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Troisième séance du mardi 24 février 2004

164e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

RESPONSABILITÉS LOCALES

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux responsabilités locales (n°s 1218, 1435).

Question préalable

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, mes chers collègues, aux termes de l'article 91, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale, l'objet de la question préalable est « de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer ». C'est la motion que j'ai choisie, en tant que responsable du groupe socialiste, de défendre. La tâche qui m'incombe à cette heure n'est donc pas des plus simples, s'agissant d'un sujet - la décentralisation - pour lequel je milite depuis de nombreuses années. J'ai néanmoins l'ambition de vous convaincre, tous ici - je ne devrais pas avoir trop de mal vu le nombre de parlementaires présents - de plier vos tablettes et de repartir illico dans vos circonscriptions ! (Sourires.)

A l'appui de cette cause, mais aussi pour ma défense, j'ai la conviction profonde que ce projet de loi relatif aux responsabilités locales, qui est présenté aujourd'hui en première lecture à l'Assemblée nationale, n'a pas été préparé comme il aurait dû l'être, eu égard notamment à l'ambition pour ainsi dire « monumentale » affichée par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, depuis son arrivée rue de Varenne : s'inscrire dans la lignée des précurseurs de la décentralisation qu'ont été, à leur place respective, François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, pour construire rien moins que l'acte II de la décentralisation.

En tant que porteur de la parole socialiste dans ce débat, mais également en tant que coprésident, depuis 1995, avec Adrien Zeller, qui n'est plus parlementaire mais qui est président de la région Alsace et UMP, de l'Institut de la décentralisation - j'insiste sur cette double casquette pour vous montrer que je ne compte pas m'exprimer tout au long de ce débat seulement en partisan mais que j'exprime aussi les inquiétudes des « pratiquants convaincus » de la décentralisation -, je dois vous dire que le résultat, pour nous, est loin d'être à la hauteur des ambitions affichées.

Certes, objectivement, le projet du Gouvernement contient certaines dispositions de bon sens ou de louable intention, dont les promoteurs historiques de la décentralisation n'auraient pas renié l'écriture, du moins tant qu'elles s'inscrivent dans une évolution logique du transfert de compétences en direction des collectivités locales.

Toutefois il manifeste également une volonté politique ou stratégique d'ignorer des pans entiers de la réalité de l'organisation territoriale française - à commencer par les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, mais pas seulement. Ce choix risque de placer notre pays en porte-à-faux par rapport aux évolutions institutionnelles comparables dans le reste de l'Union européenne. Une telle négligence n'a pas de sens, j'y reviendrai.

Ce sont les lois Joxe de 1992 et Chevènement de 1999 qui ont mis en place les outils de l'intercommunalité à fiscalité propre. Les années qui ont suivi ont prouvé la qualité de ces dispositifs, dont le succès est reflété aujourd'hui par leur ample couverture du territoire français : au 1er janvier 2003, 48,8 millions de Français dépendaient d'un des 2 360 groupements de communes à fiscalité propre ; ils sont probablement 50 millions à ce jour. L'avenir appartient de toute évidence à ces nouvelles formes d'association, qui balaient les anciens découpages administratifs. Et, honnêtement, reconnaissez, monsieur le ministre, en tant qu'élu francilien, que ce n'est qu'en région parisienne qu'un important travail reste à faire.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. A cause de Paris !

M. Jean-Pierre Balligand. Pas seulement ! Sans doute n'est-il pas si simple, dans la région qui est de loin la plus riche de France, d'allier des villes situées dans des départements très pauvres comme la Seine-Saint-Denis avec des villes qui appartiennent à des départements beaucoup plus riches comme les Hauts-de-Seine.

En tout cas, les décisions doivent désormais être prises au plus près des bassins de vie, car ce sont là les nouveaux territoires pertinents de l'action locale et parce qu'ils bénéficient du soutien implicite, je dis bien implicite, de nos concitoyens.

Nous pouvions penser qu'un tel mouvement allait être sacralisé dans une démarche intercommunale institutionnellement reconnue. C'est apparemment d'ailleurs ce que pense le rapporteur de la commission des lois, qui ne redoute pas d'écrire dans son introduction qu'il est « nécessaire de travailler dès aujourd'hui à l'élaboration d'un acte III de la décentralisation qui devra porter sur l'intercommunalité ». La citation se passe presque de commentaire : elle vaut aveu de la part de la majorité, en même temps qu'elle décrédibilise la portée de la présente réforme.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Balligand. Je pense que si. D'ailleurs, sans vouloir faire de polémique, je trouve que la manière dont le président de l'ADCF, l'Association des communautés de France, Marc Censi, par ailleurs UMP...

M. le ministre délégué aux libertés locales. Non, il est UDF.

M. Jean-Pierre Balligand. Je vous prie de m'excuser. J'oubliais que la distinction était rédhibitoire.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Non, je corrige simplement pour l'exactitude de votre propos.

M. Jean-Pierre Balligand. Il reste que, pour moi, il s'agit d'un élu...

M. le ministre délégué aux libertés locales. De qualité.

M. Jean-Pierre Balligand. ...certes mais qui se situe plutôt à droite sur l'échiquier politique français. Or je considère qu'il n'a pas été réellement associé aux discussions.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. Et le vice-président de l'ADCF que je suis trouve que ce n'est pas correct, mais j'y reviendrai.

Plus généralement, notre pays aurait besoin aujourd'hui d'une reconstruction subsidiaire de l'ensemble de son organisation territoriale, autour du pôle régional d'une part, de l'agglomération et du pays d'autre part. Il n'échappe à personne que la France, avec ses 36 000 communes et sa centaine de départements, souffre d'un déficit de grandes agglomérations par rapport à ses voisins européens, et qu'elle ne propose pas, en termes économiques, une échelle régionale suffisante pour concurrencer nombre de Länder allemands ou de régions italiennes.

Concernant la région justement, elle est oubliée par votre projet alors que le temps était venu de faire d'elle une grande scène politique, un espace de démocratie, de citoyenneté et, pour tout dire, l'échelon majeur de la décentralisation.

Avec son entrée dans la Constitution, la région a certes connu une promotion, mais il ne s'agit malheureusement pour elle que d'un effet d'optique. Dans la réalité, c'est aux départements que sont transférées le plus de compétences concrètes.

Il n'est d'ailleurs pas sûr que ces derniers, qui gagnent en compétences lourdes et en pouvoirs, ne se trouvent pas à terme, j'oserais presque dire à court terme, asphyxiés par ces nouvelles charges face au désengagement croissant de l'Etat. S'il est urgent de conforter l'échelon régional, notamment dans sa fonction de programmation et d'expertise, de compétitivité économique et d'ouverture européenne et internationale, en renforçant sa dimension politique, son espace démocratique, mais aussi ses compétences et ses moyens budgétaires et fiscaux, c'est que la région est le niveau d'exercice adéquat d'un grand nombre de compétences stratégiques.

Si vous aviez vraiment voulu, monsieur le ministre, que la décentralisation soit efficace, mais également qu'elle soit comprise par les citoyens - et ce sont bien les deux défis essentiels qui lui sont lancés - vous aviez le devoir de contribuer à cette double inflexion régionale et intercommunale de la décentralisation.

Concernant la répartition des responsabilités, l'enjeu d'une clarification des compétences existantes vous a, je dois le dire, totalement échappé. La nécessité de cette remise à plat était pourtant particulièrement nette : l'enchevêtrement des compétences nuit manifestement à leur bonne maîtrise et l'absence de lisibilité qui en résulte fait qu'elles persistent à demeurer méconnues des citoyens. Comment dans ces conditions exiger de ceux-ci qu'ils se déplacent en masse pour aller voter, alors qu'il ne savent ni qui agit au niveau local, ni pourquoi, ni comment ?

Il fallait commencer par dresser un bilan de l'exercice des compétences issues des lois Defferre après vingt années de pratique, dans le but de mettre un terme à la confusion croissante des acteurs et des responsabilités, au lieu de continuer à empiler des strates successives sans cohérence d'ensemble.

Exception faite de la commune, dans la mesure où celle-ci opère une délégation volontaire de compétences à l'intercommunalité, il aurait peut-être même mieux valu - et je m'exprime ici en tant que coprésident de l'Institut de la décentralisation - réviser, voire supprimer, la clause de compétence générale, de manière à désigner clairement pour chaque compétence identifiée une collectivité responsable, dans une véritable logique de complémentarité des responsabilités.

L'un des effets de cette spécialisation des compétences aurait dû être, par exemple, de faire de l'échelon régional l'unique détenteur de la compétence économique, avec un rôle d'opérateur pour l'intercommunalité. La plupart des conseils généraux disposent actuellement d'agences de développement économique. Mais, sauf exception, la région est le seul échelon qui ait le seuil critique suffisant et qui permette les connexions ad hoc avec le tissu universitaire, la recherche-développement et les pôles technologiques. Le « chef-de-filat », pour reprendre ce vilain mot institué par le projet de loi, va, à cet égard, dans le bon sens, mais il ne sera pas suffisant pour enrayer la compétition économique anarchique qui existe aujourd'hui entre régions, départements et agglomérations - compétition qui fragilise les stratégies d'attractivité, multiplie les guichets et épuise finalement les énergies locales.

Un raisonnement analogue pourrait être tenu dans le champ du social, où le département a pleinement vocation à s'articuler avec le niveau local que constitue la commune. A contrario de l'exemple précédent, on a essayé, par le passé, de donner la compétence sociale aux régions : ce fut un échec parce que cette compétence relève historiquement de l'échelon départemental.

Qu'on me comprenne bien : il s'agit moins en l'occurrence de viser une hiérarchisation des collectivités locales, encore que j'aimerais savoir pourquoi il serait mauvais de réfléchir pour notre pays à un mode d'organisation territoriale qui est, je le répète, en vigueur dans la plupart des grandes démocraties européennes,...

M. René Dosière. C'est l'exception française !

M. Jean-Pierre Balligand. ...que d'opérer une distribution plus efficace des compétences. Seule celle-ci serait en mesure de clarifier l'identification des acteurs locaux par les citoyens, mais aussi de mettre un frein à la concurrence coûteuse que se livrent les collectivités entre elles, et donc de renforcer l'efficacité de l'action publique locale en permettant un développement plus cohérent et plus solidaire des territoires. Non seulement les citoyens ont besoin de connaître et de sanctionner, mais ils exigent de plus en plus des politiques publiques qu'elles soient moins dispersées, plus efficaces, plus économes et, surtout, mieux évaluées.

En clair, ce que nous, militants de la décentralisation, attendions d'un tel arsenal législatif, c'était d'abord une clarification de l'architecture institutionnelle de la France, prenant en compte à la fois les réalités d'aujourd'hui et les enjeux de demain, qui soit respectueuse de l'évolution sui generis des territoires - la coopération intercommunale n'étant pas autre chose qu'une conséquence spontanée de la recherche d'efficacité au niveau local -, mais qui soit aussi volontariste pour le devenir de l'organisation territoriale, que l'Etat a le devoir impérieux de rendre plus simple et plus lisible.

Or, quelle réalité voyons-nous émerger de cette année et demie de propositions ? Rien d'autre, encore une fois, que des destinées éparses : une région modestement bénéficiaire, un département conforté mais menacé de ce fait, une ville poliment délaissée et ses communautés reléguées dans les limbes.

Autant dire qu'il paraît presque indécent de parler, à propos de cette réforme, d'un « acte II » de la décentralisation.

M. René Dosière. C'est du conservatisme !

M. Jean-Pierre Balligand. Après tant de propos enflammés, tant d'incantations et tant de brassage d'air ministériel dans les assemblées générales annuelles de nos associations représentatives, le constat semble être celui d'un décalage flagrant entre les actes d'aujourd'hui et les promesses d'hier.

Le contraste est d'ailleurs saisissant entre les termes employés ici même par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, le 3 juillet 2002, et le présent projet de loi.

Censée bâtir - je cite le Premier ministre - « une République des proximités, unitaire et décentralisée », la réforme aboutit à une France des individualités, divisée et déséquilibrée. Censée s'appuyer sur deux piliers, « le pilier régional qui a pour vocation la cohérence et la programmation » et « le pilier de la proximité qui relève de l'échelon départemental et de l'intercommunalité », le Gouvernement accouche d'une organisation bancale, dansant d'un pied sur les régions et les départements et marchant de l'autre sur la ville et ses communautés, c'est-à-dire d'une sorte de « dahu institutionnel » dont les pattes intercommunales seraient nettement plus courtes que les autres. (Sourires.)

M. Michel Piron. On dirait du Picasso !

M. Jean-Pierre Balligand. Mais nous aurions dû nous en douter : dans les mots, l'intercommunalité avait déjà disparu du discours de clôture des Assises des libertés locales à Rouen, le 28 février 2003, discours dédié tout entier à la gloire de la région et du département, à un an il est vrai de futures élections régionales et cantonales où la moitié du Gouvernement s'est depuis physiquement engagée.

Pourtant, ce possible souci des élections n'a pas semblé coïncider pour vous avec un souci des électeurs. J'aurais nettement préféré que le projet du Gouvernement, bâti autour du concept aussi vide que rebattu de proximité, donne plus de place et de contenu à la notion de citoyenneté.

La citoyenneté doit demeurer, en effet, la grille de lecture à la fois première et ultime de la décentralisation. Quand nous avons connu une crise politique comme celle du 21 avril 2002, où un Premier ministre et un Président de la République sortants n'ont atteint respectivement que 16 % et 20 % des suffrages exprimés, nous avons aussi touché du doigt la faillite de tout un système de représentation. La preuve en est le glissement continuel de la participation des Français aux élections, y compris justement aux scrutins réputés les plus mobilisateurs, comme les présidentielles ou les municipales.

M. Bernard Derosier. Les municipales aussi en effet !

M. Jean-Pierre Balligand. J'ai étudié précisément l'évolution des taux de participation aux élections régionales, cantonales et municipales dans notre pays - j'essaie d'être objectif, car il faut regarder la réalité en face -, de manière à rechercher quel impact la décentralisation à la française avait eu dans les faits sur l'implication des citoyens dans la vie locale. Eh bien, mes chers collègues, le constat est alarmant !

La participation aux élections municipales a été plus faible en 2001 qu'en 1959, et l'on a assisté à une chute radicale et continue à partir de 1977. Au premier tour du scrutin, elle est ainsi passée successivement de 79 % à 78 % en 1983, 73 % en 1989, 69 % en 1995, pour finir à 67 % en 2001.

Pour les élections régionales, le constat est encore plus flagrant et la dégradation encore plus dramatique : 78 % en 1986, 69 % en 1992, 58 % en 1998.

Quant aux élections cantonales, malgré une évolution contrastée entre milieu rural et milieu urbain - on se souvient de la crise qu'elles ont vécue en 1988 -, la tendance est identique : on y a voté moins en 2001 qu'en 1982 et la participation au second tour, qui était de 62 % en 1992, n'était plus que de 55 % en 1998.

Ce rapide panorama décrit une réalité profondément choquante pour nos institutions : le transfert de pouvoir centrifuge de l'Etat jacobin vers les instances territoriales s'est ainsi accompagné d'une véritable perte de substance, d'une déréliction de la légitimité démocratique desdites institutions.

Cet éloignement du citoyen a, qui plus est, quelque chose de paradoxal : les Français votent moins, tout en réclamant des élus toujours plus proches de leurs préoccupations. Ouvriers et employés étaient ainsi respectivement 70,5 % et 62,5 % à estimer en 1978 que « les hommes politiques ne se préoccupent pas des gens » ; ils étaient 86,5 % et 86 % à le penser en 2002.

A l'heure où il est à craindre que le vent de libéralisme qui souffle sur la décentralisation n'accentue les inégalités, il est donc plus que jamais vital de renforcer le contrôle et la participation des citoyens. C'est l'enjeu crucial de l'épanouissement de la démocratie locale, qui concerne tous les échelons de la représentation territoriale, mais qui, dans un passé récent, n'a été qu'effleuré par l'institution sélective de référendums locaux, dont les EPCI sont proprement exclus. Vous refusez toujours de donner une légitimité démocratique à ces structures et, de surcroît, vous n'autorisez pas les consultations par référendum local, ne serait-ce que sur les questions relatives aux transports collectifs dans les agglomérations.

Au niveau régional, je suis loin d'être hostile, pour ma part, à la dernière réforme du mode de scrutin, dans sa version revue et corrigée par le Conseil constitutionnel, bien sûr. Directement inspirée du fonctionnement des élections municipales, elle assurera une meilleure visibilité au président de région et devrait permettre de dégager une majorité de gestion tout en assurant une représentation démocratique des minorités.

M. René Dosière. Ça, c'est Jospin !

M. Jean-Pierre Balligand. Je n'osais pas le dire, mais M. le ministre avait traduit. Merci, monsieur Dosière !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous devriez le rappeler !

M. Jean-Pierre Balligand. La région a trop souffert par le passé de son instabilité politique. Elle a besoin justement de plus de stabilité pour renforcer son assise et son influence. En revanche, il n'est pas possible de se satisfaire d'un mode de scrutin régional qui ne permet toujours pas d'avoir de véritables listes régionales affranchies du lien départemental.

M. René Dosière. Ça, c'est Raffarin !

M. Jean-Pierre Balligand. Ces avancées partielles ne sont donc pas suffisantes pour faire de la région la scène politique qu'elle mérite d'être. Voilà pourquoi je considère qu'il est urgent d'expérimenter ailleurs qu'en Corse, dans une ou plusieurs régions, un parlementarisme régional reposant sur une dissociation claire entre le pouvoir exécutif et le pouvoir délibératif.

Si une telle partition n'a jamais existé dans notre pays, c'est parce que le maire a été considéré historiquement comme le représentant de l'Etat centralisateur, de ses valeurs et de son pouvoir de police. C'est le message républicain qui a fonctionné et qui, à certains égards, fonctionne encore. Mais il est absurde de projeter la même logique sur les autres échelons, en particulier sur l'échelon régional qui, par position et par vocation, est un espace de débat sur les enjeux stratégiques régionaux, voire interrégionaux. Je rappelle, en outre, que si cette distinction entre exécutif et assemblée existe dans la plupart des régions européennes, c'est parce qu'elle constitue fonctionnellement un bon mode d'organisation sur les plans de l'efficience et de la légitimité du débat démocratique.

Si l'on veut une citoyenneté et un débat politique local dignes de ce nom, et si l'on veut bien mesurer l'importance des enjeux régionaux - économie, université, recherche, transports, formation professionnelle, aménagement du territoire - à l'aune des responsabilités plus lourdes encore que la région a vocation à exercer dans l'avenir, on comprend que ces enjeux très politiques exigent que les conditions institutionnelles d'une scène politique régionale soient réunies.

D'une certaine manière, avant la décentralisation, lorsque la région était non pas encore une collectivité locale, mais un établissement public régional, un certain type de découplage existait entre l'exécutif, alors assuré par le représentant de l'Etat, et une assemblée fortement légitime, où siégeaient maires des grandes villes, parlementaires, élus des départements. Avec peu de pouvoirs et peu de moyens, il y avait pourtant là un vrai corpus politique et les débats en région étaient, à certains égards, de meilleure qualité qu'aujourd'hui.

M. René Dosière. Il y avait davantage de démocratie !

M. Jean-Pierre Balligand. Le paradoxe est que, depuis que l'on élit les conseillers régionaux au suffrage universel, les débats ont régressé en qualité, essentiellement parce qu'on a décalqué le modèle « mayoral », lui-même imité de celui de l'Etat.

Un raisonnement analogue peut naturellement être conduit quant à l'organisation des assemblées municipales et départementales, où la confusion existant entre les pouvoirs délibératif et exécutif conduit à une absence malsaine de contre-pouvoirs, alors que ceux-ci sont au fondement même de la démocratie. Cette question des contre-pouvoirs, que les élus locaux n'aiment pas beaucoup aborder, aurait dû être, bon gré mal gré, résolue dans un véritable acte second de la décentralisation,...

M. Bernard Derosier. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. ...de manière à éviter que, dans nos collectivités, les citoyens et même parfois les élus eux-mêmes - je pense en particulier aux conseillers municipaux -, continuent d'avoir le sentiment qu'une élite locale confisque le pouvoir. Il faut d'ailleurs reconnaître que le sommet d'un tel exécutif dispose d'un pouvoir quasi absolu, presque sans partage, qui n'est pas conforme à l'idée que tout un chacun a raison de se faire de la démocratie.

M. René Dosière. Très juste !

M. Jean-Pierre Balligand. L'exigence démocratique étant par nature l'impératif suprême au sein d'une République, elle ne saurait à vrai dire tolérer aucune exception à sa règle et gagne par conséquent à s'appliquer dans tous les types de collectivités. Ma critique à l'égard du mode de fonctionnement des EPCI, pour lesquels vous ne proposez, dans cet acte II, ni amélioration ni réforme, reste cependant la plus vive.

Comment justifier aux yeux du citoyen comme à ceux du parlementaire, voire du juge, que la direction d'un établissement public de première importance, qui lève de plus en plus souvent l'impôt et qui organise notre quotidien dans les domaines tant des transports que du traitement des déchets ou de l'économie, ne soit pas soumise au suffrage universel ? Il y a là une sorte d'aberration institutionnelle et l'histoire retiendra que ce gouvernement et sa majorité n'ont pas voulu y mettre fin.

M. Georges Siffredi. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Jean-Pierre Balligand. Pour une raison simple, mon cher collègue, sur laquelle nous étions d'accord dans cet hémicycle. En 1992 comme en 1999, nous avons estimé qu'il fallait d'abord mailler le territoire français. C'est aujourd'hui chose faite,...

M. Georges Siffredi. Pas à 100 % !

M. Jean-Pierre Balligand. ...à l'exception de la région parisienne. Je pense que vous frôlez la mauvaise foi.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Ce n'est pas la vraie raison ! La raison, c'est l'attitude des sénateurs !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous pourrez toujours me répondre tout à l'heure, monsieur Daubresse !

Le référendum d'initiative locale est lui-même interdit d'EPCI, signe manifeste que vous ne voulez pour cette structure ni de la sanction ni de l'approbation populaires, mais que vous continuez à préférer pour elle la confusion des genres.

Comme je crois sincèrement à l'intercommunalité, que je lui pressens un destin majeur dans l'organisation territoriale française, j'estime pour ma part - et en disant cela, je m'exprime surtout au nom de l'Institut de la décentralisation - qu'il faut tester à ce niveau une élection au suffrage universel direct d'un exécutif qui représenterait l'intérêt communautaire, tandis que le pouvoir délibératif pourrait continuer à être incarné par les représentants des communes, option qui permettrait de concilier sereinement les intérêts communautaires et les intérêts communaux.

D'autres options sont également envisageables - soyons honnêtes ; le débat est ouvert ! -, comme le fléchage des futurs délégués communautaires aux élections municipales - thèse défendue par l'ADCF - ou l'élection intégrale au suffrage universel de l'ensemble des conseillers. Mais d'une manière ou d'une autre, il faut à tout prix doter les communautés urbaines, les communautés d'agglomération, les communautés de communes et les pays d'une indépendance et d'une légitimité renforcées par un verdict populaire souverain. D'aucuns réclamaient un grand débat national sur cette question. Pourquoi, si ce n'est par manque d'une réelle ambition réformatrice, l'avoir soigneusement éludé, alors que l'occasion s'est maintes fois présentée au cours des derniers mois ? Si je voulais être méchant, mais ce n'est pas mon style, je dirais même : à quoi ont servi les Assises des libertés locales ?

M. Bernard Derosier. A rien ! C'était Barnum-Raffarin ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


M. Jean-Pierre Balligand
. Cette vision partielle et partiale de la décentralisation s'est en tout cas incarnée, depuis un plus d'un an, dans une succession de réformes qui, non seulement ignorent le citoyen, mais vont faire de lui le « dindon de la farce », le jour de 2005 où il découvrira le nouveau « net à payer » de ses impôts locaux

Vous l'avez compris : j'aborde maintenant l'aspect financier de votre démarche, qui n'est pas le moins critiquable.

On a beaucoup débattu de ce qu'une décentralisation mal comprise, pour ne pas dire maladroite - elle n'est hélas que trop à droite... (Sourires) -, peut engendrer comme glissements pervers du contribuable national vers le contribuable local. J'ai cependant l'impression, évidemment plus grave, que c'est sur l'usager que va peser finalement l'essentiel de votre « élan » décentralisateur.

Ma critique rejoint un questionnement plus large, qui a trait au type de politique économique mené par ce Gouvernement, à l'avenir qu'il entend réserver aux services publics dans notre pays, bref à la logique libérale de régression sociale, dont il marque, de manière plus ou moins nettement perceptible, toutes les réformes qu'il mène.

L'émergence inquiétante de la notion d'usager correspond à un service devenu ponctuel au lieu de demeurer universel et au choix, contraint ou délibéré, de réserver aux populations, ou même aux seuls territoires solvables, le bénéfice de prestations que les collectivités n'auront plus désormais les moyens de fournir équitablement à tous. Là où il était possible d'ajuster le prélèvement en fonction des revenus - selon le principe même de la notion de contribuable -, la logique de l'usager relève au contraire de celle du péage : elle s'adresse indistinctement à tous les Français et pénalise fortement les ménages les plus modestes souvent contraints d'habiter loin des agglomérations, privés de transports collectifs, et par conséquent obligés d'utiliser leur véhicule.

J'utilise d'ailleurs le mot « péage » dans tous les sens du terme, puisque votre texte dûment amendé prévoit que des routes nationales payantes pourraient apparaître au lendemain de l'adoption de ce texte. Même si un tel dispositif est limité aux routes nouvelles, comme le prétend le Gouvernement et comme l'a rappelé récemment M. le rapporteur,...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Oui !

M. André Chassaigne. J'en suis moins sûr que vous !

M. Jean-Pierre Balligand. ...il demeure inadmissible d'envisager que se développe cette exclusion par l'argent, concernant un service - la libre circulation des personnes et des biens - qui doit demeurer universel.

En d'autres termes, monsieur le ministre, votre projet n'instaure pas seulement un démantèlement de l'Etat, un transfert de charges insuffisamment financées, voire une décentralisation des déficits au bénéfice du budget de l'Etat ; il contient aussi et surtout le risque d'une rupture d'égalité entre les citoyens et d'un démantèlement de l'action publique locale, et cela au moment même où nos concitoyens, particulièrement ceux des territoires ruraux, doivent faire face à la disparition programmée des services publics : fermetures de classes, réorganisation de la présence postale, remise en cause du service public de l'électricité...

Lorsque cette logique libérale aura porté ses fruits, le Gouvernement devra expliquer aux Français pourquoi il n'y a plus qu'une seule boîte aux lettres par commune rurale, pourquoi le prix du timbre-poste varie selon l'endroit où l'on vit, pourquoi il y a moins d'une école par canton, pourquoi le montant de l'allocation personnalisée d'autonomie est plus faible dans les départements les plus défavorisés, etc.

Il faut dire que les enjeux économiques et financiers de la décentralisation sont considérables. Les dépenses des collectivités territoriales représentent aujourd'hui 75 % des dépenses publiques hors défense. Et leurs investissements doivent encore s'amplifier dans les années à venir, avec l'approche d'échéances importantes pour la mise aux normes communautaires.

En ce qui concerne le transfert de responsabilités, la règle voulait, avant la loi constitutionnelle récente, que l'Etat, en se déchargeant de certains de ses domaines de compétence, transfère également les ressources correspondantes. Son concours financier, par le biais des dotations aux collectivités locales, est ainsi devenu le deuxième poste budgétaire français, avec 57 milliards d'euros, même si ces dotations se sont elles-mêmes révélées insatisfaisantes par le passé, car les compétences déléguées ont souvent été celles où l'investissement de l'Etat était justement insuffisant.

M. Michel Piron. Belle objectivité !

M. Jean-Pierre Balligand. Nous le rappelons en effet dans un souci d'honnêteté.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le montant exact des dotations de l'Etat aux collectivités locales est de 59 milliards. Mais cette précision ne change rien au fond de votre propos.

M. Jean-Pierre Balligand. Voilà ce que c'est que d'être dans l'opposition : on n'a pas toujours les chiffres exacts à sa disposition...

Avec vingt ans de recul, on commence à bien connaître la mécanique, qui a été rappelée dans la discussion. En 1982-1983, quand nous nous sommes lancés dans la décentralisation, il faut bien reconnaître - et j'ai moi-même fait partie des députés qui ont voté cette loi - qu'on avançait en aveugle. La faiblesse des investissements effectués dans l'éducation nationale, notamment dans les collèges - M. Daubresse a rappelé à juste titre l'exemple des « Pailleron » - a été largement compensée.

Il ne faut donc pas que le Premier ministre nous prenne pour des imbéciles ou nous cantonne dans des discussions dignes du café du commerce. Raconter, comme il l'a fait cet après-midi, que la décentralisation va coûter moins cher est une absurdité, doublée d'une erreur historique.

M. Bernard Derosier. On se moque des Français !

M. Jean-Pierre Balligand. La décentralisation coûte plus cher. Ce n'est pas grave, dès lors que l'action publique locale est meilleure : si nous construisons de meilleurs collèges et de meilleurs lycées, c'est une bonne chose. Mais il faut bien entendu prévoir les compensations nécessaires.

Puisqu'on a aujourd'hui vingt ans de recul, il faut assurer des dotations correctes aux collectivités.

Au-delà du problème des dotations, c'est tout le volet financier de la décentralisation qui est souffrant et méritait, de ce fait, d'être mieux pris en considération dans votre réforme. L'absence de lisibilité liée à la généralisation des financements croisés - Etat, région, Union européenne - est vivement critiquée sur le terrain. Quant à la part de la fiscalité locale dans les budgets régionaux, elle est passée de 66 % en 1997 à 45 % en 2001, au prix d'une « recentralisation » des impôts locaux qui équivaut pratiquement à une mise sous tutelle financière.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Eh oui !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais qui est responsable de cet état de fait ?

M. Jean-Pierre Balligand. Je reconnais, dans un souci d'objectivité, que beaucoup dénoncent cette réalité qui met à mal l'autonomie des collectivités, pourtant pierre angulaire de la décentralisation. Mais qu'avez-vous fait pour l'enrayer ? Rien ! Vous avez même cru bon de l'aggraver avec un de ces coups de théâtre dont le Président de la République a le secret.

Le 6 janvier 2004, lors de ses vœux aux forces vives du pays, alors que le projet de loi relatif aux responsabilités locales qui nous occupe en ce moment avait été débattu pendant trois mois et voté depuis six semaines par le Sénat, et alors que la loi de finances pour 2004 avait été définitivement adoptée quelques jours seulement auparavant, le chef de l'Etat a annoncé en effet sans concertation préalable - et quitte à surprendre même les siens - la suppression de la taxe professionnelle.

Nous avons tous sur ces bancs - moi le premier - de bonnes raisons de penser que la taxe professionnelle est un mauvais impôt, pas seulement parce qu'il a été institué il y a trente ans par Jacques Chirac...

M. le ministre délégué aux libertés locales. A la place d'un impôt encore plus mauvais !

M. Jean-Pierre Balligand. ...mais parce son mode de calcul est injuste et inefficace. Pour conserver son principal attrait, il méritait par conséquent, tant pour nos entreprises que pour nos collectivités, d'être profondément remanié. Nous avions d'ailleurs commencé à le faire, grâce à Dominique Strauss-Kahn puis à Laurent Fabius, en supprimant la base salaires de son assiette...

M. Michel Piron. Voilà !

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Il fallait aller jusqu'au bout !

M. Jean-Pierre Balligand. ...pour ne pas rabaisser la main-d'œuvre au niveau de l'équipement et ne pas défavoriser la reprise du marché de l'emploi.

Mais l'annonce impromptue du Président de la République, que le Gouvernement a fait immédiatement sienne, a eu quelque chose de particulièrement inquiétant.

Alors que les élus locaux attendaient d'être rassurés sur la pérennité de leurs ressources et sur leurs marges de manœuvre pour en décider eux-mêmes, voilà que, une de fois de plus, la démagogie politicienne passe avant la responsabilité politique et que les collectivités se voient imposer l'amputation de la bagatelle du tiers du produit de leur fiscalité au détriment d'une ressource fiscale majeure puisque 22 milliards d'euros ont été récoltés en 2002, soit une progression de plus de 4 % par an depuis 1992.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais cette progression a été moindre après la suppression de la part salariale. Admettez-le, monsieur Balligand, vous qui êtes honnête !

M. Bernard Derosier. Nous sommes tous honnêtes, monsieur le ministre !

M. Jean-Pierre Balligand. N'hésitant pas à mettre les pieds dans le plat, le Gouvernement a même imposé une franchise de taxe professionnelle pour les investissements intervenus dès le 1er janvier 2004, sans préciser immédiatement comment ce manque à gagner serait compensé, et avec quel degré d'évolutivité.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais si ! Il l'a dit immédiatement !

M. Jean-Pierre Balligand. Il l'a peut-être dit, mais il fallait l'écrire : ce sont les écrits qui comptent.

Le Gouvernement a choisi d'accentuer sciemment le déséquilibre des finances locales en faveur des compensations étatiques, en attendant que les collectivités se voient proposer un mécanisme fiscal de substitution dont les entreprises annoncent déjà qu'elles ne voudront pas. Pour avoir fait un cadeau royal au MEDEF en subordonnant la décentralisation à une contre-logique de type ultra-libéral, le Gouvernement est désormais confronté à ses propres paradoxes.

Il faut dire qu'un problème de nature constitutionnelle était déjà venu se greffer sur une situation juridique incertaine. Sous le précédent gouvernement, le Sénat avait adopté, en octobre 2000, une proposition de loi constitutionnelle, d'ailleurs cosignée par le président du Sénat et le Premier ministre actuel, fixant un pourcentage chiffré et précis - « la moitié au moins » - pour les recettes fiscales propres des collectivités locales par rapport au total de leurs ressources.

La révision constitutionnelle du 17 mars 2003 a renoncé à cette règle simple et d'apparence objective pour tenir compte de l'extrême inégalité de richesses des collectivités locales. L'exigence d'un pourcentage déterminé de recettes fiscales pouvait en effet entrer en conflit avec la nécessité d'une péréquation permettant de garantir aux collectivités les plus pauvres un niveau satisfaisant de ressources. Le nouvel article 72-2 de la Constitution prévoit donc désormais que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités locales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».

Le flou et l'imprécision de cette nouvelle formulation ont été largement soulignés au cours des débats parlementaires sur la réforme constitutionnelle. Ils devaient être levés par une loi organique destinée à préciser la réforme constitutionnelle. Seulement, cette loi organique, qui a bien été déposée, n'est pas venue en discussion... Ou plutôt si, mais le « projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales », mis en distribution le 23 octobre 2003, dort toujours dans l'antichambre de l'Assemblée nationale...

S'il ne devait rester d'ailleurs qu'un seul motif de suspendre prématurément nos débats, il pourrait bien s'agir de celui-ci. Vous créez la confusion dans les budgets de nos collectivités et cette confusion, vous l'instituez de manière désordonnée, en mettant la charrue des transferts de compétences devant les bœufs de leur mode de financement.

Mais surtout, le Gouvernement ne respecte pas la parole donnée, il y a un an, lors de l'examen du projet de la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. Je me souviens encore que le garde des sceaux nous certifiait alors que nous serions « prochainement saisis d'un dispositif à deux étages : une ou plusieurs lois organiques sur les conditions d'application et les modalités de la décentralisation, en particulier les expérimentations ; des lois simples pour les transferts de compétences plus consensuels ».

En tout état de cause, la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales ne répondra pas à nos attentes en matière de sécurité fiscale mais aussi financière des collectivités territoriales. Si le projet de loi définit désormais a minima la « catégorie de collectivités », l' « ensemble de leurs ressources » et les « autres ressources propres » évoqués dans la Constitution, la définition qu'il donne du caractère « déterminant » de la part de ces ressources est très insuffisante et pour le moins tautologique.

Il dispose en effet que « la part des ressources propres est déterminante lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités territoriales relevant de cette catégorie compte tenu des compétences qui leur sont confiées ». Autant dire qu'on adaptera au cas par cas - « on », c'est-à-dire le législateur, et non l'élu local - la nature des compétences transférées, en fonction des possibilités financières des collectivités : aux plus pauvres, le strict minimum ; aux plus riches, le large éventail des « responsabilités locales », et adieu la péréquation !

On peut craindre que, faute de volonté politique ou, au contraire, pour politiser le débat sans pour autant l'assumer, le Gouvernement n'ait voulu simplement se défausser sur le juge, puisque le devenir de la réforme dépendra désormais de la jurisprudence à géométrie variable du Conseil constitutionnel, ce qui, du reste, fera le bonheur des avocats spécialisés. Guy Carcassonne et quelques autres ont un bel avenir devant eux, car ils auront beaucoup de travail !

M. Jean-Marc Ayrault. Maître Devedjian pourra se reconvertir !

M. Jean-Pierre Balligand. Il s'agit au demeurant d'une tactique dont ce gouvernement est coutumier, monsieur le ministre.

Vingt ans après les premières lois de décentralisation, les collectivités locales attendaient, outre un « désempilement » des couches administratives, la garantie d'une véritable autonomie financière. Le choix de compenser une partie des onze milliards d'euros - c'est un minimum - de dépenses nouvelles qu'induiront les transferts de compétences - trois milliards pour les régions et huit milliards pour les départements, ce qui en dit long sur l'orientation délibérée desdits transferts - par une répartition adaptée du produit de la taxe intérieure sur la consommation des produits pétroliers constitue à cet égard un contre-exemple parfait.

Le Conseil constitutionnel, que les parlementaires socialistes avaient saisi à la fin de l'année 2003 pour qu'il censure les dispositions correspondantes de la loi de finances pour 2004, a partiellement reconnu cet état de fait. Dans sa décision du 29 décembre 2003, il reconnaît que « la méconnaissance [des] dispositions [de l'article 72-2 de la Constitution] peut être utilement évoquée tant que ne sera pas promulguée la loi organique qui devra définir les ressources propres des collectivités territoriales ». Aussi a-t-il inscrit dans ses considérants l'obligation pour l'Etat « de maintenir un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert »,...

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est bien une garantie !

M. Jean-Pierre Balligand. ...obligation qu'il faut considérer comme une réserve majeure apportée au projet gouvernemental.

M. Michel Piron. C'est une confirmation, pas une réserve !

M. Jean-Pierre Balligand. Il faut dire que, s'agissant des départements et du revenu minimum d'insertion - puisque c'est de cela qu'il est question dans la loi de finances pour 2004 -, la facture sera très salée pour le contribuable local.

Ce qui justifie théoriquement l'idée de ressources propres, c'est la liberté fiscale, corollaire de la responsabilité fiscale, qui permet aux collectivités de décider le taux des impôts qu'elles collectent. Or, en guise de financement, le Gouvernement transfère aux départements une ressource fiscale inerte : le produit d'une taxe et non la taxe elle-même. En outre, les perspectives d'augmentation du nombre des bénéficiaires du dispositif sont connues. Et cette tendance s'accentuera, puisque vous avez réduit de manière drastique la possibilité pour les chômeurs de longue durée de bénéficier de l'allocation de solidarité spécifique. Ces chômeurs n'auront donc plus d'autre solution alternative que de venir grossir les rangs des RMIstes, à charge ensuite pour les conseils généraux de trouver les ressources supplémentaires nécessaires, au besoin par des hausses d'impôts.

Il y a quelque chose de machiavélique dans ce protocole qui finira par asphyxier les collectivités, lesquelles ne demandaient pas tant de sollicitude à un Etat lui-même aux abois sur le plan budgétaire.

Contrairement aux assertions du Gouvernement, la TIPP est loin d'être un impôt dynamique, évolutif et contrôlable, alors qu'on peut prédire une augmentation exponentielle du recours au RMI dans une société appauvrie où la croissance ne va plus de pair avec les recrutements et où les entreprises préfèrent augmenter leurs profits en capital plutôt que leur croissance en emplois. Certes, on peut toujours faire le choix délibéré d'augmenter la pression fiscale sur les produits pétroliers, mais ce serait contrevenir une fois de plus aux promesses de Gascon du candidat Chirac, et j'imagine que le Gouvernement ne souhaite pas assumer une nouvelle fois la paternité d'une telle trahison. En tout état de cause, les simples exigences du développement durable vous commandent de rechercher une moindre consommation de ces produits.

Evidemment, en prenant en compte dans ses calculs le montant constaté au cours des trois à cinq dernières années des crédits précédemment consacrés aux compétences transférées, le Gouvernement escompte profiter pleinement de l'effet d'aubaine de ses choix budgétaires restrictifs et éviter ainsi d'avoir à trop puiser dans son maigre portefeuille, le moment des compensations venu.

Par ailleurs, l'Etat ne peut pas ignorer que les contribuables locaux devront supporter à terme l'imposition de 0,3 % sur la masse salariale des collectivités territoriales mise en place au titre de la suppression d'un jour férié.

En d'autres termes, le Gouvernement organise, au choix, l'appauvrissement des collectivités ou la paupérisation des contribuables locaux.

M. Augustin Bonrepaux. Les deux !

M. Jean-Pierre Balligand. Le plus étonnant est que ces transferts de compétences s'accompagnent d'un véritable abandon des collectivités à elles-mêmes, signe que votre réforme comprend bien les modalités d'un réel ultralibéralisme institutionnel : des citoyens laissés pour compte, une concurrence sauvage entre les collectivités, des évolutions locales à plusieurs vitesses et, pour couronner le tout, l'essor inquiétant de partenariats public-privé qui, mal contrôlés, pourraient nous conduire dans les ornières bien connues d'un développement à l'anglo-saxonne.

Déjà, l'Etat se désengage ouvertement de son rôle d'aménageur du territoire et d'investisseur. Il ne respecte plus sa signature. Ainsi, monsieur le ministre, les contrats de plan Etat-régions - nous sommes à mi-parcours - connaissent un taux record d'inexécution budgétaire, que ce soit en programmation, c'est-à-dire en autorisations de programme, ou en réalisation, c'est-à-dire en crédits de paiement.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Cela a toujours été ainsi !

M. Jean-Pierre Balligand. Non. Pour avoir été, pendant plus de dix ans, rapporteur du budget de l'aménagement du territoire et des dispositions concernant les contrats de plan, je peux vous dire que, quels que soient les gouvernements, si l'on constatait toujours un décalage au cours de la première année d'exécution, on adoptait ensuite le rythme de croisière. Or, actuellement, ce rythme est celui d'un important désengagement.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous n'y croyez pas vous-même !

M. Jean-Pierre Balligand. Depuis le début de mon intervention, j'ai essayé d'être de bonne foi (« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste.) et objectif, y compris lorsque j'ai évoqué ce que nous avons fait.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Que vous soyez de bonne foi ne nous empêche pas d'être en désaccord !

M. Jean-Pierre Balligand. Aussi, permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que pour les contrats de plan, vous êtes en train d'organiser - et c'est grave - le désengagement de l'Etat en matière d'investissement et d'aménagement du territoire. C'est tellement vrai que le groupe socialiste et des membres du groupe de l'UMP ont déposé, en commission des finances, des amendements visant à assurer un suivi de ces contrats qui ont été adoptés à l'unanimité. Comme nous savons parfaitement que les plans d'exécution ne seront pas achevés en 2006-2007 et que nous risquons de perdre des fonds européens au titre du phasing out, nous souhaitons que l'Etat s'engage de manière précise au-delà de cette date, car on ne peut mettre toutes ces mesures à la charge des seules collectivités locales.

Les contrats de plan, disais-je, connaissent un taux record d'inexécution budgétaire, que ce soit en programmation ou en réalisation. À cet état de fait se sont ajoutées des décisions de droit qui pénalisent l'investissement local. Je pense notamment à la suppression brutale des subventions de l'Etat aux transports collectifs en site propre dans les grandes villes, remplacées par quatre milliards d'euros de prêts à taux bonifiés,...

M. Bernard Roman. Avec les taux d'intérêt actuels, tout le monde peut accorder des prêts bonifiés !

M. Jean-Pierre Balligand. ...accordés par une maison que je connais bien, la Caisse des dépôts et consignations, laquelle n'avait pas besoin de cela - mais c'est une autre histoire.

Le Groupement des autorités responsables de transports - le GART - vous a solennellement demandé de surseoir à cette décision unilatérale,...

M. Jean-Marc Ayrault. Absolument !

M. Jean-Pierre Balligand. ...mais rien n'y a fait. En dépit du bon sens environnemental et moyennant quelques millions d'euros supplémentaires inscrits dans l'urgence pour financer une partie des programmations en cours - auxquelles vous n'aviez curieusement pas pensé - vous avez maintenu votre ligne directrice, qui est précisément de ne plus en avoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier. Il se moque des transports en commun !

M. Jean-Marc Ayrault. À la réunion de l'association des communautés urbaines qui s'est tenue à Cherbourg, il ne s'est trouvé personne, à droite comme à gauche, pour applaudir son intervention !

M. Bernard Roman. Il est reparti penaud !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Balligand !

M. Jean-Pierre Balligand. Je continue, madame la présidente, mais je ne voulais pas interrompre M. Ayrault.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais vous laisser entre vous !

Mme la présidente. La parole est à M. Balligand, et à lui seul.

M. Jean-Marc Ayrault. Si nous votions maintenant, nous serions majoritaires, car il n'y a personne pour soutenir le Gouvernement ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Migaud. Où est M. Raffarin ? Où sont les députés de l'UMP ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est ridicule !

Mme la présidente. S'il vous plaît, gardons notre calme. Poursuivez, monsieur Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Le problème réside en vérité dans une différence de philosophie politique entre vous et nous.

M. Bernard Roman. Exactement !

M. Jean-Pierre Balligand. Votre conception de la décentralisation, c'est moins d'Etat ; la nôtre, c'est « mieux » d'Etat. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Même si la tentation budgétaire est forte, la décentralisation ne doit pas avoir pour corollaire l'affaiblissement de l'Etat, lequel doit demeurer le garant de l'égalité des citoyens en élaborant des normes minimales et en assurant la qualité des services publics gérés par les collectivités locales.

Cela se ressent jusque dans les transferts de compétences que vous organisez. Vous omettez proprement le rôle de garant de l'égalité, de l'équité et de la justice que doit jouer l'Etat.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous l'ignorez lorsque vous supprimez son droit de regard sur la formation professionnelle, laissant la voie libre à une gestion hasardeuse de celle-ci, une fois que l'AFPA aura été démantelée.

Vous omettez le rôle de l'Etat lorsque vous rendez facultative la création des centres communaux d'action sociale, alors que, même si on peut le regretter, seule une obligation empêcherait les communes de se défausser de leur devoir d'assistance envers les publics fragiles et en situation d'exclusion.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Balligand, vous pouvez saluer les députés de l'UMP qui entrent dans l'hémicycle ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. S'il vous plaît, monsieur Ayrault !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous oubliez le rôle de l'Etat lorsque vous transférez aux départements le fonds de solidarité pour le logement, alors qu'il s'agit d'une mission de solidarité nationale.

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous oubliez le principe d'égalité lorsque vous confiez aux intercommunalités et aux départements la délégation des aides à la pierre, alors qu'ici encore, la solidarité nationale seule peut prendre en compte sans discrimination et de manière impartiale la situation des trois millions de personnes mal logées.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous êtes décentralisateur ou jacobin ?

M. Jean-Pierre Balligand. L'Etat doit être garant.

Vous omettez le principe d'égalité lorsque vous permettez une intervention des régions dans le domaine hospitalier sans aucun garde-fou, créant ainsi le risque gravissime d'une santé à plusieurs vitesses.

M. Xavier de Roux. Affirmation gratuite !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous omettez le principe d'égalité lorsque vous autorisez le transfert de la médecine scolaire aux départements, alors que la politique de prévention doit rester impérativement de la responsabilité de l'Etat. Jean-Pierre Raffarin s'y était d'ailleurs personnellement engagé il y a quelques mois, mais apparemment, il n'a pas réussi à tenir sa promesse.

M. Bernard Roman. Sénatoriale !

M. Jean-Pierre Balligand. Vous ignorez le principe d'égalité lorsque vous ne prévoyez aucun transfert financier en faveur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales - la CNRACL -, alors qu'est annoncée l'arrivée de 130 000 agents supplémentaires, soit une augmentation de 8 % des effectifs des fonctions publiques territoriale et hospitalière réunies.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Regardez la pyramide des âges !

M. Jean-Pierre Balligand. Le droit d'option des agents de l'Etat à intégrer à tout moment la fonction publique territoriale pourrait peser lourdement sur le régime de retraite des agents territoriaux. Or, l'Etat ne doit-il pas demeurer le garant de la carrière de ses propres agents ? J'attends sur ce point une réponse précise du Gouvernement.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le volet « évaluation » de votre réforme ait été réduit à la portion congrue. Il avait pourtant fait l'objet, tout au long de l'année 2003, des engagements les plus fermes de la part du Gouvernement, notamment avant la discussion du projet de loi organique relatif à l'expérimentation par les collectivités territoriales.

Or, dans les faits, nous assistons à la suppression progressive des structures existantes : suppression du Comité national d'évaluation, suppression de la mission d'évaluation du Plan, suppression par les sénateurs, lors de la première lecture du projet de loi, de l'article créant le Conseil national des politiques publiques décentralisées, qui devait permettre de disposer d'un outil méthodologique et statistique de référence dans l'évaluation de l'action publique. Ce cafouillage rend hasardeux le recentrage de l'Etat sur ses missions de stratège et d'évaluateur, qui devaient être la contrepartie de son pouvoir délégataire. Il n'y a d'ailleurs pas eu, à ma connaissance, d'étude d'impact de ce projet, ce qui rend quasiment impossible tout diagnostic ultérieur précis. Y aura-t-il onze, treize, ou quinze milliards d'euros de compétences transférées ? Le Sénat lui-même s'est inquiété de votre incroyable légèreté.

Une décentralisation solidaire telle que nous la concevons supposait plutôt la mise en place d'une réelle péréquation entre collectivités, le maintien d'une garantie de l'Etat sur les droits fondamentaux du citoyen - la santé, le logement, l'éducation - et, bien entendu, une véritable compensation des charges transférées. Sans effort important dans ce domaine, le fossé entre les collectivités riches et les collectivités pauvres ne pourra que se creuser.

La décentralisation ne saurait être réduite à un transfert désordonné de charges insuffisamment compensées, susceptible d'accentuer les fractures territoriales et sociales.

Derrière ce véritable marché de dupes - décentralisation des déficits, substitution du contribuable local au contribuable national, péréquation absente, confusion persistante des responsabilités et laisser-faire généralisé - se glisse malheureusement un constat récurrent : une fois de plus, c'est le citoyen qui risque de se retrouver perdant.

Alors qu'il y avait lieu de refonder la démocratie locale et d'assurer la sécurité juridique de nos institutions, vous avez délibérément choisi le parti de l'insécurité financière sur le dos des collectivités et sur celui, encore plus douloureux, des contribuables locaux.

Nos collectivités doivent retrouver aujourd'hui une grande ambition. Elles ne peuvent plus se contenter d'être, comme certaines le sont encore, des échelons en devenir. Alors qu'elles polarisent toutes des attentes sociales fortes et multiformes, elles ne peuvent plus être pensées, ni se penser, comme de simples échelons administratifs de réflexion ou de programmation, mais comme les niveaux territoriaux de référence derrière l'Etat, dotés de compétences et de moyens stratégiques, et surtout devenir des espaces politiques et de citoyenneté majeurs et responsables.

Si nous avançons sur cette voie - il faut pour cela de la volonté politique et, pour les acteurs locaux, un vrai souci de l'intérêt général -, nous aurons certainement contribué à rendre la décentralisation plus claire et plus efficace. Si nous ne le faisons pas collectivement, si nous le faisons mal, ou confusément, nous aurons renforcé la distance critique entre le citoyen et ses gouvernants et laissé la porte grande ouverte à la frange la plus démagogique des prétendants politiques.

Pour au moins toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous encourage à adopter la question préalable que j'ai défendue au nom du groupe socialiste et à surseoir à l'examen d'un texte laborieux et incomplet sur un sujet qui, vous pouvez m'en croire, mérite bien mieux que cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et ou plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains).

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Il en est de la décentralisation comme des Évangiles : il existe plusieurs versions. (Sourires.)

On a entendu, au Congrès de Versailles, l'Évangile selon Ségolène Royal, franchement centralisateur. On a entendu tout à l'heure la décentralisation selon Jean-Marc Ayrault, qui faisait des procès d'intention sur les finances. On a entendu la décentralisation selon Bernard Derosier, qui invoquait le principe d'égalité. La conception de la décentralisation de M. Balligand est celle qui témoigne de la plus grande honnêteté intellectuelle.

M. Bernard Derosier. C'est une attaque ad hominem ! (Sourires.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Balligand tient un discours décentralisateur, mais nous dit qu'il ne faut pas délibérer. Je voudrais reprendre ses arguments.

Premièrement, la région serait la grande oubliée de la décentralisation. Je viens justement de relire ce que disait Lionel Jospin à Lille à la fin de l'année 2000.

M. Jean-Pierre Balligand. On dirait qu'il vous a traumatisé, Lionel Jospin !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Or, M. Jospin disait très exactement, en matière de transfert de compétences à donner à la région, ce qui figure dans le projet de loi présenté par le Gouvernement. Rien de plus, rien de moins.

M. Bernard Derosier. Mais M. Jospin était honnête, lui !

Mme la présidente. Monsieur Derosier !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous avez ensuite parlé à plusieurs reprises de l'intercommunalité, monsieur Balligand. Vous avez même dit que les établissements publics de coopération intercommunale étaient dans les limbes. J'ai moi-même écrit dans le rapport de la commission des lois, et vous l'avez souligné, qu'il faudrait un acte III à la décentralisation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pourquoi ? Précisément parce que M. Jospin, qui avait fait de grands discours sur la nécessité de parachever la décentralisation, notamment en direction des régions et des départements ...

M. Bernard Derosier. C'est M. Raffarin, le Premier ministre !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...n'a pas fait ce qu'il avait dit, et que, lorsque nous avons repris le pouvoir, le Gouvernement a dû parachever cette décentralisation.

Par ailleurs, vous dites que la montagne a accouché d'une souris. A plusieurs reprises, vous vous êtes exprimé comme coprésident de l'institut de la décentralisation, mais je puis vous assurer que l'autre coprésident, M. Adrien Zeller, que je connais très bien, n'est pas de votre avis.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Mais si, justement, il est très inquiet, M. Zeller !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Zeller a réclamé pendant des années un transfert massif de compétences. Entre onze et douze milliards d'euros, ce n'est pas un transfert massif ? 135 000 fonctionnaires transférés, ce n'est pas un transfert massif de personnel ? A l'issue de ce projet de loi, la région sera le premier acteur économique et le premier acteur pour l'emploi de France, et le département sera le premier acteur social de France, bien loin devant le Gouvernement. Je n'appelle pas cela accoucher d'une souris.

Selon vous, les citoyens seraient ignorés dans ce projet de loi. Vous n'avez pas bien compris, je pense, l'idée du premier ministre consistant à mettre des microprocesseurs dans la Constitution. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marc Ayrault. Vous dites ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Oui, mettre des microprocesseurs dans la Constitution, c'est-à-dire injecter de nouveaux concepts, qui vont lancer un processus.

M. Bernard Roman. Nous avons un premier ministre high-tech !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ce n'est pas sérieux !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. L'expérimentation, la péréquation, le citoyen, les transferts de compétences, tout cela est dans la Constitution et lance, vous le savez bien, un processus qui sera long, mais irréversible en matière de décentralisation.

Je termine par la partie financière du propos de M. Balligand, qui prétend que l'usager va payer la décentralisation plutôt que le contribuable. Mais l'exemple que vous avez choisi, celui des péages urbains est de ceux qui font « pschitt ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Car il est dit, depuis plusieurs mois, qu'il pourra éventuellement y avoir des péages urbains sur les routes nouvelles qui seront créées ...

M. André Chassaigne. C'est faux, ce n'est pas ça !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...dans des conditions extrêmement encadrées par le projet, et plus encore par les amendements que vous propose la commission des lois. Là encore, vous n'êtes pas très convaincant.

Sur la taxe professionnelle...

M. Pierre Ducout. Parlons-en !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...le Gouvernement, par la voix de Nicolas Sarkozy, a dit qu'il y aurait un nouvel impôt, avec un lien fiscal entre les collectivités territoriales et les entreprises. Cela a été public, le premier ministre l'a dit lui-même au Sénat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Allons, mes chers collègues !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je comprends que vous soyez gênés que l'on vous oppose des arguments sérieux ! De plus, la commission des lois a proposé, avec la commission des finances, un amendement tendant à ce que pour la période d'exonération des investissements, les dégrèvements annoncés par le Président de la République soient compensés à l'euro près.

M. Pierre Ducout. Nous le savons déjà !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Dans ce cas, ne dites pas le contraire !

M. Augustin Bonrepaux. Ce ne sont que des mots !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Calmez-vous, Monsieur Bonrepaux !

Quant à votre dernier argument, celui de l'Etat garant, permettez-moi de vous dire, monsieur Balligand, que la commission des lois propose le maintien des CCAS obligatoires, qu'elle a adopté un amendement pour que l'Etat soit garant du droit au logement...

M. Bernard Derosier. Le ministre ne veut pas !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Qu'en savez-vous ?

M. Marc-Philippe Daubresse. ...et qui donne un pouvoir coercitif au préfet en cas de non-respect des objectifs pour les personnes les plus défavorisées, que la commission des lois a adopté un amendement pour garantir les ressources de la CNRACL, et que la commission des lois et la commission des finances ont rétabli le dispositif d'évaluation.

Pour toutes ces raisons, monsieur Balligand, j'estime au contraire qu'il est urgent de délibérer, et qu'il convient de rejeter votre question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Balligand, j'ai apprécié votre intervention...

M. Bernard Derosier. Flatteur !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...car je sais d'expérience que vous êtes un vrai décentralisateur.

Mais il y avait un côté un peu pathétique dans votre exposé (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) par ailleurs brillant.

M. Bernard Derosier. Les amabilités ne durent jamais bien longtemps avec M. Devedjian !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce qui est pathétique, c'est la contradiction profonde - que, grâce à vous, j'ai enfin comprise - entre la décentralisation et le socialisme.

M. Pierre Albertini. Il l'assume !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous avons tous nos contradictions, dont nous devons nous accommoder, et il n'y a aucun mépris dans ce que je dis à votre égard, car j'ai beaucoup d'estime pour vous et pour votre agilité intellectuelle, que vous venez de démontrer. Mais vivant cette contradiction douloureusement, vous avez finalement trouvé une issue, consistant à condamner une décentralisation libérale.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est la réalité !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Et évidemment, vous avez essayé de démontrer ce qui, selon vous, serait libéral dans cette décentralisation.

Mais la décentralisation ne relève pas de l'idéologie.

M. Pierre Ducout. Un peu, tout de même !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...c'est une autre organisation de notre territoire qui fonde la liberté des collectivités locales. Certes, la liberté, c'est libéral !

M. Bernard Derosier. Et l'égalité ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais y venir. Mais je veux d'abord répondre aux reproches que vous avez faits, monsieur Balligand, et comme je vous sais un homme averti, je me demande si vous ne connaissiez pas les réponses aux objections que vous avez formulées.

Par exemple, vous avez regretté que les EPCI, qui représentent l'avenir selon vous, soient les grands oubliés du projet.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est la réalité !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez dit que c'était un dispositif qui fonctionnait bien, et que le Gouvernement avait fait peu de choses pour l'améliorer encore.

M. Jean-Marc Ayrault. C'est vrai !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Concernant leur élection au suffrage universel, vous avez expliqué que le gouvernement que vous souteniez n'avait pas pu le faire, que d'une certaine manière c'était un peu dommage, que vous aviez essayé, mais que la conjoncture politique ne vous l'avait pas permis. Enfin, vous avez admis qu'en matière politique, les responsabilités que l'on doit assumer lorsqu'on est au gouvernement entraînent des contraintes que l'on n'a pas dans l'opposition.

En fait, si vos amis ne l'ont pas décidé, c'est pour une bonne raison.


M. Jean-Marc Ayrault
. Vous souvenez-vous des conditions du vote de la loi Chevènement ? Il y avait eu un accord en CMP.

Mme la présidente. Monsieur Ayrault, laissez M. le ministre s'exprimer.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Ayrault, ce n'est pas mon propos. Vous ne l'avez pas fait et vous avez eu sans doute de bonnes raisons de ne pas le faire, je veux bien en convenir. En tout état de cause, il en est une meilleure encore qui a motivé la décision du Gouvernement : l'élection des EPCI au suffrage universel risquerait de les détruire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Bien sûr !

M. le ministre délégué aux libertés locales. En effet, 50 % environ des EPCI sont construits sur un pacte politique indépendant de la démographie des communes les composant. Or le suffrage universel impliquant le principe « un homme, une voix », ce pacte fondateur risque d'exploser.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. le ministre délégué aux libertés locales. L'exemple type est celui de la communauté d'agglomération de Lunel. La ville de Lunel, qui a fédéré autour d'elle un certain nombre de communes, représente 40 % de la population de la communauté et a accepté, comme le souhaitaient ses partenaires, de ne pas bénéficier de 40 % des droits de vote. Elle n'en a que 20 %. Et la communauté d'agglomération fonctionne bien. Or, si nous décidons de passer à l'élection au suffrage universel, la ville de Lunel récupèrera 40 % des droits de vote et le système explosera.

M. René Dosière. Non, tout dépend du mode de scrutin !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'écouterai avec intérêt vos arguments.

M. Jean-Marc Ayrault. Il faut simplement un mode de scrutin adapté !

Mme la présidente. Laissez le ministre s'exprimer !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous croyons à l'intercommunalité et nous pensons que c'est l'avenir. Actuellement, monsieur Balligand, l'intercommunalité couvre 82 % du territoire et avance à grands pas.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas comme les dotations !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Balligand, nous pensons cependant que la discussion sur l'élection des EPCI au suffrage universel aura toute sa signification quand ces établissements couvriront 100 % du territoire. Et nous n'en sommes pas loin car l'intercommunalité couvre déjà en totalité un nombre important de départements. Le débat que vous souhaitez pourra donc avoir lieu beaucoup plus utilement dans deux ou trois ans.

Vous regrettez encore que le référendum local n'ait pas été dévolu aux EPCI. C'est vrai. Et cette décision a été prise de façon réfléchie. Monsieur Balligand, l'affectio societatis de l'intercommunalité n'étant pas encore née, les petites communes qui ne veulent pas qu'on passe au suffrage universel veulent encore moins d'un référendum local qui pourrait les contraindre ou les contourner. L'intercommunalité est un phénomène récent et fragile. Laissons-le prendre tout son essor et toute sa force avant d'aller plus loin.

En l'occurrence, vous êtes trop impatient, monsieur Balligand. Vous êtes, si vous m'autorisez cette expression, un véritable cabri de l'intercommunalité ! (Rires.) Sans doute par excès d'enthousiasme.

Vous avez dit aussi que l'acte II de la décentralisation était vide. Ce propos est injuste venant de quelqu'un de bonne foi. L'acte II contient en effet des dispositions que l'acte I ne prévoyait pas. D'abord c'est une réforme constitutionnelle. Gaston Defferre, Pierre Mauroy et François Mitterrand n'avaient pas fait de la décentralisation une réforme constitutionnelle.

M. Jean-Marc Ayrault. Et alors ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ensuite, c'est une réforme qui s'est voulu concertée. Certains se sont moqués des Assises des libertés locales. C'est de bonne guerre. Il n'empêche qu'elles ont donné lieu,...

M. Jean-Marc Ayrault. A de grandes messes !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...alors que 55 000 personnes y ont participé, à plus de 600 propositions qui ont été reprises dans le projet de loi de décentralisation. La réforme de Gaston Defferre fut, quant à elle, octroyée et n'a donné lieu à aucune concertation. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marc Ayrault. C'est scandaleux de dire cela !

M. Gilbert Meyer. Le ministre a raison !

M. le ministre délégué aux libertés locales. L'acte II de la décentralisation a inscrit dans la Constitution le principe de péréquation ce que vous n'aviez pas fait. Vous vous dites pourtant soucieux d'égalité et vous affirmez que l'Etat a vocation à garantir cette péréquation. Nous, nous en sommes tellement convaincus que nous l'avons inscrit dans la Constitution.

M. Pierre Ducout. Vous, vous faites surtout reculer la péréquation !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Et nous donnons à l'Etat cette obligation d'assurer la péréquation. L'acte II inscrit encore la région dans la Constitution, institue l'expérimentation, pose le principe de subsidiarité et offre des garanties financières. Vous avez d'ailleurs reconnu que ces dernières étaient bien réelles puisque vous avez fait observer que le Conseil constitutionnel nous imposait certaines obligations. Il en est ainsi parce que nous avons réformé la Constitution en ce sens. Cette contrainte est une vraie garantie pour les citoyens.

S'agissant de l'acte III, nous n'avons pas la prétention que vous pouvez avoir parfois et qui est fort désagréable. Vous étiez le parti de la générosité et du cœur.

M. Bernard Roman. Oui !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Maintenant, vous êtes celui de l'intelligence. Et nous ? Nous sommes des pauvres types ? Plus rien ne serait donc possible après les premières lois de décentralisation ?

M. Jean-Pierre Balligand. Je n'ai pas dit cela !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez dit en tout cas qu'il était ridicule d'imaginer un acte III de la décentralisation.

M. Jean-Marc Ayrault. M. Balligand n'a jamais dit ça !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il faut voir dans notre attitude une forme de modestie. Nous savons bien que la décentralisation est un processus permanent. C'est pour cela que nous l'avons inscrit dans la Constitution. Nous espérons bien que les outils donnés par la réforme constitutionnelle seront employés par d'autres, peut-être même par vous, demain. L'expérimentation que vous critiquez aujourd'hui, vous l'aviez vous-même prévue dans la loi sur la démocratie de proximité.

M. Bernard Roman. Pas de la même façon !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le dispositif était en effet entouré de moins de garanties. Avec nous, la loi organique encadre l'expérimentation. En tout cas, nous espérons que le mécanisme de l'expérimentation sera pérenne et pourra être utilisé par tout le monde en cas d'alternance.

Comme la décentralisation est un processus continu, nous ne craignons pas de dire qu'il y aura un acte III. De la même façon, lorsque l'esprit communautaire, encore trop récent, se sera développé au sein des intercommunalités, dans une dizaine d'années environ, nous franchirons une nouvelle étape pour les EPCI.

M. René Dosière. Nous en sommes à quarante ans pour les communautés urbaines !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Les communautés urbaines ne sont qu'une des variétés de l'intercommunalité. En tout état de cause, nous sommes d'accord pour avancer dans ce domaine. Et il est inexact de dire que nous n'avons fait aucun effort pour les intercommunalités. Nous leur donnons l'aide à la pierre, qui va doper leurs compétences - cela représente un milliard d'euros environ. Nous leur confions en outre l'appel à compétence qui constitue aussi un microprocesseur comme le disait M. Daubresse. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.) C'est un mécanisme porteur d'avenir. Mais là, les départementalistes vont se chamailler. Ainsi, M. Derosier ne peut pas être d'accord avec M. Balligand.

M. Bernard Derosier. Laissez-nous régler nos éventuels problèmes !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Sur la taxe professionnelle, la réforme était indispensable.

M. Jean-Marc Ayrault. Quelle réforme ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Premier ministre en a énoncé les paramètres : il s'agira d'un impôt sur les entreprises, quoi qu'en dise le MEDEF. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le MEDEF, comme tous les partenaires sociaux, a le droit d'avoir son opinion et le Gouvernement peut en avoir une autre. C'est permis ! (Exclamations sur les mêmes bancs.) Il s'agira donc d'un impôt sur les entreprises modulable et localisable. Mais je note que ma réponse vous gêne. C'est tellement facile d'accuser les gens, de leur faire des procès d'intention et de ne pas écouter leur réponse !

M. Bernard Accoyer. Eh oui !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce n'est toutefois pas une manière convenable de vivre la démocratie.

Cette réforme de la taxe professionnelle était en outre rendue inévitable par celle que vous aviez faite. Vous parlez de « cadeau au patronat ». Mais, c'est vous qui lui en avez fait un de 10 milliards sans aucune contrepartie, ni même aucune création d'emplois.

M. Pierre Ducout. Bien sûr que si !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mesdames et messieurs les députés du groupe socialiste, votre réforme avait en outre transféré une part du poids de la taxe professionnelle des services sur l'industrie. Et c'est finalement ce secteur, qui emploie la classe ouvrière, qui s'est trouvé le plus fiscalisé. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Voilà quel a été le résultat de votre réforme. Mais vous ne vous en êtes même pas aperçus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Ayrault. C'est grotesque !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je comprends que certaines choses puissent déranger.

La réforme de la taxe professionnelle que nous engageons est donc devenue indispensable. C'est un élément de modernisation de la vie locale. Vous avez d'ailleurs suffisamment critiqué cet impôt pour ne pas vous réjouir de sa réforme.

En matière financière, vos arguments ne sont pas davantage recevables, monsieur Balligand. Mais comme nous allons passer quinze jours ensemble...

M. Bernard Roman. Au moins !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...et je m'en félicite car le dialogue promet d'être fructueux, je répondrai à vos autres interpellations dans le cours du débat. En tout cas, vous l'aurez compris, le Gouvernement considère que votre question préalable n'est pas pertinente. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.


M. Michel Piron
. Vous m'excuserez, mes chers collègues, si je répète certains arguments,, mais j'ai l'impression que certaines choses doivent être dites et répétées.

Monsieur Balligand, vous avez commencé par dénoncer une préparation insuffisante de la loi. Je dois vous avouer que j'ai été un peu surpris par ce préambule, faisant moi-même volontiers référence aux Assises des libertés locales et aux 55 000 personnes qui y ont participé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier. Surtout des gendarmes et des fonctionnaires !

M. Michel Piron. Des gens qui ont inventé la démocratie participative ne peuvent que se réjouir du succès de telles assises !

Par ailleurs, après l'examen de ce texte au Sénat et l'adoption de plus de 470 amendements, je pense que parler de préparation insuffisante est excessif.

J'ai bien noté également que vous exprimiez des regrets concernant deux structures qui auraient été un peu oubliées : les EPCI et la région.

M. Bernard Derosier. Pas un peu, totalement oubliées !

M. Michel Piron. S'agissant des EPCI, j'avoue mon étonnement, car le titre IX du texte porte sur ces établissements et sur l'intercommunalité de manière plus générale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, sur tous les bancs, je vous demande d'écouter l'orateur, ce sera plus agréable pour tout le monde.

M. Bernard Accoyer. Ce sont les socialistes qui sont bruyants !

Mme la présidente. Non, pas seulement !

M. Michel Piron. Merci, madame la présidente. Dans ce titre IX, j'ai relevé 55 articles consacrés à l'intercommunalité. Dire que l'intercommunalité a été oubliée, alors qu'elle sera très largement facilitée, que les fusions seront considérablement améliorées, me paraît pour le moins excessif.

Quant à la région, soi-disant oubliée, tout ce qui a été rappelé sur son rôle de chef de file en matière économique et sur ses futures compétences pour la formation professionnelle suffirait sans doute à répondre à la critique que vous avez formulée.

Quoi qu'il en soit, j'ai bien entendu que vous regrettiez une insuffisance de clarification institutionnelle, considérant qu'au fond on avait laissé se former un empilement qu'il eût été convenable de réduire. Se pose alors la question très ancienne du niveau optimal de cet empilement et de l'utopie de la compétence exclusive.

Oui, il restera des compétences croisées. Il est vrai que la question de la compétence exclusive n'a jamais encore trouvé de réponse pratique. C'est tellement vrai que pendant cinq ans, vous n'y avez pas répondu non plus. Si nous ne croyons pas à la compétence exclusive, sauf comme à une utopie, nous croyons que les transferts qui ont été opérés constituent une réelle clarification, notamment à travers la notion de chef de file. C'est une avancée extrêmement importante.

Monsieur Balligand, vous craignez que la décentralisation ne favorise pas la citoyenneté et vous regrettez la baisse de participation régulière et constante aux élections dans notre pays.

M. Jean-Pierre Balligand. Cela ne vous inquiète pas ?

M. Michel Piron. Nous ne pouvons pas contester cette baisse de participation et nous la déplorons, comme vous. Ce que je comprends moins, c'est que vous ne souteniez pas la décentralisation, qui justement, en rapprochant les décideurs des citoyens, en permettant de mieux identifier les responsables, devrait favoriser le vote, en tout cas enrayer cette baisse de participation.

Quant au démantèlement de l'Etat, terme que vous avez d'ailleurs utilisé de manière incidente, c'est une accusation tellement excessive que je n'insiste pas. Franchement, où est le démantèlement de l'Etat ? Tout le monde a compris qu'il s'agit ici de désencombrer l'Etat d'un certain nombre de tâches qui n'ont plus lieu d'être les siennes pour lui permettre de se concentrer sur ses missions essentielles, notamment la péréquation.

M. Augustin Bonrepaux. Où est la péréquation ?

M. Michel Piron. Nous avons fait beaucoup mieux que vous : nous avons inscrit la péréquation dans la Constitution, à l'article 72-2. Nous faire un procès sur la péréquation alors que nous avons introduit une garantie que vous-mêmes n'avez jamais apportée, c'est un peu fort ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. C'est du vent !

Mme la présidente. S'il vous plaît !

M. Michel Piron. Il suffit de relire l'article 72-2 !

Le Conseil constitutionnel n'a pas contesté la rédaction du Gouvernement, il a au contraire confirmé le bien-fondé de cette modification constitutionnelle qui garantit leurs ressources aux collectivités territoriales.

Si l'on considère que la somme de 11 milliards d'euros est négligeable, on peut dire que les financements ne sont pas assurés.

M. Bernard Roman. Cela dépend ! Pour quelles dépenses ?

M. Michel Piron. Pour notre part, nous considérons que cette somme de 11 milliards d'euros, qui n'a pas été décidée au hasard, n'est pas négligeable.

Mme la présidente. Pouvez-vous vous acheminer vers votre conclusion, mon cher collègue ?

M. Michel Piron. J'y arrive, madame la présidente. Avant de conclure, je voudrais évoquer la taxe professionnelle. Quel bel exemple ! Si j'ai bien compris, ce qui était une excellente mesure sous la signature de M. Strauss-Kahn deviendrait une mauvaise mesure quand elle est proposée par le Président de la République. C'est assez étonnant !

M. Bernard Roman. Cela n'a rien à voir !

M. Pierre Ducout. Vous n'avez pas compris !

M. Didier Migaud. C'est un peu court !

M. Michel Piron. En conclusion, j'ai eu le sentiment en vous entendant, monsieur Balligand, qu'au fond, ce que vous reprochez à cette réforme, ce n'est pas d'être mauvaise mais d'être un peu insuffisante.

Pour notre part, considérant que le mieux est souvent l'ennemi du bien, après avoir entendu M. Balligand et ses réflexions très courtoises, je dois le dire, et très nourries, nous restons convaincus qu'il y a lieu de débattre de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Mes chers collègues, si nous hésitions avant de formuler notre vote sur cette question préalable, après avoir écouté le rapporteur, M. Daubresse et M. le ministre, je crois que nous n'avons plus d'hésitation. Comment qualifier ces interventions ?

Monsieur le ministre, en vous écoutant, j'ai pensé à un spectacle de la commedia dell'arte. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En fait, votre intervention n'a été qu'une pantalonnade.

M. Didier Migaud. C'est exact !

M. André Chassaigne. Quand on vous entend dire que vous êtes le défenseur de la classe ouvrière, que vous allez obliger le MEDEF à voter un autre impôt qui se substituera à la taxe professionnelle, cela nous fait à peine rire, parce que là, le comique rejoint le tragique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Quel effet théâtral !

M. André Chassaigne. Mais ce spectacle, un peu triste pour la République, fait aussi penser à Molière, monsieur le ministre, et à sa célèbre répartie : « Cachez ce sein que je ne saurais voir » ! (Rires.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est Polichinelle !

M. André Chassaigne. Cette tartufferie masque pour l'essentiel ce qui a été démontré dans cette question préalable et qu'il faut bien appeler l'opacité de ce texte. J'en prendrai trois exemples.

M. Michel Bouvard. È finita la commedia !

M. André Chassaigne. Le premier exemple a été illustré cet après-midi par une réponse de M. le ministre de Robien, qui, pas plus que vous-même, ne connaît le texte qui nous est soumis. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Sur la question de l'octroi, car il faut bien parler d'octroi, sur le problème des péages, vous nous faites une démonstration qui ne correspond pas au contenu du texte, lequel prévoit un éventuel péage dans le cas de nouvelles routes mais aussi pour l'entretien des routes existantes. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non, M. le ministre a dit tout le contraire ! C'est de la malhonnêteté intellectuelle !

M. André Chassaigne. Si vous n'êtes pas capable de lire ce texte, retournez donc sur les bancs de l'école ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Un deuxième exemple de l'opacité de ce texte est le transfert des personnels ATOS des collèges et lycées. Vous refusez de donner des garanties quant au maintien de leur statut public.

Monsieur le président de la commission des lois, quand un amendement a été défendu en commission pour que la restauration scolaire dans les collèges et lycées soit toujours assurée par le service public, vous avez répondu, au nom de la libre administration, de l'autonomie des collectivités territoriales, qu'elle pourra être privatisée. Ce que vous préparez en fait, c'est la « marchandisation » de nos collèges et de nos lycées.

M. Yves Bur. Les archéo-communistes sont de retour !

M. André Chassaigne. Là aussi, vous maintenez une opacité. Vous êtes incapable d'apporter une réponse aux interrogations qui sont posées.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Dans les communes de gauche, la cantine scolaire n'est jamais confiée à une DSP ?

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Chassaigne ! 

M. André Chassaigne. Quelqu'un veut me répondre. Peut-on lui donner le micro, madame la présidente ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Non. Vous avez seul la parole, monsieur Chassaigne !

M. Yves Bur. Il fait durer le plaisir !

M. Jean Ueberschlag. Il se prend pour Maxime Gremetz !

M. Bernard Accoyer. On le regrette !

M. Michel Bouvard. Avanti la commedia !

M. André Chassaigne. Le troisième point démontrant l'opacité du texte, cette autre tartufferie (« Encore ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) concerne le vide complet de ce texte sur l'autonomie financière. En fait, le projet de loi organique est complètement vide, vous le savez bien si vous l'avez lu. Il ne pose pas les questions de fond, se refusant par exemple à développer les mécanismes à mettre en œuvre pour garantir une réelle péréquation financière.

Pour terminer cette courte intervention (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), je reprendrai en les inversant les propos de M. Daubresse et dirai qu'il est urgent de ne pas délibérer  parce que ce texte est d'une totale opacité. Il est à la limite scandaleux qu'il nous ait été présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je vous informe que, sur le vote de la question préalable, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Bernard Derosier, pour le groupe socialiste.

M. Bernard Derosier. M. Daubresse nous a indiqué qu'il avait apprécié l'honnêteté intellectuelle de M. Balligand, insinuant que d'autres avant lui n'avaient pas eu la même rigueur. Je me suis alors remémoré les interventions, cet après-midi, du Premier ministre, du ministre de l'intérieur et du président de la commission des lois.

Mes chers collègues, je pense que les constitutionnalistes avertis comme M. Albertini, qui me pardonnera de le citer, vont se pencher dès demain sur les microprocesseurs qui sont introduits dans notre constitution. C'est un élément nouveau que manifestement les rédacteurs de la Constitution de 1958 et ceux des différentes révisions n'avaient pas imaginé. Mais grâce à M. Daubresse, nous avons fait un grand pas en avant.

Il y aurait dans cet hémicycle, révélés par ce débat, les partisans de la décentralisation, qui, selon ceux qui s'expriment dans ce sens, seraient à droite...

M. Bernard Accoyer. Oui !

M. Bernard Derosier. ...et les adversaires de la décentralisation, qui seraient à gauche.

M. Bernard Accoyer. Oui !

M. Bernard Derosier. Quelle vision restrictive de l'histoire !

M. Bernard Accoyer. Non, réaliste !

M. Bernard Derosier. J'ai eu l'occasion cet après-midi de dire les réserves que m'inspiraient les convertis de la dernière heure. Un peu de pudeur dans ce domaine, et rappelez-vous qu'en 1982, vous vous êtes opposés massivement à la décentralisation proposée par le gouvernement de Pierre Mauroy, parce que vous étiez jacobins jusqu'au bout des ongles.

M. Michel Bouvard. Nous n'étions pas là ! Nous ne sommes pas des dinosaures !

M. Bernard Derosier. Vous n'imaginiez pas, après vingt-trois ans de pouvoir non partagé de la droite dans ce pays, qu'on puisse y organiser différemment les pouvoirs publics de ce pays.

M. Jean Ueberschlag. N'importe quoi !

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre Devedjian, la décentralisation de 1982 n'a pas été octroyée. C'est le roi, ou peut-être la droite, qui octroie. Nous l'avions dit en 1981, avant les élections présidentielle et législatives, nous avions dénoncé des années durant la tutelle de l'Etat sur les collectivités territoriales et le pouvoir exorbitant du préfet qui, au nom de l'Etat, pouvait rayer d'un trait de plume les décisions des assemblées élues.

Nous avons appris aussi cet après-midi la raison de cette opposition : les nationalisations. M. Méhaignerie nous a fait cette confidence. Quel dommage de ne pas nous avoir apporté dès 1982 votre concours pour un tel motif !

Ce ne serait pas grave si par la suite, vous n'aviez pas persisté dans l'erreur. Or, faut-il vous rappeler votre opposition récente, en 2002, au projet de loi relatif à la démocratie de proximité ? Faut-il vous rappeler votre opposition aux textes relatifs à l'intercommunalité ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est faux !

M. Bernard Derosier. Malgré cette opposition, vous vous êtes précipités dans les territoires où vous êtes élus pour mettre en place l'intercommunalité à votre mode. Vous vous êtes bien coulés dans le moule que nous avions préparé.

En vérité, vous ne faites pas confiance aux citoyens et vous trouvez toujours de bonnes raisons pour vous protéger. Vous voulez conserver une clientèle électorale !

Monsieur le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez compris - enfin ! - le lien qu'il y avait entre décentralisation et socialisme ; ou peut-être parliez-vous de la différence. Quoi qu'il en soit, je voudrais vous expliquer en quelques mots ce que manifestement vous n'avez pas compris : le socialisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Mignon. N'importe quoi !

M. Bernard Derosier. Et je comprends que vous ne l'ayez pas compris, comme je comprends que M. Clément lève les bras au ciel, parce que, mes chers collègues de droite et réactionnaires, le socialisme, c'est d'abord la place de l'homme dans la société. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et cette place, mes chers collègues, il ne l'occupe que s'il est libre. Or, à cause de la politique que vous menez, en particulier de ses aspects antisociaux, l'homme n'est pas libre dans ce pays. Sans travail, on n'est pas libre ; sans logement, on n'est pas libre. On n'est pas libre quand on ne peut pas être soigné correctement ; ou quand on voit ses enfants confrontés à des difficultés insurmontables.

M. Bernard Accoyer. Arrêtez ! Vous voulez nous faire pleurer ?

M. Bernard Derosier. Voilà ce qui justifie le socialisme, monsieur Devedjian. Et c'est parce que nous sommes socialistes que nous sommes décentralisateurs.

M. Jean-Claude Mignon. Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Derosier. Nous sommes décentralisateurs, parce que nous voulons que les citoyens prennent leur part de la décision ; qu'ils soient le plus près possible de ceux qu'ils désignent pour parler en leur nom. Nous ne voulons pas de votre prétendue décentralisation. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Monsieur Derosier, je vous prie de vous acheminer vers votre conclusion, s'il vous plaît.

M. Bernard Derosier. J'y arrive, madame la présidente.

Nous ne voulons pas de votre décentralisation, parce que, faite de transferts de compétences sans transfert des moyens correspondants, elle entraînerait le démantèlement des services publics. La décentralisation que nous voulons, au contraire, est celle qui place le citoyen, l'homme, au cœur de la politique.

C'est pourquoi, comme l'a démontré Jean-Pierre Balligand, il n'y pas lieu de délibérer. Et quant à ceux parmi vous, chers collègues de la majorité, qui le reconnaissent « par derrière », si j'ose dire, qu'ils profitent de ce scrutin public pour voter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix la question préalable.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

Mme la présidente. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

          Nombre de votants 143

          Nombre de suffrages exprimés 143

          Majorité absolue 72

      Pour l'adoption 52

      Contre 91

L'Assemblée nationale n'a pas adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Albertini, premier orateur inscrit.

M. Pierre Albertini. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1969, lorsque le général de Gaulle a proposé par référendum un texte organisant la régionalisation, rejeté pour des motifs qui n'avaient rien à voir avec son contenu, il avait raison trop tôt. Pour avoir voté « oui » à ce référendum, j'ai été très frappé de la tétanisation qui, à la suite de cet échec, a paralysé pendant une bonne dizaine d'années les gouvernements et les majorités successifs. Ils ont en effet longtemps tergiversé. Je me rappelle en particulier les conditions dans lesquelles a été examiné, entre 1978 et 1980, le projet de loi sur le développement des responsabilités locales, qui n'en finissait pas d'être débattu au Sénat : comme si on parlait du texte à seule fin de reculer indéfiniment son adoption.

Il a fallu un coup d'audace assez extraordinaire pour que cesse cet état de fait. Certes le candidat François Mitterrand s'était engagé sur la décentralisation, mais la rapidité avec laquelle la loi du 2 mars 1982 a été votée a surpris plus d'un observateur. Sans doute fallait-il ce geste pour briser la tentation pluriséculaire de l'Etat français, selon les termes du général de Gaulle, à se replier sur lui-même, au détriment de l'intérêt général et du rayonnement de la France.

Vingt ans après les différentes lois de décentralisation qui sont intervenues de mars 1982 à 1986, le bilan est globalement satisfaisant.

D'abord, les collectivités locales ont entrepris un effort d'investissement très soutenu dont le symbole sans doute le plus visible a été la remise à niveau du parc des collèges et des lycées. Je ne connais pas un principal de collège ou un proviseur de lycée qui veuille revenir au statu quo ante. Dans ce domaine, l'effort d'investissement des régions et des départements a été très spectaculaire alors que l'Etat traitait assez mal ses agents et encore plus mal son patrimoine.

Ensuite, la fiscalité a, évidemment, augmenté, mais, depuis dix ans, elle s'est plutôt stabilisée et le désendettement des collectivités locales a été remarquablement régulier et continu. On peut dire que la gestion des collectivités locales a été infiniment plus vertueuse que celle de l'Etat, dont l'endettement a crû, dans le même temps, considérablement et qui, en atteignant aujourd'hui 60 % du produit intérieur brut, tire des traites sur les générations futures et contraint d'avance les prochains budgets.

Le temps est venu de franchir une nouvelle étape - un acte II ou un acte III ? -, les collectivités locales ayant largement fait la preuve qu'elles étaient aptes à conduire des politiques publiques de grande qualité. On a oublié dans quel état se trouvait notre pays avant que la décentralisation ne donne un vrai champ de compétences aux communes, aux départements et aux régions. Les exemples sont nombreux de leur forte implication dans un processus qui, à travers la mise en valeur des centres-villes, la restauration du patrimoine, l'effort en matière de spectacle vivant - théâtre, musique et danse -, a contribué à assurer le rayonnement et l'attrait touristique des villes.

En matière de constructions universitaires, la qualité architecturale est plutôt meilleure depuis une vingtaine d'années qu'elle ne l'était autrefois du fait de l'uniformisation que l'Etat, pour des raisons d'économies, avait tendance à reproduire de Dunkerque à Bonifacio.

Par ailleurs, les élus locaux ont pris conscience que le temps de la démagogie était révolu. C'est un effet très positif de la décentralisation, qui a pris son temps pour aboutir, mais qui mérite, à lui seul, d'être salué.

Une autre raison de franchir une étape supplémentaire de la décentralisation est, non pas la subsidiarité que l'on n'a jamais été capable de définir juridiquement, mais plutôt le principe de proximité. En mettant en place des solutions concrètes directement applicables au quotidien des Français, les collectivités ont apporté la meilleure réponse possible au désenchantement profond qu'ils ressentent vis-à-vis de la politique et que plusieurs orateurs ont évoqué. Jean-Pierre Balligand l'a même illustré en déroulant la chronique des abstentions, en croissance quel que soit le niveau de l'élection. Depuis le milieu des années quatre-vingts, aucune élection n'échappe à cette évolution à laquelle est venu s'ajouter le vote protestataire.

La conjugaison de l'aptitude à conduire des politiques publiques, de la prise de conscience des élus locaux que la démagogie n'avait plus cours et des réponses concrètes de proximité, a fondé un espoir important en faveur d'une nouvelle étape de la décentralisation. Mais, avant de m'interroger sur le contenu du texte, permettez-moi de poser plus généralement quelques conditions à sa réussite.

Notre pays a la particularité de toujours concevoir les réformes administratives à structures territoriales constantes. La France est, d'ailleurs, le seul pays d'Europe à n'avoir pas réalisé de réforme communale profonde et à compter autant de communes, même si son territoire est plus étendu que celui de ses voisins. A structures territoriales constantes donc, la réforme du paysage administratif est un peu plus délicate et suppose, à mon avis, la réunion de trois conditions.

La première est une forme de clarification. Je ne dis pas simplification, car, depuis Alfred Sauvy, on sait que c'est une opération qui consiste à ajouter de la complexité à de la complexité. La société moderne est fortement imbriquée et il ne faut pas avoir la naïveté d'imaginer que la simplification pourrait, d'un coup de baguette magique, s'étendre sur l'ensemble du pays. La clarification, c'est tout autre chose ; il s'agit de la perception par le citoyen de la distribution des responsabilités : quelle est la collectivité qui assume, en tout ou en partie, le financement ? Quelle est celle qui conduit les études ? En tout cas, il doit savoir à qui incombe la responsabilité de l'échec ou du succès de la politique entreprise.

En la matière, nous avons quelques progrès à accomplir.

Après les lois Defferre de 1982 à 1985, qui prétendaient décentraliser par blocs, on s'est rendu compte, au fil du temps, que l'empilement législatif avait réintroduit beaucoup de confusion et de désordre dans le dispositif. Qui plus est, bien des attributions sont exercées aujourd'hui par les collectivités locales en marge des textes. Quel que soit l'effort que vous ferez pour traiter, par exemple, du logement ou du développement économique, rien n'empêchera une collectivité, en particulier une commune qui est l'institution de proximité, d'intervenir dans ces secteurs. En tant que maire de Rouen, par exemple, je n'ai absolument pas l'intention de laisser la totalité du développement économique à une quelconque collectivité, qu'elle soit régionale ou départementale. Dans ma ville, je me sens le premier responsable du développement et de la capacité d'attirer des entreprises nouvelles.

La deuxième condition a largement été développée, c'est pourquoi je serai bref à son sujet : il s'agit de l'autonomie de gestion, c'est-à-dire de la capacité de prendre des décisions qui ne soient pas contraintes par un cadre financier ou budgétaire excessif et qui permettent de vérifier la pertinence, de peser les avantages et les inconvénients de telle ou telle politique.

Personnellement, je crois davantage à l'autonomie financière qu'à l'autonomie fiscale. Croyez-vous que les Länder allemands sont moins autonomes que les régions parce qu'ils reçoivent chaque année, sous forme de redistribution, une part importante d'impôts nationaux ? Au contraire, ils gèrent leurs budgets avec des marges de manœuvre plus grandes que nos régions. D'ailleurs, des trois collectivités, la région est celle dont l'autonomie fiscale est la plus faible : en moyenne, elle est inférieure à 50 % quand celle des communes et des départements dépasse assez largement ce taux.

La troisième condition est la réforme concomitante de l'Etat. En effet, peut-on décentraliser si, dans le même temps, l'Etat n'adapte pas ses méthodes, ses structures à une réalité nouvelle ?

Sur ce point, force est de constater que la réforme de l'Etat est incantatoire : plus on en parle, moins on la fait. Sous la IVe République déjà, la réforme servait périodiquement de défouloir et ce sont des événements extérieurs très forts, en l'occurrence la secousse du 13 mai 1958, qui y ont conduit. La réforme concomitante de l'Etat est, dans ce texte, très perfectible. Il n'y consacre que quelques dispositions homéopathiques s'agissant des pouvoirs des préfets de régions. Nous aurions intérêt à aller plus loin.

Le texte qui nous est présenté satisfait-il aux trois conditions que je viens d'énoncer ?

Il comporte, je le dis d'emblée, de nombreux aspects positifs : la tentative d'attribuer à la région - pas totalement mais assez largement tout de même - le leadership en matière de développement économique ; la gestion de la formation professionnelle, même si le rythme jusqu'en 2008 aurait pu être accéléré ; la gestion du logement et des grands équipements - routes, ports, aéroports. Sur ces sujets, incontestablement, les avancées sont positives.Toutefois, dans la discussion générale, la loi du genre est plutôt d'insister sur les lacunes. C'est pourquoi je m'y attarderai.

Le texte, assez long, m'apparaît comme un fourre-tout dont se dégage mal une vision claire des priorités. On a plutôt l'impression que, sur plusieurs aspects, il essaime, répartit, disperse sans prendre un parti très franc. Et les corrections sénatoriales ont plutôt contribué à le compliquer en introduisant la duplication d'organismes ou de dispositifs. Par exemple, est-il raisonnable d'avoir un comité départemental de l'habitat et un comité régional de l'habitat ?

M. Pascal Clément, président de la commission. La commission a supprimé le comité départemental !

M. Pierre Albertini. J'en suis le premier ravi.

Est-il nécessaire de préciser, dans le dispositif qui nous est proposé, que les communes gèrent certaines responsabilités à égalité de droits avec les départements et les régions, alors que des lois antérieures énoncent qu'aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre ?

Faut-il entrer à ce point dans le détail que l'on doive prévoir qu'une commune peut organiser une cérémonie d'accueil des Français récemment naturalisés ?

Ce texte est truffé de dispositions à caractère réglementaire, mais ce n'est pas la première fois que nous constatons ce travers. Il est long et gagnerait à être allégé et ordonné autour de principes plutôt que de procédures.


Je crains, malheureusement, que la qualité rédactionnelle de nos textes de loi ne soit à la baisse. Le constitutionnaliste que je suis note d'ailleurs un affaiblissement spectaculaire du rayonnement du droit français en Europe. Le fait que les techniques juridiques anglosaxonnes s'imposent désormais dans les approches européennes en fournit la preuve. Je le souligne avec beaucoup de fermeté, à la veille du bicentenaire du code civil : le rayonnement du droit français mériterait d'être revalorisé et soutenu.

M. Philippe Folliot. C'est juste !

M. Pierre Albertini. Quel est le bénéficiaire final de ces dispositions au demeurant sympathiques dans lesquelles chacun - ou peut s'en faut - peut faire son marché ? Nous pouvons tous, en effet, trouver des dispositions qui nous avantagent sur tel ou tel point en fonction de notre expérience, de nos affinités ou de notre sensibilité. Néanmoins le gagnant semble plutôt être le département. Même si la croissance des budgets régionaux va, d'après ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, être supérieure en pourcentage, il n'empêche qu'en termes de compétences ce sont les conseils généraux qui vont être plutôt confortés surtout si l'on considère la somme des budgets départementaux.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Oui !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais sans marges de manœuvre !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Si !

M. Pierre Albertini. Après avoir dénoncé le caractère touffu du texte, j'exprimerai deux craintes.

La première est celle - ce n'est qu'une crainte, je le rappelle, et non une certitude - d'un désengagement de l'Etat, notamment en matière de logement.

Je suis obligé de constater que nous connaissons une crise très profonde : on ne construit pas plus de logements aujourd'hui qu'en 1954, lorsque l'abbé Pierre a lancé son fameux appel, et il subsiste un vrai problème d'accès des jeunes, notamment des jeunes couples, aux logements sociaux. Nous n'en construisons pas suffisamment.

M. le ministre délégué aux libertés locales. A Rouen aussi ?

M. Pierre Albertini. A Rouen aussi, bien que nous ayons un parc de logements sociaux relativement important.

Il faut incontestablement de nouveaux logements sociaux pour répondre à la panoplie des budgets des demandeurs potentiels...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il en sera réalisé 85 000 cette année !

M. Pierre Albertini. ... et tenir compte du fait que l'autonomie ne peut se construire dans la vie que progressivement. Ce n'est pas à vingt-cinq ans qu'on accède généralement à la propriété. Cela demande souvent un peu de temps.

Les intercommunalités sont-elles prêtes à gérer la question difficile et douloureuse du logement des personnes défavorisées ? Personnellement - je le dis tout net - je suis favorable au maintien d'un contingent préfectoral, même si la délégation de l'exercice de cette compétence peut être étudiée. Je crois d'ailleurs que c'est dans ce sens que notre rapporteur a travaillé.

En tout état de cause les intercommunalités disposent-elles des outils permettant de répartir, de la manière la plus judicieuse et la plus harmonieuse possible, en faisant abstraction des considérations politiques ou partisanes, non seulement les personnes en difficulté et vulnérables, mais aussi, car le problème se pose, les réfugiés politiques qui sont de plus en plus nombreux à séjourner sur notre sol et auxquels l'asile politique ou territorial est très peu accordé ?

Il faut, pour que cette compétence puisse être exercée de manière judicieuse au niveau intercommunal, un minimum d'apprentissage. Or, dans certaines intercommunalités, il n'y a pas encore de PLH, les conférences intercommunales du logement se mettent à peine en route et les bailleurs sociaux se font une guerre de tranchée en refusant de prendre chacun leur part de la solidarité. Car c'est bien de solidarité qu'il s'agit et celle-ci est difficile à exercer. Nous aurions donc intérêt à être prudents et à ne pas aller trop vite.

Ma seconde crainte résulte de l'incertitude quant aux moyens financiers.

On n'aura jamais eu autant de garanties sur la compensation. La constitutionnalisation intervenue en mars 2003 a représenté un progrès. Le Conseil constitutionnel garantira, par sa jurisprudence, le respect de ces principes et la loi organique fondera juridiquement le dispositif de compensation et de péréquation.

Je crois que, au moment où elle sera réalisée, c'est-à-dire à partir de 2005, la compensation sera faite honnêtement et complètement. Cependant, je vous fais observer, mes chers collègues, que, si bien inspirée soit-elle, elle ne permettra pas de tenir compte des évolutions futures des compétences transférées aux collectivités locales.

M. Jean Lassalle. Et voilà !

M. Pierre Albertini. Je vais prendre quelques exemples.

On compte plus d'1,1 million de RMistes aujourd'hui. C'est un record historique. On peut espérer que, avec la reprise d'une certaine activité économique et de la croissance, ce nombre diminuera. Toutefois, je suis persuadé que, en matière de logement, de santé et de dépendance, la démographie et le vieillissement conduiront à l'exercice de compétences de plus en plus lourdes et la pression sociale sera d'autant plus forte que le principe de continuité jouera. Il est, en effet, infiniment plus difficile à un élu local, quelle que soit sa sensibilité politique, qu'à un décideur national de refuser, par exemple, de doter un hôpital d'une IRM.

M. Philippe Folliot. L'analyse est juste !

M. Jean Lassalle. Eh oui !

M. Pierre Albertini. C'est un exemple parmi d'autres. Je l'ai pris car la France a un grand retard en matière d'imagerie médicale, qu'elle est en voie de combler.

M. Philippe Folliot. Il a raison !

M. Pierre Albertini. Donc, sur le moyen et le long termes, quelles que soient les garanties apportées, la compensation risque de se révéler insuffisante, au moins pour certains domaines de compétences transférées, au détriment des collectivités locales.

Le Conseil constitutionnel n'y pourra rien car ce n'est pas à lui d'apprécier l'opportunité d'une action publique ni l'adéquation d'une réponse locale. Il se contentera d'observer puisqu'il raisonne simplement en droit. Il vérifiera que la compensation a été honnête, intégrale, mais il ne s'interrogera pas sur le caractère pérenne des ressources transférées aux collectivités locales.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il l'a pourtant fait !

M. Pierre Albertini. Il l'a fait dans un considérant de principe, sans en tirer toutes les conséquences. On connaît trop bien la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat pour savoir qu'il y a une différence entre l'énonciation de principes et leur application.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais il l'a fait. On ne peut donc pas dire qu'il ne s'y intéresse pas !

M. Pierre Albertini. Reste la question de la modernisation de la fiscalité locale.

Je ne reviens pas sur la taxe professionnelle car je suis convaincu qu'une réforme de celle-ci est nécessaire et souhaitable. J'espère qu'on y parviendra dans les mois qui viennent afin d'avoir un impôt plus dynamique et plus favorable aux investissements productifs, notamment dans l'industrie, que celui en vigueur depuis 1975.

En revanche je m'interroge sur le reste.

Les bases de la taxe d'habitation, dont l'actualisation remonte pourtant à 1990, n'ont en fait pratiquement pas évolué. Bien plus, alors que le travail a été fait, on a majoré le pourcentage que perçoivent les services de l'Etat pour l'effectuer.

M. Édouard Landrain. Absolument !

M. Pierre Albertini. On continue de leur verser cette majoration alors que, depuis bientôt quinze ans, l'actualisation des bases a été systématiquement rejetée, différée pour des raisons de transfert.

Il est vrai qu'interviendront d'autres transferts, mais est-ce une raison pour refuser de moderniser notre fiscalité locale ?

S'agissant de la péréquation, nous aurions intérêt à nous inspirer d'exemples étrangers, notamment de celui de l'Espagne, où la péréquation est infiniment plus efficace et plus soutenue qu'en France.

M. Philippe Folliot. C'est juste !

M. Pierre Albertini. Nous pourrions utilement nous en inspirer.

De grâce, n'imaginons pas que la DGF, dispositif hybride dont le rôle essentiel est d'apporter une garantie de recettes et qui a un pouvoir péréquateur très faible, fera des miracles en matière de péréquation. Il m'apparaît plus souhaitable de lui conserver exclusivement son rôle de garantie de recettes et de chercher d'autres techniques pour assurer la péréquation. Celle-ci est nécessaire du fait des profondes inégalités qui existent entre les collectivités locales.

M. Jean Lassalle. Très vrai !

M. Pierre Albertini. Le groupe UDF aurait souhaité, monsieur le ministre, que la région soit plus nettement favorisée qu'elle ne l'est. Comme M. Sarkozy l'a rappelé, elle constitue une collectivité dédiée. Il a parlé, à son égard, de pôle de développement, de pôle de stratégie, de pôle de planification. Les régions devraient jouer un rôle plus important et mieux reconnu dans ces domaines. Le département a essentiellement des attributions de gestion, notamment de gestion de proximité, et il joue un rôle de soutien de l'effort d'équipement des communes, ce qui est tout à fait respectable. Néanmoins c'est au niveau régional que l'on trouvera l'équilibre qui me paraît nécessaire, notamment en matière de recherche, d'enseignement supérieur et de transport.

Dans ce dernier domaine, les compétences sont extrêmement partagées : elles incombent aux villes ou aux intercommunalités pour les transports urbains, aux départements pour les transports interurbains et à la région pour les transports ferroviaires, les fameux TER. Je ne suis pas certain que cette dispersion des compétences soit la réponse la plus efficace et la plus économe des deniers publics, notamment en matière d'investissement et de fonctionnement, ni la plus favorable aux usagers.

Quant à l'Etat, il doit se moderniser. Le préfet de région verra ses pouvoirs un peu renforcés. Nous entendons tous parler, bien que l'épure soit encore assez vague, de pôles de compétences. Pour cela avons-nous besoin de 330 arrondissements ? Cela fait cinquante ans, mes chers collègues, que l'on annonce une réforme. Un grand nombre de sous-préfectures n'ont plus lieu d'être. Je n'ai rien contre tel ou tel sous-préfet mais il est nombre de sous-préfectures pour lesquelles on pourrait songer à un regroupement.

Il faudra aussi que l'Etat choisisse entre les départements et la région pour l'organisation de ses services : aujourd'hui des directeurs régionaux de l'équipement sont en même temps directeurs départementaux de l'équipement. Est-il raisonnable de continuer à ne pas trancher entre ces échelons pour l'organisation territoriale de l'Etat ?

Il y a également la grande erreur des régions à deux départements. Le fait que la région Haute-Normandie ne comprenne que deux départements, la Seine-Maritime et l'Eure, me paraît le comble de la sophistication. Nous aurions intérêt à revoir le format de quelques-unes de nos régions. Ainsi les cinq départements normands se trouveraient bien mieux dans une Normandie réunifiée que séparés entre la Haute et la Basse-Normandie.

M. Philippe Folliot. Il a raison !

Mme la présidente. Il vous faut songer à conclure, monsieur Albertini.

M. Pierre Albertini. Je conclus, madame la présidente.

Subsiste aussi la question des aires urbaines sur lesquelles il est temps d'ouvrir une réflexion, d'une part, sur la légitimité démocratique - et plusieurs solutions sont envisageables -, d'autre part, sur le fait que ces aires, ces unités urbaines, ces agglomérations ont toutes les chances de polariser le développement économique de notre pays.

Le développement économique ne résulte pas du hasard. Il ne s'établit pas n'importe où. Il se polarise dans les régions qui concentrent un appareil de formation de qualité, une recherche de qualité, des industries puissantes et un tertiaire supérieur offrant des services aux entreprises, notamment industrielles.

Il nous appartient non pas de protéger des territoires, mais de conduire des projets au service de l'intérêt général. C'est pourquoi le groupe UDF abordera cette discussion dans un esprit constructif.

Oui, nous sommes favorables au principe d'une nouvelle étape de la décentralisation. Oui, nous avons la volonté d'améliorer, de clarifier et, si possible, d'alléger ce texte. Cependant, nous voudrions que l'on se consacre plus aux principes qu'à la procédure.

Nous voulons également éviter tout désengagement de l'Etat, car la décentralisation n'est pas l'ennemie de l'Etat. Bien au contraire, les deux sont parfaitement complémentaires : la décentralisation et un Etat efficace représentent deux volets d'une même politique au service de l'intérêt des Français.

Nos concitoyens nous demandent essentiellement un grand effort en matière de solidarité, d'équité et, naturellement, de compétitivité économique, sociale et culturelle. C'est pourquoi, je le répète, le groupe UDF abordera cette discussion dans un esprit tout à fait constructif. Son vote final dépendra de la qualité de la discussion parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Liberti.

M. François Liberti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, limiter à deux semaines l'examen de ce projet de loi bouleversant les institutions, et cela en pleine période électorale, relève d'un choix délibéré d'escamoter le débat.

Personne n'est dupe : sous couvert de proximité et de décentralisation, le projet de loi relatif aux responsabilités locales n'est rien d'autre qu'une vaste entreprise de démantèlement des services publics et de désengagement massif de l'Etat dans de nombreux domaines.

En effet, le Premier ministre l'a bien réaffirmé lors de la présentation du texte devant le Sénat le 28 octobre 2003 : « La décentralisation doit être le choc qui lui permettra de se recentrer sur ses missions principales », que sont « la sécurité, la justice, l'emploi, l'éducation, la fiscalité et la santé publique ».

Effectivement, on ne peut pas dire que le Gouvernement ménage ses efforts budgétaires en matière de sécurité, de défense et de justice, qui deviendront bientôt les seuls domaines d'intervention de l'Etat. Quant à l'emploi, l'éducation, la fiscalité ou la santé publique, rares sont ceux qui, aujourd'hui, croient encore à l'engagement du Gouvernement en faveur d'une politique nationale juste et cohérente.

Ce texte s'inscrit bien dans une logique libérale, où l'Etat doit se recentrer sur des missions de pilotage, de régulation et de contrôle. Les autres missions risquent, à terme, d'être privatisées si elles relèvent du secteur concurrentiel ou renvoyées vers les collectivités locales. Là aussi, il s'agit d'élargir le champ d'intervention du secteur privé et marchand, dans le droit-fil de nombreuses directives communautaire ou dans la ligne des objectifs de l'Organisation mondiale du commerce, avant la négociation relative à l'accord général sur le commerce et les services.

Les conséquences seront lourdes pour nos concitoyens en matière d'accès pour tous aux services publics, seule garantie du respect de notre solidarité républicaine. De leur côté, les collectivités territoriales seront dans l'impossibilité de respecter leur obligation d'équilibre budgétaire. En effet, d'un département à l'autre, d'une région à l'autre, les droits de chacun seront différents, et les inégalités territoriales ne pourront que s'aggraver.

Nombre de missions sont renvoyées vers les collectivités territoriales, sans que soient assurés les moyens financiers correspondants. Une question légitime se pose alors : quel est l'avenir de nos services publics ?

Concernant le droit à la santé, à l'éducation, au logement, aux transports, il n'est pas indifférent que l'on choisisse une logique publique ou privée.

L'accès à ces droits doit également être assuré à tous sur l'ensemble du territoire. Cela suppose, bien évidemment, des services publics présents, efficaces, non seulement au plan local mais aussi à l'échelon national, lorsque ce niveau est nécessaire, en particulier pour mettre en œuvre des politiques solidaires, des politiques d'aménagement du territoire.

Nous pouvons nous faire du souci pour la solidarité dans ce pays, surtout quand le Premier ministre finit par trahir ses ambitions libérales, toujours devant le Sénat où il s'est félicité en affirmant : « Nous sommes en fait en train d'organiser le service public. Nous parlons de décentralisation ; mais ce qui compte, pour le citoyen, c'est le service. »

Les masques tombent. Le mot « public » a disparu. Nous entrons dans une ère où seul le service compte. Celui-ci pourra ainsi être assuré par des entreprises privées. Le grand absent de ce projet de loi, comme de votre politique, est bien l'intérêt général.

Je souhaite à présent insister plus longuement sur deux secteurs particuliers concernés par ce texte. Il s'agit de l'éducation et de la formation.

Vous prévoyez de transférer les 96 300 techniciens et ouvriers de service aux collectivités territoriales qui devront désormais assumer la charge financière de leurs tâches. Pourtant, rien ne justifie cette volonté politique, en tous les cas rien de légitime. Leur gestion est déjà totalement déconcentrée et leur transfert, loin d'améliorer le service aux usagers, risque au contraire d'être source de conflit avec une double hiérarchie : la collectivité, d'un côté, et l'éducation nationale, de l'autre.

M. André Chassaigne. C'est parfaitement exact !

M. François Liberti. L'argument qui consiste à dire qu'ils s'occupent des murs qui appartiennent à la collectivité territoriale, outre qu'il ne peut s'appliquer aux agents chargés de la restauration, est sans fondement car ces agents ont la charge des travaux du locataire qu'est « l'éducation nationale », et non du propriétaire qu'est « la collectivité ».

De surcroît, les personnels TOS n'ont même pas la garantie d'être affectés exclusivement dans des établissements scolaires et de conserver les acquis de leur statut. Ils craignent également de ne plus pouvoir exercer leur droit syndical, de voir se substituer aux concours un mode de recrutement contractuel. C'est donc, de façon générale, la précarisation de leur métier que ces personnels redoutent.

Plusieurs déclarations du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, du ministre de l'éducation nationale, Luc Ferry, du ministre délégué aux libertés locales, Patrick Devedjian ont tenté de rassurer les personnels en leur disant que la décentralisation ne changerait rien pour eux. C'est faux, ou alors il faudra voter nos amendements !

Plus largement, c'est le maintien du caractère public de leurs missions qui est menacé. Votre objectif est clair : faire du dumping social pour attirer les entreprises dans les régions et les départements où la main-d'œuvre sera rentable à souhait.

Le transfert de compétences proposé ouvre bien aux collectivités la possibilité de recourir à des entreprises privées spécialisées pour réaliser les tâches assumées auparavant par ces TOS. La concession de ces services à des entreprises privées, dans l'avenir, pourra très bien se faire en douceur, au fur et à mesure des départs à la retraite.

M. André Chassaigne. C'est l'objectif recherché !

M. François Liberti. Une telle mise en concurrence, en remettant en cause l'unicité du service public, sera fatale au principe d'égalité devant ce même service public et renforcera les inégalités régionales déjà constatées. Savez-vous que, dans l'enseignement primaire, où, par exemple, la restauration scolaire est gérée à 52 % par des entreprises privées, les tarifs varient de un à douze contre un à un et demi dans l'enseignement secondaire ? Qui va supporter le surcoût ? Les familles ou les collectivités territoriales elles-mêmes ? Certainement les deux !

Tout adulte dans un établissement scolaire a sa place dans l'équipe éducative. Pourtant, votre objectif est bien de remettre en cause l'article 15 de la loi d'orientation de 1989, qui reconnaît la mission éducative des personnels ouvriers. Vous allez ainsi briser l'unicité des équipes pédagogiques et réduire encore la présence des adultes dans les établissements. Je veux parler des adultes n'obéissant pas aux ordres du ministre de l'intérieur, bien évidemment !

L'existence d'une communauté éducative partageant un ensemble de valeurs et d'objectifs communs est pourtant plus que jamais indispensable à la cohérence des missions de l'éducation et, simplement, à la réussite de tous.

Suite à l'action revendicative des personnels et du mouvement social qui s'est levé au printemps 2003, vous avez été contraints de manœuvrer en recul sur ces questions. En effet, le Gouvernement avait annoncé, le 10 juin 2003, que les médecins scolaires ne seraient pas intégrés aux personnels de la communauté éducative concernés par la décentralisation.

En confiant à votre majorité, au Sénat, la responsabilité de reconduire cette mesure, pourtant rejetée par les salariés, vous êtes ainsi revenus sur vos engagements. Allez-vous, monsieur le ministre, confirmer cela devant l'Assemblée nationale ?

M. André Chassaigne. Une tartufferie supplémentaire !

M. François Liberti. Les médecins scolaires ont raison d'être attachés à leur mode d'exercice cohérent, au cœur de l'institution qui intègre tous les aspects de la santé de l'élève. Ils travaillent depuis longtemps comme de véritables acteurs de santé publique auprès des élèves et des familles. Ces acteurs de proximité exercent en lien direct avec les équipes éducatives pluriprofessionnelles et leurs missions couvrent les divers bilans de santé, en passant par l'accompagnement des élèves souffrant de maladies ou de handicaps, jusqu'au suivi des élèves en difficultés psychologiques et scolaires.

Lorsque les médecins scolaires auront été envoyés en mission dans les centres de protection maternelle et infantile, ils seront absents des établissements scolaires. Qu'adviendra-t-il alors de toutes ces missions ? Il manque aujourd'hui 1 200 médecins dans nos écoles et aucun poste n'a été prévu au budget de 2004. Va-t-on faire appel à des étudiants en médecine ou à des médecins libéraux ?

Pire encore, la séparation des médecins et des infirmières scolaires qui ne sont pas concernées par le transfert, entraînera des dysfonctionnements majeurs.

Aujourd'hui, les infirmières scolaires travaillent en collaboration avec les assistantes sociales et les médecins dans la prévention des troubles de l'apprentissage et de l'échec scolaire. Cette profession connaît déjà de graves difficultés au quotidien compte tenu du peu de moyens qui lui sont accordés. Ce n'est pas en les isolant que vous répondrez à leurs légitimes inquiétudes.

La médecine scolaire n'est pas une simple mécanique du soin des petits maux. Elle permet la prise en compte de l'élève, de ses désirs et de ses angoisses. En ce sens, elle a un rôle à jouer dans la réflexion sur la prévention de la violence. Il faut permettre aux jeunes d'acquérir les compétences nécessaires pour faire des choix de comportements responsables et adaptés. Eduquer à la santé, c'est aussi éduquer à la citoyenneté et favoriser la réussite scolaire ; vous devriez vous en souvenir.

La formation professionnelle, aura-t-elle désormais pour objectif la simple adéquation aux besoins de quelques entreprises locales ? J'ai bien peur que la réponse ne soit affirmative. La loi quinquennale de 1993 a, dans le cadre de la décentralisation, déjà considérablement renforcé les pouvoirs d'intervention mais aussi les responsabilités des conseils régionaux dans la construction des politiques régionales de formation professionnelle.

On comprend tout le danger de votre politique à courte vue, car l'économie est fragile et toujours en mutation. Une formation adaptée aux seuls critères de l'emploi local peut devenir obsolète. Comment oublier ces filières en restructuration et la difficulté de reconversion de certains salariés ? Comment oublier l'aggravation des inégalités territoriales et sociales, déjà maintes fois dénoncée ?

Si le lien avec le monde du travail peut être une donnée de la formation, rappelons-nous les dérives qui existent déjà quand les contenus de la formation sont imposés par les besoins économiques spécifiques.

Alors qu'il faut se battre pour l'élévation du niveau des qualifications et de la formation pour tous, la région privilégie l'individualisation des parcours, l'employabilité, au détriment des garanties collectives. Cela se passe déjà ainsi et vous allez exacerber les dysfonctionnements du système.

Dans chaque bassin d'emploi, le service public c'est-à-dire la direction départementale du travail, l'ANPE, les PAIO ou les missions locales, effectuent un diagnostic en fonction des besoins exprimés par les structures d'orientation. Cette analyse est soumise à l'appréciation des chambres consulaires, des élus locaux, des organisations syndicales et des techniciens de la région dans le cadre d'une commission d'orientation locale. Ce processus d'apparence démocratique, qui peut laisser croire que l'ensemble des acteurs est consulté, est en fait un leurre. La programmation des actions de formation, finalement adoptée dans un bassin d'emploi donné, correspond non pas aux demandes exprimées par les usagers et relayées par les structures d'orientation, mais bel et bien à la volonté des chambres consulaires et des syndicats professionnels.

Dans le contexte aggravé que vous allez créer, que deviendront les actions de formation menées en faveur de publics spécifiques ? Je pense à celles organisées en faveur des détenus, aux actions d'alphabétisation et de lutte contre l'illettrisme.

Il faut défendre l'égalité d'accès à la formation pour tous, quel que soit le degré d'éloignement par rapport à l'emploi, le niveau de la formation concernée ou le lieu de résidence. Il s'agit d'une exigence sociale incontournable. Or la logique voudra que les régions privilégient les publics les plus proches du retour à l'emploi.

Vous allez faire perdre au service public à la fois son unité et ses ambitions nationales, remettre en cause l'égalité de traitement des usagers et renforcer les inégalités territoriales. Votre décentralisation va engendrer la disparition, à terme, des structures nationales, garantes de la qualité et de la cohérence des prestations d'orientation et de formation. Elle soumettra les centres de formation de l'AFPA à une concurrence avec d'autres organismes de formation. Ce sera la fin du service public de formation qualifiante des adultes en France.

Réorganiser l'intervention publique nécessite, d'une part, d'être attaché au progrès social et économique et, d'autre part, de promouvoir la démocratie citoyenne, l'égalité de traitement des populations et du développement durable.

Force est de constater qu'aucune des mesures que vous proposez ne révèle votre attachement à ces valeurs. Pour cette raison, le groupe des député-e-s communistes et républicain s'opposera avec force à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, fondé sur le nouvel équilibre constitutionnel du 28 mars 2003, complété par deux - bientôt trois - lois organiques touchant à l'expérimentation, au référendum local et aux ressources des collectivités territoriales, le projet de loi relatif aux responsabilités locales s'inscrit dans une démarche dont il convient de saluer la cohérence et l'exigence.

La cohérence est certes juridique, mais surtout politique.

Politique quant à la méthode : la très large concertation permise par les Assises des libertés locales, avec plus de six cents propositions de transferts de compétences ou d'expérimentations,...

M. André Chassaigne. Oh là là !

M. Daniel Paul. Tant que ça ?

M. Michel Piron. ...aura eu le double mérite de nourrir la réflexion publique et d'associer les interlocuteurs, élus et fonctionnaires des différentes instances territoriales, à la nécessaire redéfinition des tâches et des rôles, en préparant largement le dépassement d'inévitables contradictions.

Politique quant au fond, car la question - latente - de la redistribution des pouvoirs n'a pas été posée d'abord en fonction de ceux qui existaient, mais au regard d'une tout autre exigence : celle de l'efficacité de l'action publique,...

M. Daniel Paul. Et de l'intérêt marchand !

M. Michel Piron. ...afin de répondre aux attentes de nos concitoyens. Partant du contenu et non du contenant, ce que l'on a pu nommer l'acte II de la décentralisation pose les jalons d'une autre gouvernance, plus claire, plus simple et plus démocratique.

Ainsi pris en compte, le développement économique, la formation professionnelle et le tourisme au titre I, les infrastructures et l'environnement au titre II, la solidarité et la santé au titre III, l'éducation et la culture au titre IV sont l'objet de transferts ou de délégations de compétences qui devraient mettre fin aux nombreuses confusions nées de la cogestion des politiques publiques. En attribuant aux régions, aux départements, aux communes ou à leurs groupements les ressources humaines - plus de 130 000 agents concernés -, matérielles et financières - 11 milliards d'euros - correspondant à leurs nouvelles responsabilités, les titres V et VI font de ces collectivités les véritables acteurs de ces mêmes politiques, dont la mise en œuvre pourra se trouver facilitée par les titres VII et IX pour ce qui touche à la consultation des électeurs et, surtout, à la coopération intercommunale.

Que l'Etat, ainsi déchargé de tâches qui ne sont plus les siennes dans la plupart des pays qui nous entourent, puisse réorganiser et réaffirmer sa présence en la concentrant sur ses missions essentielles - sécurité, justice, éducation, santé -, c'est au moins ce que suggèrent le titre VIII et la rénovation attendue du contrôle de légalité. N'est-ce pas également ce qui constitue l'enjeu majeur de cette réforme : l'établissement de nouveaux rapports entre les pouvoirs publics et nos concitoyens ?

Arrivé à ce point de notre réflexion, je veux cependant appeler votre attention sur deux risques - pour ne pas dire deux dangers - qui pourraient fortement obérer la démarche décentralisatrice en cours.

Le premier, déjà présent et sans doute le plus complexe, est celui d'une reprise en main normative généralisée. La tentation reste en effet grande pour tout pouvoir central de vouloir tout contrôler et d'édicter à cette fin de multiples règles dites générales qu'il est trop facile de justifier par une conception de l'égalité réduite au principe d'identité : ainsi la « vertu » égalitaire exigerait-elle que les mêmes contraintes s'imposent partout, quel que soit leur contenu et sans plus se soucier de savoir ni pour qui ni pour quoi elles s'appliquent.

Permettez-moi d'y insister : alors que l'inflation normative, technique ou sécuritaire, s'épanouit sous nos yeux, décourageante pour certains, irritante pour beaucoup, peut-être n'avons-nous pas mesuré la nouveauté - je dis bien : la nouveauté - du problème réglementaire dans un système de gouvernance resté à mi-chemin entre centralisation et décentralisation. Lorsque l'Etat centralisé posait ses règles, au moins était-il contraint d'entendre ses propres fonctionnaires chargés d'en assurer l'exécution et d'en vérifier ainsi l'acceptabilité, voire l'applicabilité.

Bientôt déchargé, par les excellents textes dont nous allons discuter, de nombreux travaux pratiques, l'Etat conservera cependant la quasi-totalité des attributions normatives et réglementaires qui lui sont dévolues par l'article 21 de la Constitution. Ne risque-t-on pas dès lors de voir se multiplier, au nom des meilleurs principes, des règles dont la logique s'éloignerait de plus en plus des contraintes du réel ou, pour user d'une distinction acceptable par tous, dont le caractère rationnel serait de moins en moins raisonnable ?

Je crains que l'on ne sous-estime fortement les conséquences de nos excès réglementaires, non seulement en termes quantitatifs, s'agissant notamment des coûts directs ou indirects qu'ils génèrent, mais également en termes qualitatifs, s'agissant de l'insécurité juridique qu'ils nourrissent et, ce qui est sans doute plus grave, du rejet de l'Etat qu'ils peuvent susciter lorsque ce dernier freine, au point parfois de la paralyser, l'initiative tant publique que privée.

A cet égard, la décentralisation ne pourra en rester là. Elle ne répondra à l'attente de simplification que si le champ pratique des normes est lui-même décentralisé afin de répondre à la diversité des situations que ces normes sont précisément censées réguler. Ainsi la solidarité abstraite de la loi aura-t-elle sans doute, dans nos sociétés de plus en plus complexes, de plus en plus besoin de la solidarité concrète, donc diversifiée, des règlements.

M. Daniel Paul. Vive l'ultra-libéralisme !

M. Michel Piron. Pas du tout !

Sans moyens matériels, la décentralisation eût été vide, monsieur le ministre, et vous avez très clairement répondu à cette question, aussi bien dans la loi constitutionnelle, avec l'article 72-2, qu'aujourd'hui, dans votre projet. Sans marges réglementaires supplémentaires, elle serait vaine : n'est-ce pas là encore une question ?

Le second risque n'est pas moindre ; il concerne la réforme de l'Etat dont le rythme et l'étendue conditionneront en grande partie la réussite de ce projet.

Ainsi que l'a souligné récemment le Sénat, la complexité de notre organisation institutionnelle ne tient pas seulement au nombre de nos collectivités territoriales ; elle procède sans doute autant du rôle ambigu de l'Etat qui peine à redéfinir ses missions et, surtout, leurs limites, entre conseil et contrôle, contrat et contrainte, comme à parfaire la déconcentration qu'appelle pourtant la décentralisation. En renforçant la responsabilité du préfet, notamment au niveau régional - quand bien même celui-ci représenterait chacun des membres du Gouvernement plutôt que ce dernier dans son ensemble, ce qui en fait l'interprète d'une harmonie interministérielle aussi parfaite que présupposée -, le titre VIII du projet de loi apporte incontestablement un début de réponse à l'attente d'un interlocuteur unique exprimée par les élus locaux.

Clarifier les compétences et en faciliter l'exercice, pour rendre l'action publique plus lisible, plus proche, plus cohérente, plus efficace, voilà quelques-uns des termes qui qualifient le plus souvent l'esprit de la loi soumise à notre discussion. Si la direction ainsi prise peut encore inquiéter certains tenants d'une autre tradition, reconnaissons qu'elle n'a rien de brutal ni même d'original pour peu qu'on la compare à celle choisie par nos voisins.

Alors que nous demeurons l'un des derniers pays développés à avoir maintenu un système aussi centralisé,...

M. André Chassaigne. Et alors ?

M. Michel Piron. ...comment ne pas souligner que l'engagement du Gouvernement, le vôtre, monsieur le ministre, comme le nôtre, en faveur d'une nouvelle architecture des pouvoirs souhaitée le 2 juillet 2002 par le Président de la République, nous rapproche aujourd'hui de nos partenaires européens ? En proposant que nos rapports institutionnels respectent mieux l'esprit - sinon la lettre - de la subsidiarité, vous faites non seulement le pari d'une France mieux gouvernée et mieux administrée, mais également celui des Européens que nous voulons être : plus solidaires parce que plus responsables. Ce choix sera aussi celui de l'UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Balligand. Ite, missa est !

M. André Chassaigne. Oui vraiment, la messe est dite !

Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je consacrerai le temps de parole qui m'est imparti à évoquer l'intercommunalité, dans les conditions d'aujourd'hui, s'entend, et non au regard de celles de 1992, date à laquelle le premier texte sur le sujet, largement critiqué, fut voté dans cet hémicycle à seulement une voix de majorité.

Depuis, le temps a passé. Nous sommes en 2004. L'intercommunalité a finalement rencontré un succès que personne, au fond, ne soupçonnait. J'ai repris vos propres chiffres, monsieur le ministre, en les précisant quelque peu. Les services de qualité dont vous disposez pourraient du reste nous fournir des éléments de calcul plus fins.

Aujourd'hui, dans la France que l'on peut appeler « de province », 93 % de la population vivent dans une structure intercommunale. Si les chiffres sont plus faibles au niveau national, c'est tout simplement parce que, dans l'Ile-de-France,...

M. le ministre délégué aux libertés locales. Hors Paris !

M. René Dosière. ...- Paris mis à part, bien entendu - l'intercommunalité concerne seulement un peu plus de 50 % de la population dans la grande couronne et 30 % dans la petite couronne.

M. Patrick Balkany. Ça vient ! Un peu tard, mais ça vient !

M. René Dosière. C'est dire que l'intercommunalité est pratiquement achevée.

S'agissant de la crise de la démocratie française qui se traduit par l'augmentation de l'abstention et des votes extrémistes, mais aussi par la diminution du nombre des suffrages obtenus par les partis de gouvernement, je pense que l'une des réponses à la crise de la démocratie réside dans l'amélioration du fonctionnement de l'intercommunalité.

M. Jean-Pierre Balligand. Très juste !

M. Michel Piron. C'est le cas.

M. René Dosière. D'abord, en effet, la démocratie repose sur la confrontation entre une majorité et une opposition. En France, cela correspond au clivage traditionnel gauche-droite. Or, chaque fois que l'on constate l'affaiblissement de ce clivage, on assiste à un désintérêt politique qui se manifeste par l'abstention ou par des comportements de rejet qui se traduisent par le vote extrémiste. En effet, s'il n'y a pas - paraît-il - de différences entre les projets, à quoi bon voter ?

M. Alain Gest. C'est un argument spécieux !

M. René Dosière. Peut-être, mais il est développé assez largement.

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est une opposition artificielle.

M. René Dosière. La démocratie n'est pas un consensus mou : c'est la confrontation.

M. Alain Gest. L'opposition frontale !

M. René Dosière. A cet égard, l'intercommunalité est justement organisée sur la disparition de ce clivage, car elle correspond à une logique géographique qui gomme les oppositions politiques. Par exemple les bureaux sont constitués par l'association des principaux responsables politiques afin de pouvoir mieux fonctionner et de dégager des consensus. Dans ces conditions les conseils communautaires ne peuvent que ratifier les décisions qu'ils prennent.

Autrement dit, quand on regarde le fonctionnement de l'intercommunalité sous l'angle politique, on s'aperçoit qu'il y a une volonté de dépolitiser les dossiers, de les réduire à leurs aspects techniques et financiers. En termes de démocratie, cela n'est pas un progrès !

M. Michel Piron. Qu'est-ce que la politique ? Il faudrait s'entendre sur une définition.

M. René Dosière. Ensuite, de mon point de vue, la démocratie, c'est également la volonté de responsabiliser les citoyens.

M. Michel Piron. Oui !

M. René Dosière. Or je constate que l'intercommunalité déresponsabilise les élus et les habitants.

M. Alain Gest. Non, les maires sont responsables !

M. René Dosière. Elle déresponsabilise les élus des communes qui voient des compétences de plus en plus importantes leur échapper discrètement au bénéfice d'une structure dont le fonctionnement leur est étranger.

M. Patrick Balkany. Mais non !

M. René Dosière. Elle déresponsabilise également les élus de l'intercommunalité qui n'ont aucun compte à rendre à la population...

M. Alain Gest. C'est totalement faux !

M. René Dosière. ... et qui peuvent toujours s'abriter derrière le vote unanime. Cette absence de comptes à rendre aux habitants explique d'ailleurs la montée vertigineuse de la fiscalité intercommunale qui a, je vous le rappelle car vous le savez, monsieur le ministre, dépassé celle des régions en 2003.

M. Michel Piron. Mauvaise comparaison !

M. René Dosière. Il est anormal qu'une masse fiscale aussi importante puisse être prélevée par des gens qui n'ont pas de comptes à rendre directement aux citoyens contrairement aux élus régionaux.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. André Chassaigne. C'est le bon sens.

M. Patrick Balkany et M. Alain Gest. Mais si, ils auront des comptes à rendre !

M. René Dosière. De leur côté, les habitants ne savent plus qui fait quoi ! Ils ne savent pas davantage comment fonctionne l'intercommunalité. Il ne me semble donc pas satisfaisant de ne pas recourir à l'élection pour des conseillers communautaires dont les compétences ne cessent d'augmenter et de continuer à l'utiliser pour élire des conseillers municipaux dont les compétences diminuent, voire disparaissent dans certaines communes rurales.

M. Alain Gest. C'est de l'acharnement thérapeutique !

M. René Dosière. Enfin ce manque de clarification dans l'intercommunalité a des conséquences néfastes en matière d'aggravation des charges publiques et donne au citoyen le sentiment qu'il ne peut rien faire pour la maîtriser.

M. Michel Piron. Vous êtes contre la mutualisation ?

M. René Dosière. Je prends un exemple.

Savez-vous, monsieur le ministre, qu'entre 1992-1993 et 2003, le nombre de personnels des structures intercommunales a augmenté de 34 564 !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est normal ; c'est un processus d'intégration.

M. René Dosière. Bien entendu, mais, durant la même période, le nombre de personnels dans les communes a augmenté, lui, de 200 000.

M. Alain Gest. Cà, ce n'est pas normal !

M. René Dosière. Autrement dit, on a le sentiment qu'il n'y a pas de système de vases communicants et que les choses s'aggravent.

Pour remédier à ces trois difficultés, conséquences du succès rapide de l'intercommunalité, il faut aller vers l'élection.

Pour s'opposer à cette évolution on a d'abord dit que l'élection briserait le mouvement intercommunal.

M. Alain Gest. Absolument !

M. René Dosière. Aujourd'hui, cet argument n'est plus valable, compte tenu du succès de l'intercommunalité, démontré par les chiffres.

Le deuxième argument est que l'intercommunalité étant très différente selon les structures, il y aurait par conséquent un manque d'harmonie.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cà, c'est vrai.

M. René Dosière. Mais, au regard de l'autonomie communale, locale, comment peut-on vouloir que toutes les intercommunalités se ressemblent ? L'argument est donc spécieux.

Enfin, on avance, et vous l'avez dit en répondant à Jean-Pierre Balligand, monsieur le ministre, qu'une élection au suffrage universel serait préjudiciable aux petites communes. Cet argument, vous le savez bien, n'est pas justifié. Il ne serait valable que si le suffrage universel ne devait tenir compte que du nombre de la population. Or il existe d'autres possibilités...

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le suffrage universel, c'est quoi ?

M. René Dosière. ...ou alors cela signifie que vous n'avez pas beaucoup d'imagination, ce dont je doute car nous connaissons bien vos compétences

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est gentil !

M. René Dosière. On pourrait innover en matière de mode de scrutin dans le cadre de l'intercommunalité, et opérer la distinction éminemment démocratique entre exécutif et délibératif. Dans cette hypothèse - qui n'est qu'une hypothèse -, on pourrait parfaitement élire, sur le territoire intercommunal, l'exécutif au scrutin majoritaire, - et même concevoir qu'il serait collégial - et élire les membres de l'assemblée communautaire dans chaque commune, en prenant en compte leurs populations respectives afin de faire en sorte que le nombre de délégués soit proportionnel à la population.

M. Alain Gest. Ce serait en effet beaucoup plus lisible pour la population ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Balligand. Il y aurait un contre pouvoir !

M. René Dosière. D'autres formules peuvent être envisagées, mais je veux simplement démontrer que l'élection au suffrage universel n'implique pas automatiquement un étouffement des petites communes par les plus grandes.

On nous dit aussi qu'élire les intercommunalités au suffrage universel provoquerait la mort des petites communes, ou des communes.

M. Alain Gest. Des communes tout court !

M. René Dosière. Cette affirmation est un simple slogan ; elle n'est pas démontrée.

M. Alain Gest. Cela le sera le moment venu !

M. René Dosière. Je pense, au contraire, que c'est l'absence d'élection qui aboutira progressivement à la disparition des communes, par des transferts progressifs et discrets de compétences en direction de l'intercommunalité. En revanche, si l'on procédait à une élection, on pourrait en même temps réfléchir sur une meilleure répartition des missions entre communes et intercommunalité.

Le rapporteur a montré, dans son rapport, que l'investissement local était un facteur important de développement économique et d'accroissement du PIB

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il a raison.

M. René Dosière. Tout à fait !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Plus que l'Etat.

M. René Dosière. Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire en sorte que l'investissement soit réservé à l'intercommunalité, qui aurait ainsi très peu de charges de fonctionnement, la gestion étant laissée à la commune, échelon de proximité ?

On peut y réfléchir et peut-être, monsieur le ministre, cela mériterait-il une commission d'étude. Pourquoi ne pas travailler sur les formes possibles d'une élection au suffrage universel des intercommunalités ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Oui !

M. René Dosière. Il y a d'autres formules que celle que je vous suggère et que celles évoquées par Jean-Pierre Balligand et l'Institut de la décentralisation.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Tout à fait !

M. René Dosière. En tout état de cause, il faut avancer dans cette voie.

Si l'on veut rénover la démocratie, il faut commencer à la base. De même que, pour assurer une bonne formation à un adulte, il est nécessaire qu'il y ait eu d'abord une bonne école primaire - tout au moins celle qui était chère à Charles Péguy -, pour former un citoyen, il est nécessaire de pratiquer une véritable démocratie locale. C'est dire combien nous devons rénover au niveau local, la notion même de politique, étymologiquement « gouvernement de la cité ».

Il est urgent, monsieur le ministre, que la politique revienne dans l'espace local. C'est un enjeu primordial pour notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Janine Jambu qui sera le dernier intervenant de la soirée.

Mme Janine Jambu. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, les dispositions du chapitre III de ce texte relatives au logement social et à la construction sont la déclinaison, dans le domaine du logement, de la logique d'éclatement des solidarités que mon collègue François Liberti a déjà dénoncée dans son intervention. Nous sommes, en effet, avec la demande de logement et les attentes en la matière, sur une question à la fois aiguë et quotidienne pour la majorité de nos concitoyens. La gravité de la situation est sans précédent.

Tous les acteurs, intervenants, experts, des associations de locataires aux organismes gestionnaires de logements sociaux, des associations caritatives aux organisations syndicales de salariés, du Conseil économique et social à la fondation de l'abbé Pierre, s'accordent pour dénoncer une crise du logement profonde qui concerne désormais des couches de plus en plus importantes de la population.

La question que nous nous posons, pour notre part, est alors toujours la même : le projet que vous nous présentez permettra-t-il d'apporter des réponses concrètes, de proximité, à cette crise ainsi qu'aux besoins de nos concitoyens et du pays dans ce domaine ? On parle trop peu d'eux depuis le début de ce débat ! Hélas, votre décentralisation qui est en fait une déstructuration de l'engagement public national dans le logement social, laisse augurer de plus mauvais jours encore.

D'abord, examinons l'ensemble du contexte du secteur du logement dans lequel intervient ce texte, car il ne peut être pris isolément des orientations que vous impulsez depuis plus de dix-huit mois.

En ce qui concerne les moyens financiers - ceux qui vont être transférés en lien avec les nouvelles responsabilités confiées aux collectivités - on constate que les crédits du logement pour 2004 sont calamiteux : constructions de logements locatifs sociaux, réhabilitations, ANAH, APL, tous les chapitres en pâtissent lourdement.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il y a une augmentation sensible : on passe de 56 000 à 85 000 logements réalisés annuellement !

Mme Janine Jambu. Je peux vous assurer que le compte n'y est pas.

M. Alain Gest. Il ne suffit pas de l'affirmer !

Mme Janine Jambu. Ainsi que nous l'avions souligné lors du débat budgétaire, seuls se réjouissent de votre budget, les investisseurs immobiliers, heureux bénéficiaires de la nouvelle formule d'amortissement fiscal mise en place par M. de Robien.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !

Mme Janine Jambu. Si l'on s'en tient à cette seule donnée, celle des moyens, c'est en fait à une misérable répartition de la pénurie que nous allons assister sous couvert de décentralisation .

M. François Liberti. Bien sûr !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cela représente tout de même 1,5 milliard d'euros !

Mme Janine Jambu. « Selon que vous serez puissants ou misérables !... ». Il est donc facile de deviner que ce sont les collectivités qui rassemblent les populations les plus modestes et font les choix sociaux les plus avancés qui seront placées devant des difficultés accrues : montée des mécontentements et des insatisfactions, élévation de la pression fiscale.

Je prends toujours l'exemple ce que je connais le mieux, c'est-à-dire celui du département des Hauts-de-Seine, terre des deux ministres défenseurs de ce texte, dont l'un est présent ce soir, car il constitue une merveilleuse inégalité territoriale à lui tout seul !

M. Patrick Balkany. Pas tant que cela !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mais si !

Mme Janine Jambu. Ainsi, les conséquences de la répartition de la pénurie des aides au logement ne seront pas les mêmes à Antony qu'à Bagneux, à Neuilly qu'à Gennevilliers. Je fais un peu de provocation, monsieur le ministre. (Sourires.)

Le même raisonnement peut être appliqué au désengagement définitif de l'Etat du financement du fonds de solidarité pour le logement ; les conséquences n'en seront pas les mêmes pour les Hauts-de-Seine ou pour la Seine-Saint-Denis. Cela signifie, pour les populations, des critères d'accès, des montants inégaux et en baisse et, pour le reste de la population départementale, une pression fiscale accrue.

Examinons le contexte politique d'ensemble du logement, disais-je, pour apprécier le texte qui nous est aujourd'hui proposé : sommes-nous dans un mouvement de renforcement des solidarités et d'un engagement public national à la hauteur, appuyé sur une responsabilité nationale ?

C'est pourquoi nous proposons - et nous ne sommes pas les seuls - la création d'un véritable service public national du logement qui garantisse la mise en œuvre et la protection du droit au logement pour tous. Mais nous recevons toujours une réponse négative. Dans la logique libérale, le logement est conçu comme une marchandise qui doit être soumise à la loi du marché et dont aucun des pans ne doit être préservé.

Ainsi, M. Raffarin et M. de Robien, dans un colloque récent, se sont fait les chantres de la « propriété pour tous », essentiellement appuyée sur la vente du parc social.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est cela, l'ascenseur social !

Mme Janine Jambu. Sans doute devront-ils faire montre de persuasion auprès des futurs acquéreurs, titulaires d'un contrat de travail précaire, tel le contrat de mission - que le ministre du travail a provisoirement rangé dans ses tiroirs - et frappés par le surendettement. N'en doutons pas : ils béniront M. Boorlo grâce auquel ils pourront bénéficier de la procédure de faillite personnelle.

S'agissant de la vente du parc social, la SCIC, filiale de la Caisse des dépôts, bien éloignée de ses missions d'origine, s'y emploie déjà, mais vous remettez aussi en question tout de ce qui est public : organismes d'HLM, statut des personnels, circuit de collecte publique des financements.

Le projet de loi « Habitat pour tous » en préparation sera la mise en musique de ce livret intitulé : Haro sur les missions de service public !

Je relève d'ailleurs, comme l'a fait l'Union sociale pour l'habitat, que, dans la précipitation, tout le monde se marche allégrement sur les pieds et que les dispositions de l'article 49 anticipent les futurs débats sur l'évolution des organismes et leur champ d'intervention.

M. Poignant et M. Daubresse, considérant que cela ne va pas assez vite, ont fait adopter deux amendements sur le conventionnement global.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Tout à fait !

Mme Janine Jambu. En l'état actuel, c'est l'encouragement local à la disparité des règles applicables : chacun son loyer ou son surloyer, chacun ses plafonds de ressources et son APL !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Pas du tout !

Mme Janine Jambu. On devine aisément les dangers, selon que la gestion sera ou non sociale

Je n'ai encore rien dit de la proposition de délégation du contingent préfectoral au maire qui, compte tenu des nombreuses protestations soulevées, est devenue, à l'issue des débats en commission, une délégation à l'EPCI ou au département ayant obtenu la compétence d'attribution des aides à la pierre, avec une possibilité de subdélégation au maire.

Les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets. Où sont les états des lieux des contingents ? Comment garantir la transparence des critères d'attribution et le respect des objectifs du plan pour le logement des personnes les plus défavorisées ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La réponse est dans l'amendement.

Mme Janine Jambu. Là encore je ne peux qu'exprimer mon inquiétude si je m'en réfère à une récente réunion organisée à la préfecture des Hauts-de-Seine.

Outre que les communes qui ont un taux élevé de logements sociaux supportent l'essentiel des relogements du plan départemental, nous avons aussi constaté que, en raison du manque de production de logements sociaux, les objectifs du plan n'ont jamais pu être atteints. Ainsi 350 familles seulement sur 850 ont pu être relogées en moyenne par an. C'est pourquoi la gestion de son contingent doit rester de la compétence du représentant de l'État, mais en assurant la transparence des attributions.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est le cas !

Mme Janine Jambu. Pourquoi une réelle coopération décentralisée, prenant en compte les situations locales, l'état de la demande, les critères de liens avec la commune ne serait-elle pas envisageable ? Cela supposerait qu'elle implique l'ensemble des partenaires : élus, préfet, dispensateurs du 1 % et autres financeurs, associations.

Enfin, nous sommes là dans le domaine de l'existant, mais comment attribuer plus et mieux de logements sociaux si l'on n'en construit pas ? Il suffit de mesurer l'empressement de vos amis à ne pas appliquer les dispositions de la loi SRU sur les 20 % de logements sociaux par commune pour prévoir les futurs dégâts du texte dont nous débattons : toujours pas de constructions sociales dans certaines intercommunalités ou départements, des zones de relégation spatiale et sociale dans d'autres !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous en construisons plus que le précédent gouvernement !

Mme Janine Jambu. Dans les poubelles sociales de l'intercommunalité ou de l'agglomération concentrons donc ces populations que nous ne saurions voir !

Enfin l'article 51 nous propose de transférer aux communes et au EPCI la grande misère du logement étudiant, que le rapport Anciaux vient de confirmer.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Rédigé à notre demande !

Mme Janine Jambu. Nos inquiétudes sont grandes sur les discriminations induites selon les modes de gestion qui seront retenus. Nous craignons l'effacement du rôle des CROUS, l'entrée en force du privé dans des projets lucratifs qui seront hors de portée des étudiants d'origine sociale modeste.

M. André Chassaigne. Eh oui !

Mme Janine Jambu. Le problème est particulièrement épineux en Ile-de-France et nous nous interrogeons, dans ce contexte, sur le devenir d'une grande cité universitaire comme celle d'Antony.

Le seul point sur lequel nous avons, pour l'instant, été entendus, est le rétablissement de la possibilité de faire instruire des permis de construire par la DDE pour les communes de plus de 10 000 habitants. Le Gouvernement qui veut dégraisser les effectifs de la DDE, va sans doute s'y opposer. Nous y reviendrons dans la discussion.

Mon intervention a montré dans quel état d'esprit nous abordons cette discussion. Nous nous opposerons à la logique de ce texte et avancerons d'autres pistes de réflexion et des propositions qui, en ces temps d'échéances régionales et cantonales, peuvent rassembler celles et ceux qui veulent être parties prenantes d'une véritable démocratie de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

Mme la présidente. Cet après-midi, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1218, relatif aux responsabilités locales :

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1435) ;

M. Dominique Tian, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1434) ;

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 1423) ;

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 1432).

A vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 25 février 2004, à zéro heure cinquante.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot