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Deuxième séance du mardi 13 avril 2004

194e séance de la session ordinaire 2003-2004


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PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

EDF-GDF

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Ma question s'adresse à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle porte sur le changement de statut d'EDF et de GDF.

Monsieur le ministre, vous avez rencontré ce matin les syndicats des deux entreprises. Vous avez, la semaine dernière, rappelé trois grands principes : évolution des statuts mais pas de privatisation, pas de vente d'actifs, pas de changement de statut pour les personnels.

Il est clair que la France ne peut pas rater cette réforme. Pour cela, celle-ci doit être comprise par les Français : tout en permettant à EDF et GDF d'être, demain, les meilleurs en Europe et de conquérir de nouveaux marchés, elle ne doit pas se faire contre les personnels, dont l'inquiétude est grande, mais avec eux.

Nous savons qu'il y a, sur la table de travail du Gouvernement, des directives à transposer avant le 1er juillet, date de l'ouverture des marchés de l'énergie aux professionnels, ainsi qu'un projet de loi d'orientation et des décisions attendues, notamment sur le nucléaire et sur les énergies renouvelables.

Mes questions sont les suivantes : quelle méthode adopterez-vous pour réussir les réformes, notamment celle du changement de statut d'EDF et de GDF ? Comment s'organiseront le nécessaire dialogue social qui doit accompagner cette réforme et la définition des projets industriels des deux entreprises ? Selon quel calendrier le Parlement débattra-t-il de ces réformes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, Patrick Devedjian et moi-même avons rencontré ce matin l'ensemble des organisations syndicales. Je veux rendre hommage à leur sens des responsabilités. Avec elles, nous avons tenu une longue réunion de travail qui a montré, je crois, que le dialogue social a repris.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas très gentil pour M. Francis Mer !

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Parmi nos propositions, qui sont au nombre de quatre, la première est de donner à la France les moyens d'une grande politique nationale ambitieuse et cohérente de l'énergie. Les rendez-vous sont d'ores et déjà fixés : le 15 avril, débat à l'Assemblée nationale ; début du mois de mai, dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi d'orientation sur l'énergie. A l'intérieur de ce projet seront dessinés les contours du projet industriel ambitieux, nécessaire pour EDF comme pour GDF.

Notre deuxième proposition est de promouvoir une grande politique européenne de l'énergie. La libéralisation des marchés ne peut pas, à elle seule, tenir lieu de politique énergétique. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) La libéralisation des marchés est, certes, nécessaire pour que s'exprime la concurrence - et nos prédécesseurs en ont fait l'expérience -, mais il faut en même temps poser les bases d'une grande politique industrielle qui permette à EDF et à GDF d'être des champions en Europe.

Notre troisième proposition consiste à accompagner le projet industriel d'EDF et de GDF d'un projet social mobilisateur. La richesse d'une entreprise, c'est la qualité des hommes et des femmes qui la composent, des salariés. Nous définirons donc ce projet avec les salariés. Nous avons demandé, M. Devedjian et moi-même, au président de la branche et aux présidents des deux entreprises d'engager dès maintenant des négociations sociales sur tous les sujets.

Enfin, nous proposons un quatrième rendez-vous, dans le courant du mois de juin, avec un projet de loi modifiant l'organisation juridique d'EDF et de GDF et réglant la question des retraites.

M. Jean-Pierre Brard. Après les européennes !

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà les rendez-vous, voilà la méthode. A notre idée, les seuls vainqueurs doivent être EDF et GDF.

M. Jean-Pierre Brard. Et la France !

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Surtout, ces deux grandes entreprises doivent rester à l'abri des querelles politiciennes, de l'immobilisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ce que nous voulons, c'est garantir l'emploi, les missions de service public et l'avenir de ces deux grands champions français et, bientôt, européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

FINANCES PUBLIQUES

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe socialiste.

M. Victorin Lurel. Ma question s'adresse à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'étais en Guadeloupe quand je vous ai entendu, monsieur le ministre, répondre à la question pertinente de notre collègue Didier Migaud, de façon erronée, inutilement agressive et insuffisante. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous revenons donc sur cette lancinante question, car la situation créée par l'inconséquence gouvernementale est détestable. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Après avoir refusé, par deux fois, de répondre précisément dans cet hémicycle à notre demande d'un audit indépendant des finances publiques, vous avez finalement, à la télévision, repoussé, non sans condescendance, cette demande pourtant légitime. Un tel audit, comme l'avait justifié M. Raffarin en son temps à propos de celui réalisé en 2002, permettrait d'éviter toute polémique. Pourquoi ce qui était vrai sous Raffarin I ne le serait-il plus sous Raffarin III ? (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Rappelons que l'audit commandé en 2002 avait chiffré le déficit entre 2,4 % et 2,6 %. Votre prétendue gestion de bon père de famille a fait exploser ce déficit à plus de 4 % du produit intérieur brut à la fin de l'année 2003. (« Eh oui ! » sur les mêmes bancs.)

Vous avez également affirmé qu'un tel audit serait inutile puisque Bruxelles surveille nos comptes. La belle affaire ! Justement, le 7 avril dernier, la Commission européenne s'est déclarée préoccupée par la situation de nos comptes publics, qui afficheraient un déficit de 3,6 % en 2005, soit un chiffre supérieur de plus de 25 % aux prévisions du Gouvernement. Qui a tort ? Qui a raison ? Seul un audit permettrait de le dire. Notre demande est donc réitérée.

Deux autres questions méritent également réponse. Vous affirmez vouloir supprimer ce que vous appelez « les dépenses inutiles ». Cela signifie-t-il que vous allez mettre en œuvre le plan d'austérité d'annulation de 4 milliards d'euros de crédits préparé sous Raffarin II ?

M. René Couanau. C'est n'importe quoi !

M. Victorin Lurel. Si oui, les crédits concernés seront-ils les mêmes qu'en 2003, c'est-à-dire ceux de l'emploi, de la solidarité, du logement, de la recherche et des transports ? Plus généralement, allez-vous poursuivre la même politique fiscale injuste et inefficace de Raffarin II, alors même que, dans vingt-quatre régions sur vingt-six (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), cette politique a été rejetée massivement par les Français, qui ont fait confiance à des projets de gauche, nonobstant la ritournelle de l'héritage invoquée urbi et orbi et contre toute évidence ? (Brouhaha sur les mêmes bancs.)

M. le président. Concluez, Monsieur Lurel.

M. Victorin Lurel. Je vous remercie, monsieur le ministre d'Etat, de répondre précisément à ces trois questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le député, Nicolas Sarkozy vous a déjà répondu...

Mme Martine David. Mal !

M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire. ...et je l'ai dit au Sénat : l'audit n'est pas nécessaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons une connaissance extrêmement précise de nos comptes : nous les avons publiés pour 2003, ils ont été notifiés à la Commission européenne. Les prévisions que nous avons annoncées pour 2004 sont également connues de la Commission européenne et sont sous le contrôle du Parlement. Il n'est pas nécessaire de faire un audit supplémentaire.

A votre deuxième question sur notre intention de procéder à une politique de régulation budgétaire, la réponse est évidemment oui. Le Gouvernement a le devoir de ne pas dépenser un euro de plus que les dépenses autorisées par le Parlement. Pour tenir compte des aléas, des besoins spécifiques et de la conjoncture, il nous faudra procéder à une régulation, comme les lois organiques de 2001 nous y obligent, ce qui est une bonne obligation. Nous en communiquerons toutes les informations à la commission des finances.

Quant à la politique fiscale, elle vise à diminuer les charges indues, à mieux utiliser l'argent des Français. Nous poursuivrons celle que Jean-Pierre Raffarin a initiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains).

PRIX DE L'ACIER

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Rochebloine. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'industrie.

Depuis le début de l'année, l'acier et ses produits dérivés ont connu des hausses de prix successives et brutales jusqu'à atteindre 50 % à ce jour. La raison principale de ce phénomène a une origine internationale, à savoir l'explosion de la demande, en particulier celle de la Chine dont la consommation a augmenté de 45 millions de tonnes en 2003. A titre de comparaison, la France n'en consomme que 20 millions de tonnes par an.

Cette situation pénalise lourdement les entreprises consommatrices d'acier, en particulier dans les domaines de la mécanique, du bâtiment et des travaux publics, qui ont des difficultés pour répercuter ces hausses exceptionnelles sur les commandes en cours. Aussi, de nombreuses entreprises souhaiteraient pouvoir recourir à la théorie de l'imprévision, qui permet l'actualisation des prix, tant dans les marchés publics que privés, et qui répond à la situation que nous connaissons actuellement.

Monsieur le ministre, considérez-vous que les éléments constitutifs de la théorie de l'imprévision sont aujourd'hui réunis pour permettre à toutes ces entreprises d'y avoir recours et ainsi de faire face aux difficultés actuelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le député, la situation est effectivement préoccupante puisque nous devons faire face à une hausse mondiale très importante de l'acier qui, en moyenne de 20 % au début de l'année 2004, atteint 50 % sur certains produits spécialisés tels les ronds à béton.

Dans cette compétition mondiale, la France occupe un rang modeste et n'a que peu de possibilités d'intervention. Nous sommes malgré tout bien placés grâce à Arcelor, excellente entreprise française qui assure 4,9 % de la production mondiale, 12,8 % de la production européenne et qui est pour nous une source de croissance et d'emplois. (« Elle licencie ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

La situation, pour préoccupante qu'elle soit, demande à être relativisée. En moyenne, les prix n'atteignent pas aujourd'hui le niveau de l'année 2000. Par exemple, le prix de la tonne d'acier long est aujourd'hui de 365 euros contre 400 euros en 1992. Les prix sont donc erratiques.

Peut-on recourir à la théorie de l'imprévision ? Sur ce sujet, la jurisprudence du Conseil d'Etat retient deux critères : l'aléa économique - mais peut-on dire que l'imprévision soit de l'imprévoyance ? - et le bouleversement économique du contrat. S'agissant d'une situation mondiale, cet argument me paraît difficile à avancer.

Je tiens cependant à vous assurer que le Gouvernement est très attentif à la situation. Il a saisi la direction générale de la concurrence pour veiller à ce qu'il n'y ait pas d'entente ni de spéculation abusive sur le prix de l'acier. Par ailleurs, nous avons saisi la Fédération française de l'acier et nous comptons saisir l'Organisation mondiale du commerce, à qui il appartient d'assurer l'équilibre du marché mondial. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INTERMITTENTS DU SPECTACLE

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture et de la communication et accessoirement à M. Borloo, ministre de la fracture sociale... pardon, de la cohésion sociale. (Protestations et huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Depuis maintenant neuf mois, les professionnels du spectacle sont mobilisés pour s'opposer aux dispositions du protocole d'accord minoritaire conclu le 26 juin 2003 et validé par le précédent gouvernement en novembre 2003. Aujourd'hui, grossesse, maladie, date anniversaire, ouverture de droits, durée d'indemnisation, rien n'est réglé. Pourtant, le Président de la République a déclaré, au lendemain du 28 mars, que « le nouveau Gouvernement devrait tenir compte du message sorti des urnes » et que « des corrections d'action du Gouvernement sont peut-être nécessaires ».

Autour et avec les intermittents, cette question a mobilisé tous les gens de culture et, bien au-delà, les populations et les élus de tout bord. A l'Assemblée nationale même, une mission d'information sur les métiers du spectacle a été constituée. Un comité de suivi, réunissant des parlementaires issus de tous les rangs de l'Assemblée nationale et du Sénat, les intermittents - syndicats, coordination, y compris syndicats patronaux -, a également été constitué pour suivre ce dossier.

Il faut sortir de l'impasse, par le dialogue, certes, mais cela ne saurait suffire. Il faut des actes. Le comité de suivi a formulé des propositions qui rejoignent celles de la mission parlementaire. Intermittents, parlementaires de tout bord, Mme le maire d'Avignon même, tous sont d'accord pour remettre en cause cet accord en retenant comme base la période de référence de 507 heures de travail sur douze mois, et non plus sur dix mois comme le stipule l'accord UNEDIC, et les modes de calculs à partir de la date anniversaire.

Au-delà de ce qui a déjà été validé par le précédent gouvernement, êtes-vous d'accord, monsieur le ministre, sur cette proposition précise ? Les intermittents et les élus seront très attentifs à votre réponse, à la veille de la journée nationale d'action de lundi prochain et des vacances, pendant lesquelles se dérouleront de nombreux festivals. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, la situation des artistes et des techniciens exerçant leurs talents dans les métiers du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel constitue une préoccupation majeure du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Faisant suite aux orientations définies par le Président de la République, j'ai souhaité, dès ma prise de fonctions, un dialogue nouveau, rapide, ouvert et, je l'espère, fructueux.

M. Yves Durand. C'est gentil pour M. Aillagon !

M. le ministre de la culture et de la communication. J'ai souhaité un dialogue avec les élus : la mission d'information de l'Assemblée nationale, que j'ai reçue dès le lundi 5 avril ; la délégation sénatoriale conduite par M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles du Sénat ; les élus locaux, que je rencontrerai prochainement.

J'ai souhaité un dialogue avec les partenaires sociaux responsables de la gestion de l'UNEDIC, dont j'ai rencontré les dirigeants ce matin. J'ai reçu, vendredi dernier, les représentants de la Fédération du spectacle de la CFDT ainsi que le comité de suivi composé de la CGT- spectacle, de la Coordination des intermittents, de Sud-Culture, de la Société des réalisateurs français, du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles - le SYNDEAC - et des employeurs de l'audiovisuel. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.) Je tiens à saluer la présence à cette réunion constructive de l'ancien ministre Jack Ralite, d'Etienne Pinte et de Patrick Bloche. J'estime en effet nécessaire, sur un enjeu de cette nature, que tout le monde se rassemble et que personne ne jette d'huile sur le feu.

Dans cet esprit de concertation, j'ai décidé de maintenir la date et l'ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil national des professions du spectacle, étape nécessaire de ce dialogue nouveau.

J'ai souhaité enfin un dialogue avec les professionnels dans le cadre de rencontres informelles de terrain que j'ai commencées ce week-end. C'est dans cet état d'esprit que je me rendrai, samedi prochain, en Avignon, en étroite concertation avec ma collègue Marie-Josée Roig. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Il importe aujourd'hui de redonner confiance à tous. Le Gouvernement sera, bien évidemment, actif et présent et ne fuira pas ses responsabilités vis-à-vis de la création et des pratiques culturelles françaises.

Comme l'a très clairement affirmé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, la culture constitue un lien dans un monde de violence. Nous devons tous promouvoir, à travers elle, les valeurs de liberté, de respect et de pluralisme. (Brouhaha sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure, je vous prie.

M. le ministre de la culture et de la communication. J'arrive à ma conclusion, monsieur le président.

Soyez assuré, monsieur le député, que, au terme de ce dialogue, en rien dilatoire, viendra le temps des propositions constructives. Votre question me donne l'occasion, par-delà la représentation nationale, d'assurer à tous les artistes et à tous les techniciens qui participent au rayonnement culturel de notre pays, du plus modeste au plus célèbre d'entre eux, que le Gouvernement est conscient des spécificités de leurs métiers et sera particulièrement attentif à leurs conditions de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

INSERTION

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe UMP.

M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, sur tous ces bancs, nombre d'élus se sont engagés à faciliter, à développer et à concrétiser l'insertion des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Les formes d'insertion, chacun le reconnaît, peuvent être très diverses. Le revenu minimum d'activité en entreprise peut, en complément, jouer un rôle clé pour un retour durable à l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française . - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Et il croit ça, lui !

M. Pierre Méhaignerie. Ceux qui ont l'expérience de l'insertion sur le terrain ...

M. Henri Emmanuelli. Nous, nous l'avons !

M. Pierre Méhaignerie. ...savent les difficultés et le temps d'encadrement nécessaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Alors, de grâce, arrêtons de caricaturer les entreprises. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La difficulté sera plutôt de trouver des entreprises qui acceptent ce rôle d'insertion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Le porte-parole du parti socialiste a récemment déclaré que les conseils généraux présidés par les socialistes n'appliqueront pas le revenu minimum d'activité. (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

D'où mes deux questions. Que pense le Gouvernement de ce refus d'appliquer une loi de la République ? De quels moyens disposeront ceux d'entre nous qui ont déjà engagé des contacts tant avec les bénéficiaires du RMI qu'avec les entreprises pour appliquer ce qui peut être une chance de nouveau départ pour beaucoup d'hommes et de femmes de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le président Méhaignerie,...

M. Henri Emmanuelli. M. Méhaignerie a perdu le conseil général d'Ille-et-Vilaine !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, vous n'avez pas la parole !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...en plus des chômeurs indemnisés par le régime UNEDIC, il y a 1,7 million de personnes qui sont loin, très loin, de l'emploi : 1,180 million de Rmistes, 360 000 bénéficiaires de l'ASS, 240 000 jeunes sans emploi identifiés, auxquels il faut ajouter tous ceux qui ne le sont pas et qui sont passés au travers des mailles du filet des statistiques.

Depuis des années, face à cette situation, hélas durable, quantité de dispositifs ont été inventés. Il y a eu plusieurs générations : les TUC, les CES, les CEC, les CEV, les CIE,... Ces contrats d'aide accueillent en permanence 500 000 personnes qui ne sont pas comptabilisées dans le 1,7 million que j'évoquais.

François Fillon a enrichi cette palette des contrats jeunes en entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Déjà 175 000 ont été signés et peut-être leur nombre atteindra-t-il 250 000 d'ici à la fin de l'année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Il y a eu 300 000 emplois-jeunes !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Devant la gravité de la situation, François Fillon a décidé...

M. François Hollande. De partir !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...d'activer le « I » de RMI, si difficile à mettre en oeuvre, en le transformant en un « A ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

A chaque génération, les dispositifs proposés ont toujours été critiqués par les uns comme par les autres. Mais, pour imparfaits qu'ils fussent, ils ont tous été utiles pour les bénéficiaires. La réalité d'aujourd'hui peut se résumer en trois points : les dispositifs sont en nombre insuffisant - il n'y a pas assez de partenaires - et ils ne sont pas assez qualifiants pour permettre des sorties vers le haut.

M. Maxime Gremetz. C'est un mensonge !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Ce sera l'objet du programme de cohésion sociale.

Cela étant, sachez, monsieur le président Méhaignerie, que, dans la pratique, le Gouvernement soutiendra toutes les initiatives d'insertion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Il n'a pas répondu à la question !

IRAK

M. le président. La parole est à M. René André, pour le groupe UMP.

M. René André. Monsieur le Premier ministre, ces derniers jours marquent un tournant à bien des égards dramatique dans le conflit irakien. Comment ne pas évoquer ici les trop nombreuses victimes civiles et le sort des malheureux otages ?

Le tournant auquel nous assistons confirme, s'il en était besoin, le bien-fondé de la position de la France exprimée avant même le conflit par le Président de la République, Jacques Chirac, et le Gouvernement. Il est marqué par l'évolution de la campagne militaire des coalisés, qui, après avoir visé à « écraser les terroristes », paraît aujourd'hui être à la recherche d'un processus politique. Il est également attesté par un changement de vocabulaire. Les Etats-Unis, au plus haut niveau, évoquent désormais des négociations, parlent de cessez-le-feu et admettent l'existence d'une crise profonde. Il se ressent, enfin, jusque dans l'attitude de certains membres de la coalition.

Il est de la responsabilité de la France de continuer à faire entendre la voix de la raison et d'inciter les acteurs de la communauté internationale à rechercher une solution politique acceptable par l'ensemble du peuple irakien, qui reste la première victime de ce conflit. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous indiquer à l'Assemblée nationale comment la France perçoit l'évolution de la situation en Irak et quelles initiatives vous envisagez de prendre pour endiguer cette crise dont on peut craindre qu'elle ne contribue à alimenter le terrorisme international et à déstabiliser encore un peu plus l'ensemble du Moyen-Orient ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, je partage votre extrême préoccupation sur la situation irakienne et sur ses conséquences en Irak, dans la région et dans le monde. Les événements évoluent comme le Président de la République, votre assemblée et l'ensemble du pays l'avaient craint depuis le début de la crise.

La dégradation de la situation est aujourd'hui particulièrement sensible sur le terrain avec deux faits nouveaux : le nombre important de morts civils dans les différents affrontements et le développement des prises d'otages, qui est particulièrement préoccupant et aggrave la tension internationale.

Quelle que soit l'issue de ces événements, ils nous posent deux questions principales : la première concerne l'évolution du processus politique en cours et la seconde le rôle de la concertation de la communauté internationale en général et des Nations Unies en particulier.

En ce qui concerne le processus politique, je tiens à réaffirmer ici les propos du Président de la République. Nous souhaitons ardemment le retour au calme et à la sécurité et nous appuyons l'appel du CICR pour que l'aide humanitaire d'urgence puisse être acheminée sans retard dans les villes frappées par les affrontements. Nous condamnons de la manière la plus ferme toutes les formes d'affrontements et, notamment, la nouvelle méthode de guerre consistant en la prise d'otages en Irak.

Notre pays entend participer à la recherche d'un processus durable de solution. Le ministre des affaires étrangères, M. Michel Barnier, recevait ce matin même le représentant français à Bagdad pour faire le point avec lui sur les quatre objectifs de notre pays dans cette affaire : premièrement, la reconstruction politique et économique de l'Irak - et vous savez combien ce dossier est difficile -, deuxièmement, le retour à la souveraineté de l'Irak - c'est pour nous une condition essentielle à toute solution de la crise -, troisièmement, la défense de l'intégrité territoriale et, quatrièmement, la préservation de l'unité du pays. Nous l'affirmons : dans ce type de crise, c'est par le processus politique qu'une solution durable pourra être trouvée.

Nous développons ainsi une pression internationale.

M. François Loncle. Vous ne faites rien !

M. le Premier ministre. Les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne se retrouveront à la fin de la semaine pour faire une proposition européenne à la communauté internationale.

Selon nous, il faut d'abord avoir une approche nationale et rassembler en Irak toutes les forces politiques prêtes à participer à un gouvernement intérimaire. La solution du conflit passe par cet accord national. Dans cette optique, la dimension régionale est très importante : il est essentiel que l'Irak bénéficie de tout le soutien des pays de la région. L'ensemble des forces qui veulent participer à la reconstruction de l'Irak doivent également être assurées d'un appui politique, et surtout économique, avec le concours de la communauté internationale et, au premier rang, de l'ONU.

Pour nous, la concertation internationale est, bien évidemment, une condition indispensable. Les propositions de la France n'ont pas changé d'un iota. C'est selon les principes que nous avons indiqués qu'une solution pourra être trouvée.

Cependant, face à la difficile situation d'aujourd'hui, je demande à tous les ressortissants français qui se trouvent en Irak de bien vouloir rentrer et je demande à tous ceux qui prévoyaient un déplacement en Irak dans les prochains jours de bien vouloir le reporter.

M. François Loncle. C'est affligeant !

M. le Premier ministre. Il s'agit d'appliquer le principe de précaution et de prudence.

M. François Loncle. C'est de la lâcheté !

M. le Premier ministre. Telle est la position de la France vis-à-vis de ses ressortissants.

M. François Loncle. C'est lamentable !

M. le Premier ministre. Je crois que l'on ne peut pas traiter ce sujet avec légèreté.

La France s'est engagée pour la paix en Irak. Elle l'a toujours été et elle le restera. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Loncle. C'est de la lâcheté !

M. le président. Monsieur Loncle, je vous prie d'éviter tout commentaire !

POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste.

M. Gaëtan Gorce. Nous avons été stupéfaits, sur les bancs du groupe socialiste, de la réponse de M. Borloo, qui n'est pas un « ministre du jour » et qui semble découvrir le bilan social calamiteux laissé par deux années de gouvernement Raffarin I puis Raffarin II. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

L'héritage qu'il évoque, monsieur le Premier ministre, provient de votre précédent gouvernement... C'est l'héritage que vous vous êtes légué à vous-même. Vous êtes contraint de reprendre le passif social, qui se chiffre en dizaines de milliers d'emplois perdus et de chômeurs en plus.

M. Patrick Lemasle. Il a raison !

M. Gaëtan Gorce. Si vous avez été sanctionné lors des élections régionales et cantonales, ce n'est pas, comme vous le dites, parce que les Français n'ont pas compris votre politique. C'est au contraire parce qu'ils l'ont trop bien comprise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils ont condamné une politique injuste socialement et, de plus, inefficace économiquement.

Comment justifiez-vous la diminution et la suspension des protections des salariés, lorsque l'insécurité économique augmentait ?

Comment justifiez-vous la réduction des moyens consacrés à la politique de l'emploi, lorsque le chômage augmentait ?

Comment justifiez-vous - ce qui est plus grave - la réduction des droits des chômeurs, au moment même où le travail se faisait plus rare ?

Comment justifiez-vous la réduction des moyens consacrés aux CES, aux CEC, aux programmes TRACE et aux chômeurs de longue durée, au moment précis où les difficultés de l'ensemble de ces catégories les plus modestes s'aggravaient ?

Comment pouvez-vous justifier une telle politique ?

Allez-vous poursuivre dans cette voie ? Allez-vous augmenter les moyens consacrés à la politique de l'emploi ?

Comment allez-vous faire face aux contraintes, sans cesse rappelées par votre ministre de l'économie et des finances ?

Allez-vous revenir sur les dispositions du projet de loi préparé par M. Fillon qui prévoient de sanctionner plus encore les chômeurs, alors que le fait de trouver un travail est devenu aujourd'hui un parcours du combattant, compte tenu de votre politique ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Allez-vous revenir sur le projet d'ordonnance qui prévoit de simplifier le code du travail contre l'avis des partenaires sociaux et qui reprend les dispositions les plus contestées du rapport de Virville ?

Monsieur le Premier ministre, allez-vous affirmer devant cette assemblée que la leçon que vous avez tirée des dernières élections régionales n'est autre que la poursuite de la réduction des droits et des protections des salariés ?

M. le président. Monsieur Gorce, vous avez certainement une question à poser...

M. Gaëtan Gorce. Ou allez-vous reconnaître les erreurs ... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Gorce, posez votre question !

M. Gaëtan Gorce. Ou bien, disais-je, allez-vous reconnaître, monsieur le Premier ministre, les erreurs commises par votre précédent gouvernement, votre précédent ministre du travail , sans doute « à l'insu de votre plein gré » ? (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Gorce, avant que nous n'évoquions quelques-uns des points qui ont parsemé votre intervention, peut-être serait-il bon de procéder à une analyse de l'emploi aujourd'hui.

L'emploi salarié, au cours du quatrième trimestre 2003, s'est légèrement redressé : 22 000 emplois dans le secteur marchand. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Le taux de chômage, depuis l'été dernier, s'est stabilisé. Il est revenu en janvier 2004 à 9,6 %. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est encore trop, bien entendu !

La reprise commence à se faire sentir. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, auriez-vous l'amabilité d'écouter M. le ministre ? Une question a été posée. Ecoutez au moins la réponse !

Poursuivez, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué aux relations du travail. La reprise économique est présente. La dernière note de conjoncture de l'INSEE nous fait espérer 2 % de reprise annuelle.

M. François Lamy. Comment y croire ?

M. le ministre délégué aux relations du travail. Signe positif : le nombre d'offres d'emplois à l'ANPE est, depuis deux mois, en voie de redressement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur Gorce, vous m'avez interrogé sur l'allocation de solidarité spécifique. Conformément à la demande du Président de la République, la mise en œuvre de la réforme de l'ASS a été suspendue. Je l'ai annoncé aux directeurs régionaux du travail la semaine passée.

La politique que nous conduisons se situe naturellement autour du dialogue social (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) et de la responsabilité donnée aux partenaires sociaux. C'est en ce sens que nous poursuivrons notre travail.

Je voudrais rappeler les propos que M. Borloo a tenus il y a quelques minutes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La cohésion sociale concerne toute la République. Il ne s'agit pas de nous lancer au visage des statistiques, mais de faire œuvre de cohésion pour l'ensemble de la République et de travailler pour ceux qui, depuis longtemps, se situent hors de tous les chiffres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

AUGMENTATION DU SMIC

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Roubaud, pour le groupe UMP.

M. Jean-Marc Roubaud. M. le Président de la République a fixé comme priorité au Gouvernement : la croissance et l'emploi.

Les pistes pour ce grand objectif national sont nombreuses. Beaucoup d'entre elles, d'ailleurs, ont fait l'objet de mesures gouvernementales : celles en faveur de l'investissement, de la production ou celles destinées à encourager les entreprises. Car ce sont bel et bien ces dernières qui investissent et créent des emplois. L'emploi public est un échec, chacun le sait ici.

Il faut, monsieur le ministre délégué aux relations du travail, aller plus loin. Afin d'accompagner le retour de la croissance, le Gouvernement doit , de manière équilibrée, donner la priorité à l'activité et soutenir le pouvoir d'achat des Français.

Lors de son discours de politique générale, M. le Premier ministre a confirmé sa volonté de soutenir le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

De plus, il est temps, dans notre pays, que le travail soit récompensé. D'ailleurs, M. le Premier ministre a indiqué que le SMIC horaire serait augmenté en 2004 et en 2005.

Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, le montant de cette hausse et le calendrier retenu ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Roubaud, la loi du 17 janvier 2003 a prévu la convergence par le haut des multiples SMIC, occasion de marquer qu'il s'agissait de rattraper des inégalités générées par la mise en place des 35 heures. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

La loi n'avait alors rien prévu en ce qui concerne les modalités. Il s'agit d'aligner l'ensemble des rémunérations minimales correspondant à la durée légale du travail.

M. Henri Emmanuelli. C'est faux !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Cette remise en ordre vise à rétablir le principe « à travail égal salaire égal » (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste) et à donner un signal clair d'encouragement à près d'un million de salariés dans notre pays.

Cette convergence est progressive - M. le Premier ministre l'a rappelé. Pour le 1er juillet 2003, c'est fait ; rendez-vous donc au 1er juillet 2004. La revalorisation sera constituée de l'évolution annuelle de l'indice des prix et d'un coup de pouce propre à chacun des minima. Sur trois ans, la croissance du SMIC sera de 11,40 %. Un tel effort n'a jamais été réalisé sur le salaire minimum. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

RÉFORME DU DIVORCE

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Hugon, pour le groupe UMP.

M. Jean-Yves Hugon. Monsieur le garde des sceaux, dans quelques minutes notre assemblée va procéder à l'examen de projet de loi relatif au divorce.

Je tiens à vous remercier d'avoir pris en compte ce problème douloureux qui touche un très grand nombre de nos concitoyens. Cette réforme, dont l'adoption dépassera, je l'espère, toutes nos divergences, devra être à la hauteur de l'attente des Français.

L'enjeu de ce texte est d'éliminer les déséquilibres actuels et de tenter de pacifier, autant que faire se peut, la séparation, en simplifiant les procédures et en gardant présent à l'esprit que l'intérêt principal reste celui des enfants.

En présentant, monsieur le ministre, votre projet de loi devant le Sénat, vous avez souligné la nécessité d'adapter le droit de la famille « à la montée de l'individualisme, au développement du travail féminin et aux nouvelles formes de vie conjugale ».

Pouvez-vous nous rappeler, monsieur le garde des sceaux, quelles devront être les principales contributions de cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Hugon, le texte que vous allez examiner dans quelques minutes est le résultat d'une très large concertation avec les professionnels du droit et les associations représentant les familles de France.

Le projet de loi essaie de répondre à une double exigence : d'une part, tenir compte bien sûr de l'évolution des modes de vie, des choix de vie diversifiés que font nos concitoyennes et nos concitoyens ; d'autre part, rappeler le principe de responsabilité, en particulier à l'égard des enfants, que doivent conserver tous les pères et toutes les mères quelles que soient les vicissitudes de leur vie personnelle.

Ce texte est très concret et il apporte un certain nombre de réponses immédiates, en termes de simplification, comme vous l'avez évoqué.

D'abord, il s'agit de permettre, par exemple par le divorce par conciliation, d'aller plus rapidement et d'apaiser les conflits familiaux , en ne laissant pas perdurer la situation de crise dans laquelle se trouve le couple.

Ensuite, il s'agit de faciliter la liquidation du régime matrimonial, toujours dans le même esprit, afin de ne pas faire durer des situations qui sont sources de tensions et ajoutent des crises aux crises.

Il s'agit également d'assouplir les règles de droit applicables en matière de prestation compensatoire. Nous avons tous été saisis des difficultés de mise en œuvre des textes précédents. Le projet de loi que vous examinerez cet après-midi apporte un certain nombre d'améliorations, afin d'apaiser, là encore, les situations de conflit.

Enfin, je voudrais souligner le renforcement du rôle de la médiation familiale. Après M. Christian Jacob, Mme Roig souhaite, tout comme moi, que les médiateurs familiaux puissent jouer un rôle plus important afin d'aider les familles à assumer cette période difficile. D'ores et déjà, des moyens supplémentaires sont accordés aux associations chargées des médiations pour leur permettre d'humaniser ces situations douloureuses pour tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Alain Claeys, pour le groupe socialiste.

M. Alain Claeys. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

A l'occasion de sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre a annoncé que le projet de réforme de l'assurance maladie serait discuté à l'été. Vous engagez aujourd'hui, monsieur le ministre, une série de discussions avec les partenaires sociaux. M. le président de l'Assemblée nationale a de son côté proposé ce matin à tous les groupes la création d'une mission d'information sur ce sujet.

M. Jean-Claude Perez. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Très bonne proposition, comme d'habitude !

M. Alain Claeys. Le Parlement est le lieu naturel du débat politique. Cela dit, si nous voulons que ce débat soit clair et transparent pour tous nos concitoyens, plusieurs conditions doivent être réunies.

Première condition : la mission d'information doit être utile et préfigurer une commission spéciale chargée d'examiner le projet du Gouvernement. Sinon, elle ne reviendrait qu'à refaire le travail du Haut conseil de l'assurance maladie. Aussi, monsieur le ministre, le Gouvernement doit-il présenter sans attendre ses orientations et ses choix devant la mission parlementaire. Il est clair pour nous que ceux-ci devront respecter les grands principes auxquels nous sommes attachés : un haut niveau de prise en charge des soins, l'égalité et la qualité dans l'accès aux soins et un financement solidaire.

Deuxième condition, le projet du Gouvernement doit traiter simultanément de tous les aspects de la question, qu'il s'agisse de l'organisation du système de santé, de sa gouvernance, de son financement. Aussi apparaît-il absurde que notre assemblée examine dès le 4 mai le projet de loi relatif à l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Monsieur le ministre, mes questions sont simples et je souhaiterais, pour la représentation nationale comme pour nos concitoyens, que vous y apportiez des réponses précises. Pouvez-vous indiquer à cette assemblée le calendrier précis de votre projet ?

M. Maxime Gremetz. Il peut et il va le faire !

M. Alain Claeys. Pouvez-vous vous engager devant nous à faire en sorte que votre projet de loi aborde en même temps cet été tous les aspects de la réforme de l'assurance maladie, à savoir les questions d'organisation du système de santé, de gouvernance et de financement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur le député, au moment où nous parlons, le déficit de l'assurance maladie se creuse de 23 000 euros par minute.

M. Jean-Claude Perez. La faute à qui ?

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. C'est cela, la vérité. Et c'est la raison pour laquelle nous devons nous fixer trois impératifs qui reprennent la question que vous posez.

Premièrement, il faut améliorer la gestion du système de santé. Quelle organisation, quelle gestion, quel pilotage ? C'est la raison pour laquelle, avec M. Xavier Bertrand, nous avons commencé dès ce matin à recevoir tous les partenaires sociaux et nous continuerons durant toute la semaine.

Deuxièmement, il nous faut apprendre à mieux dépenser. Mieux dépenser, vous le savez comme moi, monsieur Claeys, c'est possible ; cela s'appelle la régulation médicalisée des dépenses d'assurance maladie. Cela doit se faire avec les professionnels de la santé et non contre eux.

Mme Martine David. C'est ce qu'on attend depuis deux ans !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Troisièmement, et c'est un élément majeur, il nous faudra tous ici prendre nos responsabilités pour définir les meilleures voies de sauvetage financier du système d'assurance maladie...

M. Maxime Gremetz. Et les financements !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. C'est la mission que m'a confiée le Premier ministre, c'est la mission que m'a confiée le Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Quant au calendrier, il sera parfaitement défini dès l'instant où nous aurons vu les partenaires sociaux.

M. Yves Durand. Et alors ?

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Parce que pour nous, contrairement à vous, le dialogue social, cela veut dire quelque chose ! (« Zéro ! zéro ! » et exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PRISE EN CHARGE SANITAIRE ET SOCIALE
DES PERSONNES ÂGÉES

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour le groupe UMP.

Mme Arlette Grosskost. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué aux personnes âgées et porte sur les dispositions à prendre pour assurer la prise en charge sanitaire et sociale des personnes âgées.

Après les tragiques événements qui se sont déroulés durant l'été 2003 et qui ont tristement révélé la solitude et l'isolement des personnes âgées, les associations - dans le Haut-Rhin notamment - d'aide aux personnes âgées se sont fortement mobilisées afin de promouvoir des solutions propres à éviter qu'une telle situation ne se reproduise. Elles se sont d'ores et déjà employées à réfléchir à la construction de systèmes d'accompagnement de qualité au bénéfice des personnes âgées.

Malheureusement, force est de constater que, faute d'une anticipation sérieuse au cours des dernières décennies, les besoins se révèlent criants, notamment pour ce qui touche aux indispensables soins infirmiers à domicile et au nombre de places dans les structures d'accueil spécialisées. De plus en plus d'inquiétudes s'expriment non seulement sur la mise en œuvre, déjà souvent évoquée, de l'allocation personnalisée d'autonomie, mais également sur l'aide à domicile et surtout sur le financement qu'il y a lieu de mettre en place dès à présent pour répondre aux multiples besoins liés à la dépendance. Le respect et l'assistance que nous devons à nos aînés nous obligent à plus de solidarité et supposent un effort collectif, autrement dit partagé par tous les Français.

La réflexion sur la mise en place de la nouvelle branche de protection sociale, qui couvrira désormais le risque dépendance, est une avancée positive. Toutefois, monsieur le ministre, dans l'attente de la mise en place effective de cette mesure, pourriez-vous nous éclairer sur les solutions immédiates envisagées pour répondre à cette problématique plus que sensible ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux personnes âgées.

M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées. Madame la députée, nous avons, à travers le plan « vieillissement solidarité », dégagé des moyens exceptionnels pour accompagner la prise en charge des personnes âgées, à domicile et en établissement : 470 millions d'euros pour la médicalisation, 300 millions d'ores et déjà notifiés - dès le mois de janvier 2004 -, ce qui nous permettra de signer plus de 2 000 conventions tripartites pour améliorer l'accueil des personnes âgées en maison de retraite et de créer de bonnes conditions de maintien à domicile, grâce notamment à 17 000 places de soins infirmiers à domicile.

M. Jean-Claude Perez. On l'a déjà voté, cela !

M. le ministre délégué aux personnes âgées. Plus d'accueil de jour, plus d'accueil temporaire, de la médicalisation, de la climatisation, un système de veille et d'alerte...

Mme Martine Billard. Quand ?

M. le ministre délégué aux personnes âgées. Le respect de la dignité des personnes âgées est l'affaire de tous. Nous sommes tous mobilisés afin d'être prêts, dès le mois de juin 2004, à affronter une situation qui sera aussi difficile que ce qu'elle a été l'année dernière. A ceci près que, cette année, nous avons dégagé des moyens sans aucune mesure avec tout ce qui avait fait précédemment. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

VIOLENCES À L'ÉGARD DES FEMMES

M. le président. La parole est à Mme Marcelle Ramonet, pour le groupe UMP.

Mme Marcelle Ramonet. Ma question s'adresse à Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Madame la ministre, chaque jour en France, de nombreuses femmes sont encore victimes de violences de toutes sortes, physiques ou morales. Et ce phénomène sévit dans toutes les catégories, toutes les conditions sociales, toutes les origines. L'actualité récente nous le rappelle douloureusement : à Brest, il y a un mois environ, à Belfort, ce week-end encore.

L'enquête nationale sur les violences envers les femmes démontre avec acuité combien l'action de l'Etat est indispensable dans ce domaine, et votre mission irremplaçable pour engager la lutte contre ce fléau.

Madame la ministre, nous allons examiner cet après-midi le projet de loi relatif au divorce, adopté en première lecture par le Sénat. Son article 22 prévoit d'ores et déjà l'éloignement du conjoint violent du domicile conjugal. Cette mesure, que vous aviez vous-même souhaitée, permettra de protéger les épouses et les enfants. Au-delà, le combat est encore long pour que partout notre devise nationale vaille aussi pour toutes nos concitoyennes : liberté pour les femmes, égalité y compris pour les femmes, fraternité au profit des femmes, cela devrait aller de soi.

Madame la ministre, votre action est déjà considérable. Mais que pouvez-vous faire pour éclairer les consciences et mieux les imprégner de nos valeurs d'humanisme, du principe de l'égalité en droit et en dignité pour tous, pour garantir la reconnaissance de la place des femmes, le respect et l'intégrité de leur personne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Oui, madame la députée, toute violence est illégitime, quelle qu'en soit la forme, quelle qu'en soit la nature, quel qu'en soit le lieu d'expression. L'exemple que vous avez cité à Brest, celui que j'ai vécu ce matin même à Belfort, de cette jeune femme turque victime d'atroces sévices de la part de sa propre famille, prouvent, s'il en était besoin, que la société est dans son rôle lorsqu'elle répond à la violence. Ils démontrent également que nous avons raison de nous mobiliser - tous ensemble, je l'espère - contre toutes les formes d'atteintes à la liberté, à l'égalité, à la dignité et à l'intégrité des femmes, face à toutes les pratiques contraires à l'esprit et aux valeurs de notre République.

Quels sont les moyens d'agir ? Le premier, c'est évidemment la loi. Je vous remercie d'avoir fait référence à cette novation juridique qui permettra d'inverser la logique que nous connaissions dans le passé, où l'errance venait s'ajouter à la souffrance. L'éviction du conjoint violent permettra désormais de placer chacun devant ses responsabilités : le fautif devant les conséquences de sa faute, la victime devant son droit.

Nous avons un deuxième moyen de réagir : les réseaux associatifs et les services de l'Etat - police, justice, gendarmerie - qui, grâce au formidable effort de sensibilisation engagé depuis deux ans, sont devenus très actifs et très efficaces sur ces questions.

Troisième moyen de réponse : l'école, évidemment, qui, plus que jamais, et particulièrement pour les jeunes femmes issues de l'immigration, doit rester le lieu d'apprentissage du savoir, de l'émancipation et de la responsabilité.

La situation de ces jeunes femmes des quartiers, que vous avez évoquée, représente un défi pour toute la collectivité. Nous devons leur assurer l'égalité des chances, l'accès au droit et à la citoyenneté qu'elles souhaitent. Cela passe par un accompagnement, une information appropriée. Je connais à cet égard votre implication, madame la députée, et je tiens à vous en remercier. Il est de la responsabilité de tous de progresser vers une société de droit, d'égalité, de respect de la personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

DIVORCE

Discussion d'un projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, relatif au divorce (nos 1338, 1513).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, vous examinez aujourd'hui le projet de loi relatif au divorce, adopté par le Sénat le 8 janvier dernier. A cet égard, l'attente de nos concitoyens est forte. La réflexion engagée en France sur le droit de la famille a largement mobilisé sociologues et praticiens. En effet, la famille est devenue le lieu des attentes les plus vives et parfois les plus contradictoires.

Dans un monde complexe, elle est plus que jamais perçue comme un refuge où s'affirment la force des liens et le devoir de solidarité entre les générations.

Mais, parallèlement, les bouleversements économiques et sociaux ont profondément modifié la représentation de la famille. Celle-ci n'est plus cette entité dominée par un chef ayant autorité sur ses membres, telle que le code civil l'envisageait il y a deux siècles.

Avec l'affirmation croissante des droits individuels, des principes d'égalité et de liberté, elle est devenue un lieu de conciliation, de concertation et de coopération dans lequel chacun doit pouvoir s'épanouir.

Cette évolution ne peut qu'être saluée en ce qu'elle donne aux liens du mariage une intensité et une authenticité nouvelles. Mais elle est aussi, incontestablement, un facteur de fragilisation.

Dans ce contexte, la fonction du droit a changé. Au cœur des tensions qui affectent notre société, il lui revient la mission difficile d'énoncer les principes auxquels elle est fondamentalement attachée.

Le législateur, depuis 1804, ne s'y est pas trompé en conservant intacts les principes généraux qui gouvernent le mariage et ses effets. A ce titre, sa dissolution ne saurait être une affaire purement privée.

Le droit, particulièrement dans ce domaine sensible, a le devoir de garantir le respect des engagements, de protéger contre les risques d'arbitraire, de faire prévaloir une éthique de responsabilité. Mais il lui faut également tenir compte de la singularité des parcours individuels et s'ouvrir à leur diversité.

Face à la multiplicité des séparations et des recompositions familiales, le droit doit aménager les effets personnels et sociaux de la rupture, accompagner les transitions, favoriser le maintien des liens parents-enfants.

Répondre au mieux, dans ces situations de crise, au besoin de justice des époux et des familles, dans le respect de leurs choix individuels, tel est l'enjeu qui doit aujourd'hui guider l'action du législateur.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement a entendu aborder la question du divorce, en l'inscrivant dans une démarche plus large d'adaptation du droit de la famille.

Je pense en particulier à la réforme du droit de la filiation, à celle des régimes de protection des majeurs ou encore à la refonte du droit des successions et des libéralités.

Sur l'ensemble de ces sujets, directement en prise avec la vie quotidienne des familles, le Gouvernement a souhaité engager une large concertation.

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui, en est l'illustration. Il est, en effet, pour l'essentiel, le fruit de la réflexion menée par un groupe de travail mis en place fin 2002, associant des universitaires, des praticiens et de nombreux parlementaires.

L'accueil très favorable réservé à ce projet, dont beaucoup ont souligné le caractère consensuel, témoigne de la justesse de la méthode retenue. L'ensemble des travaux s'appuie principalement sur trois constats.

Tout d'abord, la pluralité des cas de divorce, voulue par le législateur de 1975, n'a pas donné les résultats attendus : il faut en être conscient.

Si le divorce sur requête conjointe recouvre à lui seul près de la moitié des procédures, le divorce demandé et accepté n'en concerne que 13 %.

De même, la procédure pour faute représente toujours environ 40 % des cas, alors que le divorce pour rupture de la vie commune est totalement délaissé, avec 1,3 % des affaires.

Ce décalage entre le dispositif juridique en vigueur et les attentes des couples n'est pas sans conséquence.

En effet, et c'est là le deuxième fait marquant, les procédures apparaissent fréquemment comme un facteur aggravant du conflit. Le recours à la faute est souvent jugé artificiel, commandé par les besoins de la procédure, voire l'intérêt financier.

Les effets destructeurs pour les adultes, engagés malgré eux dans des querelles stériles, mais surtout pour l'équilibre des enfants, témoins impuissants de ces conflits, sont à juste titre dénoncés.

Enfin, les procédures de divorce sont globalement jugées longues, complexes et peu propices à l'implication des personnes.

Face à ces critiques, le projet s'articule autour de trois axes que je développerai successivement.

Tout d'abord, notre législation du divorce doit être empreinte de pragmatisme et s'adapter aux réalités conjugales.

Ensuite, elle doit favoriser un meilleur accompagnement des époux dans cette phase de transition.

Et enfin, elle doit enfin mieux garantir les équilibres fondamentaux entre les parties.

S'agissant d'abord de l'adaptation du droit du divorce aux réalités conjugales, la question des cas d'ouverture du divorce revêt, naturellement, une importance particulière. A travers elle, dans l'histoire, se sont cristallisées les passions. Le débat est aujourd'hui plus apaisé, mais appelle encore des choix fondamentaux. Ainsi, le prononcé du divorce hors l'office du juge a été écarté. Consacrant une conception purement contractuelle du mariage, une telle évolution ne me paraît pas, dans son principe, acceptable.

En outre, l'intervention du juge constitue incontestablement une garantie indispensable à la protection des époux.

De même, là où certains prônent la suppression du divorce pour faute, je me suis clairement prononcé en faveur de son maintien.

M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !

M. le garde des sceaux. Les devoirs et obligations du mariage font en effet partie inhérente de l'engagement des époux.

Leur violation grave affecte donc les fondements mêmes de l'union conjugale, conférant à la procédure pour faute toute sa justification.

Il m'apparaît, en outre, essentiel de préserver une pluralité de cas de divorce qui, seule permet de répondre à des réalités conjugales diverses.

Deux types de situations sont à distinguer selon que le principe de la séparation fait ou non l'objet d'un accord.

En cas d'accord amiable des époux sur le principe de la séparation, notre législation doit mieux prendre compte la volonté des conjoints.

Dans le divorce par consentement mutuel, une procédure simplifiée sera proposée. Celle-ci suppose que les parties et leurs conseils aient établi, avant la requête, une convention concernant l'ensemble des mesures qu'elles entendent mettre en œuvre.

La comparution des époux devant le juge permet ensuite de vérifier la pleine liberté de leur consentement et la pertinence de ces accords. Dès lors, rien ne justifie que le prononcé du divorce soit différé.

Toutefois, le juge, dans sa mission essentielle de garant de la liberté des parties et de l'équilibre de la convention, doit garder un réel pouvoir d'appréciation. Aussi le projet prévoit-il expressément, en cas de refus d'homologation de la convention, l'organisation d'une seconde comparution.

Lorsque l'accord des époux porte seulement sur le principe de la séparation, à l'exclusion de ses conséquences, le recours au divorce accepté doit être facilité.

L'esprit de ce divorce, conditionné par le législateur de 1975 à l'aveu réciproque de faits rendant intolérable le maintien de la vie commune, sera profondément modifié. Cette référence implicite à la faute est en effet inadaptée.

Désormais, le fondement unique de ce cas de divorce doit être l'accord des époux, sans que le juge n'ait à connaître des causes intimes de leur décision.

Il importe, en outre, que cet accord puisse intervenir à tout moment de la procédure - c'est un point très important - afin d'offrir aux parties toute la souplesse nécessaire.

Fort de ces innovations, je souhaite que ce cas de divorce soit à l'avenir un facteur réel de pacification des conflits.

En cas de désaccord sur le principe du divorce ou sa cause et lorsque le principe d'un divorce amiable n'emporte pas l'adhésion des époux, deux procédures s'offrent à eux, auxquelles le projet entend redonner leur juste place.

Le divorce pour faute constitue la réponse adaptée aux comportements les plus graves ou irresponsables d'un époux. La place de ce cas de divorce dans notre dispositif doit être redéfinie.

Chacun s'accorde pour regretter une utilisation abusive de cette procédure, notamment dans les cas où le divorce trouve en réalité sa cause dans une dégradation des relations conjugales, qu'il est difficile d'imputer à l'un seul des époux. Aussi, les conséquences du divorce doivent faire l'objet d'un traitement indépendant de sa cause.

Le droit à prestation compensatoire sera à l'avenir fondé sur des éléments essentiellement économiques, et non plus sur le partage des torts. Le sort des donations deviendra, de même, totalement indépendant de ceux-ci.

Mais recentrer le divorce pour faute sur les situations les plus graves suppose aussi qu'une véritable alternative à cette procédure soit proposée.

Tel est l'objectif poursuivi par le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui se substituera à la procédure pour rupture de la vie commune.

Les conditions de ce nouveau cas recouvrent deux situations distinctes.

Il résultera tout d'abord de la cessation de la communauté de vie pendant les deux années précédant l'assignation en divorce.

Le mode de calcul de ce délai a été opportunément simplifié par le Sénat, en supprimant la distinction selon que la séparation est intervenue avant ou après le dépôt de la requête.

Votre commission propose un amendement visant à clarifier la notion de cessation de la communauté de vie par une référence expresse à la séparation des époux. Cette proposition, en parfaite cohérence avec l'esprit du texte, mérite d'être approuvée.

Ce divorce sera également prononcé à la demande d'un époux lorsque la demande principale pour faute de son conjoint aura été rejetée. Cette disposition novatrice permettra à l'époux défendeur à une procédure contentieuse de choisir une voie plus apaisée.

Mais, au-delà de l'aménagement des cas de divorce, le projet tend à mieux accompagner les époux tout au long du processus judiciaire.

Il s'agit, d'une part, de favoriser le dialogue entre les époux et, d'autre part, de simplifier les dispositions processuelles pour les adapter à leurs attentes.

Enfin, un souci d'efficacité des procédures est manifesté par un traitement plus complet des conséquences, notamment patrimoniales, du divorce.

Il est essentiel que les époux ne se sentent pas exclus du processus judiciaire et d'encourager le dialogue et la négociation. Le Sénat a approuvé cette démarche en saluant les mesures en faveur de la médiation familiale. Celle-ci peut être en effet l'occasion pour les époux de bâtir un avenir plus serein, notamment pour les enfants, en préservant la place des parents dans le respect des droits et devoirs de chacun.

A cet égard, la volonté du Gouvernement de promouvoir une médiation de qualité a abouti, vous le savez, à la création d'un diplôme de médiateur, garantissant aux intervenants une formation pluridisciplinaire.

Par ailleurs, les associations bénéficieront d'une aide financière accrue. A titre d'illustration, le budget qui leur est consacré par mon ministère est cette année en augmentation de 65 % par rapport à 2003.

Le deuxième objectif visé par le projet est la simplification de la procédure. Indépendamment de l'allégement du divorce par consentement mutuel, deux points méritent d'être relevés.

D'une part, le projet institue un tronc commun de procédure qui permettra aux époux de saisir le juge sans avoir à indiquer le fondement juridique de leur demande. En effet, l'enjeu à ce stade n'est pas de définir la cause du divorce ou les responsabilités de l'un ou de l'autre dans la séparation. Il est, au contraire, de faciliter l'accès au juge afin que des mesures provisoires puissent être rapidement prises pour organiser la vie des époux et des enfants, tout en ménageant les chances de rapprochement des parties.

D'autre part, le projet institue un mécanisme simplifié pour prendre en compte les accords des parties. Ceux-ci pourront, dans tous les cas de divorce - il convient de le souligner -, être soumis à l'homologation du juge, dont la mission sera de veiller à ce que les intérêts particuliers de chaque époux et des enfants soient préservés.

Il s'agit aussi de traiter l'ensemble des conséquences de la séparation. Mieux accompagner les époux, c'est aussi faire en sorte que le traitement des conséquences de la séparation soit le plus efficace possible.

Cette exigence vise tout particulièrement la liquidation du régime matrimonial, rarement réglée lors du jugement. Or cette question se révèle source de contentieux très complexes. On ne peut, en outre, ignorer ses incidences, dans le cadre du divorce lui-même, sur la prestation compensatoire. Des dispositions sont donc introduites, visant à favoriser une meilleure connaissance du patrimoine des époux et de leurs intentions quant au partage des biens.

D'autres mesures sont prévues pour inciter au règlement anticipé de la liquidation.

D'abord, la possibilité de désigner un notaire dès le stade de la conciliation a été intégrée dans la liste des mesures provisoires que le juge peut prendre, même d'office, lors de la tentative de conciliation. A la demande du Sénat, la mission de ce professionnel comprendra non seulement l'élaboration d'un projet de liquidation, mais également la formation des lots à partager.

Ensuite, lorsque la liquidation ne portera pas sur des biens soumis à publicité foncière, l'acte notarié ne sera plus obligatoire. Elle pourra, dès lors, être préparée, pendant la procédure de divorce, par les avocats constitués.

Enfin, l'encadrement des délais de règlement de la liquidation après divorce permettra d'accélérer les opérations et d'éviter l'aggravation des difficultés résultant du temps passé sur cette question.

Le troisième et dernier axe du projet concerne l'indispensable vigilance qui doit être portée à la protection des intérêts de l'époux fragilisé.

Trois séries de dispositions visent à garantir cette protection et l'équilibre entre tous les intérêts en présence. Elles ont trait à la protection due aux victimes de violences conjugales, à la réparation des préjudices éventuellement subis et au traitement des conséquences économiques du divorce.

S'agissant de la protection du conjoint, vous le savez, et Mme Ameline le rappelait tout à l'heure en répondant à une question d'actualité, le Gouvernement s'est engagé avec détermination à lutter contre les violences conjugales.

Le ministère de la justice y prend sa part en mobilisant tous les acteurs concernés, médecins, policiers, magistrats et associations, afin d'améliorer les dispositifs de prévention et de traitement. Ces travaux aboutiront avant fin juin à une charte des bonnes pratiques qui sera diffusée sur l'ensemble du territoire national.

Des dispositions particulières sont également prévues par le projet. Il s'agit de la possibilité de saisir le juge, en amont de toute demande en divorce, pour que soit organisée la séparation du couple, la victime bénéficiant d'un droit préférentiel en faveur du maintien au domicile conjugal.

Votre commission a approuvé ces propositions et suggère de donner expressément au juge la faculté de statuer dans la même décision sur la contribution aux charges du mariage et d'exclure l'application de certaines dispositions relatives à l'expulsion, inadaptées à la situation. Je pense en particulier aux restrictions prévues pendant la période hivernale.

Ces précisions permettront de compléter le dispositif en lui assurant sa pleine efficacité.

S'agissant de la réparation des préjudices, on ne saurait occulter que les comportements d'un époux ou le fait même du divorce peuvent s'avérer traumatisants. Afin que le principe de responsabilité soit pleinement affirmé, ces préjudices doivent être reconnus et financièrement réparés.

La loi prévoit deux types de mesures : la réparation des préjudices causés par une faute, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, et la réparation du préjudice causé par le prononcé du divorce au profit d'un époux dont le conjoint supporte les torts exclusifs de la séparation ou lorsque le divorce est prononcé pour altération définitive du lien conjugal.

Dans cette dernière hypothèse, j'approuve l'amendement proposé par votre commission qui vise à limiter l'octroi de dommages et intérêts à l'époux qui n'a formé aucune demande en divorce et se voit donc imposer la séparation contre sa volonté.

Le traitement des conséquences économiques du divorce est naturellement un élément important de la réforme, au croisement d'intérêts éminemment contradictoires.

En effet, si le projet qui vous est soumis n'a pas entendu modifier les principes mis en œuvre par la loi du 30 juin 2000 qui visait notamment à réaffirmer le principe du règlement en capital de la prestation compensatoire, il contient néanmoins plusieurs innovations importantes. Quelles seront à l'avenir les principales dispositions en la matière ?

Ainsi que je l'ai déjà indiqué, le droit à cette prestation ne dépendra plus de la répartition des torts entre les époux. En outre, dans un souci d'harmonisation, la prestation compensatoire sera désormais applicable dans tous les cas de divorce.

Afin de protéger les intérêts du créancier le plus fragilisé sur le plan économique, soit en raison de son âge, soit du fait de son état de santé, les conditions d'octroi d'une rente viagère resteront identiques à celles fixées par le législateur en 2000. Votre commission propose à ce sujet de revenir à la rédaction actuelle du texte, en supprimant la condition tenant à l'absence d'amélioration de la situation financière du créancier.

Un autre cas de révision sera prévu pour les rentes allouées sous l'empire de la loi du 11 juillet 1975, dont l'ancienneté justifie un traitement spécifique. Il concernera l'hypothèse où le maintien de la rente procurerait un avantage manifestement excessif au créancier, au regard des nouveaux critères posés par la loi. Il s'ajoutera à la révision des prestations compensatoires en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties.

Enfin, des dispositions nouvelles seront instituées concernant le devenir de la prestation en cas de décès du débiteur. Bien entendu, le créancier ne saurait voir ses droits remis en cause par le seul fait du décès. Mais, parallèlement, la situation des héritiers, tenus de régler des années durant la rente sur leurs deniers personnels, est régulièrement dénoncée.

Le Gouvernement a eu à cœur de rechercher une solution équilibrée. Au décès, un capital sera, après déduction des pensions de réversion, substitué à la rente et prélevé sur l'actif successoral, dans les limites de celui-ci.

Dans le souci de maintenir une grande souplesse au dispositif, les héritiers auront toutefois la possibilité de maintenir la prestation sous la forme initiale. Dans ce cas, et pendant toute la durée de versement de la prestation, les héritiers se verront reconnaître le droit de demander sa révision dans les conditions de droit commun.

Votre commission proposant opportunément d'y ajouter la possibilité de solliciter la substitution d'un capital à la rente, je lui ai communiqué, comme je m'y étais engagé, l'avant-projet de décret en Conseil d'Etat auquel il est renvoyé pour fixer les modalités de cette substitution

II répond au souci d'établir une réelle équivalence entre le capital et la rente afin que les droits de chacun soient pleinement préservés. Les paramètres retenus dépendent d'éléments objectifs qui ont permis d'établir des projets de tables de conversion, au maniement très simple. J'y reviendrai plus en détail si vous le souhaitez, au cours des débats.

Je souhaite néanmoins d'ores et déjà souligner que les travaux effectués ont confirmé le bien-fondé des modifications suggérées par le Sénat. J'indique également que je me prononcerai en faveur de l'amendement de coordination proposé par votre commission sur ces différents points.

Avant de conclure, j'ajouterai que des travaux ont pu être parallèlement menés avec le ministère de l'économie et des finances afin que le dispositif relatif à la prestation compensatoire soit accompagné des adaptations nécessaires au plan fiscal. Je m'en réjouis, car les propositions qui vous seront faites dans ce domaine constituent des avancées significatives, en parfaite cohérence avec les objectifs de la réforme.

Elles concernent l'harmonisation du régime de taxation de la prestation compensatoire en capital quelles que soient l'origine du bien et l'extension de la réduction d'impôts lorsque la prestation est allouée sous forme d'affectation d'un bien immeuble ou meuble ou en cas de conversion de la rente en capital du vivant des parties.

Au terme de mon propos, je saluerai l'exceptionnelle qualité des travaux qui ont été conduits par votre commission sous l'impulsion de son rapporteur, Patrick Delnatte, et de son président, Pascal Clément. Ils ont permis d'apporter des améliorations réelles au texte du Gouvernement, dans le respect des orientations et des grands équilibres de la réforme qui nous avait été suggérée par la concertation à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.

Je suis convaincu que cette réforme marquera une étape décisive autant que nécessaire dans l'histoire de notre droit.

« L'esprit de modération doit être celui du législateur » rappelait Montesquieu dans L'Esprit des lois. Cette injonction revêt à mon sens une particulière acuité lorsqu'il s'agit de pénétrer l'intimité, parfois douloureuse, des familles.

Je crois pouvoir dire que cet esprit a animé tous les acteurs qui ont contribué à l'élaboration de ce projet.

Imprégné par les évolutions majeures qui ont marqué notre société, il est profondément ancré dans les valeurs qui la fondent.

Il est surtout porteur d'espoir pour tous ceux qui souhaitent des procédures plus responsables, respectueuses de la dignité des couples et soucieuses de l'avenir des enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la famille et de l'enfance.

Mme Marie-Josée Roig, ministre de la famille et de l'enfance. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la réforme du droit de la famille que Dominique Perben et mon prédécesseur, Christian Jacob, ont entreprise s'inscrit dans la volonté politique de doter notre pays d'une législation mieux adaptée aux attentes et aux besoins de nos concitoyens.

La famille constitue d'abord le cadre juridique de l'engagement et de la solidarité entre époux et le modèle social de l'apprentissage des enfants. Il m'apparaît indispensable de rappeler ici l'attachement des Français, dont près de 25 millions sont mariés, à cette grande institution républicaine qu'est le mariage.

Mais la famille, qui symbolise aujourd'hui plus que jamais cette aspiration à l'épanouissement, a perdu en longévité ce qu'elle a gagné en intensité. L'engagement mutuel pour un projet de vie n'a jamais été davantage souhaité mais le nombre de divorces - environ 115 000 par an - traduit la vulnérabilité de la cellule familiale, donc la nécessité de procédures de séparation pacifiées.

Dès lors, le divorce doit être considéré non pas comme la sanction d'une union qui ne peut se poursuivre, mais, autant que possible, comme un moment de dialogue, de respect mutuel entre époux, destiné à préserver les intérêts des tiers, notamment des enfants.

C'est la conclusion à laquelle a clairement abouti le groupe de travail mis en place en décembre 2002 par le ministre de la justice et le ministre délégué à la famille, qui a associé parlementaires, professionnels du droit de la famille et l'ensemble du mouvement familial, dans une réflexion de grande qualité.

Comme vient de le rappeler M. le garde des sceaux, le Gouvernement a souhaité moderniser notre législation sur le divorce en simplifiant des procédures encore trop longues et complexes et en privilégiant une démarche de responsabilité des époux plutôt qu'une logique d'affrontement.

Je ne reviendrai donc pas sur l'ensemble des développements qui viennent de vous être exposés et j'orienterai mon propos, mesdames, messieurs les députés, sur deux objectifs plus particuliers de ce projet de loi en matière de protection des liens familiaux, à savoir adapter les procédures de divorce à la diversité des situations familiales et privilégier une approche pacifiée de la séparation de nature à favoriser une recomposition familiale ultérieure, notamment au travers de la médiation familiale.

Premier objectif : adapter les procédures de divorce à la diversité des situations familiales.

Aujourd'hui, le divorce concerne sans distinction les couples de tous âges, de toutes conditions sociales, avec ou sans enfants. La décision de divorcer elle-même est prise soit par les deux époux en même temps, soit à l'initiative de l'un d'eux.

Quant aux procédures, elles sont entamées dans des circonstances elles-mêmes très diverses. Certaines sont déclenchées en pleine situation de crise alors que d'autres régularisent une longue séparation de fait.

En 1975, le législateur a instauré le divorce sur requête conjointe pour tenir compte précisément de la volonté simultanément exprimée des époux de mettre fin à leur union. Mais, près de trente ans plus tard, force est de constater que les trois cas de divorce figurant dans notre droit - consentement mutuel, rupture de la vie commune et faute - ne suffisent plus à répondre à des situations conjugales qui n'ont cessé de se diversifier.

Avec le projet de loi qui vous est soumis, coexisteront quatre cas de divorce : le consentement mutuel, l'acceptation du principe de la rupture du mariage, l'altération définitive du lien conjugal, la faute.

Le divorce par consentement mutuel, procédure créée en 1975 et utilisée dans la moitié des procédures de divorce, est ainsi sécurisé et simplifié, qu'il s'agisse de demande conjointe des époux ou de demande présentée par l'un d'eux. Sécurisé, car il appartiendra au juge de s'assurer de la volonté claire et du consentement libre et éclairé des époux pour homologuer la convention de séparation. Simplifié, parce que le juge, face à des époux parfaitement consentants, pourra, sans être tenu d'attendre un délai minimal, homologuer la convention définitive de séparation réglant la totalité des dispositions relatives à la dissolution du régime matrimonial.

Le Gouvernement a surtout voulu favoriser le comportement constructif et responsable des époux, même en amont du consentement global sur les modalités de séparation. Pour ce faire, il a créé la notion d'accord amiable des époux sur le principe de la séparation.

Il ne s'agit nullement ici de faciliter le divorce, mais, aujourd'hui, les époux qui souhaitent divorcer n'ont le choix qu'entre la procédure de consentement mutuel ou le divorce pour faute qui conduit le conjoint en désaccord à créer une situation de crise fondée sur des accusations d'ailleurs pas toujours avérées. Il faut éviter que des procédures inadaptées ou artificiellement conflictuelles ne transforment alors le divorce en instrument de déstabilisation des parents et de leurs enfants.

Le troisième cas de divorce est le divorce pour altération définitive du lien conjugal, qui remplace le divorce pour rupture de la vie commune - procédure qui est restée marginale, compte tenu des conditions particulièrement strictes imposées à l'époux demandeur. Il s'agit ici de prendre acte du fait que les caractéristiques d'une vie commune ont cessé et de ramener de six ans à deux ans, ce qui n'est pas négligeable, le délai de séparation nécessaire avant l'assignation en divorce.

En tout état de cause, je veux insister sur le fait qu'il s'agit d'adapter notre droit à la pluralité des situations humaines, et non de nous engager dans une logique de banalisation du divorce. Ainsi, le Gouvernement n'a pas souhaité, tout comme le groupe de travail sur la réforme du droit de la famille, supprimer le divorce pour faute, qui doit continuer à s'appliquer pour les cas de violation grave des devoirs du mariage.

Autant il est inutile de recourir au divorce pour faute dans les cas qui ne le justifient pas, autant le divorce pour faute doit être maintenu dès lors qu'il est porté atteinte aux droits fondamentaux du conjoint ou des enfants, qu'il s'agisse de violences conjugales ou de tous autres sévices dont se rendrait coupable le conjoint à l'origine de la demande de divorce.

Deuxième objectif : privilégier une approche pacifiée de la séparation de nature à favoriser une recomposition familiale ultérieure.

Eviter d'entrer dans une logique de l'affrontement pour sortir du mariage et engager, au contraire, les époux dans une démarche de responsabilité, y compris après que les liens du mariage ont été supprimés, tel est l'état d'esprit auquel ce projet de loi veut conduire les couples engagés dans une procédure de divorce.

Le projet de loi comporte, à cet égard, deux novations importantes. D'une part, l'instauration d'un tronc commun de procédure. En généralisant la requête introductive non motivée, les époux peuvent se présenter à l'audience de conciliation sans avoir figé la procédure de manière définitive ni énoncé un quelconque grief. D'autre part, l'introduction de la médiation familiale dans le divorce, dans les mêmes termes que pour l'autorité parentale. Le juge peut alors proposer aux époux, avec leur accord et dans le cadre des mesures provisoires, une mesure de médiation ou leur demander de participer à une simple séance d'information sur la médiation.

On exonère ainsi la procédure d'une logique d'affrontement qui est, comme nous l'avons déjà dit, forcément préjudiciable aux tiers, notamment aux enfants et aux proches des époux.

Dans ce moment crucial de la procédure où il faut le plus souvent organiser l'éclatement de la famille tout en protégeant psychologiquement et matériellement ses membres, la qualité des échanges est essentielle et il s'agit de faciliter la recherche d'un accord entre les parties.

Pour parvenir au règlement consensuel de la rupture du mariage, j'attache beaucoup d'importance à la médiation familiale comme instrument de construction ou de reconstruction du lien familial.

La médiation familiale permet, en effet, de renforcer l'autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture grâce à l'intervention d'un tiers impartial.

Consacrée par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, elle s'est aussi développée en dehors de toute procédure judiciaire grâce à l'action des caisses d'allocations familiales qui ont compris combien les familles pouvaient être aidées par elle.

Afin de développer sur l'ensemble du territoire une médiation familiale de qualité, il est indispensable de professionnaliser cette technique ainsi que l'ont préconisé tant le Conseil national consultatif de la médiation familiale que le groupe de travail préparatoire à la conférence de la famille de 2003 « Services à la famille et soutien à la parentalité ».

A cet égard, je veux rappeler l'action que le Gouvernement a déjà entreprise en la matière, notamment avec la création du diplôme d'Etat de médiateur familial qui a fait l'objet du décret du 2 décembre 2003 et de l'arrêté du 12 février 2004. Désormais, le diplôme existe et les centres de formation agréés vont pouvoir assurer cette formation spécialisée.

Je veux aussi rappeler l'augmentation considérable de l'effort financier du ministère de la famille, du ministère de la justice et des caisses d'allocations familiales.

Les dotations du ministère de la famille sont passées de 1,5 million d'euros en 2002 à 2,6 millions d'euros en 2004, celles du ministère de la justice de 0,5 million d'euros en 2002 à 1,9 million en 2004. Celles des caisses d'allocations familiales, maintenues à 3,5 millions d'euros depuis plusieurs années, ont atteint 8,4 millions d'euros en 2004. Cet effort considérable, qui s'ajoute à la participation financière des familles, devra être poursuivi.

Vous l'aurez compris, mesdames, messieurs les députés, l'objectif du Gouvernement est en réalité d'apporter à la procédure de séparation des époux rien moins qu'un supplément d'humanité. Si le divorce est nécessairement un échec, il est essentiel que ce moment, matériellement et moralement difficile, soit atténué par des procédures pertinentes qui favorisent la restauration du dialogue et la préservation des liens entre les parents et les enfants.

En choisissant de pacifier le divorce, vous ne le banaliserez pas. Vous donnerez, au contraire, à la famille une deuxième chance pour se recomposer de façon harmonieuse. Tous ensemble, nous éviterons ainsi que, pour les époux, le conflit ne s'ajoute à l'épreuve et que, pour les enfants, l'affrontement des parents ne s'ajoute au chagrin de les voir séparés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Patrick Delnatte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, si je devais me faire le porte-parole de toutes les personnes auditionnées par la commission des lois, je vous rapporterais leur attente affichée et insistante d'une réforme nécessaire qui s'avère plutôt bien accueillie, même si certains points font encore légitimement débat.

Légiférer sur le divorce doit répondre à une double exigence : garder les principes qui guident le droit de la famille et adapter le droit aux mutations de notre société. Si la désunion relève d'une histoire entre un homme et une femme dont il convient de respecter l'intimité, le droit du divorce a, quant à lui, une dimension collective.

Cette période difficile de la vie, que traversent chaque année 120 000 couples, est souvent pour eux la première confrontation au monde de la justice. Nous devons donc redoubler de vigilance afin de ne pas ajouter aux souffrances du moment des obstacles juridiques pénibles.

Sous la précédente législature, les rapports remarqués de Mmes Irène Théry et Françoise Dekeuwer-Défossez ont pointé les inadaptations de la législation actuelle. Notaires et avocats ont également apporté leurs contributions. La proposition de loi de M. Colcombet, examinée en octobre 2001 puis remaniée par le Sénat, la loi du 30 juin 2000 relative aux prestations compensatoires avaient fait également avancer la réflexion.

Un groupe de travail mis en place à l'initiative du Gouvernement a permis de compléter l'ensemble de ces travaux pour aboutir à ce projet de loi qui finalise enfin la réforme du divorce et remédie à certaines difficultés d'application de la loi relative à la prestation compensatoire.

Le projet de loi que vous nous présentez modernise l'architecture du droit du divorce sans pour autant réviser l'ensemble du droit de la famille, la dernière loi sur l'autorité parentale de 2002 étant trop récente pour être pleinement évaluée.

Toutefois, j'ai écouté les témoignages de situations de souffrance qui subsistent tant dans le domaine de la garde des enfants, en particulier pour les pères, que pour l'exécution des créances de pension alimentaire. Je pense très sincèrement, monsieur le ministre, qu'il nous faudra retravailler ces questions liées à l'autorité parentale.

Je rappellerai d'abord les principes qui inspirent le projet que nous étudions et je présenterai ensuite le travail accompli par la commission des lois.

Au regard des évolutions actuelles du corps social, trois nécessités se dégagent : le besoin de simplifier des procédures mal comprises par les conjoints divorçant, la pacification d'un moment de vie douloureux et la responsabilisation des conjoints dans leurs décisions en favorisant leurs accords.

Premièrement, la simplification.

La proposition de loi Colcombet montrait que le Parlement était bien conscient de la simplification du droit qu'il fallait opérer en matière de divorce.

Les procédures sont longues, coûteuses, et faute de pouvoir être utilisées à bon escient, elles sont souvent détournées de leur sens par les parties qui veulent en tirer un avantage personnel.

Le projet de loi établit quatre procédures de divorce, toutes simplifiées.

Parce que le juge doit contrôler les conséquences du divorce - aucune partie ne doit être lésée -, il n'est pas possible de « déjudiciariser » le divorce. Mais la procédure de divorce par consentement mutuel est simplifiée pour éviter des prolongations judiciaires et des coûts trop élevés. Lors d'une comparution unique, le juge prononcera le divorce après s'être assuré du consentement des époux et homologuera la convention si elle préserve efficacement les intérêts des conjoints et des enfants.

Les trois divorces contentieux que sont le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et le divorce pour faute sont eux aussi simplifiés par l'instauration d'un tronc procédural commun. Celui-ci doit permettre d'apaiser les relations entre époux, notamment en vue d'organiser la vie familiale avant même que le divorce ne soit prononcé.

Sans que simplification signifie facilitation, les procédures doivent, autant qu'il se peut, pacifier l'échec du couple et surtout ne pas envenimer les relations entre les conjoints. D'où le deuxième principe, la pacification. Le divorce n'est pas un duel dont l'un des conjoints doit sortir vainqueur. Plus les époux s'accorderont sur les conséquences du divorce, mieux la convention sera appliquée. Il y a également les enfants qu'il ne faut pas oublier. Or, un accord entre leurs parents sera mieux à même de les protéger.

Pour amener les parties à cet accord, de nouvelles passerelles sont mises en place. A tout instant, il sera possible de passer à une procédure moins conflictuelle. Dès qu'elle aura été recueillie par le juge, l'acceptation du divorce demandé par l'autre conjoint sera irréversible, même par la voie de l'appel. Enfin, la pacification s'appuiera désormais sur la médiation familiale, « mesure extrêmement positive » comme le signale à juste titre la délégation aux droits des femmes. Le principe est simple : les couples doivent trouver par eux-mêmes des solutions mais une aide peut faciliter leur démarche. La médiation familiale ne sera jamais imposée - sans le consentement des parties, sans un effort de leur part, elle serait vaine - mais les juges auront la possibilité de proposer une rencontre avec des médiateurs familiaux.

Troisième principe, la responsabilisation.

Parce que le mariage est un contrat qui repose sur l'engagement des époux et qu'il constitue un acte essentiel de notre organisation sociale républicaine, le divorce ne saurait être l'occasion de déresponsabiliser les conjoints. C'est pourquoi le divorce pour faute est maintenu. Comme l'expliquait le doyen Carbonnier, « les fautes qui font le divorce dessinent en creux les devoirs qui font le mariage ». Que serait l'institution du mariage, qui apporte une protection voulue et demandée par les époux, si elle n'avait pour corollaire des devoirs délimitant le respect que les conjoints se doivent ? D'ailleurs, en cas de faute grave - et l'on pense évidemment aux violences conjugales dont est aujourd'hui victime une femme sur dix -, il ne serait pas compréhensible de supprimer le divorce pour faute. Conséquence du même principe de responsabilité, les dommages et intérêts répondent au besoin de celui ou celle pour qui le divorce a « des conséquences d'une particulière gravité ». Les dommages et intérêts visent à répondre au préjudice porté au conjoint à qui est imposé le divorce ou qui a subi des fautes intolérables.

Les personnes auditionnées ont émis des propositions dont je me suis fait l'écho en commission. Les parlementaires se sont également exprimés. Il me semble important de présenter les principaux amendements adoptés par la commission, qui tendent à approfondir la logique du projet de loi grâce à des améliorations techniques.

La délégation aux droits des femmes et la commission des lois ont souhaité encadrer le divorce par consentement mutuel pour éviter la dérive vers un divorce prononcé rapidement, ce que certains nommeraient un « divorce à la Las Vegas ». Un délai de réflexion, court mais réel, de trois mois entre la requête et l'audience favoriserait des décisions plus réfléchies sans pour autant empêcher les couples qui le demandent de divorcer.

Par ailleurs, afin de lever toute ambiguïté, un amendement a été voté pour mieux définir le divorce pour altération définitive du lien conjugal. La notion précédemment retenue de « cessation de communauté de vie tant affective que matérielle » présentait le risque d'être interprétée de différentes manières par les juges, leur laissant une marge d'appréciation dans le constat de l'altération du lien conjugal. L'amendement voté se veut plus simple et en continuité avec le droit existant puisqu'il fait référence à la « séparation des époux ».

Le délai de deux ans de séparation est en outre le plus juste compromis pour que la décision soit acceptée par le conjoint victime et qu'il ne s'enferme pas dans une relation qui n'existe plus. Je tiens à souligner la protection dont il a aussi besoin. Les dommages et intérêts permettront de répondre à la situation morale du conjoint victime. La prestation compensatoire s'attache, quant à elle, à sa situation matérielle.

Grande innovation du projet de loi, l'article 22 introduit une procédure, que certains appellent le « référé violence ». Il conduit à un changement de mentalité dans le traitement des violences conjugales. Jusqu'à présent, une seule procédure permettait à l'époux violenté de quitter avec l'autorisation du juge le domicile conjugal. Or, il n'est pas acceptable que ce soit à la victime de chercher un nouveau logement. C'est pourquoi le projet de loi crée parallèlement une seconde procédure qui permettra au juge de contraindre l'époux violent à quitter le domicile.

M. Jean-Marie Geveaux. Très bien !

M. Patrick Delnatte, rapporteur. La commission des lois sera particulièrement attentive à ce que les décrets d'application mentionnent bien le caractère contradictoire de cette procédure pour qu'elle ne soit pas détournée, comme l'a aussi demandé la délégation aux droits des femmes. La commission a par ailleurs adopté un amendement afin que le juge définisse le plus clairement possible l'organisation de la vie familiale lorsqu'un des époux est expulsé. De plus, elle a précisé que l'expulsion sera ordonnée par le juge aux affaires familiales sans les précautions habituelles afin de protéger avant tout le conjoint violenté : l'expulsion sera immédiate, même en hiver, et le juge ne pourra la reporter. La fermeté est nécessaire pour protéger le plus faible.

Les dispositions liées à la prestation compensatoire ont fait l'objet d'une étude attentive de la commission des lois afin qu'un équilibre pérenne soit trouvé. Malgré des progrès, la réforme de 2000 n'a pas apporté un éventail suffisant de solutions. La jurisprudence, peut-être par manque de précision des textes mais aussi faute de volonté de la part des juges, n'en a pas complètement intégré tous les apports. Le dispositif proposé rééquilibre les relations entre créanciers et débiteurs.

La nouvelle rédaction de l'article 271 du code civil établit une liste claire des critères que les juges devront prendre en compte. La commission a souhaité revoir les critères d'attribution de la prestation compensatoire accordée sous forme de rente viagère. Pour favoriser la continuité avec le droit actuel, la rédaction de la loi du 30 juin 2000 a été reprise sur ce point. Le code gagnera en lisibilité et des contentieux pourront être évités.

La possibilité de combiner un capital et une rente est un progrès à souligner car elle tient davantage compte des situations concrètes. La commission a élargi cette possibilité lors de la substitution d'un capital à une rente viagère. Si la substitution est refusée par le juge, la décision devra être motivée afin d'être mieux comprise par la partie qui en a fait la demande.

Sensible à l'attachement que l'on peut avoir pour certains biens hérités de sa famille, la commission a aussi adopté un amendement qui limite l'abandon de tels biens en pleine propriété au seul cas où l'intéressé y consent.

Enfin, la transmissibilité de la prestation compensatoire aux héritiers est révisée par souci des recompositions familiales. Désormais, la prestation compensatoire sera prélevée sur l'actif successoral, sauf si les héritiers décident d'en assumer la charge. Dans cette dernière éventualité, un capital pourra être substitué à une rente.

Autre sujet sensible lié à la prestation compensatoire, la révision telle qu'elle résulte de la loi de 1975. Nous avons tous été saisis de cette question à laquelle j'ai voulu répondre par la disponibilité et l'écoute tant des débiteurs que des créanciers.

Pour finir, dans un souci de lisibilité pour nos concitoyens et les professions judiciaires, la commission a précisé la date d'entrée en vigueur du projet de loi, le 1er janvier prochain.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour l'excellente collaboration que nous avons eue avec vous-même et les services de la Chancellerie. Je remercie également la délégation aux droits des femmes pour la pertinence de ses recommandations qui doivent trouver une suite positive dans le texte législatif et ses décrets d'application.

En conclusion, ce projet de loi prend en compte les évolutions de la société française sans dévaloriser l'institution du mariage, essentielle dans notre République. Le mariage reste très apprécié des Français. En effet, si huit personnes sur dix vivant en couple sont mariées, c'est bien parce que le mariage offre un élément de stabilité et de continuité auquel toute personne qui veut construire un projet de vie personnel est attachée. En revalorisant le lien conjugal, la société peut accompagner cette demande sociale. Néanmoins, la réalité sociologique est incontournable : il y a 38 divorces pour 100 mariages. Et nous savons que, lorsqu'il y a des enfants, la rupture du lien conjugal déstabilise la relation éducative.

Notre société connaît deux tentations préoccupantes : le repli sur soi et l'attraction pour l'éphémère. Trop de personnes n'arrivent plus à gérer leurs conflits. Y a-t-il une fatalité à cette évolution ? Je ne le crois pas. Comme pour tant d'autres difficultés qui fragilisent notre lien social, la réponse réside dans le contenu et les valeurs que nous donnons à l'éducation des jeunes et au renforcement d'une politique familiale qui aide les parents à faire face aux difficultés de la vie.

Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois demande à l'Assemblée d'adopter ce projet de loi, modifié par les amendements qu'elle a retenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le divorce, devant lequel les hommes et les femmes sont à parité, intéresse au premier chef la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Je remercie M. le président de la commission des lois de l'avoir saisie de ce projet de loi et M. le rapporteur de l'avoir associée à ses travaux.

La parité ne recouvre pas forcément l'égalité pour les femmes. La conquête de l'égalité est le fruit d'une longue évolution : mineure et incapable dans le code civil de 1804, la femme a acquis la capacité civile au XXe siècle, puis la liberté professionnelle, enfin le partage de l'autorité parentale, parallèlement à la conquête de ses droits politiques et sociaux.

Depuis 1975, le divorce, qui a enregistré une progression considérable, est devenu un fait de société majeur, en France comme dans la plupart des pays européens. C'est aussi une réalité humaine, souvent douloureuse pour les époux. Bien que la loi ne puisse pénétrer dans l'intimité des couples, ni porter remède à la souffrance d'une séparation, il incombe au législateur, par des procédures plus justes et plus humaines, d'en atténuer la dureté, afin de faire respecter l'équité, le droit à l'intérieur de la famille, et de pacifier les conflits.

Le régime actuel du divorce, malgré le succès de la procédure de divorce par consentement mutuel, n'a pas entièrement répondu aux attentes des justiciables, dès lors qu'il y a conflit et procédure contentieuse. Le divorce pour faute, qui imposait notamment de prouver par tous les moyens la culpabilité de l'autre époux, a été l'objet de détournements de procédure extrêmement préjudiciables.

La réforme du divorce était devenue urgente et nécessaire. La délégation aux droits des femmes approuve pleinement la réforme proposée, qui modernise les quatre cas de divorce de la loi de 1975 pour les adapter à notre époque, tout en maintenant le divorce pour faute, désormais circonscrit aux cas les plus graves.

Conformément à sa mission, la délégation aux droits des femmes a étudié cette réforme sous l'angle d'une nécessaire équité. Si l'égalité en droit est respectée dans le divorce, est-elle effectivement assurée dans la prise de décision, les procédures et les conséquences du divorce ? Les femmes, en effet, ne sont pas toujours en situation réelle d'égalité face à une séparation.

Davantage impliquées dans le mariage et la vie familiale, dont elles assument les tâches les plus difficiles, elles sont plus sensibles aux échecs, n'hésitant pas, faute de consentement mutuel, à recourir à des procédures longues et difficiles. Ce sont elles, en effet, qui sont majoritairement à l'initiative du divorce pour faute. Au point de vue économique, malgré l'accroissement considérable du taux d'activité des femmes, de fortes inégalités demeurent dans la vie professionnelle, en matière de salaire, de carrière, de niveau des retraites. Au moment du divorce, ces disparités placent les femmes dans une situation plus vulnérable. Il nous a semblé que la loi devrait tenir compte de ce contexte. Aussi la délégation a-t-elle adopté des recommandations, regroupées autour de trois thèmes : l'égalité dans la décision de divorce, l'équité dans ses conséquences, le respect de l'intégrité et de la dignité de l'épouse dans les situations de violence.

S'agissant du divorce par consentement mutuel et de l'égalité dans l'expression de la volonté et du consentement de chacun des époux, la délégation a estimé que la simplification de la procédure par l'institution d'une comparution unique, tout à fait positive, devrait cependant avoir pour corollaire le respect d'un délai minimum de réflexion, afin d'éviter une décision irréfléchie et de permettre éventuellement à l'avocat ou aux avocats de déceler des difficultés imprévues susceptibles de surgir après le divorce.

Un délai de trois mois entre la demande en divorce et la comparution devant le juge permettrait une maturation de la décision de chacun des époux et la finalisation de la convention réglant les conséquences du divorce.

La question de la durée du délai de séparation dans le divorce pour altération définitive du lien conjugal a été longuement débattue. La délégation a estimé raisonnable le délai de deux ans avant l'assignation en divorce, retenu par le Sénat : il tient compte en effet de l'évolution des modes de vie.

La médiation familiale, qui répond à une attente des justiciables et des magistrats devra, pour être efficace, être ouverte à tous et devant toutes les juridictions et bénéficier d'un financement public. La délégation a souhaité que la première rencontre d'information avec un médiateur familial soit gratuite. Elle a estimé, par ailleurs, qu'en cas de violences constatées au sein de la famille, le recours à la médiation familiale n'était pas approprié.

S'agissant de l'attribution de la prestation compensatoire, les épouses d'un certain âge, divorcées après une longue durée de mariage, et n'ayant pas eu d'activité professionnelle, en raison du choix opéré par le couple, n'ont aucune chance d'accéder au marché du travail. Elles ne bénéficient pas de droits personnels à la retraite ; après le versement de la prestation sous forme de capital, échelonné éventuellement sur huit ans, elles risquent de se retrouver sans ressources, dans l'attente d'une hypothétique pension de réversion.

Le juge devra leur prêter une attention particulière et envisager, dans ces conditions, le versement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère, en tenant compte notamment du choix de la vie familiale fait par le couple pendant la vie commune, qui ne se réduit pas à des choix uniquement professionnels. L'attribution de la prestation compensatoire à la fois sous forme de rente et de capital devrait également être facilitée.

Une protection particulière doit être apportée à l'époux victime de violences conjugales avant la procédure de divorce. La délégation a approuvé sans réserve la nouvelle disposition qui permet au juge, en cas de violences, d'attribuer le logement conjugal à l'époux victime et à ses enfants et de prononcer l'éviction du conjoint violent.

Mme Claude Greff. Il était temps !

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Afin que cette disposition ne demeure pas seulement symbolique, la délégation a souhaité qu'elle soit assortie de mesures concrètes d'application : respect de la procédure contradictoire, information du juge des mains courantes, du dépôt de plainte et de la procédure éventuellement engagée au pénal, astreintes financières prononcées contre le conjoint récalcitrant et fixation par le juge des modalités de prise en charge du loyer et de la contribution de l'époux évincé aux charges du ménage.

Mme Claude Greff. Très bien !

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Dans ces situations de violences, les femmes, fragilisées, ont besoin d'un certain temps pour se reprendre, réagir et accomplir les démarches nécessaires. Aussi avons-nous souhaité porter de trois à six mois le délai au terme duquel ces mesures deviennent caduques si une requête en divorce n'a pas été déposée.

La réforme repose sur le respect de la volonté des époux, des accords qu'ils auront conclus et des procédures qu'ils auront choisies. Elle fait aussi le pari que les époux, en désaccord, s'orienteront plus raisonnablement vers le divorce sur demande acceptée ou pour altération définitive du lien conjugal plutôt que vers le divorce pour faute.

Cette réforme porte en germe une évolution, peut-être considérable, des comportements et des procédures. Selon l'avis de la délégation aux droits des femmes, dans un délai de trois ans, une évaluation d'ensemble de l'application de la loi, faite par le ministère de la justice et transmise au Parlement, serait donc tout à fait nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici face à une nouvelle réforme du droit du divorce. Si la précédente, datée du 11 juillet 1975, a déjà presque trente ans, elle n'en a pas moins marqué un tournant important de notre droit : l'introduction du divorce par consentement mutuel reconnaissait pour la première fois l'égalité des conjoints dans la décision de séparation. Si le divorce pour faute a été maintenu, l'adultère, rappelons-le, a été dépénalisé et n'a plus représenté une cause péremptoire de divorce. Enfin, le divorce pour rupture de la vie commune, en dépit de conditions restrictives de mise en œuvre, a marqué la naissance d'un divorce par volonté unilatérale de l'un des époux.

Aujourd'hui, le divorce est devenu un phénomène relativement courant : dans notre pays, un couple sur trois divorce - deux couples sur trois en milieu urbain.

Mme Claude Greff. C'est énorme.

M. Emile Blessig. Il s'agit là d'une évolution sociétale dans la mesure où, si le mariage reste la forme de vie commune la plus fréquente, il n'est plus, et de loin, la forme incontestée et privilégiée de la vie en couple. Les notions de couple et d'épanouissement personnel au sein de l'union l'ont emporté sur celle du mariage, institution et pilier de notre organisation familiale et sociétale.

Dans un tel contexte, si le projet de loi que le Gouvernement nous soumet aujourd'hui est d'apparence modeste, il n'en est pas moins, selon moi, extrêmement utile. Ses trois objectifs de pacification, de simplification et de responsabilisation tiennent compte des évolutions de nos modes de vie sans cependant renier les spécificités du mariage pour ceux qui le choisissent.

Certains ont prétendu que cette loi serait une petite loi puisqu'elle ne supprimerait pas le divorce pour faute ; d'autres qu'elle serait dangereuse dans la mesure où elle introduirait le divorce pour altération définitive du lien conjugal, que d'aucuns n'ont pas hésité à qualifier de divorce-répudiation.

Je l'affirme, mes chers collègues, ces deux observations sont totalement fausses.

Le divorce, c'est incontestable, est de moins en moins considéré comme la sanction d'un manquement à l'une des obligations du mariage. Il est davantage perçu comme la conséquence de l'échec du couple, échec dans lequel il paraît quasi impossible, dans la plupart des cas, de définir la responsabilité effective de chacun des conjoints. Néanmoins, le mariage reste un choix de vie librement contracté qui engage la responsabilité de chaque conjoint. Dans des cas graves, cette responsabilité peut et doit être à l'origine de la réparation d'un préjudice important subi par un conjoint sur les plans physique, matériel ou moral.

Supprimer dans de tels cas la notion de faute équivaudrait à priver purement et simplement la victime de la réparation d'un préjudice établi. En effet, certains ont proposé, afin de réparer le préjudice, la voie pénale ou une voie civile spécifique. Or, nous le savons, de telles démarches seraient plus aléatoires, injustes et, dans la plupart des cas, décourageantes. Il était donc nécessaire de maintenir, dans des cas bien précis, la procédure de divorce pour faute, d'autant plus que les conséquences pécuniaires et patrimoniales liées au prononcé d'un divorce pour faute aux torts exclusifs ont été aménagées pour éviter le recours abusif à une telle procédure.

Il n'est pas vrai que le divorce pour altération définitive du lien conjugal, quant à lui, puisse être qualifié, comme d'aucuns n'ont pas hésité à le faire, de divorce-répudiation. Cette procédure se substitue à l'actuel divorce pour rupture de vie commune. Il sera prononcé dans l'hypothèse d'une cessation de la communauté de vie tant affective que matérielle. La complémentarité de ces deux critères est capitale puisque, d'une part, ils seront vérifiés par le tribunal et que, d'autre part, ils seront accompagnés d'une notion de durée : la séparation devra précéder de deux ans l'introduction de la procédure.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Emile Blessig. Ainsi, contrairement à ce que l'on a pu prétendre, il ne s'agit nullement d'un chèque en blanc donné à l'un ou l'autre des conjoints en cas de célibat géographique, situation que le contexte économique actuel rend de plus en plus fréquente.

En outre, la préoccupation d'équité dans les dispositions concernant la prestation compensatoire, les mesures relatives à la liquidation des intérêts patrimoniaux des conjoints et les dispositions protectrices du conjoint victime de violence démontrent que le projet de loi est avant tout un texte utile. Notre majorité, qui s'en honore, s'efforce d'améliorer la situation des Français, en apportant un mieux qui tienne compte des évolutions sociétales sans pour autant renier le lien conjugal dans notre société. C'est tout à la fois la difficulté et l'ambition de ce texte, que nous soutenons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, institué pour la première fois le 20 septembre 1792, en même temps que le mariage civil, aboli le 8 mai 1816, le divorce a été rétabli dans notre droit et introduit dans le code civil le 27 juillet 1884 - il y aura 120 années dans quelques semaines.

Conçu comme une institution parmi les plus fondamentales de la vie collective, confondant tout à la fois les inspirations judéo-chrétiennes du lien sacramentel, les concepts de la famille légalisée pour structurer l'organisation sociale et les velléités d'un ordre moral régissant voire contraignant la vie privée, le mariage n'était donc pas seulement l'affaire de ceux qui, libres ou contraints, s'y étaient engagés.

La dissolution ne leur appartenait donc pas. La seule perspective ouverte pour y mettre un terme s'exprimait dans la sanction du comportement fautif ou du manquement aux devoirs de l'un des époux, que la justice prononçait à son encontre, si elle considérait devoir le faire et dans le temps même où elle en fixait toutes les conséquences.

Il aura fallu près de quatre-vingt-dix ans pour que soit reconnu, en 1975, le principe que l'intention des époux à l'origine du lien matrimonial puisse aussi commander à son maintien ou à sa rupture.

Rarement, surtout après la Première Guerre mondiale, un tel cadre légal ne s'est, à ce point, ancré dans l'ignorance de la réalité de la vie, voire dans la contradiction avec elle. Personne n'ignore les drames et les malheurs mais également les subterfuges, les contournements et donc les injustices ainsi provoqués.

Pourquoi une telle inadéquation a-t-elle si longtemps perduré ? Crainte de toucher au socle de l'organisation et de la vie collective ? Souci de protéger les épouses juridiquement, financièrement et socialement dépendantes de leurs maris ? Résurgence de la culture terrienne du patrimoine préservé de toute dislocation ? Ou encore volonté de préserver moralement, physiquement et matériellement les enfants de toutes les conséquences résultant des conflits parentaux ? Sans aucun doute, toutes ces raisons ont joué.

Mais comment le nier ? Ce qui a pesé tout autant, c'est l'impossibilité de concevoir que la société pouvait très bien construire ses équilibres et préserver les intérêts de ses membres, notamment des plus fragiles et des plus jeunes, en laissant pour autant les individus libres de leurs choix les plus privés et les plus intimes sans qu'une morale institutionnelle vienne les contraindre.

Si j'ai souhaité rappeler ces éléments que chacun connaît, c'est qu'ils me semblent sous-tendre encore aujourd'hui les interrogations du législateur à l'instant où il entreprend de revisiter la loi du 11 juillet 1975. Celle-ci est venue consacrer le principe selon lequel ceux-là même qui avaient partagé la commune intention de s'unir dans les liens du mariage pouvaient aussi partager l'intention de se désunir, ces deux intentions découlant l'une comme l'autre de leur libre volonté.

Cette réforme, si imparfaite qu'on puisse aujourd'hui la considérer, a heureusement procédé à la remise en cohérence de la nature du lien matrimonial avec ce que sont les femmes et les hommes qu'il concerne.

Beaucoup l'on dit : la rupture du lien matrimonial est toujours un échec. Lorsque s'entrechoquent tous les espoirs déçus des plus ardents sentiments, la remise en cause d'une situation et 1e vertige d'un avenir incertain, la raison ne préside que rarement à la séparation.

Avec la loi nouvelle, l'accord des époux par demande conjointe ou acceptée, tout comme la rupture de la vie commune, est installé à côté du divorce-sanction et ouvre aux époux de nouveaux espaces de choix, afin de pacifier le plus possible ce temps du conflit, de la contradiction des intérêts, et de rendre possible la reconstruction de la vie des ex-époux dans une perspective d'avenir, tout en assurant pleinement la responsabilité des parents à l'égard des enfants.

Il s'est donc agi là d'un bel ouvrage du législateur.

Mais la société change très vite, et les individus avec elle. Il n'y a pas moins d'aspiration au bonheur et à la vie partagée, au confort d'une vie familiale harmonieuse ; mais tout cela s'inscrit dans de nouvelles conceptions, de nouvelles valeurs marquées par l'exigence d'égalité entre l'homme et la femme, par le respect de leur liberté individuelle et de leurs choix, par la vie de couple construite sans contrainte morale ou sociale, par la parentalité décidée et assumée ensemble.

Des attentes ont été formulées pour que soit introduite dans la loi cette nouvelle manière de vivre, qui peut parfaitement s'inscrire dans un nouveau contrat social.

L'autorité parentale conjointe, son exercice alterné, l'égalité de droits des enfants quelle que soit la qualification juridique de leur filiation, les droits des concubins, de l'époux survivant, le PACS enfin, toutes ces dispositions législatives sont venues, parfois imparfaitement et non sans d'abondantes polémiques, répondre à ces attentes et accompagner ces évolutions.

De telles évolutions ont donné au lien du mariage une autre réalité, pas moins honorable, mais différente de celle qui prévalait dans les décennies précédentes. Aussi la loi de 1975, qui n'avait parcouru qu'une partie du chemin, a-t-elle pris un sacré coup de vieux.

Pourquoi les modalités de rupture du lien matrimonial étaient-elles considérées comme trop précautionneuses, trop longues, par les époux partageant une volonté conjointe ?

Pourquoi la révélation des motifs devait-elle accompagner la confirmation des époux acceptant le principe du divorce ?

Pourquoi une rupture de la vie commune ne pouvait-elle être consacrée qu'après six années de séparation et engager la seule responsabilité de celui qui l'invoquait ?

Pourquoi l'allégation d'une faute était-elle la seule issue pour le conjoint que la vie conjugale ne comblait plus ?

Pourquoi la justice devait-elle encore feindre de croire que la responsabilité d'un échec peut être unique et que l'absence de faute supplante la volonté de vivre maritalement ?

Des voix parmi les plus éminentes se sont élevées pour souligner l'exigence impérieuse d'une adaptation. Des juristes, des universitaires, des praticiens - magistrats, avocats, notaires -, des sociologues, ont appelé cette nouvelle étape de leurs vœux.

Je pense, en particulier, à un magistrat, Mme Ganancia, qui réclamait une réforme dans un article paru en avril 1997 dans une revue bien connue des praticiens et intitulé « Pour un divorce du xxie siècle ».

En 2000, la loi tendant à améliorer tout le dispositif relatif aux conséquences pécuniaires et patrimoniales du divorce avait déjà révélé la pertinence d'une nouvelle et forte réécriture du droit du divorce.

En octobre 2001, dans cette assemblée, et en février 2002 au Sénat, une proposition de loi présentée par François Colcombet et ardemment soutenue par le garde des sceaux d'alors, Marylise Lebranchu, consacrait l'abandon du divorce pour faute et ouvrait aux époux soit les chemins du consentement mutuel soit, après une tentative de médiation, le constat par le juge du caractère irrémédiable de la rupture du lien conjugal.

Vous avez repris l'ouvrage, monsieur le garde des sceaux, en faisant vôtre l'objectif de simplification. Vous avez bien évidemment intégré tous ces constats, toutes ces réflexions, toutes ces attentes. Vous inspirant de la proposition de loi, vous allégez certaines procédures, raccourcissez des délais et élargissez les outils de médiation.

Nul ne conteste sur nos bancs votre volonté de dédramatiser le divorce et de pacifier les relations entre les époux. C'est aussi cette volonté qui inspire chacune de nos réflexions et motive chacune de nos critiques.

Mais nous regrettons que vous ne proposiez que des aménagements techniques, dont certains sont pertinents, mais sans commune mesure avec les solutions qu'imposait le constat du gâchis social, affectif, familial, économique et parental que constitue, aujourd'hui plus encore qu'hier, le divorce pour faute.

Vous conservez les quatre possibilités offertes par la loi pour que soit prononcée la rupture du lien matrimonial. Il est singulier que, en dépit de la démarche de simplification dans laquelle vous vous placez, vous n'ayez pas réduit le nombre de ces procédures. La compréhension de celles-ci par les époux ne s'en trouvera pas améliorée. Est-il vraiment inconcevable d'améliorer l'accessibilité de ce que l'on appelle « le droit des gens » ?

Certes, vous simplifiez effectivement le divorce par consentement mutuel, lequel repose aujourd'hui sur l'accord des époux tant sur le principe que sur les conséquences de la séparation. Dans ce cadre, le juge doit vérifier la réalité du consentement des époux, l'équilibre de la convention et la préservation de l'intérêt des enfants. Afin de raccourcir les délais, vous rendez possible le prononcé du divorce en une seule audience. En l'absence d'enfants, de patrimoine et d'intérêts contradictoires, le délai de réflexion qui existait apparaissait inutile : c'est donc, de ce point de vue, une mesure attendue.

Par contre, l'audience unique peut constituer un sérieux handicap si les époux ont mal appréhendé les solutions ou si une difficulté survient. Cette éventualité vous a d'ailleurs conduit à ouvrir la possibilité au juge d'ajourner la décision d'homologation.

L'unicité d'audience impose que l'accord soit bien préparé et que les époux en aient appréhendé toutes les conséquences.

Nous estimons donc que la solution la plus judicieuse est d'imposer à chaque époux la présence d'un avocat. Ainsi sera-t-on assuré qu'ils bénéficient l'un et l'autre d'une réelle prise en charge de leurs intérêts. Cela limitera les ajournements et inscrira la procédure dans une démarche rapide, efficace, réfléchie et sûre.

Par ailleurs, il est selon nous impératif que les époux aient préparé avant l'audience les mesures provisoires qui s'appliqueront pendant la période d'ajournement de l'homologation si le juge décide d'y procéder. L'improvisation de ces mesures provisoires après que le juge aura informé les conjoints de sa décision d'ajourner l'homologation de l'accord et le prononcé du divorce risque d'être source d'incompréhension, de reproches, et donc, inéluctablement, d'altérer l'accord qui avait présidé à l'établissement de la demande conjointe.

Nous avons déposé des amendements qui devraient, dans cette perspective, améliorer l'usage du texte.

En ce qui concerne la procédure du divorce par acceptation du principe de la rupture du mariage, la suppression des mémoires d'aveux est une chose excellente. Puisque nous sommes dans le consentement, il doit suffire que les conjoints le formulent.

Je maintiens en revanche, monsieur le rapporteur, que la proposition d'un tronc commun des requêtes autres que le consentement mutuel soulève une difficulté technique majeure. Celles-ci n'indiqueront pas les motifs du divorce. Or, monsieur le garde des sceaux, vous proposez à l'article 11 du projet une nouvelle rédaction de l'article 253 du code civil selon laquelle, très justement, vous prévoyez que l'acceptation du principe de la rupture du mariage et le prononcé du divorce sur le fondement de l'article 233 n'interviennent que si les époux sont assistés chacun par un avocat. Le défendeur, ignorant que c'est ce type de procédure qui est engagé, ne sera donc pas en mesure de l'accepter dans les formes que la loi prescrit. Il y a là un réel problème.

Faut-il modifier le texte pour imposer l'assistance d'un avocat dès l'audience pour le défendeur à une requête en divorce ? C'est une solution. Une autre, suggérée par un de nos amendements, serait que la requête, sans mentionner les motifs du divorce, en mentionne en revanche le cas, par référence aux articles 233, 237 ou 242 du code civil.

En ce qui concerne l'altération définitive du lien matrimonial, prévue par les articles 237 et 238, il est très judicieux d'avoir réduit de six à deux ans la période de cessation de communauté de vie. La durée de six années était à l'évidence trop longue. De surcroît, en décomptant ce délai à partir du jour de l'assignation, vous réduisez davantage encore la durée exigée.

Au reste, le vrai critère pour déterminer l'altération définitive ne serait-il pas, plutôt que la durée de la cessation de vie commune, la manifestation de la volonté des époux, déduite de leur situation et de leurs agissements ?

Pour réduire les délais et préserver les chances de conciliation, vous créez un tronc commun pour les trois procédures de divorce contentieuses.

C'est une bonne mesure que de préserver le plus longtemps possible les chances d'une solution négociée entre 1es époux. La découverte de griefs dans la requête initiale, même formulée en termes généraux comme c'était souvent le cas, plaçait immédiatement 1e défendeur dans une attitude de défense contentieuse qui ne favorisait guère la modération. Le juge des affaires familiales pourra plus facilement proposer une solution pacifiée dès lors que les velléités contentieuses, pour ainsi dire, n'auront pas été exprimées.

Je laisse à mon collègue Alain Vidalies le soin de formuler notre appréciation sur les conséquences financières du texte.

Si votre projet de loi reprend de nombreuses dispositions de la proposition de loi Colcombet, il manque cruellement d'ambition pour créer un véritable droit au divorce.

L'achèvement de la pacification et de la simplification du divorce passe, en effet, par la suppression du recours au divorce pour faute.

En 2001, comme on l'a rappelé, près de 40 % des divorces, soit plus de 43 000, ont encore été prononcés pour faute. Or, tout le monde aujourd'hui le reconnaît, cette procédure n'est pas justifiée dans la très grande majorité des cas. Elle sacrifie l'organisation de l'avenir à la recherche des responsabilités passées et n'épargne aux époux ni les mensonges ni les humiliations. Surtout, elle mêle aux conflits les enfants, l'entourage, la famille et les amis, c'est-à-dire tous ceux avec qui peuvent se construire d'autres chemins d'avenir.

En 1975, le législateur imaginait que la nouvelle procédure du divorce sur demande acceptée supplanterait progressivement la procédure engagée pour faute. Après trente ans d'application de la loi, force est de constater que cet espoir n'était pas fondé.

Vous auriez donc dû, monsieur le garde des sceaux, saisir l'occasion qui vous était donnée, sinon pour supprimer la notion de divorce pour faute - à titre personnel, je regrette que vous ne l'ayez pas fait -, tout du moins pour resserrer étroitement la définition de la faute et la circonscrire à des actes d'une extrême gravité.

Or vous ne proposez qu'une modification quasi rédactionnelle de l'article 242 du code civil qui la prévoit, ce qui ne provoquera, contrairement aux commentaires que nous avons entendus ces derniers jours, aucun changement dans l'usage de la notion de faute.

M. Emile Blessig. Mais si !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Que peut-on encore entendre par le terme de « faute » aujourd'hui ?

Comme je l'ai souligné, il y a longtemps que le mariage n'est plus une institution sociale, un état obligé pour s'intégrer dans la société et y tenir sa place, y être reconnu.

Le mariage ne peut plus être un cadre rigide, devant absorber la vie des individus. Le mariage est aujourd'hui la traduction juridique d'un choix partagé. Et il y a d'autres formes de vie en couple.

Dès lors, comment justifier que l'institution judiciaire vienne retenir certains comportements pour caractériser des manquements à ce choix partagé, alors que ceux-ci ne peuvent relever que de l'intimité des époux ? Quel sens donner à cette immixtion ?

Chaque mot, chaque geste, chaque attitude, chaque erreur, chaque faiblesse sont transformés, façonnés pour construire la faute. Souvent, le dossier est constitué patiemment, mois après mois, parfois même au fil des années, dans la dissimulation et les soupçons, plus coupables que les manquements que l'on veut caractériser.

Et que dire de ces familles, de ces amis, de ces voisins appelés, dans la plus absurde des parodies, à attester, à confirmer, à démentir, en étant placés dans la pénible contrainte de choisir leur camp ?

Personne n'y croit. Ni les tribunaux, ni les époux. Pire encore, personne ne comprend même le sens que peut avoir, en définitive, l'imputation des griefs et des torts dans un jugement de divorce, tant l'important est ailleurs : dans le devenir des ex-époux, leur capacité à se reconstruire après l'échec, leurs conditions de vie, l'exigence d'équité, l'intérêt des enfants, le maintien impérieux des liens avec leurs parents et les familles de chacun d'eux.

Et puis, où est la pertinence de la faute, la nécessité de désigner un fautif, lorsque l'on sait qu'une très grande majorité de ces divorces pour faute est prononcée aux torts partagés ? Comment cette solution de partage des torts et griefs peut-elle, d'ailleurs, ne pas s'imposer aux juges, submergés par des pièces, des actes, des documents, des attestations, bien sûr toutes aussi judicieuses et probantes mais qui dessinent une réalité des époux, de leurs agissements, des circonstances de leur rupture dans la seule finalité d'instruire le procès ?

Mieux encore, un nombre croissant des jugements de divorce pour faute est prononcé sans exposé des torts et griefs imputables. Cette faculté, donnée au juge, de se contenter de constater qu'il existe des faits constituant une cause de divorce, est ouverte à la demande expresse des deux époux conformément aux dispositions de l'article 248-1 du code civil. Il est paradoxal que chaque conjoint demande le prononcé du divorce aux torts et griefs de l'autre et finisse par solliciter du juge qu'ils ne les expose pas.

Que dire enfin de ces procédures qui s'achèvent devant la cour d 'appel, après des mois, des années de conflits procéduriers ?

Pour justifier la timidité de votre projet, monsieur le garde des sceaux, vous prétendez que la société française n'est pas prête à accepter une suppression, voire une limitation effective du champ du divorce pour faute.

Pourquoi notre pays et nos compatriotes se singulariseraient-ils des autres européens ? De nombreux pays ont parfaitement intégré la notion du divorce par constat de l'échec du mariage ou de la désunion durable.

Et même si l'attente des Français n'était pas aussi marquée, faut-il défendre cette bien singulière conception d'un législateur manquant de capacité d'anticipation, et en fait de courage ?

L'exemple récent du PACS devrait vous le rappeler car qui, aujourd'hui, envisage sérieusement de revenir sur ce nouveau droit ?

Certains soutiennent que les juges convaincront les époux de renoncer au divorce pour faute. Mais si celui-ci est une possibilité maintenue dans la loi, comment le législateur peut-il croire que les juges se soustrairont à la demande des justiciables ?

Devant l'impossibilité manifeste d'obtenir la suppression du divorce pour faute, nous voulons au moins que soient retenues la restriction du champ de la faute et son application aux cas les plus graves.

La rédaction initiale de l'article 242 de votre projet de loi était très insuffisante pour consacrer cette restriction. Mais la rédaction retenue par 1e Sénat réduit à néant votre modeste avancée puisqu'elle reprend pratiquement la rédaction actuelle de la faute et de l'application jurisprudentielle qui en sera faite. C'est pourquoi nous défendrons deux amendements tendant : d'une part à remplacer le terme « faute » par les termes « comportement inconciliable avec le maintien du lien conjugal » ; d'autre part à caractériser ce comportement inconciliable par des faits imputables qui « constituent une mise en danger de l'un des membres de la famille ou mettent en péril les intérêts de la famille ».

Il est vrai que vous avancez un dernier argument pour justifier le maintien de la faute : le drame vécu par les femmes battues.

Une enquête a récemment révélé l'ampleur de ce drame : en France, une femme sur dix est victime de violences conjugales. Personne, et plus encore sur tous les bancs de cette assemblée, n'ignore et ne veut ignorer la détresse de ces femmes.

Pour autant, monsieur le garde des sceaux, ce fléau peut-il raisonnablement justifier le maintien du divorce pour faute ?

Mme Valérie Pecresse. Oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En juillet 2002, la loi d'amnistie a inclus un grand nombre d'auteurs de ces violences. Où était la vigilance ?

Il y a une hypocrisie à assimiler la violence conjugale à un manquement aux devoirs et obligations du mariage, aux seules fins de construire un argumentaire juridique. Quelqu'un affirmait un jour, non sans pertinence : « Quel époux a déjà juré à sa femme, le jour de son mariage, fidélité assistance et... non-violence ? »

Tout démontre que les règles du mariage et du divorce ne fournissent pas les cadres dans lesquels l'on peut combattre et sanctionner la violence au sein des couples. Il ne faut pas distinguer les violences conjugales des violences faites aux femmes en général. Elles relèvent toutes du droit pénal.

Le meilleur moyen de combattre la violence conjugale, c'est d'arrêter de la qualifier ainsi, même avec les meilleures intentions. Car cela revient à la placer dans un autre cadre, à la minimiser, si ce n'est à l'excuser puisque l'on s'en saisit avec précaution.

Il faut réprimer la violence dans les couples quelle que soit la nature de leur lien. Vous en avez parlé, madame la rapporteure de la délégation : pourquoi faudrait-il plus caractériser la violence dans les liens matrimoniaux que celle dans l'union libre et le PACS ? La violence, c'est la négation de tous les liens qui peuvent unir deux êtres.

La 1utte contre la violence dans 1es couples doit être mise en oeuvre par l'action publique, dans tous les parquets - certains l'ont déjà décidé - et ce, indépendamment de la volonté de la victime. C'est d'ailleurs le seul moyen de lui épargner le chantage ou les représailles.

Ce qui doit nous servir d'exemple, dans ce domaine, c'est la manière avec laquelle on poursuit aujourd'hui les agissements sexuels attentatoires à l'intégrité physique et morale des membres de la cellule familiale.

Soixante-dix années ont été nécessaires pour que le législateur donne partiellement aux époux le droit de mettre un terme, par leur commune volonté, au lien qu'ils avaient choisi de tisser ensemble. Trente autres années n'ont pas suffi pour qu'enfin la conception du divorce-sanction cède le pas à cette volonté partagée ou au constat évident de l'impossibilité de maintenir le lien conjugal.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons proposer d'amender le projet de loi en considérant que l'égalité des époux en droit, l'égalité des parents, leur responsabilité librement assumée appelaient effectivement un autre divorce pour le xxie siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur de la commission des lois, madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs, c'est avec beaucoup d'humilité que j'aborde à mon tour le sujet du divorce qui, depuis plus de deux cents ans, agite nos sociétés.

Le mariage, c'est d'abord et presque toujours, et de plus en plus, une histoire d'amour. Le déchirement et la déception sont souvent comparables à la fulgurance des rencontres, à la passion des premiers jours et des premières semaines. (Sourires.)

Il n'est pas étonnant que les hommes et les femmes aient mis autant de symboles, autant de protections, autant d'amour dans un acte permettant de constituer ensemble un patrimoine, un refuge dans une société devenue si difficile et si contrariante. Et il n'est pas étonnant qu'il reste encore un grand nombre de dossiers de divorce qui ne se terminent pas bien, en tout cas moins bien qu'on pourrait l'espérer.

Près de trente ans après la révision de la loi de 1975, il était important de se pencher à nouveau sur ce phénomène de société car, comme on l'a rappelé, aujourd'hui, trente-huit couples sur cent divorcent - même si les mariages sont un peu plus nombreux - et personne n'est à l'abri.

Mais venons-en au texte.

Monsieur le garde des sceaux, nous avons été sensibles aux efforts que vous avez accomplis comme au très beau discours que vous avez prononcé. Quant à vous, monsieur le rapporteur de la commission et madame la rapporteure de la délégation, nous avons apprécié vos propos. J'y ai décelé la hauteur de vue qu'il convenait pour aborder ce sujet.

La législation existante était insatisfaisante à deux titres : un trop grand formalisme et la dramatisation excessive des enjeux, qui pouvait heurter les conjoints, et surtout les enfants.

La procédure du consentement mutuel accéléré, puisqu'il n'y aura plus qu'une seule audience, nous paraît protéger suffisamment l'expression du libre consentement de l'un et de l'autre époux. Mais un divorce est rarement pacifique. Dans la plupart des cas, c'est un échec. Parfois, les familles passent du cabinet de l'avocat au cabinet du psychiatre. C'est un échec pour toute la famille, sans compter les conséquences en termes de coût social et financier.

Nous approuvons l'esprit de ce projet de loi qui, comme le rappelle son exposé des motifs, s'inscrit dans le cadre plus large de la réforme du droit de la famille. Nous sommes en effet convaincus de la nécessité de traiter les questions fondamentales relatives à la famille de la manière la plus globale possible.

Je voudrais ici souligner que les transformations du droit du divorce reposent nécessairement sur une certaine conception du mariage. Cette modalité essentielle de la formation des familles constitue, de manière plus ou moins explicite, le soubassement du projet de réforme qui nous est soumis. Si, sur le long terme, l'histoire du mariage est celle d'une libération progressive - du statut de la femme en particulier -, je voudrais souligner que, depuis plusieurs années, on constate une augmentation du nombre de mariages et une diminution des divorces, ce qui traduit un besoin de stabilité du socle familial.

Il faut souligner également que, au-delà des enjeux juridiques, la réforme du divorce s'insère dans un contexte économique et social général, où l'égalité des chances entre les hommes et les femmes reste insuffisante.

Plusieurs modifications apportées par le texte nous paraissent aller dans le bon sens : dans les cas de divorce par consentement mutuel, la suppression de l'automaticité de la seconde comparution devant le juge, si le juge accepte la convention présentée par les conjoints et réglant l'ensemble des conséquences de la rupture ; le fait que le divorce par acceptation du principe de la rupture du mariage remplace le divorce demandé et accepté ; le remplacement de la procédure pour rupture de la vie commune par le divorce pour altération définitive du lien conjugal ; enfin, l'institution d'une procédure initiale commune pour faciliter les démarches des demandeurs, et donc apaiser l'audience de conciliation et la recentrer sur la vie de famille et la séparation.

Quelques dispositions du texte me paraissent particulièrement importantes. Je pense notamment aux nouvelles modalités d'attribution de la prestation compensatoire, qui apportent une protection réelle au conjoint divorcé, en particulier à certaines épouses qui se retrouvent divorcées après de longues années de mariage, après avoir consacré leur vie à leur famille et lui avoir tout sacrifié. Il faut protéger les premières épouses, surtout quand elles n'ont pas de situation. Mais il faut aussi veiller aux secondes épouses : celles-ci disent que leurs époux n'arrivent plus à assumer les prestations compensatoires en même temps que les frais domestiques alors que, la plupart du temps, elles ont de jeunes enfants à élever. Ces situations atteignent parfois un caractère dramatique dont on n'a pas toujours conscience.

Autre disposition importante : la possibilité, pour le conjoint victime de violences conjugales d'obtenir l'éviction du conjoint violent hors du domicile conjugal. Les avocats savent combien il est difficile de faire partir réellement le mari violent, alcoolique ou joueur.

Concrètement, c'est la force qui s'impose et le mari, bien souvent, met sa femme à la porte. La mesure prévue dans le projet de loi est donc judicieuse puisqu'elle permettrait d'assurer une meilleure protection aux femmes et aux enfants.

Le réseau d'écoute téléphonique « Violence conjugale femmes info service » reçoit 40 000 appels par an.

Mme Claude Greff. C'est énorme !

M. Jean Lassalle. Cela prouve que cette mesure est essentielle.

De plus, les enfants ne doivent pas être les grands oubliés de la loi - comme ce peut être le cas lors de la rupture d'un PACS. Il nous faut considérer avec le sens de nos responsabilités les conséquences de cette réforme, non seulement pour les divorcés, mais aussi pour leurs enfants et la société toute entière.

Les femmes, de par leur double sphère d'activité, familiale et professionnelle, sont particulièrement concernées par le projet de loi. Beaucoup va dépendre de la manière dont ce texte sera appliqué au quotidien. Le divorce va être pacifié et rendu certainement moins douloureux. Mais il ne faudrait pas que cette évolution se réalise aux dépens des femmes. Celles-ci ne doivent pas risquer d'être abandonnées, au motif qu'aucune obligation ne pèserait sur leur ancien conjoint.

La discussion de ce texte offre l'occasion au groupe UDF de réaffirmer son attachement à la famille, en raison de son apport à la société et de son rôle essentiel dans le maintien du lien social, l'épanouissement des personnes et les solidarités entre générations. Nous défendons la famille parce que ce n'est pas une question de personnes, mais une question de société. Si la famille n'assume plus ses responsabilités, si elle n'est plus aidée et encouragée par l'Etat en tant que facteur de stabilité et d'éducation, c'est la collectivité tout entière qui devra supporter les conséquences néfastes et irrémédiables des ruptures familiales.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Jean Lassalle. Le mariage reste une valeur importante dans notre société, même s'il a changé depuis le XIXe siècle. Aujourd'hui, on attend souvent la naissance du premier enfant pour se marier.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et plusieurs fois !

M. Jean Lassalle. En tout cas, un tel mariage est chargé de significations : l'enfant porte le même nom que ses parents, il a un père et une mère pour la vie. Cela signifie beaucoup pour nos concitoyens.

Mais il était nécessaire de concevoir des procédures de divorce qui soient apaisées et adaptées à notre temps. Le groupe UDF a recherché un nouvel équilibre, dans le cadre d'un assouplissement des procédures, mais en se gardant bien de tomber dans l'excès inverse : le mariage ne peut devenir un simple contrat dont les effets s'effaceraient de par la seule appréciation des époux.

Comme ce projet de loi vise à une meilleure gestion des ruptures et de leurs lendemains, ainsi qu'à dissuader fortement les violences conjugales sous toutes leurs formes, notre groupe le votera. Je souhaite que nous puissions apporter notre pierre à l'édifice afin qu'il soit possible de constituer progressivement les bases d'un accord d'autant mieux appliqué par tous qu'il aura été très largement approuvé, dans le cadre d'une relation apaisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Vous n'avez même pas épuisé votre temps de parole, monsieur Lassalle. Vous êtes parfait ! (Sourires.)

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la célébration du bicentenaire du code civil me donne l'occasion de rappeler que la décision politique connaît parfois des motivations bien singulières ! Celles et ceux qui s'intéressent à la petite histoire du droit liront, si ce n'est déjà fait, l'ouvrage de M. Szramkiewick sur l'histoire du droit français de la famille - un nom bien difficile à prononcer, mais un ouvrage passionnant à découvrir. Il a le grand mérite de nous rappeler que les convenances personnelles du législateur ne devraient jamais présider à ses choix politiques et aux lois qu'il vote pour les concrétiser. Ainsi, chacun sait comment Napoléon, époux d'une femme stérile et libérée, pour ne pas dire plus - encore que deux cents ans après, il y ait prescription (Sourires) ! -, a satisfait ses ambitions dynastiques en introduisant dans le code la reconnaissance du divorce. Si la législation du divorce reste une conquête révolutionnaire à plus d'un titre, il faut reconnaître que les motivations de départ étaient loin d'être progressistes. Il en reste, hélas, quelques stigmates.

Depuis les relations tourmentées de Napoléon avec Joséphine, qu'il aurait voulu femme au foyer, soumise, fidèle,...

M. Jean-Marie Geveaux. Il nous donne un cours d'histoire !

M. Michel Vaxès. ...le droit français du divorce s'est modifié au fil des évolutions de notre société, mais il a fallu attendre 1975 pour revenir sur la loi de 1884 qui considérait le divorce comme un remède très exceptionnel en cas d'union conjugale devenue intolérable. La volonté qui animait le législateur d'alors fut de mettre en harmonie nos lois avec les mœurs et les aspirations du pays, en tentant d'apaiser le divorce par la dédramatisation de cette procédure.

Mais les avancées des mentalités sont lentes, et il est aujourd'hui largement admis que la loi de 1975 n'a que très partiellement atteint cet objectif, qu'elle n'est plus adaptée à notre société et qu'il nous faut, une fois encore, réformer le droit.

La proposition de loi de M. Colcombet, adoptée par notre assemblée en octobre 2001, avait cette ambition. Mais le texte s'est égaré aux cours des navettes et cette perte permet opportunément au Gouvernement de nous présenter, en urgence, un nouveau projet de loi.

La dédramatisation de la séparation est effectivement indispensable : il y va de la dignité des conjoints et de la protection des enfants. Il nous faut donc adopter un texte qui soit à la hauteur de cette ambition.

Ce projet de loi propose plusieurs dispositions dont je tiens à souligner, à cette tribune, le caractère positif.

Tout d'abord, il est raisonnable de conserver la pluralité des formes d'accès au divorce. En effet, les motifs de séparation des couples étant divers, leur organisation ne peut être générale ni commune à toutes. La loi doit donc nous permettre de couvrir l'ensemble des possibles. Le projet de loi y parvient en conservant quatre types de divorces : le divorce par consentement mutuel, le divorce accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et le divorce pour faute.

La simplification de la procédure du divorce par consentement mutuel doit également être saluée. Bon nombre de couples s'avèrent capables de se préparer aux conséquences de leur séparation, et les dispositions de ce texte leur éviteront des procédures longues et coûteuses. Elles permettront également de garantir les droits du conjoint dans l'éventualité où il aurait été contraint de donner son consentement à une convention qui lui serait défavorable, puisque le juge aux affaires familiales pourra déterminer si une convention est manifestement déséquilibrée et, en ce cas, refuser son homologation. Il invitera alors les époux à présenter une nouvelle convention - nous faisons confiance à son expérience.

Nous approuvons, par ailleurs, l'objectif affiché par le futur article 220-1 du code civil, qui prévoit l'éviction du conjoint violent du domicile. Il s'agit d'une mesure de justice qui devrait permettre au conjoint victime de violences de s'abstraire, dans ces cas particulièrement douloureux, d'un certain nombre de contingences matérielles. Cependant, je ne parle que d'objectif affiché, car je crains que ce ne soit rien de plus. En effet, le texte, dans sa rédaction actuelle, sera très difficile à mettre en œuvre. A cet égard, les auditions tenues dans le cadre de la délégation aux droits des femmes sont très révélatrices. Sa présidente, Mme Zimmermann, a déclaré : « il y a de très bonnes intentions dans le projet de loi, mais, en pratique, leur réalisation s'avère difficile ». Elle a raison. Cette analyse s'applique d'ailleurs à d'autres dispositifs du texte.

Ainsi, la nouvelle disposition du divorce pour altération définitive du lien conjugal a été rédigée dans un souci louable de simplification, mais elle finit pourtant par ressembler étrangement à la répudiation, dispositif que nous condamnons sur tous nos bancs. En effet, le temps particulièrement court qui sépare cette altération du lien conjugal et l'assignation pourrait rendre le recours à cette procédure particulièrement tentant pour l'époux impatient de rompre unilatéralement et rapidement sa vie conjugale. Il serait dès lors plus commode pour lui de laisser deux années s'écouler, plutôt que de se lancer dans une procédure de divorce pour faute qui l'obligerait à constituer un dossier solide et prendrait davantage de temps.

En outre, le texte ne prévoit pas, comme cela était le cas dans le cadre du divorce pour rupture de la vie commune, que la totalité des frais soit à la charge exclusive du demandeur ; il ne permet plus à l'épouse, qui est le plus souvent la défenderesse dans ce type de divorce, de soulever la clause de dureté ; enfin, il n'a plus pour conséquence le devoir de secours. Autant de raisons qui justifient notre scepticisme à l'égard de ce dispositif. Je crains qu'à trop simplifier, ce texte n'ouvre la voie à des injustices flagrantes et à une augmentation du nombre d'abandons d'épouses.

Or les statistiques montrent que les femmes restent les premières victimes du divorce. Ce sont elles qui, dans la grande majorité des cas, souffrent le plus, moralement et matériellement, de la séparation, et en subissent les plus sévères dommages. Engels disait : « Dans la famille, l'homme est le bourgeois, la femme le prolétaire. » Dans le divorce, c'est encore plus vrai. Nous devons donc nous garder d'adopter des dispositions qui iraient dans ce sens, même malgré nous !

La directrice du Centre national d'information et de documentation des femmes et des familles, Mme Guilleberteau, rapporte que la majorité des demandes traitées par ce centre concernent autant les violences faites aux femmes que leur réinsertion professionnelle et sociale.

En effet, les discriminations de tous ordres les atteignent dans leur vie personnelle, leur vie familiale et leur vie professionnelle. Après le divorce, ces inégalités sont encore plus flagrantes et plus lourdes à supporter. Est-il nécessaire, pour prendre la juste mesure des conséquences dramatiques pour les épouses qui en sont victimes, de rappeler que les divorces sont plus répandus dans les familles à bas ou moyens revenus ?

C'est pourquoi un texte sur le divorce ne saurait être satisfaisant s'il ne comporte pas de dispositions tendant à réduire ces inégalités. Or, non seulement ce projet de loi n'en contient pas, hormis une disposition difficilement applicable, mais l'ensemble des réformes du Gouvernement tend même à les aggraver.

Pour conclure, j'en viens maintenant à la prestation compensatoire. Celle-ci n'a pas suscité de débat lors de sa mise en place en 1975, mais il en ira autrement au cours de la discussion sur ce projet de loi. J'y reviendrai plus largement dans la défense de nos amendements, mais permettez-moi, à cette étape, deux remarques.

En premier lieu, nous sommes convaincus que le texte contient, y compris dans ce domaine, des avancées notables. Il apporte, notamment, une définition plus claire de la prestation compensatoire, destinée non pas à compenser une baisse du niveau de vie, mais le décalage que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Toutefois, les débiteurs de prestation compensatoire nous ont fait état des injustices qu'elle cause parfois. Il est de notre responsabilité de les entendre et de prendre en compte leurs observations afin de corriger le dispositif dans un sens qui ne pénalise ni le créancier, ni le débiteur. Cet équilibre doit pouvoir être trouvé.

En second lieu, un autre moyen d'aider les couples à surmonter l'épisode douloureux de la séparation, au-delà de la réforme du droit civil et de la procédure civile, consiste à leur accorder le temps de l'écoute et les moyens de l'égalité face la justice. Dans ce but, il convient de régler la question de la répartition des moyens alloués à la justice pour que, d'une part, soient données aux juges aux affaires familiales les conditions d'une réelle disponibilité et pour que, d'autre part, soit accomplie une réforme de l'aide juridictionnelle.

Vous constatez que le groupe des député-e-s communistes et républicains porte un regard mitigé sur ce texte. Il n'en nie pas les avancées mais n'en sous-estime pas non plus les insuffisances. C'est pourquoi, en l'état actuel du projet de loi, notre groupe s'oriente vers l'abstention.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si j'osais paraphraser Hegel, je dirais que les couples heureux n'ont pas d'histoire. Mais chaque divorce, en revanche, a son histoire, toujours singulière. C'est le défi devant lequel nous nous trouvons aujourd'hui : élaborer une législation unique pour des situations qui empruntent à toute la palette des relations humaines.

Des six mois passés à participer aux groupes de travail organisés par le ministre de la justice, j'ai toutefois retiré une certitude : il était temps de moderniser nos lois sur le divorce ! Lenteur, lourdeur, excessive conflictualité, injustice, coût, et surtout inadaptation au temps présent : les reproches à l'encontre de notre droit sont nombreux.

Mais surtout, comme cela a été dit par beaucoup de collègues, nous nous trouvions confrontés à l'urgence de pacifier la procédure de divorce.

Après le décès d'un proche, le divorce est reconnu par les psychiatres comme la source de stress la plus importante que l'on puisse connaître dans une vie. Il en bouleverse profondément tous les équilibres, qu'ils soient affectifs ou financiers.

Avec 42 % de procédures encore actuellement fondées sur la « faute » d'un des deux conjoints, on comprend que près d'un divorce sur deux se transforme en réalité en une guerre de tranchées, où chaque conjoint accumule contre l'autre les preuves d'un manquement répété aux obligations du mariage. Le déballage peut conduire très loin. Sans parler du traumatisme qui en résulte pour les enfants du couple déchiré.

S'il faut donc se donner comme objectif de réduire autant que possible le champ du divorce pour faute, je ne crois pas pour autant envisageable ni souhaitable de le supprimer. Je me rallie donc au projet du Gouvernement, par opposition à la proposition Colcombet que Mmes Lebranchu et Royal, alors ministres du gouvernement de Lionel Jospin, avaient soutenue en leur temps.

En effet, dans certains cas flagrants, nier la faute du conjoint, c'est, en refusant de tenir compte de la douleur de l'autre, l'empêcher de tourner la page et de se reconstruire. Contrairement à ce que l'on a pu entendre, notamment sur les bancs socialistes de notre assemblée, les deux partenaires d'un couple ne sont pas toujours coresponsables de son échec ! On pense évidemment au cas des femmes battues. Certes, mais ne soyons angéliques : il peut y avoir, au sein des couples, d'autres formes de violences, psychologiques, qui se révèlent tout aussi invivables au quotidien.

C'est pourquoi, après mûre réflexion, je crois nécessaire de maintenir le divorce pour faute. Je regrette toutefois de ne pas être en mesure de proposer à notre assemblée un autre terme que celui de « faute ». Il renvoie en effet, quand on pense au mariage, à une présomption de culpabilité d'une tonalité assez puritaine, qui me gêne un peu. Mais, en même temps, dans notre droit, qui dit « faute » dit « responsabilité ». C'est donc finalement le mot le plus adapté pour dire que le conjoint à qui l'échec du mariage est imputable doit assumer d'avoir provoqué la situation.

Pacifier le divorce, dès lors qu'il est décidé de maintenir le divorce pour faute, c'est prendre les dispositions qui en limiteront l'usage au strict nécessaire. Pour cela les orientations retenues par le Gouvernement me paraissent les bonnes.

C'est, d'abord, permettre le prononcé du divorce par consentement mutuel à l'issue d'une seule audience - particulièrement lorsque le couple n'a plus d'enfants mineurs.

C'est, ensuite, faciliter le divorce par demande acceptée, sans que les époux aient à reconnaître les faits rendant la vie commune intolérable.

C'est, enfin, créer un divorce pour « altération définitive du lien conjugal » prononcé au bout de deux ans de séparation et non plus de six ans.

Pacifier le divorce, c'est aussi cautériser la plaie dès le prononcé du jugement de divorce, et ne plus laisser la blessure s'envenimer avec le temps. Cela suppose que toutes les conséquences financières du divorce soient réglées rapidement, particulièrement en ce qui concerne la délicate question du versement de la prestation compensatoire. C'est ce qui a été fait.

Alors, divorcer en paix ? Ce ne sera toujours qu'une utopie. Mais l'essentiel, c'est que la procédure de divorce ne soit pas perçue comme si contraignante, si longue, si pénible ou si injuste qu'elle ne finisse par éloigner de nombreux couples du mariage. Beaucoup mieux adapté à la diversité des situations de séparation dans le monde d'aujourd'hui, le projet du Gouvernement ne sacrifie pas pour autant la protection nécessaire de tous les membres de la famille. Moderne et équilibré, c'est un texte que je serai heureuse de voter.

Pour conclure, je tiens à saluer les dispositions originales qui figurent dans le projet de loi en matière de violences conjugales. Avant toute procédure de divorce, le conjoint victime pourra obtenir du juge aux affaires familiales le départ du conjoint violent du domicile conjugal. Mais, s'en tenant à la stricte destination du texte, le Gouvernement n'a pas souhaité étendre le champ d'application de ce dispositif aux couples non mariés.

Pouvons-nous cependant réellement faire deux poids, deux mesures ? Selon que l'on est marié ou que l'on ne l'est pas ? Je crois que ce serait une profonde injustice pour toutes les femmes battues, car la violence de couple ne s'arrête évidemment pas aux frontières du mariage. La mort dramatique de l'actrice Marie Trintignant l'été dernier à Vilnius nous rappelle, s'il en était vraiment besoin, cette réalité.

C'est pourquoi j'aurai l'honneur, pendant la discussion des articles, de vous proposer d'étendre son article 22 - le référé violences - aux couples non mariés dans les cas les plus dramatiques où sont également en cause des enfants mineurs. Je suis heureuse que cet amendement, malgré son audace juridique, que je reconnais, ait reçu un avis favorable de la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Geveaux.

M. Jean-Marie Geveaux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, s'il est un texte qui était attendu, c'est bien celui-ci. L'objectif de cette réforme est d'adapter les cas de divorce et leurs procédures aux mutations sociales des dernières décennies, en simplifiant et en apaisant autant que possible le climat de la séparation.

Réformer le divorce, c'est aussi tenir compte des réalités sociales. A cet égard, l'une des évolutions les plus radicales de ces vingt dernières années a sans doute été la transformation de la famille.

L'évolution, en matière de divorce, a été extrêmement rapide, puisque le nombre de divorces a pratiquement doublé depuis 1975.

Ce projet de loi, je tiens à le rappeler, est largement le fruit d'un groupe de travail que vous avez mis en place, monsieur le garde des sceaux, et auquel j'ai eu le plaisir de participer. Il répond en de nombreux points à son objectif, et je tiens à vous en remercier tout particulièrement.

Certes, il y aurait beaucoup à dire sur les avancées de ce texte, mais vous me permettrez de limiter mon propos à quelques observations.

Tout d'abord, je crois qu'il faut garder à l'esprit que l'institution du mariage constitue un fondement essentiel de notre société. Le mariage repose sur le respect de devoirs et d'obligations. La difficulté qu'il peut y avoir à les respecter ne saurait justifier de fragiliser l'institution du mariage en les supprimant ou en facilitant le divorce.

Loin de faciliter le divorce, ce texte permet le règlement de ses conséquences dès le prononcé, en concevant des règles simples, moins conflictuelles, plus équitables pour chacun des époux, et ce en préservant l'intérêt des enfants comme des ayants droit.

Je souscris pleinement à l'allégement de la procédure du divorce par consentement mutuel. Le juge contrôle la réalité et la liberté des consentements de chacun des époux afin d'éviter toute pression éventuelle. Il veille aussi à l'équilibre des conventions relatives aux conséquences de la séparation, pour les parents comme pour les enfants.

En ce qui concerne le choix d'un ou de deux avocats dans cette procédure, qui a fait l'objet d'un débat, certains font valoir qu'il est nécessaire d'imposer un avocat pour chaque partie, afin de favoriser une véritable liberté. S'il est vrai que dans certaines affaires, il est délicat pour les avocats de défendre correctement deux intérêts parfois contradictoires, je ne pense pas cependant qu'il soit opportun de légiférer sur ce point. En cela, le texte me donne satisfaction. De plus, il est de la responsabilité tant des avocats que des magistrats de faire prendre conscience aux parties de l'utilité d'un avocat personnel lorsque la défense de leurs intérêts le recommande.

Je ne peux également qu'approuver le recours à la médiation comme outil privilégié à la disposition des époux - même si ce n'est pas une obligation - tant avant que pendant l'instance. Il permet aux époux de purger les conflits du passé pour envisager le plus sereinement possible l'aménagement de l'avenir.

Lors des discussions sur le texte de loi relatif à l'autorité parentale, j'avais attiré l'attention sur la compétence de ces médiateurs. Je suis satisfait aujourd'hui que le décret portant reconnaissance du diplôme d'Etat de médiateur familial ait été publié au Journal officiel du 9 décembre dernier. Il est essentiel que les intervenants dans ce domaine possèdent une solide formation, gage de leur professionnalisme et de leur déontologie.

En ce qui concerne le divorce pour altération définitive du lien conjugal, il convient, monsieur le ministre, de prendre garde de glisser vers le divorce-répudiation, même si je n'aime pas forcément ce terme.

Il est vrai qu'il semble illusoire de vouloir maintenir une personne engagée dans les liens du mariage contre sa volonté, lorsque le mariage n'a plus de sens. Il est pourtant essentiel de veiller aux conséquences pour les enfants ou le conjoint qui n'est pas demandeur. Le délai de deux ans requis pour caractériser la rupture définitive du lien conjugal me semble être un minimum. Je regrette cependant que « la clause de dureté » prévue par l'article 240 du code civil n'ait pas été maintenue pour les cas où le divorce aurait des conséquences dramatiques pour l'un ou l'autre des conjoints. On ne peut pas tout réparer par des prestations financières.

L'objectif de ce texte étant de diminuer les sources de conflits, j'approuve que l'introduction de la requête ne nécessite plus d'indiquer les motifs du divorce. Dans le même esprit, le texte détache de la faute le sort des questions financières. Une prestation compensatoire peut être attribuée indépendamment des comportements répréhensibles durant le mariage.

C'est la demande en dommages et intérêts qui répond à l'objectif de responsabilisation. Elle vient sanctionner le comportement fautif d'un époux sur le fondement des dispositions de droit commun. Elle vise par ailleurs à réparer les conséquences d'une particulière gravité que l'un des époux subit du fait de la dissolution du mariage. Ainsi, le texte prend en compte toutes les formes de détresse.

En ce qui concerne la prestation compensatoire, je remarque que le projet de loi ne modifie pas substantiellement le régime actuel, même s'il apporte des retouches tout à fait significatives. La prestation pourra désormais s'appliquer dans toutes les formes de divorce et au bénéfice de tous les conjoints. Le juge fixera son montant au regard de critères, et notamment des conséquences résultant des choix professionnels faits pendant la vie commune pour l'éducation des enfants ou en faveur de la carrière de l'autre époux.

Une des grandes avancées de ce projet de loi réside dans la transmissibilité de la charge de la prestation compensatoire aux héritiers dans la limite de l'actif successoral. En effet, dans la mesure où la prestation peut constituer la principale, voire la seule ressource de revenus du premier conjoint, il semblerait injuste de prévoir l'extinction de la prestation au décès du débiteur. En contrepartie, cette solution tient compte des éventuelles recompositions familiales, en évitant que les enfants du second lit ne soient tenus de verser, sur leurs deniers personnels, une prestation à la première épouse de leur père. J'approuve cette disposition qui limitera incontestablement les problèmes dans les familles.

Par ailleurs, en ce qui concerne la substitution d'un capital à la rente, je me réjouis que nos collègues du Sénat et les membres de la commission des lois de notre assemblée aient adopté un amendement supprimant la possibilité de prendre en compte les sommes déjà versées pour le calcul du capital. En effet, il était à craindre que la prise en considération des sommes déjà versées n'anéantisse tout droit du bénéficiaire et, dans bien des cas, ne le prive de toutes ressources.

En conclusion, je considère, monsieur le garde des sceaux, que ce projet de loi est tout à fait opportun. Il constitue incontestablement une avancée significative pour faire en sorte que les divorces soient moins sources de contentieux sur le plan moral mais aussi sur le plan financier.

Il devrait recueillir l'adhésion de la plus grande partie d'entre nous, y compris, je l'espère, sur les bancs de l'opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est aujourd'hui soumis n'est pas, loin s'en faut, la grande loi sur la famille si souvent annoncée.

Sous la précédente législature, chaque fois que le gouvernement de Lionel Jospin ou la majorité de gauche proposait un texte sur l'autorité parentale, le divorce, la prestation compensatoire, ou encore les droits du conjoint survivant, la droite, alors dans l'opposition, n'avait pas de mots assez durs pour fustiger cette « atomisation du droit de la famille » ! Il fallait, forcément, une « grande loi qui embrasse toute la problématique du droit de la famille », du statut de l'enfant jusqu'au droit... des successions.

Permettez-moi de constater qu'en deux ans, vous avez manifestement renoncé à vos objectifs, et qu'en guise d'une « grande loi sur la famille », vous nous présentez une petite loi sur le divorce.

Ce texte est peut-être utile lorsqu'il simplifie et regroupe les procédures de divorce, mais je ne veux pas reprendre les excellents arguments développés ici par Jean-Yves Le Bouillonnec au nom du groupe socialiste. Je souhaite consacrer spécifiquement mon intervention à la question de la prestation compensatoire.

La loi du 30 juin 2000, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, avait profondément modifié le système issu de la réforme de 1975, en optant d'une manière claire pour le versement en capital et en précisant les conditions de révision et de transmission des rentes.

Votre projet de loi reprend, pour l'essentiel, l'économie générale de notre réforme qu'il précise même utilement pour combattre des jurisprudences particulièrement surprenantes, notamment celles évoquant le maintien de la disparité d'origine pour refuser la révision d'une rente nonobstant l'enrichissement de la créancière ou l'appauvrissement du débirentier. Rien dans le texte de loi de 2000 ni dans les travaux préparatoires ne permettait de justifier un tel raisonnement, révélateur de la capacité de résistance à tout changement d'une partie des magistrats.

Votre texte prétend également apporter une réponse satisfaisante à la question des conditions de la transformation de la rente en capital. Vous avez annoncé qu'un décret fixerait un barème unique. C'est, de mon point de vue, une fausse bonne idée. Tout barème de capitalisation fondé sur l'espérance de vie de la créancière aboutira à un capital très important, voire exorbitant.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Absolument !

M. Alain Vidalies. La question s'était déjà posée en 2000. Après avoir examiné toutes les hypothèses, y compris celle du barème unique, le législateur de 2000 avait délibérément choisi de laisser au juge le soin de fixer le capital de substitution. Les décisions connues à ce jour sont, certes, je vous le concède, disparates, mais elles sont le fruit d'une jurisprudence en cours d'élaboration prenant en compte les paramètres chiffrés objectifs, mais aussi la singularité de chaque situation. L'instauration du barème unique paraît certes rationnelle, mais risque de se traduire par une impasse pour les débirentiers ou leurs ayants droit.

La loi du 30 juin 2000 avait abouti, dans la plupart des cas, à la suppression de fait de la transmission de la rente, conséquence de la déduction automatique de la pension de réversion. Or la réforme des retraites a profondément modifié le principe même de la pension de réversion qui ne sera plus un droit définitif et personnel du conjoint ou ex-conjoint survivant, mais une allocation différentielle. Alors que cette disposition doit entrer en vigueur au 1er juillet 2004, le plafond non plus que la nature des autres revenus venant en déduction de la pension de réversion ne sont toujours pas connus à ce jour. Il est extraordinaire de constater que votre projet de loi ignore totalement le changement déterminant intervenu et continue à considérer la pension de réversion comme un droit déterminé et fixe.

Les débats sur la réforme des retraites ont seulement permis de savoir que cette allocation différentielle serait révisée et calculée chaque année, à l'image de l'allocation logement. Quelles seront les conséquences de cette modification essentielle sur le régime des prestations compensatoires ?

Voici quelques questions non résolues.

Si la pension de réversion est subitement réduite du fait de l'intervention des pouvoirs publics - hypothèse qui ne pouvait se produire jusqu'au 1er juillet 2004 - les ayants droit, qui bénéficiaient jusqu'alors de la déduction automatique d'une somme fixe, pourront-ils se voir réclamer la différence par la créancière ?

De plus, la pension de réversion étant désormais susceptible d'être révisée chaque année, comment les ayants droit du débirentier seront-ils informés du mode de calcul et des incidences que la révision induira sur ce qu'ils devront payer ? Quelle sera la procédure à suivre en cas de contestation ?

Vous prévoyez le paiement d'un capital permettant aux héritiers de se libérer de la charge de la rente, c'est une bonne idée. Le calcul de la capitalisation intervient après déduction de la pension de réversion, mais celle-ci devenant un droit aléatoire susceptible d'évolution, votre texte manque manifestement de précision et peut aboutir à des incohérences.

Je suis d'ailleurs particulièrement inquiet, monsieur le garde des sceaux, des conséquences de la suppression de l'article 276-3 aux termes duquel « la prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties. » En effet, cela risque d'exposer des centaines de milliers de débiteurs à une action en rétablissement de la rente au niveau initialement fixé par le juge, compte tenu de la réforme des pensions de réversion. Alors que j'ai déjà posé cette question à plusieurs reprises lors du débat sur les retraites et encore récemment en commission, je n'ai pas obtenu de réponse. Vous avez de nouveau totalement ignoré cette difficulté dans votre propos liminaire, monsieur le garde des sceaux. Ce silence, comprenez-le, alimente nos craintes, car nous n'osons imaginer qu'il s'agisse d'un oubli. M. Blessig, au nom de l'UMP, a lui-même parlé d'un texte modeste et utile. Soit ! Mais encore faudrait-il qu'il soit clair et compréhensible, ce qui n'est manifestement pas le cas en matière de prestation compensatoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, qu'on le veuille ou non, le divorce est un phénomène de société et le droit le régissant doit évoluer. Valérie Pecresse l'a très clairement exposé tout à l'heure et, en tant que membre du groupe de travail, je ne peux qu'adhérer à ses propos.

Vous nous proposez aujourd'hui de dédramatiser le divorce par des procédures modernisées, simplifiées et pacifiées, de réformer la prestation compensatoire en substituant l'octroi d'un capital au versement d'une rente viagère en cas de décès du débiteur, d'autoriser un mixage et de permettre au créancier de demander la révision de la rente. Tout cela va dans le bon sens. Mais pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ? En effet, comment pacifier, avec ce texte, les procédures de divorce alors même que la question centrale n'a pas été abordée, à savoir qu'actuellement le parent qui a la garde habituelle de l'enfant a intérêt à nourrir le conflit avec l'autre parent, afin d'éviter toute possibilité d'aménagement de la garde.

Dans une telle logique, à quoi sert la médiation ? Quelle est la volonté réelle de pacifier les relations dans la cadre des séparations si n'est pas résolu ce problème majeur ? Que le conflit soit « payant » pour le parent qui a la garde habituelle de l'enfant et qui veut la conserver avec la volonté d'entretenir le conflit à travers la multiplications des procédures est source de la multiplication des tensions entre les parents. Cela engendre des conséquences psychologiques très inquiétantes pour les enfants qui voient leurs parents se déchirer et ont une image du père et de la mère écornée.

Il est essentiel, pour la construction de l'enfant, qu'au-delà de la séparation, celui-ci puisse maintenir un lien avec ses parents, chacun lui apportant quelque chose de différent. Il ne faut pas ajouter, à la séparation des parents, la séparation de l'enfant avec l'un de ses parents. Pourquoi ajouter un malheur à un échec ? Les lacunes mêmes de la loi font qu'aujourd'hui de nombreuses mères exercent seules une fonction d'autorité sur leur enfant, le père étant réduit au rôle d'accompagnateur à Eurodisney le week-end. Qui y trouve son compte ?

La loi du 4 mars 2002 autorisant la garde alternée a su apporter des éléments réels de pacification. Il ne s'agit pas ici de promouvoir tel ou tel mode de garde, mais de réduire par la loi les possibilités pour l'un des parents d'évincer l'autre parent. Dans cet esprit, nous pourrions proposer que, dès lors que l'un des parents demande un aménagement de la garde dans le sens d'un meilleur équilibre, il appartient au parent qui n'y est pas favorable d'expliquer en quoi cela ne sert pas l'intérêt de l'enfant. J'ai déposé un amendement en ce sens.

Il convient, en toilettant le texte, de tirer les enseignements des premières applications de la loi, d'aider les magistrats dans leurs décisions en leur permettant de mieux sonder les intentions, d'harmoniser les décisions en les rendant plus opérationnelles et compréhensibles, donc de limiter les conflits et de servir ainsi mieux les enfants.

Il faut en finir avec la prime au conflit. Le magistrat devra rechercher l'aménagement de la garde le mieux à même de sauvegarder le lien familial, affectif et éducatif de l'enfant avec ses deux parents.

De même, parce que chaque parent apporte quelque chose de différent à l'enfant, le juge doit tenir compte de l'éloignement de l'enfant par le parent qui en a la garde. J'ai également déposé un amendement à ce sujet.

Enfin, je vous proposerai plus tard de nous mettre en conformité avec la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Nous reviendrons sur ces points lors de la discussion des amendements que j'ai déposés avec mon excellent collègue et ami Emile Blessig.

Monsieur le garde des sceaux, je voterai pour ma part ce texte en espérant que l'opposition me suivra tout en reconnaissant la réflexion pertinente exposée par M. Vidalies. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au divorce est examiné par l'Assemblée nationale selon la procédure dite d'urgence. Au risque de rompre avec le satisfecit général, que je peux comprendre pour certaines mesures nouvelles comme le développement de la médiation, j'estime, pour ma part, que certaines dispositions sont inacceptables. A vouloir faciliter le divorce jusqu'à ouvrir un « droit au divorce », la réforme prépare de nombreuses injustices, rendant le divorce encore plus douloureux pour le conjoint abandonné. Les plus graves sont l'institution d'un véritable « divorce-répudiation » par la réduction de six à deux années de la durée de rupture du lien conjugal ouvrant un « droit » au divorce, et la suppression de la clause dite d'exceptionnelle dureté.

Le projet organise la régression de la protection des époux au nom de la conception hédoniste et désordonnée de la liberté, réduisant à fort peu de chose la responsabilité des époux et la valeur de l'engagement du mariage civil. Ces dispositions sont en profonde contradiction avec une société qui prétend proclamer - je l'ai entendu plusieurs fois cet après-midi - l'importance de la famille et l'égalité des droits, notamment entre hommes et femmes.

Pour prouver jusqu'à quelles injustices peut conduire le « divorce-répudiation », prenons le cas où l'un des deux conjoints est atteint d'une maladie dégénérative ou a été victime d'un accident grave. L'autre conjoint pourra l'abandonner en deux ans, sans autre conséquence que le versement d'une simple indemnité ! Alors que le rôle de la loi est de protéger le plus faible, ce « divorce-répudiation » - ou divorce pour rupture définitive du lien conjugal - en accélérant et en facilitant l'obtention du divorce, consacre la loi du plus fort sur le plus fragilisé. J'ai donc déposé différents amendements afin que le mariage ne se réduise pas à un simple contrat pouvant être rompu unilatéralement.

D'autres amendements tendront à rétablir la clause d'exceptionnelle dureté qui permet au juge de refuser de prononcer le divorce dans l'intérêt du conjoint et des enfants et à maintenir le devoir de secours dans ce type de rupture. Ce sont, précisément, ces mesures qui ont permis d'éviter les abandons les plus injustes. La loi du 11 juillet 1975 avait conservé quelques garde-fous dans les cas de rupture tels que le délai de six ans, la clause d'exceptionnelle dureté, et le maintien du devoir de secours - articles 237 et suivants et 281 et suivants du code civil actuel - pour éviter de tels abus.

En supprimant ces dispositions protectrices, nous changeons totalement de logique. Il nous revient de les maintenir pour sauvegarder la solidarité entre époux face aux accidents de la vie.

Je conclurai en dénonçant une autre disposition grave de ce projet : la distinction opérée entre faute et indemnisation. Il s'agirait du seul cas, dans notre droit, où le fautif ne serait pas forcément tenu à indemnisation. En effet, le système retenu dans ce texte veut que la faute soit reconnue comme motif de divorce mais que l'indemnisation dépende notamment des patrimoines respectifs. Selon cette logique, le fautif pauvre pourrait recevoir une indemnisation de la part de sa victime riche. Cela me paraît à la fois inacceptable et malheureusement trop cohérent avec la tendance lourde qui oriente nos décisions : je veux parler de la logique économique.

Prenons garde ! La famille, socle de notre société, lieu de tous les apprentissages, fussent-ils les plus douloureux, est, avec les meilleurs arguments, fragilisée au fur et à mesure des réformes. Il ne s'agit pas ici de répondre au problème des violences faites aux femmes - nous pourrons le faire dans le cadre d'autres textes et, au demeurant, cela relève du droit pénal - mais de se demander comment il convient d'agir lorsque le contrat que constitue le mariage est rompu. A force de le fragiliser, comment voulez-vous que nous puissions conforter la cohésion sociale ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous célébrons le bicentenaire du code civil, la réforme du divorce apparaît d'autant plus importante qu'elle est liée à l'évolution du droit de la famille - de la famille, l'un des piliers principaux de notre société et à laquelle, monsieur le garde des sceaux, votre gouvernement se montre particulièrement attentif.

Il est nécessaire de moderniser le droit du divorce afin de tenir compte des évolutions de la société, nous en sommes conscients, mais nous devons garder à l'esprit que le mariage est une institution juridique, avec des droits et des devoirs. C'est pourquoi vous avez souhaité maintenir le divorce pour faute et c'est aussi pourquoi nous rejetons l'idée d'un divorce non judiciaire, le « divorce sous péridurale » que proposait le parti socialiste sous la précédente législature.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Oh !

M. Bernard Perrut. Le divorce est une réalité sociale, chacun en convient, mes chers collègues. Plus d'un mariage sur trois se termine aujourd'hui par un divorce. La procédure est longue, complexe, coûteuse et les cicatrices restent souvent sensibles - je pense plus particulièrement aux enfants, pris à témoin et en otage par des adultes qui se séparent dans la douleur.

La situation actuelle fait l'objet de certaines critiques et donc d'attentes, qui ont été évoquées : le divorce pour faute, fréquemment utilisé, est en quelque sorte détourné ; la procédure de divorce pour rupture de la vie commune est trop longue ; le problème de la prestation compensatoire reste d'une grande acuité, puisque se posent les problèmes de la rente, de l'impossibilité de réviser la prestation et de sa transmissibilité passive, autant de sujets sur lesquels s'est penchée notre commission.

Votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, est bon, tout d'abord parce qu'il résulte de la concertation - menée dans le groupe de travail que vous avez mis en place et enrichie par les remontées du terrain -, ensuite parce qu'il vise à simplifier et moderniser la législation, mais aucunement à introduire abusivement un divorce au rabais qui altérerait la dimension sociale du mariage.

Les quatre catégories de divorces sont maintenues mais aménagées, et l'instauration du divorce pour altération définitive du lien conjugal répond à une attente souvent exprimée. Les procédures sont simplifiées, apaisées, tout en faisant en sorte que le divorce, constat d'échec, ne conduise jamais à des abus ou à des répudiations - je rejoins, à cet égard, les propos de notre collègue qui a évoqué l'abandon du conjoint malade ou handicapé. Soyons vigilants !

Je suis, pour ma part, très heureux de constater, monsieur le garde des sceaux, que le recours à la médiation familiale ait été inscrit dans le projet de loi, en son article 12 : le juge pourra désormais proposer une médiation aux époux. Sous la précédente législature, en 2001, j'ai été l'auteur d'une proposition de loi allant dans ce sens, qui fit l'objet d'une « niche parlementaire ». J'avais alors estimé, à cette même tribune, que la médiation familiale, même s'il ne s'agit pas d'une solution miracle, est un outil indispensable afin d'apaiser des conflits et de contribuer, dans l'intérêt des enfants, à trouver des solutions pérennes pour réorganiser la cellule familiale.

La refondation de l'autorité parentale, à mon sens, est liée à la médiation familiale, qui relève d'une logique de responsabilisation et de communication. Le juge reçoit ainsi une aide précieuse car, s'il tranche les litiges, il ne peut dénouer les conflits familiaux dont les causes lui échappent. La médiation familiale et la justice ne sont pas en opposition mais tendent vers un objectif commun.

Vous proposez là une avancée fondamentale, monsieur le garde des sceaux, et je suis heureux de la voir aboutir aujourd'hui car l'information obligatoire en amont de toute procédure entre époux va dans le bon sens.

Afin de rendre possible l'égal accès de tous à la médiation familiale, la proposition de loi que j'avais déposée prévoyait que les séances, sans être gratuites, aient un coût limité. Il apparaît, monsieur le garde des sceaux, que des moyens financiers doivent accompagner le recours à la médiation si l'on veut qu'elle se développe et que les médiateurs se voient proposer une formation. Vous avez déjà pris des dispositions en ce sens, mais je crois qu'il faudrait aller beaucoup plus loin, dans le cadre d'une véritable politique familiale. Ne faudrait-il pas développer la médiation dite « conventionnelle », c'est-à-dire la médiation de prévention, intervenant avant la dégradation des liens ?

Je voudrais dire quelques mots sur un autre point sensible du projet : le devoir de secours. La protection de l'époux le plus faible constitue de toute évidence une préoccupation légitime, et les femmes sont considérablement défavorisées, notamment quant aux conséquences économiques du divorce.

Dans votre texte, monsieur le garde des sceaux, vous avez également pris en compte l'ampleur du phénomène des violences à l'encontre des femmes, violences physiques, mais aussi psychologiques, économiques ou par privation de ressources. Trop de femmes sont contraintes de quitter en urgence le domicile conjugal. Vous proposez donc une mesure forte, l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal. Mais encore faudra-t-il que les policiers et les gendarmes puissent mieux accueillir les femmes victimes de ces violences et mieux recueillir leur témoignage.

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on peut dire que, en faisant œuvre de simplification et de modernisation, votre projet de loi vise à remettre au goût du jour notre vénérable code civil, sans remettre en cause l'égalité entre les hommes et les femmes devant le divorce, à une époque où le mariage, s'il est plus que jamais l'expression d'un choix délibéré dont la dimension sociale est pleinement assumée, reste, à mon sens, le meilleur rempart face à la destruction de la cellule familiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Morano.

Mme Nadine Morano. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur de la commission, madame la rapporteure de la délégation, mes chers collègues, un projet de loi relatif au divorce nous est donc présenté aujourd'hui.

J'ai été satisfaite, tout à l'heure, d'entendre notre collègue Lassalle parler d'amour parce qu'il s'agit bien, au départ, d'une histoire d'amour, d'un mariage, d'un couple qui s'unit pour construire une famille, pour aller vers un destin commun, pour élever des enfants. Mais il peut arriver que cette histoire tourne au désastre : on sait ainsi que 113 000 couples sont concernés chaque année et que trente-huit mariages sur cent se termineront par un divorce.

Et je n'oublie pas le drame du 21 septembre dernier : un maire de ma circonscription s'est donné la mort et a tué ses trois enfants parce qu'il vivait un divorce et parce que son entourage n'avait pas senti qu'une tragédie était en train de se jouer.

Je citerai cet autre cas extrême d'un notable fortuné, dirai-je, qui, au vu de l'addition de ce que lui coûterait un divorce, a finalement dit à son conseil qu'il préférait rester marié, malgré la mésentente avec son épouse.

Quel que soit le cas, le divorce est souvent un drame humain, psychologique, financier, destructeur de la cellule familiale. A cet égard, votre projet, monsieur le garde des sceaux, apporte beaucoup d'éléments positifs, notamment en favorisant la médiation familiale et en simplifiant les procédures, tout en maintenant le choix entre les quatre procédures de divorce possibles.

Je voudrais aussi parler de ces femmes fragilisées parce qu'elles ont élevé leurs enfants sans travailler et qu'elles se retrouvent seules après vingt-cinq ans de vie commune, sans ressources ni points de retraites, ou encore de ces femmes qui décident de travailler et de s'assumer totalement, tout en se chargeant de l'éducation de leurs enfants. Si l'on parle du divorce du xxie siècle, il ne faut pas oublier le mariage du xxie siècle, et je défendrai un amendement à ce propos.

Comment éviter d'hypothéquer, y compris financièrement, l'espérance d'un nouveau mariage, d'une nouvelle cellule familiale en devenir ? Comment ne pas être choqué que certains conjoints soient obligés de payer une prestation compensatoire qu'ils jugent souvent injuste, notamment quand leur ex-conjoint - homme ou femme, d'ailleurs - se remarie, vit en concubinage notoire ou a contracté un PACS ? Il y a de quoi s'interroger.

J'ai reçu des associations et beaucoup de couples qui m'ont parlé de ce problème, et je crois, monsieur le garde des sceaux, qu'il faut aller plus loin dans ce domaine. En effet, si une femme remariée - ou un homme remarié, pourquoi pas ? - voit son niveau de vie baisser par rapport à son premier mariage, c'est aussi son choix. C'est une question de philosophie : le mariage doit-il assurer un niveau de vie pour toujours, quitte à hypothéquer une seconde vie ? Si l'on veut réellement travailler à la réforme du divorce du xxie siècle et du mariage du xxie siècle, il faut répondre à cette question.

Vous avez souhaité protéger la femme victime de violences conjugales, qui ne sera plus obligée de quitter son domicile, avec enfants et bagages, pour le laisser à son mari. Cela me paraît constituer une véritable avancée.

Il n'en demeure pas moins que, sur la prestation compensatoire, nous devrons aller beaucoup plus loin pour ne pas hypothéquer les nouveaux mariages, qui peuvent être espérance de bonheur et d'une vie meilleure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous ferai remarquer, madame Morano, que vous avez oublié de saluer la présidence au début de votre intervention.

Mme Nadine Morano. Veuillez m'en excuser, monsieur le président.

M. le président. Je ne me sens pas concerné personnellement, mais il fait partie de la tradition républicaine de saluer la fonction de président, comme le prévoit notre règlement.

M. Claude Goasguen. Notez tout de même que Mme Morano a parlé sans notes !

M. le président. Certes, et j'y ai été sensible, mais je me devais de faire, courtoisement, cette remarque.

La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Etienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, près de 130 000 : c'est le nombre de divorces prononcés en France en 2002. Un tel chiffre pourrait nous laisser croire que la séparation d'un couple dans notre pays est une réalité, certes triste, mais somme toute des plus banales.

On nous répète régulièrement qu'un couple sur trois, voire un couple sur deux en région parisienne, finit par divorcer.

Divorcer n'est jamais une démarche « banale ». Se séparer de celui ou de celle que l'on a aimé est nécessairement source de souffrances. Celles et ceux qui ont traversé cette épreuve ne le savent que trop bien. A ce chagrin d'un adulte s'ajoute, dans la majorité des cas, celui d'un ou de plusieurs enfants. La responsabilité d'un homme ou d'une femme qui divorce est dès lors doublée de celle d'un père ou d'une mère.

Puisqu'il est question de sentiments, ou de disparition de sentiments, du moins pour l'un des deux conjoints, la raison est mise à rude épreuve. Les débats autour de la rupture peuvent en conséquence devenir passionnels. Cet échec est alors susceptible de cristalliser nombre de rancœurs.

Il s'agit, dès lors, face aux conflits qui s'annoncent, d'apaiser les tensions. Les époux, parties prenantes, doivent pouvoir prendre de la distance par rapport à la procédure qui les touche dans leur intimité. Qui d'autre qu'un avocat est à même de tenir ce rôle ?

Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, entendue par la délégation aux droits des femmes, a fait valoir que « lorsqu 'il existe un consentement commun au divorce, il faut bien voir que c'est un consentement dans un désaccord : on ne cherche pas à divorcer lorsqu'on s'entend bien au préalable. Par conséquent, les divorçants sont des gens [...] qui, par définition, sont en contentieux ou en tout cas en discussion et, plus encore, dans un rapport parfois très inégalitaire entre l'homme et la femme, au détriment de la femme. Je pense donc [...] que, pour cette raison, un accord dans le désaccord justifie que chacun des conjoints ait son avocat. »

De façon très juste, Mme Moreau nous rappelle que non seulement une séparation, par essence même, est un désaccord, mais encore qu'il y a très souvent une inégalité entre l'homme et la femme, en défaveur de cette dernière.

La présence de l'avocat auprès de chacune des parties trouve dans cette inégalité ce que j'appellerai une seconde justification. L'assistance obligatoire d'un avocat pour chacune d'entre elles permettrait de rééquilibrer des rapports trop souvent inégaux. La présence de deux conseils aurait pour effet un consentement plus éclairé et une meilleure défense des intérêts des deux parties.

Gardons bien à l'esprit qu'un jugement de divorce organise la vie des divorcés mais aussi de leurs enfants. Ses conséquences sont donc extrêmement importantes pour les uns et les autres. Nous avons, tous et toutes, autour de nous, des exemples de procédures qui n'en finissent pas, avec les ravages, moraux et financiers, que cela entraîne. Il me semble dès lors que l'assistance obligatoire d'un conseil apaiserait, en partie seulement - soyons réalistes et humbles - ces déchirements.

Il me paraît donc essentiel, monsieur le garde des sceaux, eu égard aux enjeux, tant humains que matériels, d'un divorce, de modifier quelques articles du texte qui nous est soumis et d'y intégrer ainsi cet objectif.

S'agissant du divorce par consentement mutuel, le choix d'un seul avocat n'est pas équitable. La procédure ne compte plus qu'une seule audience, qui interviendrait trois mois après la demande de divorce. Une fois encore, la partie faible ne pourra faire valoir ses droits, y compris dans ce laps de temps, dont elle ne saura tirer profit.

On m'opposera l'argument selon lequel, les honoraires des avocats étant élevés, les époux préfèrent recourir à un seul et même conseil. Mais quel est le gain, lorsqu'un contentieux, post-divorce notamment, survient ? Or il est indéniable qu'une partie qui se sera sentie mal défendue aura la volonté de relancer une procédure. Nombreux sont ainsi les époux qui, n'ayant pu faire valoir certaines de leurs demandes, regrettent d'avoir choisi cette possibilité qui leur est offerte.

Quant aux autres procédures de divorce, il est tout aussi fondamental d'y assurer l'assistance obligatoire de chacun des époux par un avocat. S'il est prévu que le demandeur à la procédure soit obligatoirement assisté par un conseil, en revanche il n'est fait nulle obligation au défendeur d'être assisté lors de la phase de conciliation. L'assistance de deux conseils permet un réel débat contradictoire dont il ne peut être fait l'économie. Cela est d'autant plus indispensable qu'à l'audience de conciliation sont prises des décisions importantes, non seulement pour les époux mais également et surtout pour les enfants.

Au nom du principe même de l'impartialité, ne conduisons pas, de facto, le juge, saisi d'une procédure de divorce, à rétablir, de lui-même, l'équité entre les époux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs, les interventions que nous venons d'entendre ont bien montré la complexité du sujet que nous avons à traiter et l'extrême difficulté de choisir entre des intérêts qui peuvent être contradictoires. Telle est la réalité humaine à laquelle renvoie le présent texte.

C'est la raison pour laquelle il était très positif qu'un débat s'instaure dans notre pays au cours des années passées. Il a débouché sur un groupe de travail qui a pris en compte les réflexions organisées dans ce cadre, y compris sous la précédente législature.

Nous abordons là des problèmes complexes qui touchent à l'essentiel, qui sont toujours douloureux et qui nécessitent, par conséquent, une grande prudence et beaucoup de modestie. Il n'y a pas, en effet, de solutions parfaites. C'est avec opiniâtreté, modestie et humilité qu'il nous faut rechercher les meilleures ou, en tout cas, les moins mauvaises.

M. Delnatte a évoqué l'ensemble du texte mais je ne reviendrai que sur un point, l'autorité parentale, dont ont parlé aussi d'autres orateurs.

A propos de la loi de mars 2002, qui a constitué une avancée, nous effectuons en ce moment, autant que faire se peut, une évaluation de sa mise en œuvre pour ce qui concerne la résidence alternée. M. Mallié s'en est également préoccupé. En l'état actuel des choses, rien ne paraît nous amener à remettre en cause ce qu'a instauré la loi de 2002 mais il est intéressant de savoir, avec précision, où en est la mise en application de cette mesure.

Mme Levy a exprimé son soutien au texte. Comme elle, je pense que simplification ne doit pas signifier précipitation. Il faut que cela soit bien compris, mais nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de l'examen des articles. Je rappelle en tout cas que, s'agissant du divorce par consentement mutuel, le juge a toujours la faculté de renvoyer l'affaire avant l'homologation, ce qui me paraît très important.

M. Blessig a insisté sur le fait que le divorce pour altération définitive du lien conjugal n'est pas une répudiation. Je le remercie de l'avoir rappelé. Je n'aurais pas participé à une telle aventure, je le dis clairement. Il s'agira d'un divorce constat d'échec. Et je suis persuadé que l'immense majorité des parlementaires s'accordent pour faire en sorte que le nombre - 40 % ! - des divorces pour faute diminue. Mais ce n'est possible que si l'on offre, devant un échec patent, une autre solution que la recherche absurde du divorce pour faute, et même si les parties n'ont pas la volonté d'aller vers cette autre solution.

Je souligne, par ailleurs, que le divorce pour altération définitive du lien conjugal présente un certain nombre de garanties très fortes qui assurent les droits du défendeur. Je veux parler de la demande reconventionnelle, toujours possible, vers un divorce pour faute ou encore des droits à obtenir des dommages et intérêts, sans parler de la prestation compensatoire, mais cela va sans dire.

Monsieur Le Bouillonnec, je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur la non-suppression du divorce pour faute. Depuis que j'exerce les responsabilités de garde des sceaux, ministre de la justice, j'ai été frappé de découvrir l'ampleur des violences familiales et conjugales. Je savais, bien sûr, que cela existait mais je ne pensais pas que c'était à ce point. Je ne voudrais pas être le ministre de la justice qui, en même temps qu'il lutte, avec ses collègues du Gouvernement, avec les magistrats, les policiers et les associations, contre ces violences, présiderait à la suppression du divorce pour faute. Peut-être ai-je tort, et j'ai d'ailleurs cru comprendre que vous ne partagiez pas ce point de vue, mais il y aurait une contradiction fondamentale à faire les deux choses à la fois. Je ne peux m'y résoudre.

Voilà la raison profonde - personnelle, allais-je dire - qui m'a amené à cette position. Mais il en est d'autres, et d'abord la possibilité qu'a toujours le juge d'apprécier les choses. Tout le dispositif repose là-dessus.

Nous en reparlerons au cours du débat mais je tenais à vous dire ma profonde conviction qu'il est nécessaire de maintenir le divorce pour faute, à condition, bien sûr, d'ouvrir une véritable alternative, lorsque ledit divorce pour faute devient, en réalité, un outil technique de convenance - ce qui se produit parfois, j'en conviens. D'où l'importance de l'innovation que constitue ce divorce constat d'échec, constat de rupture de la vie commune, ou plus exactement de la disparition des liens du mariage.

A M. Lassalle, qui a développé d'autres considérations, je tiens à confirmer combien nous luttons, au-delà du texte, par les politiques pénales, contre les violences familiales et conjugales. Je souhaite en outre développer, avec ma collègue secrétaire d'Etat, toute une politique d'aide aux victimes, d'accompagnement des victimes, d'accès au droit pour elles, afin de répondre aux inquiétudes dont il s'est fait le porte-parole.

M. Vaxès a souligné la pluralité des cas de divorce - il est important que le texte en ait tenu compte. Il a craint, avec d'autres, que le divorce pour altération définitive du lien conjugal ne devienne une forme de répudiation. Le dispositif, tel qu'il est prévu, garantit contre ce risque. En effet, sont prévues la demande reconventionnelle en divorce pour faute, je le disais il y a un instant, et l'obtention de dommages et intérêts.

En outre, M. Vaxès a eu raison de souhaiter que le divorce n'accentue pas les inégalités. C'est bien la raison pour laquelle la reconnaissance de la prestation compensatoire, dans toutes ses dimensions, est très importante. De ce point de vue, il fallait maintenir l'esprit de la loi de 1975, modifiée par celle de 2000.

Mme Pecresse a souligné, avec pertinence, qu'il pouvait y avoir violences aussi bien dans le mariage que hors mariage. Nous en reparlerons un peu plus tard dans la soirée au moment de l'examen de son amendement, dont je comprends les motivations mais dont le dispositif technique me paraît complexe. Je crains qu'il ne soulève des difficultés d'application.

M. Geveaux a évoqué la prestation compensatoire sur laquelle nous reviendrons longuement. Le présent projet prolonge la loi de juin 2000 en introduisant davantage de souplesse dans les modalités de sa fixation, en améliorant les possibilités de révision - point sur lequel il y a un assez large consensus -, en proposant un dispositif original en matière de successions et en encourageant véritablement le versement sous forme de capital.

M. Vidalies a abordé plusieurs points. Je voudrais revenir précisément sur l'un d'entre eux : les conséquences induites par la réforme des retraites.

Je suis favorable à son amendement n° 167, qui a fait l'objet d'un débat entre son auteur et mes collaborateurs en commission. En effet, cet amendement permet une bonne articulation entre la prestation compensatoire et la pension de réversion et règle le problème posé par la loi en matière de retraites dans certaines de ses modalités. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler tout à l'heure.

M. Mallié a évoqué la place de l'enfant et la question du droit de garde. Il s'agit d'un sujet extraordinairement délicat sur les plans humain et personnel. Comme je l'ai dit tout à l'heure en évoquant l'intervention du rapporteur, s'agissant de la loi de 2002, nous devons pour l'instant respecter une période d'observation. En matière familiale comme dans le domaine législatif, bénéficier d'un recul suffisant est nécessaire pour apprécier la mise en œuvre d'un texte. S'agissant des conditions d'application de la résidence alternée, la prudence nous conseille cette période d'observation avant de revenir éventuellement sur un texte extrêmement récent.

Madame Boutin, vous qui vous opposez au texte...

Mme Christine Boutin. Non, à certains de ses aspects seulement ! Mais je le voterai !

M. le garde des sceaux. Croyez-moi, il ne s'agit en rien d'un « divorce-répudiation ». Sinon, je n'y serais pas favorable et je ne le défendrais pas au nom du Gouvernement.

Mme Christine Boutin. Bien sûr !

M. le garde des sceaux. Nous avons créé un dispositif équilibré, avec des droits pour le défendeur. S'agissant, par exemple, de la prestation compensatoire, le juge statuera en toute équité, sans parler, bien sûr, des dommages et intérêts. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen des articles.

M. Perrut a souhaité que nous évitions les excès de précipitation dans la procédure. Je pense que nous y sommes parvenus.

Quant à la médiation de prévention, j'y suis très favorable. Comme vous, mesdames et messieurs les députés, en tant qu'élu local, j'ai eu l'occasion de constater les conséquences du divorce sur nombre de familles, conséquences parfois imprévues, et surtout non anticipées par aucun des deux conjoints. D'où l'importance de la médiation et de l'intervention d'un tiers, autre que le juge, qui apportera au divorce une dimension sociale et humaine. Son rôle n'est pas d'éviter le divorce aux conjoints, mais de les y préparer psychologiquement, d'en évoquer les conséquences économiques et financières, et surtout d'envisager l'avenir des enfants.

C'est la raison pour laquelle, avec Christian Jacob, nous avons souhaité développer la médiation familiale. Comme l'a rappelé tout à l'heure Mme Roig, nous avons augmenté de plus de 60 % l'aide aux associations de médiation dans le budget de 2004 du ministère de la justice. En outre, Christian Jacob a mis en place un diplôme de médiateur, car le travail d'accompagnement requiert des qualités professionnelles spécifiques. Il importe donc de développer ces formations.

Enfin, M. Pinte a évoqué la présence des avocats lors des procédures. S'agissant du divorce par consentement mutuel, dans 90 % des cas, aujourd'hui, il n'y a qu'un avocat. Il serait donc pour le moins paradoxal qu'un texte visant à la simplification ait pour conséquence de revenir sur 90 % des cas où les deux ex-conjoints ont trouvé satisfaisant de ne recourir qu'à un seul avocat. Je rappelle que la procédure se fait sous le contrôle du juge. Le juge reçoit séparément les deux époux. En cas de déséquilibre, il peut renvoyer l'affaire et inviter les parties à choisir chacune un avocat.

La mesure proposée par M. Pinte constituerait une contrainte supplémentaire. Je m'en suis enquis personnellement au sein d'un groupe de travail que j'ai présidé, composé de professionnels, et notamment d'avocats : aucun d'entre eux n'est allé dans ce sens, estimant qu'un tel dispositif entraînerait d'inutiles complications.

Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais d'ores et déjà apporter aux différents orateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Sénat.

Article 1er

M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi d'un amendement n° 100.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour le soutenir.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous souhaitons anticiper le débat que nous aurons tout à l'heure sur les dispositions de l'article 242 du code civil. Notre amendement vise à supprimer la notion de divorce pour faute.

L'article 229 du code civil articulait préalablement les trois causes de divorce : le consentement mutuel, la demande acceptée et la faute.

Le nouveau dispositif crée quatre causes de divorce, en séparant la demande acceptée de celle du consentement mutuel, et en maintenant le divorce pour faute. Or la notion de faute est inappropriée dans le cadre du projet, qui se situe dans une démarche différente. Aussi proposons-nous de remplacer, dans le texte proposé pour l'article 229, les mots : « de faute » par les mots : « pour comportement inconciliable avec le maintien du lien conjugal ».

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrick Delnatte, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement.

L'opinion, qui reste attachée aux notions de faute et de responsabilité, dont nous avons longuement débattu dans le cadre de la discussion générale, ne comprendrait pas que le législateur les fasse disparaître de façon détournée, en les définissant différemment. Certes, le problème des violences conjugale se pose, mais l'essentiel est que la procédure de divorce pour faute ne soit pas détournée.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Je l'ai déjà dit, je suis hostile à la disparition du divorce pour faute. J'indique d'ailleurs à M. Le Bouillonnec que la rédaction qu'il propose pourrait faire l'objet d'une interprétation extensive.

Certes, la notion de faute, comme l'a rappelé Valérie Pecresse, a une connotation moralisante. Mais le mariage implique la responsabilité et le manquement à l'engagement pris constitue ce que l'on appelle communément une « faute ». M. Le Bouillonnec propose de remplacer ce terme d'une façon qui n'est pas très heureuse, car sa formule, si nous l'adoptions, élargirait les possibilités de recours à ce type de divorce.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, je suis personnellement pour la suppression du divorce pour faute. Cet amendement, que je présente au nom de mon groupe dans un esprit de loyauté, est donc déjà en retrait par rapport à ma conception propre.

Cela étant, je m'inscris en faveur du dispositif qui prévoit le maintien des dispositions de l'article 242 du code civil. Dans ce cadre, nous proposons de modifier, d'une part, le libellé qui, vous l'avez-vous même reconnu, monsieur le garde des sceaux - et je m'en félicite parce que je n'aurais pas osé le faire - présente une forte connotation morale et, d'autre part, le contenu du manquement tel que le définit l'article 242. Car, monsieur le ministre, prétendre que votre dispositif atténuera l'importance de la faute est inexact puisque, à mon grand regret, la commission a retenu la rédaction du Sénat plutôt que la vôtre qui, en supprimant les termes « ou renouvelée » dans le texte initial, donne tout son poids au mot « grave ». Mais nous y reviendrons.

Pour l'heure, nous ne décrivons pas le contenu de la faute, nous essayons de lui donner une autre appellation dans le cadre de l'article 229 du code civil.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 100.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. Emile Blessig, inscrit sur l'article 2.

M. Emile Blessig. Si l'article 2 du projet simplifie la procédure de divorce par consentement mutuel en la rendant plus rapide, il ne faut pas que ce soit au détriment de la réflexion des époux, auxquels s'offrent plusieurs possibilités.

La commission a adopté un amendement qui généralise un délai de réflexion préalable de trois mois. Mais, en cas de difficulté, un autre délai pourrait être proposé, voire imposé par le juge qui pourrait prévoir une seconde comparution.

La question qui se pose est la suivante : un délai de réflexion est-il nécessaire dans tous les cas ? Ne pourrait-on pas envisager qu'il soit accordé sous la forme d'une seconde comparution organisée à la demande des parties, comme je le proposerai dans mon amendement n° 77 ?

M. le président. Vous venez ainsi de défendre votre amendement n° 77.

L'amendement n° 14 n'est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 6.

La parole est à Mme Geneviève Levy, pour le soutenir.

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. La simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel entraîne la suppression de la seconde comparution devant le juge. Elle devrait avoir pour corollaire le respect d'un temps de réflexion entre la demande en divorce et la comparution unique. C'est le sens de cet amendement, qui vise à introduire au début du texte proposé pour l'article 232 du code civil les mots : « Après un délai de réflexion de trois mois suivant la demande en divorce ».

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrick Delnatte, rapporteur. La commission a émis un avis favorable. Simplification ne veut pas dire précipitation. La logique d'une comparution unique implique que tout - travail de l'avocat et travail des parties - soit préparé en amont. Dans cette perspective, un délai de réflexion de trois mois nous a paru intéressant.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Je livrerai tout d'abord un simple élément factuel indiquant la réalité du divorce aujourd'hui : dans environ la moitié des tribunaux, l'audiencement se fait en moins de trois mois. Il est bon de le savoir. Les procédures plus longues peuvent sans doute s'expliquer par des raisons d'organisation ou de moyens.

Même si l'amendement préserve le principe d'un seul passage devant le juge, son adoption constituerait un frein. Dans le cadre d'un texte visant à simplifier et apaiser les procédures de divorce, et dans le cas, de surcroît, où les deux époux sont d'accord, pourquoi introduire un tel délai ?

J'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que disait à l'instant M. Blessig. Une ouverture est sans doute possible : elle consiste à prévoir le délai de trois mois lorsque les époux en font la demande. Mais s'ils ne le souhaitent pas, pourquoi l'imposer ?

J'ai conscience, monsieur le président, que nous sommes en séance publique, mais je me permets d'entretenir ce dialogue avec la commission car nous touchons là à un point très important. Le consentement mutuel, je le rappelle, concerne 60 000 divorces par an. Ce n'est pas négligeable. Or l'amendement tendrait à introduire un délai qui n'existe pas aujourd'hui. Je trouve cela paradoxal, et c'est la raison pour laquelle je suis défavorable à l'amendement tel qu'il est proposé, sous réserve d'adopter la suggestion de M. Blessig.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Ce débat est assez important dans la mesure où il est susceptible d'avoir une conséquence pratique pour nos concitoyens, celle de se voir imposer un délai. Non seulement celui-ci présenterait l'inconvénient majeur d'alourdir les procédures quand l'objectif général vise à les simplifier, mais il se révélerait nuisible, dans la pratique - il y a ici un certain nombre de professionnels qui le savent - dans les cas où la décision de divorce doit intervenir très rapidement. J'ai cité en commission un exemple tiré de ma propre expérience, celui de militaires devant partir à l'étranger et pour lesquels une décision rapide doit être rendue. J'ai été plusieurs fois confronté à une telle situation. En l'absence d'une procédure de dérogation, si les personnes concernées doivent se heurter à ce type de délai, nous aurons élaboré un mauvais texte.

Je suis beaucoup plus sensible à la proposition faite par M. Blessig, qui me paraît répondre à une préoccupation que l'on peut partager tout en évitant la rigidité de l'amendement n° 6.

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Je soutiens l'amendement proposé au nom de la délégation aux droits des femmes. Je comprends bien les observations faites par le garde des sceaux et par M. Vidalies, mais il me semble que les cas que ce dernier vient d'évoquer sont peu nombreux. Comparées aux 60 000 cas annuels de divorce par consentement mutuel, les personnes qui doivent divorcer avant de partir à l'étranger ne pèsent pas beaucoup.

En revanche, trois mois, c'est très court. Pourquoi ne pas offrir un délai de réflexion supplémentaire ? Du reste, le développement de la médiation, qui fait l'objet d'une des bonnes mesures du projet de loi, le montre bien : il convient parfois de prendre le temps de réfléchir. C'est pourquoi l'amendement n° 6 me paraît constituer une bonne proposition.

M. le président. La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig. Une seule précision : un couple qui divorce est, en général, un couple majeur.

Mme Christine Boutin. Difficile d'imaginer le contraire !

M. Emile Blessig. Il a réfléchi avant de prendre une décision. Dès lors que le couple s'est engagé, un délai supplémentaire de trois mois, même s'il part d'une bonne intention, sera, dans la majorité des cas, un facteur de retardement que les greffes devront gérer, ce qui peut poser des difficultés.

Mme Christine Boutin. Trois mois, ce n'est rien !

M. Emile Blessig. Par ailleurs, si un problème ou une hésitation survient, avoir la possibilité de repasser devant le juge pour une seconde audience me paraît une bonne manière de concilier le souci d'offrir un délai de réflexion et l'aspiration à une certaine efficacité.

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Levy.

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Monsieur le président, je pense que l'essentiel est de s'assurer qu'il n'existe aucun risque de voir un consentement donné trop hâtivement. La proposition qui vient d'être faite par M. Blessig et qui a recueilli l'accord de M. le garde des sceaux me paraît tout à fait répondre à cette préoccupation.

Mme Christine Boutin. Non !

M. le président. Cela signifie-t-il que vous retiriez votre amendement ?

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. En effet.

Mme Christine Boutin. C'est intolérable !

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Mais je propose une nouvelle rédaction : « Lors du dépôt de la requête, les époux peuvent demander que l'audience ne soit pas organisée avant l'expiration d'un délai de trois mois. »

M. le président. Ce n'est pas aussi simple : il me faudrait un texte. Nous ne sommes pas en commission.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Delnatte, rapporteur. Je suis un peu embarrassé. D'abord, le juge a toujours la possibilité de décider des mesures d'urgence, ce qui constitue une réponse à la situation décrite par M. Vidalies.

Ensuite, la formulation proposée, qui donne aux époux un délai de réflexion, à leur initiative ou à celle de leurs conseils - car c'est bien le rôle de ces derniers - me paraît rester dans la logique du consentement mutuel. La proposition me paraît donc recevable, à condition de l'adopter à la place qui lui convient, c'est-à-dire à l'article 9.

M. le président. Nous ne pouvons pas travailler ainsi sur des sujets aussi sensibles. L'amendement de M. Blessig est parfaitement clair, me semble-t-il.

M. Patrick Delnatte, rapporteur. Je parle de la proposition formulée par Mme Levy.

M. le président. Mais il s'agit d'une nouvelle rédaction, qui de surcroît concerne un autre article.

M. Patrick Delnatte, rapporteur. En effet.

M. le président. Je vous propose de retirer l'amendement n° 6 et de proposer un nouvel amendement à l'article approprié.

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et M. Patrick Delnatte, rapporteur. Tout à fait d'accord !

M. le président. L'amendement n° 6 est donc retiré.

Mme Christine Boutin. Je le reprends !

M. le président. Dans ce cas, je vais le mettre aux voix.

Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, n°s 15 et 77.

L'amendement n° 15 n'est pas défendu.

M. Blessig a déjà soutenu l'amendement n° 77.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?

M. Patrick Delnatte, rapporteur. L'amendement de M. Blessig tend à prévoir la tenue d'une deuxième comparution à la demande des parties. Or nous nous situons dans la logique d'une comparution unique. C'est le juge qui, dans le cas où il considère qu'un doute subsiste, soit sur le consentement des parties, soit sur la convention qui lui est présentée, peut demander une deuxième comparution. Mais, formulée par les époux, une telle demande relève d'une tout autre logique car elle revient à tout recommencer à zéro.

Je le rappelle, lorsqu'un problème survient, ou qu'un litige éclate s'agissant des conséquences du divorce, la procédure de divorce accepté se révèle beaucoup plus adaptée. Dans le cadre du consentement mutuel, je pense que nous devons rester dans la logique de la comparution unique, en laissant toutefois au juge, en cas de doute, la possibilité d'en prévoir une seconde.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Même avis, monsieur le président. Il s'agit là d'une proposition différente de celle que M. Blessig avait évoquée en intervenant sur l'article. C'est tout à faire clair pour ceux qui ont bien suivi le débat.

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Monsieur le président, je me permettrai de répondre plus directement à M. le rapporteur. Ensuite, chacun reconnaîtra les siens.

Nous examinons un texte très important, qui concerne la famille au moment de sa rupture et qui touche aussi bien les enfants que les adultes. Or je trouve que le débat commence mal.

Nous ne sommes pas compris. Je pensais qu'à défaut d'adopter l'amendement que j'ai repris, et qui n'a été repoussé que de quelques voix, celui de M. Blessig serait accepté.

M. Alain Vidalies et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous aussi !

Mme Christine Boutin. Je suis d'ailleurs convaincue que le vote aurait été différent si nous n'avions pas compris cela.

M. Alain Vidalies et M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est probable, en effet !

Mme Christine Boutin. C'est un véritable problème.

Monsieur le garde des sceaux, vous savez toute la sympathie que j'éprouve à votre égard, mais si la seule motivation de votre avis défavorable à l'amendement de M. Blessig est une question de principe, je vous préviens : s'agissant du sort d'hommes, de femmes et d'enfants, d'une rupture et de la nécessité d'une réflexion, je ne peux vous suivre.

M. le président. La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig. Je voudrais apporter un petit complément d'information. La question qui se posait était celle de donner du temps aux parties. Une part de ce temps est accordé indifféremment : c'est le délai préalable de trois mois. Or tout le monde a convenu qu'il pouvait poser problème, car dans 90 % des cas, la situation est claire et un tel délai ne s'impose pas nécessairement.

En cas de difficulté, cependant, le juge peut proposer un délai supplémentaire en convoquant à nouveau les parties. Or, ce que le juge peut décider, pourquoi les parties ne pourraient-elles pas elles-mêmes le proposer lors de l'audience de conciliation ? Voilà ce que je me suis dit, d'autant plus que, nous le savons très bien, nous évoquons là des situations marginales. Je ne vois pas, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, quel principe justifierait la prééminence du juge sur la volonté des parties dans une procédure de divorce. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L'unicité de la procédure est une bonne idée, sauf qu'il faut l'appréhender dans la problématique du couple, même quand il y a consentement mutuel.

Mme Christine Boutin. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous savons parfaitement qu'un accord n'est pas inné, qu'il doit se construire, qu'il peut même s'affiner avec les événements de la vie, y compris ceux qui ont lieu la veille de l'audience, et qu'il peut même encore s'affirmer pendant que l'on discute avec le magistrat, et c'est cela qui est intéressant.

En commission, nous avons donné au magistrat la possibilité d'ajourner l'audience. C'est une nécessité impérieuse, le magistrat devant garder son pouvoir de contrôle.

Dans le même temps, les parties doivent aussi rester maîtres de leur consentement, qu'elles alimentent de leur volonté propre. C'est pour cela que nous avions admis qu'elles pouvaient, en fonction d'éléments nouveaux par rapport à l'établissement des actes initiaux, dire au juge qu'elles avaient besoin d'un temps supplémentaire.

Si nous avons rejeté tout à l'heure l'amendement repris par Mme Boutin, c'est parce que, depuis le débat en commission, nous considérions opportun d'accepter l'amendement de M. Blessig.

Mme Christine Boutin. Je vous remercie d'avoir précisé les choses !

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Nous avons été confrontés les uns et les autres à diverses situations dans les cabinets des magistrats et, avec mon expérience professionnelle, je ne puis qu'adhérer à cet amendement.

La seule chose qui me pose problème, c'est que l'on prévoit une seconde comparution « si les parties le demandent ». Or, dans des situations de cette nature, il est difficile d'imaginer que les deux parties principales le demandent. J'aurais donc tendance à proposer que le juge puisse ordonner une seconde comparution « si l'une des parties le demande ».

Je souhaiterais vraiment que le garde des sceaux accepte cet amendement parce qu'il m'apparaît conforme à la réalité que nous vivons dans les cabinets des magistrats. Encore une fois, il faut intégrer l'élément fondamental que, dans une procédure de divorce, les époux sont parties principales.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Delnatte, rapporteur. Nous sommes dans une logique différente de ce qui se pratique actuellement. Nous nous situons dans le cadre d'un véritable consentement mutuel, où tout a été préparé en amont. Les parties se sont mises d'accord avec leur conseil, toutes les conventions ont été préparées, tout est bouclé. S'il y a des doutes, s'il y a des choses qui ne vont pas, le juge peut renvoyer l'affaire et demander une deuxième comparution, mais si les parties elles-mêmes commencent à en demander une, on n'est plus dans le consentement mutuel, on est dans le divorce accepté, c'est-à-dire qu'on est d'accord sur le principe du divorce mais qu'on a des désaccords sur ses conséquences.

Comme le divorce accepté est beaucoup plus facile à utiliser maintenant, qui, lui, est contentieux, avec toute la protection que vous souhaitez, et qu'il y a deux avocats, restons sur le principe du vrai consentement mutuel et toutes les situations que vous évoquez donneront lieu à un divorce accepté.

On est dans une autre logique, avec de vrais consentements mutuels. Ne compliquons pas les choses lorsqu'elles sont simplifiées.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Le rapporteur a raison. Si l'on parle de consentement mutuel, il s'agit d'un consentement mutuel d'adultes responsables...

Mme Christine Boutin. On peut changer d'avis !

M. le garde des sceaux. ...qui savent très bien, lorsqu'ils viennent devant le juge, ce qu'ils viennent y faire. Si l'un ou l'autre a une hésitation, on change de dispositif et c'est le divorce accepté.

Attention à ne pas faire disparaître du texte, en confondant deux notions, des éléments réels de simplification qui permettront un meilleur fonctionnement de la justice. Il y a vraiment là un point clé qui me paraît extrêmement important.

Encore une fois, s'il y a une réticence de l'un ou de l'autre, on n'est plus dans le consentement mutuel et on passe à autre chose : chacun aura son avocat et les choses seront discutées. C'est le divorce accepté. N'inventons pas des difficultés là où il n'y en a pas.

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tous d'accord, je crois, pour dire que le divorce s'est beaucoup répandu dans notre pays, mais que c'est un échec. En tout cas, c'est ce que j'ai entendu à la tribune, quels que soient les bancs sur lesquels siégeaient ceux qui se sont exprimés.

S'il y a une chance qu'il n'y ait pas divorce, on peut donner trois mois de réflexion supplémentaires. Le problème n'est pas de changer ou pas de type de divorce : il s'agit d'hommes et de femmes qui peuvent avoir besoin d'un temps de réflexion.

M. le président. La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Etienne Pinte. Pour éviter ces demandes reconventionnelles qui, effectivement, n'entrent pas tout à fait dans le cadre du consentement mutuel, j'ai proposé tout à l'heure, mais le ministre l'a refusé, en tout cas pour le moment, que chacune des parties ait son conseil et son avocat.

A partir du moment où une conciliation préjuridictionnelle aura eu lieu en toute connaissance de cause, en toute transparence, en toute clarté, et où la partie plus faible, en général la femme, aura été suffisamment défendue parce qu'elle aura systématiquement son conseil, les parties risqueront moins de demander un délai supplémentaire. Elles pourront préparer en quelque sorte leur divorce par consentement mutuel, et le problème se posera alors de façon moins cruciale.

M. le président. L'Assemblée me semble maintenant suffisamment informée.

Je mets aux voix l'amendement n° 77.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié par l'amendement n° 77.

(L'article 2, ainsi modifié, est adopté.)

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1338, relatif au divorce :

M. Patrick Delnatte, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1513),

Mme Geneviève Levy, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information n° 1486).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot