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Première séance du jeudi 12 février 2004

160e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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INFORMATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE SUR L'APPLICATION DES LOIS

Discussion d'une proposition de résolution

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de MM. Jean-Luc Warsmann et Jean-Louis Debré modifiant le règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois (n°s 1023, 1409).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, mes chers collègues, dans notre pays, lorsque les lois deviennent trop nombreuses, trop confuses, elles perdent l'essentiel de leur portée.

De plus, si les lois sont mises en application de manière trop tardive ou trop partielle, c'est la parole même de l'Etat qui est affaiblie.

Nous vivons aujourd'hui dans une société médiatisée et les difficultés de mise en application des lois prennent une importance croissante. Nos concitoyens apprennent l'existence d'un projet de loi par le conseil des ministres, qui l'approuve. Il faut ensuite attendre de six à douze mois pour que ce projet de loi devienne effectivement une loi. Les délais supplémentaires se comptent en mois, parfois en années pour qu'il connaisse une application concrète. Ce n'est plus aujourd'hui admissible.

Il existe déjà plusieurs outils pour prendre la mesure des difficultés de mise en application des lois. Je voudrais rendre hommage au Sénat, qui a publié un rapport particulièrement intéressant à ce sujet. Je vais en extraire quelques chiffres : depuis 1981, ce sont bien 193 lois qui ne sont pas du tout ou qui ne sont que partiellement applicables, faute de textes d'application ; depuis 2002, on estime à 400 l'ensemble des textes d'application nécessaires pour rendre applicables les dispositions législatives votées.

Ce problème est récurrent. Il a été étudié par la commission des finances et je souhaite rendre hommage à ses travaux. Nous n'avons pas, jusqu'à aujourd'hui, réussi à mettre en place au sein de notre assemblée un dispositif permanent de contrôle de l'application des lois.

Depuis les années soixante-dix, plusieurs tentatives ont eu lieu. L'une d'entre elles prévoyait que dans chaque commission permanente de l'Assemblée nationale un député soit désigné pour suivre l'application de l'ensemble des lois examinées par cette commission, puis votées. Le travail était gigantesque et cette suggestion n'a pas été suivie d'effet.

D'autres idées avaient été évoquées, notamment celle de la constitution d'un groupe de travail, au sein de chaque commission, à la proportionnelle des groupes, afin de suivre la mise en application. La lourdeur du dispositif n'a pas permis sa pérennisation.

Nous vous proposons donc de compléter le règlement de notre assemblée pour poser le principe d'un contrôle systématique de la mise en application des lois. Tous les textes votés par notre assemblée seront concernés à l'exception, bien évidemment, des textes d'application directe et des lois de ratification d'accords internationaux, qui ne nécessitent pas de textes d'application.

Un contrôle sur la mise en application de la loi doit être effectué dans les six mois suivant sa promulgation. Un amendement vous proposera d'étendre également ce contrôle aux recommandations des commissions d'enquête. De très nombreux observateurs nous donnent acte que les travaux des différentes commissions d'enquête de notre assemblée sont d'une très grande qualité, mais force est de constater que trop souvent les rapports ornent les rayons des bibliothèques et que les recommandations ne sont pas assez fréquemment suivies d'effets. Cette réforme sera donc l'occasion d'assurer un meilleur suivi.

En revanche, je n'ai pas souhaité vous proposer d'étendre ce contrôle aux missions d'information, considérant d'une part qu'elles étaient très nombreuses et, d'autre part, qu'un certain nombre d'entre elles n'aboutissaient pas forcément à des recommandations d'ordre législatif.

La mission de contrôle sera confiée aux rapporteurs. Il s'agit là d'une novation fondamentale. Nous constatons, aujourd'hui, un gâchis dans l'organisation du travail de notre assemblée. Chaque commission permanente désigne en son sein un rapporteur. Il va étudier le projet, durant de longues heures, procéder à de nombreuses auditions. Dans notre système actuel, tout le travail effectué par le rapporteur est en quelque sorte « perdu ». L'idée est donc de prolonger la mission de ce rapporteur, au-delà de la promulgation de la loi et de lui demander, après un délai de six mois, de dresser un état de la mise en application du texte devant la commission.

La rédaction qui vous est proposée prévoit toute la souplesse nécessaire pour le cas où le rapporteur ne serait plus membre de la commission, pour quelque raison que ce soit. La commission élirait alors un député pour le suppléer et continuer ainsi sa mission.

Quels bénéfices allons-nous retirer de cette réforme ? Ils sont au nombre de trois.

Le premier objectif est de résoudre le problème lancinant de la mise en application des textes, de manière quantitative.

Lorsque nous examinons la situation dans les autres pays européens qui nous entourent, nous constatons que nous ne sommes pas le seul pays dans lequel se pose ce problème, mais c'est en France qu'il se pose de manière aussi cruciale.

Le rapport, présenté publiquement devant la commission, six mois après la promulgation de la loi, pointera - pour l'ensemble des dispositions législatives qui nécessitent un texte d'application - les textes qui auront été pris ou ceux qui ne l'auront pas été.

Il ne s'agira pas simplement des décrets ou des arrêtés. En effet, dans notre pays, un certain nombre de dispositions législatives ne deviennent applicables que lorsque les administrations ont reçu les documents nécessaires. Il peut s'agir de circulaires ou d'instructions fiscales. Notre règlement prévoira - si vous en êtes d'accord - un suivi de l'ensemble des textes d'application, afin que nos concitoyens puissent voir concrètement que les dispositions législatives auront bien été appliquées.

Nous attendons que ce suivi quantitatif fasse cesser le scandale des dispositions législatives votées, mais jamais appliquées. Nous espérons également un gain en termes de temps, et donc un raccourcissement considérable des délais.

Le deuxième objectif est de favoriser une meilleure coordination entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

L'objet de cette proposition de modification de notre règlement n'est pas d'allumer ou de rallumer une guerre entre le Gouvernement et le Parlement. Bien au contraire ! Je le dis avec d'autant plus de force que le Premier ministre, lors du conseil des ministres du 31 décembre, a eu l'occasion de prendre une position ferme sur le sujet. Une circulaire, adressée au mois de janvier, à l'ensemble des directeurs de cabinets des ministres, invitait ces derniers à modifier leur manière d'élaborer les textes réglementaires parallèlement à l'établissement de la loi. Il s'agit là d'un moyen de supprimer la discontinuité entre le travail du Parlement et celui du Gouvernement.

Je vous ai déjà indiqué que je considérais comme un gâchis le fait que les compétences et le travail du rapporteur ne soient plus utilisés après la promulgation de la loi.

Inversement, après la promulgation de la loi, les administrations centrales travaillent à élaborer les textes d'application. L'expérience montre que ce travail permet de mettre à jour des dispositions législatives mal rédigées, des dispositions en contradiction avec d'anciens textes qui mériteraient d'être abrogés, des dispositions enfin qui mériteraient d'être étendues pour simplifier d'autres textes.

Très souvent, toutes ces remarques qui apparaissent au moment de la mise en application des lois restent dans les « tiroirs » du ministère - selon le jargon administratif. Les « tiroirs » ne sont vidés que si, quelques mois après la promulgation d'une première loi, un deuxième projet de loi sur un sujet connexe est déposé. Dans ce cas, le ministre fait appel, au sein de ses services, à toutes les suggestions de modification et de simplification législative.

Le dispositif qui vous est proposé permettra, six mois après la promulgation de la loi, de faire connaître dans un rapport public les difficultés apparues au moment de la mise en application et toutes les suggestions de meilleure rédaction ou de simplification nécessaires.

Le troisième objectif de la proposition de résolution est une meilleure évaluation des lois. J'indiquais tout à l'heure que la première conséquence que nous pouvions attendre était un contrôle quantitatif de la mise en application. Mais nous souhaitons aussi travailler sur un contrôle qualitatif de cette mise en application.

Dans cette nouvelle mission de rapport sur la mise en application des lois, le rapporteur aura toutes les compétences habituelles. Son travail de base sera évidemment de lister les textes d'application pris et non pris. Mais il aura également toutes compétences pour auditionner les personnes, les organisations professionnelles qu'il aura déjà entendues lors du travail d'élaboration de la loi, afin de connaître leur appréciation sur la mise en application et de mettre en lumière d'éventuels dysfonctionnements.

Ce travail est de temps à autre fait par notre assemblée, qui a pris l'habitude sur des lois extrêmement importantes, au sein des commissions permanentes, de constituer des missions pour contrôler la mise en application d'une loi précise. Mais jusqu'à maintenant, cela n'a pas été fait de manière systématique. Ce sera là un grand progrès.

J'insisterai en conclusion, mes collègues, sur le caractère pragmatique de cette proposition de résolution.

On peut toujours estimer que l'on peut faire plus, qu'il faut aller plus loin, plus vite.

Depuis vingt ou trente ans, de nombreux discours ont été tenus, de nombreux articles sont parus sur la nécessité de cette réforme. Grâce à l'impulsion de notre président Jean-Louis Debré, nous examinons aujourd'hui ce texte. Je tiens également à remercier M. le président de la commission des lois Pascal Clément pour sa conviction et M. le président du groupe UMP Jacques Barrot, qui a permis de réserver cette séance d'initiative parlementaire à l'examen de cette proposition de résolution.

C'est une première évolution importante du travail de député qui, dans l'avenir, portera moins sur l'élaboration des nouvelles lois mais beaucoup plus sur le travail de surveillance de la mise en application et d'évaluation des lois.

C'est un premier pas. Mais pour que cette réforme porte ses fruits dans les mois à venir, celles et ceux qui seront désignés comme rapporteurs devront se saisir de toutes les possibilités offertes - et elles sont nombreuses - par la proposition de résolution que la commission des lois vous propose d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, mes chers collègues, je me réjouis de cette initiative qui est, à mes yeux, historique.

Il revenait sans doute à notre commission des lois de prendre cette initiative et grâces en soient rendues à M. Jean-Luc Warsmann, puisqu'au-delà de la compétence stricte de la commission des lois nous avons - ne serait-ce que par notre dénomination - une compétence transversale sur tout ce qui est législatif. Il était donc normal que notre commission puisse prendre cette initiative.

Comme l'a rappelé notre rapporteur Jean-Luc Warsmann, cela s'inscrit dans le travail engagé par le Président Jean-Louis Debré et cela répond aussi à une forte demande de l'opinion.

Sur le terrain, nos électeurs nous disent souvent : « Monsieur le député, après tout, c'est vous qui votez la loi ! » Ce reproche nous est généralement adressé lorsque la loi votée n'est pas tout à fait, ni même pas du tout, conforme à ce que nous pensions avoir voté.


Cette situation dure depuis des décennies.

Dans son rapport, Jean-Luc Warsmann a rappelé que le président Chaban-Delmas avait, en 1979, pris une initiative, mais dont le champ était trop large : cela concernait la conférence des présidents et l'ensemble des commissions. A vouloir trop embrasser, on a finalement mal étreint ! (Sourires.)

Cette fois-ci, nous avons été plus pragmatiques. En effet, la proposition de résolution prévoit que chaque rapporteur suivra sa loi. Elle aura le mérite de donner une importance encore plus grande à celui qui sera choisi comme rapporteur. Non seulement celui-ci travaillera de nombreuses heures et jours pour rapporter, mais, en aval, il suivra la loi et élaborera une synthèse. Il pourra être amené aussi, ce n'est pas exclu, à faire le point sur d'éventuels contentieux, ce qui aura d'autres conséquences, mes chers collègues. Actuellement, nous vivons dans un système très « Ve République ». Je veux dire par là que c'est un système où le projet de loi règne en maître. Le pouvoir d'initiative parlementaire hérité de la réforme Séguin devrait s'élargir avec cette réforme.

On a relevé, si j'ai bien compté, et je parle sous le contrôle du rapporteur, vingt-neuf lois en 2001-2002 qui n'ont pas été appliquées ou qui ne l'ont été que partiellement. C'est dire que nous n'allons pas en rester à un tel constat. Le rapporteur devra revenir devant l'Assemblée non seulement pour faire savoir au Gouvernement que celui-ci n'a pas fait son travail, mais aussi pour constater que ce que nous avions prévu n'était pas adapté et qu'il faut, par conséquent, modifier la législation.

L'évolution logique est incontestablement de donner plus d'espace à l'initiative parlementaire, ce qui est lourd de conséquences.

En m'adressant à vous, madame la présidente, je veux dire au président de l'Assemblée nationale, que la réforme des services qu'il met en place, visant à créer des pôles rassemblant de nouveaux administrateurs, ce qui renforcera très sérieusement notre capital humain, nous permettra de suivre la grande évolution des parlements démocratiques.

Tout le monde le dit, nous légiférons trop, le plus souvent à l'initiative du Gouvernement et nous sommes frustrés de voir que la loi n'est pas appliquée.

Il y a donc un travail fondamental à mener dans le sens d'un renforcement de la mission de contrôle du Parlement par rapport à la mission législative, et on note cette inflexion dans tous les parlements démocratiques. Ce qui veut dire : commissions d'enquête, missions d'information et suivi de l'application des lois. Nous venons d'ailleurs de décider ensemble que notre commission des lois serait conduite à évaluer les contentieux de la loi qui vient d'être adoptée sur l'interdiction du port du voile à l'école. Tout cela participe de ce même souci de s'occuper de l'aval et pas simplement de l'opération qui consiste à dire que si la loi est votée, tout se passera bien. Jusqu'à présent, nous ne procédions pas ainsi, ce qui revenait à ne faire que la moitié du travail.

Cette réforme, modeste, est réaliste. Ce n'est pas une révolution. Mais si l'on fait ce que nous proposent notre collègue Warsmann et notre président Jean-Louis Debré, je vous promets que la situation changera radicalement dans les années à venir.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Xavier Bertrand.

M. Xavier Bertrand. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, selon l'article 34 de notre Constitution, si la loi, expression de la volonté générale, est votée par le Parlement, le pouvoir législatif doit s'en remettre au pouvoir exécutif pour permettre sa traduction dans notre vie quotidienne.

Jean-Luc Warsmann a parfaitement résumé la situation : trop de textes restent aujourd'hui sans effet du fait de l'absence de mesures d'application. J'ai le sentiment, même si je suis le moins expérimenté parmi vous, que les députés que nous sommes n'ont réalisé qu'une partie de leur travail tant qu'ils ne sont pas assurés que le résultat de leur vote s'applique bien dans la vie quotidienne de leurs concitoyens. Le Président de la République nous y invitait d'ailleurs lors de son allocution du 14 juillet dernier.

C'est pourquoi cette proposition de résolution me semble constituer une avancée majeure pour notre travail de législateur, et je suis persuadé que sur une telle question, tous, nous saurons nous retrouver.

Mais permettez-moi d'aborder le thème plus général de la loi, son élaboration, son adoption et son suivi. « Trop de loi tue la loi », cette évidence, énoncée par Montesquieu il y a plus de deux siècles, a pour fondement et pour conséquence le développement d'une loi bavarde que nul n'écoute plus. Ce constat, fait notamment par le Conseil d'Etat, est particulièrement regrettable alors que nous célébrons cette année le bicentenaire du code civil, symbole de l'efficacité de la règle de droit française, qui servit de modèle aux législateurs et aux juristes du monde entier.

Une loi claire, simple, compréhensible est indispensable, d'abord pour la sécurité juridique de nos concitoyens.

« Nul n'est censé ignorer la loi » : cette maxime, malheureusement, correspond de moins en moins à la réalité, en raison notamment de la prolifération des normes nouvelles. Leur complexité accrue laisse la très grande majorité de nos concitoyens, quand ils ne sont pas des professionnels avertis de telle ou telle question, dans le flou et dans l'ignorance.

Aussi, la lisibilité, et donc la sécurité juridique, doivent être améliorées. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs rappelé dans une décision du 16 décembre 1999, en posant comme « objectif de valeur constitutionnelle l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi ».

Mais il en va aussi de notre crédibilité à nous, législateurs, et donc de la crédibilité de notre démocratie : que répondre à nos administrés qui nous interrogent sur telle ou telle mesure qu'ils savent ou pensent avoir été adoptée - et à cet égard, la réactivité des médias en la matière n'est pas neutre, Jean-Luc Warsmann l'a rappelé - et qui pourtant n'est toujours pas en vigueur ?

Il s'agit d'un enjeu politique, au sens le plus noble du terme : quand les textes votés par les représentants du peuple n'ont plus l'efficacité et la clarté nécessaires, quand ils ne sont même pas applicables du fait de l'absence de la parution de décrets, eh bien oui, le sentiment démocratique s'affaiblit.

La proposition de résolution nous invite à renforcer notre travail en aval en contrôlant la mise en œuvre des textes que nous adoptons et en renforçant le rôle des rapporteurs.

Comme vous, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir d'une telle avancée. En effet, les retards souvent, l'oubli, le renoncement parfois, dans la publication des mesures d'application sont, en effet, totalement contraires à notre Constitution et, serais-je tenté de dire, à l'esprit des lois.

La pertinence et la nécessité de votre mesure, monsieur Warsmann, ne me font pas douter du scrutin.

L'amendement que j'ai déposé va également dans ce sens en prévoyant, vingt-quatre mois après l'entrée en vigueur de toute loi, le dépôt d'un rapport faisant une évaluation de l'entrée en vigueur du texte concerné. Encore une fois, j'ai le sentiment que nous sommes responsables, je dirai même comptables, du résultat des textes que nous votons dans cet hémicycle. Et notre rôle cesse d'autant moins avec le vote définitif de la loi : il y a une vie après la loi dont nous devons être également les garants.

Nous devons réfléchir et agir plus globalement en intégrant bien les trois temps de la loi ; la préparation du projet de loi, l'examen du texte, et le service après vote.

Tout d'abord, acceptons que la loi soit une condition parfois nécessaire mais pas forcément suffisante pour régler les problèmes ! Ne cédons pas au « développement des textes d'affichage,...

M. François Goulard. Excellente remarque !

M. Xavier Bertrand. ... au recours à des lois fourre-tout » que dénonçait le Conseil d'Etat en 1991.

En amont, la rédaction des projets de loi devrait se faire après une plus grande association de la société civile, mais aussi sur la base de travaux gouvernementaux ou extra-gouvernementaux. Je citerai à cet égard le dossier des retraites sur lequel j'ai eu l'honneur d'être rapporteur pour avis au nom de la commission des finances.

M. François Goulard. Et avec quel talent !

M. Xavier Bertrand. J'ai pu alors apprécier l'intérêt du travail du conseil d'orientation des retraites.

Ensuite, une plus grande coopération entre le Gouvernement et le Parlement et une implication plus précoce des rapporteurs nous permettraient d'accroître l'efficacité du travail parlementaire.

M. Louis Giscard d'Estaing. Absolument !

M. Xavier Bertrand. S'agissant des textes techniques qui nécessitent, de toutes les façons, la rédaction de nombreux décrets, le respect plus strict de la séparation constitutionnelle opérée par les articles 34 et 37, mais surtout la pratique de l'habilitation et des ordonnances semblent être des pratiques qu'il nous faut encourager, accepter et pratiquer avec moins de réticence que certains le laissent paraître. Surtout si elles s'accompagnent d'un renforcement du travail du Parlement en amont, mais surtout en aval.

La proposition de résolution que nous étudions aujourd'hui s'inscrit clairement dans cette voie. Le travail technique doit être réservé aux commissions pour libérer davantage de temps dans les séances plénières : il convient, en effet, comme le réclame le président Debré, de replacer l'Assemblée au cœur de la vie politique française.

Cette orientation du travail parlementaire ne conduira pas à un affaiblissement du rôle du Parlement, bien au contraire. Ne nous engluons pas, comme nous avons pu le constater dans le passé récent, dans des débats à courte vue, et consacrons davantage de temps au débat d'idées et, surtout, au suivi.

Notre rôle est politique, il est de débattre du fond des textes de loi. Assumons-le pleinement, tout comme nous allons désormais assumer, grâce à cette résolution, l'étendue de nos responsabilités en allant au-delà de ce qui était jusqu'alors le rôle de rapporteur.

Etre rapporteur est une chance et ...

M. François Goulard. Un honneur !

M. Xavier Bertrand. ...un honneur, en effet - je remercie François Goulard de guider mes pas. (Sourires.) Ce nouveau rôle, cette nouvelle responsabilité vont étoffer cette fonction, impliquer davantage les élus et favoriser une meilleure coopération entre les parlementaires et l'exécutif. Je ne pense pas, en la matière, qu'il y ait la moindre réticence, mais c'est aussi par cette nouvelle forme de coopération, de collaboration, que nous pourrons être à la hauteur de la tâche qui nous est assignée.

Avec cette proposition de résolution, nous sommes bel et bien, mes chers collègues, au cœur de l'adaptation, de la redéfinition et de la réhabilitation du travail parlementaire. En adaptant notre travail aux exigences nouvelles de notre société, nous répondrons à un véritable défi de société.

Au nom du groupe de l'UMP, je veux remercier Jean-Luc Warsmann : en donnant aux députés, les moyens juridiques de mieux suivre la loi, il nous offre la chance de retisser les fils de la confiance entre le législateur et les observateurs exigeants et attentifs que sont nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de résolution présentée par le groupe UMP et tendant à modifier notre règlement en vue d'informer notre assemblée sur la mise en application des lois.

Un citoyen peu averti de la vie parlementaire qui viendrait assister à nos débats aujourd'hui serait en droit de s'étonner.

Comment ? L'Assemblée nationale, qui vote la loi et qui est censée exercer le contrôle de l'exécutif, se désintéresse de ce que devient cette loi une fois votée. Eh bien oui, malheureusement, c'est la triste réalité ! Aujourd'hui, le suivi de la loi et son évaluation, qui devraient être une des prérogatives essentielles des parlementaires, ne sont pas assurés ou sont très mal assurés.

M. Pierre Hellier. Ils ne l'étaient pas non plus hier.

M. Philippe Vuilque. En effet !

Nos concitoyens seraient surpris d'apprendre que plus de la moitié des décrets d'application des lois votées sont publiés dans un délai supérieur à six mois, et plus d'un cinquième avec un retard dépassant un an. Le rapporteur, à cet égard, a donné des chiffres significatifs.

Ce sont - mais est-ce vraiment une surprise ? - les lois d'initiative parlementaire qui entrent le plus tardivement en application. C'est d'autant plus inadmissible que 90 % des lois sont d'origine gouvernementale et que la procédure législative est totalement maîtrisée par le gouvernement, quel qu'il soit : il serait donc logique que les administrations commencent à travailler sur les décrets d'application dès le dépôt du projet de loi en conseil des ministres car elles savent que, grosso modo, le texte déposé sera celui adopté par le Parlement.


Cette situation n'est pas acceptable dans une démocratie moderne. Le Parlement doit s'assurer que les lois qu'il vote sont effectivement appliquées. Le Parlement doit aussi pouvoir procéder à l'évaluation de la loi, de sa pertinence, de ses résultats.

Pour exercer au mieux notre fonction législative mais aussi notre fonction de contrôle du Gouvernement qui peut, par l'inertie de l'administration, bloquer l'entrée en vigueur pratique et concrète d'une loi, nous devons mettre en place et développer des outils de contrôle et d'évaluation, sinon nous continuerons à légiférer trop ou trop mal. Montesquieu disait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». En le paraphrasant, j'ajouterai que les lois mal appliquées affaiblissent la loi et la déconsidèrent.

La proposition de résolution qui nous est soumise va dans le bon sens, dans la mesure où elle participe à la revalorisation du rôle du Parlement en général et de notre assemblée en particulier. Utile, elle reste néanmoins très partielle et incomplète. Elle se situe très en deçà de ce qui est nécessaire et manque singulièrement d'ambition pour revaloriser vraiment le rôle de notre assemblée.

C'est une proposition utile mais qui n'est pas très originale.

Vous l'avez dit, elle reprend l'une des propositions du groupe de travail mis en place par le président Debré et visant à améliorer le travail parlementaire, groupe dont je fais partie. Elle reprend également les propositions contenues dans la lettre par laquelle Jean-Marc Ayrault a fait part au président de notre assemblée de notre souhait de voir mises en œuvre des réformes plus ambitieuses - j'y reviendrai.

En octobre 2002, Paul Quilès et le groupe socialiste ont déposé une proposition de loi constitutionnelle visant exactement le même objectif. Afin d'élargir les pouvoirs du Parlement, elle prévoyait de modifier l'article 34 de la Constitution pour le rédiger en ces termes : « Le Parlement vote la loi, il en contrôle l'application et en évalue les résultats dans les conditions fixées par la loi organique. » Il me semble en effet qu'une revalorisation de notre parlement passe, d'une manière plus solennelle, par une révision de l'article 34 de notre Constitution.

Le 26 mars 2003, je soutenais à cette tribune, dans le cadre de la discussion sur les propositions Debré, qu'il fallait renforcer l'évaluation de l'application des lois en instaurant l'obligation pour le Gouvernement de publier les textes d'application dans les six mois suivant la promulgation de la loi et, pour chaque ministre concerné, de venir rendre compte devant la commission compétente de l'application de la loi de son ressort dans un délai d'un an après sa promulgation. La proposition qui nous est faite apparaît de faible portée dès lors qu'aucune obligation ne pèse sur le ou les ministres chargés de faire appliquer la loi !

En outre, cette proposition de résolution reste très incomplète et manque singulièrement d'ambition pour revaloriser vraiment le rôle du Parlement.

Elle est incomplète parce qu'elle est muette sur l'évaluation de la loi. Or la loi doit être lisible - « intelligible », dit le Conseil constitutionnel -, efficace et utile. Elle est faite pour durer et résoudre les problèmes de société. S'assurer de son application, c'est bien ; l'évaluer pour éventuellement l'adapter, c'est mieux !

L'actualité vient de le démontrer avec le projet de loi sur le port des signes religieux à l'école, qui prévoit expressément dans son article 4 que les dispositions du texte « font l'objet d'une évaluation un an après son entrée en vigueur », comme vient de le rappeler le président de la commission des lois.

Quand cette évaluation n'est pas prévue, elle ne se fait pas et ce n'est pas cette résolution qui changera fondamentalement les choses. C'est pourquoi j'ai proposé en commission des lois, d'une part, que le ministre concerné par l'application d'une loi soit auditionné de manière obligatoire et non facultative et, d'autre part, que les commissions compétentes auditionnent, chaque année, les ministres sur le bilan de l'action de leur ministère. Cela permettrait d'enclencher le processus d'évaluation des lois. Je regrette que vous n'ayez pas cru bon de retenir mes amendements. Il est vrai que votre réformisme en la matière est inversement proportionnel à la hauteur de l'enjeu.

C'est dommage car, lorsque l'on détient l'ensemble des pouvoirs - Assemblée nationale et Sénat, Gouvernement, Présidence de la République -, on a les moyens de réviser la Constitution, ce qui donne, dès lors, une responsabilité historique particulière.

Si vous aviez une réelle volonté politique de donner à notre Parlement le rôle qu'il doit avoir, à l'image du Parlement britannique ou du Congrès américain, vous auriez la possibilité de le faire. C'est se donner bonne conscience que de réformer très succinctement, même utilement, le règlement de l'Assemblée nationale. Vous êtes peut-être même effrayés par tant d'audace !

Votre proposition n'est pas à la hauteur et manque cruellement d'ambition.

A l'issue de notre participation au groupe de travail sur la réforme de l'organisation des travaux parlementaires mis en place par Jean-Louis Debré, nous avions fait parvenir à celui-ci une série de propositions très concrètes.

Notre démarche s'inscrivait dans le cadre institutionnel de la Ve République et dans la perspective d'une démocratie parlementaire renforcée et rénovée. En effet, la modernisation du fonctionnement de l'Assemblée et l'accroissement des moyens de contrôle dont disposent les députés me semblent essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.

Ces propositions s'articulaient autour de trois exigences : remettre l'Assemblée nationale au cœur de la démocratie française ; rendre son travail plus efficace ; renforcer sa fonction de contrôle.

Le Parlement doit redevenir le véritable lieu du débat démocratique. Pour cela, il faut rechercher un nouvel équilibre entre le Gouvernement et l'Assemblée nationale. La Ve République, la France sont ancrées dans le régime parlementaire : c'est bien du Parlement que procède le Gouvernement et non du Président de la République. Nous devons donc redonner l'initiative politique aux parlementaires, renforcer la responsabilité du Gouvernement et de ses ministres et rendre moins agressif les instruments du parlementarisme rationalisé.

Concrètement, c'est obliger le Premier ministre à engager la responsabilité de son gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale dans les jours qui suivent sa nomination.

C'est poser l'obligation d'un compte rendu de l'action gouvernementale à la fin de chaque session parlementaire avec un vote de confiance.

C'est alléger la tutelle de l'exécutif sur la majorité parlementaire avec la suppression ou la limitation de l'usage de l'article 49-3 et la suppression du vote bloqué. A cet égard, nous devrions réfléchir à la motion de censure constructive à l'allemande, que connaissent aussi la Hongrie, la Roumanie et d'autres pays. Cela peut d'ailleurs aller de pair avec l'instauration d'une dose de proportionnelle dans le mode d'élection des députés, comme en Allemagne,...

M. Jacques Brunhes. Oui, une bonne dose !

M. Philippe Vuilque. ...ce qui permettrait de vivifier la démocratie en assurant toujours qu'une majorité parlementaire se dégage.

C'est encore accroître la part d'initiative parlementaire dans l'ordre du jour des assemblées car, aujourd'hui, celui-ci est maîtrisé par le Gouvernement : le Parlement vote la loi mais ne la fait que très rarement.

C'est aussi organiser à intervalles réguliers des débats sur les grandes orientations politiques du Gouvernement, suivis d'un vote.

C'est enfin réformer les séances de questions au Gouvernement avec l'organisation d'une séance consacrée à l'action d'un ministre.

Deuxième exigence : rendre plus efficace le travail de l'Assemblée nationale.

Le travail parlementaire pâtit d'un fonctionnement pesant, dépassé, inadapté aux exigences de rapidité, d'efficacité et de clarté. Nous devons rénover nos moyens de travail et d'expression afin de remédier à l'encombrement de l'ordre du jour et de permettre aux députés d'être effectivement associés à l'élaboration de la loi par des procédures de concertation avec le Gouvernement.

Cela passe par l'augmentation du nombre des commissions permanentes et par un redécoupage de leurs compétences.

Cela passe aussi par la mise en place d'un véritable statut de l'opposition qui se verrait attribuer, pourquoi pas ? la présidence de la commission des finances. Voilà qui serait une révolution !

M. Pierre Hellier. Il ne resterait plus de sous !

M. Philippe Vuilque. Pourquoi ne pas faire confiance à l'opposition dans son contrôle du Gouvernement ?

Cela passe encore par la reconnaissance du pouvoir législatif propre des commissions sur certains textes et, pour tous les textes, par le débat en séance publique sur la base du texte adopté en commission, ce qui éviterait de refaire plusieurs fois la même chose.

La consultation des députés avant la présentation d'un projet de loi serait aussi un sérieux progrès.

Et puis et surtout, ce qui nous manque, c'est la capacité d'expertise. Nous devons pouvoir compter sur une compétence accrue pour exercer notre mission. Aujourd'hui, nous n'en avons pas réellement les moyens.

Enfin, il faudra qu'un jour on comprenne qu'une limitation plus stricte du cumul des mandats est nécessaire et indispensable.

Troisième exigence : renforcer la fonction de contrôle de l'Assemblée nationale, qui doit pouvoir contrôler efficacement l'action du Gouvernement et de manière suivie.

Ce pouvoir de contrôle s'inscrit aussi dans des procédures spécifiques, tant au sein des commissions que dans le cadre des séances publiques : audition annuelle obligatoire des ministres sur le bilan de l'action de leur ministère devant la commission compétente ; évaluation de la loi et de son application, qui fait l'objet de notre débat d'aujourd'hui ; obligation d'un débat suivi d'un vote avant toute opération militaire extérieure ; ratification des accords de défense par le Parlement.

Voilà quelques exigences ! Voilà ce que pourraient être de vraies réformes, précises et conséquentes ! Nous sommes bien loin de la « réformette » qui nous est proposée aujourd'hui, monsieur le rapporteur. Car la réhabilitation du Parlement requiert une ambition forte si nous voulons que les citoyens renouent avec la démocratie, avec le vote. Nous devons nous mettre au rythme de la société, combler le décalage entre notre façon de fonctionner et l'exigence citoyenne. Réformer nos institutions pour qu'elles deviennent compréhensibles, efficaces et transparentes est tout simplement une nécessité démocratique.

Ne pas le comprendre serait une erreur politique ; ne pas se donner les moyens, notamment constitutionnels, de cette indispensable modernisation de notre vie politique serait une faute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Deux ans d'opposition, ça rend créatif ! Allez, encore une dizaine d'années, et ce sera parfait !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de résolution a un objectif bien restreint, puisqu'elle vise à informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois. Il s'agit de confier aux rapporteurs des projets ou propositions de loi votés par l'Assemblée la mission d'informer les commissions compétentes sur l'état de parution des textes nécessaires à leur application six mois après leur promulgation. S'il n'y avait pas encore de textes d'application pour tout ou partie des dispositions, un nouveau rapport leur serait présenté à l'issue d'un délai supplémentaire de six mois. Dans ces conditions, l'Assemblée serait certes informée, mais pour autant sa fonction de contrôle de l'application des lois serait-elle plus efficace ?

Qu'il y ait un problème d'exécution des lois, c'est incontestable. Il ne concerne pas seulement les délais d'application, qui peuvent subir un retard d'un ou deux ans, et cela même quand la loi détermine un délai maximal pour la parution des décrets. Ce sont souvent certaines dispositions d'un texte adopté qui restent lettre morte, pratique qui nuit à l'autorité et à la crédibilité attachée à la loi votée.

Notre commission des finances, qui procède chaque année à l'examen de l'application des dispositions votées dans le cadre des lois de finances, estime qu'un tiers de celles-ci sont caduques faute de textes d'application. Il est donc positif que le Parlement, qui « vote la loi » en vertu de l'article 34 de la Constitution, soit informé de sa mise en œuvre effective.

Mais permettez-moi de souligner les limites de la mesure qui nous est présentée.

Monsieur le président de la commission des lois, tout à l'heure, vous avez qualifié cette proposition de résolution d'« historique ». C'est un peu forcer le trait - je vois surtout là la marque de votre nature généreuse et spontanée (Sourires) car nous sommes très loin du compte.


Tout d'abord, la proposition ne précise pas comment la mise en œuvre des nouvelles dispositions réglementaires sera assurée, même si le rapporteur a indiqué lors de l'examen du texte en commission des lois que la charge en incomberait aux commissions, dans le cadre d'un dialogue constructif mais exigeant avec le Gouvernement.

En outre, elle n'est pas suffisante. En effet, un véritable pouvoir de contrôle du Parlement implique que, lorsque l'exécutif est défaillant malgré une injonction de l'Assemblée nationale, celle-ci puisse suppléer le Gouvernement.

C'est précisément ce que préconise mon groupe. Il l'a proposé à plusieurs reprises dans différentes commissions. Les présidents de l'Assemblée qui se sont succédé ont créé des groupes de travail en vue d'améliorer le travail parlementaire, au sein desquels nous avons exprimé ce souhait. Monsieur le rapporteur, notre proposition est la suivante : « Si le Gouvernement ne prend pas les textes nécessaires à l'exécution de la loi, soit dans les délais prévus par cette dernière, soit à l'expiration d'un délai d'un an après sa promulgation, le rapporteur du texte présente devant la commission permanente compétente un rapport sur les motifs de ce retard. Si dans un délai de deux mois, après injonction de l'Assemblée nationale, le Gouvernement ne prend pas les textes d'application, celle-ci peut y pourvoir par une disposition législative exécutoire. »

Cela suppose, bien entendu, de modifier l'article 37 de la Constitution. Sans une réforme constitutionnelle d'envergure, il est illusoire de prétendre remédier au grave déséquilibre qui existe dans nos institutions entre le législatif et l'exécutif, en particulier au détriment de l'Assemblée élue au suffrage universel direct, et de restaurer son rôle dans le fonctionnement de la démocratie.

Mes chers collègues, je le répète, au cours de la décennie précédente, nombreuses ont été les réformes entreprises, à l'initiative de plusieurs présidents de l'Assemblée, de présidents de la commission des lois ou d'autres députés, qui ont incontestablement amélioré le fonctionnement et l'organisation des travaux parlementaires. La dernière, qui date de mars 2003, est le fruit du groupe de travail mis en place par le président Debré. La proposition en discussion est, du reste, issue des travaux de ce groupe de travail. Dans un esprit constructif, les députés communistes ont toujours appuyé ces modifications.

Cependant, et j'ai eu maintes fois l'occasion de le souligner, toutes les réformes intervenues au cours des précédentes législatures n'ont été que des adaptations fonctionnelles. De toute évidence, les réformes majeures restent à réaliser afin que l'Assemblée retrouve, pour reprendre l'expression de la commission Vedel en 1993, « la place et le rôle qui doivent, dans une démocratie, être les siens ».

Mon groupe a eu l'occasion, à maintes reprises, de souligner l'importance considérable de ce sujet qui figure, à nos yeux, au cœur de la crise de nos institutions. La ve République souffre en effet d'un déséquilibre au profit du pouvoir exécutif, que relevait déjà le Président Mitterrand, fin 1992, dans sa lettre de mission à la commission Vedel. En 1995, le candidat Jacques Chirac, quant à lui, estimait qu'il était « temps de mettre fin à la dérive monarchique des institutions ».

Or rien n'est venu corriger ce déséquilibre. Au contraire, la présidentialisation du régime, qui amène certains à parler de « Constitution monarchique », s'est accrue avec un renforcement des pouvoirs personnels du Président, notamment avec l'élargissement du soi-disant « domaine réservé », dont on ne trouve aucune trace dans la Constitution, l'adoption du quinquennat et la concomitance des élections présidentielle et législatives.

C'est dire qu'il faut bien plus que des réformes fonctionnelles, quel que soit leur intérêt par ailleurs, pour rétablir la primauté du Parlement dans les institutions afin qu'il exerce pleinement son droit d'initiative, son pouvoir de décision en matière législative et constitutionnelle et son rôle de contrôle de l'exécutif, alors même, je le précise, que 85 % des textes législatifs que nous examinons ne consistent qu'en l'application de décisions prises à Bruxelles.

Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, il convient de modifier les articles 34 et 37 qui fixent limitativement les matières qui sont du domaine de la loi. Cela suppose l'abrogation des mesures qui restreignent la démocratie parlementaire : le vote bloqué, la procédure d'adoption sans vote de la loi, ainsi que la délégation du pouvoir législatif au Gouvernement par le biais des ordonnances. Cela suppose de modifier l'article 40 relatif à l'irrecevabilité des propositions et loi et amendements parlementaires à caractère financier, eu égard à l'obligation d'équilibre. Ce ne sont là que quelques aspects de la réforme d'envergure que nous préconisons. Cela suppose plus qu'un toilettage de la Constitution.

A l'évidence, la proposition de résolution qui nous est soumise ne répond pas à l'ampleur du problème que posent l'exécution et le contrôle des lois dans notre pays. Néanmoins nous avons toujours accompagné les améliorations, fussent-elles minimes, de l'exercice de la démocratie parlementaire. C'est la raison pour laquelle nous voterons ce texte.

M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, nous abordons ce débat de façon passionnée mais discrète, puisque nos collègues, bien que persuadés de l'intérêt de cette réforme, ne manifestent pas par leur présence un enthousiasme considérable pour s'y associer.

M. Pascal Clément, président de la commission. Ils nous font confiance !

M. Gaëtan Gorce. C'est votre interprétation, monsieur le président de la commission.

Pourtant, le débat que nous engageons revêt une grande importance car il y a péril en la demeure : cette vieille maison, fondée par nos différentes institutions, qui a vécu de grandes heures sous la République et qui, en 1958, fut ramenée à plus d'ordre et de raison par le parlementarisme rationalisé de la ve, est aujourd'hui en voie de marginalisation dans nos institutions.

Nous courons en effet indiscutablement le risque d'une présidentialisation accélérée de nos institutions. On évoquait tout à l'heure une « dérive monarchique ». Le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel à cinq ans, c'est-à-dire son alignement sur le mandat parlementaire et, plus encore, le fait que l'élection présidentielle ait désormais lieu avant les élections législatives, sont dans la logique de nos institutions puisque, naturellement, la primauté revient à celui qui est élu au suffrage universel par tous les Français. Mais cela crée une situation inédite.

En effet, autrefois, sous le septennat, au-dessus des institutions et des débats qui agitent les partis politiques et cet hémicycle, le Président de la République est aujourd'hui directement impliqué et ne peut être considéré que comme le chef de la majorité. Or notre Parlement ne dispose d'aucun moyen d'action, d'aucun moyen de contrôle et, par définition, d'aucun moyen d'engager sa responsabilité puisque, compte tenu de la séparation des pouvoirs, le Président ne tire pas sa légitimité de notre assemblée mais des Français qui l'ont directement élu. Notre Parlement risquerait donc une marginalisation ou une « ringardisation » si ses procédures, ses moyens de fonctionnement, ses responsabilités n'étaient pas adaptés à cette situation nouvelle.

Personnellement, je ne regrette pas le choix que j'ai fait, il y a plus de deux ans, de voter l'inversion du calendrier et le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel à cinq ans. Cela allait dans le sens de la modernisation de nos institutions. Mais il fallait en tirer toutes les conséquences, ce que la cohabitation n'avait pas permis de faire. Compte tenu de l'enjeu, le débat doit aujourd'hui s'engager et être conduit avec détermination, voire avec enthousiasme. Il s'agit de passer du parlementarisme rationalisé institué en 1958 à un présidentialisme rationalisé, en limitant les pouvoirs qui sont aujourd'hui ceux de l'exécutif, et d'abord de celui qui le dirige et qui ne relève pas du contrôle direct de l'Assemblée.

Pour paraphraser le général de Gaulle et faire plaisir à ceux qui ont soutenu le fondateur de cette institution, qui disait : « Il faut un Président qui en soit un », je dirai qu'il faut un Parlement qui en soit un.

M. Philippe Vuilque. Très bien !

M. Gaëtan Gorce. Cela suppose d'aller au-delà des simples adaptations de procédure dans notre règlement qui sont aujourd'hui proposées, en agissant dans trois directions.

En premier lieu, il convient de restaurer l'initiative parlementaire. Aujourd'hui, et cela a été brillamment et précisément dit par notre collègue Philippe Vuilque, le Parlement vote la loi, mais il ne la fait pas. Le Parlement ne fait pas la loi qu'il vote. C'est une réalité dont nous devons tirer les conséquences. Il faut rendre aux Français le droit élémentaire de faire, par leurs représentants, la loi qui doit s'appliquer à eux, expression de l'intérêt général.

Si l'on ne peut pas aller aussi loin, il faudrait au moins que le débat s'engage dans cet hémicycle sur le texte débattu et adopté par la commission et limiter le recours au vote bloqué, qui n'est plus justifié dès lors que l'Assemblée est soumise au système majoritaire, et que l'article 49-3 ne puisse être utilisé que pour la seule loi de finances, afin que les responsabilités prises par les parlementaires puissent trouver toute leur dimension dans le vote de la loi. Peut-être faudrait-il même aller jusqu'à reconsidérer les conditions du contrôle de constitutionnalité et mettre en place un contrôle a posteriori, par voie d'actions prises par lois d'exception, à l'initiative des citoyens. Cela donnerait plus d'autorité à la loi qui, une fois votée, n'aurait pas à attendre une éventuelle sanction de la part d'une assemblée de juges respectables mais devant prendre position par rapport au législateur juste après le débat politique.

En second lieu, il faut dépoussiérer les procédures parlementaires. Nous sommes nombreux sur ces bancs à déplorer les conditions dans lesquelles est conduit le travail législatif. Trois grands principes s'imposent.

D'abord, la spécialité : il faut pouvoir travailler de la manière la plus approfondie sur les textes et les dossiers qui nous sont présentés, ce qui suppose, bien entendu, d'augmenter le nombre des commissions, fixé à six en 1958 pour les raisons que l'on sait, et désormais totalement inadapté.

Ensuite, la clarté : il convient de veiller à ce que nos débats législatifs retrouvent un cadre, un ordre, une règle qui permettent à chacun, y compris aux citoyens qui y assistent, de s'y retrouver.

M. Philippe Vuilque. Très bien !

M. Gaëtan Gorce. Enfin, le principe de la publicité. A cet égard, l'absentéisme sur nos bancs traduit bien la difficulté de la situation. Certes, nos collègues souhaitent participer aux débats, mais ils ont parfois le sentiment de leur vanité, c'est-à-dire de ne pas pouvoir jouer un véritable rôle dans l'élaboration du texte qui leur est présenté.

Je tiens d'ailleurs à dire à cette tribune que les conditions du travail parlementaire se sont considérablement dégradées ces derniers mois, avec des bouleversements incessants de l'ordre du jour ou des discussions imposées en commission le soir même de l'adoption d'un texte en conseil des ministres.

M. Philippe Vuilque. Eh oui !

M. Gaëtan Gorce. Bref, ces conditions de travail sont inacceptables.

Modifions donc le régime de nos sessions. La session unique n'a pas atteint les objectifs qu'on lui avait fixés. Peut-être faudrait-il, comme dans d'autres parlements, siéger en permanence pendant quinze jours puis nous interrompre pendant la même durée, ce qui permettrait de consacrer entièrement deux semaines au travail législatif et deux autres au travail de contrôle. Ce ne serait pas une grande réforme de la Constitution mais cela permettrait sans doute de mieux équilibrer le fonctionnement de notre Parlement.

Enfin, il faut donner au Parlement les moyens d'un contrôle renforcé et véritable. La proposition de résolution va dans le bon sens, mais c'est un pas trop timide. Il faut s'orienter vers le partage des présidences et des rapports à la proportionnelle des groupes. Il faut conférer aux commissions permanentes les mêmes prérogatives et les mêmes pouvoirs qu'aux commissions d'enquête. Pourquoi s'encombrer de procédures aussi lourdes que celles des missions d'information et des commissions d'enquête alors que chaque commission parlementaire pourrait se voir reconnaître les mêmes prérogatives et les exercer par la seule décision de ses membres ?

Il faut, en s'inspirant d'exemples étrangers, dynamiser la formule des questions au Gouvernement, qui est devenue un exercice convenu, dès lors que les trois quarts des questions sont posées par la majorité et servent à l'illustration ou à la présentation par les ministres de leur politique.

Enfin, la motion de censure n'est plus une réalité politique car on n'imagine mal une majorité parlementaire, élue dans le prolongement de la majorité présidentielle, censurer le Gouvernement. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas instaurer une motion de défiance ministérielle par laquelle le Parlement pourrait demander à un ministre qui a mal fait son travail, qui n'a pas appliqué la loi, qui a mal exécuté les missions qui lui sont confiées...

M. Philippe Vuilque. Des noms !

M. Gaëtan Gorce. ... de se retirer ?

M. Pascal Clément, président de la commission. Ce serait un autre régime !

M. Gaëtan Gorce. Puisque la responsabilité collective du Gouvernement ne peut pas être mise en cause, tirons-en les conséquences. Combattons une culture de l'exécutif qui réduit à bien peu de chose

le contrôle du Parlement.

A défaut, je crains que nous n'en revenions aux institutions impériales, celles que nous avons connues sous Napoléon III, avec une assemblée qui débat mais qui ne vote pas et une assemblée qui vote mais qui ne débat pas. Je ne suis pas sûr que nous soyons aujourd'hui très éloignés de ce système. Ici, nous votons mais nous ne débattons pas, puisque le Gouvernement a décidé auparavant de ce qui doit figurer la loi. Il n'y a pas réellement de délibération. Quelle influence exerçons-nous sur le fond des textes ? Au Sénat, on débat mais on ne vote pas, puisque l'Assemblée, et c'est heureux, a le dernier mot.

Ces réformes ne sont pas de simples mesures techniques. Elles répondent, me semble-t-il, une exigence forte. L'ensemble des parlementaires sur ces bancs devrait s'engager dans une véritable croisade pour faire en sorte que notre Parlement retrouve réellement ses prérogatives et son autorité dans nos institutions.

C'est dans l'hémicycle que l'on doit entendre battre le cœur de la nation. Aujourd'hui, il y bat trop faiblement. Il serait utile de lui faire suivre le rythme d'une société qui avance, qui bouge et qui débat. Ce serait sans doute la moindre des choses pour nous que de trouver la volonté, l'énergie, peut-être le courage, non seulement de demander, mais aussi d'exiger que le Parlement débatte et vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


Mme la présidente
. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J'appelle maintenant les articles de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Article 1er

Mme la présidente. Sur l'article 1er, je suis saisie d'un amendement n° 1 corrigé.

La parole est à M. Philippe Vuilque, pour soutenir cet amendement.

M. Philippe Vuilque. L'amendement prévoit l'audition du ministre par la commission lorsque les textes réglementaires n'ont toujours pas été publiés au bout de six mois. Ainsi les députés pourront-ils être pleinement informés sur les raisons de ce retard. Il peut s'agit de la complexité du sujet traité - très technique ou à forte incidence financière -, de la nécessité de procéder à des consultations préalables ou parfois de carences de l'administration. De plus, l'audition du ministre incitera les ministères à une plus grande diligence.

Cet amendement permettrait un début d'évaluation de la loi dont on parlait tout à l'heure. Je regrette que la commission des lois ne l'ait pas accepté, car il va un peu plus loin que ce qui est proposé.

Sincèrement, je ne vois pas ce qui empêche la commission des lois et le rapporteur d'introduire ce dispositif, qui me semble indispensable.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La commission des lois n'a pas adopté cet amendement, pour deux raisons.

Premièrement, la réforme que nous engageons ce matin aura des conséquences assez considérables. A titre d'illustration, de septembre 2002 à fin août 2003 cinquante-cinq projets ou propositions de loi ont été promulgués, dont quarante et un exigent des textes d'application. La réforme nécessitera quarante et une inscriptions à l'ordre du jour de rapports supplémentaires dans un délai de six mois. Si la commission considère que le premier rapport sur la mise en application d'une loi au bout de six mois n'est pas satisfaisant, un second rapport est prévu un an après. Cela va densifier le travail de nos commissions permanentes.

Deuxièmement, l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires permet aux commissions permanentes d'auditionner, à tout moment, les ministres si elles le jugent nécessaire, de manière générale et inconditionnelle. Nous n'avons pas tant besoin d'auditions générales que de pointer très précisément et très techniquement dans le texte les dispositions mises en application ou non, et dans un second temps de procéder à une évaluation technique.

La mesure proposée n'ajoute rien au droit actuel et alourdirait la procédure.

M. François Goulard. Absolument !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. L'important, c'est de réussir concrètement la réforme que nous engageons ce matin.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Madame la présidente, vous ne serez pas surprise que je dise que je ne suis pas du tout d'accord avec le rapporteur.

Il ne s'agit que d'une possibilité pour la commission et on sait très bien comment cela se passe : dans un système majoritaire, quand on ne veut pas mettre en difficulté un ministre on ne l'auditionne pas. Je propose de rendre cette audition obligatoire, ce qui n'alourdira pas le travail des commissions, contrairement à ce que vient de dire M. Warsmann, mais le complétera utilement.

Mon amendement permet d'enclencher cette culture d'évaluation, de contrôle. Je ne vois donc vraiment pas pourquoi la commission est gênée par un tel amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je maintiens les arguments qui ont convaincu la commission.

J'ai dit, en concluant mon intervention générale, que, pour que cette réforme prenne toute son importance, il faudra que les rapporteurs de nos commissions mais aussi les membres de l'opposition et l'ensemble des parlementaires jouent pleinement leur rôle.

Que va-t-il se passer concrètement ? Une loi est promulguée aujourd'hui. Six mois et quelques jours plus tard, la commission compétente va présenter un rapport sur sa mise en application. Si ce rapport n'est pas bon, c'est que le ministre concerné, chef de son administration, ne parvient visiblement pas à la faire appliquer correctement. Il est alors de la responsabilité des parlementaires, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, d'interpeller le ministre dans l'hémicycle lors des questions d'actualité, devant les caméras, pour lui demander des explications, en brandissant le rapport qui aura été adopté par la commission. Ce sera, j'en suis sûr, un aiguillon particulièrement efficace.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Ce n'est pas la première fois que nous réfléchissons sur l'application des lois. En vingt-cinq ans, j'ai entendu cette question évoquée des centaines de fois. A chaque fois, les bonnes intentions disparaissent progressivement ou s'affaiblissent. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas du tout que l'on refuse cet amendement.

Vous estimez qu'une telle disposition surchargerait les commissions. Mais les parlementaires ne sont quand même pas responsables de l'inflation législative.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Bien sûr !

M. Jacques Brunhes. Nous protestons tous, je crois, contre cette inflation législative.

Sans doute faut-il légiférer moins mais légiférer mieux, et surtout mieux contrôler, et qu'il y ait des règles d'application.

Imposer à un ministre de venir nous donner les causes de la non-publication d'une loi paraît nécessaire et évident. De surcroît, cela n'alourdirait pas le travail parlementaire.

C'est pourquoi, monsieur le président de la commission des lois, on pourrait essayer d'être un peu plus précis et aller un peu plus loin sur un texte bien mince...

M. François Goulard. Qui en a eu l'idée ?

M. Jacques Brunhes. ...et pas aussi « historique » que vous le prétendez.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. L'amendement de M. Vuilque permettrait de tirer les conséquences de la proposition de résolution.

J'indiquais tout à l'heure que le pas qui nous était proposé était bien timide. Il est encore plus timide puisque, à peine la majorité envisage-t-elle de demander au Gouvernement de venir rendre des comptes de façon plus précise qu'elle s'effraie déjà de son audace. On pourrait aller au moins dans cette direction et faire en sorte que les ministres considèrent qu'ils ont des comptes à rendre à cette assemblée. Je suppose que l'opposition a vocation à revenir dans la majorité ; nous pourrons donc voir comment ces dispositions s'appliquent et nous les défendons dans l'intérêt général du Parlement.

Au vu de ce que j'observe depuis quelques mois, j'ai le sentiment que cette idée a tendance à se dissiper. Nous devons retrouver des moyens de contrôle. Il ne s'agit pas de revenir à la ive République ni d'aller vers une fantomatique vie République, mais de donner à notre Parlement des moyens que d'autres parlements européens se sont donnés qui compensent l'influence du Gouvernement sur la loi par un renforcement du contrôle. Cela me paraît la moindre des choses dans des institutions qui doivent être rééquilibrées.

M. Philippe Vuilque. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 5 rectifié.

La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le soutenir.

M. Philippe Vuilque. J'espère qu'un meilleur sort sera réservé à cet amendement qui prévoit que les commissions saisies pour avis peuvent également examiner un rapport sur la mise en application d'une loi, présenté par le député qui en a été l'auteur ou à défaut par un autre député désigné à cet effet.

La proposition de résolution prévoit que seule la commission compétente au fond sera responsable du suivi de l'application de la loi.

Cet amendement a donc pour objet de permettre aux commissions saisies pour avis et à leurs rapporteurs de suivre la mise en application d'une loi. En effet, pour de nombreux projets de loi, le travail effectué par les commissions saisies pour avis est primordial, et il serait regrettable que ces commissions ne participent pas à l'évaluation de la loi. On peut ainsi citer en exemple le projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle dont la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est actuellement saisie pour avis, et non au fond.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.

Contrairement à ce que j'entends dire ici ou là, il s'agit d'une grande avancée. Nous avons pour ambition de réussir cette avancée et de la faire fonctionner concrètement. Si nous ne voulons pas construire un dispositif trop complexe et irréaliste, il ne faut pas adopter le présent amendement.

Pour certains projets de lois, une commission est saisie au fond et d'autres le sont pour avis. Il me semble logique que le rapport sur la mise en application des lois soit piloté par la commission saisie au fond. Je le rappelle, pour une année normale cela représente plus de quarante rapports, sans parler du suivi des commissions d'enquête. Si l'on suppose que l'application de ces lois n'est pas satisfaisante au bout de six mois, il faudra en faire quarante autres, soit quatre-vingts en tout, c'est-à-dire que cela représente déjà une masse assez considérable. Plus le dispositif sera touffu, moins il sera opérationnel et clair, y compris vis-à-vis de l'opinion publique.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission. Monsieur Vuilque, ne voyez dans le refus de la commission d'accepter votre amendement aucune mauvaise volonté de sa part.

Imaginez que nous disions à un ministre dans six mois qu'il n'a pas fait son travail et qu'il nous réponde qu'il s'agit d'un problème interministériel car trois ministères sont compétents dans cette affaire, bref que ce n'est pas lui mais l'autre. Vous n'accepteriez pas une telle réponse.

Il n'y a qu'un rapporteur qui compte, le rapporteur saisi au fond. Si vous diluez des responsabilités entre les différents rapporteurs, vous verrez qu'il ne se passera rien.

Pourquoi je considère ce texte comme historique, monsieur Brunhes ? Parce que, pour une fois, on n'essaie pas de faire une grande réforme avec un grand « r ». D'ailleurs, en France, c'est bien connu, sous prétexte de faire une grande réforme, souvent on ne fait rien ou, quand on en fait une, elle reste lettre morte. Là, je considère qu'elle est très importante parce qu'elle est réaliste et pas trop ambitieuse. Pour qu'elle soit pleinement réaliste, il faut qu'un seul député - et pas trente-six - soit en charge de cette responsabilité. C'est le rapporteur saisi au fond qui suivra ce travail.

Actuellement, la commission des lois est saisie d'une loi, ô combien importante, la loi relative aux libertés locales. Un rapporteur sera saisi au fond, les trois autres seront saisis pour avis, et pour partie. Comme je l'ai déjà dit qui trop embrasse mal étreint. Soyons concrets, et pas trop ambitieux. Si chaque rapporteur se sent responsable du suivi de l'application de la loi, ce sera déjà une vraie révolution.

M. François Goulard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président de la commission, je ne fais pas de procès d'intention à la commission. Au contraire, nous avons eu, sous votre responsabilité, un débat très constructif en commission.

Tout à l'heure, j'ai parlé de timidité. Refuser cet amendement illustre la timidité des membres de la majorité sur un point essentiel pour le travail parlementaire.

Effectivement, le progrès porte sur l'application de la loi. On parle d'évaluation. Auditionner le ministre, c'est, me semble-t-il, le début d'une évaluation. Or, on me répond en invoquant l'encombrement du calendrier des commissions. Mais la solution a été donnée tout à l'heure par M. Gorce, à savoir l'augmentation du nombre des commissions. Si le travail parlementaire est si mal fait, c'est aussi parce que nous pouvons nous retrouver à cent ou cent cinquante dans une seule commission. Nous sommes dans l'incapacité de travailler correctement. La rénovation du Parlement passe aussi par là. Ne dites pas que cela va alourdir le travail des commissions.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 2 corrigé.

La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le soutenir.

M. Philippe Vuilque. A première vue, l'amendement n° 2 corrigé ressemble fortement à l'amendement n° 1 corrigé. Mais il n'en est rien en fait. Il prévoit d'auditionner obligatoirement et chaque année le ministre sur l'application de la loi qui le concerne, renforçant ainsi le dispositif prévu dans l'amendement n° 1 corrigé.

Il est normal que le ministre rende des comptes sur l'application de la loi devant la commission compétente.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?


M. Jean-Luc Warsmann
, rapporteur. Pour les mêmes raisons que pour le premier amendement que nous avons examiné, la commission y est défavorable.

Je rappelle que les commissions ont tout pouvoir pour convoquer les ministres quand elles le souhaitent.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 6.

La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing, pour le soutenir.

M. Louis Giscard d'Estaing. Permettez-moi d'abord, madame la présidente, de saluer l'initiative de l'auteur de cette proposition de résolution, notre collègue Warsmann, qui nous permet de réfléchir ce matin aux conséquences de la mise en œuvre des lois.

Leur suivi présente un double aspect. Il convient certes de veiller à leur exécution proprement dite, qui dépend des décrets d'application. Mais il faut aller au-delà avec un « service après-vote », en quelque sorte, que cet amendement propose d'institutionnaliser en créant éventuellement une mission d'information et de suivi.

En effet, une fois que la loi est entrée en application, il s'agit d'en mesurer l'impact réel, sur le plan administratif et financier, pour les administrés et pour les administrations chargées de la mettre en œuvre. C'est pourquoi cet amendement prévoit, à l'issue d'un délai de deux ans suivant l'entrée en vigueur de la loi, que le rapporteur, ou un autre député qui aura été désigné, remette un rapport sur le sujet.

M. François Goulard. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La commission a examiné cet amendement ce matin, mais, tout en comprenant la motivation de notre collègue Xavier Bertrand, elle l'a repoussé. Nous n'avons pas, en l'état actuel des choses, l'outil pour dresser un tel bilan, en particulier financier, sur l'ensemble des textes.

La réforme que nous engageons est un premier pas vers l'évaluation. Je souhaite très vivement que les rapporteurs, au lieu de se contenter d'un pointage quantitatif des textes d'application, exercent l'ensemble de leurs compétences en procédant à des auditions et en portant une première appréciation. Si jamais, dans leurs rapports, ils pointent des difficultés en termes de complexification ou de coûts, il faudra demander à la commission de créer une mission particulière, pour, cette fois, travailler sur une loi précise - comme cela est tout à fait possible. Mais un suivi systématique serait de pure forme dans la mesure où nous n'avons pas l'outil adapté. Cela étant, la fusée compte plusieurs étages. Il ne s'agit aujourd'hui que du premier étage sur lequel reposera le second qui sera la constitution d'une mission d'information au sein de la commission.

Dans d'autres démocraties, il existe des procédés très intéressants, notamment celui de voter une loi pour une durée déterminée. Une loi, par exemple, peut cesser de s'appliquer au bout de dix ans. Il va sans dire qu'il est de la responsabilité du Parlement de savoir, avant l'échéance, si la loi mérite d'être prolongée ou non. Je vous rappelle qu'il nous arrive, en France, de voter des textes, la loi sur la bioéthique entre autres, avec une simple clause de rendez-vous - le Parlement vote en souhaitant se prononcer à nouveau au bout de cinq ans - et d'avoir ensuite les pires difficultés à la respecter. Nous avons donc encore beaucoup de chemin à parcourir.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. J'ai dit tout à l'heure, monsieur le président de la commission des lois, que votre nature généreuse et spontanée vous avait conduit à parler d'une proposition « historique ». Je constate que vous avez donné à l'instant un sens supplémentaire à cet adjectif, à savoir ce qui n'est pas ambitieux. (Rires.) A vos qualités déjà reconnues, j'ajoute la modestie...

Mais nous avons un problème de fond et je comprends bien l'embarras de M. Bertrand, qui est le nôtre aussi. Monsieur le rapporteur, nous allons tenter de contrôler l'application des lois. Mais que se passera-t-il en l'absence de décrets d'application ? Rien ! Voilà pourquoi je considère que la résolution manque d'ambition ! On peut bien avoir un rapport de plus, on n'aura pas un contrôle véritable pour autant.

C'est la raison pour laquelle mon groupe proposait, au cas où le Gouvernement ne prendrait pas de textes d'application, que l'Assemblée puisse voter une disposition législative exécutoire. Il faudrait certes changer la Constitution, mais, sinon, nous en resterons aux « paroles verbales » ! M. Bertrand a bien identifié le risque et il tente, sans y parvenir, de le prévenir avec son amendement.

Le texte qui nous est soumis est sans doute intéressant mais il demeure très insuffisant. Nous en verrons les conséquences au bout d'un an, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur. Elles seront minces.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission. Mon cher collègue, je ne comprends pas votre approche. Vous venez de rappeler avec raison qu'aujourd'hui, si une loi ne fait pas l'objet de décrets d'application, il ne se passe rien. Pourtant, avec cette réforme, il se passera quelque chose.

M. Jacques Brunhes. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission. Bien sûr que si !

Notre rapporteur a très justement rappelé que nous aurons l'occasion d'interpeller le ministre en séance, et pas seulement dans le cadre des questions du mardi et du mercredi, sur la base non pas d'une conviction intime mais d'un rapport qui sera le résultat d'une enquête auprès de l'administration. Le rapporteur, vous avez pu vous en rendre compte, aura des moyens d'enquête, d'audition qui donneront une grande crédibilité au rapport qu'il aura rendu. Pensez-vous sincèrement qu'une mise en cause publique, devant les médias - il ne faut pas avoir peur des mots -, ne sera pas plus efficace que ce qui est fait aujourd'hui ? Si ! En tout état de cause, une petite chandelle allumée vaut mieux que l'obscurité ambiante.

Ce n'est donc pas parce que la réforme manque d'ambition qu'elle est historique. Elle sera historique parce qu'elle marchera ! Jusqu'à présent, nous nous sommes payés de phrases et de discours, nous avons regretté que les bonnes idées exprimées ici ou là ne l'aient pas été plus tôt. En ce qui nous concerne, nous avons la prétention d'améliorer la situation, qui est aujourd'hui contestable, pour ne pas dire déplorable. Les chiffres ont été rappelés : sur les deux dernières années, 2001-2002, près de trente-cinq lois n'ont pas fait l'objet de décrets d'application. Nous ne pouvons pas, quant à nous, le tolérer.

Je conclurai en demandant à Gaëtan Gorce et Philippe Vuilque de ne pas faire croire à l'opinion que notre rôle se bornerait à celui d'une chambre d'enregistrement. Je rappelle à M. Vuilque, qui était hier avec nous en commission des lois, les nombreuses fois où nous avons décidé de voter un amendement auquel nous savions que le Gouvernement s'opposerait. Alors, n'allez donc pas faire croire aux électeurs que nous ne sommes bons qu'à acquiescer. Ce n'est pas honnête ! Ne minorons pas nos pouvoirs.

Que la majorité des députés adhère à la philosophie de la loi soutenue par le Gouvernement, c'est la logique même du système parlementaire ! Et jusqu'à preuve du contraire, comme le Gouvernement ne peut pas ne pas s'appuyer sur une majorité, il est tout de même souhaitable que majorité parlementaire et Gouvernement soient globalement d'accord.

Mais s'agissant de la loi au quotidien, telle qu'elle s'élabore dans l'hémicycle, combien de fois l'influence du Parlement fut grande ! Elle fut quelquefois bénéfique, parfois moins, soyons francs. Mais ne minorons pas nos pouvoirs.

Aujourd'hui, nous en accordons un nouveau au rapporteur au fond. Et vous verrez que le ministre qui n'aurait pas pris de décret d'application plusieurs mois, six en l'occurrence, après la promulgation de la loi, et dont la défaillance serait rendue publique, n'en sortira pas indemne. Ce sera tellement mieux qu'avant qu'on ne peut que s'en réjouir ! Croyez-moi.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Nous reconnaissons bien sûr la bonne volonté qui anime notre rapporteur et l'intérêt de sa proposition de résolution. Si nous avons critiqué sa timidité, ce n'était pas pour contester son bien-fondé, mais pour engager le débat, car il serait sans doute souhaitable d'aller plus loin.

Le président de la commission dit qu'il n'est pas « honnête » - le terme est sans doute mal choisi compte tenu de la nature du débat - de présenter notre assemblée comme une chambre d'enregistrement. C'est retourner l'argumentation. La question est de savoir si nous sommes aujourd'hui capables de tirer les conséquences du changement majeur que nous avons tous voté, ou presque, en 2002. Conformément à la logique de nos institutions, le rôle prééminent du Président de la République dans la conduite de la politique de la nation a été réaffirmé, bien que ce soit au Gouvernement que la Constitution en confie la responsabilité. Il en résulte la nécessité de rééquilibrer cette autorité en élargissant les pouvoirs du Parlement.

Aujourd'hui, l'Assemblée nationale, qui a été élue après le Président de la République et qui, d'une certaine manière, en dépend, se trouve en quelque sorte chargée d'appliquer le programme du Président de la République ; en tout cas, elle le sera en 2007. Qu'elle réclame des moyens supplémentaires dans un tel contexte me paraît au contraire dans la logique de nos institutions qui sont avant tout parlementaires, même si elles ont la particularité d'avoir donné au Président de la République une autorité spécifique depuis 1958, et surtout 1962.

Il ne s'agit donc pas de dévaloriser le travail législatif et le contrôle du Parlement, auquel chacun ici participe activement, mais de se donner les véritables moyens pour aboutir. Tel est le fond du débat. Il ne faut pas transformer les termes de la discussion, comme j'ai cru comprendre que le président de la commission était parfois tenté de le faire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président de la commission, on ne peut discuter sur le rôle et la place du Parlement dans les institutions sans penser aux travaux de la commission Vedel, qui avaient fait l'objet d'une relative unanimité, au moins sur le fond, sinon dans le détail des propositions qui avaient été avancées. Le problème, c'est de rendre au Parlement sa place, qui, selon la commission Vedel, doit être la première. Or, avec l'inversion du calendrier électoral, nous risquons encore davantage de devenir une chambre d'enregistrement. Je ne mésestime pas le travail que nous faisons : on ne passe pas depuis des années des nuits à travailler sans penser faire quelque chose qui n'est pas totalement inutile. Mais force est de constater la disproportion entre l'exécutif et le législatif.

En l'occurrence, c'est-à-dire dans le domaine essentiel de l'application des lois, sujet qui nous préoccupe depuis longtemps mais qui aujourd'hui prend une tournure presque caricaturale, il faut reconnaître que notre assemblée ne remplit pas le rôle qui devrait être le sien. Son travail législatif s'apparente à de l'abattage. L'examen des textes se fait dans des conditions épouvantables, on l'a déjà dit. Quant au contrôle de l'application des lois, il est absolument nécessaire, mais, pour l'exercer, il faut aller un peu plus loin que ce qui nous est proposé.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

(Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission. Madame la présidente, un vote par assis et levé me semble nécessaire.

Mme la présidente. Le vote est acquis. (Mêmes mouvements.)

Vous êtes certes majoritaires dans l'hémicycle, mais il se trouve que tout le monde n'a pas levé la main quand j'ai procédé à la mise aux voix. Vous pouvez néanmoins, si vous le souhaitez, demander une seconde délibération.

Rappel au règlement

M. Alain Néri. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour un rappel au règlement.

M. Alain Néri. Nous sommes en train de parler du fonctionnement du Parlement. Chacun est en train de dire qu'il faut revaloriser son action, action qui se concrétise par un vote. Et nos collègues contesteraient un vote qui a eu lieu en toute clarté ! L'amendement a été adopté. Je comprends que certains de nos collègues de la majorité ne soient pas contents. Mais lorsque la course est finie, que la ligne d'arrivée a été franchie, on ne remet pas en cause le résultat. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais suspendre la séance pour cinq minutes.


Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Je mets aux voix l'article 1er, modifié par l'amendement n° 6.

(L'article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

Après l'article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 3 corrigé portant article additionnel après l'article 1er.

La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le soutenir.

M. Philippe Vuilque. Cet amendement vise à compléter l'article 139 du règlement de l'Assemblée par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute question écrite à laquelle il n'a pas été répondu dans les délais prévus ci-dessus est convertie en question orale si son auteur le demande. Elle prend rang au rôle des questions orales à la date de cette demande de conversion. »

Il reprend une disposition du règlement du Sénat.

Lors de la discussion de cet amendement en commission des lois, le président Clément a soutenu que la disposition prévue par l'amendement existait préalablement dans le règlement de l'Assemblée et avait été supprimée.

La pratique actuelle des questions écrites suscite mon inquiétude. Elle s'assimile désormais à un véritable sport parlementaire et un trop grand nombre de nos collègues sont devenus des stakhanovistes de la question écrite.

M. Pascal Clément, président de la commission. Absolument.

M. Louis Giscard d'Estaing. C'est vrai.

M. Philippe Vuilque. La tendance actuelle est de transformer en questions écrites les petits problèmes de vie quotidienne de nos concitoyens, si bien que la question écrite a perdu de sa pertinence. Les ministères s'aperçoivent du caractère parfois farfelu de certaines questions écrites.

Nous sommes tombés nous-mêmes dans le piège. En effet, comme les médias provinciaux évaluent trop souvent le travail parlementaire au nombre de questions écrites déposées par le parlementaire, certains de nos collègues spécialisent leurs assistants qui, à longueur de journée, pondent des questions écrites. Dois-je le rappeler ici ? Le travail d'un parlementaire, c'est autre chose et il serait consternant de le mesurer à cette aune !

Le président Clément a répondu en commission des lois que cet amendement n'est pas pertinent. Je veux bien le reconnaître. Je le retire,...

M. François Goulard. Très bien.

M. Philippe Vuilque. ...mais je souhaitais appeler l'attention de l'Assemblée sur la pratique actuelle des questions écrites, qui est regrettable.

Mme la présidente. L'amendement n° 3 corrigé est retiré.

Article 2

Mme la présidente. Sur l'article 2, je suis saisie d'un amendement n° 7 rectifié.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le soutenir.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Madame la présidente, je souhaiterais le rectifier à nouveau en ajoutant, après les mots « le membre de la commission permanente », le mot « compétente ».

Mme la présidente. Acte est pris de cette nouvelle rectification.

L'amendement n° 7 rectifié devient donc l'amendement n° 7, deuxième rectification.

Poursuivez, monsieur Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement vise à faire respecter les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, en particulier l'article prévoyant le suivi des recommandations des commissions d'enquête - commissions qui ont une durée de vie limitée.

M. François Goulard. C'est vrai.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La fonction de rapporteur disparaît en même temps que la commission d'enquête. L'amendement vise à prévoir que la commission saisie au fond de la création de la commission d'enquête désignera elle-même un rapporteur chargé de lui présenter un rapport sur le suivi de la mise en application des recommandations de la commission d'enquête. Rien n'interdira à la commission permanente de désigner comme rapporteur celui qui aura été rapporteur de ladite commission d'enquête, du moins s'il est membre de la commission permanente, mais nous devons prévoir une certaine souplesse. Tel est l'objectif de cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Nous voterons cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7, deuxième rectification.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Je mets aux voix l'article 2, modifié par l'amendement n° 7, deuxième rectification.

(L'article 2, ainsi modifié, est adopté.)

Après l'article 2

Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 4 corrigé portant article additionnel après l'article 2.

La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le soutenir.

M. Philippe Vuilque. Cet amendement, qui répond à la même philosophie que ceux que j'ai déjà défendus, a pour objectif d'auditionner les ministres devant la commission compétente sur le bilan de l'action de leur ministère.

Tous les ans, les ministres éditent de très belles plaquettes en quadrichromie sur leur action ministérielle. Chaque ministre, nous semble-t-il, devrait venir présenter son action devant la commission compétente, ce qui permettrait d'organiser un débat sur le bilan. La mesure, allant plus loin que la simple application de la loi, permettrait un début de vérification du travail ministériel par le Parlement.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Défavorable.

L'amendement est en effet satisfait par la pratique habituelle des ministres qui viennent présenter leurs auditions budgétaires. De plus, il ne précise aucune date. Enfin, l'article 5 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit la possibilité d'auditionner à tout moment les ministres devant les commissions.

Mme la présidente. La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard. Je souhaiterais conforter les excellents arguments de notre rapporteur en rappelant la novation introduite par la nouvelle loi organique sur les finances publiques. Sur les missions et les programmes, les ministres, à l'occasion de l'examen du budget, viendront désormais systématiquement devant notre assemblée s'expliquer non seulement sur leurs prévisions de dépenses, mais également sur les objectifs du ministère et la manière dont ils ont été atteints pour justifier de la demande de crédits dans le cadre de l'examen de la loi de finances.

L'objectif de l'amendement de M. Vuilque est donc totalement satisfait par la nouvelle loi organique.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Vous êtes, monsieur Goulard, d'une frilosité assez consternante. En quoi le fait d'auditionner chaque année les ministres sur le bilan de leur action peut-il vous gêner ?

M. François Goulard. La mesure est déjà prévue !

M. Philippe Vuilque. Vous me rétorquez que la nouvelle procédure sur l'examen de la loi de finances implique l'audition des ministres. Soit. Mais les considérations financières ne sont pas les seules. La commission doit s'intéresser à l'ensemble de l'action d'un ministre.

M. François Goulard. C'est bien ce que j'ai rappelé. La loi organique ne cantonne pas l'audition des ministres au domaine financier.

M. Philippe Vuilque. M. Warsmann me répond que la commission peut le faire. Mais une possibilité n'est pas une obligation. C'est une constante du fait majoritaire : une majorité, qui n'a pas envie de mettre en difficulté un ministre, ne lui demandera pas de venir s'expliquer devant la commission compétente. Avançons ! faisons un pas supplémentaire ! La mesure proposée par cet amendement n'a rien de révolutionnaire !

M. Pascal Clément, président de la commission. Elle n'est pas prévue par la Constitution.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Seconde délibération

Mme la présidente. En application de l'article 101 du règlement, la commission demande qu'il soit procédé à une seconde délibération de l'article 1er de la proposition de résolution.

La seconde délibération est de droit.

Je rappelle que le rejet des amendements vaut confirmation de la décision prise en première délibération.

Je suis saisie d'un amendement n° 1.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour le soutenir.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le dispositif que la commission a proposé est suffisant pour garantir la mise en application systématique de toutes les lois. Si cette mise en application n'est pas satisfaisante, nous avons la possibilité de créer, dans les commissions, des missions d'information et de suivi. Ainsi, l'Assemblée dispose d'ores et déjà de tous les outils nécessaires.

Je demande à l'Assemblée, par l'amendement n° 1, de supprimer les trois derniers alinéas de l'article 1er tel qu'il a été adopté en première délibération.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié par l'amendement n° 1.

(L'article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je souhaitais réagir à l'accusation de frilosité.

Des articles ou des colloques sur le suivi de l'application des lois se sont multipliés depuis de nombreuses années. La grande nouveauté est qu'il s'est trouvé un président de l'Assemblée nationale pour donner l'impulsion et un groupe parlementaire, de surcroît majoritaire, pour inscrire cette disposition à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ce matin, sur le contrôle de la mise en application des lois, il vous est proposé de passer enfin des discours aux actes.

Je souhaite, madame la présidente, non seulement que se dessine la plus large majorité possible pour voter cette disposition, mais surtout que, dans les mois et les années à venir, les parlementaires se saisissent de la nouvelle possibilité qui leur est offerte et que s'ensuivent de réels débats en commission. Ainsi, le contrôle du Parlement ne pourra que s'accroître, autant sur la mise en application des lois qu'à l'égard des ministres et du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Brunhes.


M. Jacques Brunhes
. Je suggère à notre excellent rapporteur et au président de la commission de prévoir un bilan de leur propre texte dans un ou deux ans, car on sait bien que les choses s'effritent considérablement au cours du temps.

Nous allons voter ce texte, mais, pour toutes les raisons que j'ai déjà exposées, je crains que son application n'ait pas la portée que nous aurions souhaitée. Nous ne nous faisons guère d'illusions.

M. Pascal Clément, président de la commission. Vous êtes des pessimistes !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. M. Brunhes m'a volé ma conclusion...

Nous aussi, nous sommes d'accord avec cette proposition de résolution et allons la voter, mais nous sommes un peu déçus. Les amendements que j'ai présentés au nom du groupe socialiste étaient tout à fait constructifs. Contrairement à ce qu'affirme M. Warsmann, l'occasion nous était donnée d'aller un peu plus loin de manière consensuelle, sans pour autant faire la révolution dans notre règlement. Cette occasion est perdue.

Comme je l'ai dit, la majorité actuelle a une responsabilité historique sur l'évolution du monde politique et de nos institutions. Vous avez, mesdames et messieurs, l'Assemblée, le Sénat, le Gouvernement et la Présidence de la République. Il vous est donc possible de faire évoluer d'une manière très importante, y compris par des modifications de la Constitution, le rôle d'évaluation et de contrôle du Parlement. Il serait dommage que vous ne le fassiez pas. L'adoption de nos amendements aurait constitué un premier pas dans cette direction.

Le groupe de travail mis en place par le président de l'Assemblée nationale, au sein duquel je siège avec M. Brunhes fait un bon travail. Nous avons déjà commencé à revoir notre règlement. Aussi sommes-nous déçus, je le répète, car nous avions la possibilité d'aller plus avant de manière consensuelle. C'est une occasion perdue.

Titre

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution, j'indique à l'Assemblé que, conformément aux conclusions de la commission, son titre est ainsi rédigé :

« Proposition de résolution modifiant le Règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois et sur la mise en œuvre des recommandations de ses commissions d'enquête. »

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de résolution.

(L'ensemble de la proposition de résolution est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.

Conformément à l'article 61 de la Constitution et à l'article 17 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la résolution sera soumise au Conseil constitutionnel.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1375, permettant l'inscription sur la liste d'aptitude des élèves administrateurs du Centre national de la fonction publique territoriale (concours externe 2001) :

M. Jacques-Alain Bénisti, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1383).

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1055, relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle :

M. Alfred Trassy-Paillogues, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (rapport n° 1413) ;

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1412).

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures vingt.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot