !

M. Alain Gest, rapporteur. ...qui, vous le savez, a quelques responsabilités à Lyon et dans l'agglomération lyonnaise.

M. Pascal Clément, président de la commission. Mais il est marginal au PS !

M. Alain Gest, rapporteur. Je pourrais faire d'autres citations et, rassurez-vous, j'en ai gardé pour la suite des débats. Quoi qu'il en soit, monsieur Balligand, cela prouve bien que vous n'êtes pas unanimes au sein de votre groupe.

M. Michel Piron. Loin de là !

M. René Dosière. Chez nous, la liberté règne !

M. Christophe Caresche. M. Collomb n'est pas député, il est sénateur !

M. Alain Gest, rapporteur. Dans un communiqué, M. Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France...

M. Pascal Clément, président de la commission. Majoritairement à gauche !

M. Alain Gest, rapporteur. ...déclare que la rédaction actuelle, que je vous propose d'adopter, met en valeur la réalité de l'existence économique des départements. Il partage donc notre vision.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est normal : c'est le lobby départemental !

M. Alain Gest, rapporteur. Les lobbies varient, en fonction de l'époque et des responsabilités qu'ils exercent !

M. Pascal Clément, président de la commission. Dès que quelque chose vous déplaît, vous voyez un lobby derrière !

M. René Dosière. « Lobby » n'est pas un gros mot !

M. Alain Gest, rapporteur. Une inquiétude s'était exprimée.

M. Jean-Pierre Balligand. Notre inquiétude à nous, c'est l'attitude de M. Raffarin !

M. Alain Gest, rapporteur. Je vais vous répondre : je vous ai écouté attentivement et je ne me dérobe pas à vos questions.

Des protestations très vives s'étaient élevées à propos de ce texte ...

M. Pierre Hellier. C'est vrai !

M. Alain Gest, rapporteur. ...et ce que vous avez dit tout à l'heure ne fait qu'ajouter à l'inquiétude des élus.

M. Xavier de Roux. Tout à fait !

M. Alain Gest, rapporteur. Vous avez en effet dévoilé le fond de votre pensée en disant que, il y a trois mois, les électeurs ont établi des contre-pouvoirs dans les régions et les départements.

M. Pierre Hellier. Il l'a dit !

M. Alain Gest, rapporteur. Cette terminologie paraît inadaptée : nous vivons en France, dans un pays unitaire, et, contrairement à ce qui peut se passer chez certains de nos voisins − en Espagne, par exemple, où la Catalogne a quasiment le statut d'un État −...

M. Claude Goasguen. C'est le fédéralisme !

M. Alain Gest, rapporteur. ...nous privilégions un simple niveau de gestion de proximité. Il faut partir de ce distinguo pour bien comprendre le contexte dans lequel s'inscrit ce projet de loi. En fait, ce que vous voulez, c'est, en vous appuyant sur des fonctions locales, remettre en cause la démocratie représentative qui s'exprime dans cette enceinte.

M. Pierre Hellier. Eh oui !

M. Xavier de Roux. Caporaliser la République !

M. Jean-Pierre Balligand. Pas du tout ! Voulez-vous que je relise ce que j'ai dit exactement ?

M. Alain Gest, rapporteur. Vous avez ajouté à la confusion et à l'inquiétude des élus, et certains se sont manifestés auprès du Sénat, à commencer par M. Bockel − futur sénateur, semble-t-il −, qui pourra vous confirmer qu'il ne veut surtout pas de tutelle des régions en matière économique.

M. Pascal Clément, président de la commission. Encore un lobby ! Décidément, il n'y a que ça, à gauche !

M. Alain Gest, rapporteur. En effet, l'économie est une compétence radicalement différente de celles qu'exercent habituellement les régions, les départements et les communes, puisqu'elle est génératrice de richesses et de ressources directes. À tous les niveaux d'intervention, communal, intercommunal ou départemental, on s'intéresse donc avec une grande attention aux implantations d'entreprises et aux conditions de leur développement.

Avant même les élections de mars, certaines régions − tel le Centre − refusaient toute discussion avec les départements qui la composent, si bien que les présidents de conseils généraux ont fini par craindre que, si elles disposaient de l'intégralité du pouvoir économique, ils n'aient plus rien à dire. C'est exactement ce que M. Gérard Collomb exprimait avec un bon sens que vous ne sauriez contester.

Le Sénat a pris en compte ces inquiétudes,...

M. Jean-Pierre Balligand. La majorité est socialiste, au Sénat ?

M. Alain Gest, rapporteur. ...remplaçant la généralisation par l'expérimentation.

M. René Dosière. Je sens que vous allez voter mon amendement !

M. Alain Gest, rapporteur. Ce matin, à onze heures, je parlais au téléphone avec M. Rousset, président de l'Association des régions de France.

M. René Dosière. Et il est d'accord avec vous ?

M. Alain Gest, rapporteur. Comme il peignait un tableau idyllique de la gestion de la région Aquitaine, des relations courtoises qu'elle entretient, par le dialogue et par la convention, avec les départements, voire avec les grandes villes de son territoire, je lui ai dit qu'elle se porterait donc spontanément candidate à l'expérimentation du « chef-de-filat » et à la réalisation du schéma de développement économique régional. Elle démontrerait ainsi, avec d'autres, que l'inquiétude que ce projet a suscitée chez certains élus − nombreux, et non des moindres, sur tous les bancs de l'Assemblée, du Sénat, et ailleurs − n'était pas justifiée. La formule, relativement souple, permet d'apaiser les inquiétudes et, peut-être, à terme, de parvenir au résultat que vous souhaitez.

M. Christophe Caresche. Qui décide de l'expérimentation ?

M. Alain Gest, rapporteur. Nier qu'il y a eu une levée de boucliers contre ce projet serait faire preuve d'autisme, et je n'imagine pas que, avec la connaissance que vous avez du sujet, vous puissiez le faire.

Je rappelle de surcroît que la région reste coordinatrice de l'économie et que, dès lors qu'elle s'entendra avec les autres niveaux de collectivités, elle n'aura guère de difficultés à faire avancer les dossiers économiques.

Je voudrais cependant corriger l'une de vos extrapolations. À vos yeux, nous avons quasiment commis un crime de lèse-majesté en prévoyant, à l'article 117 bis A, qu'une commune pourrait quitter un groupement de communes pour un autre.

M. Jean-Pierre Balligand. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'ADCF !

M. Alain Gest, rapporteur. Si vous avez lu le compte rendu des réunions de la commission des lois − qui ont bien eu lieu, contrairement à ce que l'on a pu imaginer −, vous aurez noté que cette possibilité serait limitée dans le temps et qu'elle ne serait plus offerte après le 1er janvier 2005. Nous sommes aujourd'hui le 22 juillet 2004. Une fois la loi promulguée et les décrets d'application publiés, il ne restera guère que le temps de résoudre quelques difficultés locales qui, convenez-en, peuvent exister : tel est l'unique objet de cette disposition.

Encore une fois, on assiste à une déformation de la réalité. Vous l'avez regretté venant de la part de Jean-Pierre Raffarin. Permettez-moi de le regretter venant de votre part, car je pense sincèrement que ce texte permettra d'accomplir de notables progrès en matière de clarification des compétences.

C'est pourquoi je demande à l'Assemblée de bien vouloir repousser la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs, après la remarquable réponse, point par point, d'Alain Gest, vous comprendrez que je ne veuille pas être redondant. Je partage très largement les objections qu'il a formulées et je ne reviendrai donc que sur quelques éléments qui me paraissent d'importance.

Monsieur Balligand, vous avez participé, ces derniers jours, au débat sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Or je vous ai entendu à la tribune revenir une fois de plus sur sa constitutionnalité.

Chacun doit bien comprendre que nous n'avons pas ici à décider de ce qui est ou n'est pas conforme à la Constitution.

M. Christophe Caresche. Vous avez pourtant déposé un amendement pour clarifier les choses en ce domaine !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il existe un juge constitutionnel dont c'est la compétence. Laissons-le décider dans sa sagesse.

M. Alain Gest, rapporteur. Il n'est pas correct, en effet, de parler en son nom !

M. Jean-Pierre Balligand. Je n'ai pas parlé en son nom !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce n'est pas non plus ce que j'ai dit. Je veux simplement rappeler que chacun doit être à sa place. Celle du Gouvernement, ici, est de présenter un texte de loi et de le proposer à votre adoption. Nous saurons dans quelques jours ce qu'il en est du texte de loi organique.

Quant à votre argument selon lequel vous n'auriez pas à débattre du texte sur les transferts de compétences tant que la loi organique ne serait pas définitivement promulguée,...

M. Claude Goasguen. C'est spécieux !

M. Guy Geoffroy. Sans aucune base constitutionnelle !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...je suis très réservé, et cela pour deux raisons.

La première, c'est que la loi sur le RMI et le RMA donnant compétence en la matière aux départements a été adoptée et appliquée à compter du 1er janvier 2004, l'impôt national correspondant, en l'occurrence la TIPP, ayant été transféré à l'euro près.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Que je sache, le Conseil constitutionnel n'y a pas trouvé motif à censure.

La seconde raison tient au contenu même de la loi organique, à savoir l'autonomie financière. L'autonomie financière des collectivités territoriales et le transfert de compétences sont en effet deux concepts distincts. En tout état de cause, autonomie financière ou pas, nous transférerons, parce que cela est inscrit dans la Constitution, les ressources, à l'euro près, correspondant aux compétences.

En d'autres termes, monsieur Balligand, nous ne ferons jamais le coup que le gouvernement de M. Jospin a fait avec l'APA. Nous en avons suffisamment souffert.

M. Alain Gest, rapporteur. Et cela continue !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il nous a en effet fallu, dans l'urgence, trouver des solutions de financement. Autant vous dire qu'il n'est pas question pour nous, je le répète, de faire ce que nous avons beaucoup critiqué par le passé.

Le texte relatif aux transferts de compétences dont nous discutons sera applicable à compter du 1er janvier 2005. Il va de soi que, d'ici à cette date, une loi organique aura été promulguée. Le seul calendrier le voudrait d'ailleurs ainsi.

Cependant, comme j'ai à cœur de répondre à toute interrogation ou de dissiper toute inquiétude, je dépose un amendement sur ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen. C'est une procédure normale !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il y avait donc un problème !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Non, mais puisqu'on ne semble pas le comprendre, il est essentiel de lever toute ambiguïté.

M. Christophe Caresche. C'est tout de même la preuve qu'il y avait un problème !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Détendez-vous, monsieur Caresche ! Tout se passera très bien ! (Sourires.)

Mme la présidente. Monsieur Caresche, laissez parler M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je déposerai donc un amendement indiquant que la loi relative aux transferts de compétences ne s'appliquera pas tant que la loi organique ne sera pas promulguée. C'est redondant, mais ainsi tout le monde sera rassuré.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas comme avec Jospin !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Cela prouve au moins que nous vous écoutons et que nous sommes beaucoup plus ouverts que vous ne le prétendez à vos observations.

Pour le reste, monsieur Balligand, vous avez été très critique.

Nous manquerions de souffle, d'enthousiasme, d'ambition.

M. Franck Gilard. On n'est pas au Tour de France !

M. le ministre délégué à l'intérieur. M. Gest l'a rappelé, vous êtes un bon connaisseur des questions de la décentralisation, comme d'ailleurs beaucoup dans cet hémicycle. Vous avez contribué, à votre juste place, à la réflexion dans ce domaine. Vous savez bien que ce que nous proposons se retrouve dans tous les débats qui ont eu lieu au sein des multiples commissions, groupes, colloques et même assemblées qui ont travaillé sur ce sujet, et s'inspire largement du rapport Mauroy.

Je m'empresse d'ailleurs de dire à M. Dosière, à propos du reproche qu'il a adressé à Jean-Pierre Raffarin, que si ce dernier a quitté à l'époque la commission Mauroy, c'était pour une question de forme et non de fond. Car le moins que l'on puisse dire, c'est que l'opposition y était vraiment mal traitée. Aujourd'hui, non seulement nous vous écoutons patiemment, mais nous vous répondons courtoisement. C'est vous dire combien, là aussi, les temps ont quelque peu changé !

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le texte manquerait de souffle...

M. Jean-Pierre Balligand. Vous l'avez vidé !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il aborde tout de même, pour ne prendre que ces exemples, les routes, le logement, l'emploi, l'insertion, la formation professionnelle, le développement économique, la gestion des collèges et des lycées, soit des pans entiers de l'action publique,...

M. Christophe Caresche. C'est un démantèlement de l'État !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...qui sont ainsi désormais partagés dans le seul souci de l'efficacité.

D'ailleurs, monsieur Balligand, si ce texte manque de souffle, que n'avez-vous fait des propositions ?

M. Édouard Landrain. Bien dit !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Depuis dix-huit mois, nous avons entendu tout et son contraire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et nos amendements ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Des amendements répétitifs, comme le disait M. Clément tout à l'heure ! Tout cela nous laisse loin du compte.

Quant à la concertation, monsieur Balligand, vous avez bien tort, selon moi, de critiquer l'exercice auquel Dominique de Villepin et moi-même nous sommes livrés. Cette concertation, déjà très importante du temps de mon prédécesseur, a été, en deux mois et demi, tout à fait considérable.

Avec Dominique de Villepin, j'ai reçu toutes les associations d'élus, toutes les organisations syndicales,...

M. Christophe Caresche. C'est votre travail !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...les présidents et rapporteurs de commissions et discuté longuement de ces questions.

S'agissant des associations d'élus, j'ai en particulier reçu l'association des maires des grandes villes, et M. Bockel et M. Collomb, qui faisaient partie de la délégation, ont eu une réaction tout à fait éclairante - je le dis d'autant plus qu'ils ne sont pas de la même famille politique que moi. C'est en effet d'une véritable angoisse existentielle dont ils m'ont fait part, tellement ils étaient inquiets de voir leur politique économique mise en péril si la région devenait chef de file en ce domaine.

Vous balayez cela, monsieur Balligand, d'un revers de main. Je vous donnerai lecture d'un document qu'ils m'ont adressé sur ce sujet lorsque nous en serons à l'examen des amendements.

Le rôle du ministre en charge des collectivités locales est d'entendre toutes les parties lorsqu'un doute ou une inquiétude apparaissent. Et c'est bien en raison de l'inquiétude de ces élus que j'ai trouvé très intéressant l'amendement présenté au Sénat par M. Doligé à l'article 1er : outre qu'il conserve à la région la coordination en matière économique sans interdire aux communes ce qui relève du pragmatisme, il ouvre aux régions la voie de l'expérimentation économique.

Voilà l'exemple d'une concertation réussie pour trouver, avec les représentants des élus, la voie d'une décentralisation bien tempérée. Voilà l'illustration de ce que l'on peut faire sans s'invectiver, en s'écoutant les uns et les autres et en se respectant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Édouard Landrain. C'est la sagesse !

M. Michel Piron. Le bon sens !

M. Jean-Pierre Balligand. C'est de la langue de bois !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous n'écoutez pas les gens !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pour l'instant, c'est vous qui ne m'écoutez pas.

M. Jean-Pierre Balligand. Vous ne passez jamais aucun compromis !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je vous ai écouté sans jamais vous interrompre.

Mme la présidente. Monsieur Balligand, veuillez, je vous prie, laisser M. le ministre s'exprimer.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce n'est pas la première fois, monsieur Balligand, que vous vous saisissez de ce thème. Mais ce n'est pas parce que l'on qu'on n'est pas d'accord avec vous que l'on use pour autant de la langue de bois. Avoir un avis différent du vôtre, ce n'est pas forcément la pratiquer.

D'ailleurs, des pans entiers des propos que vous avez tenus à cette tribune relevaient d'un discours idéologique,...

M. Jean-Claude Lenoir. Comme d'habitude !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...bien éloigné, je le sais, de ce que vous pensez au fond.

M. Jean-Claude Lenoir. M. Balligand est un idéologue !

M. Michel Bouvard et M. Claude Goasguen. Un extrémiste !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Considérez, monsieur Balligand, que l'on peut ne pas être d'accord avec vous sans pour autant pratiquer la langue de bois.

Pour ce qui est de l'association des présidents de région, Jean-Pierre Raffarin les a reçus quelques jours seulement après les élections régionales et non pas après le vote en première lecture, mais dans la perspective de la deuxième lecture, c'est-à-dire dans le cadre d'une politique de la main tendue.

Ces interlocuteurs n'ont, par la suite, jamais voulu rencontrer les ministres en charge du dossier, que ce soit Dominique de Villepin ou moi-même. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir grand ouvert nos agendas. Il ne s'est pas passé de jour sans que nos secrétariats appellent celui du président de l'ARF, pour trouver un tout petit moment dans son emploi du temps surchargé.

M. Victorin Lurel. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. le ministre délégué à l'intérieur. C'est finalement après l'adoption du texte au Sénat que nous avons eu droit à un moment d'audience. Nous avons alors répondu point par point aux questions posées par M. Rousset et ses collègues, et M. Sapin a eu ce cri du cœur : « Pourquoi ne nous avez-vous pas dit cela plus tôt ? ». Mais cela faisait deux mois et demi que j'essayais de les voir. C'est dire si notre métier est parfois difficile ! (Sourires.)

Ce débat dans lequel, inlassablement, nous répétons les uns et les autres les mêmes choses, commence donc à provoquer quelque forme de lassitude.

M. Christophe Caresche. Et qu'est-ce que vous suggérez ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Certes, la répétition, c'est la pédagogie. Mais voilà, point après point, que nous nous répétons, une, deux, dix fois sur tous les sujets.

Le débat politique constitue le charme de ce beau métier qui est le nôtre. Mais l'heure est venue d'avancer et c'est la raison pour laquelle j'invite l'Assemblée à ne pas voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Nous en arrivons aux explications de vote sur la question préalable.

La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Je souhaite d'abord...

M. Michel Bouvard. Avec douceur !

M. Michel Piron. Et gentillesse !

M. André Chassaigne. ...revenir, à l'occasion de cette explication de vote, sur un terme que j'ai employé tout à l'heure, pour montrer à quel point certains, ici, méconnaissent la langue française. L'intervention de M. Balligand a en effet apporté la démonstration de ce que j'ai appelé la forfaiture.

Le sens qui a été retenu...

M. Pascal Clément, président de la commission. Parce que ce mot a plusieurs sens ?

M. André Chassaigne. ...a été celui du crime commis par un fonctionnaire. Or tous les dictionnaires donnent également à ce mot un autre sens, celui auquel je me référais,...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ne justifiez pas l'injustifiable !

M. André Chassaigne. ...c'est-à-dire la violation d'une loi fondamentale.

Avec cette loi de décentralisation, ce sont trois principes qui sont violés, et c'est pour cela que j'ai employé le mot de forfaiture : les principes de liberté, d'égalité et de fraternité.

M. Claude Goasguen. M. Chassaigne vit au Moyen-âge !

M. Jean-Claude Lenoir. Les communistes appartiennent à la préhistoire !

M. André Chassaigne. Tout d'abord, l'atteinte au principe de liberté.

Votre projet, monsieur le ministre, s'attaque à la libre administration des collectivités territoriales puisque - et il est vrai que l'on répète là toujours le même argument -,...

M. Michel Piron. Eh oui !

M. André Chassaigne. ...après les transferts des compétences, celles-ci ne pourront plus mener librement la politique de leur choix. L'atteinte à la liberté est patente.

Ensuite, l'atteinte au principe d'égalité.

Tous les élus ici présents de territoires ruraux en sont convaincus, ce projet créera une France à plusieurs vitesses, où la solidarité nationale ne jouera plus comme elle le pouvait jusqu'à présent. Ce sera le chacun pour soi. Alors que certaines régions et certains départements auront les moyens de répondre aux besoins de leur population, d'autres rencontreront plus de difficultés, ce qui accentuera la désertification des territoires ruraux. L'égalité est ici bien mise en cause.

Enfin, le principe de fraternité est, lui aussi, mis en cause. Cette réforme instaurera, je l'ai montré tout à l'heure, le règne du chacun pour soi : chaque département, chaque région défendra ses propres intérêts.

M. Jean-Claude Lenoir. On ne peut pas leur en vouloir !

M. André Chassaigne. Tout sera possible, ainsi que notre collègue Balligand vient de le souligner. Ce sera un laisser-aller institutionnel, avec les banques pour arbitrer. Comment qualifier cet élément sinon d'attaque à la fraternité ?

En portant atteinte aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité, c'est la République elle-même que votre texte bafoue. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très juste !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe UMP.

M. Michel Piron. Parmi les affirmations - il s'agissait plus d'affirmations que d'argumentations - que nous venons d'entendre dans la bouche de M. Balligand, au moins quatre n'ont pas manqué de solliciter mes neurones.

D'abord, il a parlé de « déficit démocratique ».

Monsieur Balligand, vous êtes, le plus souvent, un homme modéré et raisonnable.

M. Jean-Claude Lenoir. Il l'était !

M. Michel Piron. Que faites-vous des quelque 55 000 participants aux Assises des libertés locales ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous y êtes allé ? Même au Vatican, ils ne vont pas chercher Piron !

M. Michel Piron. Oui, j'y suis allé.

Que faites-vous de leurs 600 propositions ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Si c'est ça la démocratie participative...

M. Michel Piron. Que faites-vous des vingt-six mois de discussion, des trois lectures parlementaires avant celle-ci au cours desquelles quelque 3 000 amendements ont été examinés ?

Dans de telles conditions, parler de déficit démocratique procède davantage de l'aveuglement que de la lucidité.

M. Charles Cova. C'est de la mauvaise foi !

M. Franck Gilard. Ou de l'amnésie !

M. Michel Piron. Ensuite, vous avez dénoncé un manque de clarté dans les compétences, même si j'ai compris que vous trouviez la clarification insuffisante plutôt qu'absente. Je ne reviendrai pas sur ce qui vient d'être dit concernant les routes, les TOS, mais je trouve qu'un certain nombre de transferts vont quand même dans le sens de la clarification.

M. Jean-Pierre Balligand. Non !

M. Guy Geoffroy. Mais si !

M. Michel Piron. Certes, nous ne prétendons pas que la clarification totale soit au bout du chemin, mais nous considérons que nous sommes sur la bonne voie et je tiens à saluer, avec le groupe UMP, les progrès considérables que cette loi va permettre de réaliser.

Quant aux transferts, monsieur Balligand, je ne comprends pas là non plus, compte tenu, je le répète, de votre expertise en la matière et surtout du caractère généralement très raisonnable de votre expression, comment vous pouvez prétendre qu'il manquerait, demain, un peu plus de 40 000 postes de TOS, soit 45 % de l'effectif total actuel qui est compris entre 90 000 et 95 000 ?

M. Jean-Pierre Balligand. Il manquera de 35 000 à 40 000 TOS, en effet !

M. Guy Geoffroy. Ce serait l'aveu de votre bilan !

M. Michel Piron. Qu'avez-vous fait alors quand vous étiez au pouvoir ? On ne peut pas en arriver là au bout de deux ans seulement.

M. Jean-Pierre Balligand. Vous en connaissez fort bien la raison, notamment la fin des CES.

M. Michel Piron. L'exagération, monsieur Balligand, ne sert jamais la qualité de l'argumentation.

M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !

M. Michel Piron. Enfin, comment pouvez-vous parler d'un « texte de revanche » - c'est l'expression que vous avez employée -...

M. Alain Gest, rapporteur. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. C'est pourtant le bon mot !

M. Michel Piron. ...alors que ce texte a été conçu, pour l'essentiel, vous le savez fort bien, voilà maintenant près de deux ans ?

M. André Chassaigne. Il a été modifié depuis.

M. Michel Piron. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Je serai bref, pour ne pas trop allonger les débats.

Les réponses du rapporteur et du ministre justifient encore davantage la motion défendue par M. Balligand.

M. René Dosière. Dans une très brillante intervention !

M. Christophe Caresche. Ils n'ont cessé, comme l'État le fait d'ailleurs depuis vingt-cinq ans, d'essayer d'opposer les collectivités les unes aux autres, les régions aux départements, les départements aux communes.

Voilà ce qui vous tient lieu de politique, comme M. Balligand l'a démontré !

M. Alain Gest, rapporteur. Non, cela fait réfléchir, c'est tout !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Quel raccourci !

M. Christophe Caresche. Plutôt que d'opposer les uns aux autres, il vaudrait mieux définir une orientation, élaborer un véritable projet.

Or, comme l'a souligné avec beaucoup de conviction et de gravité M. Balligand, ce texte que nous examinons en deuxième lecture n'ouvre aucune perspective pour de nouvelles relations entre les collectivités locales elles-mêmes et entre les collectivités locales et l'État. Vous ne cherchez qu'à délester l'État d'un certain nombre de compétences pour essayer de régler la crise financière actuelle (« À qui la faute ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), sans vous préoccuper de mettre en place, sur le terrain, une véritable démocratie territoriale.

Avec l'amendement adopté au Sénat, avec l'accord du Gouvernement, et que la majorité de l'Assemblée s'apprête manifestement à accepter à son tour...

M. Pascal Clément, président de la commission. La commission des lois l'a adopté.

M. Christophe Caresche. ...les transferts aux régions de compétences en matière économique se trouvent finalement limités alors que M. Raffarin avait fait de cette orientation, lorsqu'il était président de région, l'une des mesures phares de sa réforme. Nous avons le sentiment d'un règlement de comptes, d'une vendetta consécutive au fait que les résultats aux élections régionales n'ont pas été ceux que vous espériez. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est regrettable. Cela rabaisse cette réforme à une opération de basse politique.

Enfin, monsieur le ministre, après nous avoir longuement expliqué qu'il n'y avait aucun risque de télescopage entre l'adoption de ce texte et la décision du Conseil constitutionnel sur la loi organique qui organise l'autonomie financière des collectivités territoriales, vous nous annoncez benoîtement le dépôt d'un amendement pour sécuriser juridiquement votre texte.

M. Jean-Pierre Balligand. À l'article 2, qui traite des ressources propres !

M. Christophe Caresche. C'est l'aveu que vous n'avez pas sur ce plan-là les certitudes que vous prétendez avoir. Vous êtes obligé de recourir à cet artifice pour essayer de parer une éventuelle difficulté constitutionnelle et cela ne peut que nous renforcer dans l'idée que vous avez engagé ce débat avec beaucoup de précipitation et que vous le terminez dans l'improvisation, en prenant un risque sérieux d'inconstitutionnalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Rappels au règlement

M. René Dosière. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. Je me fonde sur l'article 58, alinéa 1, du règlement.

Je voudrais vous lire une dépêche de l'AFP qui vient de tomber : « Jean-Pierre Raffarin utilisera l'article 49-3 de la Constitution vendredi après-midi »...

M. Franck Gilard. C'est faux !

M. René Dosière. ...« afin de permettre l'adoption sans vote du projet de loi sur le transfert des compétences aux collectivités locales, a-t-on appris jeudi de sources parlementaires concordantes. » (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. S'il vous plaît, monsieur Dosière, posez votre question pour que le ministre puisse vous répondre.

M. René Dosière. Encore faudrait-il qu'on me laisse parler.

M. Édouard Landrain. M. Dosière est attendu à la maison. (Sourires.)

M. René Dosière. Il ne s'agit d'un simple rappel au règlement concernant l'organisation de nos travaux. Si la procédure de l'article 49-3 était utilisée, l'Assemblée serait, une nouvelle fois, bafouée, et même humiliée.

M. Guy Geoffroy. Vous avez reçu une invitation polynésienne, monsieur Dosière ?

M. René Dosière. Si la rumeur était avérée, comme cette dépêche semble le confirmer, il n'y aurait aucun sens à poursuivre le débat, comme le souhaitait pourtant le président de l'Assemblée. L'Assemblée serait déconsidérée et le débat deviendrait inutile.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n'est pas possible !

M. Xavier de Roux. On gagnera du temps pour aller à la pêche !

M. René Dosière. Monsieur le ministre, ma question sera simple : le Premier ministre accepte-t-il ou non que l'Assemblée nationale débatte de ce texte jusqu'au bout ?

M. Guy Geoffroy. N'empêchez pas qu'il se poursuive alors !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Oui car, pour le moment, c'est vous qui empêchez le débat !

M. René Dosière. Pour notre part, nous voulons débattre. Nous ne souhaitons pas que, par la contrainte, la loi d'un seul puisse devenir la loi de tous.

Si cette procédure devait être confirmée, ce serait la preuve que, faute d'autorité, le Premier ministre tombe dans l'autoritarisme. Ce serait une bonne illustration du bonapartisme que nous dénoncions hier. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, confirmez-vous ou démentez-vous cette dépêche ? Si le débat doit s'interrompre à un moment donné, ce soir, demain matin ou demain après-midi, nous ne voyons pas très bien l'intérêt de le poursuivre.

M. Jean-Pierre Balligand. Cela changerait tout, en effet !

M. René Dosière. Nous voulons savoir !

M. Édouard Landrain. Ça finira bien un jour !

M. René Dosière. La question est grave et elle mérite, monsieur le ministre, une réponse sans ambiguïté.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le député, nous exerçons tous ici des métiers difficiles...

Mme la présidente. Ce ne sont pas des métiers, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Madame la présidente, je serais ravi de débattre de cette question en une autre occasion, mais reconnaissez qu'en cet instant c'est très difficile, vous en haut, moi en bas. Restons, si vous le voulez bien, chacun dans nos fonctions.

J'ai tout de même la faiblesse de considérer que nous agissons de manière professionnelle et, comme les mots ont un sens, il me semble que lorsqu'on donne autant de sa vie au service de nos concitoyens...

M. Alain Gest, rapporteur. C'est en engagement !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...on peut parler de métier, ce qui n'a rien de péjoratif.

M. Christophe Caresche. Dites-nous la vérité, c'est tout !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Dans nos métiers difficiles, disais-je...

M. René Dosière. Nous exerçons une profession !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ... et dans la vie en général, il est une qualité qui me paraît essentielle, c'est la précision.

M. Christophe Caresche. Et la sincérité !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Lorsqu'on est ministre, lorsqu'on est député, il faut être précis.

M. Guy Geoffroy. Quelles sont les « sources concordantes », monsieur Dosière ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Lorsqu'on est journaliste, il faut être précis.

M. Jean-Pierre Balligand. Il faut surtout être sincère, monsieur le ministre !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. L'un n'empêche pas l'autre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais la précision n'est pas contradictoire avec la sincérité.

Dans les mots de la dépêche que vous avez lue, monsieur Dosière, je relève ceux de « sources parlementaires concordantes ». (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C'est du Coluche !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Cet anonymat est sujet à caution.

M. Christophe Caresche. Prenez l'engagement qu'il n'y aura pas de 49-3 !

M. Franck Gilard. C'est Hollande qui a appelé l'AFP !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est vous, messieurs, qui faites courir des bruits !

M. le ministre délégué à l'intérieur. La règle, c'est le débat. L'exception, ce sont les mesures que le Constituant de la Ve République a prévues dans sa sagesse infinie - on ne dira jamais assez combien le général de Gaulle était sage.

M. Franck Gilard. Un type épatant !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Lorsqu'il n'est plus possible de débattre dans des conditions dignes, en cas par exemple d'obstruction massive, ou dans un contexte d'agressivité excessive, le Premier ministre peut ainsi, le cas échéant, recourir à certains outils que la Constitution met à sa disposition.

M. René Dosière. Venez-en à aujourd'hui !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pour ce qui me concerne, monsieur Dosière, je ne suis pas Premier ministre.

M. Édouard Landrain. Pas encore ! (Sourires.)

M. Christophe Caresche. Vous représentez tout de même le Gouvernement !

M. le ministre délégué à l'intérieur. La seule chose que je peux vous dire à ce stade, c'est que je suis à mon banc et que j'écoute patiemment tout ce qui se dit. Je participe à mon niveau à ce débat et je constate simplement que le temps s'écoule lentement, que nous n'avons pas encore commencé la discussion générale, que les rappels au règlement se multiplient, que les interventions des uns et des autres ont déjà permis de dire beaucoup de choses, et souvent en boucle.

Pour le reste, monsieur Dosière, je vous propose de poursuivre le débat plutôt que de vous interroger sur des choses qui, à l'heure où nous parlons, n'ont pas lieu d'être. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le ministre, nous sommes totalement insatisfaits de la réponse que vous venez de nous faire. Elle n'est pas acceptable ! Je le dis sans esprit de polémique. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons partagé, ces derniers jours, un nombre important d'heures de travail...

M. Léonce Deprez. Continuons !

M. Franck Gilard. Au travail !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...et, comme beaucoup d'autres ici, je pense que si nous sommes ici, c'est pour faire quelque chose. Sinon, qu'au moins on nous mette en vacances ! Nous avons préparé ce débat...

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Avec la photocopieuse !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...et je suis irrité que ce travail, avec les consultations et auditions auxquelles nous avons procédé pour apporter notre contribution par l'intermédiaire d'amendements notamment, soit écarté aujourd'hui ou demain. Je trouve cela scandaleux. Je ne polémique pas, monsieur le ministre, mais il y a là vraiment un problème de respect. Vous nous dites qu'il faut être précis, mais nous connaissons tous le poids des mots.

M. Xavier de Roux. Et le choc des photos !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je vais, quant à moi, vous lire une autre dépêche de l'AFP, toute fraîche puisqu'elle date d'une trentaine de minutes :

« Le président de la commission des lois de l'Assemblée, Pascal Clément - UMP -, n'a pas exclu jeudi que Henri Cuq »...

M. Christophe Caresche. C'est quelque chose, Cuq !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...« ait eu une " petite distraction " lors du conseil des ministres de mercredi à propos d'un éventuel recours au 49-3 par le Gouvernement sur le projet relatif à la décentralisation.

« Interrogé dans les couloirs de l'Assemblée pendant la première suspension de séance de l'examen en deuxième lecture du texte sur la décentralisation, M. Clément a affirmé "ne pas savoir" si le Gouvernement avait demandé mercredi à être autorisé par le conseil des ministres à recourir à l'article 49-3 de la Constitution. » (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je poursuis :

« Mercredi, à l'issue du conseil, le ministre chargé des relations avec le Parlement avait déclaré à la presse qu'à sa connaissance, cette décision n'avait pas été prise.

« Comme on lui demandait si M. Cuq pouvait avoir dissimulé cette décision, M. Clément a répondu que le ministre " ne mentait jamais ", mais qu'il aurait pu avoir " une petite distraction, comme tout un chacun ". » (Rires sur divers bancs.)

M. Jean-Pierre Balligand. C'est un vrai-faux 49-3 !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cela doit être la fatigue, monsieur le ministre, parce que nous ne sommes pas tous aussi précis que cela et, à un moment donné, nous ne savons plus !

Beaucoup de nos concitoyens sont en vacances, mais certains s'intéressent à ce que nous faisons. Monsieur le ministre, vous savez ce que nous ne savons pas ! Vous savez si ce débat va continuer ou pas. Je vous demande simplement si le conseil des ministres a autorisé le Premier ministre à recourir à l'article 49-3 de la Constitution ? Si oui, dites-nous quand celui-ci utilisera cette arme constitutionnelle pour que nous sachions si, dans les heures qui viennent, cette nuit, demain ou après-demain, on va nous faire travailler pour la gloire,...

M. Pascal Clément, président de la commission. Il n'y a rien de plus beau que la gloire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...nous « balader », ce qui reviendrait à mépriser le Parlement, ou si l'on veut continuer à parler de la décentralisation.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, souhaitez-vous répondre ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Encore ?

Mme la présidente. Je vous le demandais par courtoisie !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous avons posé des questions !

Mme la présidente. Je crois que nous avons tous besoin de nous détendre un peu !

M. Jean-Pierre Balligand. M. Copé est le porte-parole du Gouvernement ! Il doit nous répondre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'ai déjà répondu !

Mme la présidente. Je vais suspendre la séance une dizaine de minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. René Dosière. Je demande la parole pour un rappel au règlement, fondé sur son article 58-1.

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. Madame la présidente, vous avez fort opportunément suspendu la séance.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Cela ne vous suffit pas ?

M. Édouard Landrain. Vous avez pourtant eu le temps de prendre les hors-d'œuvre !

M. René Dosière. Quand l'Assemblée nationale est en train de débattre et que l'on apprend l'éventualité d'une suspension des travaux du fait de l'application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, la situation a de quoi perturber l'ensemble des parlementaires...

M. Édouard Landrain. Pas du tout !

M. René Dosière. ...et en premier lieu la présidente de la séance.

Mme la présidente. Ne vous faites aucun souci pour moi ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. La présidente est imperturbable !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Elle a même le sourire !

M. René Dosière. En tout cas, la situation perturbe profondément le groupe socialiste et notamment son porte-parole.

M. Guy Geoffroy. Même quelqu'un d'aussi expérimenté que vous ?

M. René Dosière. Non seulement elle nous perturbe, mais elle nous trouble profondément, pour ne pas dire qu'elle provoque chez nous une colère contenue. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Édouard Landrain. Ce n'est pas une grosse colère, alors.

M. René Dosière. Monsieur le ministre, ma conception de ce que peut être l'Assemblée nationale n'est sans doute pas la même que la vôtre. D'ailleurs, le Gouvernement précédent, que j'ai soutenu,...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le Gouvernement Raffarin II ? (Sourires.)

M. René Dosière. ...n'a jamais eu recours, en cinq ans, au 49-3,...

M. Christophe Caresche. Jamais !

M. René Dosière. ...le Premier ministre d'alors ayant trop de respect envers le Parlement pour recourir à cette arme.

M. Christophe Caresche. Une arme de faibles !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Il faut dire que l'opposition d'alors jouait bien son rôle !

M. Édouard Landrain. Elle était même trop correcte !

M. René Dosière. J'ai interrogé le ministre et je prends acte de sa réponse. En somme, le porte-parole du Gouvernement ne sait pas ce qu'il en est.

M. Christophe Caresche. Il ne sait rien !

M. René Dosière. Je veux bien croire à sa sincérité.

M. Guy Geoffroy. Je vous rappelle que, hier matin, pendant le conseil des ministres, il était avec nous, dans l'hémicycle ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Soit ! Je prends acte du fait que le porte-parole du Gouvernement ne sait pas s'il sera fait usage du 49-3.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Ce rappel au règlement est risible !

M. René Dosière. Par conséquent, madame la présidente, je pense qu'il est souhaitable qu'un ministre bien informé vienne nous dire ce qu'il en est réellement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je pense notamment au Premier ministre, puisque c'est lui qui, le cas échéant, déclenchera la procédure, ou encore au ministre chargé des relations avec le Parlement, qui doit tout de même être au courant de ce qui va arriver.

M. Franck Gilard. Et pourquoi pas le directeur de l'AFP ?

M. Michel Piron. Ou la Pythie ?

M. René Dosière. En effet, soit nous suspendons immédiatement nos débats, soit nous les poursuivons - mais, dans ce cas, nous voulons le faire dans la sérénité, avec l'assurance qu'ils iront jusqu'à leur terme, comme nous le souhaitons.

Quoi qu'il en soit, je souhaite réunir mon groupe pour pouvoir évoquer cette situation inédite. Et, à ce titre, madame la présidente, je vous demande une suspension de séance de dix minutes. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Franck Gilard. C'est de la provocation !

Mme la présidente. Je vais donner la parole à M. le ministre et je vous demande, mes chers collègues, de le laisser parler.

Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je vous dois un aveu, monsieur Dosière. Jusqu'à présent, vous l'avez vu, je me suis tenu à votre disposition. J'ai toujours été attentif et heureux de répondre à vos questions ou de discuter avec vous, même si je préfère éviter la polémique, qui atténue la force du débat.

M. Christophe Caresche. Oui, il n'est pas dans vos habitudes de polémiquer ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Bref, je fais de mon mieux.

M. Jérôme Bignon. Et avec quelle patience !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais je vous avoue que je suis pris d'un doute. Je viens de répondre à votre question sur le recours au 49-3. Or, au moment où nous reprenons la séance, que Mme la présidente, dans son infinie sagesse, avait suspendue afin de détendre l'atmosphère, la première chose que vous trouvez à faire est de demander la parole pour un nouveau rappel au règlement, au motif que le ministre n'est pas au courant...

M. René Dosière. C'est du moins ce que vous nous avez dit !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...et que vous voulez qu'on vous envoie quelqu'un de mieux informé.

Pour ma part, monsieur Dosière, j'ai lu l'ordre du jour de la séance : celle-ci doit être consacrée à l'examen du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.

Sur ce sujet, je suis informé.

Je vous invite par conséquent à me poser des questions sur le texte, auxquelles je répondrai.

M. Léonce Deprez. Allons, au travail !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je propose effectivement que nous nous remettions au travail après cette suspension de séance qui a permis à chacun de reprendre ses esprits. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christophe Caresche. Pour nous interrompre demain !

M. le ministre délégué à l'intérieur. À chaque jour suffit sa peine. Pour le moment, travaillons ! (« Qu'ils arrêtent leur cinéma ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je pense qu'il serait sage d'entamer maintenant la discussion générale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cela étant, la suspension demandée par M. Dosière est de droit. Elle sera de trois minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures dix-huit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, je sais que, dans cette assemblée, le temps est une denrée rare qu'il convient d'utiliser avec minutie et considération. Face à la menace de ce 49-3, évoquant un canon d'artillerie, le jeune député que je suis s'alarme, craignant que nous ne puissions mener nos débats à leur terme. C'est pourquoi j'aimerais vous demander une faveur, celle de disposer d'un peu de temps supplémentaire afin de me permettre d'aborder certains sujets, en particulier des questions de fond, qui risquent de rester sans réponse la semaine prochaine, si ledit canon venait à se mettre en action.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Nous sommes encore en train de perdre du temps !

M. André Chassaigne. Au point où nous en sommes, la notion de perte de temps n'a plus beaucoup de sens.

Ma première interrogation - que le fameux 49-3 risque de priver de réponse la semaine prochaine - est relative à la décentralisation des politiques économiques, qui traduit surtout une incapacité à penser un modèle alternatif de développement économique. Les schémas régionaux de développement, en vertu de la nouvelle rédaction de cet article, ont pour objectif de renforcer l'attractivité des territoires. Cela signifie que le premier rôle des collectivités territoriales est d'améliorer les conditions d'accueil des entreprises, sous prétexte qu'un investisseur pourrait, un jour, peut-être, arriver dans une région et créer des centaines d'emplois. Cette éventualité fait notamment l'impasse sur la nécessité de soutenir un développement local endogène, ancré dans nos territoires.

Il est également vital de renforcer le rôle préventif des collectivités territoriales en matière économique. Aujourd'hui, ces collectivités ne sont souvent rien d'autres que des « pompiers sociaux », incapables d'anticiper les évolutions économiques. Il aurait fallu réaffirmer beaucoup plus fermement, dans ce texte de loi de décentralisation, à quel point les schémas régionaux doivent prendre en compte de façon déterminante la dimension d'anticipation. J'aimerais obtenir une réponse sur ce point avant que nos débats ne soient interrompus, monsieur le ministre.

Surtout, nous devons chercher à démocratiser la vie économique dans nos territoires, faire en sorte que les élus, les citoyens, et les salariés bien sûr, soient parties prenantes des choix stratégiques effectués sur un bassin d'emploi par les entreprises. Une entreprise a d'autant plus de chances de se consolider que son projet est aussi porté par les élus locaux, les salariés et les citoyens. Cette exigence implique la nécessité que soient consultés les organisations syndicales - j'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, qui a malheureusement été rejeté par la commission -, ce qui n'est pas le cas dans le texte de loi. Elle pose aussi la question des critères d'apport d'aides publiques, du contrôle de ces aides et de la maîtrise publique et locale des institutions de crédit : c'est un préalable incontournable pour favoriser la réorientation de notre économie en faveur de l'emploi, de la formation et des salaires.

Nous n'aurons que très peu l'occasion de discuter du développement local, le Sénat ayant, de façon très opportune pour vous, voté conforme le volet « formation professionnelle » du projet de loi. La question de la formation professionnelle est pourtant indissociable de celle du développement économique et social. En effet, face au chômage de masse, nous avons besoin de mettre en place de nouvelles politiques : les politiques de traitement social du chômage comme les politiques de réduction du coût du travail ont montré leur inefficacité. Les 20 milliards d'euros d'exonération de cotisations patronales auraient en effet créé, selon les experts les plus optimistes, environ 200 000 emplois, peu qualifiés, sous-payés, sans plan de formation, et donc sans perspectives durables pour leurs titulaires.

M. Franck Gilard. Il a été créé un million d'emplois !

M. André Chassaigne. Au nom de la mobilité de l'emploi, le chômage et la précarité rythment la vie de millions de nos concitoyens. Et en même temps, différents secteurs d'activité sont confrontés à de réelles difficultés de recrutement.

Face à cette réalité, nous devrions avoir un but : progresser en vue d'assurer pleinement la formation continue à chacune et chacun dans une continuité d'activités et de revenus, durant la vie active. Or que nous propose-t-on ? Une mise en concurrence des organismes de formation et un démantèlement - c'est écrit noir sur blanc dans le projet de loi - du service public de la formation continue, l'AFPA, l'Association de formation professionnelle des adultes. Ce qui signifie que l'on risque de renforcer les organismes de formation à caractère lucratif, souvent dominés par le patronat et ses besoins à court terme. Comment peut-on, dans ces conditions, mettre en œuvre une formation professionnelle au niveau des régions, qui réponde véritablement aux besoins économiques des habitants de ces régions ?

Je suis décidément très contrarié par cette histoire de 49-3, car le débat risque d'être tronqué, et sans discussion sur les amendements, nombreuses sont les interrogations qui resteront sans réponse. Nous sommes très inquiets, par exemple au sujet de la décentralisation des routes nationales aux départements. Notre opposition n'est d'ailleurs pas isolée sur cette question, au vu des reculades, ou des prises de conscience, auxquelles on a assisté durant les débats. D'abord, la généralisation des péages sur nos routes, idée aussi vieillotte qu'arbitraire, est passée à la trappe, ce qui est une bonne chose.

M. Alain Gest, rapporteur. Dans ce cas, il est inutile d'en parler !

M. André Chassaigne. Ensuite, le texte qui nous revient du Sénat précise désormais que le domaine public routier national assure, certes, les déplacements entre métropoles régionales ou la circulation de grand transit, mais aussi, ce qui est positif, le développement équilibré du territoire.

D'autres questions restent toutefois en suspens : que deviendront les parcs départementaux de l'équipement ? Quelle sera l'évolution statutaire des personnels de ces parcs ? Qui interviendra sur le réseau restant du domaine de l'État ? Autant de questions que nous ne pourrons aborder que si le débat a lieu.

Par ailleurs, cette assemblée n'aura quasiment pas la possibilité de débattre sur les orientations du Gouvernement en matière sociale et médico-sociale, les articles ayant été votés conformes. Nous aurions pourtant beaucoup à dire sur ces dispositions qui, comme pour le nouveau RMA, interpellent un grand nombre de conseils généraux. Ce qui est demandé aux départements, c'est d'atténuer, par leurs politiques sociales, l'impact économique et social de mesures prises ailleurs, autrement dit de se transformer en simples guichets de bienfaisance.

De la même façon, ce sont les régions qui auront bientôt la responsabilité de compenser, en matière d'équipements hospitaliers, les déficiences de l'État en ce domaine. Ces dispositions, particulièrement préoccupantes, illustrent parfaitement un abandon de l'État.

Le chapitre sur le logement de ce projet de loi, que j'aurais aimé développer davantage, résume, à lui seul, toute la capacité de ce gouvernement à abuser l'opinion - je mesure mes mots, puisque vous me trouvez trop violent -, à mêler des annonces de mesures populaires avec des décisions concrètes qui vont dans le sens inverse de ce qui a été annoncé. J'espère que, cette fois, mes propos ne vous ont pas choqués, mes chers collègues ?

M. Michel Piron. C'est plus délicat ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Ainsi, un plan dit de cohésion sociale a été annoncé en juin, dans lequel l'État s'engage à construire 500 000 logements sociaux en cinq ans. Mais le projet de loi de décentralisation nous indique que l'État se désengage de sa compétence en matière de logement social, au profit des collectivités territoriales.

M. Michel Piron. Non, pas du tout !

M. André Chassaigne. Ainsi, l'effet d'annonce passé, le Gouvernement n'aura plus, lorsque cette loi sera promulguée, ni les crédits ni la compétence pour honorer ses engagements. J'espère que j'aurai une réponse précise sur ce point.

M. Michel Piron. Vous avez mal lu le projet de loi !

M. André Chassaigne. Ce chapitre consacré au logement est probablement l'un des plus préoccupants du projet de loi, d'autant que son contenu a encore empiré depuis son dépôt. Je citerai deux exemples précis, puisque vous le souhaitez.

M. Michel Piron. S'il vous plaît, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Ainsi, l'article 51, relatif au logement étudiant, autorise désormais explicitement les collectivités territoriales à déléguer les logements étudiants non seulement aux CROUS, mais aussi à des investisseurs privés. Inutile de dire que le logement social étudiant ne se remettra pas de ce genre de dispositions (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

De même, l'article 49 bis, introduit en première lecture à l'Assemblée nationale, n'a pas été supprimé par le Sénat, alors que le secrétaire d'État au logement s'était engagé, devant le président de la Confédération nationale du logement, à ce que cet article soit retiré du projet. Cet article remet tout simplement en cause la notion de logement social, puisqu'il rend possible l'instauration de loyers différents pour des logements de même type.

M. Michel Piron. Toujours votre obsession d'uniformité !

M. Franck Gilard. Le déplafonnement existe déjà !

Mme la présidente. Il faut maintenant songer à conclure, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Face à la menace du 49-3, j'essaie d'aller le plus vite possible pour aborder le plus de questions possible, madame la présidente.

Mme la présidente. Je comprends, monsieur Chassaigne, mais n'oubliez pas que d'autres orateurs doivent s'exprimer.

M. André Chassaigne. Dans la mesure où la parole nous sera enlevée la semaine prochaine, permettez-moi de la garder un peu plus aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest, rapporteur. Le pire n'est jamais certain, monsieur Chassaigne !

Mme la présidente. Concluez, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Dans la mesure où la parole nous sera enlevée la semaine prochaine, permettez-moi de la garder un peu plus aujourd'hui. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Chassaigne...

M. André Chassaigne. J'ai été interrompu, madame la présidente ! (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Mes chers collègues, je suis un nouveau député qui apprend son métier. Évitez donc de me déstabiliser ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je voudrais également revenir sur la question des TOS, déjà abordée en première lecture. Je veux insister ici - après l'avoir déjà fait au cours de l'examen du texte sur l'autonomie financière - sur les conséquences extrêmement graves que ce transfert de personnels va entraîner pour les collectivités territoriales. On ne peut pas se contenter d'écarter cette question d'un revers de main. Cette mesure provoquera indiscutablement des inégalités entre collectivités territoriales.

Nous sommes au moins deux, dans cet hémicycle, à avoir été chef d'établissement. Nous connaissons donc bien le problème. Les insuffisances constatées dans les établissements scolaires sont dues d'ailleurs aux gouvernements successifs.

M. Guy Geoffroy. M. Jospin porte une lourde responsabilité en la matière !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. M. Allègre aussi !

M. André Chassaigne. On sait aussi qu'un nombre important de CES et de contrats consolidés ne sera pas reconduit. On sait encore qu'il faudrait créer beaucoup de postes. On sait enfin que ces dépenses sont évolutives et que le transfert financier ne suivra pas l'évolution des besoins. Cela risque donc, à moins que vous ne m'apportiez la preuve contraire, ce dont je doute, de poser de gros problèmes. En effet, l'accompagnement financier proposé pour le transfert de compétences se fait en quelque sorte à partir d'une photographie prise à un moment donné et ne prévoit pas de tenir compte des évolutions à venir. Il ne prend pas davantage en compte les différences de richesses entre collectivités territoriales. Il va donc accentuer, d'une certaine façon - je l'ai montré à plusieurs reprises -, les inégalités entre départements et régions.

J'en termine (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), la mort dans l'âme cependant (Rires sur les mêmes bancs),...

M. Guy Geoffroy. On s'en remet, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. ...dans la mesure où de nombreuses questions qui auraient dû être abordées la semaine prochaine ne pourront sans doute pas l'être, ce qui est fort regrettable.

Pour conclure, je dirai un mot sur le principe de compensation des transferts imposés. Vous allez sans doute me répondre que nous en avons d'ores et déjà discuté à l'occasion de l'examen du texte précédent. Je tiens néanmoins à insister sur le fait qu'il est particulièrement regrettable que cette compensation ne tienne pas compte du caractère évolutif et dynamique des dépenses. Certes, la loi organique votée ce matin prévoit le principe de compensation des transferts. Mais on sait ce que valent les affirmations de principe dans la Constitution. Il ne fait aucun doute que les collectivités territoriales auront à assumer beaucoup plus de charges. Quant à savoir si les moyens suivront... Les actes de foi ne suffisent pas...

M. Guy Geoffroy. La foi n'a rien à voir là-dedans ! Il s'agit de la Constitution !

M. André Chassaigne. La Constitution prévoit aussi le travail pour tous, monsieur Geoffroy !

M. Pascal Clément, président de la commission. Non, c'est dans le préambule !

M. André Chassaigne. Cela fait partie de la Constitution, monsieur Clément !

M. Pascal Clément, président de la commission. Non !

M. André Chassaigne. Je pourrais d'ailleurs citer d'autres exemples de principes inscrits dans la Constitution et non respectés.

Je suis donc malheureusement persuadé - et je suis sûr que tout le monde partage ce sentiment - que, dans les faits, les transferts ne suivront pas. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Guy Geoffroy. Le vrai débat va être enfin engagé !

M. Michel Piron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc - j'allais dire enfin - prêts pour une deuxième lecture de la loi sur les libertés et responsabilités locales,...

M. René Dosière. Elle risque d'être brève !

M. Michel Piron. ...après un an et demi de discussions préparatoires, monsieur Dosière, et un débat parlementaire particulièrement nourri et approfondi. Ainsi, 472 amendements ont déjà pu être adoptés par le Sénat sur les 1 311 déposés tandis que 345 l'ont été par notre assemblée sur les 1 613 déposés en première lecture, après trois semaines de discussion.

Chacun pourra donc apprécier la créativité et la productivité exceptionnelle de l'opposition qui, pour cette deuxième lecture, ne nous propose pas moins de 4 687 amendements dont les arguments ne sont, le plus souvent, hélas ! ni nouveaux ni très différents.

M. René Dosière. Avez-vous lu tous nos amendements ?

M. Michel Piron. C'est d'ailleurs pourquoi, mardi, lorsque j'ai entendu M. Migaud nous dire que ce débat serait trop précipité, voire bridé, et qu'il en éprouvait une « profonde tristesse », je n'ai pu m'empêcher de songer au titre de l'admirable texte de Stig Dagerman : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Quoi qu'il en soit, sur 197 articles, ce sont finalement 88 qui demeurent en discussion et qui expriment, il est vrai, plus de différences que de réelles divergences tant sur les transferts de compétences de personnels et de moyens financiers, que sur les missions de l'État et l'intercommunalité.

S'agissant des transferts de compétences, la reconnaissance - j'allais dire la consécration, mais M. Brard n'est pas là - de la région comme instance coordinatrice du développement économique à l'article 1er mérite une particulière attention. En partant, en effet, des initiatives locales pour les coordonner, selon une démarche ascendante, donc inductive, et non descendante, au risque d'être autoritaire, la région ne fera, demain, qu'appliquer un principe qui nous est cher et qui est celui de la subsidiarité. C'est dire l'intérêt d'avoir substitué la fonction de coordination à celle, plus ambiguë, de chef de file.

Par ailleurs, outre ceux touchant au tourisme et à la formation professionnelle, les articles portant sur les infrastructures, l'action sociale, la santé, le logement - par délégation et non par abandon, monsieur Chassaigne -, la culture et l'éducation devraient clarifier un certain nombre de responsabilités.

Concernant les transferts de personnels - de 90 000 à 95 000 TOS employés dans les établissements scolaires et quelque 35 000 agents de l'équipement -, comment ne pas saluer la rationalisation, et donc l'efficacité accrue, que permettra cette mesure, puisque les gestionnaires des équipements publics, régions ou départements, deviendront responsables des personnels chargés de leur entretien ?

En apportant, par ailleurs, les garanties qui s'imposeront aux déclinaisons des futures lois de finances, telle la moyenne des trois années de dépenses de fonctionnement précédant les transferts, les articles 88 et 89, qui précisent les règles de calcul des compensations, devraient dissiper la plupart des inquiétudes manifestées ici ou là.

Quant au titre IX, il a, pour l'essentiel, déjà fait l'objet d'un très large accord sur la clarification, la simplification et l'amélioration de la relation commune-intercommunalité.

On ne peut donc, mes chers collègues, que se réjouir d'avoir à constater qu'une aussi vaste redistribution des tâches et des rôles est désormais en passe d'aboutir, pour une meilleure efficacité de l'action publique et l'établissement de nouveaux rapports entre les pouvoirs publics et nos concitoyens.

Qu'on me permette, cependant, d'évoquer à nouveau et en conclusion, l'attente que cette loi ne pouvait satisfaire mais qu'elle suscite, comme le contrepoint de la décentralisation : je veux parler ici de la déconcentration des services de l'État.

En donnant aux collectivités locales les moyens de leurs libertés nouvelles, cette loi leur permettra de mieux assumer leurs responsabilités. Encore faudra-t-il, toutefois, que l'exercice des unes et des autres rencontre la présence concrète et tout aussi réactive et responsable de l'État, garant de la péréquation et de la cohésion nationales. Avec le renforcement du rôle des préfets, notamment en régions, l'interlocuteur unique - faut-il préciser : interministériel ? - dont nos collectivités, elles aussi, ont tant besoin, émergera-t-il ?

Et que dire du « premier niveau d'administration publique » et « premier échelon de proximité » constitué par la commune, pour reprendre les termes de l'article 99A, sinon qu'il attend d'abord et surtout de l'État un discours, une réponse, arbitrés chaque fois que cela s'avère nécessaire par son représentant ?

Ainsi, en invitant à repenser l'organisation des pouvoirs dans notre pays, le texte qui nous est présenté nous incite-t-il également à mieux gérer l'inévitable tension que porte tout système entre son centre et sa périphérie.

Ce n'est pas le moindre mérite de ce texte que d'appeler demain une autre et profonde réforme sans laquelle les libertés que nous réclamons seraient vaines, et les responsabilités que nous espérons seraient vides : c'est celle de l'État. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'hommage le plus fervent qu'un élu de la nation puisse rendre à ceux qui lui ont confié son mandat est de toujours être convaincu qu'il est utile de monter les marches de cette tribune et que prendre la parole dans cet hémicycle aura toujours un grand sens.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Jusque-là, nous sommes tous d'accord !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Même en cet instant, alors que tout laisse croire le contraire, jusqu'au silence de notre ministre, je reste convaincu qu'il faut dire les choses. D'abord, pour mettre un terme à la duplicité, qui m'est étrangère en tout cas.

M. René Dosière. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ensuite, pour donner, un jour peut-être, à nos concitoyens électeurs une autre image en ne répétant pas ce qui s'est joué, ce qui va se jouer ce soir et ce qui se jouera demain.

Voilà ce que je crois. C'est pour cela que, lorsque j'ai posé simplement une question au ministre, j'attendais simplement sa réponse. Je ne cherche pas à le mettre en difficulté. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. Quelle délicatesse !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ai-je l'air d'un ministre en difficulté ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. J'imagine que sa situation est complexe.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ne vous inquiétez donc pas pour lui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais je pense qu'en cet instant précis et compte tenu de la nature de ce débat, des problèmes auxquels il fait référence et qui touchent nos concitoyens et nos collectivités dans leur vie quotidienne, il était nécessaire que notre assemblée procède à cette deuxième lecture. Il n'y avait aucune raison de laisser peser sur ce débat un aléa externe, tant à l'intérêt du débat lui-même qu'au contenu de la loi que nous préparons, parce que purement politicien.

M. René Dosière. Très bien !

M. Guy Geoffroy. C'est une tragédie antique !

M. Michel Piron. Quel acteur !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je voulais apporter ma contribution, ayant participé avec mes collègues du groupe socialiste à l'élaboration d'un certain nombre d'amendements, en particulier concernant le logement.

Je le répète, aucun des amendements que nous avons déposés ne doit être considéré comme un moyen de retarder le débat. Ici même, en première lecture, comme au Sénat, ces amendements nous ont permis de poser des questions qui demeurent et demeureront encore demain si le projet de loi est voté dans les termes souhaités par le Sénat.

En février, lors de la première lecture, j'avais déploré que les articles relatifs au logement n'ouvrent pas la voie à l'opposabilité du droit au logement. Consacré par différentes lois depuis plus de vingt ans, le droit au logement prend plus que jamais sa signification et son importance, le logement faisant défaut à des millions de nos concitoyens. Il était donc de la responsabilité du législateur d'inscrire les dispositions qui puissent rendre l'application de ce droit effective dans un texte relatif aux responsabilités locales.

En effet, l'opposabilité du droit au logement suppose la réunion de trois conditions préalables : la définition d'objectifs assortis d'une obligation de résultats, la concentration de compétences au profit d'une collectivité identifiée et l'attribution à celle-ci des moyens nécessaires pour assumer sa responsabilité.

Aucune de ces trois conditions n'est remplie par le projet de loi dans l'état, monsieur le ministre, où vous nous le présentez aujourd'hui. Nous le regrettons d'autant plus que le secrétaire d'État au logement, le 7 juillet, dans un communiqué de presse, a manifesté officiellement son intérêt pour l'opposabilité du droit au logement. Mais nous craignons que cela ne soit qu'une annonce généreuse, sans réelle application dans la loi. Nous pensons que c'est dans le cadre du projet de loi de décentralisation qu'aurait dû être définie la responsabilité des collectivités.

Si le projet échoue, monsieur le ministre, nous assisterons à l'aggravation et à la multiplication des problèmes.

La première des dispositions qui nous inquiète est celle de l'article 49 A qui, dans la rédaction issue de la deuxième lecture au Sénat, permet de déléguer au maire tout ou partie des logements sociaux du contingent préfectoral. Cette mesure est inacceptable, nous l'avons toujours dit et nous en sommes toujours convaincus. Elle prive à notre sens l'État de son principal instrument pour garantir le droit au logement. Par ailleurs, elle remet en cause les efforts entrepris pour garantir la mixité sociale que construit actuellement le ministre de la cohésion sociale. Le risque est grand, en effet, de voir certains maires peu attentifs attribuer ce contingent de logements en fonction de critères fondés plus sur le clientélisme que sur l'équité.

Lors de l'examen de cet article en seconde lecture, notre commission des lois a adopté un amendement qui prévoit que la délégation de ce contingent se fasse prioritairement au profit des EPCI ou des départements ayant obtenu l'attribution des aides à la pierre. Si cet amendement, je le concède, présente l'avantage de garantir une plus grande cohérence dans les délégations de compétences, il est loin de lever toutes les ambiguïtés. Le contrôle du préfet sur les compétences qu'il délègue reste en effet très largement insuffisant.

Certes, il est prévu que le préfet retrouve ses prérogatives et se substitue à la collectivité lorsqu'elle ne respectera pas les objectifs fixés par le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées. Mais le préfet ne pourra utiliser ce droit de substitution « qu'au terme d'une année écoulée », en réalité après dix-huit mois. Cette durée est trop longue pour que le contrôle du préfet soit opérant. Nous proposons de la réduire, et nous avons déposé en ce sens un amendement qui pourrait être examiné.

Par ailleurs, l'article 49 A fait de ce droit de substitution une faculté et non une obligation. Si l'on s'en tient à cette rédaction, la réticence du législateur n'est pas justifiée : le préfet retrouve ses compétences même si les objectifs du plan départemental ne sont pas respectés. Pour prévenir ces dangers et respecter la cohérence de l'action publique en direction du logement, le groupe socialiste a déposé un autre amendement tendant à supprimer le dispositif de l'article 49 A.

La deuxième disposition relative au logement qui nous préoccupe est celle de l'article 49 bis. Cet article additionnel, qui a été introduit en première lecture par voie d'amendement par l'un de nos collègues aujourd'hui secrétaire d'État, a pour objet de mettre en œuvre un conventionnement global des organismes d'habitations à loyer modéré, sur la base d'un plan stratégique de patrimoine et pour une durée de six ans.

Nous avons été étonnés alors qu'une telle mesure, dont personne ne nie l'importance, prenne place dans le cadre d'un projet de loi sur les libertés et les responsabilités locales, et plus encore sous la forme d'un amendement proposé par le rapporteur en cours de débat. Notre étonnement est d'autant plus vif que le Gouvernement doit soumettre à notre assemblée, avant la fin de l'année, le projet de loi « Habitat pour tous ». De toute évidence, ce projet fournirait à la représentation nationale une bien meilleure occasion de débattre d'un conventionnement global.

À défaut d'avoir attendu cette occasion pour procéder à des études d'impact et à la consultation de l'ensemble des acteurs du logement, vous prenez le risque, monsieur le ministre - surtout si vous ne m'écoutez pas - de provoquer une véritable déréglementation du logement social.

M. Jean-Luc Warsmann. Le ministre écoute toujours !

M. Michel Piron. Il entend même sans écouter, et c'est pour cela qu'il est ministre !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En effet, les dispositions de l'article 49 bis permettent aux bailleurs sociaux de moduler les loyers en fonction de la situation géographique des immeubles. Les maires doivent faire attention, car de telles dispositions contreviennent au principe de mixité sociale et territoriale en renforçant la discrimination contre les locataires les plus modestes. Il est fort à craindre, si votre projet de loi est adopté en l'état, que ces locataires ne soient condamnés à vivre dans les logements sociaux ou les quartiers urbains les plus déshérités et les plus défavorisés. C'est ce que le ministre de la cohésion sociale cherche à combattre, notamment dans son projet de loi relatif à l'habitat.

En outre, aucune garantie n'est donnée pour que les augmentations de loyers décidées par les bailleurs soient suivies d'une hausse proportionnelle des aides personnelles au logement.

Pour l'ensemble de ces raisons et afin de garantir un débat public approfondi sur cette question, nous proposons un amendement tendant à supprimer l'article 49 bis, en suggérant de renvoyer le débat au projet de loi relatif à l'habitat qui, excusez du peu, traitera à la fois de l'habitat, des organismes de logements sociaux et des conditions dans lesquelles sera opérée l'attribution des logements.

La dernière grave inquiétude que suscite le texte tient à sa méconnaissance de la spécificité de la région Ile-de-France. En l'état, le dispositif de délégation des aides à la pierre prévu à l'article 49 n'a aucune chance d'aboutir dans cette région, faute de tenir compte de ses particularités. Ce que je vous dis là est partagé par la quasi-totalité des acteurs du logement ! (« Certainement pas ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

D'après un récent recensement, sur les vingt-deux EPCI que compte la région Ile-de-France, quatre seulement ont adopté un PLH et sept autres sont en train d'en élaborer un.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je connais bien la région Ile-de-France !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Certes, monsieur le ministre ! Ce faible nombre de PLH s'explique par la difficulté de mettre en œuvre ces plans à l'échelle des EPCI franciliens. En outre, sur les 148 bailleurs sociaux implantés en Ile-de-France, la moitié intervient sur plusieurs départements !

Tous les acteurs du logement s'accordent donc pour considérer qu'en Ile-de-France le bassin d'habitat cohérent n'est pas l'EPCI mais la région elle-même. À ce niveau seulement, la puissance publique pourra définir des modes d'intervention cohérents et apporter des correctifs aux disparités locales.

Bailleurs sociaux, responsables associatifs, élus locaux, tous, monsieur le ministre, vous ont invité à prendre en compte cette réalité dans le présent projet de loi, ce qui n'écartait absolument pas la possibilité de subdéléguer aux EPCI et aux départements. Cela est d'autant plus vrai que la région Ile-de-France accompagne depuis des années les processus de construction et de réhabilitation.

Pour l'heure, le Gouvernement, même si vous le niez, s'est contenté de reconnaître la pertinence d'une argumentation qui, je le répète, est partagée par les professionnels, comme il reconnaît l'importance de la revendication sans apporter de solution au problème.

C'est pourquoi, souhaitant mettre en harmonie les convictions et les actes de chacun, nous défendrons un amendement pour faire de la région Ile-de-France la délégataire des aides à la pierre à titre particulier...

M. Jean-Pierre Balligand. C'est la moindre des choses !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...comme vous avez considéré pouvoir le faire en matière de logement étudiant. En effet, dans la loi, la solution apportée au logement étudiant tient compte de la spécificité de l'Île-de-France, ce que nous comprenons parfaitement. Je suis maire d'une commune concernée par les logements étudiants, puisque sur les 1 300 étudiants du campus de ma commune, la moitié vivent sur le territoire de cette commune, les autres allant dans d'autres universités. C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que vous réexaminiez ce dispositif.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire ce soir, sans savoir si ces arguments pourront demain être développés lors de la discussion de nos amendements, dont je répète qu'ils ne sont pas des amendements de complaisance destinés à allonger le débat. Nous les avons déposés pour défendre des arguments de fond et évoquer les enjeux de ce texte et les choix que nous faisons, qui d'ailleurs peuvent être contredits - cela ne me gêne pas.

Cette seconde lecture nous offre une dernière chance d'amender ce texte dans un sens plus favorable à nos concitoyens. Il appartient à chacun de la saisir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je vous répondrai tout à l'heure, monsieur Le Bouillonnec !

Mme la présidente. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord à dire que je partage totalement les critiques formulées dans cet hémicycle ainsi que dans les médias sur la manière dont a été organisée la discussion parlementaire d'un projet de loi d'une telle importance.

M. René Dosière. Très bien !

Mme Huguette Bello. Je dois ajouter que les conséquences en sont d'autant plus graves pour les élus de l'outre-mer que la hâte et l'improvisation dont on a fait preuve ont empêché plusieurs d'entre nous de participer à ce débat décisif pour l'avenir de nos départements et territoires. En user ainsi avec la représentation nationale est non seulement cavalier, mais très inquiétant.

Alors que les premières lois de décentralisation ont été accueillies avec confiance, que leur influence sur la vie publique ne s'est pas démentie depuis vingt ans, au point qu'élus et citoyens attendaient avec impatience la deuxième étape du processus, on assiste depuis un an à la montée du mécontentement et de la déception. Ni l'idée de décentralisation ni l'importance des transferts de compétences ne sont contestées.

Ce qui est au centre du débat, c'est la question des moyens financiers qui doivent accompagner ces transferts de compétences. Les élus, en in ou off, confient leurs doutes et leurs inquiétudes sur les risques d'inégalité entre les régions et d'appauvrissement des plus pauvres.

À la Réunion, ce risque est d'autant plus grand que la compensation des charges se fera uniquement sur la base des dépenses assurées par l'État au cours des trois dernières années pour les dépenses de fonctionnement, et des cinq dernières années pour les dépenses d'investissement.

Ce mode de calcul est très pénalisant pour l'outre-mer puisqu'il ne tient compte ni des retards importants en personnels et en équipements dans les services publics de ces régions, ni des besoins nouveaux créés par l'augmentation de la population. Non seulement il se réfère à une vision figée et uniforme des sociétés, mais encore il produira ipso facto une situation nouvelle : l'augmentation prévisible des charges transférées ne sera pas compensée, et ce d'autant moins que, déjà décentralisée outre-mer, la TIPP ne peut être une recette nouvelle.

Dans ce cas, la décentralisation deviendra, contre toute attente, une entrave au développement.

Pour éviter un tel scénario, il est absolument indispensable qu'avant de transférer de nouvelles compétences aux collectivités le Gouvernement procède à une évaluation objective et exhaustive des besoins et des délais nécessaires aux régions d'outre-mer pour atteindre la moyenne nationale en matière d'équipement et d'encadrement.

M. René Dosière. Très bien !

Mme Huguette Bello. Ce n'est qu'à partir d'une telle évaluation que devront être déterminés les moyens financiers nécessaires à une décentralisation effective.

M. André Chassaigne. Très juste !

Mme Huguette Bello. Ne pas méconnaître durablement le principe d'égalité exige de conditionner l'application de cette loi en outre-mer à la programmation des rattrapages à réaliser. À défaut, aux retards accumulés et aux besoins générés par la situation démographique viendraient s'ajouter des régressions dues à une application mécanique de la décentralisation.

S'il existe un domaine où une expertise préalable s'impose, c'est bien celui des TOS, dont le faible effectif est connu : les départements d'outre-mer comptent 12,5 TOS pour 1 000 élèves, contre 20,1 en moyenne nationale. La Réunion est même l'académie de France la moins dotée.

Cette situation explique en grande partie pourquoi le transfert des TOS aux départements et aux régions suscite une contestation unanime : celle des intéressés, qui l'ont fait savoir par de nombreuses manifestations, celle des élus, qui se sont également exprimés à de multiples reprises et, pour finir, celle de l'ensemble de la communauté éducative.

Malgré l'opposition générale, l'article 67, qui prévoit ce transfert, a été voté conforme par l'Assemblée nationale et le Sénat, et n'est donc plus en discussion.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons connaître, monsieur le ministre, la position du Gouvernement à l'égard de l'article 128, introduit sur initiative parlementaire par les sénateurs, et confirmé par la commission des lois de l'Assemblée. Il conditionne le transfert des personnels TOS au rattrapage des effectifs dans les départements d'outre-mer, dont la situation se dégraderait inéluctablement si l'article 67 devait s'y appliquer.

À la Réunion, en particulier, les inégalités actuelles s'en trouveraient aggravées du seul fait de l'évolution démographique, qui oblige les collectivités à construire, pendant plusieurs années encore, de nombreux établissements scolaires : trois lycées tous les deux ans, deux collèges par an.

Secteur d'avenir par excellence, l'enseignement ne peut pas être le lieu privilégié des transferts d'inégalité.

On a présenté la décentralisation comme la réforme qui favorise la proximité,...

M. Michel Piron. Absolument !

Mme Huguette Bello. ...elle-même promue au rang des priorités. Les plus hauts responsables de l'État ne préconisent-ils pas une « République des proximités » ? Mais comment une réforme visant à la proximité ne serait-elle pas attentive à l'avis manifesté par les citoyens, d'abord dans la rue, ensuite dans les urnes, enfin, aujourd'hui, dans les sondages ?

Une réforme qui veut rapprocher les administrés des centres de décision, et les élus des citoyens, commencerait donc par ignorer l'avis de ces citoyens ou de ces administrés ? Quel formidable contresens ! Le Gouvernement prône la proximité en tournant le dos à la volonté populaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1711, relatif aux libertés et responsabilités locales :

Rapport, n° 1733, de M. Alain Gest, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot