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Deuxième séance du jeudi 13 mai 2004

218e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

AUTONOMIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Suite de la discussion d'un projet de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (nos 1155, 1541)

Discussion générale (suite)

M. le président. Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'intérieur, mes chers collègues, dans son célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville écrivait, dans le fameux chapitre V, « Du système communal en Amérique » : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans l'institution communale, une nation peut se donner un gouvernement libre, elle n'a pas l'esprit de liberté. »

Le débat sur l'autonomie financière des collectivités locales est d'une grande actualité. Depuis 1986, l'autonomie financière des collectivités locales n'a cessé de se dégrader. De 1997 à 2002, ce long mouvement s'est brutalement accéléré.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est vrai !

M. Charles de Courson. La nouvelle majorité a
- hélas ! - continué dans la même voie...

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Charles de Courson. ...en ne prévoyant pas de financer les transferts de compétences par des impôts dont les assemblées locales voteraient le taux et/ou l'assiette, mais par l'attribution d'une part du produit d'impôts nationaux.

Il faut reconnaître que lors de la première décentralisation, en 1982 et 1983, Gaston Defferre avait transféré des impôts d'Etat comme la vignette ou la taxe sur les immatriculations, en permettant aux collectivités d'en moduler le taux ou l'assiette. La même majorité de gauche est malheureusement revenue en arrière en ce qui concerne la vignette.

J'ajoute que les débats en cours sur la suppression de la taxe professionnelle ne font qu'inquiéter davantage les élus locaux quant à l'avenir de l'autonomie financière des collectivités territoriales.

La discussion qui s'engage sur ce projet de loi organique est très importante, car la question du financement des collectivités territoriales est au cœur de la conception que l'on se fait de la démocratie locale.

En fait, deux grandes conceptions s'affrontent.

La première, celle de Tocqueville, tend à considérer qu'une certaine liberté de fixation de l'assiette et du taux des impôts par les collectivités territoriales est un élément central de la démocratie. Le consentement à l'impôt est à la source de celle-ci. Pour les défenseurs des libertés locales, les choix fiscaux et le niveau de la dépense publique locale sont étroitement liés, les électeurs devant sanctionner ou approuver les choix faits par les élus. Cette première conception est partagée par la quasi-totalité des élus locaux et une grande partie des élus nationaux.

La seconde conception est celle de tous ceux qui se méfient des élus locaux, et qui sont nombreux en France. Ils pensent qu'il faut limiter au maximum les dépenses publiques locales, en alimentant financièrement les collectivités locales par des dotations, des versements représentatifs d'impôts d'Etat et le moins possible par des impôts locaux dont le taux et/ou l'assiette sont fixés par des assemblées locales. Cette conception est défendue par la très grande majorité de la haute fonction publique française et, plus généralement, par tous les jacobins du pays, qui - hélas ! - ne se recrutent pas seulement sur les bancs de la gauche.

Dans ce débat, la position de l'UDF est claire. Elle considère que la France est un Etat unitaire trop centralisé - l'un des plus centralisés, même, de tous les Etats démocratiques - ce qui handicape notre pays. Depuis sa fondation, il y a plus d'un tiers de siècle, l'UDF est favorable à la décentralisation dans la lignée des défenseurs des libertés locales comme Tocqueville. Fidèle aux valeurs de liberté et de responsabilité, elle est favorable à ce qu'une part prépondérante, et non déterminante, des dépenses locales soit financée par des impôts locaux dont le taux et l'assiette sont fixés par les assemblées locales.

Consciente du caractère archaïque du système fiscal local français, elle en souhaite la modernisation, en allant dans le sens d'une certaine spécialisation de l'impôt par niveau et par l'octroi, au moins aux départements et aux régions, d'un impôt moderne et à l'assiette stable et démocratique, c'est-à-dire payé par la très grande majorité des citoyens, et conforme aux capacités contributives des citoyens. L'assiette de la CSG est une piste de nature à répondre à ces critères.

Au regard de ces principes, je suis au regret de vous dire, mes chers collègues, que l'UDF, parti qui, depuis un tiers de siècle, a le plus soutenu la décentralisation, porte une appréciation négative sur ce texte dans sa rédaction actuelle. Pourquoi ?

M. René Dosière. Parce qu'il est mauvais !

M. Charles de Courson. Première raison, la définition du ratio d'autonomie financière qui est proposée à l'article 3 ne traduit pas le degré d'autonomie financière réelle des collectivités territoriales.

Le Gouvernement nous propose de considérer comme des ressources propres trois catégories de ressources : le produit d'impôts nationaux affecté pour tout ou partie aux collectivités territoriales sans possibilité de modulation de l'assiette et/ou du taux par les assemblées locales ; le produit d'impôts locaux dont l'assiette et/ou le taux sont fixés par les assemblées locales et les recettes non fiscales comme les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les produits financiers, les dons et legs.

Or, si les deuxième et troisième catégories sont bien des ressources propres traduisant l'autonomie financière des collectivités locales, il n'en est pas de même pour la première catégorie. En effet, la thèse gouvernementale, suivie - hélas ! - par les deux rapporteurs est indéfendable. En quoi le versement aux collectivités locales d'impôts dont l'assiette et les taux sont votés par le Parlement traduirait-il une autonomie financière des collectivités territoriales ?

Dans l'état actuel du texte, n'importe quel gouvernement pourrait remplacer des impôts locaux par des versements de tout ou partie d'impôts nationaux sans dégrader le ratio d'autonomie financière des collectivités !

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, saisie pour avis. C'est un procès d'intention !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L'argument est spécieux !

M. Charles de Courson. Nos collègues sont-ils conscients que le texte que l'on veut nous faire voter permettrait à un gouvernement - celui-ci ou, sans doute davantage, un autre - de supprimer tous les impôts locaux et de les remplacer par le versement d'une partie du produit de la TVA ou de l'impôt sur le revenu, par exemple, sans changer le niveau du ratio d'autonomie financière ? Cette démonstration par l'absurde prouve que la seule solution sage est de ne pas considérer comme des ressources propres des collectivités le versement de tout ou partie d'un impôt national. Que resterait-t-il, a contrario, du principe de libre administration des collectivités territoriales ?

M. René Dosière. Très juste !

M. Charles de Courson. La loi organique faisant l'objet d'un contrôle automatique par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement, s'il persistait dans sa position actuelle, prendrait un triple risque d'inconstitutionnalité.

Le premier serait que le Conseil constitutionnel considère que le produit d'impôts nationaux affecté pour toute ou partie aux collectivités territoriales, sans possibilité de modulation ni du taux ni de l'assiette par ces dernières, ne constitue pas une recette fiscale au sens du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

M. Charles de Courson. Je ne dis pas qu'il le fera, je dis qu'il ne faut pas confondre le deuxième alinéa de l'article 72-2 avec son troisième alinéa. J'y reviendrai longuement.

Le deuxième motif d'inconstitutionnalité résiderait dans l'incompatibilité entre la thèse gouvernementale et le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales inscrit au deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution. Quand bien même le Conseil constitutionnel ne retiendrait pas le premier motif d'inconstitutionnalité, ne serait-il pas conduit à suggérer au législateur, par une réserve d'interprétation, de fixer une part maximale dans les ressources propres, au sens où l'entend le Gouvernement, des versements de tout ou partie du produit d'impôts nationaux au-delà de laquelle le principe de libre administration ne serait plus respecté ?

J'appellerai également l'attention de nos collègues et du Gouvernement sur un troisième risque d'inconstitu-tionnalité, plus subtil celui-là. Il se fonde sur la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2003 rappelant que lorsque le transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution à ces dernières d'une part d'un impôt national en guise de ressources équivalente, l'Etat doit « maintenir un niveau de ressources équivalentes à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert ».

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il y a donc toutes les garanties.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela contredit votre démonstration !

M. Charles de Courson. Laissez-moi poursuivre mon raisonnement jusqu'à son terme, mon cher collègue.

Si l'on transfère des recettes fiscales dont les taux ou l'assiette peuvent être modulés, les collectivités territoriales peuvent ajuster les recettes aux dépenses par un vote de l'assemblée délibérante. En revanche, si l'on attribue une part d'un impôt d'Etat, les collectivités territoriales ne peuvent rien faire et l'Etat ne sera obligé d'ajuster son attribution qu'en cas de baisse du produit dudit impôt national. Car, contrairement à ce qu'affirment certains, qui ne l'ont probablement pas lue, la décision du Conseil constitutionnel prévoit que l'Etat n'est tenu de procéder à un ajustement qu'en cas de baisse du produit de l'impôt transféré.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous sommes d'accord !

M. Charles de Courson. S'il y a un écart croissant entre les deux, il n'est pas tenu de le faire, conformément à la réserve d'interprétation figurant dans le fameux alinéa 23. Vous prenez donc un risque.

J'illustrerai la thèse de l'UDF par l'exemple du transfert d'une part de la TIPP aux départements en contrepartie du transfert de compétences en matière de RMI-RMA

Si l'on suit la thèse du Gouvernement, la nouvelle étape de décentralisation se traduirait par une hausse du taux d'autonomie financière des départements, le ratio d'autonomie s'accroissant de 5 milliards d'euros au numérateur comme au dénominateur. On nous dira que le ratio d'autonomie financière augmente, alors que l'autonomie financière réelle des départements baisse, ce qui est paradoxal.

Pour l'UDF, seule la part de TIPP versée aux régions pourra être considérée comme une recette fiscale au sens du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution si l'Union européenne accepte la modulation des taux par les assemblées régionales, ce qui n'est absolument pas certain. En effet, la Commission européenne vient d'indiquer, par une lettre au gouvernement français, que cette modulation ne peut concerner le gazole en raison des distorsions de concurrence qu'elle pourrait induire en matière de transports routiers. De plus, la diésélisation croissante du parc, conjuguée à la limitation de la vitesse moyenne du fait de la politique de sécurité routière, se traduit dès maintenant par une baisse de la consommation d'essence, donc par une baisse spontanée de la recette prévue pour les régions, que l'Etat devra donc compenser, au moins dans la limite du montant initial. Enfin, la Commission européenne a rappelé au Gouvernement que seul le Conseil des ministres était compétent en matière fiscale et qu'il devait statuer à l'unanimité. Or, comment espérer un accord unanime alors que notre pays a des taux d'accises parmi les plus élevés d'Europe ?

La solution est très simple, monsieur le ministre : il suffit de voter le sous-amendement déposé par le groupe UDF à l'amendement du rapporteur général et à l'amendement du rapporteur, tous deux adoptés par la commission des finances et par la commission des lois.

Ce sous-amendement vise à préciser, dès l'article 2 du projet de loi organique, que les seuls impôts inscrits à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, c'est-à-dire ceux pour lesquels les collectivités territoriales peuvent en fixer l'assiette et/ou le taux, dans les limites déterminées par la loi, constituent des ressources propres - des recettes fiscales pour être précis - traduisant l'autonomie financière des collectivités territoriales.

La définition proposée par l'UDF des recettes fiscales, au sens du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution traduisant effectivement l'autonomie réelle, financière des collectivités territoriales, est compatible avec la Constitution et appuyée par de très nombreux élus nationaux et locaux. De plus, elle va dans le sens de l'évolution du financement des collectivités territoriales en Europe.

Cette conception est tout à fait compatible avec la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003. Lors du débat sur cette réforme, j'ai, au nom de l'UDF, posé au Gouvernement la question du contenu du futur ratio d'autonomie financière. A l'époque, le garde des sceaux nous avait renvoyés à la loi organique pour la définition de la notion de recettes fiscales. Il est donc inexact de prétendre, comme on l'entend parfois, que le vote d'une disposition limitant aux seuls impôts pour lesquels les collectivités locales ont la possibilité de fixer le taux et/ou l'assiette, c'est-à-dire le contenu numérateur du ratio d'autonomie financière, est contraire au texte voté en mars 2003. Je vous renvoie d'ailleurs aux débats du 26 novembre 2002 sur le projet de loi de réforme constitutionnelle si vous voulez vous en persuader.

Un deuxième argument en faveur de la thèse de l'UDF est tiré de l'écriture du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution qui utilise l'expression « recettes fiscales » alors que le deuxième alinéa de l'article 72-2 utilise celle d' « impositions de toutes natures » et distingue deux catégories en leur sein : les impositions de toutes natures dont l'Etat verse tout ou partie aux collectivités locales sans que ces dernières puissent moduler leur assiette et/ou leur taux - c'est la première phrase du deuxième alinéa - et celles dont les collectivités locales fixent l'assiette et/ou le taux - c'est la deuxième phrase du deuxième alinéa.

Si la thèse gouvernementale était exacte, la Constitution aurait retenu, au troisième alinéa, le terme « impositions de toutes natures ». Or tel n'est pas le cas.

La grande majorité, voire la quasi-unanimité des élus locaux et nationaux partagent la position de l'UDF.

C'était tout d'abord la position du président de la commission des finances lors du débat sur la réforme constitutionnelle.

Je citerai un extrait du rapport du président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, sur cette réforme : « Sans attendre le projet de loi organique, il est cependant utile de préciser ce que devraient pouvoir être les ressources propres dont la proportion déterminante de l'ensemble des ressources devra être respectée. De manière synthétique, les ressources propres paraissent devoir se limiter... »

M. Gilles Carrez, rapporteur général. «  Paraissent devoir » !

M. Charles de Courson. « ...à celles dont les collectivités disposent d'une certaine maîtrise. Selon la direction générale de la comptabilité publique, il devrait s'agir des recettes de fiscalité directe et indirecte, ainsi que des produits du domaine et des produits d'exploitation. Ces derniers regroupent les recettes encaissées en contrepartie de services rendus aux usagers de services administratifs, industriels et commerciaux, ou sociaux. En tout état de cause, les ressources propres ne semblent pas pouvoir comprendre les dotations, subventions et compensations budgétaires de l'Etat, dont le montant échappe totalement aux collectivités prises individuellement. »

C'était aussi la position du rapporteur général du budget quand nous étions tous les deux dans l'opposition. Je rappelle à mon ami Gilles Carrez les combats que nous avons menés conjointement contre la dérive « strauss-kahnienne et fabiusienne » tendant à réduire l'autonomie financière des collectivités territoriales.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Charles de Courson. Et je rappelle toujours à mes collègues socialistes qu'ils se sont convertis à cette nouvelle position, ce dont je les félicite. Mais je leur dis : n'en faites pas de trop, faites repentance pour les cinq années pendant lesquelles vous avez laissé faire !

M. Jean-Louis Idiart. Seul M. de Courson est toujours dans l'opposition !

M. Charles de Courson. C'était encore la position de l'actuelle majorité lorsqu'elle a fait voter au Sénat, en 2000, une proposition de réforme constitutionnelle.

Nos amis de la majorité sénatoriale ont voté en effet une réforme constitutionnelle sous la forme d'une proposition de loi déposée par le président Poncelet lui-même...

M. Augustin Bonrepaux. Et M. Raffarin !

M. Charles de Courson. ...qui, en son article 7, tendait à insérer un article 72-1 dans la Constitution, dont les modalités d'application seraient fixées par une loi organique. Ce texte affirmait une volonté de consacrer l'attribution de recettes fiscales dont les collectivités maîtrisent les taux comme un élément essentiel de leur libre administration et à conférer une valeur constitutionnelle au principe de la prépondérance de ces recettes fiscales propres - dans le sens où les collectivités en votent les taux - au sein des recettes de fonctionnement de chaque catégorie de collectivités territoriales.

C'est maintenant la position de la gauche. Je m'en réjouis, mais elle devrait éviter de déployer l'ardeur des nouveaux convertis.

M. René Dosière. Oh !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est vrai !

M. Charles de Courson. La gauche est responsable en effet de la très forte dégradation de l'autonomie financière des collectivités entre 1997 et 2003. En effet, les taux d'autonomie financière se sont considérablement dégradés pendant cette période par l'effet cumulé de la réforme des droits de mutation à titre onéreux, de la suppression partielle de la vignette,...

M. René Dosière. Le conseiller général de la Marne n'a pas digéré la suppression de la vignette !

M. Charles de Courson. ...de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle et de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation pour la coquette somme d'un peu plus de 15 milliards d'euros, valeur 2003. Ainsi pour les communes et leurs EPCI, le taux, qui était de 58,2 % en 1997, est tombé à 54,7 % en 2002, soit une baisse de 3,5 %.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Charles de Courson. Je ne dispose pas encore des chiffres pour 2003, mais ce taux continue de plonger.

Le taux d'autonomie des départements, qui était de 58,3 % en 1997, est tombé à 51,6 % en 2003, soit une chute de 6,7 points.

Quant aux régions, on atteint le sommet.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est plutôt le contraire du sommet !

M. Charles de Courson. Leur taux d'autonomie financière s'est effondré, passant de 57,8 % en 1997 à 35,5 % en 2003, soit une chute de 22,3 points.

C'est enfin la position unanime de toutes les associations d'élus locaux, l'ADF, l'AMF et l'ARF, qui ont dénoncé ce texte.

Vous le savez, le 6 mai dernier, l'Association des maires de France a annoncé qu'elle était « en profond désaccord » avec la version actuelle du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, ainsi que l'a rappelé hier soir son secrétaire général Jacques Pélissard. L'AMF estime, à juste titre, que les collectivités territoriales doivent disposer de « ressources propres exclusivement constituées par une ressource dont l'assemblée délibérante peut faire varier librement le montant, par l'assiette et/ou le taux »...

M. Didier Migaud. C'est le bon sens !

M. Charles de Courson. ...et que le contenu de ce projet « ne correspond pas aux engagements pris par le Gouvernement en vue de garantir l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. »

De même, dans son communiqué de presse du 28 avril, l'Assemblée des départements de France a rappelé qu'elle était très attachée à ce que cette réforme satisfasse le « respect de l'autonomie fiscale et financière », à savoir que les collectivités aient de véritables marges de manœuvre en termes financiers, et a invité le Gouvernement à réexaminer les modalités de péréquation financière de l'Etat.

Quant à l'Association des régions de France, elle est également en désaccord avec le texte actuel.

La position de l'UDF s'inscrit dans l'évolution en Europe du financement des collectivités locales.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Charles de Courson. J'appelle votre attention sur ce point, car on dit souvent l'inverse, à tort.

L'Espagne se caractérise par une autonomie fiscale croissante des régions, basée sur une participation aux recettes de l'Etat par le biais de l'impôt territorial sur le revenu. Concernant l'impôt sur le revenu, les communautés autonomes peuvent intervenir sur le seuil d'exonération, le barème d'imposition, ainsi que sur les déductions et abattements, cette intervention ne pouvant toutefois modifier le tarif de plus de 20 %.

En Italie, les prérogatives accordées sont croissantes et le financement repose à la fois sur des fractions d'un impôt d'Etat - impôt sur le revenu - et des impositions spécifiques nouvelles - impôt sur la valeur ajoutée des entreprises - pour lesquelles l'autonomie a été élargie. Les régions italiennes bénéficient d'une autonomie fiscale et d'une autonomie budgétaire très fortes. Aussi, depuis 2001, concernant la taxe sur les activités productives et la part régionale de l'impôt sur le revenu des particuliers figurant au budget dans leurs ressources propres - écoutez bien, mes chers collègues - les régions ont la capacité de modifier le taux d'imposition de base qui est fixé par l'Etat.

En Belgique,...

M. Jean-Louis Idiart. C'est un pays fédéral !

M. Charles de Courson. ...le législateur a conféré aux régions une très vaste autonomie, qui croît régulièrement. Elles disposent de recettes propres, fiscales et non fiscales. Concernant les impôts régionaux, les régions disposent d'une autonomie complète puisqu'elles peuvent fixer librement la base d'imposition, les exonérations et le taux d'imposition. En revanche, concernant le précompte immobilier et les droits de succession et de mutation par décès, l'autonomie fiscale des régions n'est pas complète car le législateur fédéral reste compétent pour déterminer la base imposable. Mais les régions bénéficient d'une autonomie dans la fixation des taux. Depuis les accords du printemps 2001, ces impôts sont entrés dans la catégorie des impôts régionaux à « autonomie complète. », le législateur confirmant ainsi l'évolution de la fiscalité locale vers une « autonomie accrue » des collectivités.

M. le président. Monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. J'ai presque terminé, monsieur le président.

J'en viens au modèle allemand, souvent évoqué, et revendiqué par beaucoup pour justifier la position gouvernementale. Pourtant, ce modèle est fortement remis en question et n'est pas applicable en France. Pourquoi ? Mes chers collègues, vous connaissez tous l'article 106 de la Loi fondamentale allemande...

M. René Dosière. C'est notre livre de chevet !

M. Charles de Courson. ...qui donne une double garantie constitutionnelle du partage et qui dispose, en son paragraphe 3, que : « Am Aufkommen der Einkommensteuer und der Körperschaftsteuer sind der Bund und die Länder je zur Hälfte beteiligt. »

Cela signifie que...

M. le président. Chacun a compris, monsieur de Courson ! (Sourires.) Il faut en venir à votre conclusion !

M. Charles de Courson. ...la Constitution garantit le partage par moitié tant de l'impôt sur le revenu que de l'impôt sur les sociétés allemandes.

M. René Dosière. Voilà une traduction bien approximative !

M. Charles de Courson. Donc non seulement l'article 106 garantit la répartition par moitié du produit de l'IR et de l'IS entre la Fédération et les Länder, mais il dispose également qu'en ce qui concerne le produit de l'impôt sur le chiffre d'affaires, les quotes-parts de la Fédération et des Länder sont fixées par une loi fédérale qui requiert l'approbation du Bundesrat, expression des Länder.

M. René Dosière. Exprimez-vous en allemand, c'est plus clair ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Cette façon de procéder est impossible en droit français, à moins de renoncer à l'actuelle conception constitutionnelle de l'Etat unitaire républicain.

M. le président. Monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. L'Angleterre est le seul exemple dont pourrait s'inspirer le gouvernement français pour défendre sa thèse. Mais, mes chers collègues, est-il sage d'invoquer une exception à la règle pour fixer une règle ?

En conclusion, le Gouvernement nous propose un texte qui ne correspond pas à la définition de bon sens de l'autonomie financière, c'est-à-dire des ressources sur lesquelles les assemblées locales ont la possibilité de moduler les taux et/ou l'assiette. Le texte gouvernemental est dangereux car il permettrait à un autre gouvernement de poursuivre la réduction de l'autonomie fiscale locale. De plus, est-ce bien raisonnable de voter un texte contre l'avis de l'ensemble des élus locaux, et qui va dans le sens inverse de l'évolution européenne ?

Monsieur le ministre, le groupe UDF a une position très simple sur ce texte : nous le voterons si vous acceptez notre

amendement qui vise à retenir comme recettes fiscales autonomes les seules impositions de toutes natures dont les collectivités locales ont une certaine maîtrise des taux et/ou de l'assiette. Par contre, nous voterons contre, comme nous l'avons fait en commission des finances, si ce point était rejeté, le groupe UDF réexaminant alors sa position en dernière lecture sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales.

Espérons que le gouvernement écoutera davantage Alexis de Tocqueville que la technostructure qui a fait tant de mal à notre pays !

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le ministre, en 1984, et j'en garde encore le souvenir, nous, les maires des communes de France, célébrions dans la meilleure tradition républicaine le centième anniversaire de la loi de 1884, acte fondateur de nos communes françaises en collectivités pleines et entières. Vingt ans après, vous présentez un texte sur l'autonomie financière des collectivités territoriales.

L'article 72 de la Constitution définit clairement nos communes comme des collectivités territoriales. Sans perdre de vue que le projet de loi organique a pour but principal d'assurer, dans le temps, le financement des compétences nouvelles qui seront transférées par l'Etat aux régions et aux départements, je souhaite aborder, pour ma part, les graves problèmes financiers qui se posent aujourd'hui à la majorité des communes françaises.

Ces dernières années, nos communes ont connu de grandes mutations, liées principalement à l'application des lois de décentralisation et plus récemment à la loi Chevènement sur l'intercommunalité. Chacun s'accorde à reconnaître, sur tous les bancs de cet hémicycle, que les établissements publics de coopération intercommunale sont de nature à assurer une bonne gestion de l'aménagement du territoire. Pour autant, la loi Chevènement crée des distorsions que de nombreux maires souhaitent aujourd'hui voir aborder rapidement et franchement.

Au premier rang de nos préoccupations, je place l'autonomie financière des communes. Je suis, à cet instant, dans l'esprit du projet de loi organique que vous présentez.

Les difficultés financières que rencontrent nos communes, en particulier nos communes urbaines, ne peuvent être écartées de la réflexion globale de l'Etat sur la décentralisation et ses conséquences pour nos collectivités.

Nos communes - la mienne notamment - ont perdu le produit fiscal dynamique de la taxe professionnelle, désormais destiné à financer l'aménagement du territoire communautaire, son développement économique et, d'une façon générale, les politiques dites structurantes.

Nos villes, compétentes dans de nombreux domaines de la vie quotidienne de nos concitoyens, ont l'obligation d'agir pour offrir aux usagers du service public les équipements publics les plus performants qu'ils exigent. Dans nos domaines de compétence aussi variés que coûteux, nous ne disposons plus désormais pour financer nos obligations légales et notre politique de proximité que du produit des impôts des ménages. Or il stagne, sauf à augmenter la fiscalité de façon indécente, tandis que les charges augmentent. Ce constat, nous le partageons tous.

Si nos communes bénéficient à titre de complément de compensations, en particulier celle de la taxe professionnelle, elles demeurent malheureusement totalement fossilisées. Cette mesure liée à la loi Chevènement génère une perte fiscale considérable, voire insurmontable. Face à cette situation, l'Etat peut argumenter que la loi Chevènement prévoyait que l'équilibre financier entre les différents acteurs de l'intercommunalité reposait sur les transferts de charges aux EPCI et sur les dotations de solidarité communautaire. Mais les lois de décentralisation, monsieur le ministre, ne sont pas vécues et appliquées partout sur notre territoire avec la même rigueur et dans le même esprit républicain et démocratique. Il existe des distorsions spectaculaires selon les régions et les EPCI, même si 90 % des communautés d'agglomération ont instauré des dotations de solidarité communautaire qui compensent les pertes de produit fiscal, liées notamment à celle de la taxe professionnelle. Le transfert de charges et leur évaluation sincère peuvent contribuer également à un meilleur équilibre des finances communales. Là aussi, si la majorité des EPCI est arrivée à un accord, une minorité en reste éloignée.

Un autre domaine de compétences des EPCI peut avoir sur l'autonomie financière de nos communes un effet positif ou dévastateur, je veux parler de l'exercice de la compétence en matière d'urbanisme. Je passerai rapidement sur la remise en cause de la souveraineté des maires dans ce domaine, encore que la question soit pertinente dans le cadre d'un débat sur l'autonomie des collectivités locales. Ce qui m'inquiète, ce sont les charges communales incontournables liées à l'urbanisation de nouveaux secteurs, charges qui nous sont imposées, notamment par la loi SRU, et qui se cumulent avec des pertes financières désastreuses lorsque, par exemple, une communauté d'agglomération gèle l'aménagement des terrains à vocation économique d'une commune située dans son périmètre. Nous assistons, d'un côté, à une accentuation de charges et, de l'autre, à des pertes considérables de recettes fiscales. Aucune commune ne résistera à une telle dérive.

Aussi, est-ce plus comme maire que comme député que je m'adresse à vous, monsieur le ministre, pour demander à l'Etat de garantir par la loi l'autonomie financière de nos communes. A défaut, ayons l'honnêteté et le courage politique d'annoncer à nos concitoyens la disparition programmée de nos communes dont les maires deviendront, et je pense en particulier aux communes urbaines, de simples officiers d'état civil des mairies annexes des villes centres.

M. Henri Emmanuelli. Vous êtes très dur dans vos accusations !

M. Jean-Pierre Grand. Quand le maire de Montpellier, un homme de gauche, monsieur Emmanuelli, décide d'installer dans ma commune, sur des terrains qui pourraient être source de recettes fiscales, des bassins de rétention d'eau tandis que, dans la sienne, il fait construire, au nom de l'égalité bien sûr, des bâtiments industriels et commerciaux, c'est bien une dérive dans l'application de la loi Chevènement.

M. Henri Emmanuelli. Vous n'avez qu'à créer un EPCI à taxe professionnelle unique ! En tout état de cause, cela prouve que le maire de Montpellier est intelligent !

M. René Dosière. Il fait de l'aménagement de l'espace !

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Grand,...

M. Jean-Pierre Grand. Surtout par un provocateur !

M. le président. ...car vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Jean-Pierre Grand. Telle est ma conviction, c'est peut-être aussi un cri d'alarme. En tout cas, c'est ainsi que je vis au quotidien l'application de la loi Chevènement qui, insidieusement, foule au pied le principe constitutionnel selon lequel aucune collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre, en permettant que la souveraineté économique et financière de certaines communes échappe à leur maire.

M. Henri Emmanuelli. C'était bien !

M. le président. La parole est à M. Etienne Pinte.

M. Etienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aborder avec sérénité le débat sur l'autonomie financière des collectivités territoriales suppose au préalable de revenir à des choses simples, compréhensibles par tous les Français.

On proclame depuis des dizaines d'années que notre système administratif est illisible. C'est vrai ! Faute d'une véritable volonté de réforme, on a empilé tout et n'importe quoi avec pour seul objectif de ne froisser personne, et surtout de ne remettre en cause aucune des parcelles de pouvoir et de représentation que chacun de nous détient.

M. Jean-Louis Idiart. C'est vrai !

M. Etienne Pinte. De 1978 à 2001, les dépenses de l'Etat sont passées de 22,1 % à 22,5 % du PIB ; celles de la sécurité sociale de 18,9 % à 24 % ; enfin celles des collectivités territoriales de 7,6 % à 10 % ; soit des hausses respectives de 1,8 %, 25 % et 30 %. Ces données simples montrent que les collectivités territoriales ont dû financer des mesures transférées sans que l'Etat diminue corrélativement sa part dans les prélèvements.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Eh oui !

M. Etienne Pinte. En clair, l'Etat fait moins en en mettant plus à la charge des autres !

Ainsi, faute de volonté de réforme, la France continue à superposer deux systèmes non aboutis qui ont la même vocation : déconcentration et décentralisation.

La décentralisation est considérée comme un dogme, alors qu'il faut simplifier, donc faire le bilan des structures et de leur action. La déconcentration, qui correspond vraisemblablement mieux à l'état d'esprit national que la décentralisation, n'est pas achevée. Quant à la décentralisation, elle provoque, dans son organisation actuelle, des lourdeurs, des injustices et elle coûte souvent très cher. Tant que l'Etat voudra réguler, tout réguler, le système sera mauvais. Il suffit, pour s'en convaincre, d'essayer de comprendre le système des dotations et compensations versées par l'Etat aux collectivités territoriales.

Commençons par un bilan après vingt-cinq ans, ou presque, d'expérimentation.

Le débat national intervenu en 2003 n'avait pour but, semble-t-il, que de faire passer quelques mesures supplémentaires permettant à l'Etat de se défausser pour donner meilleure mine à son budget. Quel intérêt en effet d'annoncer le transfert des personnels des lycées et collèges sans débat abouti sur l'enseignement secondaire ?

M. Henri Emmanuelli. Bravo !

M. Etienne Pinte. Pour faire accepter une telle mesure, il faut lui donner du sens, au lieu de se contenter d'allers-retours dus à des hésitations politiques.

Si l'on tient absolument à décentraliser, il faut avoir le courage de se poser la question iconoclaste, j'en conviens, de l'existence des départements, de répartir les compétences entre communes, régions et Etat après avoir achevé la déconcentration des pouvoirs et de l'action de l'Etat ; et pas avant ! Il faut envisager les modalités d'un transfert équitable et définitif des moyens financiers en empêchant l'Etat de revenir dessus ultérieurement, c'est-à-dire en rendant inconstitutionnels ou illégaux les transferts de charges non couverts par une ressource pérenne.

M. Henri Emmanuelli. Très bien !

M. Etienne Pinte. Il faut lier enfin décentralisation et aménagement du territoire. Curieusement, cette idée de bon sens n'est quasiment jamais évoquée ! Il faut définir et expliquer les objectifs de l'Etat à long terme, c'est-à-dire à vingt ans, pour éviter les ajustements conjoncturels qui enlèvent toute lisibilité à l'avenir de la nation. Il faut inscrire dans la loi que les ressources propres des collectivités territoriales doivent être exclusivement constituées de ressources dont l'assemblée délibérante peut faire varier librement le montant par l'assiette et/ou par le taux. C'est une proposition de l'Association des maires des grandes villes de France.

Il faut donner la parole à ceux qui savent en institutionnalisant le rôle de l'Association des maires de France et de l'Association des maires des grandes villes de France, comme on l'a fait pour le Comité des finances locales.

Il faut enfin revoir et moderniser le statut des fonctions publiques en évitant les demi-mesures.

Il faut également définir et fixer une fois pour toutes la place et la forme de l'intercommunalité dans le dispositif administratif. L'acte II de la décentralisation a fait l'impasse sur les communes et l'intercommunalité,...

M. René Dosière. Eh oui !

M. Etienne Pinte. ...ce qui prouve encore une fois son caractère de circonstance. La France est connue pour avoir le plus grand nombre de communes sur son territoire, elle l'est moins, heureusement, pour sa multitude de regroupements intercommunaux divers et variés. En la matière, depuis des années, tout se crée et tout se transforme au gré des idées du moment.

M. Henri Emmanuelli. Mais rien ne se perd, comme disait Lavoisier !

M. Etienne Pinte. Cette analyse est le résultat de l'expérience d'un élu local, d'un maire.

Versailles, dont je suis le maire, vit difficilement la conduite erratique de nos élans décentralisateurs. Les différends ne sont malheureusement pas que financiers, ils concernent aussi les principes de notre République. Mes collègues maires savent qu'il n'y a pas de soucis mineurs dans la gestion de nos villes.

La liste de nos désaccords avec l'Etat est longue. A cause de modifications successives de la réglementation, nos collectivités perdent des ressources tous les ans. L'Etat régule son budget en réduisant de manière constante ses concours aux collectivités locales. Rien que pour le budget ma ville, la perte due au cumul des différentes mesures prises depuis 1992, c'est-à-dire douze ans, est égale à 8,4 millions d'euros, soit plus de vingt points d'impôt. En outre, depuis 1990 et en base 100, la DGF est passée à 108,5 en 2003 alors que l'inflation sur la même période atteint 125. Il est alors facile de dire que les impôts locaux flambent !

Les villes supportent de plus en plus les charges de l'Etat défaillant dans ses missions régaliennes. Une ambiguïté doit être levée dans le statut des maires. Selon les textes, le maire agit dans certaines circonstances au nom ou pour le compte de l'Etat. Ce dernier en profite pour confondre l'action elle-même et les moyens qu'elle nécessite. II serait logique que le maire exerce les missions relevant de l'action de l'Etat avec les moyens que l'Etat lui donne ! L'impôt local et les dotations communales doivent être affectés à l'action locale, et pas à autre chose. Un tel principe devrait être intangible.

Voici donc l'inventaire à la Prévert, bien sûr non exhaustif, de ce que supportent certaines de nos villes.

Les polices municipales devraient-elles exister puisque la protection des biens et des personnes relève des responsabilités régaliennes de l'Etat ?

Les contraventions et leurs régies d'Etat sont depuis l'année dernière de la responsabilité des maires. L'instruction des demandes de cartes nationales d'identité et de passeports est également à la charge des municipalités. Il en va de même pour la délivrance des attestations d'accueil. L'Etat abandonne encore une parcelle de souveraineté en morcelant les modalités d'accueil des étrangers, alors que l'entrée sur le territoire relève de la sécurité nationale.

La prise en charge des SDF, qui devrait relever d'un traitement social national, est en partie financée par les collectivités territoriales.

Autre exemple récent, monsieur le ministre, le 21 janvier 2004, le ministère de la défense sollicitait de notre ville l'envoi de ses agents dans les lycées et les collèges afin d'y faire le recensement militaire car les résultats étaient mauvais. On se demande pourquoi il n'y affectait pas des militaires en activité ou des réservistes.

M. René Dosière. Très juste !

M. Etienne Pinte. De la même manière, au début de l'année, le Gouvernement nous avait demandé, avant de se rétracter, de financer et de traiter les procurations pour les élections. Là encore, transfert de responsabilité sans transfert de ressources !

Concernant la modernisation du service public, la télétransmission des délibérations à la préfecture est expérimentée dans notre ville. Il semble être question aujourd'hui de la rendre payante pour les villes, alors que le système fera faire des économies à l'Etat ! S'agissant du vote électronique, Versailles souhaitait participer à cette nécessaire modernisation, mais j'y ai renoncé devant le coût des machines : 5 200 euros toutes taxes comprises pour une subvention de l'Etat de 800 euros...

Je pourrais aussi continuer cette triste énumération par le financement des conservatoires nationaux de région qui, comme leur nom ne l'indique pas du tout, sont pris en charge essentiellement par les villes, ou par celui des cours de natation dispensés dans le cadre de l'obligation scolaire qui devraient être financés soit par le ministère de l'éducation nationale, soit par celui de la jeunesse et des sports. Et j'en passe !

En somme, pour l'Etat, la décentralisation n'est malheureusement qu'un concept de communication, quelles que soient les majorités au pouvoir. Quel sens donner à tout cela si au bout de vingt ans il n'a pas été possible d'atteindre la moindre stabilité ni la moindre lisibilité ? Malgré un label flatteur, l'Etat agit par le fait du prince.

Si donc « autonomie financière des collectivités » il y a, des moyens doivent d'abord permettre de solder le passé. Il faut que les transferts de compétences et cette autonomie financière s'inscrivent dans une véritable vision de ce que doit être la France dans les vingt années à venir.

En résumé, et pour paraphraser un mot célèbre, je dirai que, pour l'Etat, il n'est de richesse que celle des collectivités locales. Cela doit cesser ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Charles de Courson. Voilà un esprit libre !

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud.


M. Didier Migaud
.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'efforcerai de tenir des propos aussi pertinents que ceux de notre collègue Pinte.

M. Henri Emmanuelli. J'espère bien.

M. Didier Migaud. L'examen de ce projet de loi organique était très attendu par la représentation nationale. En effet, les vagues principes ajoutés à l'article 72 de la Constitution ne seront pas applicables tant que la loi organique n'aura pas été adoptée. Le Gouvernement a néanmoins attendu près de sept mois avant de l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement.

Inopérante et n'ajoutant rien au principe de libre administration, tant qu'elle n'est pas complétée par un texte organique, la réforme constitutionnelle a suscité des espoirs dans la majorité et des craintes dans l'opposition.

Malheureusement, ce projet de loi organique trahit les espoirs et confirme les craintes. Le Gouvernement a pris le risque de creuser un profond fossé d'incompréhension entre l'Etat et les collectivités locales. Je crains que ce débat ne serve pas à grand-chose lorsque je relis la déclaration que le ministre de l'intérieur a faite hieR devant la représentation nationale : la définition qu'il donne des ressources propres serait « la seule politiquement acceptable ». Mesdames et messieurs les élus, circulez, il n'y a rien à voir ! Les élus doivent être, comme les policiers, au garde-à-vous pour écouter le ministre de l'intérieur. Monsieur le ministre, c'est là une curieuse conception des rapports entre l'Etat et les collectivités locales.

M. Henri Emmanuelli. C'est du sarkozysme !

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. C'est une obsession, décidément !

M. Didier Migaud. Ce n'est pas la nôtre, en tout cas ! Les réactions d'un grand nombre de collègues de l'UMP sont, je crois, la preuve qu'ils partagent notre point de vue.

La droite parlementaire, de longue date, a fait de l'autonomie fiscale - et non financière - un principe à ériger au sommet de la hiérarchie des normes. La dernière manifestation de cet attachement au principe d'autonomie fiscale s'est traduite par le dépôt d'une proposition de loi au Sénat, dont la qualité de certains signataires n'a échappé à personne : le président du Sénat et l'actuel Premier ministre. Selon cette proposition, résumée par son rapporteur, « il n'y a pas d'autonomie locale sans autonomie financière, laquelle doit être assurée à 50 % au moins par des ressources propres, c'est-à-dire des ressources dont les collectivités locales fixent elles-mêmes le montant ».

On ne saurait être plus explicite. Mais, s'agissant du Premier ministre, on ne saurait davantage se renier.

Un tel attachement à l'autonomie fiscale renvoie à deux préoccupations.

La première traduit la crainte de voir augmenter l'emprise de l'Etat sur les ressources des collectivités locales. Ce sont explicitement les critiques que, dans l'opposition, vous formuliez au gouvernement de l'époque lorsqu'il réformait la fiscalité locale. Vous refusiez ce que vous appeliez les « compensations » qui incluaient alors bel et bien non seulement les dotations indexées mais également les dégrèvements.

La seconde tient à la mise en avant systématique du lien entre gestionnaire et contribuable local, non pas afin d'offrir aux collectivités des marges de manœuvre fiscales pour développer leur action, mais bien plutôt parce que vous êtes convaincus qu'un tel lien permettra de faire peser plus lourdement la pression exercée par le contribuable local sur le gestionnaire, au détriment du périmètre de la dépense publique locale qui, en vertu de votre idéologie a priori hostile à la dépense publique, doit nécessairement être réduit.

Cette analyse oubliait alors, et continue de négliger aujourd'hui, les fortes inégalités qui existent entre collectivités territoriales. De ce point de vue, la péréquation est une nécessité impérieuse qui ne peut se satisfaire de déclarations de principe, même gravées dans la Constitution.

Selon nous, il est permis de se demander si la mise en avant de l'autonomie fiscale ne sert pas souvent de prétexte à l'immobilisme en matière de réforme fiscale. La liberté pour une collectivité locale peut résider aussi dans la liberté de choix pour la dépense, à partir du moment où sa recette est garantie.

Quel est le sens de l'autonomie fiscale d'une collectivité locale dont le potentiel fiscal ne lui laisse aucune marge de manœuvre en matière de fixation des taux des impôts locaux ? Indépendamment des contraintes légales et réglementaires liées à la liaison des taux, cette autonomie n'est-elle pas théorique dans la plupart des cas ?

En France, malheureusement, la défense de l'autonomie fiscale est, trop souvent, le cache-sexe des rentes de situation. Elle permet de s'élever, en son nom, contre des réformes qui visent justement à renforcer la péréquation entre les collectivités ou à lutter contre les injustices contenues dans notre fiscalité locale.

Il est de ce point de vue urgent que le Gouvernement indique comment il entend traduire concrètement ce principe et que le législateur puisse se prononcer sur la façon dont ce même principe pourra s'accorder avec celui de l'autonomie financière. Compte tenu du décalage entre les intentions affichées en matière d'autonomie financière et le contenu du présent projet de loi organique, on ne peut qu'être inquiet quant à l'avenir réservé à la péréquation.

Monsieur le ministre, quoi qu'on pense de la primauté à accorder ou non à l'autonomie financière, à partir du moment où, comme Premier ministre, M. Raffarin, soutenu par sa majorité, a souhaité inscrire un tel principe dans la Constitution, sur le fondement du discours qu'il tenait comme auteur de la proposition de loi dont j'ai parlé, il est important de vérifier si le projet d'aujourd'hui est conforme à la proposition d'hier et aux discours tenus.

Laurent Fabius a justement dénoncé l'hypocrisie du Gouvernement en la matière. Mais comme ce terme paraît avoir heurté le président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, je souhaiterais l'entendre sur sa critique passée des dégrèvements et sur sa conception actuelle des ressources propres. J'y reviendrai.

Force en tout cas est de constater que le Gouvernement, qui a souhaité inscrire dans la Constitution un principe d'autonomie financière et non fiscale, aux contours pour le moins flous, n'a pas respecté ce principe dans le transfert aux départements d'une part du produit de la TIPP en compensation du transfert du RMI, qui ne respecte pas les nouvelles règles inscrites dans la Constitution.

Si ce transfert a néanmoins été validé par le Conseil constitutionnel, en dépit de réserves importantes auxquelles je vous renvoie, monsieur le ministre, ce n'est que parce que la loi organique n'était pas entrée en vigueur au moment du transfert. De là à trouver une explication au délai entre le dépôt du projet de loi organique et son inscription à l'ordre du jour, il n'y a qu'un pas que, pour ma part, je n'hésite pas à franchir.

Une telle duplicité de la part du Gouvernement tient à l'urgence avec laquelle il devait opérer un premier transfert de déficit au détriment des collectivités locales.

Cette opération revient en effet à transférer une compétence dont les charges progressent plus vite que le produit de la recette, qui n'est pas dynamique. En effet, de 1991 à 2001, la consommation de carburants sur laquelle est indexée la part de TIPP transférée aux départements a augmenté de 15 % quand la croissance française progressait de plus de 20 % ! Ainsi, alors que le produit de la TIPP représentait 1,94 % du PIB en 1994, son poids est tombé à 1,6 % en 2001 en dépit des fortes augmentations décidées sous le gouvernement de M. Balladur et celui de M. Juppé. Les chiffres que vous citez indiquent à chaque fois que la recette n'est dynamique qu'à la suite de l'augmentation des taux décidée sous vos propres majorités.

A l'inverse, les charges de RMI progressent fortement, depuis juin 2002, en raison notamment d'une politique économique et sociale injuste et inefficace. En 2003, le produit de la TIPP n'a augmenté que de 1,4 % quand les dépenses de RMI progressaient de 4,6 % ! Augustin Bonrepaux l'a parfaitement expliqué.

Cet écart contraindra mécaniquement les collectivités locales à augmenter fortement les impôts locaux. Mais, pour votre gouvernement, ce sera tout bénéfice du point de vue du déficit public puisqu'il transformera un déficit budgétaire de l'Etat en augmentation de la fiscalité locale. Il pourra alors présenter à Bruxelles une situation des finances publiques moins dégradée, mais il le fera sur le dos du contribuable local et au détriment de la solidarité et de l'égalité des citoyens et des territoires.

La question posée est celle de la définition des ressources propres dont le Gouvernement souhaite qu'elles constituent une part déterminante des ressources des collectivités locales.

Après avoir porté un premier coup à l'espoir qu'il avait suscité, à l'occasion du transfert du RMI, compensé par celui d'une partie du produit de la TIPP sans possibilité de vote des taux, le Gouvernement lui porte aujourd'hui un coup fatal en imposant une définition hypocrite des ressources propres. Le Gouvernement ne respecte pas l'esprit du législateur constitutionnel en assimilant à une ressource propre, contre toute évidence, une part du produit d'un impôt national, répartie sans possibilité d'en fixer ni l'assiette ni le taux. La notion d'autonomie financière et celle de ressources propres impliquaient le pouvoir de voter les taux et de fixer l'assiette d'un impôt affecté.

Je veux rappeler ce que le président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie - le rapporteur général me répondra peut-être sur ce point - écrivait dans son rapport pour avis sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République : « Plus généralement, le projet pose les fondements constitutionnels d'une fiscalité locale dont les collectivités maîtriseraient les éléments principaux, plutôt que d'affectation d'impôts d'État, dont les paramètres demeureraient déterminés par celui-ci, et dont les modalités de répartition échapperaient à l'échelon territorial. [...] De manière synthétique, les ressources propres paraissent devoir se limiter à celles dont les collectivités disposent d'une certaine maîtrise. Selon la direction générale de la comptabilité publique, il devrait s'agir des recettes de fiscalité directe et indirecte, ainsi que des produits du domaine et des produits d'exploitation. »

Le même président Méhaignerie rappelait opportunément dans ce même rapport ce qu'avait écrit un commentateur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : « II n'y aurait pas, en effet, de libre administration si, faute de pouvoir déterminer le taux de l'impôt, une collectivité territoriale ne pouvait arbitrer entre une charge nouvelle entraînant un surcroît d'imposition et le statu quo. »

On ne saurait mieux déterminer comment doit s'apprécier la notion de ressources propres et, par-delà, le principe d'autonomie financière.

Or, ce n'est ni ce que propose le Gouvernement ni ce qu'il a fait au travers du transfert aux départements d'une part du produit de la TIPP. Il ne s'agit assurément pas de transférer du pouvoir fiscal, puisque la TIPP restera un impôt national et que les départements n'auront pas la possibilité d'en fixer le taux : la répartition sera assurée par un simple arrêté ministériel, en fonction de statistiques de consommation. Les départements n'auront aucune prise sur cette ressource, ni sur les taux, ni sur l'assiette, ni sur la base. Il ne s'agit donc en aucune manière de doter les départements d'une nouvelle ressource propre mais, purement et simplement, d'instaurer à leur profit un nouveau prélèvement sur recettes, exactement comme la dotation globale de fonctionnement. C'est donc bien à une réduction du ratio ressources propres sur ressources totales des départements, et donc de leur autonomie financière, qu'a conduit l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004.

Si vous ne partagez pas ce point de vue, monsieur le ministre, il faut le dire à Pierre Méhaignerie qui a écrit, en la matière, des choses fort intéressantes.

Le Gouvernement, qui a souhaité inscrire dans la Constitution un principe d'autonomie fiscale aux contours pour le moins flous,...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Un principe d'autonomie financière !

M. Didier Migaud. ...ne respecte donc pas ce principe. La seule définition valable des ressources propres est celle que les socialistes, ainsi que de nombreux membres de la majorité parlementaire, vous proposent dans un amendement : « les ressources propres des collectivités territoriales sont celles dont les collectivités et leurs groupements fixent librement le montant, ce qui implique le vote des taux. ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. C'est clair, ça !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il faut alors en exclure les droits de mutation.

M. Didier Migaud. Le ministre a écarté cette proposition sans daigner répondre sur le fond. Elle est pourtant portée par l'ensemble des associations d'élus locaux. Monsieur le ministre, comment le Gouvernement peut-il prétendre avoir raison contre l'ensemble des associations d'élus locaux sur cette question cruciale des ressources propres des collectivités ?

M. Henri Emmanuelli. Parce qu'il est autiste !

M. René Dosière. Le Gouvernement a toujours raison, c'est bien connu !

M. Didier Migaud. Je sais bien que M. de Villepin et vous-même avez une autre opinion de ce que vous pouvez penser, et vous avez certainement raison.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Merci.

M. Didier Migaud. Mais rester sourd à l'ensemble des élus, qui ont pourtant une opinion différente, vous paraît-il la meilleure façon pour l'Etat d'entretenir de bons rapports avec les collectivités territoriales ?

M. Jean-Pierre Brard. La modestie est une vertu.

M. René Dosière. Mais le ministre de l'intérieur n'est pas un élu.

M. Jean-Pierre Brard. Du moins, pas encore.

M. Didier Migaud. Si le Gouvernement le fait, c'est qu'il n'a pas le choix. Selon toute vraisemblance, il ne pourra pas permettre la modulation, au niveau régional ou départemental, des tarifs ou des taux de la TIPP et de la taxe sur les conventions d'assurance. L'impossibilité est d'ordre juridique pour la TIPP puisque les règles européennes en matière de distorsion de concurrence semblent empêcher de moduler les taux du gazole consommé pour un usage professionnel. Sur cette question, vous ne nous répondez jamais.

L'impossibilité est d'ordre technique pour la taxe sur les conventions d'assurance. Ainsi, dès 2006, la fameuse départementalisation des plaques minéralogiques sera abandonnée et il deviendra impossible de déterminer la localisation d'un véhicule !

Après avoir rappelé, au travers de longues citations, la définition des ressources propres formulée par le président Méhaignerie, je souhaiterais connaître également son sentiment sur l'intention manifestée par le Gouvernement d'inclure les dégrèvements dans les ressources propres.

A plusieurs reprises, Pierre Méhaignerie avait jugé bon d'alerter l'Assemblée nationale sur le caractère déresponsabilisant, selon lui, pour les collectivités locales, des dégrèvements de fiscalité locale pris en charge par l'Etat. Selon son analyse, la collectivité serait d'autant plus facilement conduite à augmenter ses taux que l'Etat supporterait une partie de cette hausse. Pour enrayer ce mécanisme, il suggérait de plafonner les dégrèvements, afin d'entraver l'autonomie fiscale des collectivités locales, dans la mesure où celle-ci s'opérerait au « détriment du budget de l'Etat ».

La discussion du projet de loi relatif aux responsabilités locales a permis d'illustrer cette volonté de contrôle a posteriori : le ministre des libertés locales a ainsi refusé la déliaison des taux entre impositions locales au motif que la décision de remplacer une part de la taxe professionnelle par un dégrèvement aurait pu inciter les collectivités à augmenter fortement le taux de cet impôt. Une telle prise de position illustre que la prétendue liberté de vote des taux dans le cadre d'un dégrèvement est totalement illusoire. L'Etat, qui supporte le coût budgétaire du dégrèvement, n'entend en aucun cas se priver des moyens de maîtriser sa progression. On peut le comprendre, mais qu'il le dise !

On voit bien où se niche l'hypocrisie : cette décision consiste à mettre en avant l'équivalence entre ressource fiscale et dégrèvement d'impôt local pour assimiler ces derniers à des ressources propres, tout en conservant, voire en renforçant, les mécanismes qui permettent à l'Etat de maîtriser l'évolution de ces dégrèvements.

Il est parfaitement incohérent, de la part du Gouvernement, d'assimiler un dégrèvement à une ressource propre et de maintenir en vigueur les mécanismes qui empêchent les collectivités locales d'exercer sans entrave leurs responsabilités.

M. René Dosière. Tout à fait !

M. Didier Migaud. En outre, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, l'existence d'un dégrèvement ne constitue en aucun cas une garantie absolue pour les collectivités locales. La prise en charge par l'Etat se limite bien souvent à compenser la perte de recettes correspondant à l'application d'un taux fixé par l'Etat à une assiette sur laquelle la collectivité n'a que peu de prise.

Ainsi, le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la TVA donne lieu à un dégrèvement sur la base d'un taux qui a été gelé par le gouvernement d'Alain Juppé en 1995. La conséquence de ce gel est imparable : même si la collectivité augmente son taux de taxe professionnelle, le produit obtenu n'augmentera pas pour ce qui concerne les entreprises qui font l'objet d'un plafonnement. On pourrait décrire cette situation comme le degré zéro de l'autonomie fiscale.

M. René Dosière. Très juste !

M. Didier Migaud. C'est pourtant cela que le président de la commission des finances nous propose d'accepter.

Cette décision prise de façon discrétionnaire par un gouvernement illustre bien le fait qu'un dégrèvement peut s'avérer beaucoup moins avantageux, pour les collectivités locales, qu'une compensation correctement indexée.

Outre cette définition hypocrite, se pose la question de la part que les ressources propres doivent occuper dans l'ensemble des ressources des collectivités locales.

La Constitution parle désormais de « part déterminante ». Cette imprécision laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Elle n'a malheureusement pas été clarifiée durant le débat parlementaire. Voici ce que le Gouvernement répondait, par la voix du ministre délégué aux libertés locales, aux questions des députés socialistes : « Pour répondre à votre question, "déterminant", cela veut dire "qui donne un sens". En l'occurrence, il s'agit d'assurer l'autonomie financière des collectivités locales. Il faut que la part des ressources propres soit d'un montant tel qu'elle détermine la liberté des collectivités. » « D'un montant tel »... Nous voilà bien avancés !

Dans leur commentaire de cette disposition, les professeurs François et Yves Luchaire ont tenté, non sans humour, de préciser cette notion. Ils sont parvenus à la conclusion que, dans l'esprit du législateur et par comparaison avec le terme préalablement envisagé - à savoir « prédominante », qui était beaucoup plus clair -, le terme retenu signifie que les ressources propres peuvent ne pas être les plus importantes, mais qu'elles ne doivent pas non plus être trop faibles !

M. René Dosière. Les Shadoks n'auraient pas dit mieux !

M. Didier Migaud. En effet ! Et ils continuent de pomper !

La définition donnée par le Gouvernement tient plus de la tautologie que de l'effort volontariste. Elle s'avère de toute façon totalement inopérante, dans la mesure où la définition extensive et abusive des ressources propres la vide de toute portée pratique.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Et ce sont les socialistes qui disent cela !

M. Didier Migaud. Une telle inanité serait inoffensive si elle n'avait des conséquences redoutables pour la péréquation. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à la perspicacité et au courage de notre collègue Jacques Pélissard, à qui ces conséquences n'ont pas échappé et qui a tenu à les dénoncer hier soir.

La péréquation, rappelons-le, peut prendre deux formes. Soit la redistribution s'opère entre collectivités d'une même catégorie, des plus aisées vers les moins favorisées ; soit elle conduit l'Etat à verser des dotations aux collectivités les plus pauvres. Cette deuxième option est rendue impossible par la fixation d'un taux plancher qui ne neutralise pas les flux verticaux. On comprend bien alors que la péréquation inscrite dans la Constitution est en réalité amputée de sa composante la plus importante.

En conclusion, je tiens à rappeler à l'actuelle majorité que, si elle est tout à fait fondée à critiquer la politique du précédent gouvernement et ses conséquences pour les collectivités locales - ce qu'elle pourrait tenter de faire, soit dit en passant, sans tomber dans l'hystérie -, elle ne peut en revanche lui reprocher de n'avoir pas mis en conformité ses actes avec ses projets.

Nous nous sommes engagés, notamment en transformant le pacte de stabilité imposé par le gouvernement Juppé en contrat de croissance négocié, à assurer une progression juste et dynamique des moyens financiers des collectivités locales.

M. René Dosière. C'est vrai : les collectivités ont gagné de l'argent !

M. Didier Migaud. Personne ici ne pourra nier que nous y sommes parvenus - beaucoup mieux, en tout cas, que les gouvernements soutenus par l'actuelle majorité. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Celle-ci doit de son côté prendre garde à l'effet boomerang auquel elle s'exposerait en critiquant l'action du précédent gouvernement sur le fondement de principes qu'elle s'apprête aujourd'hui à bafouer en votant ce projet de loi organique.

L'exemple de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle est à cet égard édifiant. Cette réforme s'est fondée sur des objectifs en termes d'emplois. L'opposition de l'époque refusait de prendre en considération cet objectif, s'en tenant à la critique théorique et stéréotypée d'une remise en question de l'autonomie fiscale.

Que voit-on aujourd'hui ? Vous avez achevé cette réforme,...

M. Charles de Courson. « Achevé » n'est pas le mot !

M. Didier Migaud. ...reconnaissant, d'une certaine façon, sa pertinence.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Mais non ! C'est que nous ne pouvions pas faire autrement !

M. Didier Migaud. Vous avez ensuite renoncé à inscrire le principe d'autonomie fiscale dans la Constitution, pour n'en retenir qu'une version dégradée sous l'appellation d'autonomie financière. Demain, la définition hypocrite des ressources propres que vous voulez voter va vraisemblablement vous permettre de faire disparaître la taxe professionnelle, alors que celle-ci est la première recette des collectivités locales : ce n'est pas le moindre paradoxe de vos propositions.

Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que nous sommes totalement opposés à votre texte,...

M. Henri Emmanuelli. Tout dépend du sort qui sera fait à nos amendements !

M. Didier Migaud. ...que nous considérons comme profondément hypocrite et trompeur pour les collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous faites bien de l'encourager : il a l'air las !

M. Henri Emmanuelli. Mieux vaut en effet l'applaudir maintenant. Après, ce sera plus dur !

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt l'ensemble des orateurs et souhaite maintenant prendre le temps de répondre à chacun d'entre eux.

Je vous remercie tous pour la qualité de vos interventions, avec une mention toute particulière pour les deux rapporteurs, Guy Geoffroy pour la commission des lois et Gilles Carrez pour la commission des finances. Je leur sais gré du travail remarquable qu'ils ont accompli sur un sujet difficile mais passionnant, et qui est au cœur de nos réflexions sur les questions de finances publiques locales depuis de nombreuses années.

Je suis très heureux de soumettre ce texte à votre débat et à votre vote, car il s'agit bien d'un élément essentiel - le dernier - de l'édifice constitutionnel que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a souhaité mettre en place pour définir l'autonomie financière des collectivités locales dans un cadre loyal.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas un édifice, c'est un château de cartes !

M. Augustin Bonrepaux. « Loyal » ? Dites plutôt hypocrite !

M. Henri Emmanuelli. Parler de monument à propos de Raffarin, c'est un oxymore !

M. le président. Monsieur Emmanuelli !

M. le ministre délégué à l'intérieur. La notion de loyauté est en effet au cœur de notre démarche, qui se nourrit des expériences heureuses ou moins heureuses du passé.

Après avoir écouté vos interventions, je souhaite apporter en toute transparence des réponses précises et claires à toutes les interrogations que vous avez exprimées. Je n'éluderai aucune question, ni maintenant, ni lors de la discussion sur les amendements, de manière à ne laisser dans l'ombre aucun des sujets évoqués.

Si je devais, dans un premier temps, en faire la synthèse, je retiendrais quatre points particulièrement prégnants.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'une ressource propre pour une collectivité locale ?

M. Augustin Bonrepaux. Parlons-en !

M. Charles de Courson et M. René Dosière. Une ressource fiscale propre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Sur ce sujet dont il a été beaucoup question, je voudrais vous livrer mon interprétation.

Deuxièmement, à quel niveau doit être fixée la « part déterminante » garantissant l'autonomie financière des collectivités territoriales ?

Troisièmement, comment ce dispositif s'articule-t-il avec l'impératif, désormais constitutionnel, de la péréquation ?

Enfin, par quel mécanisme le Gouvernement va-t-il garantir le maintien du niveau de la part déterminante ?

Ces quatre points sont de nature, me semble-t-il, à structurer nos réflexions.

Le premier a inspiré bon nombre d'entre vous. M. Brard en a parlé, tout comme MM. Balligand, Bonrepaux, de Courson, Dosière...

M. René Dosière. M. Pinte également !

M. le ministre délégué à l'intérieur. En effet !

Vos interrogations portent avec précision sur la notion de ressource propre, telle que définie par le projet de loi organique. Peut-on parler de transfert d'impôt quand on ne peut pas voter le taux ? Un partage d'impôt national sans vote sur le taux ni possibilité de modulation de l'assiette est-il ou non une ressource propre au sens de l'article 72, alinéa 2, de la Constitution ? Ma réponse est : oui.

M. Charles de Courson. Mais ce n'est pas la question !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Et cela au titre juridique comme au titre politique.

Sur le plan juridique, Gilles Carrez a rappelé hier que la notion de « produit des impositions de toutes natures » ne peut être restreinte aux seules ressources dont la collectivité peut voter le taux ou l'assiette. C'est également ce qu'a dit le Conseil d'Etat dans l'avis qu'il a rendu. Quant au Conseil constitutionnel, il n'a jamais subordonné la notion d'autonomie financière à l'existence d'un pouvoir des collectivités pour fixer les taux.

M. Charles de Courson. La vérité est qu'il n'a rien dit !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Sur le plan politique, la réponse est la même. Nous sommes à la croisée des chemins, mesdames et messieurs les députés. Voilà deux ans que nous travaillons sur ce chantier, et vingt ans que nous nous interrogeons sur la manière de prolonger le mouvement des réformes du gouvernement Mauroy-Defferre. Or, à longueur de colloques, de réunions, de débats ici même, nous avons tous buté sur les mêmes questions : comment donner du sens à l'autonomie financière des collectivités locales ? Sous quelle forme développer la part des ressources fiscales ?

M. Henri Emmanuelli. On vous l'a expliqué, pourtant ! Cessez de nous prendre pour des idiots !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Comme vous, je rêve d'un système pur et parfait, dans lequel chaque collectivité locale pourrait voter les taux à son niveau et où la lutte contre les inégalités entre territoires serait assurée en toute harmonie - et j'en ai rêvé encore hier après-midi en écoutant certain d'entre vous...

M. Henri Emmanuelli. Vous avez fait des cauchemars, monsieur Copé !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce matin, toutefois, je suis revenu à la réalité : après tout, le système existant est-il si parfait que cela ? Dans les colloques et les réunions, on passe son temps à le critiquer, en accusant particulièrement les fameuses « quatre vieilles », sources de toutes les difficultés,...

M. Charles de Courson. C'est exact !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. On le dénonce, mais sans jamais rien faire jusqu'à présent !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas une raison pour faire pire !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ... et qui provoquent des inégalités majeures - c'est ainsi que les assiettes foncières de certains logements sociaux sont extrêmement élevées, alors que celles de maisons individuelles situées en centre-ville peuvent être très faibles -, sans compter les lourdeurs d'un système que l'on n'arrive plus à modifier.

M. Jean-Pierre Brard. Qu'attendez-vous pour le changer ?

M. le président. Monsieur Brard !

M. Henri Emmanuelli. Mais, monsieur le président, M. Copé nous prend pour des truffes !

M. Franck Gilard. Vos interrruptions sont insupportables, monsieur Emmanuelli !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le système actuel est assez largement inadapté. L'objectif est donc de le faire évoluer, en tenant compte du fait que si l'on est trop brutal, on provoque des ruptures de charge telles que même vous n'avez rien osé entreprendre en ce sens lorsque vous aviez la majorité.

M. Jean-Pierre Brard. En somme, vous proposez le pire, mais à doses homéopathiques !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pourquoi, dès lors, se refuser à introduire une autre notion, celle du partage d'impôts nationaux, comme une piste pour trouver des solutions ? Sur tous les bancs de cette assemblée, nous y avons songé à un moment ou à un autre de notre existence !

Entendons-nous bien, au préalable, sur le fait qu'on ne peut assimiler cette idée de partage des impôts nationaux à une dotation : en effet, ces ressources sont évolutives et possèdent une dynamique propre, alors que si la DGF augmente, c'est sur la base d'une décision prise par l'Etat. Ainsi, elle a augmenté entre 2003 et 2004 d'environ 2 %. Si le Gouvernement remplace un montant déterminé de DGF par une part équivalente du produit d'un impôt national adossé à l'activité économique, et dont la base augmente de 3 %, le résultat sera différent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Augustin Bonrepaux. Et le produit de la TIPP, de combien va-t-il augmenter ? Ne risque-t-il pas plutôt de baisser ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je vais y venir, monsieur Bonrepaux. Vous verrez que la dynamique de l'augmentation de certains impôts est très supérieure - et pour cause ! - à ce que l'on peut constater en matière de dotation.

Il y a donc une vraie différence de nature entre une dotation et un transfert d'impôt national. Je vous ai bien écouté hier soir, monsieur Bonrepaux, et je le répète : non, ce n'est pas la même chose !

Quant aux difficultés techniques que M. Balligand a soulevées hier, je suis tout à fait disposé à ce que nous en discutions maintenant. Sinon, on n'avancera jamais ! J'admets parfaitement qu'il existe des difficultés liées aux contraintes européennes pour mettre en place des taux régionaux ou départementaux sur les bases d'impôts nationaux, mais je ne peux laisser dire que la Commission européenne a interdit à la France de faire varier le taux de TIPP selon les régions.

M. Augustin Bonrepaux. Ah oui ? Expliquez-nous cela !

M. le ministre délégué à l'intérieur. M. Balligand n'est pas dans l'hémicycle actuellement, mais il faut lui dire que les choses ont évolué. Sur ce dossier, nous avons engagé une démarche de dérogation à la directive européenne pour obtenir que les régions puissent faire varier les taux de la TIPP. Nous pourrons donc avoir une marge de manœuvre.

M. Augustin Bonrepaux. Autrement dit, ce qui est bon pour les uns ne l'est pas pour les autres !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, le débat ne fait que commencer. Ecoutez M. le ministre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je suis en tout cas heureux que mes propos suscitent votre intérêt, monsieur Bonrepaux.

Ecoutez-moi, car cela concerne notre débat d'aujourd'hui...

S'agissant des impôts qu'il est prévu de transférer, que ce soit la TIPP pour les régions ou la taxe sur les conventions d'assurance pour les départements, il y aura une véritable marge de manœuvre sur les taux. Cela va tout à fait dans le sens de vos attentes.

Certes, nous devons faire oeuvre de pragmatisme. Encore une fois, il n'existe pas de système pur et parfait. Dans un tel domaine, il faut avancer.

Bien sûr, nous voulons une marge de manœuvre en termes financiers. Mais prenez l'exemple de la TIPP. Monsieur Bonrepaux, je ne veux pas me battre avec vous sur les chiffres.

M. Jean-Pierre Brard. Vous perdriez !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais il faut admettre que le rendement de la TIPP varie avec l'activité économique. Il y a donc là une différence avec les dotations de l'Etat. Et vous ne pouvez pas prétendre à la fois disposer d'une autonomie financière et avoir l'assurance d'un revenu minimum qui augmente chaque année. Ce serait incohérent avec le concept même d'autonomie !

Sur la période 1993-2003, le rendement de la TIPP a augmenté de 2,6 % par an. Bien sûr, cela intègre un certain nombre de décisions.

M. Augustin Bonrepaux. Balladur et Juppé !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Reste que cette augmentation est significative. Et je peux prendre un autre exemple, qui ne concerne ni M. Balladur, ni M. Juppé : au premier trimestre 2004, le produit de la TIPP a augmenté de 3,1 %.

M. Jean-Pierre Brard. Parlons-en !

M. le ministre délégué à l'intérieur. En résumé, l'adossement à l'activité économique, dont je parle depuis un moment pour évoquer le dynamisme des impôts, est une réalité, à la baisse comme à la hausse. C'est cela que l'on cherche quand on parle d'autonomie financière des collectivités locales. D'ailleurs, la reprise économique à laquelle nous sommes en train d'assister et à laquelle notre gouvernement travaille avec détermination depuis deux ans aura des effets positifs sur les ressources des collectivités locales, dans la mesure où elle aura des effets positifs sur la consommation des carburants en France. Je ne peux donc que vous inviter, mesdames et messieurs les députés, à soutenir la politique économique conduite par ce gouvernement.

M. Henri Emmanuelli. Et le pouvoir d'achat ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Car il en résultera un dynamisme retrouvé et des ressources supplémentaires pour les collectivités .

L'autre question qui a été évoquée par certains d'entre vous est celle des dégrèvements.

Monsieur de Courson, vous regrettez que notre projet inclue les dégrèvements dans les ressources propres. Cela m'étonne.

M. Charles de Courson. Je n'ai jamais dit cela !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C'est M. Migaud qui l'a dit !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je transfère bien volontiers cette réflexion à M. Migaud...

M. Henri Emmanuelli. Cela montre comment vous écoutez !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le dégrèvement est un mécanisme qui permet de réduire la cotisation fiscale du redevable de l'impôt tout en restant transparent pour la collectivité.

M. Charles de Courson. Absolument.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il ne joue pas sur la base imposable. A partir de là, les dégrèvements sont inclus de fait dans les ressources propres, contrairement aux compensations. C'est la raison pour laquelle il nous a paru judicieux d'attendre la fin de la réforme de la taxe professionnelle - que vous avez engagée et qui se traduit par une augmentation très forte de ces compensations et donc par une baisse de la garantie de l'autonomie financière - avant de déterminer l'année adéquate.

Autre question, que vous avez été également nombreux à poser : à quel niveau doit être fixée la part déterminante garantissant l'autonomie financière des collectivités territoriales ? C'est un sujet sur lequel on peut aussi débattre longuement. Je voudrais vous exposer notre position que nous avons soumise à votre assemblée et que les rapporteurs ont évoquée hier après-midi.

Cette part déterminante doit-elle être fixée en valeur absolue ? Si nous fixons une référence avec un taux unique, nous risquons de rencontrer un problème par rapport aux trois grandes catégories de collectivités. Cela signifierait en effet qu'on ne tiendrait plus compte de l'hétérogénéité actuelle des niveaux d'autonomie ni, surtout, des types de compétences exercées par chacune de ces collectivités. Par ailleurs, il serait très difficile de fixer un tel taux. Un certain nombre d'entre vous s'y sont essayé et ont déposé des amendements en ce sens. Pour avoir lu ces amendements et leur exposé des motifs, je n'ai plus aucun regret. Comment, en effet, s'arrêter à un taux plutôt qu'à un autre ? 15 %, 30 %, 48,5 %, 50 % ?

Voilà pourquoi il nous a semblé préférable de s'arrêter à un taux constaté sur une année donnée, à savoir 2003, lequel est d'un niveau significatif, surtout si on le compare à ce qui se passe dans les autres pays européens : 53 % pour les communes et groupements, 51,6 % pour les départements, 35,5 % pour les régions. Et comme l'a fait remarquer M. Geoffroy, le fait de fixer clairement les choses constitue une avancée considérable.

Pour vous donner un ordre de grandeur, je vous indique que la moyenne d'autonomie fiscale des pays du Conseil de l'Europe est de 25,7 %. La France se trouve au huitième rang. Dans ce domaine, la garantie ainsi présentée est à la fois forte et loyale.

M. René Dosière. Vous voyez que notre bilan n'est pas si mauvais !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous ne mesurez pas à quel point je suis consensuel cet après-midi ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Faut-il que votre position soit faible ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pourquoi avoir choisi 2003 plutôt que 2002 ? Je le répète : il nous a semblé préférable d'attendre l'achèvement de l'important processus de compensation entrepris sur la taxe professionnelle par le gouvernement de M. Jospin.

Question suivante : comment ce dispositif s'articule-t-il avec l'impératif, désormais constitutionnel, de péréquation ?

Hier, s'est engagée une sorte de « course à l'échalote ». Il s'agissait de savoir qui, de la majorité actuelle et de l'opposition actuelle, avait le plus contribué au devoir national de péréquation.

M. René Dosière. Il n'y a pas photo !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je ne sais pas ce qu'il en est ressorti, mais je sais, et vous serez bien obligés d'en convenir un jour, que c'est notre gouvernement qui a proposé d'inscrire solennellement dans la Constitution le devoir de péréquation. Il faudra bien que justice nous en soit rendue.

M. René Dosière. Mais vous n'avez pas encore fait grand-chose !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Dans tous les cas de figure, ce principe de péréquation devra être mis en œuvre, même si on ne peut l'aborder dans le cadre de la loi organique. Nous avons en effet une mission précise dans le cadre de l'article 72 alinéa 2 de la Constitution, et je souhaite évidemment m'y tenir.

La péréquation sera un des axes forts de la prochaine réforme des dotations prévue pour 2005, qui portera sur les règles de répartition interne de ces dotations. Le Comité des finances locales y travaille activement. J'espère que nous pourrons proposer à votre assemblée des éléments majeurs pour améliorer la péréquation à laquelle vous êtes, sur tous les bancs de cette assemblée, particulièrement attachés.

Enfin, comment définir la part déterminante et comment en garantir le maintien ?

Le projet de loi a défini les conditions dans lesquelles le Gouvernement rend compte au Parlement de sa mise en œuvre et de l'évolution de la part des ressources propres pour chaque catégorie de collectivité. Et il prévoit les conditions dans lesquelles le Gouvernement garantira le minimum des niveaux atteints en 2003.

Un délai de deux ans est nécessaire pour recueillir et consolider les données chiffrées. Ce texte prévoit un délai supplémentaire de trois ans pour donner au législateur la souplesse nécessaire pour faire évoluer la fiscalité locale. Nous aurons l'occasion d'en débattre au moment de la discussion des articles.

La réduction des écarts à la moyenne, demandée par certains d'entre vous, a suscité le dépôt de plusieurs amendements. Je vous précise que le Gouvernement ne pourra disposer de ces données que pour les départements et les régions. C'est un point sur lequel il faudra que nous avancions ensemble.

Venons-en, après ces quatre points généraux, aux interventions des uns et des autres. J'ai beaucoup de respect pour le travail accompli par l'ensemble des parlementaires sur ces questions difficiles de finances locales.

J'ai écouté M. Balligand avec attention. Mais il faut être clair et précis sur les transferts en fonctionnement, notamment à destination d'une collectivité. Je pense surtout au transfert des personnels techniques, ouvriers et de service, les fameux TOS.

L'ancien Premier ministre, M. Mauroy, avait beaucoup travaillé sur cette question. Dans son rapport de l'an 2000 qui, très curieusement, n'est plus très souvent évoqué sur vos bancs, messieurs du groupe socialiste,...

M. René Dosière. Comment ? Mais c'est notre livre de chevet !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Puisque vous l'avez avec vous, monsieur Dosière, vous allez pouvoir en faire la lecture en même temps que moi...

Selon ce rapport, « Le visage de la France scolaire a radicalement changé grâce à l'action des collectivités territoriales. »

M. Jean-Pierre Brard. C'est un truisme !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Jusque là ! Mais attendez la suite, monsieur Brard.

« Les collectivités locales ont su agir avec célérité et efficience là où l'Etat avait tardé. »

M. André Chassaigne. Mais à quel prix !

M. le ministre délégué à l'intérieur. « La logique implique maintenant que les 95 000 personnels affectés aux tâches d'entretien et de maintenance soient mis à disposition des collectivités territoriales. Les collectivités gèrent et entretiennent ces bâtiments, alors que ces personnels compétents ne sont pas placés sous leur autorité. Cette situation est incohérente. » Voilà ce que reconnaissait M. Mauroy dans son infinie sagesse.

M. Jean-Pierre Brard. Reconnaissez à M. Mauroy le droit à l'erreur !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Celui-ci soulignait enfin les avantages d'une affectation de ces personnels : « cohérence et clarté dans l'exercice des compétences, meilleure évaluation des besoins et aptitude à y répondre plus rapidement. »

La décentralisation consiste, mesdames et messieurs les députés, à faire confiance aux collectivités. Il nous paraît difficile de leur dire : vous êtes bonnes pour gérer l'équipement, mais pas le fonctionnement. Il est temps aujourd'hui de prendre la mesure de tout cela.

M. Michel Bouvard a, quant à lui, évoqué longuement les questions de simplification et de péréquation.

La simplification est pour nous essentielle. J'admets que le texte de décentralisation que nous proposons a besoin d'être un peu simplifié. Je suis prêt à y travailler dans un climat d'écoute, de dialogue et de consensus. De même faudra-t-il remettre de la cohérence et de la clarté dans les dotations de l'Etat, ce à quoi nous allons travailler ensemble.

M. Bouvard a insisté par ailleurs sur les questions de péréquation. Dieu sait s'il s'est engagé depuis plusieurs année à promouvoir l'équité territoriale. Nous allons maintenant devoir donner vie à ce grand principe inscrit dans notre constitution.

M. Brard s'est exprimé avec beaucoup d'enthousiasme. Je comprends et je partage l'émotion qu'il a exprimée hier. J'ai moi aussi le souvenir douloureux de ces compétences transférées sans financement : l'APA, les 35 heures si difficiles à appliquer, sans oublier les SDIS.

Monsieur Brard, vous comparez ce projet de loi organique à un magasin de farces et attrapes. Vous avez été échaudé ? Il m'appartient de vous rassurer. Dans ce domaine, je n'ai jamais ménagé ni ma peine ni mon temps. Certes, il manque encore une réforme de la fiscalité locale. Rassurez-vous, nous allons y travailler, comme nous travaillons à la réforme des dotations. Nous aurions d'ailleurs été preneurs de quelques propositions de votre part. Or je n'en ai pas entendu dans votre intervention, que j'ai pourtant écoutée de manière particulièrement attentive.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas avec des bouts de sparadrap qu'on va s'en sortir !

M. le ministre délégué à l'intérieur. La péréquation est maintenant inscrite dans la Constitution. Je ne vois pas comment vous pourriez vous opposer à ce principe essentiel de justice entre nos territoires.

M. René Dosière. Il ne suffit pas de le dire, il faut la faire !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous avez dit beaucoup de mal des dotations de l'Etat. Elles méritent pourtant d'être défendues, car ce sont des ressources sûres, à progression garantie, que les collectivités peuvent utiliser librement. Ce n'est pas rien, surtout pour les communes modestes, comme l'a rappelé Pierre Morel-A-L'Huissier pour la Lozère.

M. Jean-Louis Idiart. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas grand-chose !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Au-delà de nos frontières, dans dix pays de l'Union sur quinze, monsieur Brard, les dotations représentent la part principale des ressources locales : entre 35 % et 65 %. M. de Courson a parlé de l'Allemagne, avec une maîtrise de l'allemand qui m'a fortement impressionné.

M. Jean-Pierre Brard. Il tient cela de ses ancêtres de Coblence !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Dans les ressources des Länder allemands, les dotations représentent 51 %, contre 18 % de fiscalité propre. Personne n'imaginerait pour autant que les Länder ne sont pas autonomes. C'est dire combien les analyses peuvent apparaître très différentes d'un pays à l'autre.

Vous avez parlé, monsieur Brard, des impôts locaux comme ressources propres et de la liberté de fixation des taux.

M. Jean-Pierre Brard. C'est M. Geoffroy qui en a parlé !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je me sens obligé de relever que vous êtes là en contradiction avec votre souci de dénoncer sans cesse, selon votre propre formule, le « dumping » auquel les collectivités se livrent entre elles. On ne peut pas à la fois revendiquer la liberté, la responsabilité et l'autonomie et dénoncer leurs risques potentiels. Mais je reconnais volontiers que, cette fois, vous avez eu du mal, comme le soulignait M. Geoffroy avec humour, à faire référence au MEDEF.

M. Henri Emmanuelli. Geoffroy, de l'humour ?

M. Jean-Louis Idiart. Ce n'est pas vraiment un comique !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Certains principes constitutionnels, tels que le droit au logement, le droit au travail, ne seraient, selon vous, pas respectés.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Chaque chose en son temps : le Conseil constitutionnel sera par définition saisi de la présente loi organique et se prononcera sur sa validité au regard de la Constitution ; l'évaluation des transferts de charges sera faite de manière permanente et transparente par la commission consultative, et le Parlement les examinera chaque année, lors de la discussion de la loi de finances. C'est dire les verrous qui ont été installés pour permettre la mise en œuvre de cette logique de loyauté et de transparence, avec le renfort de la LOLF, à laquelle M. Migaud a très largement contribué.

Vous vous êtes inquiété de ce que les CAF, qui jusqu'à présent assuraient gratuitement la gestion du RMI pour l'État, puissent ne plus le faire pour les départements. Je suis surpris que le décret du 29 mars 2004 vous ait échappé car vous lisez beaucoup. Ce décret prévoit expressément que les prestations jusqu'alors exercées gratuitement au bénéfice de l'État continueront à être exercées gratuitement par les CAF pour le compte des départements. Il n'y aura donc pas de charge supplémentaire. Cette indication sera peut-être de nature à vous rassurer et à vous inciter à voter ce texte de loi organique avec enthousiasme.

M. Jean-Pierre Brard. Votre enthousiasme n'est pas très communicatif !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pourtant, croyez-le, il est profondément sincère.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vous qui le dites !

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'en arrive à l'intervention de M. Philippe Martin, qui a regretté l'absence de réforme préalable de la fiscalité locale. Je ne peux que lui répondre, comme à M. Brard, que c'est un sujet auquel nous travaillons activement et sur lequel nous soumettrons des propositions au débat. Mais procédons par étapes : aujourd'hui, il nous faut passer par celle de la loi organique, comme la Constitution le prévoit.

M. Philippe Martin s'est montré très critique. Je regrette qu'il n'ait pas trouvé deux minutes pour faire quelques propositions concrètes et nouvelles sur la péréquation ou sur l'insécurité financière. Il a notamment évoqué le transfert non évalué des routes nationales, en prenant le cas de la RN 21 qui n'a pas connu de travaux depuis vingt ans. Il est bien placé pour en parler, lui qui a été le préfet et qui est maintenant l'élu du département qu'elle traverse !

M. Jean-Louis Idiart. C'est pourquoi il sait de quoi il parle !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Une des vertus de la décentralisation est de permettre de mesurer l'action conduite de façon concrète par les élus locaux,...

M. Augustin Bonrepaux. Avec quels moyens ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...et, pour les électeurs, d'en tirer les conséquences. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Ne vous en prenez pas aux absents, vous, monsieur, qui avez failli être président de l'Ile-de-France !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, vous avez suffisamment présidé cette assemblée pour savoir que le règlement interdit les interpellations.

Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. M. Pierre Morel-A-L'Huissier a évoqué les aspects propres à la ruralité et a rappelé à juste titre les deux piliers de l'avenir des territoires ruraux que sont l'autonomie financière et la péréquation. La refonte des dotations constituera un progrès majeur pour les communes de petite taille à faibles ressources, qui verront les dotations de solidarité rurale et les dotations nationales de péréquation fortement augmenter.

La prestation de M. Pélissard était également précise et de grande qualité. Il a établi un constat très clair et je partage son avis : ce texte représente incontestablement une vraie révolution en prévoyant une garantie de niveau d'autonomie financière et marque une rupture par rapport aux précédentes législatures où la part des ressources propres baissait régulièrement et parfois spectaculairement. A cet égard, nous avons un gros travail à accomplir et la loi organique constitue un point de départ essentiel.

J'ai eu l'occasion, au fil de mon intervention, d'évoquer à plusieurs reprises les observations de M. de Courson. Sur plusieurs points que vous avez abordés et dont nous aurons l'occasion de reparler lors de la discussion des articles, car vous avez déposé des amendements, monsieur de Courson, je mesure les divergences qui existent entre nous. Je ne sais si nous parviendrons à les réduire. En tout cas, au-delà de l'œuvre de Tocqueville que vous avez citée avec précision, il nous appartient maintenant de prendre des décisions essentielles sur l'avenir de la décentralisation. Il n'est, certes, pas de système parfait. Néanmoins, ce texte, qui apporte des garanties constitutionnelles autant que financières, avec ce concept d'autonomie qui est l'un des plus importants et des plus modernes d'Europe, ne manque pas d'ambition.

Monsieur Grand, vous avez fait part de vos inquiétudes. Je sais le combat courageux que vous menez au service de vos administrés. Nous sommes tous ici favorables à l'intercommunalité, mais nous ne devons pas oublier l'exigence d'impartialité qui s'impose. Sur ce point, l'intercommunalité ne saurait sacrifier le rôle de la commune. Bien au contraire, elle doit le conforter. C'est aussi notre devoir de républicains, quelle que soit notre couleur politique, que d'y penser.

Monsieur Pinte, votre plaidoyer était à la fois brillant - comme toujours - et sévère.

M. Jean-Pierre Brard. Non, sincère !

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'attendais un mot d'encouragement. En vain : il n'est pas venu.

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne le méritiez pas !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Pour le reste, je suis attentif à tout ce qui se dit sur tous les bancs de cette assemblée. Je reste ouvert à toute proposition,...

M. Jean-Louis Idiart. Tout est à faire !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...pour la deuxième lecture du projet de loi sur les libertés et les responsabilités locales, comme sur l'intercommunalité dont vous avez parlé. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter et peut-être - qui sait ? - pourrais-je alors vous convaincre de la très importante avancée que constitue ce dispositif pour les libertés locales et surtout pour l'efficacité publique.

M. Jean-Pierre Brard. Qui aime bien châtie bien !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur Migaud, vous avez évoqué beaucoup de sujets également, avec la compétence que chacun vous connaît, même si nous ne partageons pas toujours le même point de vue. Le vote du taux des impôts transférés est bien prévu, en ce qui concerne la TIPP pour les régions et la taxe sur les conventions d'assurance pour les départements, sous la réserve importante - mais à ce stade, nous sommes raisonnablement optimistes - d'obtenir une dérogation de Bruxelles. Seuls les départements ne pourront pas voter leur taux de TIPP, pour des raisons de complexité que chacun peut comprendre. Il faut savoir faire la part des choses. A ceux qui, dans les grandes associations d'élus, travaillent sur ces questions, je répète qu'on ne peut pas toujours tout avoir et que l'on est parfois obligé de choisir entre plusieurs inconvénients. La perspective d'offrir un partage des impôts nationaux, et de donner ainsi des ressources fiscales authentiques aux collectivités locales, est un élément majeur. Si nous devions décider que seules des ressources adossées sur des taux pouvaient être transférées, nous nous interdirions d'autres étapes de décentralisation. Nous ne disposons pas de beaucoup d'impôts qui puissent être transférés aux collectivités locales avec liberté de vote des taux. Il faut aussi penser à l'avenir.

J'ai eu le sentiment, monsieur Migaud, à entendre certains de vos mots virulents, presque blessants (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Jean-Louis Idiart. Chochotte !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ... que vous doutiez du caractère loyal de notre démarche.

M. Didier Migaud. Je ne suis pas le seul !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais en plus de la Constitution, de cette loi organique, de la loi organique sur les lois de finances dont vous êtes l'un des pères spirituels,...

M. René Dosière. Le père réel !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...quels autres verrous pourrions-nous ajouter ? J'ai beaucoup cherché quel argument pourrait vous convaincre. J'ai pensé que, peut-être, si j'étais socialiste... Mais je ne le suis pas.

A défaut de ma parole, peut-être entendrez-vous celle de Pierre Mauroy, un homme qui, objectivement, dans ce débat, nous est bien utile aux uns comme aux autres. (« Ils l'ont enterré ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. C'est déjà de l'archéologie !

M. le président. Monsieur Brard !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Nous transmettrons, monsieur Brard.

M. Mauroy avait cosigné, avec plusieurs de ses collègues du groupe socialiste exclusivement, un amendement au projet de loi constitutionnelle indiquant qu'il n'apparaissait pas utile d'inscrire dans la Constitution que les collectivités territoriales peuvent recevoir le produit des impositions de toute nature, ni qu'elles peuvent en fixer l'assiette et le taux. Auditionné en mai 2001 - la belle époque pour vous ! -, il avait indiqué que l'adoption d'une grande réforme de la décentralisation inspirée de ses propositions ne pourrait que susciter l'adhésion d'une majorité de Français actuellement éloignés de la politique. Il avait aussi regretté qu'une grande réforme des finances locales n'ait pu être engagée parce qu'il n'avait pas réussi à convaincre Bercy de transférer des impôts d'Etat.

M. Henri Emmanuelli. Il avait raison ! Que faites-vous pour l'instant ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Nous, nous avons réussi.

Monsieur Migaud, vous avez, avec beaucoup de courage et, il faut bien le dire, le concours de certaines personnalités de l'opposition, comme Gilles Carrez ou Alain Lambert -,...

M. Henri Emmanuelli. Gilles Carrez n'y est pas pour grand-chose, vous ne connaissez pas la genèse de la loi !

M. le ministre délégué à l'intérieur. ...réussi à faire plier Bercy pour obtenir le vote de la loi organique sur les lois de finances. Ce très grand texte a représenté une avancée considérable. Il fallait, en effet, faire voter le Parlement sur des objectifs clairs. En 2001, M. Mauroy se plaignait que Bercy restait sourd à la nécessité de transférer des impôts d'Etat pour réussir la décentralisation. Eh bien, monsieur Migaud, nous avons été entendus pour cette grande réforme.

M. Augustin Bonrepaux. Vous ne réussirez pas à nous convaincre !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je vous invite également à nous soutenir.

M. Henri Emmanuelli. Assumez vos turpitudes une fois pour toutes !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Ce serait une bonne manière de montrer que, sur des sujets aussi essentiels que l'efficacité de l'action publique, l'avenir de nos institutions et une décentralisation réussie au service de l'intérêt général, à laquelle nous aspirons tous, nous pouvons nous retrouver. Certes, c'est un débat passionné, qui inspire à certains d'entre vous des élans lyriques. Mais cette loi organique, qui va instaurer dans notre pays un mécanisme de garantie d'autonomie financière pour les collectivités locales, me semble une occasion exceptionnelle de dire ensemble que nous franchissons une nouvelle étape pour une meilleure décentralisation au service de l'intérêt général, de la République et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


Rappels au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Le problème dans le présent débat, comme dans les précédents, ce sont les incertitudes qui pèsent sur les ressources qui vont être affectées aux collectivités pour faire face aux charges transférées.

M. Henri Emmanuelli. Eh oui !

M. Augustin Bonrepaux. M. le ministre a parlé de la TIPP. Les rapports du rapporteur général, de Mme Boutin et de M. Xavier Bertrand donnent des évaluations de cet impôt. Je ne m'y attarde pas. J'y reviendrai lors de l'examen des articles car je ne suis pas du tout d'accord sur les estimations de M. le ministre.

La taxe sur les conventions d'assurance a également été citée à plusieurs reprises. Or, dans aucun des rapports présentés à l'occasion des débats que nous avons eus sur le RMI et sur les responsabilités locales, je n'ai trouvé la moindre évaluation du produit de cette taxe.

M. le président. Est-ce vraiment un rappel au règlement ?

M. Augustin Bonrepaux. Avant d'aborder l'examen des articles, il me semble donc important - et c'est l'objet de mon rappel au règlement - que M. le ministre puisse nous éclairer sur les questions suivantes : quelles sont les bases, quelle est la répartition entre les départements du produit des conventions d'assurance ? Quelles précautions prendre pour qu'il ne soit pas délocalisable ? Quel en est le montant par département par rapport aux charges transférées ? De quelles marges d'évolution disposeront les départements ?

Faute de réponses à ces questions fondamentales, nous aurons l'impression que vous voulez décentraliser sans transférer les ressources correspondantes et nous nous verrions contraints de demander une suspension de séance.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, M. Dosière va défendre une motion de renvoi en commission. M. le ministre répondra, et nous pourrons ainsi avancer !

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, nous souhaitons avoir toutes les informations et tous les documents concernant les conventions d'assurance avant le début de l'examen des articles.

M. René Dosière. Je demande également la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.

M. le président. En vertu de quel article ?

M. René Dosière. De l'article 58, alinéa 1.

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour un rappel au règlement.

M. René Dosière. M. le ministre a tenu des propos à l'encontre d'un de nos collègues aujourd'hui absent, M. Philippe Martin, qui semblaient mettre ce dernier en cause, non pas en tant qu'élu - après tout que faisons-nous d'autre dans cette assemblée ? - mais en tant que préfet, c'est-à-dire en tant que représentant de l'Etat dans le département qu'il était chargé d'administrer au nom de la République. Nous souhaiterions qu'il puisse préciser sa pensée et, surtout, démentir toute mise en cause de M. Martin en tant que préfet d'autant que, citant hier François Mitterrand qui plaçait les élus avant le corps préfectoral, il a refusé de prendre à son compte cette dernière appréciation.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous avez pu constater, monsieur Bonrepaux, que, depuis le début de ce débat, j'ai souhaité faire prévaloir un ton courtois et dépourvu de toute agressivité et que j'ai été attentif à ce que chacun puisse exprimer ses positions. Autant certains débats idéologiques peuvent nous diviser et donner lieu à des effets de manches spectaculaires, autant les avis issus des travaux que nous avons menés les uns et les autres sur les sujets que nous examinons aujourd'hui sont tous respectables. Evitons donc les interventions comminatoires du genre : « si je n'ai pas tout de suite tel élément chiffré, le débat ne pourra pas se poursuivre » ! Je suis à la disposition de Parlement pour lui donner toutes les informations en ma possession. Mais je ne sais pas lire dans le marc de café !

M. Henri Emmanuelli. Marc de café ? Pour qui nous prenez-vous ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Nous vous ferons connaître - cela va de soi - le montage des enveloppes globales tout au long du débat.

Je rappelle que, dans le cadre du projet de loi organique qui nous occupe aujourd'hui, nous allons déterminer des principes en vertu desquels les collectivités locales bénéficieront à l'euro près des ressources correspondant aux charges transférées. Il n'y aura aucune surprise.

M. Henri Emmanuelli. Ce n'est pas vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Avec quoi ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur Emmanuelli, s'exclamer : « ce n'est pas vrai ! » ne constitue pas une démonstration.

M. Henri Emmanuelli. Je vais vous démontrer pourquoi vos calculs sont faux !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le montant précis des impôts est public. Ce sont des estimations mais elles ont été données à plusieurs reprises et je vous les rappellerai tout au long du débat si vous le souhaitez. Il n'y a aucune nouveauté. Les chiffres ont été fournis depuis le début. Nous savons que le volume global des compétences transférées est de l'ordre de 8 milliards pour les départements et de 4 milliards pour les régions. Ces charges nouvelles seront compensées au titre de la TIPP à hauteur de 4 milliards pour les régions et de 5 milliards d'un côté et de 3 milliards de l'autre pour les départements.

M. Augustin Bonrepaux. Avec quoi ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais avec les impôts correspondants !

M. Augustin Bonrepaux. Quels impôts ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. La TIPP et la taxe sur les conventions d'assurance !

Monsieur Bonrepaux, je crois avoir été assez clair ! Me presser davantage de questions ferait perdre à notre débat la tonalité qui lui sied !

Monsieur Dosière, n'ayez aucune inquiétude : il n'était pas dans mon intention d'être blessant à l'égard de M. Martin d'autant qu'il est absent. Reconnaissez cependant que lui-même n'avait guère ménagé le Gouvernement. C'est ce qui a expliqué de ma part ce léger trait ! Dieu sait si je peux, en d'autres circonstances, être assez vif, mais, aujourd'hui, l'ambiance ne s'y prête pas. Nous sommes un jeudi après-midi. La lumière provenant de l'extérieur me laisse penser qu'il fait beau. Autant dire que nous devrions être capables de parler de tous ces sujets avec sérénité.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il est un sujet conflictuel et compliqué, c'est bien celui des collectivités locales. Il convient donc de l'aborder avec une certaine modestie. Sans doute la vision des choses est-elle un peu différente selon que l'on se situe dans la majorité ou dans l'opposition. Lorsqu'on est dans la majorité, on évoque quelquefois avec enthousiasme les transferts de compétences, qui, dans l'opposition, deviennent des transferts de charges. Comme on est successivement dans l'opposition et dans la majorité, on a effectivement le temps d'apprendre le vocabulaire !

Les rapporteurs ont évoqué les transferts de recettes fiscales en dotations au cours des cinq dernières années. M'occupant de ces questions depuis longtemps, je pourrais leur rappeler que le premier transfert d'une recette fiscale en dotation remonte à 1968, lorsque la taxe locale a été remplacée par le VRTS, ce qui a eu pour conséquence de faire chuter les recettes fiscales des collectivités de 90 % de leurs ressources de fonctionnement à 60 %. Mais cette réforme était alors justifiée dans la mesure où la taxe locale était un impôt indirect très injuste et où son remplacement par une autre source de financement apparaissait comme une bonne chose. Chacun a pris un peu sa part dans ce domaine - j'aurai l'occasion de le rappeler.

Le fait que je travaille depuis très longtemps sur ces questions ne me donne pour autant le droit de faire la leçon à personne. Notre ami Gilles Carrez, qui veut bien reconnaître que je l'ai un peu initié aux finances locales, a maintenant acquis une compétence égale sinon supérieure, à celle de son maître. C'est par conséquent en égaux que nous parlons de toutes ces questions. Je souhaite que nous le fassions dans la sérénité qui convient. Je regrette de ne pas avoir trouvé ce ton dans le rapport de la commission des lois, qui m'a semblé un peu excessif - cela s'explique sans doute par la foi du nouveau converti aux finances locales.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Pas si nouveau que cela !

M. René Dosière. J'ai regretté que Gilles Carrez, dont le rapport est plus mesuré, ait adopté un ton différent à la tribune.

M. Pierre-Louis Fagniez. Il a été très brillant !

M. René Dosière. J'espère que notre débat permettra d'enrichir ce texte. Mais je suis un peu inquiet car, en commission, aucun amendement, pas même venant de l'UDF, n'a été retenu.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L'UDF a présenté les mêmes amendements que les vôtres !

M. René Dosière. Le remplacement d'impôts locaux par des dotations mettrait-il en cause l'autonomie financière des collectivités locales ? La réponse est positive. Je n'ai cessé de le dire. Si notre rapporteur, M. Goeffroy, avait consulté les archives de la commission des lois, il aurait pu lire les rapports que j'ai rédigés lors de l'examen des budgets de l'intérieur depuis 1998.

J'écrivais en novembre 1997 dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 1998 : « Faute d'entreprendre la réforme de la fiscalité locale, les gouvernements et les majorités qui se sont succédé se sont constamment bornés à corriger ses imperfections les plus évidentes du point de vue économique et social, en instituant à chaque loi de finances des exonérations et des dégrèvements toujours compensés par l'Etat, ce qui a eu pour effet de faire de celui-ci le premier contribuable local, ou plutôt de substituer le contribuable national au contribuable local pour le paiement, notamment, d'une part de plus en plus importante de la taxe professionnelle et de la taxe d'habitation. Le versement de ces sommes peut s'analyser comme une mise sous perfusion des collectivités locales, dont l'Etat contrôlerait l'écoulement. »

Je reprenais les mêmes termes en 1999, comme dans chacun de mes rapports. Ce qui prouve que, même lorsque l'on appartient à la majorité, on peut avoir un point de vue critique, sans être nécessairement obligé, comme l'ont cru plusieurs orateurs, d'approuver tout ce qu'elle fait. Je salue à cet égard l'intervention de notre collègue Pinte qui a su faire preuve d'une certaine autonomie de parole vis-à-vis du gouvernement qu'il soutient.

Pourquoi le remplacement des impôts locaux par des dotations met-il en cause l'autonomie financière des collectivités ? Par le fait que la collectivité perd toute maîtrise sur ses impôts, et que l'Etat contrôle la distribution des dotations. Du reste, quelle avait été la réponse des socialistes au moment de la décentralisation, en 1981-1982 et même avant, dans la proposition de loi élaborée par une première commission Mauroy ? Les transferts de compétences seront financés, proposions-nous, pour moitié par des impôts locaux, pour moitié par des dotations. Or la réponse de la droite, à l'époque, était loin d'être la même : le rapport Guichard ne proposait-il pas que les collectivités, une fois décentralisées, soient alimentées par une dotation ? Et d'avancer à l'appui des raisons tout à fait justifiables, mais qui ne s'inscrivaient pas du tout dans la même logique. Nous avons quant à nous tenu à ce principe d'un transfert des recettes fiscales ; ainsi en a-t-il été des droits de mutation et de la vignette.

Seule une fiscalité dont les collectivités locales maîtrisent le montant permet de leur faire jouer, comme c'est le cas aujourd'hui, un rôle majeur dans notre pays en matière d'investissements publics. Les collectivités réalisent, rappelons-le, 35 milliards d'euros d'investissements publics, soit cinq fois plus que l'Etat - 7 milliards ! Autrement dit, tout ce que notre pays compte d'équipements publics - routes, lycées, collèges, piscines, stades, maisons de personnes âgées, etc. - est réalisé à 75 % par les collectivités locales. Sans elles, nous serions un pays sous-développé en termes d'équipements publics, car l'Etat est parfaitement incapable de réaliser le moindre investissement : même dans son domaine propre de compétence, lorsqu'il s'agit de construire une université, par exemple, il est obligé de solliciter les collectivités pour qu'elles participent à au moins 50 % - je l'ai encore récemment vu pour le financement d'une halle de sport à l'université de Reims.

Oui, les collectivités sont les moteurs de notre économie. Vous savez bien, monsieur le ministre, que si l'INSEE a récemment corrigé son taux de croissance pour 2003, cela tient essentiellement au fait que les collectivités locales ont en 2003 investi beaucoup plus que ce qu'il avait prévu, ce qui a dopé de 0,2 % de PIB la croissance globale du pays. Et sachant qu'elles sont obligées pour ce faire de recourir à l'emprunt, on comprend rapidement que ne pas leur donner la maîtrise des recettes fiscales à même de leur permettre de rembourser les échéances conduirait à mettre à mal l'ensemble du développement économique du pays.

Indépendamment de ces considérations économiques, la nécessité de maintenir une recette fiscale tient à un autre motif, essentiel, sur lequel je n'ai jamais transigé et qui tient au principe même de la démocratie locale : la préservation du lien entre le contribuable local et l'électeur local. On ne peut imaginer transformer en citoyens des gens que l'on exonérerait du paiement de l'impôt local tout en leur reconnaissant le droit de réclamer des dépenses. A chaque fois que l'on a exonéré une catégorie - de la taxe d'habitation, par exemple, l'impôt local le plus sensible -, c'est précisément ce lien que l'on a distendu et c'est parfaitement regrettable.

A ce propos, monsieur le ministre, permettez-moi de trouver que votre lecture du rapport de la dernière commission Mauroy est un peu sélective, ou plus exactement, que vous n'y lisez que ce qui vous intéresse : s'agissant de la partie financière notamment, le rapport Mauroy insiste avec force sur la nécessité de maintenir le lien fiscal, tout en reconnaissant que celui-ci a été distendu par les mesures prises, et n'apparaît guère en phase avec ce que vous faites. Pierre Mauroy s'était du reste exprimé très clairement là-dessus lors de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle de M. Poncelet, en 2000, avant donc que vous ne présentiez ce texte, en prenant très nettement ses distances, arguments à l'appui. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Pour autant, il ne s'agit pas de faire preuve d'intégrisme en considérant que seules les ressources fiscales seraient à même de garantir l'autonomie financière, sujet autrement plus vaste. Certaines collectivités, notamment rurales, ne disposent que de très faibles ressources fiscales - les taxes d'habitation, et encore ! Leur donner la maîtrise de l'assiette et du taux ? La belle affaire ! Leur autonomie financière sera bien mieux assurée si l'Etat est capable de leur offrir une DGF, par exemple, en progression régulière. Pour parler clairement, une subvention évolutive apportera à nombre de ces communes autrement plus d'autonomie que la maîtrise d'une assiette fiscale notoirement faible. Gardons-nous donc de jouer les intégristes dans ce domaine et pensons également aux dotations.

Ajoutons que l'autonomie financière ne saurait se résumer à la seule autonomie fiscale. Bien d'autres aspects entrent en ligne de compte. Substituer un élu à un préfet pour diriger une collectivité est une décision qui n'a rien de financier, mais qui aura été, pour les collectivités locales, un pas considérable sur la voie de l'autonomie, et qui aura incontestablement favorisé leur libre administration. Il n'est qu'à voir comment le conseil régional de Picardie était dirigé avant 1980 et comment il a été présidé après, notamment par moi-même. Les exécutifs départementaux notamment savent ce qu'est devenu depuis le poids des élus locaux par comparaison à ce qu'il était du temps où le préfet détenait les rênes. En rendant les collectivités libres de leurs décisions budgétaires, sans plus les faire dépendre d'autorisations diverses, on a considérablement favorisé leur autonomie financière.

De même, la création en 1984 de la fonction publique territoriale, bien qu'il ne s'agisse pas d'une décision financière, a représenté un grand progrès dans la libre administration des collectivités en leur permettant de recruter des personnels qualifiés. Rappelez-vous ce qu'était auparavant le statut des personnels dans les départements : chaque département recrutait ses propres agents, directement liés par le fait à leur département ; pour changer de département, il fallait démissionner et tâcher de trouver une autre place ; chaque collectivité fixait à sa guise le montant de la rémunération et le déroulement de la carrière - sans parler des gens que recrutait le préfet, dans des conditions parfois assez curieuses sur le plan financier... On a oublié un peu vite tout cela. Autrement dit, la mise en place d'une fonction publique territoriale a elle aussi donné aux collectivités les moyens d'être beaucoup autonomes.

Et que dire, pour en revenir aux aspects strictement financiers, de la globalisation des subventions ? Combien de fois les élus locaux ont-ils réclamé la suppression des tutelles - surtout celle des services techniques, du reste, beaucoup plus que la tutelle préfectorale ? Cela a été acquis grâce à l'instauration, en 1982, de la dotation globale d'équipement : les collectivités ont pu dès lors affecter à leur guise les sommes ainsi attribuées, sans avoir à se plier aux ordres des services instructeurs.

La libéralisation du régime des emprunts a également eu sur ce plan un effet considérable - ce n'est pas à vous que je l'apprendrai, monsieur le ministre : vous avez eu l'occasion de vous intéresser à ces questions lorsque vous étiez à la Caisse des dépôts...

M. le ministre délégué à l'intérieur. Dans une autre vie !

M. René Dosière. Je me suis remémoré ce détail alors que je préparais mon intervention, en consultant l'ouvrage que vous aviez commis à cette époque et que vous aviez eu l'amabilité de me dédicacer.

Souvenons-nous, nous vivions auparavant avec un véritable système d'emprunts à la soviétique : tout était réglementé, limité, encadré...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Absolument !

M. René Dosière. Depuis, le dispositif s'est progressivement libéralisé, notamment grâce aux efforts de la Caisse des dépôts et consignations...

M. Charles de Courson. Et d'autres banques !

M. René Dosière. ...et de la CAECL, devenue aujourd'hui Crédit local de France-Dexia. Cela aussi a eu un effet considérable.

Les changements de structures peuvent également jouer sur l'autonomie et la libre administration des collectivités. L'intercommunalité notamment favorise leur autonomie, en particulier pour nombre de petites communes jusqu'alors réduites à attendre les subventions ou l'aide de personnels techniques de l'Etat pour fonctionner.

On voit donc bien que toute une série de dispositions lourdes, essentielles, ont considérablement renforcé la libre autonomie des collectivités locales ; et l'on ne saurait s'en tenir au seul bilan financier des mesures de transfert fiscal pour apprécier le chemin parcouru tout au long des précédentes années.

Troisième élément : si l'on se réfère à nos voisins européens, on s'aperçoit que l'autonomie financière réelle peut s'accompagner d'une fiscalité faible et de dotations élevées. Mais la condition est que le niveau des dotations soit fixé dans la constitution, comme en Allemagne, ou qu'il résulte d'une négociation nationale entre l'Etat et les collectivités et qu'il s'applique à toutes les collectivités.

Autrement dit, avec un système de dotations de l'Etat qui l'emporte sur la fiscalité locale, l'autonomie des collectivités dans ces pays n'est pleine et entière que parce que les collectivités sont associées d'une manière ou d'une autre à la fixation du montant de leurs dotations. Il n'y a pas d'exemple de pays où il y ait une véritable autonomie quand l'Etat décide tout seul. L'exemple de la Grande-Bretagne est là pour le montrer, ayant fait le chemin inverse : lorsque l'Etat décide seul des concours financiers aux collectivités locales, c'est là où l'autonomie est la plus faible, car l'Etat fait appliquer sa politique et s'en donne les moyens financiers.

Quand on s'inspire de l'étranger, il faut être prudent et prendre en compte l'histoire des pays. En outre, on a plutôt le sentiment, certains orateurs l'ont souligné, que les pays étrangers s'inspirent de l'exemple français. Je vois, monsieur le président de la commission des finances, que vous possédez l'étude de Dexia sur les collectivités locales étrangères. On y découvre que, M. le ministre l'a rappelé, les collectivités françaises sont celles qui aujourd'hui ont le plus haut degré d'autonomie financière...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Absolument !

M. René Dosière. ....si bien que l'Espagne tout comme l'Italie essaient de se rapprocher du système français. Pour certains, et c'est même une école de pensée, l'autonomie fiscale n'exige pas l'autonomie financière. Un certain nombre de mes amis socialistes ont voulu substituer des dotations aux impôts locaux, ce que l'on a pu juger critiquable. Pour eux, il est essentiel que les collectivités disposent de ressources, quelle qu'en soit l'origine, car en disposant de ressources évolutives et suffisantes, elles ont la possibilité de faire des dépenses.

Je vous le dis franchement, telle n'est pas ma conception. Mais il est vrai qu'elle existe et pas seulement à gauche.

Le sénateur Mercier, dans une étude exhaustive, explique pourquoi les collectivités locales doivent disposer de ressources fiscales. Pour ce faire, il s'est appuyé sur deux motifs tirés de mes rapports budgétaires : la nécessité de permettre aux collectivités locales d'investir et celle de maintenir le lien qui doit exister entre le contribuable et l'électeur. J'ajoute que ce lien doit être fort au moins dans la collectivité de base, c'est-à-dire au niveau de la commune et de l'intercommunalité. Dans les autres collectivités, ce lien est beaucoup plus distant et il n'est pas toujours nécessaire de le maintenir d'une façon aussi forte.

Quatrième élément : si l'on veut maintenir un système fiscal local, encore faut-il que l'impôt soit socialement et économiquement juste. J'ai dit tout à l'heure à propos de la suppression taxe locale et son remplacement par le VRTS que c'était une bonne chose que de supprimer la taxe locale.

Si l'on se place sous cet angle, on comprend mieux les substitutions opérées par les gouvernements de gauche.

Nous avions, en plusieurs étapes, réduit les droits de mutation régionaux et départementaux. Nous avions, à l'époque, été critiqués. Or que dit le sénateur Yves Fréville, que M. le président de la commission des finances connaît bien ? « Peut-on justifier un impôt inefficace et injuste qui freine la mobilité ? Pourquoi celui qui est amené à changer de résidence devrait-il payer au cours de sa vie plus d'impôt que celui qui peut habiter de manière continue dans la même localité ? » Il a tout à fait raison.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons diminué, supprimé et encadré les droits de mutation. Il s'agissait de favoriser la mobilité des travailleurs, de faciliter les transactions immobilières, de relancer l'accession à la propriété et de stimuler l'activité du BTP. Une telle disposition n'était nullement absurde.

Quand d'autres ont, plus tard, accordé des exonérations fiscales aux entreprises dans les zones défavorisées, les zones de revitalisation rurale ou les zones urbaines sensibles, ce n'était pas injustifié car il s'agissait de maintenir des entreprises et des commerces existants dans ces zones et de permettre l'accueil de nouvelles activités. La motivation était noble.

Nous avons plafonné la taxe d'habitation, ce qui l'a transformée en un impôt national dont les modalités échappent aux collectivités locales, parce que cette taxe est parfaitement injuste. Ce plafonnement a permis de soulager les milieux modestes. J'aurais l'occasion d'y revenir, monsieur le ministre, et de démontrer que votre projet de loi empêchera à l'avenir toute réforme de la taxe d'habitation, ce qui est pour le moins gênant. Mais l'Etat met en place des dispositifs et les transforme au fil du temps.

Pour parodier un auteur qui m'est cher, Charles Péguy, je dirais : tout commence en dégrèvement et finit en compensation ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Quelle est la phrase d'origine ?

M. René Dosière. « Tout commence en mystique et finit en politique ». C'est dans Notre Jeunesse. Je vous communiquerai d'autres références de Charles Péguy si vous le souhaitez !

Vous remarquerez, mes chers collègues, que je n'ai pas évoqué les exonérations de taxe professionnelle. S'agissant de cette taxe, je n'étais pas convaincu, j'ai eu l'occasion de le dire à la majorité à laquelle j'appartenais, qu'il était souhaitable d'en supprimer la part salariale. J'ai toujours pensé que la taxe professionnelle n'avait pas tous les défauts qu'on voulait bien lui prêter et que cette suppression risquait d'avoir des conséquences fâcheuses. Permettez-moi, à cet égard, de vous livrer mes observations sur le sujet qui figurent dans mon rapport pour la loi de finances de 1999 : « La diminution de l'assiette imposable et son remplacement par une dotation de l'Etat ne manqueront pas d'influer sur l'avenir de cet impôt. Pourra-t-on longtemps maintenir la notion d'impôt local dès lors que l'Etat supportera 60 % du produit attribué aux collectivités contre 37 % aujourd'hui (en 1999) et 17 % en 1981 ? » Je ne pensais pas être devin, mais aujourd'hui, on nous propose de supprimer ce qui reste de taxe professionnelle !

J'ajoute que j'ai été très réservé, monsieur le rapporteur général, lorsque votre majorité a, dans le projet de loi de finances pour 2003, diminué la base d'imposition à la taxe professionnelle des professions libérales. Vous me direz que cela ne portait que 100 millions d'euros ! Mais il s'agissait tout de même d'un allégement,...

M. Pierre-Louis Fagniez. Non !

M. René Dosière. ...qui dans son principe n'était pas très différent de ce que nous avions fait en matière de part salariale. Bien entendu, les sommes ne sont pas du même ordre.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il s'agissait aussi d'une incitation à l'emploi.

M. René Dosière. Bien sûr, on peut justifier cette mesure, mais j'ai tellement entendu de critiques sur la substitution des impôts locaux par des dotations, comme si nous avions mis à mal les collectivités locales...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela y ressemblait !

M. René Dosière. ...qu'il me semble souhaitable de montrer que l'on peut avoir une vision plus globale de ces sujets. Cela étant, j'en suis d'accord, le pouvoir fiscal des collectivités s'en trouve ainsi réduit.

A chaque fois que l'on a procédé ainsi, on a augmenté le montant des sommes que l'Etat prenait à sa charge. Sans doute, on supprimait un impôt local, ce qui, en termes politiques ou politiciens, est bien perçu par le contribuable, mais on augmentait la charge du budget de l'Etat, car il fallait assurer cette compensation. Et cette charge était lourde.

Pour étayer mon intervention sur la prise en charge par l'Etat de la fiscalité locale, j'ai repris mes notes pour les cours que j'assure à l'université de Reims.

En 1980, l'Etat prenait à sa charge l'équivalent de 1,75 milliard d'euros. Vous noterez au passage que je n'ai pas choisi les années au hasard...

En 1986, l'Etat prenait à sa charge 4,74 milliards d'euros. En 1988, cette somme est passée à 6,28 milliards d'euros. En 1993, celle-ci est passée à 10,79 milliards d'euros. En 1997, à 13,93 milliards d'euros et en 2002, à 20,7 milliards d'euros.

Vous noterez que, depuis 1980 et sous toutes les majorités, la prise en charge de la fiscalité locale a augmenté dans des proportions sensibles. Il y a eu des seuils, en 1986 comme en 1993 ainsi qu'une accélération forte en 2002. A chaque fois, cette évolution s'accompagnait de justifications. Mais je ne souhaite pas que l'on pense que d'un côté, tout était noir et que de l'autre, tout était blanc.

Il y a un problème à résoudre en matière de fiscalité locale. C'est la raison pour laquelle nous avons essayé de la réformer. Or nous n'avions guère eu de succès de ce côté-ci de l'hémicycle quand nous avions proposé la taxe départementale sur le revenu.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ce n'était pas une bonne idée.

M. René Dosière. Il s'agissait, monsieur le président, d'une réforme fiscale voulue par l'Assemblée.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Charasse n'en a pas voulu !

M. René Dosière. C'était même la première réforme fiscale depuis 1958 due à l'initiative du Parlement. En ce sens, son échec est tout un symbole. Le groupe socialiste était à l'origine de cette réforme.

M. Jean-Pierre Brard. C'est pourtant Charasse qui l'a tuée !

M. René Dosière. Il a fallu deux ans et deux fois recourir au 49-3, sous deux premiers ministres différents, pour avancer. Compte tenu des conditions de la majorité de l'époque, nous pensions que le Parlement en matière budgétaire ne devait pas se contenter de déplacer des virgules ou changer quelques chiffres, mais qu'il pouvait prendre l'initiative d'une vraie réforme fiscale. Il est vrai que Bercy pense que c'est un domaine qui lui est réservé !

M. Charles de Courson. Interdit au Parlement !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ce n'est pas la seule raison.

Au demeurant, rassurez-vous, mes chers collègues, le conservatisme est présent partout. Nous n'avions pas uniquement renoncé à cette réforme parce que la droite le souhaitait.

Si j'ai fait ce rappel, c'est pour souligner que la seule tentative sérieuse de réforme fiscale locale, j'ai le regret de le constater, a été combattue par la droite.

M. Didier Migaud. Oui !

M. René Dosière. Et le Parlement a bien du mal à reprendre l'initiative.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Ce n'est pas le vrai problème.

M. René Dosière. On peut en penser ce que l'on veut, il n'empêche qu'il s'agissait d'une vraie réforme.

Ainsi donc 21 milliards d'euros de fiscalité locale sont payés par le contribuable national.

L'humoriste Alphonse Allais disait qu'il faut demander plus à l'impôt et moins au contribuable. Cela fait toujours sourire, mais, aujourd'hui, un tiers de la fiscalité locale n'est pas payé par le contribuable local. Le MEDEF, qui se plaint de la taxe professionnelle,...

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous y voilà !

M. René Dosière. ...devrait savoir que, désormais, les entreprises n'en règlent que 40 % ...

M. Jean-Pierre Brard. Tout à fait !

M. René Dosière. ...le reste étant payé par l'Etat, c'est-à-dire par l'ensemble des contribuables nationaux.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il reste tout de même 21 milliards d'euros !

M. Jean-Pierre Brard. Conclusion : Alphonse Allais était un visionnaire !

M. le président. Monsieur Brard, ne vous mêlez pas de ce débat entre le président de la commission des finances et M. Dosière. (Sourires.)

M. René Dosière. Pourquoi le ministère des finances mène-t-il une telle politique qui aboutit à alourdir le budget de l'Etat, plutôt que la fiscalité locale, d'une somme aussi considérable ? Elle traduit en fait une volonté cohérente qui perdure par-delà les changements de majorités et les changements de nom.

Puisqu'il n'est plus possible aujourd'hui de transformer des impôts locaux en dotations, vous remplacez, par une opération subtile, la fiscalité locale par un impôt partagé. Mais, dans les deux cas, Bercy sera en mesure de contrôler l'ensemble du système.

En effet, quand on étudie l'évolution des prélèvements obligatoires et du règlement des déficits, on constate que l'Etat a su, jusqu'à présent, réduire son prélèvement fiscal. Les recettes fiscales de l'Etat ont ainsi été ramenées de 18,1 % du PIB en 1982 à 15,6 % en 2003. En revanche, s'il y a eu une baisse relative du prélèvement fiscal de l'Etat, il en va tout autrement des prélèvements sociaux qui sont passés de 16,7 % en 1981 à 21,8 % en 2003. Quant à la fiscalité locale, son augmentation a été également régulière : 4,7 % du PIB en 1981, 5,1 % en 2003.

Autrement dit, l'Etat maîtrise sa propre fiscalité, qui ne représente pas l'essentiel, mais ni les prélèvements sociaux ni les prélèvements locaux.

Pour les prélèvements sociaux, la question a été réglée différemment. En effet, le Parlement est maintenant habilité à intervenir.

Le fait que la CSG ait été affectée à la protection sociale rend plus difficile l'une des réformes à laquelle je tiens : le remplacement de la taxe d'habitation, par un impôt local lié à la CSG.

Devant le comité des finances locales, le 8 juillet 2003, M. Lambert déclarait : « Nous avons écarté le transfert de la CSG pour deux motifs. Le premier est le plus décisif : la CSG est affectée au financement de la protection sociale et nous ne souhaitons pas introduire de confusion dans ce financement. Il doit être très clair pour tous les Français que si nous ne parvenons pas, collectivement, à maîtriser le financement de la protection sociale, et notamment de l'assurance maladie, la CSG augmentera. Ce message ne doit pas être brouillé. Territorialiser la CSG aurait l'effet inverse. »

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très juste !

M. René Dosière. Autrement dit, il n'est pas question de laisser aux collectivités locales le pouvoir d'intervenir sur un prélèvement social.

Quant aux impôts des collectivités locales, dès lors que la plus grande partie des recettes propres ou des recettes fiscales des collectivités viendra d'une fiscalité transférée et partagée, c'est-à-dire maîtrisée par l'Etat, on aboutira aux mêmes conséquences qu'avec une fiscalité remplacée par des dotations. L'Etat pourra donc jouer sur l'ensemble des prélèvements.

Le ministre d'Etat, dans son récent show médiatique, a souhaité élaborer, avec les collectivités locales et les gestionnaires sociaux, un pacte de stabilité interne.

M. Jean-Pierre Brard. C'est un pacte à la Faust !

M. René Dosière. Je ne donnerai aucune interprétation car on me suspecterait d'arrière-pensées, mais cette proposition répond sans doute au désir de maîtriser l'ensemble des prélèvements. Lorsqu'il y a de la fiscalité locale on ne peut pas maîtriser les prélèvements. En effet quand l'Etat intervient dans la fiscalité locale, soit en apportant des dotations, soit sous forme d'impôts partagés, il peut la contrôler.

Permettez-moi donc - mais peut-être ai-je tort ? - d'attirer l'attention de ceux qui, parmi vous, sont soucieux de l'autonomie des collectivités locales. Nous devons en effet demeurer vigilants sur la notion de recettes fiscales ; c'est le point central de ce texte. Un impôt partagé entre l'Etat et les collectivités, sans que ces dernières ne puissent jouer ni sur l'assiette ni sur le taux, est-il un impôt ou une dotation ? Pour moi, il n'y a pas d'ambiguïté et, pour essayer de répondre à cette question, je me suis appuyé sur les ouvrages d'universitaires et de spécialistes ainsi que sur l'expérience de nos voisins européens. J'ai également relu des déclarations de responsables politiques.

Je n'ai trouvé personne, monsieur le secrétaire d'Etat, pour affirmer qu'un impôt partagé est un impôt local. Certes vous, vous l'avez affirmé, mais votre position ne vous permet pas d'être parfaitement crédible. Vous accomplissez votre mission, qui est celle de nous présenter votre projet.

M. André Chassaigne. Ce n'est pas gentil !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Effectivement !

M. René Dosière. Si vous aviez tenu ces mêmes propos en d'autres circonstances, on aurait pu leur accorder davantage de crédibilité.

Si, durant cette discussion, vous trouviez un auteur un peu compétent dans ce domaine, qui justifie qu'un impôt partagé est un impôt local, je serais preneur !

Permettez-moi de citer rapidement quelques auteurs.

M. Sergent, dans une déclaration déjà ancienne, puisqu'elle date de 1991...

M. Bernard Accoyer. On peut donc passer à la suivante !

M. René Dosière. Je vous en lirai de plus récentes, mais le fait que cette déclaration soit ancienne montre que le problème ne date pas d'aujourd'hui et n'est pas lié à la présentation de ce texte.

M. Sergent, à cette époque secrétaire général de la section française du conseil des communes et régions d'Europe, affirmait : « On ne peut donc classer dans la même catégorie les impôts dont le taux est fixé par l'Etat et dont le produit est ensuite versé aux collectivités locales et ceux dont le taux est fixé par le pouvoir local. »

En 2002, M. Jacques Blanc, administrateur au Sénat, chargé du cours de finances locales comparées à l'Institut de sciences politiques de Paris, auteur de plusieurs publications dans ce domaine, notamment sur les systèmes étrangers, estime que cette technique de partage des grands impôts productifs correspond à un modèle d'extrême dépendance fiscale des collectivités. Il écrit : « Les collectivités peuvent bénéficier d'une fraction du produit des grands impôts productifs de l'Etat. L'opération peut être purement quantitative et dans ces conditions le législateur impose pleinement ses vues aux collectivités. »

Rejoignant la notion d'autonomie fiscale, il ajoute même : « Cette notion est ambivalente. Elle revêt une dimension purement quantitative. Le degré d'autonomie est d'autant plus élevé que la part relative dans le total des ressources de recettes de fiscalité propre est importante mais il ne doit s'agir que des produits d'impôts authentiquement locaux, ce qui amène à exclure toute espèce de dotation versée par l'Etat et ce même en rapport plus ou moins lointain avec une quelconque opposition. »

Enfin, M. Loïc Levoyer, maître de conférence à l'université de Poitiers, écrit : « Si, quels que soient les Etats, les collectivités locales bénéficient de transferts financiers, il peut être rappelé que la formule des impôts partagés, dont l'assiette et les barèmes sont uniformes et le produit réparti entre différents niveaux de collectivité, ménage très peu de place pour l'autonomie fiscale locale. »

D'une manière générale, pour les juristes de droit public, il n'y a aucune ambiguïté possible : un impôt partagé n'est pas un impôt local. En revanche, pour les économistes - je pense à Alain Guengant ou à Guy Gilbert - l'interprétation n'est pas aussi tranchée ; leur conception de l'autonomie financière est beaucoup plus vaste qu'une conception purement fiscale. Elle prend notamment en compte le niveau des ressources et les inégalités. Même s'ils sont plus souples, on sent bien qu'il importe tout de même à leurs yeux que les collectivités locales aient une certaine maîtrise sur cet impôt.

Il en va de même au niveau européen.

Votre ouvrage sur les collectivités locales étrangères, monsieur le président de la commission des finances, établit des comparaisons entre les pays européens, en matière de ressources fiscales et de dotations. Il précise, page 16, : « afin de pouvoir comparer les systèmes financiers locaux des différents pays selon une définition homogène de la fiscalité propre et des transferts financiers, ont été considérés comme des transferts financiers, les impôts nationaux ou des Etats fédérés dont le produit est réparti entre l'Etat et un ou plusieurs niveaux de collectivité. » Au niveau européen, un impôt partagé est donc non pas un impôt local mais un transfert financier.

Enfin, M. Alain Delcamp, lui aussi administrateur au Sénat, professeur associé à l'IEP d'Aix-en-Provence et auteur d'un Que sais-je ? sur les institutions locales en Europe, affirme que « l'impôt sur le revenu perçu par les Länder et les communes en Allemagne n'est pas un véritable impôt local, mais un élément du pacte fédéral qui a prévu une répartition. »

Autrement dit, tous les spécialistes sont d'accord sur le fait qu'un impôt partagé ne peut pas être considéré comme un impôt local.

Les politiques sont tout aussi clairs. Sans vouloir allonger la liste des citations, ...

Mme Claude Greff. Merci !

M. René Dosière. ... je rappelle que le rapport du sénateur Patrice Gélard, déjà évoqué, notamment par Didier Migaud, est très clair : on ne peut pas considérer comme une recette fiscale un impôt que la collectivité concernée ne maîtriserait pas. Telle est également la position de M.  Fourcade et de M. Puech et, à la lecture de votre rapport, il m'a semblé que vous-même, monsieur le rapporteur général, n'êtes pas pleinement convaincu que le transfert de la TIPP puisse être tenu pour un véritable impôt local. Quant au brillant exposé que nous a fait tout à l'heure M. de Courson, il est assez explicite pour qu'il soit utile d'insister.

Lors de l'examen du texte relatif aux responsabilités locales, la commission des lois a voté un amendement précisant que les collectivités fixent le taux des impôts qui leur sont transférés. Alors que le rapporteur de la commission, M. Daubresse, était quelque peu hésitant et jugeait préférable d'attendre l'examen de la loi organique pour adopter une telle disposition, le président Pascal Clément a rappelé que la liberté des collectivités consistait à voter le taux d'imposition, et a insisté pour que cet amendement soit adopté. Le ministre a, malheureusement, réussi à le faire repousser en séance publique.

Pour résumer : un impôt national partagé entre l'Etat et les collectivités est assimilable à une dotation et ne peut être considéré comme un impôt local.

Durant la période où je n'étais plus parlementaire, mon expérience de consultant en Union soviétique (Rires et exclamations sur plusieurs bancs)...

M. Jean-Pierre Brard. Freud, où es-tu ?

M. René Dosière. C'était la Russie, bien sûr, mais les structures n'avaient pas bougé !

En analysant la situation financière des collectivités locales russes - on sait qu'elles étaient parfaitement autonomes, et que, bien entendu, l'échelon supérieur n'exerçait aucun contrôle sur l'échelon local ! - j'ai découvert que leurs ressources procédaient d'un partage de l'impôt sur le revenu décidé par le centre : Moscou attribuait une partie à la fédération, une autre aux provinces et une autre encore aux communes, qui n'avaient aucune maîtrise de leur fiscalité.

M. Jean-Pierre Brard. Du temps de l'Union soviétique, c'était mieux, il faut le reconnaître ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'intérieur. C'est ce que vous souhaitez ?

Mme Claude Greff. Nous n'avons pas connu Moscou, nous !

M. René Dosière. N'essayez pas de transposer ce système à la France de 2004, en pratiquant des transferts de fiscalité partagée : on a vu ce que cela pouvait donner !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas aller de Paris à Moscou, mais de Moscou à Paris !

M. André Chassaigne. Il y a comme de la nostalgie chez M. Brard. (Sourires.)

M. René Dosière. En outre, un impôt local doit permettre un retour sur investissement. Ainsi que je l'ai souligné hier, ...

Mme Claude Greff. Alors, ce n'est pas la peine de le répéter aujourd'hui !

M. René Dosière. ... en prenant l'exemple de Montreuil - qui vaut, d'ailleurs, pour toutes les communes dynamiques - les collectivités qui consentent des efforts pour augmenter leur richesse fiscale en attirant de nouveaux habitants, doivent bénéficier d'un retour sous forme de recettes fiscales plus élevées au titre du foncier bâti, de la taxe d'habitation ou de la taxe professionnelle. Avec le transfert de la TIPP, en quoi les efforts de développement réalisés par les collectivités départementales favoriseront-ils une augmentation des sommes qui leur seront versées au titre de cette taxe ?

Votre définition des ressources propres conduit à une impasse. Mieux vaudrait y renoncer et trouver d'autres formules, plus respectueuses des collectivités locales.

Un autre inconvénient du texte tient au fait qu'il va rendre impossible toute réforme de la fiscalité locale, en particulier de la taxe d'habitation.

Aujourd'hui, en effet, près de la moitié des contribuables, soit douze millions de Français, ne paient pas de taxe d'habitation, ou bénéficient d'un plafonnement à 4,3 % de leurs revenus. Dans les deux cas, cela est lié au niveau de revenus des intéressés, et ne dépend nullement de décisions prises par les collectivités locales, qui n'ont aucune marge de manœuvre en matière d'assiette ou de taux d'imposition. La compensation par l'Etat de cette perte de recettes est improprement désignée comme un dégrèvement, alors qu'il s'agit plutôt, comme l'observe M. Fréville, d'une subvention implicite. C'est, d'ailleurs, le même phénomène que celui évoqué par M. Migaud à propos de la taxe professionnelle.

Pour la moitié des contribuables, la taxe d'habitation est donc devenue un impôt national, fixé selon des critères de revenus et redistribué aux collectivités sous forme de subventions implicites, dénommées « dégrèvements » ou « compensations », qui représentent tout de même un montant de 3,5 milliards d'euros ! La distribution de ces sommes est riche de surprises. Ainsi, à Saint-Quentin, dans mon département, 20 % des contribuables seulement paient une taxe d'habitation normale, ce qui signifie que 80 % d'entre eux sont exonérés ou bénéficient du plafonnement. Il est clair que les ressources accordées à la collectivité sont sans rapport avec la situation locale.

Estimer que les dégrèvements font partie des ressources propres de la collectivité interdit de corriger les injustices liées à la distribution de la taxe d'habitation sans porter atteinte à l'autonomie des collectivités locales. Ces dégrèvements ne sont pas faits pour les contribuables incapables de payer ; il s'agit de subventions qui procèdent de décisions législatives de l'Etat, comme cela est le cas pour la taxe professionnelle, plafonnée en fonction de la valeur ajoutée

Puisque la décision en la matière échappe entièrement aux collectivités locales, considérer ces subventions comme des ressources propres empêchera toute réforme de la fiscalité locale. L'Etat, loin de dégager des moyens supplémentaires pour mettre en œuvre cette réforme, préférera distribuer les sommes disponibles. M. Méhaignerie le sait bien, qui s'est souvent élevé contre le fait que certaines collectivités touchent au titre du dégrèvement des sommes très supérieures à ce que perçoivent certaines autres, sans aucun lien avec la politique fiscale de la collectivité. Vous devez donc revoir cette notion dans votre texte, si vous voulez être en mesure d'aborder ultérieurement la réforme fiscale.

D'une manière générale d'ailleurs, la notion de ressources propres  n'a été suffisamment examinée ni dans votre texte ni en commission ; il conviendrait d'y revenir.

Ainsi, ne faudrait-il pas mentionner dans le texte de la loi les cessions d'immobilisations inscrites en recettes en section d'investissement, lesquelles sont évoquées en tant que ressources propres dans l'exposé des motifs, mais qui disparaissent ensuite ?

Le fonds de compensation de la taxe à la valeur ajoutée - le FCTVA - est-il une ressource propre des collectivités, ou une subvention de l'Etat ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C'est une recette d'investissement.

M. René Dosière. Son niveau est déterminé par la collectivité locale, car il dépend du volume d'investissements réalisés deux ans auparavant.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le volume, oui, mais pas le taux !

M. René Dosière. Effectivement l'assiette est bien définie par la collectivité, mais pas le taux, car nous ne sommes pas dans un Etat fédéral où les collectivités fixent tous les éléments du système fiscal. En France il appartient au Parlement de fixer les règles du jeu. En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une subvention arrêtée par l'Etat. C'est la collectivité qui détermine le volume du fonds de TVA qu'elle recevra deux ans plus tard. Il s'agit, en quelque sorte, d'un droit de tirage.

Cette recette est, d'ailleurs, si particulière que, contrairement à toutes les autres recettes d'équipement de l'Etat - subventions comprises -, elle est la seule qui puisse être reversée en section de fonctionnement pour rembourser, au besoin, les intérêts de la dette, sous réserve de certaines conditions.

On voit donc bien que le FCTVA appartient aux collectivités locales et n'est pas une subvention, malgré la tentation qu'éprouvent toujours les ministres des finances de le traiter comme une DGE et d'en faire une enveloppe fermée dont ils contrôleraient le montant. A l'inverse des dégrèvements, le FCTVA devrait faire partie des ressources propres des collectivités locales.

Quant aux amendes de polices, inscrites en section d'investissement, leur répartition dépend, elle aussi, de la collectivité. En effet, si le taux unitaire est fixé au niveau national, le volume perçu par une collectivité est fonction du nombre d'amendes infligées sur son territoire. Une collectivité soucieuse d'augmenter ses recettes peut donc, en donnant à ses policiers municipaux des consignes de sévérité, récupérer l'année suivante, des sommes substantielles. Il s'agit, là encore, d'une recette dont la collectivité peut fixer l'assiette.

Il apparaît donc nécessaire de préciser le statut de certaines recettes.

Mme Claude Greff. Bien ! Et maintenant ?

M. René Dosière. Rassurez-vous, madame, mon temps de parole n'est pas écoulé. Il me reste encore une demi-heure. N'est-ce pas, monsieur le président ?

M. Jean-Marc Nudant. Non !

M. le président. Vous y avez droit.

Mme Claude Greff. Pour dire quoi ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Ecoutez donc, vous apprendrez beaucoup ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Nudant. Pas de leçon !

Mme Claude Greff. Franchement, s'écouter parler c'est bien, mais il y a des limites !

M. le président. M. Dosière n'abusera pas de son temps de parole.

M. René Dosière. Vous le savez bien, monsieur le président.

Mme Claude Greff. L'important, c'est ce qu'on dit, pas le temps qu'on met à le dire ! Cela m'énerve de perdre du temps ainsi !

M. Henri Emmanuelli. Prenez un calmant !

M. René Dosière. Ce texte suscite une autre question : cette loi organique est-elle de nature à modifier la conception qu'a le Conseil constitutionnel de la libre administration des collectivités locales ?

Jusqu'à présent, comme l'ont rappelé, références à l'appui, tous les rapporteurs, le Conseil constitutionnel a toujours admis que, dès lors qu'une recette fiscale était remplacée par une dotation évolutive, on pouvait réduire - jusqu'à un certain seuil qui n'a pas été précisé - les recettes des collectivités locales sans remettre en cause ce principe. La nouveauté est que ce texte fixe un seuil plancher, ce qui devrait clarifier la situation.

Ce volume plancher en dessous duquel il ne faudra pas descendre correspondra à un pourcentage déterminé de recettes propres par rapport à la totalité des ressources. J'ajoute que nous ne savons pas lequel, monsieur le ministre, puisque le texte prévoit simplement que la part des ressources propres ne pourra être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003. Permettez-moi tout de même de m'étonner que, pour le vote d'un seuil à l'importance si significative, vous ne soyez pas en mesure de nous fournir des chiffres.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous savez bien pourquoi !

M. René Dosière. En effet, je sais bien pourquoi. C'est parce que, dans ce pays, tout l'appareil statistique s'occupe de la fiscalité d'Etat et non de la fiscalité locale.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Monsieur Dosière, vous ne pouvez être professeur et élève en même temps. Il faut choisir.

M. René Dosière. Voilà encore une preuve que les collectivités locales sont traitées au second plan ; elles passent après la puissance publique. S'il s'agissait d'une recette fiscale de l'Etat, vous seriez capable de me donner avec célérité toutes les informations que je vous demanderais. En revanche dès qu'il s'agit des collectivités locales, on doit sans cesse attendre.

Mme Claude Greff. Vous êtes vraiment terrible !

M. René Dosière. Et quand il s'agira de fixer le seuil minimal des ressources propres pour les communes, en incorporant dans le calcul la composante intercommunale, je souhaite bien du plaisir aux fonctionnaires qui seront chargés de déterminer un chiffre fiable.

De toute façon, il est clair que, en dessous de ce seuil, le Conseil constitutionnel considérera qu'il a été porté atteinte à la libre administration des collectivités locales.

Toutefois au-dessus de ce seuil, l'interprétation du Conseil constitutionnel demeurera celle d'aujourd'hui pour les décisions fiscales susceptibles d'avoir des conséquences sur les collectivités sans abaisser pour autant leur part de ressources propres en dessous de la limite fixée.

A cet égard, prévoir que la part est déterminante lorsqu'elle permet la libre administration des collectivités locales relève, permettez-moi de vous le dire monsieur le ministre, de la tautologie. Il s'agit d'un bon exercice de tautologie, mais cela ne changera rien par rapport à la situation actuelle. Il n'était vraiment pas nécessaire de consacrer autant de temps pour trouver le mot « déterminante » et aboutir, en fin de compte, à un résultat qui ne modifiera strictement rien ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le renvoi en commission ne servirait donc à rien !

M. René Dosière. Si, car son adoption nous donnerait l'occasion d'utiliser d'autres éléments d'information !

S'agissant du ratio minimal, je regrette que vous vous satisfaisiez, monsieur le ministre, d'un chiffre si faible pour les régions. En effet, le seuil se situera alors entre 35 % et 40 % de l'ensemble des ressources de la collectivité. Vous reconnaissez que ce chiffre est très bas. Pourtant, je croyais que vous aviez la volonté d'améliorer l'autonomie des collectivités locales. Tel a d'ailleurs été tout le sens de la déclaration de M. Devedjian, votre prédécesseur, lors de la réunion du comité des finances locales de juillet 2003, lorsqu'il disait que le souci du Gouvernement était d'améliorer l'autonomie financière des collectivités locales.

Je pensais donc que, pour vous, ce chiffre plancher n'était qu'un point de départ et que vous alliez essayer d'améliorer ce seuil trop faible pour l'élever progressivement à un niveau supérieur. C'est d'ailleurs l'objet de l'un des amendements de M. de Courson, qui me paraît plein de bon sens puisqu'il propose de ne pas conserver la référence à l'année 2003 pour l'éternité mais que, chaque année, la référence du seuil d'autonomie soit le ratio obtenu l'année précédente, au cas, bien entendu où il serait en progression.

Quant à la correction du dispositif, elle est tout simplement surréaliste. En effet, si, pour une raison quelconque, la part des ressources propres est en dessous du seuil, votre projet de loi organique prévoit que des mesures de correction seront prises pour la rétablir au niveau plancher. Or je ne vois que deux manières d'y parvenir puisque les dotations ne font pas partie des ressources propres : en diminuant les dotations pour que les recettes fiscales soient proportionnellement plus importantes, ou bien en augmentant les recettes fiscales. Dans les deux cas, il s'agira de permettre à la part des ressources propres de dépasser le seuil mais, dans un cas comme dans l'autre, c'est complètement irréaliste ! Il vaudrait encore mieux ne pas prévoir de mécanisme du tout. Je vous rappelle d'ailleurs ce qu'avait dit le président de la commission des lois de l'Assemblée, M. Clément, lors du débat constitutionnel quand cette question avait été évoquée.

Mme Claude Greff. Ah, cela va enfin être intéressant ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président, qu'a-t-elle ? Il lui faut du temestat !

M. René Dosière. Vous allez connaître la pensée profonde du président de notre commission des lois !

Il avait reconnu qu'il se pourrait que le Gouvernement doive réduire brutalement ses dotations pour que les ressources des collectivités locales rattrapent le niveau plancher. Il avait ajouté que ce serait un comble que l'Etat, pour cette raison, aide de moins en moins les collectivités. Quant à établir un seuil chiffré, il reconnaissait que ce ne serait pas plus réaliste, puisque toute disposition constitutionnelle qui ôterait de la souplesse, quel que soit le gouvernement, risquerait fort de ne pas être respectée ou d'empêcher tout progrès. Je ne peux qu'être d'accord avec lui sur ce point. Le problème, c'est qu'il a apparemment changé d'avis, puisque, aujourd'hui, il accepte ce qu'il fustigeait dans des termes vraiment rédhibitoires il y a quelques mois à peine.

Mme Claude Greff. Nous atteignons le seuil de saturation !

M. Jean-Marc Nudant. Ce n'est plus un seuil ; c'est un plafond !

M. René Dosière. C'est donc pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer que ce projet de loi organique n'est pas satisfaisant.

Avant de conclure (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), je vais vous présenter plusieurs propositions ou, du moins, tracer des orientations, car je ne voudrais pas que vous puissiez prétendre que je me suis livré à un exercice purement critique.

Mme Claude Greff. Si ! Et ce n'est même pas un exercice pédagogique !

M. René Dosière. Reconnaissez néanmoins que c'est tout de même le rôle de l'opposition.

En effet, hormis l'intervention de M. Pinte, celle de M. Pélissard et, naturellement, celle de M. de Courson - quoiqu'on ne sache jamais où il se situe, à part qu'il est toujours dans l'opposition, comme nous l'avons tous bien compris -,...

M. Franck Gilard. Il est hors catégorie !

M. Henri Emmanuelli. Il est bien là où il est !

M. René Dosière. ...les autres orateurs se sont contentés de vous donner, monsieur le ministre, un satisfecit.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Avec beaucoup de sincérité.

M. René Dosière. Il appartient cependant aussi à l'opposition d'essayer de faire mieux que de critiquer. Je vais donc vous exposer plusieurs propositions.

Mme Claude Greff. Je n'en peux plus !

M. Henri Emmanuelli. Un quart de temestat vous suffirait !

M. René Dosière. Ma première proposition concerne la fiscalité partagée dont j'ai déjà indiqué qu'elle ne pouvait être considérée en l'état comme relevant de la fiscalité locale.

Je reconnais qu'il est difficile de l'utiliser pour fournir des recettes fiscales supplémentaires aux collectivités, mais ne pensez-vous pas que l'ensemble de vos amis, y compris politiques, pourrait l'envisager ? Encore faudrait-il, évidemment, que le montant de cette fiscalité partagée soit fixé lors d'une conférence des pouvoirs locaux, au terme d'une d'entente entre l'Etat et les collectivités locales préalablement informées du contenu du rapport sur l'autonomie financière prévu dans votre texte. Etat et collectivités décideraient ainsi ensemble, en connaissance de cause, avant que le Parlement n'en fixe le montant.

De même que les partenaires sociaux parviennent de temps en temps à se mettre d'accord sur un texte que le Parlement ratifie ensuite, il est concevable que cette fiscalité partagée soit déterminée non pas unilatéralement par l'Etat, mais avec les collectivités locales. Dès lors, il s'agirait bien d'une fiscalité locale puisque les collectivités pourraient modifier son montant et en jouer.

Ma deuxième proposition procède d'une interrogation : est-il absolument nécessaire de traiter l'ensemble des catégories de collectivités de la même manière ? Certes, le lien fiscal doit exister entre l'électeur et le contribuable. Or autant ce lien s'avère fondamental au niveau communal et intercommunal, autant il peut être plus lâche et reposer sur un autre type d'impôt à l'échelon régional notamment. Pourtant, en raison naturellement de la culture centralisatrice qui règne dans notre pays, vous choisissez d'appliquer le même régime à toutes les collectivités. Il faudrait au contraire priviliégier un traitement différencié.

Ma troisième proposition porte sur la péréquation.

Vous manifestez la volonté de restaurer l'autonomie fiscale des collectivités, mais il apparaît que les recettes fiscales aggravent les inégalités entre les collectivités puisque la richesse fiscale ne peut pas être également répartie. Autrement dit, aborder la question des recettes fiscales implique que l'on traite aussi de la péréquation. Certes vous en avez parlé, mais vous ne proposez rien à cet égard.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'est pas l'objet du projet de loi organique !

M. René Dosière. Monsieur le ministre, vous pourriez au moins nous apporter quelques éléments d'information en précisant les délais prévus et ce que vous envisagez de faire, qu'il s'agisse de la péréquation verticale ou de la péréquation horizontale entre collectivités de même catégorie.

En matière de péréquation, la seule décision que vous ayez prise jusqu'à présent a été, dans le cadre de la DGF, de supprimer par voie d'amendement le fonds de péréquation entre les régions qui avait été créé par la loi sur l'administration territoriale de la république de 1992, dite loi ATR.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Mais non, il a été intégré dans un dispositif plus vaste !

M. René Dosière. Vous avez supprimé ce fonds de péréquation pour intégrer son montant dans la DGF.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Vous voyez bien !

M. René Dosière. Et vous en avez figé le montant. Ce n'est donc plus le même système de péréquation.

Certes, je suis prêt à croire en votre bonne volonté puisque vous affirmez que la péréquation est l'une de vos priorités, mais, jusqu'à maintenant, vous n'avez rien proposé et rien dit sur vos projets en la matière.

M. Tiberi ici présent se rappelle certainement, en tant qu'ancien maire de Paris,...

Mme Claude Greff. Il ne sait pas plus que moi où vous voulez en venir !

M. René Dosière. ...de la loi de 1991 qui, créant la DSU, prévoyait initialement de la financer par un prélèvement sur la ville de Paris. Je dois dire qu'il n'était pas très enthousiasmé par cette proposition ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. C'est trop long ! Au bout d'un moment on déconnecte !

M. le président. M. Dosière s'achemine vers sa conclusion. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. Bien entendu monsieur le président.

M. Jean-Marc Nudant. C'est gentil !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce serait bien !

M. Henri Emmanuelli. Continuez monsieur Dosière ! C'est très bien ! J'apprends beaucoup de choses !

Mme Claude Greff. Il devrait savoir qu'à partir d'un moment on n'écoute plus !

M. René Dosière. Monsieur Tiberi n'était pas plus satisfait par l'amendement de M. Barrot qui, à l'époque, entretenait avec lui des relations moins suivies. Il proposait en effet d'aider les départements pauvres en prélevant un peu d'argent aux départements riches, parmi lesquels Paris naturellement.

M. Jean Tiberi. Je vous remercie, monsieur Dosière, de rappeler les prélèvements exceptionnels qui ont été opérés sur Paris pour combler les difficultés financières des autres collectivités.

M. Charles de Courson. A votre corps défendant ! (Sourires.)

M. René Dosière. Je rappelle cet exemple de solidarité entre collectivités riches et pauvres pour souligner que le RPR était le seul groupe hostile à cette péréquation puisque les centristes l'avaient votée. Il avait naturellement saisi le Conseil constitutionnel, mais ce dernier avait considéré que cette disposition était tout à fait légitime. Redevenue majoritaire, la droite a d'ailleurs maintenu ce système. Elle en a même quelque peu amélioré le fonctionnement ; M. le ministre l'a rappelé. Aujourd'hui, tout le monde dit le plus grand bien de ce mécanisme de solidarité financière.

Monsieur Tiberi, vous y avez aussi contribué, même si c'était de manière un peu forcée.

M. Jean Tiberi. Cela a été rude pour les Parisiens !

M. Charles de Courson. Mais il y avait du mou !

M. René Dosière. Il y a encore quelques ressources !

M. Jean Tiberi. Nous avons laissé des finances saines dont a bénéficié mon successeur !

M. René Dosière. Je rappelle que, dans la ville de Saint-Quentin, 20 % des contribuables seulement payent une taxe d'habitation au taux normal car les autres sont trop pauvres, alors que, à Paris, seuls 10 % des contribuables en sont exonérés, car 90 % des Parisiens ont un revenu suffisant pour l'acquitter. Vous ne me ferez donc pas pleurer sur la ville de Paris !

M. Jean Tiberi. Ne mettez pas en cause le maire actuel ! (Sourires.)

M. le président. Nous n'allons pas faire un débat portant sur les caractéristiques fiscales respectives de Saint-Quentin et de Paris ! (Sourires.)

Veuillez poursuivre, monsieur Dosière.

M. René Dosière. La quatrième proposition consiste à supprimer le correctif un peu ubuesque que le Gouvernement a prévu. Il suffirait de prévoir que le législateur prendra les mesures nécessaires quand la part des ressources propres se situera en deçà du seuil minimal. Essayer de codifier les modalités de diminution des subventions de l'Etat ou d'augmentation de la fiscalité pour redresser ce ratio fait sourire les spécialistes.

Enfin, ma dernière proposition est de nature plus structurelle : il faut que ce texte permette de traiter de l'intercommunalité et lui donne sa véritable place. Or elle est, une fois de plus, la grande absente. Elle n'est pas traitée dans ce projet.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Elle y est ! A sa place !

M. René Dosière. Elle n'est pas à sa place puisqu'elle est absente de ce texte. C'est d'ailleurs pourquoi, lors du débat au Sénat sur la proposition de loi de M. Poncelet, Pierre Mauroy a souligné qu'il avait une conception beaucoup plus progressiste et globale de l'autonomie financière. Il appuyait son argumentation sur son rapport.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Le rapport est bien.

M. René Dosière. Il pensait qu'il fallait davantage s'intéresser à l'intercommunalité. A droite, on a fini par l'accepter, mais il a fallu du temps.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Soyez beau joueur !

M. René Dosière. De votre côté, nul ne fait rien pour la rendre beaucoup plus démocratique et pour la traiter comme une collectivité locale à part entière.

De ce point de vue, le retard est conséquent.

Au fond, votre texte manque d'ambition. Nous avons, pour notre part, une vision plus vaste, comme j'ai essayé de le démontrer, du principe de libre administration des collectivités locales. Nous pensons qu'il doit aller jusqu'aux réformes de structures, en particulier sur l'intercommunalité. Il faut être moins frileux et moins conservateurs que vous ne l'êtes dans ce domaine.

Je pense également que, s'agissant du système fiscal local, il faut aussi aller plus loin et avoir une position beaucoup plus progressiste, qui aille jusqu'à la réforme de ce qui subsiste des quatre vieilles, c'est-à-dire le foncier bâti. N'oubliez pas qu'aujourd'hui, tous les Français supportent cet impôt local, avec une valeur locative qui date de 1970, malgré tous les inconvénients que cela présente. Je pense en particulier aux habitants des HLM, qui, depuis 1970, paient un impôt foncier bâti bien supérieur à ce qu'ils devraient payer si l'on évaluait correctement leur logement. Il est urgent de corriger le système

J'ajoute que c'est sur ce foncier bâti, qu'a été calculée la taxe d'habitation pour la moitié des Français - pour les autres, elle est assise sur le revenu et non plus sur les valeurs locatives - ainsi que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui augmente sans cesse.

Autrement dit, une part considérable de la fiscalité locale est calculée sur une base complètement obsolète et est parfaitement injuste. Il faut avancer vers cette réforme. Cela est difficile, et celui qui vous parle est bien placé pour le savoir, mais enfin il est impératif d'agir. De plus, je vous ai apporté la démonstration - à moins que vous ne soyez en mesure de la démentir - que votre système, tel qu'il est conçu aujourd'hui, rend impossible une réforme fiscale.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ce n'était pas convaincant !

M. René Dosière. Cela vaut en particulier pour la taxe d'habitation, mais j'aurais pu faire la même démonstration, si j'avais eu un peu plus de temps (Murmures), en ce qui concerne la taxe professionnelle.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous citer à nouveau Charles Péguy - puisque M. Brard est parti, il n'y aura pas de réaction -: « Il y a pire que d'avoir une mauvaise pensée, c'est d'avoir une pensée toute faite ». Eh bien, n'ayez pas une pensée toute faite sur l'autonomie fiscale et financière des collectivités. Ayez une pensée beaucoup plus large, beaucoup plus globale, et modifiez un texte qui risque, en l'état, d'asphyxier les collectivités, ce qui est d'ailleurs la raison pour laquelle nous ne pouvons pas l'accepter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de M. Dosière, un exposé à la fois assez technique et très riche. Il a beaucoup écrit sur les finances locales, et on a forcément beaucoup à dire sur un sujet sur lequel on a beaucoup écrit.

M. Henri Emmanuelli. Et sans faute d'orthographe !

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'espère bien ! D'ailleurs, je ne peux pas l'imaginer.

Monsieur Dosière, je ne reprendrai pas point par point l'ensemble de votre intervention, ce qui serait inimaginable et, à certains égards, discourtois vis-à-vis des parlementaires de cette honorable assemblée. Je me bornerai à formuler une observation et à réagir à vos propositions.

Sur la question du partage d'un impôt national, je pense qu'il est important que j'apporte une précision afin d'éviter que l'on soit dans un malentendu permanent. Chacun doit avoir présent à l'esprit que, quand on prévoit le principe du partage d'un impôt national sans laisser aux collectivités locales la liberté d'en voter le taux, cela ne signifie pas que c'est l'Etat qui décide. Monsieur Dosière, ce pouvoir appartient au Parlement !

M. René Dosière. Bien entendu !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Comme depuis l'ouverture de ce débat, personne ne l'a souligné, je tenais tout de même à rappeler qu'il n'y a pas d'un côté l'Etat et de l'autre les collectivités locales. Les institutions de notre République sont ainsi organisées que l'essentiel se fait ici même, à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, et que rien ne se décide sans le vote du Parlement.

M. André Chassaigne. Cela ne change rien au problème !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Si, c'est fondamental !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Cela change beaucoup de choses.

En effet, le Parlement est une émanation de la souveraineté nationale. Il est d'ailleurs composé, dans ses deux chambres, de parlementaires dont beaucoup sont des élus locaux. Le Sénat a même la particularité de représenter les collectivités locales. A l'Assemblée nationale aussi - et ce n'est pas vous qui me direz le contraire, monsieur de Courson, car Dieu sait si vous êtes impliqué dans les questions de votre département, et je vous en félicite -, le lien entre le niveau local et le niveau national est constant. Cela est heureux, car nous concourons tous, à nos places respectives, au service de l'intérêt général.

M. André Chassaigne. Cela n'a rien à voir avec la libre administration.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Il convient également de souligner que nous travaillons sur la notion de ressources propres et non pas sur celle d'impôt. En clair, cela veut dire que nous fondons l'autonomie financière sur la notion de ressources propres et pas seulement sur celle d'impôt. Ainsi les ressources propres peuvent inclure des impôts d'Etat partagés, des impôts locaux et d'autres ressources. Il est important d'avoir cela présent à l'esprit, car l'objectif que nous visons est l'autonomie financière et pas seulement l'autonomie fiscale.

Enfin, je veux faire un rapide commentaire sur les propositions que vous avez formulées.

D'abord, je vous remercie d'en avoir présenté car, le moins que l'on puisse dire est que, jusqu'à présent, nous manquions un peu de concret.

Vous avez regretté que le texte ne traite pas de l'intercommunalité. Comme vous avez indiqué à plusieurs reprises que nous étions formidables sur certains sujets, je peux vous rendre la pareille en soulignant qu'il est formidable d'avancer des propositions, mais, en l'occurrence, vous êtes dans l'erreur. En effet, ce projet comporte vingt-trois ou vingt-quatre articles qui traitent directement ou indirectement de l'intercommunalité. Cela ne signifie évidemment pas qu'il ne faille pas faire mieux et je suis à votre disposition pour en débattre.

J'ai d'ailleurs déjà indiqué dans cette enceinte que j'étais ouvert à l'idée de développer, à l'occasion de la deuxième lecture, tel ou tel élément pouvant aller dans le sens d'un rééquilibrage du projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales. Si vous avez des idées, nous sommes tout à fait prêts à les examiner, et quand je dis vous, je m'adresse à l'ensemble de votre assemblée.

M. Jean-Marc Nudant. Cela va de soi !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Cela va peut-être de soi, mais il est tout de même bon de le rappeler.

Vous avez ensuite proposé, monsieur Dosière, que l'on n'applique pas le même dispositif aux trois catégories de collectivités locales. Là encore, je rends hommage à votre esprit constructif - vous voyez que j'ai vraiment le souci de vous rendre hommage - mais je ne suis pas d'accord sur le fond, parce que notre objectif est de simplifier. J'ai d'ailleurs lu, dans votre livre, qu'il fallait simplifier.

Mme Claude Greff. Oh oui !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Nous pensons en effet qu'il est indispensable de simplifier l'organisation financière des collectivités locales. Nous sommes actuellement dans un système où trois catégories de collectivités ont été identifiées. Or, si l'on n'appréhendait pas dans le même esprit la notion d'autonomie financière, pour toutes les catégories, on retomberait dans un système complexe.

Cette remarque constitue d'ailleurs une réserve à votre proposition, monsieur de Courson, même si je la trouve intéressante, car je me demande si elle ne risquerait pas aussi de compliquer un peu le système. Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de la discussion des amendements.

Vous avez également évoqué la péréquation, monsieur Dosière, pour regretter que nous n'en parlions pas plus en détail dans ce texte. Cela m'amène à vous rappeler que celui qui m'a appris la formule selon laquelle on ne franchit qu'une haie après l'autre m'a aussi appris que si l'on voulait en franchir deux à la fois, on risquait de tomber.

M. Henri Emmanuelli. A quoi pensez-vous ?

M. Franck Gilard. Guy Drut !

M. le ministre délégué à l'intérieur. Nous aurons d'autres haies à franchir. J'estime qu'il ne faut pas mélanger les sujets, sinon, nous risquerions de devenir confus. Or mon souci est que nous soyons tellement au clair entre nous que cela vous donne envie de voter ce texte. Nous reviendrons sur la péréquation le moment venu. J'ai d'ailleurs déjà indiqué que ce dispositif sera lui aussi revu avant la fin de cette année.

En ce qui concerne la fiscalité partagée, vous avez évoqué la nécessité d'une concertation préalable, sous des formes à déterminer. Là aussi, je suis ouvert, et nous pouvons réfléchir ensemble sur le sujet. Il y a sans doute des modalités à prévoir pour que, chaque année, la fixation du produit intervienne après concertation. Il conviendra simplement de déterminer la bonne instance pour le faire, mais je suis tout à fait ouvert dans ce domaine.

Cela me donne d'ailleurs l'occasion de souligner que, de manière générale, je me trouve vraiment très ouvert. (Sourires.)

Pour être tout à fait complet, j'invite l'Assemblée à ne pas voter cette motion de renvoi en commission, parce qu'il me semble que nos échanges ici sont tellement complets que je ne vois pas tellement ce que l'on pourrait dire de plus en revenant en commission. Vos deux rapporteurs ont même été très précis.

Il faut donc rejeter cette motion afin que nous puissions poursuivre le débat et l'achever avec, je l'espère, la volonté forte d'aboutir à un projet ambitieux. J'ai en effet bien entendu, monsieur Dosière, que vous souhaitiez toujours plus d'ambition, et dans ce domaine il ne faut jamais être en reste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. M. le ministre n'a pas eu besoin d'une heure et demie pour tout dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ajouterai que quelques mots, rassurez-vous, pour répondre à M. Dosière.

Tout d'abord, je salue sa volonté affichée, et vérifiée durant tout son propos, de conserver le sens de la mesure ainsi que son rappel de la nécessité d'observer sur tous ces bancs une certaine forme de modestie.

M. Charles de Courson. Excellent !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La première partie de son propos m'est apparue pratiquement conforme à la logique du texte qui nous est présenté. En effet, il a souligné - j'espère ne pas travestir ses propos - que le dogme de l'autonomie financière limitée à l'autonomie fiscale et à l'impôt local était peut-être dépassé et qu'il fallait savoir regarder plus largement tous les autres éléments - je vous ai écouté très, très attentivement, monsieur Dosière - qui pouvaient fonder, même en dehors de considérations financières, l'autonomie financière des collectivités. Sur ce point, il n'y a pas grand-chose à dire.

Je ne vais pas critiquer systématiquement la suite de votre propos, mais j'ai constaté, comme beaucoup de mes collègues, que la logique apparente de la première partie de votre intervention ne vous conduisait pas à renoncer à votre motion de renvoi en commission en considérant que le texte était, en l'état actuel des choses, le moins mauvais qui puisse nous être proposé.

M. Henri Emmanuelli. Quelle surprise !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Pour revenir au texte, je veux relever très brièvement les points sur lesquels doit porter le débat, puisque, je vous le rappelle, il s'agit d'une loi organique. Son intervention est imposée et, même si tous les sujets qui tournent autour des thèmes retenus sont vastes et intéressants, il n'est pas question que la loi organique prétende régler, d'une manière ou d'une autre, l'ensemble des problèmes.

D'abord la dévolution d'une compétence nouvelle suppose une capacité adaptée et pérenne des collectivités à l'assumer. A cet égard, je fais observer à M. Dosière comme à tous ceux qui ont évoqué la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre dernier sur le dispositif créant le RMI-RMA, qu'il eut été nécessaire de lire l'intégralité de sa décision. Celle-ci dispose en effet : « Si les recettes départementantes provenant de la taxe intérieure de consommation si les recettes départementales provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers venaient à diminuer, il appartiendrait à l'Etat de maintenir un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert ; »

Comme ce considérant ne portait que sur le maintien, donc sur le refus de la baisse, certains en ont déduit qu'il existerait, si la dépense devait augmenter, un différentiel qui conduirait à diminuer la capacité donc l'autonomie financière des collectivités. C'était oublier un autre paragraphe qu'il me semble juste de porter à la connaissance de l'ensemble de nos collègues, à savoir le point 24 de la décision :

« Considérant, d'autre part, que l'article 59 prévoit un mécanisme permettant d'adapter la compensation financière à la charge supplémentaire résultant, pour les départements, de la création d'un revenu minimum d'activité et de l'augmentation du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion par suite de la limitation de la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique ; que, ce faisant, il respecte le principe selon lequel toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ; »

Le Conseil constitutionnel, tout en se refusant d'intervenir au titre de l'article 72-2 de la Constitution, en l'absence de loi organique, a donc jugé, dans ces deux considérants, que les mesures prises dans la loi de finances étaient conformes à l'esprit de la Constitution et à celui de la future loi organique. L'exemple était donc fourni de la totale loyauté du Gouvernement dans la mise en œuvre de la décentralisation en matière de RMI et dans l'optique de l'ensemble des mesures de décentralisation. Son objectif est, en effet, de transférer en même temps que les charges, les ressources permettant de les assumer de manière pérenne et évolutive. Il était essentiel de le préciser. Ainsi que j'ai expliqué hier, c'est nouveau et, d'une certaine manière, assez révolutionnaire par rapport aux pratiques antérieures.

Il est une deuxième question déjà évoquée précédemment par notre collègue M. de Courson que M. Dosière a reprise de manière, qu'il m'excuse de le souligner, un peu confuse, l'importance variant selon le moment. Elle concerne le principe selon lequel il ne pourrait pas y avoir de ressources propres au titre des impositions de toutes natures donc au titre de l'autonomie financière s'il n'y avait détermination ni de l'assiette ni du taux. En conséquence l'article 72-2 de la Constitution serait suspect.

On voudrait nous faire dire qu'il a été conçu, dans sa filiation avec l'article 34 de la Constitution et avec la future loi organique, pour mettre en place un dispositif pervers permettant, au travers du seul transfert possible, c'est-à-dire celui d'une fraction d'impôt national, de priver les collectivités territoriales de leur capacité à l'autonomie financière. Ce procès en sorcellerie et en suspicion est un mauvais procès.

M. Dosière a rappelé - et M. le ministre vient de le préciser - le rôle éminent de la loi et de l'ensemble des éléments de la puissance publique, dont les collectivités, dans la détermination de la politique fiscale de l'Etat. Je reprendrai à mon compte les propos de M. Dosière qui a souligné que la France n'est pas un Etat fédéral.

Afin de prouver la nécessité de poursuivre nos débats sur les articles et sur les amendements, non pas dans une volonté de consensus mou, mais dans la certitude de la bonne foi respective des uns et des autres, je citerai la décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 1991 qui dispose :« Considérant que, dans l'exercice de sa compétence en matière fiscale, le législateur n'est pas tenu de laisser à chaque collectivité territoriale la possibilité de déterminer seule le montant de ses impôts locaux ; » Il n'est donc pas étonnant que, dans la révision constitutionnelle de l'an passé, ait été reprise cette jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

J'en appelle au ministre, comme le font nombre de nos collègues : le problème est de savoir comment nous sortirons de la difficulté liée à la TIPP départementale. Il serait bon - et je sais, monsieur le ministre, que vous le désirez - que le Gouvernement nous confirme sa disponibilité totale pour un dialogue annuel en vue d'assurer la meilleure répartition possible des dépenses constatées et constatables de la TIPP départementale et de ce qui serait éventuellement amené à concourir au redressement d'éventuelles difficultés.

Il convient aussi d'explorer l'ensemble des pistes, y compris, même si elle n'est pas évidente, celle de la spécialisation grandissante des ressources des collectivités.

Ces dispositions nécessaires et suffisantes de la loi organique pour la mise en œuvre de la révision constitutionnelle seront ainsi accompagnées de ce que nous attendons et souhaitons tous : une véritable amélioration de la capacité d'autonomie financière des collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. J'ai, moi aussi, écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt l'intervention de M. Dosière. En fait, je me demande si le terme d'intervention est le plus adapté, car j'ai eu le sentiment d'assister à un véritable cours magistral qui m'a fait presque regretter de n'avoir jamais été son élève.

M. Jean-Pierre Brard. Il n'est jamais trop tard, monsieur le préfet ! (Sourires)

M. Michel Diefenbacher. Dans cette enceinte, il n'y a pas un professeur et des élèves ; il n'y a que des représentants de la nation. Nous ne sommes pas dans un amphithéâtre universitaire, mais dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Nous devons prendre des décisions et donner corps à un principe constitutionnel : celui de l'autonomie financière des collectivités territoriales. Ce principe posé, voici maintenant plus d'un an, ne produira véritablement ses effets que lorsque ses conditions d'application auront été arrêtées, ce qui suppose le vote rapide de la loi organique. Ne tardons pas davantage à l'examiner.

Une politique de décentralisation est en cours. Il est essentiel qu'elle applique très précisément les principes constitutionnels. Pour cette raison, également, ne retardons pas davantage nos travaux.

La seule vraie question qui se pose est celle de savoir si nous disposons aujourd'hui des éléments nécessaires à une délibération sur le projet dont nous sommes saisis par le Gouvernement. Il existe, bien sûr, une divergence d'analyse concernant, en particulier, la définition des ressources propres ou leur part dans l'ensemble des recettes des collectivités territoriales. Néanmoins les débats que nous avons eus au sein des commissions et en séance publique montrent très clairement que nous disposons des éléments d'appréciation nécessaires à l'examen des articles.

Dans ces conditions, rien ne justifie le renvoi en commission. Par conséquent, le groupe UMP se prononcera contre la motion de renvoi proposée par le groupe socialiste et défendue par M. Dosière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Notre collègue a eu raison de souligner que M. Dosière avait fait une démonstration magistrale, mais, surtout, elle taillait en pièces tous les arguments du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Didier Migaud. Ah oui !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Non, son intervention était nuancée !

M. Augustin Bonrepaux. A part quelques distraits, nous l'avons tous écouté avec grande d'attention et nous avons tous beaucoup appris.

Les arguments juridiques irréfutables qu'il a développés ne vous permettent plus d'affirmer, monsieur le ministre, que ce que vous proposez est juridiquement pertinent.

Vous affirmez que cela est politiquement acceptable, mais acceptable pour qui ?

C'est peut-être vrai pour le Gouvernement et pour le texte que vous défendez. L'Etat pourra, en effet, transférer un certain nombre de charges en se défaussant sur les collectivités locales, tout en respectant la Constitution. Nous ne pouvons pas l'accepter.

Tous les orateurs ont souligné que ce débat devait s'engager en toute transparence. A ce propos, je remercie le rapporteur de la commission des lois des propositions qu'il vient de formuler. Je regrette d'ailleurs qu'elles n'aient pas été présentées plus tôt. Nous parlons en effet de décentralisaton depuis maintenant près de trois mois. Nous avons débattu du RMI en décembre, puis nous avons examiné le projet sur les responsabilités locales.

Pour répondre au problème posé, le rapporteur de la commission des lois vient donc d'avancer deux propositions extrêmement intéressantes. Ainsi, les ressources transférées ne pourraient-elles pas être des impôts évolutifs avec le transfert d'une part des impôts locaux ? Il existe certainement des solutions, mais elles n'ont pas été examinées jusqu'à présent, ce qui prouve la grande précipitation dans laquelle les textes sont élaborés. A ce propos, je ne fais que répéter ce que j'ai dit lorsque nous avons appris, au mois de novembre dernier, que le RMI relèverait de la responsabilité du département dès le 1er janvier.

Comment ne pas avoir pensé plus tôt que se poserait un problème et qu'il faudrait le résoudre ? Avant d'engager le débat, nous devons obtenir certaines précisions.

Comment les conventions d'assurance dont vous ne cessez de nous parler pourront-elles être imputées à tel ou tel département ? Comment seront-elles localisées dans les départements après le changement prévu pour les plaques minéralogiques des voitures ? Comment seront-elles localisées dans les départements pour les résidences secondaires ? Je prends l'exemple de l'Ariège qui compte de nombreuses résidences secondaires appartenant à des habitants de Toulouse ou de Bordeaux où sera souscrite la convention d'assurance.

Avant d'engager un débat aussi essentiel, ne devrions-nous pas obtenir quelques réponses et éclaircissements ? J'ai constaté, après m'être entretenu avec le rapporteur général, qu'il ne disposait pas d'informations à cet égard. Il serait donc bon que le ministre nous donne des renseignements.

Pour toutes ces raisons, je vous demande d'adopter cette motion de renvoi en commission.

M. le président. Je vous informe que, sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je tiens tout d'abord à souligner que le ton de M. Dosière a été quelque peu différent de celui employé par ses collègues qui ont défendu les deux autres motions, et je l'en félicite. C'est un homme plus équilibré et mesuré car il s'intéresse à ces questions depuis très longtemps. Il partage, du reste, l'analyse du groupe UDF sur les ressources propres.

M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez lui nuire, ou quoi ? (Sourires.)

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, sur ce que vous appelez à tort les impôts partagés, vous confondez deux problèmes, et votre intervention à l'issue de la discussion générale n'a fait que le confirmer. Il ne saurait en effet y avoir d' impôts partagés puisque cela supposerait un consensus entre deux parties. Or le droit constitutionnel français ne prévoit pas de négociation sur les impôts d'Etat : le Parlement souverain en décide seul.

A propos de la distinction entre les recettes fiscales et les autres ressources propres, vous avez invoqué à tort le deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, car c'est sur le troisième alinéa que nous nous appuyons.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Bien sûr !

M. Charles de Courson. Enfin, le Conseil constitutionnel n'a pas tranché. Relisez toutes ses décisions. Il nous a incités à faire œuvre de législation mais il n'a pas statué sur la constitutionnalité de votre proposition. Je pense, pour ma part, que vous prenez un vrai risque, mais le problème de fond est que vous appelez autonomie financière  ce qui ne l'est pas. Sur ce point, M. Dosière partage les convictions que j'ai longuement développées dans la discussion générale.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Lequel partage les convictions de l'autre ?

M. Charles de Courson. Par ailleurs, tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'une partie de la fiscalité locale est obsolète. M. le ministre, M. Dosière et beaucoup d'autres l'ont souligné. Toutefois, monsieur le ministre, vous n'allez pas au bout de votre pensée.

M. Henri Emmanuelli. Sa pensée est sans bornes ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles de Courson. Vous nous dites que certains impôts seront partagés. A ce propos quel est le fond de votre pensée ? Existe-t-il des impôts transférables dont on peut moduler le taux ?

Vous avez évoqué la taxe intérieure sur les produits pétroliers pour les régions et la taxe sur les conventions d'assurances pour les départements. Or, je le répète, monsieur le ministre - et M. Dosière, sur ce sujet aussi, partage nos arguments -, pour la TIPP sur le gazole professionnel, cela est impossible, comme le précise une lettre de la Commission. Alors, que vous reste-t-il ? L'essence ? Peut-être, mais alors l'unanimité du Conseil est requise - et non pas celle de la Commission -, et vous n'êtes pas sûr du tout d'emporter l'accord de tous ses membres. Je crains donc fort qu'aucune modulation de la TIPP ne soit possible.

J'ajoute, pour terminer ma démonstration sur la TIPP, que personne n'a le courage de dire qu'il n'existe pas d'assiette locale de cet impôt !

M. Henri Emmanuelli. C'est pourtant vrai !

M. Charles de Courson.  En effet la TIPP est payée à la sortie des raffineries. On nous a expliqué que les bordereaux de sortie de raffinerie seraient employés pour connaître la destination des produits, mais ils sont totalement inexploitables. Prenons l'exemple de mon département.

Nous n'avons pas de raffinerie mais il y existe un énorme centre de stockage par lequel transite une très grosse partie des carburants qui approvisionnent la Marne et plusieurs départements voisins. Comment va-t-on faire ? Tout le carburant provenant des raffineries et passant par Vatry avant d'être redistribué vers la Meuse ou l'Aube ne va tout de même pas être comptabilisé pour la Marne !

M. René Dosière. Ah non ! Ne nous refaites pas le coup de la vignette ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. L'assiette de la TIPP n'est donc pas localisable. Il faudra établir des moyennes statistiques, ce qui ne constituera aucunement une assiette.

Il en est de même pour la taxe sur les contrats d'assurance, mes chers collègues. En effet quelqu'un qui possède, par exemple, un pied-à-terre à Paris et un logement dans un autre département n'a qu'une seule police d'assurance, dont le montant n'est pas réparti. (« Si ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mais non, mes chers collègues ! Regardez vos polices d'assurance !

Il va donc falloir demander aux assureurs d'éclater l'assiette par département et de calculer le taux différencié pour chacun d'entre eux. Si vous vous appelez Cadet Roussel et que vous possédez dix maisons, je leur souhaite bien du plaisir. Ceux qui s'intéressent à ces questions et qui ont reçu des courriers de la fédération française des sociétés d'assurances comme du groupement des entreprises mutuelles d'assurances savent que cette assiette est très difficilement localisable.

De plus, on peut très facilement la délocaliser. Il suffit, mes chers collègues, d'assurer sa maison au Luxembourg, en Belgique ou en Allemagne, ce que vous pouvez faire à tout moment. Il n'y aura donc plus d'assiette !

M. René Dosière. Eh non !

M. Henri Emmanuelli. Vous êtes un casseur d'assiettes, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Je vous mets donc en garde.

M. le président. Monsieur de Courson, il est temps de conclure !

M. Charles de Courson. Enfin, M. le ministre affirme qu'il existe une différence importante entre des dotations de l'Etat et une part d'un impôt national, mais M. Dosière conteste ce point de vue. Où est la vérité ?

On ne peut pas savoir a priori si la part d'un impôt national est plus ou moins intéressante qu'une dotation ; pour le savoir il faut comparer le dispositif d'indexation de la dotation et l'évolution de l'assiette de l'impôt d'Etat dont une partie est reversée aux collectivités territoriales.

M. le président. Monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. Pour se conformer au schéma du Gouvernement, prenons l'exemple de l'assiette de la TIPP, qui chute en volume. En principe, elle est moins avantageuse qu'une dotation indexée mais, si une partie de l'impôt sur le revenu est reversée, en l'absence de modification du barème, elle devient plus avantageuse.

On voit donc bien que cela dépend des cas ; il n'y a aucune garantie. Au demeurant, le problème, c'est que nous ne demandons pas au Gouvernement des garanties, mais l'autonomie financière.

Quelle est la position du groupe UDF sur la motion de renvoi en commission ? (Murmures et rires.)

M. le président. Ah ! Tout de même !

M. Charles de Courson. Nous attendons toujours, monsieur le ministre, votre avis définitif sur l'amendement de l'UDF qui conditionnera notre vote final et, dans l'attente de votre réponse, nous ne participerons pas au vote sur la motion de renvoi en commission.

M. Jean-Pierre Brard. C'est courageux !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne. Et laissez-le s'exprimer, monsieur Brard !

M. André Chassaigne. De toute façon, mon intervention résulte d'une étroite concertation avec mon collègue Jean-Pierre Brard. Notre position est donc collective et unanime ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour le non-spécialiste que je suis, la question, en définitive, est assez simple : ce texte apporte-t-il des réponses claires en ce qui concerne l'autonomie financière des collectivités territoriales ?

M. Didier Migaud. Non !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Si !

M. André Chassaigne. Crée-t-il un dispositif suffisamment organisé...

M. Didier Migaud. Non !

M. André Chassaigne. ...et permettra-t-il, demain, d'apporter des réponses nettes...

M. Jean-Marc Nudant. Oui !

M. André Chassaigne. ...aux questions fondamentales posées tant par le ministre que par les rapporteurs et les différents intervenants ?

Première question : ce texte réglera-t-il le problème de l'autonomie financière des collectivités territoriales ? Peut-on garantir qu'elle sera respectée ?

M. Jean-Pierre Gorges. Bien sûr !

M. Henri Emmanuelli. Bien sûr que non !

M. André Chassaigne. Deuxième question : oui ou non, les décisions prises porteront-elles atteinte à la libre administration des collectivités territoriales ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste - « Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. Troisième question : y a-t-il une réponse claire et nette, ou, tout au moins, une possibilité de répondre demain, de façon précise, avec des garanties, au problème la péréquation ?

M. Jean-Marc Nudant. Oui !

M. René Dosière. Non !

M. André Chassaigne. Notre collègue René Dosière a posé plusieurs questions qui restent sans réponses et exigent, à nos yeux, le renvoi en commission ; j'en citerai quelques-unes.

Il a notamment insisté sur la nécessité d'inscrire des recettes fiscales pour maintenir la démocratie locale, eu égard à l'importance du lien fiscal entre les collectivités locales et les contribuables locaux. Il a ouvert la réflexion en soulignant que, pour autant, il ne fallait pas prendre une position intégriste. Pour ma part, j'ai particulièrement apprécié son observation sur le fait qu'une subvention évolutive pouvait apporter beaucoup de ressources aux communes, en particulier aux plus petites d'entre elles, quand l'assiette fiscale était très faible. Je crois vraiment qu'une discussion de fond doit être conduite sur ce sujet en commission.

La prise en charge par l'Etat des impôts locaux reste également en suspens. Le règlement de 21 milliards d'euros de fiscalité locale par le contribuable national pose un problème auquel il faut apporter des réponses. Vous prétendez que ce texte va dans le sens de l'autonomie financière, mais chacun sait que l'Etat tient cette autonomie entre ses mains, par le biais, en particulier, des compensations.

Surtout, il a souligné que l'impôt partagé est non pas un impôt local mais tout bonnement un transfert financier. Il faut aussi entreprendre une réflexion de fond pour savoir ce que l'on entend par cette expression et pour déterminer si l'impôt partagé va dans le sens de l'autonomie financière.

Démonstration a donc été faite que la solution proposée dans le projet de loi conduit à une impasse et qu'il faut réfléchir ensemble à une autre formule, plus respectueuse des collectivités locales. Le renvoi en commission s'impose ; nous le voterons.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 64

              Nombre de suffrages exprimés 64

              Majorité absolue 33

        Pour l'adoption 16

        Contre 48

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Rappels au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1.

Je veux formuler deux remarques.

La première porte sur la suite de nos travaux. Il est dix-neuf heures quinze ; nous devons débattre de quatre articles importants et 150 amendements environ ont été déposés. Nous voulons être constructifs et nous ne souhaitons pas retarder les travaux. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois . Nous nous en sommes aperçu !

M. Jean-Marc Nudant. Il fallait le montrer avant !

Mme Claude Greff. Il n'aurait pas fallu que M. Dosière parle aussi longtemps !

M. Augustin Bonrepaux. Nous n'avons encore demandé aucune suspension de séance ! Hier après-midi, j'ai même dit que je comprenais fort bien que le groupe majoritaire en demande une !

Il n'en demeure pas moins, monsieur le ministre, que, si nous constatons, à une heure du matin, que nous sommes dans l'incapacité de terminer dans un délai raisonnable, c'est-à-dire autour de deux heures, je vous demanderai de renvoyer le débat à lundi soir prochain. Nous ferons alors en sorte que la discussion avance ; nous nous y engageons. Nous sommes même prêts, si nécessaire, à aller jusqu'à deux heures et demi. Telle est notre position et je souhaiterais que vous l'acceptiez.

Vous voyez que nous sommes animés par un esprit très constructif, mais il est vrai que ce texte, notamment son article 2, pose problème, et qu'il va donner lieu à des discussions importantes, à un moment ou à un autre.

Par ailleurs, monsieur le ministre, il me paraît impossible d'aborder ce débat sans obtenir des éclaircissements à propos des fameuses conventions d'assurances.

Nous espérons aussi que vous répondrez aux propositions très constructives du rapporteur de la commission des lois. Si vous acceptiez une ouverture - c'est possible, car il existe des solutions et nous devons en discuter -, l'ensemble de cette phase de décentralisation se présenterait sous un autre jour.

Il faudrait que nous sachions exactement quelles ressources seront affectées, si elles seront fiables et évolutives.

Il existe des solutions, monsieur le ministre. Le rapporteur de la commission des lois a émis des propositions sur lesquelles je suis prêt à travailler. Peut-être pourrez-vous, après l'interruption de séance, nous fournir des informations sur ce sujet afin que nous puissions poursuivre la discussion dans un esprit plus serein. Bien entendu, je serais ravi que vous soyez en mesure de le faire tout de suite !

Nous sommes très constructifs : nous voulons travailler pour clarifier ce texte et faire en sorte que l'autonomie des collectivités locales soit réellement préservée.

M. le président. En ce qui me concerne, monsieur Bonrepaux, et c'est mon rôle, j'ai engagé la réflexion sur la suite de nos travaux et une concertation est en cours avec le Gouvernement. Nous tenons compte des remarques qui ont été présentées.

Pour ce qui concerne la présente séance, je vais appeler l'article 1er (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

Cela entre dans les demandes de M. Bonrepaux !

M. Augustin Bonrepaux. Je n'ai rien demandé pour cette séance !

M. le président. Je lèverai la séance après l'amendement n° 145, et avant d'aborder les amendements suivants qui sont groupés.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. J'ai écouté avec attention la proposition de M. Bonrepaux et je veux expliquer ma position quant au déroulement de ce débat.

La discussion générale est maintenant achevée. Sans doute a-t-elle été un peu longue, mais cela aura permis de dire beaucoup de choses. Le débat a pu être très large et porter sur de nombreux sujets, même un peu éloignés de la seule loi organique. Je crois que cela a été utile.

Après avoir étudié la ligne générale des amendements, issus de tous les bancs, j'ai constaté que leur examen nous permettrait d'aborder des points essentiels sur lesquels je me devrai, au nom du Gouvernement, de donner à l'Assemblée nationale toutes les réponses dont je dispose.

Il va de soi que, pour la bonne organisation de nos travaux - et c'est l'avis d'un bon nombre d'entre nous - nous devrions essayer de terminer ce soir, à condition que ce ne soit pas trop tard. S'il apparaissait que cela n'est pas possible, nous prévoirions des séances lundi.

J'appelle néanmoins l'attention sur le fait que si nous sommes tous là aujourd'hui, nous sommes nombreux à avoir des obligations lundi, en particulier les parlementaires, dans leurs circonscriptions. Terminer ce soir présenterait l'avantage que l'ensemble cohérent que nous formons irait jusqu'au bout de son travail. Toutefois je comprendrais que nous devions revenir lundi si nous manquions de temps.

Monsieur Bonrepaux, je vous sais très demandeur, comme d'autres, en particulier M. Geoffroy, de quelques ouvertures. Pour ma part, je suis disposé à avancer mais ne me demandez pas de trancher les questions que vous avez évoquées dès ce soir. Ce texte va faire l'objet de deux lectures dans chaque assemblée, ce qui nous donne de la marge. Or j'ai besoin de certaines expertises pour évaluer les propositions présentées. Il n'est donc pas certain que tout puisse être réglé ce soir, ni même lundi. En revanche, dans le cadre des deux lectures prévues pour la loi organique - et c'est bien pourquoi le Gouvernement n'a pas demandé l'urgence - nous pourrons avancer.

Par conséquent, comprenez bien mon message : je suis ouvert au dialogue et je n'ai aucun a priori, de quelque nature que ce soit, idéologique ou autre. Nous sommes tous pragmatiques et, avec nos expériences d'élus locaux et, pour vous députés, d'élus de la nation, pour moi, de membre du Gouvernement, nous nous attacherons à trouver la meilleure solution, dans l'intérêt général, pour cette décentralisation, chantier très important sur lequel personne n'a de certitudes. On l'a bien vu à travers nos propos : nous réfléchissons, nous nous interrogeons et nous posons des questions. Personnellement, j'essaie de faire avancer ce chantier, ne serait-ce que par respect pour tout le travail déjà accompli.

Les explications sur les articles et les amendements vous permettront de constater que nous pouvons progresser sur certains points et je vous donnerai toutes les données chiffrées dont je dispose.

Dans cet esprit constructif, nous pouvons avancer ensemble au service de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Compte tenu de l'heure, il serait préférable de ne commencer l'examen des articles que ce soir, quitte à ouvrir la séance plus tôt. Des éléments nouveaux ont été versés au débat et nous aimerions nous réunir pour envisager, nous aussi, la suite de nos travaux. Ne serait-il pas plus simple de lever la présente séance dès maintenant ?

M. le président. Le plus simple, monsieur Dosière, est de respecter l'organisation des débats. La séance de l'après-midi peut se poursuivre jusqu'à vingt heures. J'ai indiqué que j'appellerai les inscrits sur l'article, puis un seul amendement ; c'est d'ailleurs, vous, qui le défendrez, mon cher collègue. Après quoi, je lèverai avant d'examiner une série d'amendements identiques.

Discussion des articles

M. le président. J'appelle donc maintenant les articles du projet de loi organique dans le texte du Gouvernement.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Christophe Payet, premier inscrit sur l'article.

M. Christophe Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rédaction de l'article 1er, tel que nous le propose le Gouvernement, confirme la crainte que nous exprimions lors du vote de la réforme constitutionnelle, que ce texte ne compromette le développement encore fragile des départements d'outre-mer.

Chacun sait, et cela est particulièrement vrai pour La Réunion, que la dépendance des départements d'outre-mer vis-à-vis des dotations de l'Etat est bien plus grande que celle des départements métropolitains.

En effet, le potentiel fiscal de nos collectivités est particulièrement faible par rapport à celui des collectivités métropolitaines. Les écarts sont considérables. A cet égard, je ne prendrai que l'exemple d'une commune de 10 000 à 20 000 habitants.

Dans une telle commune, à La Réunion, la part de la fiscalité locale dans les recettes réelles de fonctionnement est trois fois inférieure en moyenne à ce qu'elle est en métropole. Cela tient à notre niveau de développement ainsi qu'au produit intérieur brut par tête d'habitant qui, dans l'île, est deux fois moins élevé qu'en métropole.

Inclure les départements d'outre-mer dans la même catégorie juridique que les collectivités métropolitaines aura donc un effet très pénalisant pour nos collectivités ultramarines. Cela est incontestable et la commission, saisie de l'amendement déposé par notre collègue René Dosière et les membres du groupe socialiste tendant à distinguer les collectivités d'outre-mer, le reconnaît implicitement. Je cite le rapport à ce propos : « S'agissant des départements d'outre-mer, dont la dépendance vis-à-vis des dotations de l'Etat est plus grande que celle des départements métropolitains, l'intégration des DOM dans le ratio général des départements a inévitablement pour conséquence de faire baisser le seuil de l'autonomie financière. »

En outre, alors que toutes les régions d'outre-mer militent auprès des instances européennes pour une consolidation de leur statut de région ultrapériphérique d'Europe, l'absence de prise en compte de nos contraintes particulières et de nos spécificités par le Gouvernement et le Parlement national serait un très mauvais signal envoyé à l'Union européenne.

Enfin, je tiens à souligner que les règles retenues pour la compensation des charges nouvelles découlant des transferts de compétence sont également pénalisantes pour l'outre-mer. En effet, ni les retards structurels de nos régions ni leur dynamique démographique ne sont pris en compte. En retenant, pour la compensation, comme seul critère le niveau des dépenses antérieurement constatées, la réforme y aggravera, année après année, les retards en équipements et en personnels dans tous les domaines.

A défaut de mécanisme de rattrapage ou de réelles péréquations financières, la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle se traduirait pour l'outre-mer par une aggravation des retards structurels et un recul de la solidarité nationale.

C'est pourquoi j'invite la commission à revoir sa position sur ce point et l'Assemblée à voter l'amendement de René Dosière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Monsieur le président, vous vous êtes bien engagé à lever la séance après le vote sur le premier amendement ?

M. le président. En effet !

M. Augustin Bonrepaux. Dans ces conditions je renonce à mon temps de parole pour aller un peu plus vite et je m'exprimerai sur ce sujet au cours de la soirée.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Je ferai de même, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je serai bref puisque l'article 1er n'a guère soulevé qu'un problème en commission, à propos duquel je souhaite que le Gouvernement confirme notre interprétation.

Le texte prévoit trois catégories de collectivités territoriales. Le problème porte sur les syndicats mixtes qui regroupent des départements, voire des régions, et des communes. La thèse retenue en commission est que l'on sortirait ces syndicats mixtes, que l'on ne sait pas où ranger, du calcul. Qu'en est-il, monsieur le ministre ?

M. le président. Souhaitez-vous intervenir, monsieur le ministre ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Je répondrai tout à l'heure sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Charles de Courson, a soulevé, en commission des finances, un réel problème mais je lui ai répondu que, ces structures étant en nombre extrêmement réduit, la sagesse voudrait qu'on ne les prenne pas en compte. Cela ne modifiera pas, même à la marge, les ratios des différentes catégories.

M. le président. J'en viens à l'amendement n° 145.

La parole est à M. René Dosière, pour le soutenir.

M. René Dosière. Le projet ne prévoit qu'une catégorie pour les communes. Or regrouper sous un seul ratio les quelque 36 000 communes dont on connaît la diversité des dépenses et des recettes me semble une erreur. En l'occurrence, on pourrait dire : « ratio unique, ratio inique. »

S'agissant des communes, il faudrait au moins distinguer celles qui ont plus de 10 000 habitants de celles qui en ont moins. Le ministère de l'intérieur utilise d'ailleurs couramment cette distinction, par exemple dans le livre de ratios qu'il publie chaque année, contrairement au ministère des finances.

Le texte gagnerait en lisibilité si l'on distinguait les communes selon leur taille.

Cela ne compliquerait pas beaucoup le système et si la création de deux indices seulement, car on ne saurait multiplier leur nombre à l'infini, n'est pas tout à fait satisfaisante, cela semble être une distinction minimale.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je vais d'abord profiter de cet amendement pour formuler une remarque liminaire qui vaudra pour de nombreux autres.

Nous sommes ici dans un exercice visant à mettre en œuvre les dispositions de l'article 72-2 de la Constitution qui, en matière de collectivités, traite de catégories de collectivités et non de sous-catégories.

Notre collègue M. Dosière propose de créer à l'intérieur de la catégorie des communes une sous-catégorie avec un seuil fixé à 10 000 habitants. Or ce seuil ne correspond à aucune catégorie reconnue de collectivités locales. De surcroît, bien qu'ayant peut-être une certaine pertinence, il est malheureusement arbitraire, comme tout seuil.

M. René Dosière. Il est l'une des bases de travail du ministère de l'intérieur pour l'établissement de ses statistiques.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l'intérieur. Cet amendement, monsieur Dosière, dénature l'esprit dans lequel nous avons travaillé pour construire ce projet de loi organique.

Comme l'a rappelé M. le rapporteur, l'idée est de simplifier, et identifier trois catégories de collectivités seulement participe de cette logique.

Nous devons aussi tenir compte, dans les blocs que nous avons retenus, de la disparité. En effet si nous entrons dans votre logique, qui consiste à distinguer les communes de moins de 10 000 habitants et celles de plus de 10 000 - on pourrait d'ailleurs choisir d'autres critères -, nous allons à nouveau créer des oppositions entre collectivités.

En effet, comment, sur notre territoire, classer dans une même catégorie les communes de moins de 10 000 habitants, dont certaines sont rurales et parfois défavorisées alors que d'autres sont urbaines avec leur part de difficultés, mais aussi de richesses ? Les risques d'un tel dispositif sont évidents. C'est pourquoi j'émets une première réserve de fond sur votre proposition, monsieur Dosière, qui est contraire aux logiques de solidarité et de péréquation.

Ensuite, et ce sera ma deuxième réserve, la Constitution ne distingue pas de catégories particulières au sein des communes. Si nous devions opérer des distinctions, nous créerions un système de critères discriminants qui outrepasserait la feuille de route que nous fixe la Constitution.

Enfin, je rejoindrai M. Geoffroy en émettant une dernière réserve sur la pertinence d'un seuil fixé à 10 000 habitants. En effet, pourquoi pas 15 000 ou 20 000 ? Dans ce domaine, les seuils posent toujours problème et induisent des effets pervers qui sont loin de simplifier les choses.

J'ajoute que l'intégration de la notion d'intercommunalité permet déjà de tenir compte d'une forme de seuil.

C'est pourquoi, sans nier son intérêt et sa pertinence, j'invite votre assemblée à rejeter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le ministre, à votre interrogation sur le choix du seuil, je réponds par une autre question : pourquoi votre ministère publie-t-il toujours des statistiques utilisant le seuil de 10 000 habitants ?

Or, s'agissant de ratios, il y aura un gros travail statistique. Il m'a donc semblé plus simple de ne pas créer de seuil supplémentaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l'intérieur. Bien sûr, tout peut se justifier. Cependant, monsieur Dosière, il faut bien mettre à part ce qui relève des informations statistiques publiées par mes services. Leur établissement exige, en effet, pour des raisons de clarté, d'expliquer - cela peut d'ailleurs intéresser les auteurs d'ouvrages traitant de finances locales ! - les différents seuils : moins de 2 000 habitants, moins de 3 500, moins de 10 000... On peut d'ailleurs inventer toutes sortes de seuils et, dans notre beau pays, on est très doué en la matière !

Cependant, notre objectif n'est pas de parler de présentation statistique, mais de cohérence d'ensemble pour les calculs que nous devrons opérer en matière d'autonomie financière. Voilà pourquoi nous avons fait le choix de la simplicité.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 145.

(L'amendement n'est pas adopté.)

    2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi organique, n° 1155, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales :

Rapport, n° 1541, de M. Guy Geoffroy, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 1546, de M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot