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Troisième séance du mardi 15 juin 2004

257e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

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SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n°s 1613, 1659).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, il y a près de soixante ans, dans un pays qui sortait de la guerre, à l'économie exsangue, engagé dans un exceptionnel effort de redressement sur la base du programme du Conseil national de la Résistance, étaient créés, malgré les embûches, deux établissements publics liés intégrant toutes les sociétés nationalisées, établissements chargés d'assurer la production et le transport de l'énergie sur tout le territoire français et pour l'ensemble de sa population. Les documents officiels étaient paraphés par le ministre communiste Marcel Paul. Sans doute serait-il aujourd'hui plus opportun et plus digne, plus juste socialement et plus efficace économiquement de revendiquer, pour les conforter, l'esprit visionnaire, la modernité et le courage d'un tel acte, plutôt que de s'attacher, comme vous vous y employez, à saboter l'ouvrage. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944 à l'unanimité, selon la règle d'alors, en appelait à une « subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général ». Il préconisait « l'intensification de la production nationale selon les lignes d'un plan arrêté par l'État après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ; ». Il organisait « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurances et des grandes banques ; ». Enfin, pour m'en tenir à l'essentiel, en référence à notre discussion parlementaire, il faisait de « la participation des travailleurs à la direction de l'économie » un des moteurs de cet effort de reconstruction du pays.

Ce rappel détaillé de ce que fut l'un des fondements des décisions de l'après-guerre vise à rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, dans la diversité de leurs sensibilités et des circonstances tragiques auxquelles ils étaient confrontés, surent se projeter dans l'avenir, s'attacher à la réalité des attentes des Français, à la réalité des besoins d'aménagement du territoire national et de reconstruction de l'économie pour répondre aux défis de leur temps. On est loin, très loin des visions réductrices d'aujourd'hui ; loin, très loin de projets et de décisions subordonnant l'intérêt national à l'intérêt privé, l'avenir d'une nation et son identité aux exigences mesquines de la privatisation, de la rentabilité avant tout et de l'immédiateté du profit.

Rappeler ces engagements unanimes de la nation - quelle leçon d'histoire et de gouvernement ! - permet d'établir une échelle des valeurs et de débusquer la médiocrité des appétits qui commandent les choix des majorités d'aujourd'hui.

Au lendemain des désaveux successifs que vous ont signifié nos concitoyens lors des différentes échéances électorales - élections régionales, cantonales ou européennes - il vous devient chaque jour plus difficile d'affirmer et de soutenir la véritable nature de vos projets et de nommer devant l'opinion votre politique pour ce qu'elle est. Tenus cependant par la volonté présidentielle de maintenir le cap et, par conséquent, d'assumer le coût de la soumission nationale aux exigences de l'ultralibéralisme, vous n'imposez aujourd'hui rien moins qu'une loi d'abrogation, car ce que vous voulez n'est effectivement pas autre chose qu'abroger la loi de 1946. Vos projets, qui sont ceux du MEDEF, pour l'ensemble du secteur public, sont très éloignés des mots rassurants avec lesquels vous tenter de tromper et d'amadouer l'opinion. Entendez la voix de nos concitoyens, monsieur le ministre d'État ! Entendez le message clair qu'ils vous adressent ! C'est la seule voie démocratique.

La France bénéficie d'un secteur public fort, efficace et jouissant d'une image éminemment populaire. De nombreuses enquêtes d'opinion ont montré la profondeur de ce sentiment, particulièrement vivace s'agissant d'EDF et de GDF. Les Françaises et les Français défendent le service public. Ils ont définitivement fait de celui-ci le garant de l'égalité de traitement des usagers. Ils savent son rôle dans l'aménagement du territoire et dans la structuration des droits sociaux dans notre pays. EDF et GDF ont la réputation justifiée d'être des entreprises efficaces et opérationnelles, notamment - mais pas seulement - en cas de crises graves telles que la tempête de 1999 ou les récentes inondations.

Le service public n'est pas une idée faible, mais une valeur essentielle, porteuse de développement économique, d'aménagement égal des territoires et de progrès social, tant pour ses divers usagers que pour ses personnels. Les citoyens les plus alertés sur la question de l'énergie vous l'ont fait savoir de vive voix : vous aurez toutes les difficultés du monde à imposer votre entreprise de démolition publique. Le 3 octobre 2003 déjà, les salariés d'EDF et de GDF avaient exprimé leurs inquiétudes. Le Gouvernement avait affirmé dans ce même hémicycle les avoir entendues « 5 sur 5 ». Tel n'est pas leur sentiment. Vous ne semblez pas, et c'est peu dire, sur la même longueur d'ondes !

Le 27 mai dernier, 75 % des personnels se sont mobilisés ; 80 000 d'entre eux ont manifesté à Paris ; 500 000 signatures ont été recueillies pour exiger l'organisation d'un référendum sur le changement de statut des deux entreprises publiques EDF-GDF. De nombreuses actions et manifestations se déroulent aujourd'hui même. Vous devez retirer ce projet de loi qui vise à transformer EDF et GDF en sociétés anonymes, à ouvrir leur capital et, à terme, à privatiser les deux entreprises. Dans un temps de libéralisation et de privatisations à tous crins, suivez le conseil que vous adressait, récemment encore, un militant syndical assez malicieux et, au lieu d'ouvrir le capital d'EDF et de GDF, ouvrez Le Capital de Karl Marx.

M. Jacques Myard. Vous aussi, cher camarade ! Recyclez-vous !

M. Alain Bocquet. Vous y trouverez, à coup sûr, de fortes motivations de renoncer à vos choix destructeurs. Une fois de plus, en effet, vous vous apprêtez à dérouler le tapis rouge au capitalisme mondialisé...

M. François Brottes. C'est vrai !

M. Christian Vanneste. Êtes-vous certain que le tapis est rouge ?

M. Alain Bocquet. ...et à ouvrir grandes les portes au marché. En faisant cela, vous réduirez encore le champ démocratique et laisserez à la finance le pouvoir de décider en lieu et place des citoyennes et des citoyens de notre pays. Vous aggraverez les inégalités et détruirez le service public.

Permettez-moi, une fois de plus, de vous rappeler ce principe inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 et dont se réclame notre Constitution actuelle : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » L'énergie permet de répondre à des besoins vitaux et contribue au développement économique. Elle est essentielle pour la vie quotidienne : se chauffer, s'éclairer, se soigner, mais aussi se détendre, se cultiver et créer. La livrer aux boursicoteurs, en faisant reposer la libéralisation sur le dogme hypocrite et mensonger du marché bienfaiteur, constitue une atteinte délibérée aux intérêts de la population.

Vous voulez aujourd'hui franchir une étape supplémentaire en séparant les activités de production et de distribution et en privatisant - car il faut bien appeler un chat un chat ! - EDF et GDF. En commençant par vendre une part minoritaire du capital, vous entendez faire entrer plus commodément le loup dans la bergerie.

Cette logique ouvre en grand les portes à la loi du profit dans les domaines qui en étaient encore protégés. Elle s'inscrit dans le cadre d'une offensive brutale contre l'édifice social de notre République. De la même façon que vous entendez faire un sort au système de protection sociale, à La Poste, à la SNCF, à l'hôpital public, vous vous en prenez au service public et à l'idée même du bien commun.

Vous paraît-il si invraisemblable que les Françaises et les Français, les salariés et les habitants de ce pays, puissent avoir des biens en partage, gérés de façon démocratique pour la satisfaction de tous ? Vous préférez qu'une minorité de privilégiés, de financiers et d'affairistes s'enrichisse et décide de ce qui est bon pour tous. Vous préférez laisser les manettes au marché et tourner ainsi le dos à la réalité des attentes et des besoins, tant ceux de nos concitoyens que ceux de notre économie.

Or nous avons besoin d'un grand secteur public pour répondre aux défis économiques et sociaux de notre temps, d'un secteur public renouvelé, citoyen, étendu. Nous avons besoin de ces salariés du public qui sont au service de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Il y a dans ce monde des ressources, des énergies, des activités indispensables au bien-être des hommes et des femmes et au développement harmonieux et durable. Elles relèvent de l'intérêt général et ne sauraient être abandonnées ni à la concurrence ni à des gestions guidées par la seule course au profit, échappant à la souveraineté nationale et se dérobant à l'objectif de satisfaire les besoins humains.

Enfin, la sécurité des installations met en jeu de lourdes responsabilités. Il appartient à l'État d'assumer ces responsabilités qui engagent pour partie l'avenir de l'humanité. Si nous appliquions le seul principe de précaution, il n'y aurait même pas lieu de discuter de votre texte, tant il s'exonère des simples mesures de sécurité qui doivent entourer de tels enjeux.

S'ajoutent à ceux-ci les enjeux écologiques et environnementaux qui relèvent de choix politiques et ne peuvent être laissés aux mains des seuls décideurs économiques. Le marché énergétique mondial est un marché à part. Les ressources ne sont pas inépuisables. Nous avons le devoir, pour les générations futures, de ne pas les gaspiller. Comme pour l'eau, nous ne pouvons imaginer que ces biens communs à tous les habitants de la planète soient soumis aux aléas boursiers.

La France a également des obligations en matière de développement durable et de protection de l'environnement. L'action d'EDF et GDF à l'étranger mérite d'être réfléchie dans le cadre d'une politique de coopération et de co-développement. Nous savons bien qu'on peut faire la guerre pour le pétrole : des peuples, des femmes, des enfants en paient inutilement, chaque jour, le prix du sang.

Il est temps de travailler à une société où ces biens communs de l'humanité seraient gérés de façon coordonnée, économe et juste. Il est temps de penser à une régulation internationale de la production et de la distribution d'énergie, dans le souci de traiter de manière égale ceux qui produisent et ceux qui consomment.

Certains habitants de la planète n'ont pas accès à l'électricité et au gaz alors qu'ils ont des gisements dans leur sous-sol. Allons-nous vers une planète solidaire, ou vers un monde où tout se monnaye ? Et quel rôle la France pourra-t-elle assumer lorsque, en imposant les orientations que vous défendez et les menaces dont elles sont porteuses, vous vous refusez à peser sur un cours des choses qui ne dérange pas les intérêts fondamentaux que vous servez ?

C'est aussi pourquoi nous ne pouvons que nous opposer à ce projet de loi qui porte atteinte au principe de souveraineté nationale et aux principes mêmes de notre Constitution.

Les expériences britannique et californienne l'ont illustré à l'envi : l'approche libérale, fondée sur la logique marchande et sur la recherche de la rentabilité pour des actionnaires privés, met gravement en cause les missions de service public. Vous reconnaissez vous-même que ce sont des pôles contraires, mais les dispositions que vous prenez sont bien faibles : vous faites évidemment pencher la balance du côté des intérêts financiers.

S'agissant d'un domaine aussi vital que celui de l'énergie, ce simple rappel pourrait suffire à fonder notre opposition à ce texte. Pourtant, il me semble également utile d'insister sur d'autres dimensions de la question, qui ont trait aux conséquences d'une telle évolution sur les intérêts du pays.

La concurrence, nous dit-on, engendrerait une baisse des prix favorable au consommateur. C'est faux ! Les « clients éligibles » que sont pour le moment les seuls industriels ont fait une expérience qui fait voler en éclats de semblables affirmations. La concurrence a conduit à une augmentation des prix. Un seul exemple : celui de la SNCF, dont la facture électrique doit s'alourdir de plus de 35 %. La raison en est simple : dans le système antérieur les tarifs étaient fixés sur la base des prix de revient modulés par une péréquation. Dans le nouveau système, la base est le prix du marché. La France bénéficiant depuis des décennies de prix de revient parmi les plus bas, grâce aux investissements publics des années 70 et 80 dans le programme nucléaire, nous allons connaître une hausse des prix de l'énergie générée par une logique de concurrence. Où se situe, dès lors, l'avancée dont vous prétendez que votre projet est porteur ?

Dans le même ordre d'idées, ce renchérissement énergétique va évidemment peser sur l'ensemble de l'économie. Quel paradoxe ! Alors que les investissements que j'ai mentionnés peuvent constituer un atout pour le développement du pays, ils vont être dilapidés pour l'intérêt de quelques grands groupes multinationaux.

C'est également l'avenir qui est en cause. Dans le système concurrentiel que vous voulez instaurer, qui sera porteur de la vision et des financements de long terme qu'impliquent les équipements lourds liés à une politique énergétique répondant aux besoins de développement ?

L'expérience a maintes fois démontré l'incapacité des oligopoles privés, qui prendraient la place du monopole public, à jouer un tel rôle. Du canal de Panama au tunnel sous la Manche, en passant, une fois de plus, par l'électricité californienne,...

M. Jean-Marc Lefranc. Et par l'emprunt russe ?

M. Alain Bocquet. ...les constats sont nombreux de déconfiture du privé pour gérer des investissements dont la rentabilité, de nature essentiellement sociale, ne peut être atteinte que sur trente, quarante, voire cinquante ans.

Alors que nous nous lançons, à juste titre, dans la construction de l'EPR et qu'il est essentiel de soutenir l'effort de recherche-développement sur les énergies du futur dans une optique de complémentarité énergétique et de respect du devenir de la planète, il est dangereux de se livrer pieds et poings liés aux instruments de pilotage « court-termistes » que sont la concurrence et la recherche de la rentabilité maximale.

J'ajoute que nous ne voulons pas voir, comme cela est sous-entendu dans le projet de loi, EDF et GDF devenir les prédateurs, fussent-ils français, que sont d'autres entreprises coulées dans le moule capitaliste. L'aventurisme boursier et l'endettement forcené sur les marchés financiers ne correspondent à l'intérêt ni d'EDF, ni de GDF, ni de la nation. Il serait au contraire le chemin de leur repli, de leur fragilisation et, demain, de leur destruction.

Qui plus est, vous ouvrez la porte à une mise en concurrence d'EDF et de GDF, alors qu'une fusion de ces deux entreprises renforcerait le pôle public et mutualiserait les moyens et les énergies. Parce qu'elle remet en cause un principe de notre Constitution, nous vous demandons de revenir sur la directive de 1998 et d'avoir le courage de renégocier avec nos partenaires européens.

Il y a bien mieux à faire que votre projet. Par exemple, en gardant le système de propriété publique d'EDF-GDF, la France pourrait être à l'initiative, à l'échelle européenne, d'une organisation de la coopération des opérateurs énergétiques au service de l'intérêt des populations et du développement. Fondé sur la maîtrise de leur avenir par les sociétés et par les citoyens, un tel projet répondrait aux ambitions dont il faut faire preuve pour construire un « futur souhaitable ».

Dans ce marché ouvert, dont nous contestons le principe même pour les ravages dont il est porteur, vous voulez tout simplement obliger EDF et GDF à adopter les normes sociales et économiques de ses hypothétiques concurrents. L'objectif de cette politique est d'ouvrir plus largement encore le champ où règne la loi du profit à tout prix, au mépris des salariés, qui subissent de plein fouet les conséquences de la course à la rentabilité, au mépris des usagers, qui n'ont rien à gagner à devenir clients, et au mépris des projets industriels eux-mêmes, qui sont peu à peu réduits à servir de prétextes.

La privatisation ne peut entraîner, quelles que soient vos promesses ou vos dénégations, que des régressions sociales pour les salariés de ces entreprises, et conduire tôt ou tard à la remise en cause de statuts qui, loin de constituer des privilèges, devraient être une norme applicable à l'enrichissement du droit du travail.

Vous avez annoncé le report dans le temps de l'ouverture du capital. À l'évidence - et votre choix de maintenir la mise en débat de ce projet de loi l'atteste -, il ne s'agit de rien d'autre que de différer la casse sociale, et cela n'abuse personne. L'exigence de maintenir l'entreprise à 100 % publique est inscrite au cœur des mouvements et des actions en cours, que je salue. Cette exigence contraste violemment avec vos reculades et vos manœuvres de dernière minute, qui ne voilent rien de vos objectifs constants.

Il n'y a pas à sortir de ce constat, dont vous ne parviendrez pas à nous faire croire ou à faire croire aux Français qu'il est sans fondement : la transformation du statut d'Électricité et de Gaz de France enclenche, que vous le vouliez ou non, le processus d'ouverture du capital et de privatisation, donc celui de la mise à mort programmée de ce niveau et de cet état de service public dont nous avons le plus incontournable besoin.

Il n'y a aucune raison valable, y compris économique, pour détruire le service public de l'énergie, pas plus d'ailleurs que tout autre. Les vertus de la concurrence n'ont rien d'une évidence, si l'on en juge par la guerre économique et les inflations de toutes sortes dans le secteur des télécommunications : entre les promesses qui émaillent la course au marché boursier et la réalité du service rendu par la suite, quel écart, quel gâchis économique et quelle casse sociale !

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !

M. Alain Bocquet. La concurrence, mot magique, semble vous suffire pour justifier une politique qui démantèle les structures sociales et réduit la capacité de notre peuple à décider de son avenir et à orienter lui-même la gestion de nos ressources. Les dirigeants de notre pays n'ont pas à être fiers d'avoir signé en 2002, au sommet de Barcelone, la deuxième directive européenne, applicable aux clients professionnels le 1er juillet 2004 et aux particuliers le 1er janvier 2007.

M. François-Michel Gonnot. Ça, c'est pour le PS !

M. Alain Bocquet. La mise en concurrence et la privatisation de services essentiels à la vie des ménages, aboutissent à l'accroissement des inégalités. À cela vous répondez, la main sur le cœur, qu'il restera toujours un tarif préférentiel pour les plus démunis. Votre modèle est celui des États-Unis, où le service minimum existe pour les plus pauvres : la collectivité nationale se dédouane ainsi de son rôle de défenseur de l'égalité des citoyennes et des citoyens. Piètre horizon, et qui témoigne que la guerre aux pauvres dénoncée voici deux ans par le tissu associatif demeure plus que jamais d'actualité pour le pouvoir dans ce pays.

La revue économique de l'OCDE reconnaît les incidences de la privatisation : hausse des prix à court terme, discrimination au détriment des ménages.

En outre, ces augmentations ne servent pas à améliorer le service au public. Au contraire, elles vont grossir les profits de ceux qui détiennent des parts de l'entreprise et qui influent peu à peu sur ses choix. A terme, c'est un service de moins bonne qualité pour le public et des investissements ciblés, au bénéfice exclusif des gros clients. En effet, l'émulation, fer de lance du credo libéral, tire toujours vers le bas toutes les normes sociales, écologiques, sanitaires et industrielles.

La liberté que vous nous proposez se paie cher. Elle a même un prix exorbitant, et n'a de liberté que le nom. Elle porte atteinte à la démocratie, car elle n'est la liberté que de quelques uns. En réalité, votre démarche conduit à renforcer une société à plusieurs vitesses.

La Bourse n'a que faire de la solidarité, de l'égalité, du service public et du développement durable. Elle ne vise que le rendement à court terme, alors que les services publics, surtout celui dont nous parlons aujourd'hui, ont besoin de garanties sur le long terme. Garanties et pérennisation des financements lui permettent de maintenir les investissements en assurant l'égalité de traitement des usagers sur tout le territoire, à un haut niveau et avec du personnel qualifié. Vous choisissez délibérément d'affaiblir la maîtrise de tous ces paramètres. Ne vous étonnez donc pas que nos concitoyens aient durement sanctionné de telles dérives, de tels dangers, de tels choix.

Votre projet de privatisation pose aussi la question de l'égalité entre les territoires, mais votre logique est peu soucieuse de solidarité nationale, d'égal accès à des services élémentaires. En cassant l'outil de solidarité et d'égalité que constituent les deux entreprises publiques, le Gouvernement choisit d'accentuer les inégalités et la fracture sociale. En effet, ce projet va pénaliser l'emploi et le développement industriel et économique de notre pays en rendant l'accès à l'énergie plus difficile et plus cher pour les usagers.

Votre politique est savamment pesée. Elle s'articule autour d'un projet idéologiquement réfléchi et vise l'ensemble des entreprises publiques. Ce texte ne constitue qu'une étape.

Soyez convaincus de l'opposition résolue des parlementaires de notre groupe à ces projets, car l'avenir va plutôt vers des droits nouveaux pour les salariés autant que pour les usagers.

Soyez également convaincus de l'opposition, sur l'ensemble du territoire national, des élus locaux communistes et républicains. Au côté des personnels et usagers d'EDF et de GDF, ils entendent assumer pleinement la responsabilité qui est la leur, puisque les réseaux locaux de distribution d'énergie sont la propriété des collectivités territoriales. A leur initiative, de nombreux conseils municipaux, de nombreuses assemblées départementales et régionales débattent de ces enjeux, prennent position et s'engagent en faveur d'orientations préservant l'outil public EDF - GDF et rejetant résolument vos choix.

Votre principal argument est qu'EDF et GDF étaient adaptées à l'environnement économique d'une époque, mais que cette époque est révolue. En fait, plus que jamais, le service public de l'énergie a sa raison d'être, et votre privatisation fera prévaloir des logiques marchandes là où il n'en est absolument pas besoin.

Le dogmatisme libéral, en cours à Bruxelles comme à Matignon, aveugle votre gouvernement. Cette Europe-là, que redoutent et désavouent ses peuples, nous entraîne dans la régression sociale.

Les populations ont besoin d'une Europe qui sache s'inspirer du meilleur de la législation sociale de chaque pays, d'une Europe qui ait pour modèle le mieux-être et le mieux-vivre de ses salariés. C'est un tout autre projet que le vôtre, lequel se résume à rogner sur les acquis et à ne retenir, en tout domaine, que les plus petits dénominateurs communs sociaux.

II faut renverser ces logiques, faire droit aux hommes et aux femmes, à leurs attentes, à leurs aspirations que les textes européens aujourd'hui bafouent. Plutôt que d'en faire des exceptions qui se réduisent comme peau de chagrin, les services publics doivent être reconnus et développés au plan européen.

Il y a des combats qui valent la peine d'être livrés. Qui aurait parié, il y a quelques années, que la France ferait de l'exception culturelle une règle commune au plan européen ? Nous devons faire la même chose pour les services publics. C'est essentiel, tout particulièrement pour l'énergie.

Le texte que vous nous demandez d'examiner et d'adopter fait de vous les dépositaires d'une vision à courte vue, dépourvue de perspective et d'audace. La mondialisation capitaliste a déjà bien trop de poids dans les affaires du monde. Elle n'a les mains que trop libres pour s'opposer aux aspirations des citoyens, qui veulent avoir leur mot à dire sur le développement de notre planète.

Laisser faire : telle est l'orientation que vous proposez d'encourager et de mettre en oeuvre. Elle ne satisfait personne. C'est une autre mondialisation qu'il faut inventer, dans laquelle les services publics auraient une place importante à prendre. Les biens communs de l'humanité ne doivent pas être exploités par quelques-uns ; il faut qu'ils bénéficient à tous,

Nous avons trop conscience de notre responsabilité à l'égard de la politique énergétique de notre pays et envers les salariés et les usagers de ces entreprises publiques, pour ne pas condamner la dangerosité de votre projet. Nous nous y opposons, et la gravité du sujet impose cette question préalable.

Nous savons que, même dans vos rangs, les questions sont nombreuses. Nous savons que cette réforme n'est pas majoritairement approuvée dans notre pays et que vous ne pourrez l'imposer que par un passage en force institutionnel. C'est pourquoi nous vous demandons de retirer ce projet funeste, au lieu de tenter de gagner du temps comme vous vous y efforcez, par les derniers ajustements que vous avez rendu publics.

Cette question préalable, au-delà même du projet néfaste qui nous conduit à la poser, met en cause l'ensemble de votre politique, prioritairement en matière de protection sociale.

L'heure n'est pas à défaire le socle des acquis sociaux et des services publics constitutifs de l'identité française (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais à les enrichir et à les conforter, en référence au difficultés que connaissent aujourd'hui la majorité de nos concitoyens.

L'heure n'est pas à la régression, mais au progrès pour tous. La France de ce début du XXIe siècle a les moyens de ce développement exemplaire en Europe et de cet élan.

Au nom des citoyennes et des citoyens de ce pays qui ont tous également droit à l'énergie, au nom des électriciens et gaziers qui défendent le service public et leur entreprise, au nom d'un essor égal et équilibré des territoires, au nom de la justice sociale, de la démocratie et du progrès, les député-e-s communistes et républicains défendent et voteront cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Le Gouvernement et la commission ne souhaitent pas s'exprimer.

Dans les explications de vote, la parole est à M. François-Michel Gonnot, pour le groupe UMP.

M. François-Michel Gonnot. Nous venons d'entendre le grand discours classique du parti communiste.

M. Bocquet est contre le marché, contre la concurrence, contre l'ouverture, contre l'Europe, contre l'évolution des entreprises, contre la séparation des activités, ...

M. Jacques Desallangre. C'est caricatural !

M. François-Michel Gonnot. ...contre le changement des statuts, contre la modernisation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le monde bouge partout, sauf, visiblement au sein du parti communiste ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Sandrier. Il n'a rien compris !

M. François-Michel Gonnot. M. Bocquet nous a proposé de retirer le projet de loi. C'est la solution dont personne ne veut dans le pays, même au sein des organisations syndicales.

M. André Chassaigne. C'est nouveau !

M. François-Michel Gonnot. C'est la solution de l'immobilisme.

On nous a même demandé de relire Karl Marx,...

M. Frédéric Dutoit. Cela vous ferait du bien !

M. François-Michel Gonnot. ...voire d'imiter Staline en créant une sorte de COMECOM de l'électricité, et d'en rester à la loi de 1946.

M. André Chassaigne. N'oubliez pas Trotski !

M. Xavier de Roux. Trotski n'a jamais rien dit sur l'électricité !

M. François-Michel Gonnot. Mais terminons sur un sourire.

En considérant l'histoire, nous pouvons retirer quelques sujets de satisfaction. Ainsi le parti communiste était visiblement beaucoup mieux en 1946 au sein du gouvernement du général de Gaulle...

M. Daniel Paul. Nous, nous sommes fidèles !

M. François-Michel Gonnot. ...qu'il ne l'a été pendant cinq ans au sein du gouvernement de Lionel Jospin.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. François-Michel Gonnot. En effet, il a bien été précisé qu'il ne voulait rien assumer de son bilan !

Nous voterons donc contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. De Gaulle a honte de vous !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Je tiens à saluer la cohérence dans le temps et la cohérence intellectuelle de nos collègues du parti communiste. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Xavier de Roux. Il faut le dire !

M. Jean-Claude Sandrier. Ça fait plaisir ! Votre collègue, lui, n'avait pas tout compris.

M. Jean Dionis du Séjour. Je le dis sans ironie, bien que notre désaccord avec eux soit complet s'agissant de la construction européenne.

Ils mettent en avant les difficultés du secteur privé à gérer des investissements à long terme. Je reconnais que c'est un vrai débat. Certes la maîtrise à 100 % du capital par l'État n'est pas une garantie de bonne gestion ; le Crédit lyonnais et France Télécom l'ont montré à une certaine époque. Néanmoins je suis prêt à concéder qu'il y a eu récemment des déconfitures privées. La solution est donc sans doute à chercher ailleurs que dans la structure du capital.

Il est clair que l'énergie mérite une planification à long terme, d'où l'intérêt du projet de loi d'orientation énergétique.

L'énergie mérite aussi un partenariat stable, dominé par l'État. Cela correspond bien à l'orientation de ce projet.

Pour le reste, l'Europe avance. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Asensi. On ne s'en aperçoit pas !

M. Jean-Claude Sandrier. Elle avance à reculons !

M. Jacques Desallangre. Les citoyens ne sont pas très satisfaits, si l'on en croit les élections de dimanche dernier !

M. Jean Dionis du Séjour. Il y aura donc, que cela vous plaise ou non, un marché de l'énergie.

Les votes qui ont été émis et la composition du Parlement européen issue des élections de dimanche ont confirmé des orientations avec lesquelles il faudra travailler.

Compte tenu de cela, et au nom de ce principe de réalité, nous voterons contre la question préalable présentée par le groupe communiste.

M. le président. Je vous informe que, sur la question préalable, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à Mme Nathalie Gautier, pour le groupe socialiste.

Mme Nathalie Gautier. Mon collègue Alain Bocquet a soulevé, dans son intervention, plusieurs questions qui méritent notre attention.

Le changement de statut qui nous est ici proposé...

M. Xavier de Roux. Mais non !

Mme Nathalie Gautier. ...est une privatisation effective, qui introduit la loi du profit dans un domaine auparavant protégé.

M. Xavier de Roux. Ne dites pas n'importe quoi !

Mme Nathalie Gautier. Je partage les craintes de notre collègue, qui est allé jusqu'à parler d'un édifice social, termes que je reprends volontiers. Aujourd'hui, un grand secteur public est remis en cause.

M. Bocquet a évoqué les enjeux écologiques et environnementaux, qui sont très importants et doivent échapper aux règles du marché.

Lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie, on a remarqué combien il était nécessaire de ne pas gaspiller le bien commun, à savoir les ressources de la planète. Or les règles du marché nous semblent bien éloignées de toute prise en compte des enjeux écologiques.

M. Bocquet a également évoqué la mise en œuvre d'une politique de coopération et de co-développement, qui passerait par une nécessaire régulation internationale. Quel rôle pourrait jouer la France dans cette politique de partenariat entre le Nord et le Sud ?

Quant aux effets vertueux de la concurrence sur la baisse des prix, parlons-en ! Alors que nous bénéficiions en France d'un prix très bas de l'électricité, en partie grâce au nucléaire, nous en constatons le renchérissement. Quel paradoxe !

Toutefois la vraie question est de savoir ce qu'il adviendra de la nécessaire vision à long terme en matière d'investissements dans ce secteur de l'énergie qui, rappelons-le, n'est pas un secteur comme les autres. Qu'en sera-t-il des efforts considérables qu'il faut consentir en matière de recherche et développement ?

La transformation du statut signe la fin du service public de l'énergie. Nous estimons qu'il s'agit d'un véritable démantèlement, qui risque de tirer les normes sociales vers le bas. Nous partageons les inquiétudes de M. Bocquet et de nombre de Français sur les risques de dérives, de création d'inégalités, entre les territoires comme entre les citoyens, que porte ce projet de loi.

Ce que vous nous présentez comme une étape n'est, pour nous, rien d'autre que la préparation à la privatisation, dont vous avez clairement fait le choix. C'est la raison pour laquelle nous demandons le retrait de ce projet de loi. Nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.(Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gérard Léonard. Encore !

M. le président. Chaque groupe a le droit d'expliquer son vote.

M. Michel Vaxès. Ils veulent démanteler en toute tranquillité !

M. Alain Néri. Il est encore temps de demander un quorum !

M. Daniel Paul. Monsieur le président, messieurs les ministres, vous ne serez pas surpris : le groupe communiste votera la motion présentée par le président Bocquet. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Je ne suis pas surpris, en effet.

M. Daniel Paul. Je souhaite cependant apporter deux précisions complémentaires.

La première concerne l'évolution des prix.

Cet après-midi, vous avez, monsieur le ministre d'État, ainsi que le rapporteur, évoqué la péréquation tarifaire. C'est l'un des avantages du système qui fonctionne en France depuis une soixantaine d'années que de pouvoir proposer, du nord au sud et de l'est à l'ouest du pays, des tarifs identiques. Or les directions d'EDF et de GDF ont déjà commencé à mettre à mal cette péréquation tarifaire. En particulier, elles se sont attaquées aux tarifs des services nécessitant des interventions chez les usagers. Ainsi, le passage d'un branchement aérien en aérosouterrain a augmenté de 15 % depuis quelques mois ;...

M. André Chassaigne. Ils préparent la privatisation !

M. Yves Bur. C'est le service public !

M. Daniel Paul. ...le déplacement d'un compteur de gaz dans un coffret a augmenté de 25 % et la modification d'un branchement aérien avec coffret de 30 % ;...

M. André Chassaigne. Ils préparent la privatisation, vous dis-je !

M. Daniel Paul. ...le travail sur la protection des gaines est passé de 84,60 euros à 414,40 euros ;...

M. Xavier de Roux. Quel service public !

M. André Chassaigne. Oui, ils préparent la privatisation !

M. Daniel Paul. ...le déplacement pour relevé de compteur particulier a été accru de 108 % et le contrôle d'appareil de comptage de 35 %. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Xavier de Roux. Il faudrait peut-être faire quelque chose !

M. Daniel Paul. Ce sont les tarifs avant privatisation. Que seront-ils après ?

M. Gérard Léonard. Quelle argumentation !

M. Daniel Paul. La deuxième précision que je veux apporter concerne ce qui s'est passé dans les pays - selon vous bénis - où s'est effectuée l'ouverture du capital.

De novembre 2000 à mai 2001, la Californie a enregistré trente-huit jours de pannes et de coupures d'électricité.

M. André Chassaigne. Et ce n'était pas la CGT !

M. Daniel Paul. Près de cinquante millions de personnes, notamment dans les États de New York, de l'Ohio, du Michigan et de l'Ontario, ont été privées de courant le 14 août 2003.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. Daniel Paul. À New York, la panne a duré vingt-neuf heures. Peu après cette faillite américaine, une panne d'électricité est intervenue à Helsinki en Finlande, puis une autre à Londres, le 28 août. Le 22 septembre, ce sont les réseaux de la région de Copenhague au Danemark et du sud de la Suède qui sont tombés en panne. Enfin, souvenez-vous, le 28 septembre, en à peine une demi-heure, l'ensemble du système italien de distribution d'électricité s'est retrouvé hors service alors qu'était organisée à Rome la première nuit blanche.

M. Yves Bur. Cela aurait pu nous arriver !

M. Daniel Paul. Il a fallu douze heures pour rétablir le courant dans certaines régions de la péninsule italienne.

M. Christian Cabal. Que fait la CGT ?

M. Daniel Paul. Ce n'était pas la CGT ou l'intersyndicale qui mettait à mal les réseaux, comme vous vous plaisez à le dire aujourd'hui ; ce n'était que la conséquence des dysfonctionnements inhérents au système que vous voulez implanter dans notre pays.

Pour ces raisons, en plus de celles qu'a évoquées le président Bocquet, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix la question préalable.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 131

              Nombre de suffrages exprimés 131

              Majorité absolue 66

        Pour l'adoption 34

        Contre 97

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

M. André Chassaigne. Ils veulent la Californie en France !

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Avant de commencer la discussion générale, je demande, au nom du groupe socialiste, une suspension de séance.

M. le président. Avez-vous délégation ?

M. François Brottes. Tout à fait, sinon je ne me permettrais pas.

M. le président. Quand vous aurez mon âge, vous en aurez vu de pires ! (Sourires.)

M. François Brottes. Je n'ose y penser, monsieur le président !

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance :

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué à l'industrie, mes chers collègues, EDF et GDF sont des acteurs déterminants de la vie sociale et économique de notre pays. La réforme de leur statut est donc un rendez-vous majeur de notre vie politique nationale.

Monsieur le ministre d'État, vous avez mené une véritable négociation avec les partenaires sociaux, marquée par un respect mutuel.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est vrai !

M. Jean Dionis du Séjour. Elle a certes révélé des désaccords importants, mais de véritables concessions ont également été faites de part et d'autre. Cette démarche est le signe d'une démocratie adulte, chacun restant dans son rôle, même si les coupures d'électricité ne sont pas admissibles dans une démocratie responsable.

Cette première mi-temps sociale, débordements mis à part, a bien déblayé le terrain. Elle a été utile. Elle était légitime. Toutefois, dans une démocratie qui fonctionne bien, il faut une deuxième mi-temps parlementaire et législative qui, elle aussi, joue pleinement son rôle et ne se réduise pas à un théâtre d'ombres. Vous avez acquis, monsieur le ministre d'État, la réputation d'être très respectueux des prérogatives du Parlement et vous jouissez d'une vraie crédibilité en la matière. Nous comptons donc sur vous.

Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le souligner dans un précédent débat, j'ai commencé ma carrière professionnelle à EDF. Le souvenir que je garde de cette période de ma vie est que cette entreprise et ceux qui la font vivre se caractérisent par une excellence industrielle et le sens du service public. Si je n'étais pas convaincu de la nécessité des décisions que nous prenons pour elle, je ne soutiendrais pas ce texte.

M. Christian Cabal. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. L'UDF, en tant que membre et partenaire de la majorité, entend assumer avec le Gouvernement un choix que nous avions tous, UMP et UDF confondues, affiché dans nos campagnes présidentielles et législatives, à savoir l'ouverture du capital d'EDF et de GDF.

M. André Chassaigne. Vous vous retrouvez sur ce terrain !

M. Jean Dionis du Séjour. Certes, nous n'avons pas été les seuls puisque, à l'époque, le parti socialiste en avait fait un de ses engagements de l'élection présidentielle de 2002. Qui s'est déclaré d'accord pour une certaine ouverture du capital d'EDF ? C'est Lionel Jospin ! Cela figurait dans son programme pour l'élection présidentielle de 2002.

M. André Chassaigne. Ce n'est pas bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Qui a dit : "Nous sommes favorables à une ouverture, mais à une ouverture maîtrisée et progressive" ? C'est le ministre français des affaires étrangères de Lionel Jospin, Hubert Védrine, le 11 mars 2002.

M. Xavier de Roux. Eh oui !

M. Alain Bocquet. Il ne reste que nous !

M. Jean Dionis du Séjour. Il s'agit maintenant, pour vous aussi, d'assumer ces choix, mes chers collègues socialistes ! Vous me savez d'un naturel plutôt conciliant avec nos amis les plus éclairés de l'opposition, mais, en l'occurrence, je trouve que vous allez trop loin dans le reniement et l'amnésie.

M. Xavier de Roux. Eh oui !

M. François Brottes. Cela ressortit au fait personnel, monsieur le président ! (Sourires.)

M. Jean Dionis du Séjour. Si l'on peut reconnaître une certaine cohérence à la démarche du parti communiste, comment ne pas dénoncer le double discours du parti socialiste sur cette question industrielle stratégique pour le pays ?

Pour nous, cette ouverture de capital n'est pas, comme se plaît à le dire l'opposition, une privatisation. Elle est la conséquence des décisions que le Président de la République, Jacques Chirac et le gouvernement de Lionel Jospin ont prises en mars 2002 au sommet de Barcelone sur la libéralisation des marchés énergétiques.

M. Christian Cabal. Eh oui !

M. André Chassaigne. C'est quand même une privatisation !

M. Jean Dionis du Séjour. C'est tout l'objet de notre débat, monsieur Chasssaigne !

Qui niera que le fait pour EDF d'avoir, sans ouverture du capital, pour seul actionnaire l'État français et de bénéficier des garanties de celui-ci pour les systèmes sociaux mis en place dans l'entreprise, donne à cette dernière un avantage discriminant en matière de concurrence ? Qui peut croire que ses concurrents européens resteraient longtemps les bras croisés et ne saisiraient pas la Cour de justice des Communautés européennes ?

Il s'agit surtout d'avoir une vision d'avenir pour ces deux entreprises. Notre objectif est de donner les moyens à EDF et à GDF de devenir des leaders européens et cela ne se fera pas sans échanges de participations avec des producteurs d'autres États membres de l'Union européenne. L'exemple de France Télécom devrait nous servir de leçon.

M. André Chassaigne. Pitoyable !

M. Jean Dionis du Séjour. La réalité est simple : nos entreprises publiques devront faire face, le 1er juillet prochain, aux décisions de Barcelone. Près de 2,3 millions de consommateurs, collectivités locales et entreprises - soit près de 70 % du marché - pourront choisir librement leur fournisseur de gaz ou d'électricité. Comment pourrait-on refuser à EDF et GDF les moyens de s'adapter à cette donne concurrentielle radicalement nouvelle qui impose de bâtir des stratégies industrielles modernes, ouvertes sur le marché européen ?

M. André Chassaigne. Tout cela, c'est du pipeau !

M. Jean Dionis du Séjour. Le monde change : il va y avoir un marché intérieur européen de l'énergie, donc une compétition européenne en ce domaine. Dans un tel contexte, il serait irresponsable d'ignorer la situation actuelle d'EDF. Celle-ci est contrastée car, si EDF est une brillante réussite du point de vue industriel et technologique, elle souffre d'une situation financière très dégradée.

M. Jacques Desallangre. C'est la faute aux investissements à l'étranger !

M. Jean Dionis du Séjour. Les chiffres cités par le rapport d'enquête de notre collègue Michel Diefenbacher dans le cadre de la mission parlementaire sur la gestion des entreprises publiques sont éclairants.

M. François Brottes. C'est un rapport idéologique !

M. Jean Dionis du Séjour. L'endettement net de l'entreprise est passé de 17,6 milliards d'euros en 2000 à 25,8 milliards d'euros en 2002.

M. André Chassaigne. Et pourquoi ?

M. Jean Dionis du Séjour. L'entreprise était encore 100 % État !

À ces chiffres, il convient d'ajouter des prises de participation à l'étranger à hauteur de 8,2 milliards d'euros.

M. André Chassaigne. Justement !

M. Jacques Desallangre. C'est là que le bât blesse !

M. Jean Dionis du Séjour. EDF ne dispose aujourd'hui que de 18 milliards d'euros de fonds propres. Encore faut-il retrancher de ce chiffre les 9 milliards de la soulte qu'EDF va devoir verser au régime général au titre d'une cotisation libératoire, sans oublier les 60 milliards de provision pour l'ensemble des retraites des agents IEG.

Cette situation financière très tendue - qu'il serait bien naïf et bien irresponsable de nier - a quatre causes : le fait que l'État n'a pas, depuis des années, consolidé le capital de l'entreprise publique ;...

M. Daniel Paul. Ah bon !

M. Jean Dionis du Séjour. ...le poids très lourd pour l'entreprise du régime de protection sociale dont les comptes vont encore se dégrader avec le vieillissement de la population couverte ; le fait que EDF a toujours adopté une politique tarifaire déséquilibrée en pratiquant des tarifs domestiques très bas par rapport au marché et des tarifs élevés pour les professionnels, ce qui explique la perte pour EDF de 20 % de ses clients éligibles depuis la première ouverture ; enfin, c'est vrai, les aventures économiques plus ou moins hasardeuses d'EDF sur les marchés internationaux, notamment en Amérique latine,...

M. Jacques Desallangre. Merci de le reconnaître !

M. Jean Dionis du Séjour. ...qui ont montré, vous avez raison, les insuffisances et les responsabilités de la tutelle.

M. André Chassaigne. On verra ce que cela donnera !

M. Jean Dionis du Séjour. Face à cette situation tendue, EDF a, plus que jamais, besoin d'une stratégie d'avenir et d'une vraie liberté d'action pour relever le défi de la concurrence et du service public.

Pour notre part, à l'UDF, nous n'avons jamais changé de discours : nous avons toujours été favorables à la construction européenne sur le plan politique comme sur le plan économique, notamment à la construction d'un marché énergétique européen unique.

En cohérence avec nos convictions sociales et européennes, nous avons déposé quatre grands groupes d'amendements.

Le premier tend à compléter les missions de service public et à instaurer un service universel de l'électricité.

Pour le groupe UDF, en effet, le projet de loi ne va pas assez loin dans la définition des missions de service public de l'électricité et du gaz. Nous proposons donc de compléter celles-ci en renforçant dans les textes législatifs de référence la dimension de l'aménagement du territoire et de la politique de la ville.

Le groupe UDF a également déposé deux amendements pour inscrire dans le droit français la notion de « service universel de l'électricité » en transposant les dispositions des alinéas 3 et 5 de l'article 3 de la directive du 26 juin 2003. Le service universel de l'électricité permettra de garantir «le droit d'être approvisionné, sur l'ensemble du territoire national, en électricité d'une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents ».

M. Jacques Desallangre. Par n'importe quel opérateur !

M. Jean Dionis du Séjour. Notre deuxième série d'amendements tend à aller au bout de la logique d'intégration pour ce qui concerne l'activité de gestionnaire des réseaux de transport.

Le groupe UDF approuve le choix de maintenir un groupe intégré autour des trois métiers de producteur, de transporteur et de distributeur. Néamoins, nous souhaitons réduire les contradictions possibles entre cette intégration et les dispositions des directives transposées qui prévoient expressément une séparation entre les fonctions de transporteur et de producteur d'énergie.

Le groupe UDF a déposé plusieurs amendements pour aligner le fonctionnement des GRT sur le droit commun en vigueur dans les sociétés anonymes et pour renforcer l'indépendance des filiales de transport et de distribution par rapport à leur maison mère.

Par ailleurs, un amendement a pour but de préciser que EDF-Transport pourra également utiliser son propre réseau pour les télécommunications, dans un souci d'aménagement du territoire.

Troisièmement, il importe d'aller au bout de la clarification du régime spécial des personnels IEG, afin de garantir l'égalité de traitement entre les Français. J'appelle tout particulièrement votre attention sur ce point, monsieur le ministre d'Etat. Charles de Courson détaillera l'ensemble de nos amendements dans ce domaine mais je tiens à en préciser dès maintenant la philosophie.

Ils respectent les droits acquis des salariés actuels, mais, afin de rétablir l'égalité entre les Français, nous considérons que les nouveaux entrants ne devraient pas avoir le même régime. En effet, les régimes de retraite ont été réformés, hormis quelques régimes spéciaux : EDF, la SNCF, la Banque de France et la Comédie française. Après la réforme des retraites, on ne peut pas défendre le maintien d'un statu quo, qui aboutit à l'injustice et à l'inégalité sociale entre les citoyens.

M. Xavier de Roux. Eh bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Quatrièmement il faut bien distinguer la problématique des deux entreprises : EDF et GDF.

La commission des affaires économiques a adopté un amendement qui porte à 70 % la part détenue par l'État dans le capital d'EDF et de GDF. Dans le projet de loi, cette part avait été fixée à « plus de 50 % ». Cet amendement fait suite aux engagements que vous avez pris dans vos négociations avec les syndicats, monsieur le ministre d'État. Si l'on peut comprendre que l'État prenne ses dispositions pour éviter toute minorité de blocage au sein du conseil d'administration d'EDF en raison des enjeux de production liés à la sécurité d'approvisionnement du pays en électricité, la situation nous semble totalement différente pour GDF qui, d'une part, n'a pratiquement pas de fonctions de production et, d'autre part, a besoin d'ouvrir largement son capital pour mener à bien son projet industriel et réussir sur les marchés européen et étranger.

Un amendement a donc été déposé par le groupe UDF pour distinguer les deux entreprises et ne monter à 70 % que pour EDF, conformément à vos engagements.

J'ajoute que cette position ne préjuge en rien celle du groupe UDF sur la question de la fusion entre EDF et GDF. Nous aurons ce débat en temps voulu.

M. Jacques Desallangre. Aujourd'hui !

M. Jean Dionis du Séjour. En conclusion, monsieur le ministre, le groupe UDF est bien disposé par rapport au projet de loi.

M. Xavier de Roux. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Nous partageons avec vous les convictions européennes et l'ambition que nous avons pour EDF et GDF. Elles sont à la source de notre engagement en faveur de l'ouverture du capital des entreprises. Nous soutenons votre choix d'une entreprise intégrant les métiers de producteur, de transporteur, de distributeur et de vendeur. Toutefois nous apporterons dans le débat une volonté d'aller plus loin en matière de service public électrique vis-à-vis des résidents et des entreprises.

M. André Chassaigne. La politique, c'est « les copains et les coquins ! »

M. Jean Dionis du Séjour. Nous défendrons enfin, pour la question de l'avenir social de ces entreprises, une vision conciliant le respect de la parole donnée au personnel et une véritable volonté d'égalité sociale au niveau de la nation.

Monsieur le ministre d'Etat, ouvrez un véritable débat avec le Parlement comme vous avez su le faire avec les syndicats.

M. François-Michel Gonnot. Enfin !

M. Jean Dionis du Séjour. Améliorons ce texte nécessaire ensemble C'est tout le souhait, c'est le seul souhait de l'UDF. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et s'il devient réalité, nous ne vous mégoterons pas notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Gerin. Voilà un discours ultralibéral !

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.

M. Xavier de Roux. Pour un discours ultra communiste !

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous vivons sans doute un moment historique, un de ces moments qui marquent une société et qui donnent le sens de son évolution.

En 1946, des hommes d'opinions parfois opposées avaient estimé que l'énergie était un bien trop précieux pour être laissé entre les mains d'intérêts privés. Ils avaient logiquement considéré que les outils de production, de transport et de distribution de l'électricité devaient devenir propriétés de la nation. Eux aussi avaient créé un moment historique, un moment qui donnait tout son sens au programme du Conseil national de la Résistance.

La différence entre le ministre de l'époque et vous, entre le gouvernement de l'époque et le vôtre, c'est qu'eux voulaient soustraire aux intérêts marchands un bien essentiel à la reconstruction du pays, à la vie des gens, ainsi que les outils de sa mise en œuvre, alors que vous, vous voulez, au contraire, ouvrir aux financiers d'aujourd'hui et de demain de nouveaux territoires de profits, à la mesure de leurs exigences.

M. Claude Gatignol. Qu'est-ce que c'est que cette diabolisation ?

M. Daniel Paul. La propriété de la nation, notion supérieure à la propriété de l'État, était, pour eux, une avancée de civilisation, un moyen de mieux répondre aux besoins sociaux, tout en assurant à nos industries une énergie au meilleur prix.

Qui dira la contribution d'EDF à la reconstruction et au développement de notre pays, à la mise en œuvre d'une politique industrielle, à la constitution dans notre pays d'entreprises, dans le secteur énergétique, avec des savoir- faire, des compétences, des expériences peut-être uniques au monde ? C'est aussi cela l'entreprise publique EDF.

Pour vous, la propriété publique est un frein aux appétits des financiers et sans doute considérez-vous que la remise en cause d'EDF et de GDF, par le symbole qu'elles constituent, par le signal qu'elles donnent, sera 1e coup décisif porté à ce que notre peuple a su construire collectivement et ouvrira la porte à la privatisation de La Poste et de la SNCF qui fait aussi partie de vos objectifs.

M. Bernard Accoyer. Oh là, là !

M. Daniel Paul. Ces outils que sont EDF et GDF n'auront pas pesé sur l'État, qui n'en était d'ailleurs pas actionnaire, et c'est en payant les factures de gaz et d'électricité, même moins cher que partout ailleurs, que chaque usager de notre pays a contribué à faire d'EDF et de GDF les grandes entreprises qu'elles sont aujourd'hui, avec des outils de production et de distribution sans doute uniques au monde.

À cet égard, je vais rappeler les propos que j'ai tenus cet après-midi.

Les usagers ont financé par leur tarif, l'indemnisation des anciens actionnaires, à la suite de la nationalisation de 1946, sous forme d'obligations indemnitaires d'une durée de cinquante ans. Ce sont aussi les usagers qui ont financé les investissements nécessaires pour remplir les missions de service public : les réseaux, le stockage, les terminaux méthaniers, les méthaniers eux-mêmes, le programme nucléaire, les grands barrages hydrauliques, la recherche.

À EDF, l'apport de l'État, depuis 1946, mes chers collègues, a été constitué par des prêts rémunérés transformés en dotations en capital à hauteur de 7,7 milliards d'euros, et par 8 milliards d'euros versés en 1997 en contrepartie de la perte de son droit de concession du réseau de transport d'électricité.

Cela signifie que, depuis 1946, l'État a versé à EDF, sous diverses formes, 15 milliards d'euros. Faites le total : cela représente un peu plus d'un milliard de francs par an. Ce n'est pas cher payé par rapport à tout ce qui a été obtenu d'EDF et de GDF en contrepartie.

Et comme l'entreprise n'avait pas à rémunérer d'actionnaires privés et que l'État n'a pas prélevé, pendant très longtemps, de dividendes, les résultats ont pu être consacrés à la réalisation des grands ouvrages hydrauliques, au programme nucléaire, à 1a mise en œuvre de 1a péréquation tarifaire, éléments constitutifs de l'indépendance énergétique de notre pays, de l'aménagement de notre territoire et d'une contribution à la justice sociale qui n'auront donc rien coûté au budget de l'État.

Oui, ces entreprises appartiennent à la nation, au peuple, et, en ouvrant le capital, c'est une véritable spoliation que vous opérez. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous êtes loin, très loin, de la grande vision, dont vous parliez cet après-midi, celle de vos aînés de 1946, en bradant aujourd'hui ce qu'ils avaient construit hier. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. C'est la grande démolition !

M. Daniel Paul. Cela est d'autant plus apparent que notre connaissance des enjeux énergétiques s'est sans doute précisée depuis bientôt soixante ans. Les conséquences de l'effet de serre et la raréfaction des ressources fossiles posent à nos sociétés des questions nouvelles extrêmement lourdes qui justifient, encore plus qu'avant, la maîtrise publique de l'énergie et des outils qui l'accompagnent, en clair 1a création d'un véritable pôle public de l'énergie. Et c'est alors que ces enjeux éclatent au grand jour, que vous décidez de casser EDF et GDF, d'ouvrir la porte aux intérêts privés, de transformer des établissements publics en sociétés anonymes !

Si vous persistez, vous resterez, avec votre gouvernement, ceux qui auront fait ce mauvais coup, et vous porteriez, si vous réussissiez, la pleine responsabilité de ses conséquences pour notre pays et pour les usagers.

Vous connaissez d'ailleurs les réticences qui existent, y compris dans votre propre camp. On peut avoir des idées très libérales et être en même temps sensible aux réalités.

On nous dit que les prix vont baisser ! Il n'est que d'observer ce qui se passe dans les pays qui nous ont précédés dans cette voie pour voir que cela est faux. C'est d'ailleurs, en France, une source d'inquiétude pour les industriels, comme pour les responsables des transports publics recourant à l'énergie électrique.

Ainsi, les industriels français achèteront en 2004, le kilowattheure à au moins trois centimes d'euros, alors que EDF, en juin 2003, commercialisait le courant pour 2004 à deux centimes d'euros. Une augmentation d'un centime d'euro du kilowattheure pour un site industriel qui consomme 500 000 mégawatts-heure par an représente 5 millions d'euros supplémentaires.

Les industriels automobiles, chimiques, les cimentiers et les papetiers introduiront dans les prix de vente de leurs produits les coûts de ces augmentations. Ces éléments participeront donc à l'augmentation du coût de la vie. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

On nous dit que les usagers domestiques bénéficieront de baisses de prix. Faux ! À côté du prix du kilowatt, il y a les services qui sont sortis du champ de la péréquation et dont les augmentations sont déjà décidées.

On nous dit que la nouvelle donne permettra de faire face aux enjeux d'investissements, d'accompagnement du cycle aval des centrales nucléaires. Faux ! On sait que ce qui prime pour l'investissement privé, c'est la réduction des charges et la maximalisation des recettes. On sait aussi combien l'absence d'investissements à long terme comme les logiques libérales poussant à organiser la pénurie pour faire monter les prix ont pesé dans les accidents qui ont émaillé ces dernières années, de la Californie à l'Italie.

Or, aujourd'hui, la production d'électricité, en France, est préoccupante. EDF ferme ses centrales les moins rentables, sans pour cela les remplacer par de nouveaux moyens de production. Mille mégawatts ont été supprimés au cours des dernières années sans remplacement. Il est vrai qu'EDF estime d'ores et déjà ne plus avoir à assurer 100 % des besoins, mais 70 %.

M. Bernard Accoyer. Vous avez approuvé la destruction de Super Phénix, quand vous étiez dans la majorité avec M. Jospin !

M. Daniel Paul. Mes propos ne doivent pas vous plaire, mon cher collègue, pour que vous protestiez de la sorte.

M. André Chassaigne. Absolument !

M. Daniel Paul. Ainsi, si EDF n'est plus en capacité de répondre, RTE en appellera à d'autres producteurs, ce qui fera grimper les prix, surtout pour les particuliers.

En fait, derrière la campagne sur des surcapacités de production en France, se cache la volonté d'organiser une logique de pénurie, conséquence logique de l'objectif recherché d'amélioration de la rentabilité.

Cependant l'opinion publique elle-même est loin de partager votre volonté de remettre en cause des outils comme EDF et GDF.

Ainsi, il apparaît que la majorité de notre peuple est opposée à votre projet, malgré la campagne idéologique engagée depuis des années, malgré les efforts déployés par les directions d'EDF et de GDF en direction tant des salariés, en cherchant d'ailleurs à anticiper sur la loi et la prochaine directive, que de la population avec des campagnes indécentes, inadmissibles, dans les médias, visant à peser sur l'opinion.

Les salariés ne cessent d'exprimer leur opposition à votre projet. Ils ne demandent pas l'immobilisme, tant ils savent combien les enjeux énergétiques exigent l'amélioration des capacités de réponses des entreprises publiques, en termes aussi bien techniques que démocratiques, mais i1s dénoncent le mauvais coup porté, au seul nom d'un dogmatisme libéral.

Tout cela vous contraint à louvoyer.

Vous annoncez d'abord l'ouverture du capital avec maintien de plus de 50 % de capital public, puis, devant les critiques, vous déclarez que l'ouverture ne dépassera pas 30 %, dont 15 % seraient destinés aux personnels, et que les collectivités locales, qui entreront aussi dans le capital de ces nouvelles sociétés anonymes seraient garantes de leur avenir.

Ainsi que je vous l'ai rappelé en commission, monsieur le ministre d'État, l'expérience de la Compagnie nationale du Rhône est parlant : les collectivités locales n'ont pas hésité à vendre à Suez les parts qu'elles détenaient dans cette compagnie, comme demain elles n'hésiteraient pas à le faire pour EDF et GDF.

M. Xavier de Roux. Ces propos sont scandaleux !

M. Daniel Paul. Vous annoncez aujourd'hui que l'État resterait, « pendant quelque temps » - un an, semble-t-il - l'unique actionnaire de la société anonyme ainsi constituée, comme si c'était la réponse aux questions posées. En fait, cela vous donnerait, à tout moment, la possibilité de mettre sur le marché des morceaux de la nouvelle société ou d'augmenter le capital. Vous cherchez à donner le change, à diviser les salariés et les usagers, y compris en annonçant la création d'une commission qui donnerait les résultats de ses travaux l'année prochaine.

Nous savons aussi ce que donne l'ouverture au capital privé, véritable cheval de Troie des financiers prédateurs. Nous les avons vus à l'œuvre et nous connaissons aujourd'hui les résultats de cette démarche. Cela passe par la séparation, en sociétés différentes, du transport et de la production, ainsi que par la mise en place d'autorités de régulation qui attribuent aux entreprises des missions de service public. Votre projet de loi précise d'ailleurs que les services communs, donc EDF-GDF services, pourront être dotés, ou non, de la personnalité juridique. Rien n'interdit donc qu'ils puissent, dès la promulgation de la loi, être constitués sous la forme de sociétés filiales ou de groupements d 'intérêt économique.

C'est aussi une nouvelle conception du rôle de l'État qui se met progressivement en place, celui-ci n'assurant plus que ses fonctions dites régaliennes et laissant jouer les lois du marché pour tous les autres secteurs de l'activité du pays.

Cette offensive a déjà donné naissance, dans le monde, à des expériences qui ont révélé de graves dangers, tant dans des pays développés que dans des pays en voie de développement.

Vous annoncez que les salariés garderaient leurs statuts, mais on sait ce que cela peut signifier dans un monde qui cherche à peser sur la situation des hommes pour améliorer la rentabilité du capital. On a vu en particulier comment cela évolue à France Télécom.

Vous annoncez également que EDF et GDF deviendraient des champions en Europe. Reconnaissez que tel est déjà le cas ! Mais si, pour vous, monsieur le ministre d'État, le monde ne se conçoit que comme un lieu d'affrontement, nous pensons, pour notre part, en particulier dans le domaine de l'énergie, que l'avenir est à des coopérations pour faire face aux enjeux et aux défis qui nous attendent. À cet égard, le développement en Europe d'un grand projet énergétique, aurait tout son sens.

En commission, je vous ai demandé de retirer votre projet, d'autant que vous aviez annoncé qu'un rapport vous serait remis en septembre prochain sur l'opportunité d'ouvrir ou non le capital d'EDF et de GDF ou de les regrouper en une seule entité.

Toutefois il y avait - et il y a toujours - une autre raison à notre demande : ne serait-il pas sage, au vu des enjeux et des dégâts causés dans tous les pays qui ont mis en œuvre la réforme libérale que vous nous proposez, qu'un bilan précis soit réalisé avant d'engager une réforme aussi fondamentale ? C'est d'ailleurs la question que nous posons pour toutes les privatisations d'entreprises publiques.

Il apparaît de plus que vous êtes aujourd'hui dans l'incapacité de nous dire à combien se monterait, par exemple, la soulte à verser par EDF en contrepartie de l'adossement du régime de retraite au régime général. Est-ce 10 milliards d'euros ? Est-ce plus ?

Vous ne connaissez pas non plus le montant des fonds propres qui seraient nécessaires à EDF : on parle de 10 à 15 milliards. La commission que vous nous avez annoncée aurait à les évaluer. Mais, outre le fait que cette évaluation mériterait d'être affinée, quelle serait la destination d'une telle somme ? Irait-elle nourrir de nouvelles aventures internationales ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François-Michel Gonnot. Mais non !

M. Daniel Paul. Vous ne pouvez pas davantage nous indiquer la valeur de l'entreprise, et donc ce qui est attendu de sa mise sur le marché : vous escomptez 30 %, monsieur le ministre d'État, mais de combien ? On sait que l'ouverture du capital ne peut s'envisager que pour autant que soient minimisés les dettes et les engagements à long terme, et maximisées les perspectives de retour sur investissement. Il est clair que, d'un point de vue capitalistique, les retraites et les charges de démantèlement des centrales nucléaires pèsent lourd...

Dès lors, et au-delà de l'inconnu dans lequel vous lancez l'opérateur public, n'est-il pas tout simplement sérieux de retirer votre projet ?

Si vous persistiez face à ces inconnues, comment ne pas penser que cette opération vise également à opérer une ponction financière sur EDF, facilitant, pour le budget de l'État, le respect des critères de Maastricht ?

Si vous persistiez, comment pourrait-on croire à la poursuite d'une forte politique de recherche, alors que l'on sait combien cette activité cesse d'être prioritaire sitôt que la rentabilité du capital privé est à l'ordre du jour ? Il n'est qu'à regarder ce qui se passe dans d'autres groupes privatisés pour s'en rendre compte.

Si vous persistiez, comment défendre l'idée que le devenir de notre politique énergétique et des outils de sa mise en œuvre puisse être laissé à la décision d'une majorité qui n'a pas reçu du peuple cette mission précise ? Et tout porte à croire, au vu des deux désaveux cinglants qu'elle vient de subir, que le peuple n'est pas en accord avec votre politique.

Consultez le peuple, monsieur le ministre d'État, sur ce dossier si lourd de conséquences, consultez le peuple parce qu'il est légitimement en droit de se prononcer sur ce sujet. D'autant que les arguments que vous développez ne tiennent pas.

M. André Gerin. Très bien !

M. Daniel Paul. Ainsi, vous prétendez que la Communauté européenne contraindrait à ouvrir le capital d'EDF et de GDF.

Plusieurs membres du groupe des député-e-s communistes et républicains. C'est faux !

M. Daniel Paul. Vous connaissez la réponse de Mario Monti. Il conviendrait, en fait, pour la Communauté européenne, de faire cesser la garantie de l'État inhérente au statut d'EPIC. Et vous d'en conclure qu'il faut mettre fin à ce statut et passer à celui de société anonyme...

Pour nous, et nous ne sommes pas seuls à défendre cette position, une telle évolution ne se justifie qu'à partir du moment où l'on fait siennes les thèses libérales. Or, si l'on admet que l'énergie n'est pas un bien comme un autre, que les enjeux énergétiques ne se réduisent pas aux critères marchands, que ce qui prime, c'est la préservation de notre pays et de l'Europe des dysfonctionnements constatés partout dans le monde, à la suite de la déréglementation, si l'on admet que la priorité reste la lutte contre l'effet de serre, alors le dossier énergétique doit être fondé sur des bases nouvelles et ouvrir la porte aux coopérations et non plus aux affrontements concurrentiels.

Dès lors, pourquoi ne pas examiner sérieusement les propositions faites par les organisations syndicales ? Elles ne visent pas à l'immobilisme, mais à la préservation de l'espace européen et à l'élaboration d'une politique commune profitable à l'ensemble de l'Europe.

Faut-il pour cela aller vers une renégociation des traités européens, comme celui de Barcelone ?

M. Alain Bocquet. Oui, rectifiez-le !

M. André Gerin. Absolument !

M. Daniel Paul. Pourquoi pas ? Vous savez ce que nous pensons, pour notre part, de tous ces traités qui ont érigé la construction européenne sur une base libérale. Vous-même, monsieur le ministre d'État, ne considérez-vous pas que le critère de 3 % de déficit public, tel que voulu à Maastricht, est injuste ?

M. André Gerin. C'est la dictature !

M. Daniel Paul. Et les enjeux énergétiques ne valent-ils pas les autres ? Pourquoi le moment ne serait-il pas venu de poser la question d'une renégociation ?

M. Alain Bocquet. Très juste !

M. Daniel Paul. De surcroît, vous ne cessez de rappeler que l'option d'une fusion d'EDF et de GDF est ouverte. Cela répond, vous le savez, à la demande des forces syndicales, mais leur revendication va bien au-delà.

Nous pensons, nous aussi, que c'est une bonne proposition.

En premier lieu, parce que cela permettrait de faire jouer totalement les complémentarités des deux entreprises dans les domaines de l'offre multi-énergétique, de la cogénération et de la recherche de nouveaux moyens de production.

En second lieu, plutôt que de se lancer dans une stratégie internationale d'acquisitions risquées pour gonfler les chiffres d'affaires, la fusion permettrait un recentrage commercial sur la France.

En troisième lieu, le maintien de l'intégration verticale de leurs activités équilibrerait mieux les investissements dans les différents secteurs en évitant des investissements doublons et répondrait plus efficacement aux besoins des Français, mais aussi des Européens.

Enfin, la fusion d'EDF et de GDF faciliterait de véritables coopérations de développement en Europe et des actions d'aide au développement en Afrique et en Amérique du Sud.

L'Allemagne a réalisé cette fusion entre son électricien et son gazier ; pourquoi notre pays n'adopterait-il pas cette stratégie ?

L'examen d'une telle hypothèse, en poussant au maximum l'analyse, justifie également que votre projet soit aujourd'hui retiré.

Quant à la question des retraites, vous savez l'appréciation que les salariés ont portée à ce sujet lors d'un vote mémorable. Ils ont massivement rejeté le relevé de conclusions, comme les Français, aux régionales et aux cantonales, ont sanctionné votre réforme, comme ils ont, aux européennes, condamné par avance votre projet de réforme de la sécurité sociale et de mise en cause d'EDF et de GDF.

Monsieur le ministre d'État, vous le savez, si nous nous sommes séparés sur la loi d'orientation sur l'énergie, c'est sans doute qu'elle n'appréhendait pas suffisamment les enjeux d'aujourd'hui, mais c'est surtout parce que vous vous apprêtiez à mettre à mal les outils chargés de sa mise en œuvre.

Directive après directive, l'énergie est poussée vers le marché alors que l'on sait pertinemment qu'elle ne se prête pas aux règles marchandes. Faut-il rappeler les conséquences de l'impossibilité de stocker l'énergie ?

L'ouverture du capital n'est que le prélude à la privatisation et entraîne, qu'on le veuille ou non, une logique de rémunération du capital privé investi, qui ne peut se faire qu'au détriment des missions majeures d'un opérateur public : répondre aux besoins énergétiques de notre pays et, au-delà, de la planète, en respectant l'environnement et les équilibres écologiques.

L'alternative est simple : ou bien une régulation par le marché et la concurrence à partir d'intérêts privés, ou bien une régulation par les besoins à partir de l'intérêt collectif de notre peuple et, au-delà, des peuples européens et du monde.

En ouvrant le capital d'EDF et de GDF aux intérêts privés, vous faites le choix de satisfaire les exigences libérales ; ce faisant, vous n'hésitez pas à mettre en danger nos deux grandes entreprises. Nous sommes en total désaccord avec une telle orientation et nous apportons notre soutien aux salariés d'EDF et de GDF qui défendent aujourd'hui l'intérêt national. Nous sommes persuadés qu'une autre voie est possible pour notre pays comme pour la construction européenne qui, elle aussi, a besoin d'une politique progressiste de 1'énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.

M. François-Michel Gonnot. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment du débat, peut-être convient-il de revenir sur ces deux dernières années, tant il est vrai que le texte que nous examinons aujourd'hui est l'aboutissement d'une démarche parfaitement logique qui a commencé, certes dans l'urgence, avec la nécessité, en janvier 2003, d'adopter enfin la loi sur le marché du gaz et de l'électricité, autrement dit la transposition de la directive gaz, qui attendait depuis quatre ans, en violation de tous nos engagements européens.

Depuis, le Gouvernement a voulu, et c'était là aussi une étape nécessaire, engager à travers le pays un grand débat sur la politique énergétique, essayer de retrouver un consensus sur le nucléaire, rappeler la nécessité, quelque un peu oubliée, de mieux maîtriser la consommation, tenter également de relancer une politique d'énergies renouvelables. Ce fut l'objet de la loi que vous avez eu l'occasion, monsieur le ministre d'État, quelques semaines après votre installation à Bercy, de venir nous présenter. Et contrairement à ce que l'on vient de dire, elle aura permis de trouver dans cet hémicycle, et plus récemment au Sénat, de très larges consensus qui avaient besoin d'être refondés après bien des années de flou ou de non-décision.

Je voudrais également, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, vous féliciter au nom du groupe UMP pour la démarche que vous avez engagée et pour la façon dont, en seulement deux mois et demi, vous avez pris en main ce dossier, sans doute le plus difficile, conséquence de l'ouverture des marchés, des directives, de la mise en place de ce grand défi, de ces grands enjeux que représente la construction d'un marché unique de l'électricité et du gaz de 480 millions d'habitants. Vous avez su le prendre à bras-le-corps, d'abord en faisant en sorte que ce qui n'était encore qu'un Livre blanc devienne un projet de loi et demain une loi sur la politique énergétique de la France - j'en ai rappelé l'essentiel du contenu -, ensuite en ouvrant le débat, nécessaire, au sein des entreprises, sur les projets industriels d'EDF et de GDF.

Vous avez rouvert des négociations sociales qui jusqu'alors étaient en panne au sein de la branche des IEG ; vous avez écouté, consulté, négocié, vous avez su tendre la main, aller au-devant des salariés. Nous avons du reste bien vu que, souvent, ceux-ci n'avaient pas la moindre information - en tout cas, certainement pas la bonne - sur les nécessités actuelles.

Vous avez su également rassurer et donner des garanties, convaincre que, dans ce débat, il n'y avait du côté du Gouvernement ni dogmatisme ni objectif idéologique, mais seulement la volonté de faire évoluer le statut des deux entreprises EDF et GDF, parce que c'était nécessaire, parce que c'était voulu, parce que c'était attendu et parce que plusieurs gouvernements et plusieurs majorités en avaient décidé ainsi à l'issue d'un long processus.

Des changements de statut dans une entreprise publique, nous en avons connu, et sous toutes les majorités. Mais jamais un gouvernement n'aura donné autant de garanties aux entreprises concernées comme à leurs agents. Il était important que cela fût dit ; cela s'est fait dans des conditions certes peu idéales, toujours difficiles, mais qui ont montré à quel point il fallait aller vite, précisément parce que le temps courait vite : dans quinze jours, vous l'avez rappelé, 70 % du marché de l'électricité et du gaz seront ouverts.

Ce texte a l'avantage de rompre avec l'immobilisme, de rendre le statut des deux entreprises euro-compatible tout en laissant, vous l'avez également dit, un certain nombre d'options ouvertes. Parmi les garanties que vous avez données cet après-midi, citons le maintien du statut public d'EDF et de GDF ; tout en décidant d'en ouvrir le capital à hauteur de 30 %, vous étiez résolu à vous donner le temps de regarder, de réfléchir, quitte à y consacrer au besoin plusieurs mois, afin de mieux comprendre ce qu'est la situation financière réelle d' EDF - celle de Gaz de France étant sans doute légèrement différente. Il est vrai qu'EDF a beaucoup joué ces dernières années sur ses provisions, qu'il vaut mieux comprendre ce que sont aujourd'hui ses réels besoins de financement, s'assurer exactement de l'avenir de ses engagements hors bilan, apprécier la réalité de son endettement, de ses besoins de développement et d'investissement, qu'il s'agisse du renouvellement de ses centrales - nous en avons longuement parlé à l'occasion de la loi d'orientation - comme de l'éventualité d'un accroissement de ses capacités de production afin de satisfaire demain aux besoins d'une Europe déficitaire. Il faudra également faire le point précis des investissements qui s'imposent sur les réseaux de transport et de distribution et sur les interconnexions entre la France et plusieurs de ses voisins.

En prenant le temps de vérifier tout cela, de voir s'il est ou non nécessaire que l'État cherche d'autres partenaires et ouvre le capital, vous avez retenu une solution de sagesse et de réalisme.

Vous avez également laissé une autre porte ouverte : celle que les syndicats, tout au moins certains d'entre eux, évoquent sous le nom de fusion, mais qui peut revêtir toute une série de formes alternatives de rapprochement, à l'exemple de ce qui se passe ailleurs, chaque pays s'efforçant naturellement de renforcer ses opérateurs et de se préparer à l'ouverture des marchés. Vous avez publiquement rappelé les objections que pouvait soulever une fusion pure et simple, sans doute non eurocompatible et d'un prix probablement excessif pour l'entreprise, pour ses salariés, pour l'industrie française. Mais vous avez tenu à laisser ouverte la possibilité d'une réflexion avec le Parlement : c'était, là encore, faire preuve de réalisme et montrer que vous aviez entendu bon nombre des messages qui se sont exprimés ces derniers temps.

Permettez-moi, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, d'ajouter une citation à la liste, déjà longue, de celles que nous avons déjà entendues : M. le ministre d'État n'a-t-il pas rappelé cet après-midi les propos de M. Dominique Strauss-Kahn sur la nécessité de faire évoluer le statut d'EDF-GDF, ou encore la déclaration de M. Fabius, ancien Premier ministre socialiste, et M. Dionis du Séjour celles de M. Jospin, sans parler de celles de M. Védrine ? Je voudrais vous rappeler la plus récente ; il est vrai qu'elle émane de quelqu'un qui n'est plus tout à fait à la mode au sein du Parti socialiste, même s'il fut un des Premiers ministres de la France : c'est celle, en date du 9 mai 2004, de Michel Rocard à qui les élections européennes auront permis de retrouver un avenir, en tout cas pour les années qui viennent.

L'ancien Premier ministre socialiste, invité du « Grand jury RTL-Le Monde-LCI », a estimé que le changement de statut d'EDF-GDF était « acceptable à condition que l'État reste l'actionnaire majoritaire de l'entreprise ».

Il ajoutait qu'EDF est une entreprise de nature commerciale qui agit dans le monde entier et que son actuel statut public est un empêchement à son développement, parce qu'elle ne peut pas acheter les autres entreprises et, avec interdiction aux autres de la racheter en partie. M. Rocard a également dit qu'un changement de statut de l'entreprise permettant une ouverture partielle du capital était acceptable, en concluant : « Nous sommes bien placés pour le dire » !

Je suis sûr que nous avons chacun une collection de déclarations tout aussi sympathiques...

M. David Habib. En effet !

M. François-Michel Gonnot. ...qui devraient au final nous permettre d'aboutir au consensus qui profiterait tant aux salariés d'EDF et de GDF qu'à leurs entreprises.

Messieurs les ministres, je voudrais, au nom du groupe UMP, vous remercier d'avoir utilisé les termes de service public dans le corps même du texte. Nous n'avions d'ailleurs pas omis de les rappeler ni dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie, ni dans la loi sur la modernisation et le développement du service public de l'électricité en 2000 pas plus que dans la transposition dans le droit français d'une directive sur le gaz en 2003.

L'UMP est très attachée, comme tous les Français, à la notion de service public de l'énergie et souhaite que les deux entreprises, EDF et GDF, restent exemplaires sur ce point. Elle tient également au caractère intégré des deux entreprises, même si, Dionis du Séjour l'a rappelé, il faut rendre juridiquement autonome le gestionnaire de réseau. Par ailleurs, nous souhaiterions entendre le Gouvernement, sur la dernière étape de l'ouverture du marché : l'éligibilité des ménages en 2007. Un rapport doit être déposé en 2006, comme cela avait décidé au sommet de Barcelone. Mais en tout état de cause, le Gouvernement français devra tirer toutes les conséquences de ce qui se sera passé d'ici là, pour les personnes morales, c'est-à-dire les entreprises et les collectivités, quant à l'ouverture du capital... (Sourires.)

M. Jacques Desallangre. Lapsus révélateur !

M. François-Michel Gonnot. ...quant à l'ouverture à la concurrence, avant d'accomplir cette dernière étape.

Nous sommes là pour construire l'avenir, monsieur Desallangre !

L'UMP sera, dans les mois qui viennent, à la disposition du Gouvernement pour l'aider, notamment auprès des salariés et des entreprises, dans toutes les décisions qui devront être prises pour finaliser le changement de statut. Nous sommes conscients, sur tous les bancs, de la lourde responsabilité qui pèse sur nous. Après soixante années de succès, nous devons moderniser EDF et GDF, pour que dans les soixante années qui viennent, elles puissent continuer à assurer le service public, ce qui est leur mission, et pour que les Français soient aussi fiers de ce qui a été fait que de ce qui sera fait dans un marché ouvert à la concurrence, le marché européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué à l'industrie, je ne vous ferai pas l'affront après les résultats du scrutin de dimanche, de vous interpréter ce magnifique refrain « L'important c'est la rose »... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'était pourtant assez tentant, car son interprète était surnommé « Monsieur 100 000 volts » ! Souvenez-vous, il avait du talent et portait une cravate à pois.

Aujourd'hui, nous sommes dotés d'un « Monsieur 100 % » qui n'est certes dépourvu ni de talent ni d'élégance, j'en conviens, mais qui affectionne plus le boniment que le chant ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

« Si je ne touche pas à votre statut - du personnel - vous accepterez le changement de statut - de l'entreprise. »

« Si je vous fais le coup de la privatisation en plusieurs épisodes - 100 % public pour s'habituer en douceur au statut privé, puis 70 %, un an plus tard, le goutte à goutte plutôt que le remède de cheval - vous pourrez apprécier la progressivité de ma bonne foi. »

« Si je vous dis que je suis prêt à rouvrir le dossier de la fusion entre GDF et EDF, et que de surcroît, je rebaptise RTE en EDF Transport, vous reconnaîtrez que je pratique la « câlinothérapie. »

« Si je mets 500 millions d'euros sur la table, sans expliquer aux Français qu'en réalité les prix de l'énergie vont considérablement augmenter après la privatisation, vous ne pourrez pas me reprocher de ne pas savoir brouiller le jeu. »

« Si je propose 15 % d'actions au personnel, même si ce n'est pas pour tout de suite, c'est tout de même une formule qui leur donne un nouveau droit : celui de payer pour travailler. »

Vous allez me dire, monsieur le ministre d'État, que j'exagère.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais non, vous pouvez faire bien pire !

M. François-Michel Gonnot. Chansonnier !

M. François Brottes. Chacun aura bien compris que toute ressemblance avec une personnalité en exercice n'est que pure coïncidence.

Je suis prêt à admettre avec vous que le sujet est trop grave pour le traiter avec une telle légèreté.

M. Hervé Novelli. En effet !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Faute avouée est à moitié pardonnée !

M. François Brottes. La première étape vers la privatisation d'EDF et de GDF a pour conséquence :

De dessaisir les Français d'un élément structurant de leur patrimoine collectif ;

De rompre le pacte républicain fondé par le Conseil national de la Résistance ;

De fragiliser un dispositif sécurisé, avec des équipes parfaitement formées, qui remplit aujourd'hui, avec compétence et constance, ses missions de service public, parce qu'il n'est pas sous la pression d'enjeux spéculatifs à court terme.

Et s'il est vrai, chers collègues, que la tentation a existé ou existe encore dans nos rangs d'ouvrir le capital... (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Dionis du Séjour. Quel aveu ! Faute avouée est à moitié pardonnée ! (Sourires.)

M. François Brottes. ...notre analyse de la situation mondiale, le résultat de certaines expériences, pas forcément glorieuses, ajoutés aux caractéristiques très particulières du secteur de l'énergie et aux enjeux pour la planète, nous conduisent à avoir une position très claire : nous sommes opposés au changement de statut...

M. André Gerin. Très bien.

M. Hervé Novelli. Cela ne m'étonne pas ! Archaïque !

M. François Brottes. ...car il s'agit en fait de mettre progressivement un terme à la péréquation des tarifs, puisque la privatisation conjuguée à l'ouverture à la concurrence, signifie que seuls les clients très rentables seront servis correctement. Si Thomas Edison déclarait lorsqu'il a inventé la lampe à incandescence que celle-ci allait « rendre l'électricité si bon marché que seuls les riches pourraient se payer le luxe d'utiliser les bougies », il y a fort à parier que l'une des conséquences de votre projet de loi sera d'inverser ce raisonnement. Votre flamme, monsieur le ministre, ne suffira pas à nous convaincre que vous allez faire baisser le prix de l'électricité ! Cela étant, je ne vous demande pas de prendre d'engagement sur le prix des bougies !

M. Hervé Mariton. Cela fera monter le prix des chandelles !

M. François Brottes. Pour procéder à ce changement de statut, qui relève d'une position dogmatique, vous aviez besoin d'une bonne raison, d'un alibi et d'un prétexte.

La bonne raison est politique : il faut donner à votre camp un gage de courage, en montrant que vous savez imposer les réformes les plus libérales aux forteresses publiques les plus imprenables.

L'alibi est européen : le coupable serait le sommet de Barcelone, qui aurait décidé en 1996 de l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence pour les professionnels, et vous laissez entendre que c'est la raison pour laquelle vous étiez dans l'obligation de changer les statuts d'EDF et de GDF.

M. André Gerin. Il y a du vrai !

M. François Brottes. Mais c'est un alibi en carton-pâte ! En effet, le commissaire européen Monti vient de rappeler que le choix du statut des entreprises appartenait aux États. Il s'agit donc d'un choix politique. Et le sommet de Barcelone, sous la pression de Lionel Jospin, avait parallèlement fait obligation à la Commission « de consolider et de préciser, dans une proposition de directive cadre, les principes relatifs aux services d'intérêt économique général, autrement dit de nos services publics ».

Non seulement votre gouvernement n'a pas relayé cette obligation, mais, en outre, Mme Fontaine a accepté avec zèle et enthousiasme, le 4 octobre 2002, l'ouverture à la concurrence pour les ménages. Car, monsieur Gonnot, c'est fait. Le Gouvernement a déjà pris position clairement, inutile de nous renvoyer à une date ultérieure.

Le prétexte, enfin, est le problème du fameux principe de spécialité, qui, parce qu'il enfermerait EDF, notamment, dans un costume trop « étriqué » serait préjudiciable au développement de l'entreprise dans un environnement plus concurrentiel. Je conviens qu'il ne s'agit pas d'un faux problème.

Nous souhaitons, nous aussi, que l'entreprise nationale puisse conforter ses atouts et se développer dans les meilleures conditions. Pour autant, nous considérons que la loi de 2000, ciselée par notre collègue Bataille, a déjà assoupli l'application du principe de spécialité pour les clients éligibles, et rien ne nous empêche de l'assouplir encore si nécessaire. Je constate que le Gouvernement n'a pas étudié cette hypothèse, tant il tenait à régler son compte au statut public de l'entreprise.

J'ajoute que sur la question du principe de spécialité, il peut être utile de conserver pour partie ce principe au regard de la Commission européenne, car il est garant de la spécificité d'EDF par rapport à ses concurrents, et surtout gage de non-contestation par l'Europe de sa situation d'entreprise intégrée, vitale pour le pays, car elle gère la totalité du processus, de la production à la distribution.

Tels sont vos arguments pour enclencher la privatisation par le biais du changement de statut.

Je pense, contrairement à vous, que c'est justement parce qu'il y a ouverture à la concurrence, que nous avons le devoir, dans l'intérêt du pays et des Français, de conserver et de conforter un puissant pôle public de l'énergie.

Il faut garantir la sécurité des installations nucléaires et hydrauliques et sécuriser la production d'énergie et les approvisionnements. Nous ne devons pas être otages d'un marché qui s'emballe ou qui raréfie l'offre pour faire monter les prix.

En Californie, l'État a dû se substituer au distributeur insolvable et acheter de l'électricité aux producteurs au double des prix pratiqués avant la libéralisation ! Il faut veiller à l'équilibre permanent entre les électrons qui entrent sur le réseau, et ceux qui sont consommés en sortie. C'est une question d'intérêt général pour l'industrie comme pour les particuliers.

Il faut maîtriser la péréquation des tarifs, la qualité de desserte de l'ensemble du territoire et l'accès de tous à ce bien de première nécessité.

Enfin, il faut conserver un outil puissant pour engager notre pays dans de vraies filières complémentaires et structurées en matière d'énergies renouvelables.

Quels reproches faire à une entreprise qui a réussi à pratiquer des tarifs parmi les plus bas du monde, qui a toujours eu l'exigence du meilleur niveau technologique, qui a nourri le budget de l'État, sous tous les gouvernements, sans états d'âme puisque cette entreprise est celle de tous les Français ? Que vont gagner les usagers et le personnel dans ce changement radical de statut ?

Monsieur le ministre, beaucoup de Français se posent ces questions. Ils ont compris que cette décision n'était pas imposée par Bruxelles, ni par les concurrents de nos entreprises. Ils ont compris que les clients n'allaient rien y gagner et que les personnels en avaient perçu tous les dangers.

M. André Gerin. Très bien.

M. François Brottes. Nous sommes, par expérience acquise certes, convaincus que l'ouverture du capital, lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui assume une mission de service public aussi forte, induit forcément une modification fondamentale du mode de gestion. Ce qui compte désormais, c'est le profit à court terme, le montant de l'action au jour le jour, le marché et la côte d'amour des experts financiers.

Dans ces circonstances, quel que soit le pourcentage d'intérêts privés en jeu, on a tendance, j'allais dire presque naturellement, à faire l'impasse sur ce qui n'est pas rentable immédiatement : la recherche, la formation des femmes et des hommes, la maintenance lourde des installations.

M. André Gerin. Tout à fait !

M. François Brottes. Monsieur le ministre, nous faisons ici la loi pour tous, dans la durée. Nous ne faisons pas de « coups ». Nous avons la responsabilité des valeurs de notre pays, qui ont su rassembler aux lendemains de périodes noires de notre histoire.

Je vous le demande solennellement, renoncez à vous engager sur le chemin de la privatisation. Personne ne vous reprochera d'avoir changé d'avis en toute lucidité. Nous débattons au Parlement au nom du peuple, c'est notre honneur collectif. C'est du débat que doit jaillir la lumière, quoi qu'aient pu en dire certaines publicités qui anticipaient l'issue de nos délibérations...

Monsieur le ministre, oubliez un instant la doctrine. C'est parfois comme cela qu'on entre dans l'Histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la position du groupe UDF sur le projet de loi relatif au changement de statut d'EDF-GDF s'inspire de deux principes : le principe d'efficacité économique et celui de justice sociale.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. L'UDF va voter pour !

M. Charles de Courson. Au nom du principe d'efficacité économique, nous pensons que le statut d'établissement public doit être abandonné au profit d'un statut de société anonyme. Nous sommes favorables à l'ouverture et à la mise sur le marché d'une partie du capital d'EDF-GDF.

En revanche, en vertu du principe de justice sociale, le groupe UDF tient à ce que l'égalité entre les Français soit rétablie, au terme d'une génération, quant au régime des retraites et plus largement, en matière de protection sociale, dans le respect des avantages acquis.

En effet, le régime de protection sociale des électriciens et gaziers est, avec celui de la Banque de France, le plus avantageux de tous les régimes, mais aussi le plus coûteux. Le taux des cotisations patronales toutes branches confondues - vieillesse, maladie, accident du travail, prestations familiales et 1 % aux œuvres sociales - atteint 105 % de la masse salariale brute ! Le surcoût du régime des IEG est d'environ 60 % de la masse salariale brute par rapport à celui du privé, soit un peu plus de 6 % du chiffre d'affaires de l'entreprise. Ce sont donc les usagers dans les tarifs qui assument ce surcoût et le peuple tout entier sous la forme de moindres dividendes.

De surcroît, les coûts de gestion de ce régime sont anormalement élevés, comme l'a fort bien démontré un rapport de la Cour des comptes de 1989.

Il faut impérativement, comme le propose le Gouvernement, hélas de manière incomplète, procéder à une clarification du régime de retraites des salariés d'EDF-GDF. Il est en nécessaire de clarifier ce qui relève du régime général, des régimes complémentaires et du régime chapeau. Jusqu'à présent, la couverture sociale en matière de vieillesse, d'invalidité et de décès relevait d'un système de « propre assureur » pour l'ensemble de la branche des IEG, avec des prestations communes mais avec un niveau et un mode financement très favorables aux salariés. En effet, les employeurs s'acquittent d'une cotisation égale à 63,3 % de la masse salariale brute, et les agents d'une cotisation de 7,85 %, c'est-à-dire le taux des pensions sur lequel sont alignés tous les systèmes publics. Au total les salariés ne financent que 11 % de cette branche « vieillesse », soit l'une des parts les plus faibles de tous les régimes de retraite, alors qu'il est l'un des plus généreux.

Le Gouvernement propose de distinguer ce qui relève du régime général, du régime complémentaire et du régime chapeau, qui n'est autre que la différence entre le régime de base et le régime complémentaire. Si le groupe UDF est favorable à cette initiative qui va dans la bonne direction, il n'est pas d'accord avec le dispositif d'adossement prévu à l'article 17 du projet de loi. Cet article donne à la caisse nationale des IEG la capacité juridique de conclure des conventions avec la CNAVTS et l'ACOSS, ainsi qu'avec l'AGIRC et l'ARRCO, afin d'organiser l'adossement financier avec ces régimes de droit commun. Mais nulle part ne sont envisagées les conséquences d'un éventuel refus des conseils d'administration de ces organismes de signer ces conventions, lequel empêcherait d'appliquer l'article 17.

Le plus grave est que les IEG devraient verser une soulte au régime général et aux deux régimes complémentaires, dont nul n'a pu nous dire précisément le montant, mais qui pourrait atteindre 12 milliards d'euros pour l'ensemble de la branche, dont un peu plus de 9 milliards pour EDF et 1,7 à 2 milliards pour Gaz de France. Or, nul n'ignore qu'EDF n'a que 19 milliards d'euros de capitaux propres. Comment EDF pourrait-il verser une soulte d'environ 9 milliards, réduisant ainsi à 10 milliards ces capitaux propres, alors que, comme l'ont rappelé plusieurs de nos collègues, sa dette avoisine les 29 milliards ? Si le régime n'était pas artificiellement divisé en trois, la provision à passer dans les comptes serait de 41 milliards, voire, selon les déclarations de M. Roussely devant la commission des finances de l'Assemblée, de 60 milliards. En l'occurrence, les capitaux propres seraient négatifs. Ceux qui prônent le statu quo sont donc favorables au dépôt de bilan d'EDF qui, après passation de cette provision, aurait un actif net négatif de 20 à 40 milliards d'euros et ne trouverait plus un seul banquier disposé à lui apporter son concours pour poursuivre ses investissements.

L'UDF a sur ce point une position différente de celle du Gouvernement. Elle propose d'aller jusqu'au bout en prévoyant un dispositif simple : le CNVTS pour les prestations relevant du régime général, l'AGIRC et l'ARRCO pour celles relevant du régime complémentaire et le régime chapeau pour les prestations additionnelles, lesquelles ne seraient maintenues qu'aux personnels actifs et retraités à la date de promulgation de la loi. Cette évolution est inéluctable. Elle ne concerne pas seulement EDF, GDF ou les IEG, mais tous les régimes spéciaux. Je vous rappelle que la loi Fillon a réformé les retraites pour les agents des trois fonctions publiques, les salariés du privé et les travailleurs indépendants et que seuls les régimes spéciaux - Banque de France, IEG, RATP, etc - qui représentent 5 % de la population active française, n'ont pas été touchés. Chacun comprendra qu'ils ne pourront être éternellement maintenus.

Comme il l'a indiqué à l'occasion de la réforme des retraites, le groupe UDF considère qu'une clarification s'imposerait dans les autres branches du régime des IEG, notamment la branche maladie. Les électriciens et les gaziers bénéficient de quatre niveaux superposés de prestations. Outre celles du régime général, ils perçoivent, cas unique, des prestations complémentaires gérées par les CMCAS et la CCASS, régime financé à parité par les employeurs et les salariés mais géré exclusivement par ces derniers, des prestations supplémentaires financées par le produit du 1 %, et qui représentent près du quart de ce dernier et, enfin, dans le cas des caisses les plus riches, des prestations « sur-sup », c'est-à-dire supplémentaires aux prestations supplémentaires. Il serait logique que les électriciens et les gaziers relèvent du régime de droit commun pour les prestations en espèces du régime général et que leurs régimes de prestations complémentaires relèvent de la caisse que nous allons créer en votant ce texte. L'UDF a proposé un amendement en ce sens, tendant à rendre plus lisible le dispositif.

La même clarification serait nécessaire pour les régimes accidents du travail et prestations familiales des IEG, plus favorables que le régime général. Elle consisterait à faire payer les prestations par le régime général le différentiel, correspondant au régime chapeau, étant de la responsabilité de la caisse du régime national des industries électriques et gazières. Vous le savez, les électriciens et les gaziers bénéficient de prestations familiales identiques à celle de tous les salariés et non-salariés, mais assorties de prestations spécifiques. Nous considérons, et nous avons déposé un amendement dans ce sens, que toutes les prestations supplémentaires versées par les entreprises doivent être placées dans la caisse nationale des IEG, avec une cotisation patronale les finançant. Ainsi l'architecture serait claire : le régime de base, le régime complémentaire là où il est obligatoire, c'est-à-dire pour la vieillesse et la maladie, et tous les régimes chapeaux à la caisse nationale des IEG. Ceux-ci seraient ainsi voués à s'éteindre en une génération, ce qui permettrait de rétablir l'égalité entre tous les Français. Cette réforme ne serait pas spécifique aux IEG. Elle s'appliquerait progressivement à tous les régimes spéciaux, qui profitent à 5 % des salariés.

Le groupe UDF approuve le projet de loi, mais considère que le Gouvernement n'est pas allé assez loin en matière de clarification des régimes, quitte à différer une mise en extinction en signifiant qu'elle est inéluctable. La position du groupe UDF est originale, courageuse, équilibrée. Si nous sommes naturellement respectueux des droits acquis, c'est-à-dire du maintien du régime pour ceux qui en bénéficient,...

M. Daniel Paul. Ah ! tout de même.

M. Charles de Courson. ...nous sommes aussi très attachés à l'égalité entre tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre. Monsieur le ministre d' Etat, dans la présentation de ce projet, vous faites preuve de constance idéologique, même si, dans vos propres rangs, certains vous trouvent trop timide, comme M. de Courson, qui juge trop élevés les salaires des électriciens et gaziers...

M. Charles de Courson. Je n'ai jamais dit cela.

M. Jacques Desallangre. ...quand les « golden hello » et « golden parachutes » le troublent beaucoup moins. Face à votre constance idéologique, vous pourrez compter sur notre détermination à défendre le service public et l'indépendance énergétique de notre pays.

Pour ma part, en 1999, je refusais déjà de voter la transposition de la directive « électricité », mettant en garde le précédent gouvernement contre les risques de libéralisation totale du marché de l'énergie et de privatisation de deux fleurons de l'industrie française. Je soulignais déjà que l'ouverture du capital, la séparation d'EDF et de GDF étaient sans rapport avec les exigences du droit communautaire.

Mais c'est bien un gouvernement de droite qui fut, en 1996, à l'origine du processus d'ouverture du marché électrique à la concurrence. Et c'est bien votre gouvernement qui entame le processus de privatisation d'EDF-GDF. Nous ne nous satisferons pas de vos manœuvres concernant la part que conservera l'État dans le capital d'EDF-GDF. Vous disiez 50 % hier, vous dites aujourd'hui 70 %. Qu'en sera-t-il demain ? Monsieur le ministre, personne n'est dupe. La détention du capital par l'État peut fluctuer facilement. Il vous suffira prochainement - pas demain mais après-demain - de faire voter le soir en catimini dans un DDOEF un article faisant passer cette participation l'État sous la barre des 50 %, et le tour sera joué.

Vous affirmez que cette privatisation permettra de recapitaliser les entreprises. Soit, mais pour quoi faire ? Si c'est pour mener une course effrénée à la taille et faire des investissements aussi hasardeux que ceux de France Télécom dont la dette a explosé, je ne suis pas certain que cela renforce le service public ni la future entreprise. EDF elle-même s'est déjà assez fourvoyée à l'étranger depuis que sa direction a anticipé la privatisation.

Par ailleurs, la croissance interne ou externe peut être financée par des prêts car la stabilité et la pérennité de la structure d'EDF sont rassurantes pour les marchés financiers et les banques. EDF, dont l'actionnariat n'est ni volatil, ni spéculatif, ni déraisonnable, dégage entre sept et huit milliards d'euros de cash-flow chaque année.

Enfin, les fonds nécessaires au développement peuvent également provenir du réinvestissement des bénéfices. Plutôt que de multiplier les ponctions sur la « vache à lait » EDF, le Gouvernement et le ministre des finances pourraient décider que ces millions seront réinvestis dans l'appareil productif au lieu de sombrer dans le ventre mou du ministère des finances pour honorer des promesses inconsidérées. Certes, vous l'avez fait cette année pour vous donner un bon argument. C'est, hélas, trop exceptionnel pour être significatif.

Monsieur le ministre, l'essentiel pour nous est de maintenir et de pérenniser la forme juridique de l'établissement public, la seule qui permette de promouvoir le service public. Nous avons déjà démontré, en soutenant l'exception d'irrecevabilité, que ce statut public respectait le mieux notre constitution et son préambule de 1946. Même dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel ne sanctionnerait pas votre texte, les juridictions européennes ne manqueraient pas de le faire, car dès lors qu'EDF et GDF deviennent des opérateurs de droit privé, vous supprimez le dernier rempart contre les appétits des opérateurs privés et leur volonté d'assurer le service public. En effet, le droit commun de la concurrence exige que les missions de service public fassent l'objet d'appels d'offres. Ne soyons pas hypocrites : qu'est-ce qui empêchera demain un opérateur privé de prétendre exercer de telles missions ? L'expérience a montré, notamment en matière de télécommunications, que malgré l'institution de règles dérogatoires, les évolutions juridiques tendent ensuite à les rapprocher du droit commun.

Ayant créé deux nouvelles personnes morales de droit privé, vous vous sentez obligés de leur attribuer par la loi les missions de service public afin de déroger aux règles classiques du droit privé. Vous créez à l'article 1er ce contrat juridique entre personnes de droit public et de droit privé dont les cocontractants sont prédéterminés par la loi, car vous savez bien que votre démarche est juridiquement bancale.

Enfin, j'attirerai l'attention de mes collègues sur la logique de mise en concurrence frontale d'EDF et GDF, appelées toutes deux à vendre du gaz et de l'électricité et à investir lourdement, et j'ajoute inutilement, dans le métier que l'autre maîtrise déjà.

Dans une situation financière certes satisfaisante, mais affaiblie du fait du caractère désastreux de sa politique de croissance externe, EDF n'a pas les moyens - des milliards d'euros - de développer le métier du gaz. Or, cette maîtrise est pourtant indispensable compte tenu de la convergence gaz-électricité qui domine aujourd'hui l'offre et la demande en Europe.

Quant à Gaz de France, incapable d'atteindre la taille critique dans l'électricité, transformée en simple entreprise de commercialisation et de négoce dès lors qu'elle aura perdu la maîtrise du transport et de la distribution, elle a vocation à être absorbée par un groupe électro-gazier - Suez - ou pétro-gazier - Total.

A vouloir à tout prix deux champions nationaux se concurrençant sur le marché du gaz et de l'électricité, on prend le risque de ne plus en avoir aucun. Pourtant, il y a eu Eon-Ruhrgas en Allemagne et l'on parle de la fusion de Hyberdrola et Endesa en Espagne. Nous avions cinquante ans d'avance dans le rapprochement entre gaz et électricité et nous allons rater l'occasion de construire un groupe électro-gazier de dimension mondiale quand tout le monde se rallie à ce modèle. Malgré vos promesses, demain il sera trop tard. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe socialise.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli.

M. Hervé Novelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi concernant EDF et GDF est fondamental, comme le fut le changement de statut de la régie nationale des usines Renault dans les années 80.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Par la gauche !

M. Hervé Novelli. Qui s'en souvient aujourd'hui ? Que n'avait-on entendu à l'époque ? Oui, j'en suis convaincu, ce projet constitue un texte fondamental pour l'avenir de l'approvisionnement énergétique dans notre pays, indispensable pour lui donner un nouvel élan.

Disons d'emblée, avant d'aborder le fond, que ce texte possède un premier mérite, celui de mettre à jour le comportement de l'ancienne majorité et de ses responsables politiques.

L'ancienne majorité nous avait habitués dans ce domaine à l'immobilisme ou à l'hypocrisie. Rappelez vous, mes chers collègues, que dès 1996 les directives européennes, transposées dès 2000 dans la loi française, impliquaient l'ouverture progressive à la concurrence dans le secteur énergétique. Plus encore, sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2002 à Barcelone, cette ouverture avait été fixée au 1er juillet 2004 - nous y sommes - pour 70 % du marché de l'électricité et du gaz.

L'ancienne majorité a-t-elle donc pratiqué la politique de l'autruche, qui consiste à laisser passer les textes à Bruxelles et à enfouir sa tête à Paris, sans tirer les conséquences dans la loi française des directives européennes ? Ou était-elle frappé de schizophrénie politique, favorable à la concurrence à Bruxelles et défavorable à Paris ? Je vous laisse le soin de choisir.

M. François Brottes. Il faut écouter ce qu'on vous explique !

M. Hervé Novelli. Pourtant, l'heure de vérité est proche puisque, à compter du 1er juillet 2004, je le répète, EDF sera concurrencée sur 70 % de son marché. Voilà la réalité ! Imaginons un instant que rien ne bouge et observons le paysage !

Première conséquence : recul automatique des parts de marché détenues par EDF et GDF à l'intérieur de notre pays. Comment imaginer, en effet, que par un simple coup de baguette magique aucun des clients actuels ne choisisse un autre fournisseur ?

Deuxième conséquence : à l'extérieur, la situation de nos deux entreprises sera rendue encore plus difficile. Il faudra envisager un conflit avec la Commission européenne qui veut priver EDF et GDF, et qui aura raison de le faire, de la garantie de l'Etat français, car cette garantie, génératrice de taux d'intérêt plus bas, apparaîtra comme une distorsion de concurrence.

De plus, si rien ne bouge, un blocage de l'expansion internationale d'EDF sera incontournable. Je vous rappelle l'exemple italien très probant, l'exemple espagnol moins connu, mais tout aussi probant, et plus loin encore dans le temps, les déconvenues d'EDF dans une expansion internationale bridée par le statut de l'entreprise.

J'ai eu l'occasion, comme rapporteur spécial de la commission des finances pour le budget de l'industrie, de me pencher sur l'expansion internationale d'EDF. Je peux témoigner combien ses déconvenues à l'international doivent à son statut d'entité différente, mal identifiée à l'étranger, celui d'EPIC - établissement public industriel et commercial -, qui l'oblige souvent à masquer sa participation dans le capital d'entreprises étrangères, par exemple au Brésil ou en Argentine.

J'indiquerai rapidement les raisons pour lesquelles nous ne pouvons rester immobiles. J'en citerai au moins six.

La première c'est que, dans un univers concurrentiel, il faut faire d'EDF une entreprise comme les autres (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), c'est-à-dire une société anonyme. (« Voilà ! » sur les mêmes bancs.)

Parallèlement, il faut aussi, pour lui donner toutes ses chances, abandonner le principe de spécialité qui l'a bridée et empêchée de diversifier son offre.

M. Daniel Paul. La totale !

M. André Gerin. Cela ne tient pas la route ! C'est un argument bidon !

M. Hervé Novelli. II faut aussi donner à EDF les moyens de financement dont elle a besoin . Cela passe par une augmentation de capital, donc un changement de statut.

Alors, et c'est la quatrième raison, nous pourrons relancer la stratégie internationale d'EDF. A titre d'exemple, l'Italie perdra, j'en suis sûr, son principal argument pour refuser que les droits de vote dans Montedison soient équivalents au capital détenu.

M. Daniel Paul. C'est une priorité pour EDF ?

M. Hervé Novelli. Par ailleurs, la pérennité du régime de retraites ne pourra être assurée qu'en le provisionnant dans un vrai bilan d'une vraie entreprise soumise aux normes comptables internationales.

Enfin, sixième raison, peut-être la plus évidente, dans un monde en pleine mutation, il nous faut adapter nos entreprises. Je reviens d'un voyage en Chine avec François Loos, notre ministre du commerce extérieur. La libéralisation du marché chinois est une chance pour EDF. A coup sûr , les communistes chinois sont beaucoup plus empreints du principe de réalité, j'allais dire - pardonnez- moi ! - beaucoup plus libéraux en économie que les socialistes français et leurs alliés communistes. Ne pouvant malheureusement pas échanger les uns contre les autres, je me contenterai, messieurs les ministres, de vous soutenir dans une démarche qui sauvera, j'en suis convaincu, ces deux belles entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier.

Mme Nathalie Gautier. Pénurie d'énergie, augmentation continue des tarifs pour les ménages, suppression d'emplois, dégradation de la sûreté et de la sécurité, retard dans les nouveaux investissements dans le nucléaire et dans les énergies renouvelables, tel est le résultat calamiteux des politiques libérales conduites aux Etats-Unis et en Angleterre !

En Europe, 210 000 emplois ont été détruits entre 1990 et 2000 par la déréglementation du secteur de l'énergie. Et si cette logique continue, ce sont 250 000 emplois qui pourraient disparaître dans les dix prochaines années. EDF et GDF ont déjà supprimé 8 000 emplois en trois ans.

Mais vous ne voulez pas tirer les leçons de l'expérience. L'un des premiers actes européens de votre gouvernement, le 25 novembre 2002, a été de proposer de supprimer totalement le monopole d'EDF, ce que nous avions toujours refusé. Comment oublier si vite que la création d'EDF-GDF comme entreprise publique en 1946 résulta de la volonté de mettre fin aux trop nombreuses années de crise et de faillite des « trusts électriques » de l'époque - concentration, coûts élevés, abus de position dominante en matière de tarifs, sous-équipement en moyens de production et de transport, incapacité à conduire les programmes hydro-électriques ambitieux, restriction de l'offre ?

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui est inacceptable et inquiétant pour le développement économique et solidaire de notre pays. Nous ne pouvons admettre que le service public disparaisse pour être remplacé par un simple contrat entre l'État et les fournisseurs d'énergie. L'électricité est un bien trop précieux pour le mettre au même niveau que les autres biens de consommation. L'égalité d'accès à l'énergie, l'indépendance énergétique et la sécurité des installations nucléaires ne peuvent se vendre en Bourse. La production, le transport et la distribution de l'électricité ne peuvent et ne doivent relever que de l'intérêt général. Demain encore plus qu'aujourd'hui, nous devrons répondre au défi de l'égal accès de tous à l'électricité, au gaz et aux énergies renouvelables. Nous ne pouvons laisser la rentabilité à court terme et les actionnaires régner en maîtres absolus.

La loi de modernisation du service public de l'électricité de février 2000 a réaffirmé la protection des clients les plus démunis et renforcé les valeurs fondatrices du service public telles que l'obligation de desserte, la péréquation tarifaire nationale, l'égalité de traitement, la continuité de service, la sécurité de l'approvisionnement.

Non seulement vous ne tirez pas les enseignements du passé et vous ne tenez pas compte des déboires récents des pays voisins, mais vous tentez de faire endosser à l'Europe la politique ultra-libérale que vous voulez mener. Les directives européennes sur la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz n'imposent pas le changement de statut des groupes industriels qui appartiennent à la nation. La Commission européenne n'a jamais demandé la privatisation d'EDF, comme l'a rappelé M. Monti dans ses différentes communications. Rien dans les traités n'impose une telle orientation politique.

Ouvrir à la concurrence pour faire baisser les prix et améliorer la qualité de service, voilà votre credo. Voilà ce qui, à vos yeux, justifie le changement de statut, alors même que cette affirmation est démentie par les faits que confirment les déclarations des acteurs économiques de ce secteur. Le président de Gaz de France déclarait ainsi, dans un colloque de décembre 2003 du club Énergie et Développement, s'agissant des conséquences de cette ouverture du marché de l'énergie : « Dans tous les cas, une baisse des prix à court terme semble très improbable. »

Quant à la mise en œuvre d'une concurrence « vertueuse », selon vos déclarations, on peut en douter. En effet, l'Union française de l'électricité s'alarme, dans sa note de conjoncture de juin 2004, des conséquences négatives de l'ouverture à la concurrence : « Pour le moment, la libéralisation n'a pas entraîné les baisses de prix escomptées. Au contraire, les grands consommateurs industriels ont enregistré une hausse de 50 % du prix de l'électricité et doivent faire face à une extrême variabilité des prix. »

Et que dire de l'UNIDEM, qui dénonce le fonctionnement actuel du marché de gros de l'électricité, où il n'y a aucune concurrence et aucune possibilité de négociation sur les prix ! Dans cette nouvelle règle du jeu, face à un marché ouvert, à la volatilité des prix, ce sont ces industriels gros consommateurs d'électricité qui plaident aujourd'hui pour un marché régulé, pour des contrats à long terme, pour des négociations plus équilibrées, face à un système d'entente entre un petit nombre d'opérateurs du secteur énergétique et gazier au niveau européen.

L'ouverture à la concurrence privilégie la rentabilité à court terme dans une optique libérale à outrance, qui néglige les investissements à long terme. Il aurait fallu réaliser un bilan complet de la déréglementation en termes d'emploi, d'impact sur le coût du kilowatt-heure, de qualité de service, d'investissement, avant de vous engager dans une privatisation hasardeuse dont les conséquences sur notre développement industriel risquent d'être désastreuses.

Nous nous opposerons fermement à l'adoption d'un projet de loi qui vise à terme à privatiser, à mettre en Bourse, à vendre à des tiers l'entreprise publique EDF, laquelle a pour mission d'assurer durablement et à un prix compétitif la fourniture d'un bien essentiel à la vie sociale et à la compétitivité de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Masdeu-Arus.

M. Jacques Masdeu-Arus. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui saisis d'un projet de loi dont l'adoption est impérative puisque l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence, dont une nouvelle étape interviendra dès le 1er juillet 2004, l'impose. En effet, c'est par une décision prise au sommet de Barcelone en mars 2002, auquel le gouvernement de Lionel Jospin représentait la France, que la décision a été entérinée.

Les objectifs de la réforme sont donc clairs et doivent être assumés avec conviction, et surtout sans complexe. Il s'agit de permettre l'adaptation du secteur de l'électricité et du gaz français à ce nouveau contexte : 70 % du marché ouvert à la concurrence au 1er juillet 2004 et 100 % en juillet 2007. Il faut s'adapter pour garantir des services de qualité aux usagers qui sont en droit d'attendre la fourniture d'une énergie de qualité et au prix le plus compétitif ; s'adapter aussi pour garantir l'accès des tiers au réseau de transport et de distribution français. L'enjeu consiste enfin à donner à EDF et GDF les moyens de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens.

Ces moyens sont d'abord et avant tout financiers. Qui en effet va financer le développement futur d'EDF et de GDF ? Deux voies sont possibles : soit renforcer les fonds propres par une dotation de l'État, ce que vient de décider, pour la première fois depuis vingt-deux ans, M. le ministre d'État à hauteur de 500 millions d'euros, mais ce financement est très insuffisant au regard des sommes en jeu ; soit ouvrir le capital de l'entreprise aux investisseurs, ce qui assurerait une entrée d'argent beaucoup plus importante. Cette deuxième option semble d'ailleurs indispensable au vu de l'endettement d'EDF. Sur ce point, le Gouvernement ne prendra de décision que lorsqu'une commission composée de personnes qualifiées et de parlementaires aura rendu son avis sur les besoins de financement de l'entreprise. La commission des affaires économiques a proposé au Gouvernement d'ouvrir le capital d'EDF-GDF à hauteur de 30 % maximum, garantissant ainsi un seuil de 70 % à la participation de l'État.

Nous allons ouvrir la possibilité pour les agents EDF-GDF d'entrer dans le capital de leur entreprise à hauteur de 15 %, dans des conditions plus favorables que le droit commun. Le Gouvernement et la majorité font donc le choix de la participation des salariés dans le capital d'EDF-GDF.

C'est aussi de moyens structurels qu'a besoin EDF-GDF pour affronter la concurrence. On aborde ici la question du statut de ces entreprises. Le principe de spécialité, attaché au statut d'établissement public, va naturellement disparaître et elles pourront élargir leur domaine d'intervention et faire des offres multi-énergies, à l'instar de leurs concurrents. Le changement de statut doit surtout leur permettre de se mettre en conformité avec les règles du marché et de ne plus risquer les sanctions de Bruxelles, au motif d'avantages fiscaux indus.

L'ouverture du marché de l'énergie, et plus particulièrement de l'électricité, est une réalité. Elle recouvre trois activités distinctes : la production, le transport et la distribution. Concernant la production et la distribution, de nombreux acteurs privés concurrencent d'ores et déjà EDF et GDF sur le marché français. Il faut savoir qu'il existe une soixantaine de fournisseurs d'électricité et une dizaine de fournisseurs de gaz qui ont pris des parts de marché à nos deux entreprises depuis la libération du marché. Quant à la production, elle est ouverte à la concurrence à 100 % depuis 1999. S'agissant du transport, la Commission européenne exige la neutralité des gestionnaires de réseau, indépendamment des formules juridiques disparates mises en place en Europe, ce qui suppose leur indépendance par rapport aux producteurs d'électricité.

Sur ce dernier point, je me réjouis que la commission des affaires économiques ait adopté un amendement redonnant au ministre en charge de l'énergie le pouvoir de nomination du directeur général du gestionnaire du réseau de transport. Aujourd'hui, le gestionnaire du réseau de transport, RTE, est le seul en Europe à être encore intégré à une entreprise de production, de commercialisation et de distribution, EDF. L'application de la seconde directive européenne devrait lui donner prochainement une personnalité morale. Le projet de loi, tout en garantissant que EDF restera une entreprise intégrée, prévoit que l'activité de transport sera filialisée en restant publique à 100 %.

Enfin, EDF et GDF ont besoin de moyens humains particulièrement compétents pour remplir leurs missions, notamment celles relevant du service public. Le projet social de ces deux entreprises doit leur permettre de réussir leur entrée sur un marché intégralement ouvert à la concurrence.

La question du financement des retraites est centrale. Les électriciens et les gaziers français bénéficient d'un régime de retraite spécial qui déroge aux règles de gestion du régime général. Le financement du régime de retraite va, lui, être modifié. Une caisse spéciale sera créée, afin de soulager les deux entreprises de leur dette sociale.

Monsieur le ministre d'État, votre projet de loi qui navigue entre une nécessaire évolution et un prudent statu quo recueille évidemment mon soutien.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Birraux.

M. Claude Birraux. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, j'aborde quant à moi ce texte avec une très grande sérénité pour des raisons de logique. Quand on fait deux plus deux sur une calculatrice, on obtient quatre. Ce n'est pas la peine d'essayer de nous faire croire que le résultat peut être différent.

J'avais déjà noté, en tant que porte-parole de mon groupe lors de la discussion en 2000 du projet de loi relatif à la modernisation du service public de l'électricité, que le gouvernement d'alors et encore plus sa majorité n'avaient cessé d'essayer de dresser des lignes Maginot pour protéger EDF du marché européen. Dans les discours, on voulait toujours en faire un champion d'Europe mais, dans la pratique, on se contentait de faire le tour du Limousin ! L'ouverture du marché avait été menée à freins serrés, sans prendre en compte la dimension européenne, sans accorder au fond aucune confiance à l'entreprise et sans nourrir aucune ambition industrielle pour EDF qui a été obligée, pour se dégager des contraintes fixées par la loi, de biaiser, de créer des filiales, par exemple pour faire du trading, afin d'être à égalité avec ses concurrents.

Puis il y a eu Barcelone. Que je sache, M. Jospin y était, même si certains socialistes essaient maintenant de l'oublier. Le PS a du mal à assumer les conséquences des décisions qu'il a prises.

Certes, l'Union européenne ne demande pas un statut spécifique, comme l'écrit M. Monti. Mais le même M. Monti ne se gêne pas pour imposer une amende de 1,2 milliard d'euros à EDF pour rupture d'égalité vis-à-vis de ses concurrents à cause de la garantie illimitée de l'État. Le président Roussely nous l'a rappelé lors d'une réunion organisée par le président Ollier. Or cette garantie est le corollaire intangible du statut d'EPIC. Pour renoncer à cette garantie, il faut changer de statut, et se rallier au droit commun.

Le statut de société anonyme, au lieu de présenter des risques, offre des garanties, d'abord contre de nouvelles amendes de Bruxelles, ensuite contre la tentation, à laquelle tous vos prédécesseurs, monsieur le ministre d'État, ont succombé,...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oh oui !

M. Claude Birraux. ...de faire les poches d'EDF, pour boucler le budget de l'État. M. Fabius : 1 milliard d'euros en 2001, pour ne citer que lui. Ce sera donc une garantie pour la pérennité d'un projet industriel, l'EPR, que la majorité a eu le courage de voter. Ainsi, EDF sera prémunie contre ce qui a été fait par la majorité de gauche avec Superphénix.

M. André Gerin. Je suis d'accord !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Applaudissez !

M. Claude Birraux. Les orateurs de l'opposition réclament le débat et la concertation. Il faut tout de même rappeler que c'est un communiqué de presse et un trait de plume qui ont mis fin à Superphénix.

M. Jean-Louis Dumont. C'était un engagement électoral de Lionel Jospin qui a été respecté !

M. Claude Birraux. Cela a coûté 3 milliards d'euros à EDF.

M. André Gerin. Quel gâchis !

M. Claude Birraux. Aucune concertation avec les organisations syndicales, aucune concertation avec les populations, aucun débat au Parlement, même pas en commission ! Il y a eu une commission d'enquête dont le rapporteur était Christian Bataille. Manifestement, celui qui a rédigé le rapport n'était pas l'auteur des conclusions.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est un réquisitoire implacable !

M. Claude Birraux. Enfin, on a même tenté, au moment de la loi de 2000, de faire passer les 3 milliards d'euros dans les coûts échoués.

Mme Nicole Bricq a rédigé un rapport pour le gouvernement. Même battue par Jean-François Copé, elle doit toujours être en bonne santé physique et mentale. Que concluait-elle ? « Pour donner à GDF les moyens de son développement, il semble préférable de transformer l'établissement public en société anonyme et de réaliser une ouverture du capital, l'actionnaire majoritaire demeurant l'État. » Elle ajoutait : « Cette évolution de la structure juridique ne correspond ni à une position idéologique, ni à la nécessité de transposition de la directive, mais au principe de réalité ». Enfin, M. Fabius, dans des notes pour la Fondation Jaurès, écrivait le 6 février 2002, numéro intitulé Les Chantiers de la gauche moderne, écrivait : « Comme Gaz de France, EDF devra aussi évoluer pour conserver son remarquable dynamisme, affronter la compétition, l'État y demeurant majoritaire ».

M. Jean-Louis Dumont. Vous avez de bonnes lectures !

M. Claude Birraux. Pis, M. Strauss-Kahn, dans son livre La Flamme et la Cendre : « La part résiduelle de l'État devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil de 50 %. »

M. François Dosé. Vous avez tous les mêmes fiches !

M. François Brottes. Ce n'est pas une discussion générale, c'est un radotage général !

M. Claude Birraux. Alors, retrouvez la mémoire, mes chers collègues, et méditez cette citation des Écritures :  Ne soyez pas des conducteurs aveugles qui écrasent la mouche et le moucheron et qui avalent les chameaux et les montagnes de l'ignorance, de la peur et de la superstition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. À gauche, ils vont avoir du mal à s'en remettre !

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie n'est pas une marchandise comme les autres ; elle est un bien national, un bien citoyen, au cœur de nos économies et de nos sociétés modernes. C'est pourquoi elle doit être régie par les notions d'intérêt général, d'égal accès pour tous. Doivent donc prévaloir des tarifs bas et une péréquation entre les territoires, dont seul le service public, et en aucun cas le marché, peut être le garant.

Au-delà du statut, nous défendons le contenu qu'il incarne, à savoir le service public. Dans cette optique, l'engagement pris par M. le ministre selon lequel l'État conservera pendant un an 100 % du capital d'EDF-GDF ne peut nous satisfaire dans la mesure où le changement de statut juridique des deux entreprises d'EPIC en sociétés anonymes, est maintenu en l'état. Vous ouvrez ainsi la porte à une privatisation qui sera seulement différée.

Je sais que la France a pris des engagements au niveau européen quant à l'ouverture du marché de l'énergie. C'est d'ailleurs M. Bataille qui fut le rapporteur du projet de loi de février 2000 sur la modernisation et le développement du service public et le développement de l'électricité, lequel transposait en droit français les directives européennes. J'ai beaucoup apprécié son intervention de M. Bataille et j'ose croire que, lorsque sa formation retournera au pouvoir, elle abrogera les dispositions de cette loi pour être cohérente avec les propos que ses représentants ont tenus aujourd'hui dans cette assemblée.

Rien cependant dans le droit européen n'exige la modification du statut d'EDF. Dois-je vous rappeler les termes de l'article 295 du traité de Rome ? Dois-je vous rappeler les propos tenus par M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, dans une lettre envoyée en mai dernier aux syndicats ?

Dès lors, pourquoi modifier le statut d'EDF-GDF ? Ne serait-ce qu'un artifice par lequel, monsieur le ministre des finances, vous entendez réduire le déficit public de la France et respecter les critères de Maastricht ?

En raison du changement de statut, les dépenses de retraite à venir d'EDF seront désormais adossées au régime de retraite général, auquel EDF devra verser une compensation financière évaluée à un maximum de 16 milliards d'euros. En comptabilité européenne, une telle soulte viendrait diminuer les déficits de l'État, tel que le définit le traité de Maastricht.

Ces déficits regroupent en effet non seulement le déficit budgétaire de l'État stricto sensu, mais également celui des collectivités locales, des organismes divers, d'administration centrale et des administrations de sécurité sociale, au sein, desquelles sont comptabilisées la CNAV, l'AGIRC et l'ARRCO. Tout versement à ces organismes vient donc diminuer le déficit tel que le définit le traité de Maastricht. De tels artifices comptables doivent-ils présider à l'avenir de la France et à celui de secteurs aussi stratégiques que l'est celui de l'énergie ?

Notre opposition à la modification du statut d'EDF-GDF et à la libéralisation du marché de l'énergie n'est pas d'ordre idéologique. Votre positionnement l'est. Sinon, comment justifier la libéralisation du marché de l'énergie et de ses acteurs ? La théorie a parfois ses attraits mais les usagers et les salariés sont confrontés, quant à eux, à la pratique. Or, force est de constater qu'en matière d'énergie, les beaux préceptes libéraux sont mis à mal.

Il nous faut, en premier lieu, informer nos concitoyens sur la question du prix. La concurrence n'entraînera pas une baisse des prix mais, au contraire, leur augmentation. Les gros industriels, éligibles depuis quatre ans à la libéralisation du marché de l'énergie, vous le diront mieux que moi : ils ont subi une augmentation de 40 % en moyenne de leur facture totale - pas moins de 120 millions d'euros supplémentaires pour la seule SNCF en 2004 !

Une telle hausse des prix menace la compétitivité des entreprises, une compétitivité qui, d'ordinaire, vous tient à cœur, monsieur le ministre d'État. Lorsqu'elle sera étendue à tous, l'égal accès pour tous à l'énergie et la péréquation seront menacés.

S'agissant de la sécurité en matière d'approvisionnement, dans un contexte de confrontation entre l'offre et la demande, l'offre ira vers le plus offrant, ce qui pourrait se traduire - ou se traduira, si je me réfère à ce qui s'est effectivement passé dans les pays qui ont déjà fait le choix de la libéralisation - par des coupures de courant pour les particuliers, notamment les plus modestes. C'est ainsi que des quartiers entiers furent privés d'électricité en Espagne et en Californie, au seul profit des entreprises.

À la question de la sécurité des approvisionnements s'ajoute celle de la sûreté des installations. Le marché boursier, inscrit dans une logique de rentabilité à court terme, serait-il le plus à même d'assurer des investissements sur le long terme ?

La réponse est non. Tony Blair vous le dirait mieux que moi, lui qui envisage de renationaliser les centrales nucléaires pour leur démantèlement et leur maintenance lourde, tout en laissant évidemment au privé le soin d'engranger les profits sur les kilowatts-heure vendus.

Enfin, chacun peut se féliciter du dévouement dont ont fait preuve les salariés de ces deux entreprises, lors des derniers grands événements climatiques - notamment lors de la tempête de 1999. Ils mériteraient - je pense - d'être écoutés et d'être traités avec plus de considération lorsqu'il s'agit de modifier leur statut.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons radicalement à votre réforme qui est, par essence, réactionnaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Roumegoux.

M. Michel Roumegoux. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, au 1er juillet 2004, le marché de l'énergie sera ouvert à la concurrence à hauteur de 70 %, conformément aux engagements pris par la France en février 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin soutenu par le Parti communiste - je me plais à le rappeler. C'est la fin du monopole sur le marché de l'énergie en France, mais c'est surtout le début d'une nouvelle étape pour EDF-GDF : l'ouverture de la concurrence conduit nécessairement à lui donner les moyens juridiques et financiers de l'affronter. Mais quel sera son avenir européen et mondial ?

Je ne reviens pas sur les détails du texte mais, je l'observe avec une grande satisfaction, seul son statut sera modifié. D'un établissement public à caractère industriel et commercial, EDF-GDF deviendra une société anonyme détenue par l'État qui conservera au moins 70 % de son capital : EDF-GDF ne sera donc pas privatisée, je tiens à le rappeler.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien.

M. Michel Roumegoux. L'État en gardera le contrôle, ce qui est normal, ne serait-ce que parce que, sur le plan stratégique, EDF assure le nucléaire français. Or, le nucléaire représente peut-être la seule chance pour notre planète d'échapper à l'effet de serre, pour peu que l'on arrive à en convaincre les grands consommateurs d'énergie - je pense notamment aux États-Unis.

Le statut des agents sera scrupuleusement préservé. Je souhaite que la politique volontariste du Gouvernement permette un jour à tous les salariés du secteur public et du secteur privé de ce pays d'accéder aux avantages économiques et sociaux des salariés d'EDF-GDF. Charles de Courson a vanté le régime généreux et coûteux que permettent à la fois la technologie nucléaire et les libertés financières dont a bénéficié jusqu'à présent cette entreprise et sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Par ces évolutions, le projet de loi réaffirme ce qui, selon moi, est impératif, à savoir la place primordiale que doit occuper le service public de l'électricité et du gaz. Le texte garantit le service public et la péréquation tarifaire, qui est essentielle pour les ménages.

Il transforme du même coup les dispositions des directives européennes relatives à l'organisation des entreprises intégrées EDF-GDF, qui prévoit des filiales pour le transport. Soucieux de démontrer que notre position n'était pas idéologique, mais bien pragmatique, je ne vous le cache pas, j'ai envisagé de déposer des amendements visant à faire de RTE un EPIC et non la filiale d'une nouvelle société EDF, détenue par l'État, à l'instar des rapports qu'entretiennent RFF et la SNCF - infrastructure d'un côté, utilisateur de l'autre.

M. Alain Néri. Tiens donc !

M. Michel Roumegoux. De nombreuses consultations, à EDF entre autres, et une analyse approfondie des dysfonctionnements, souvent évoqués ici, qui se sont produits notamment en Californie ou au Canada, m'ont conduit à admettre que la construction d'un vrai marché de l'électricité passe par la constitution d'opérateurs intégrés puissants, capables d'offrir à tous les opérateurs concurrentiels, y compris les opérateurs de niches plus petits, un accès transparent et non discriminatoire au réseau public. Il ne convient pas, en effet, d'ignorer les risques, inhérents à la complexité du changement de statut, de désorganisation, par l'éclatement de ces entreprises intégrées, certes, mais limitées. Il s'agit d'allier efficacité et capacité de développement. Oui, les potentialités me paraissent énormes. J'en suis convaincu, l'emploi, qui régresse progressivement à l'heure actuelle au sein de ces entreprises, augmentera grâce aux possibilités qu'offrira la future loi.

Ce ne sont pas les pressions d'une minorité d'extrémistes et les exactions inacceptables que j'ai subies ces jours-ci, et qui ont frappé bien plus encore nos concitoyens, qui ont influencé mon opinion, mais l'intérêt bien compris de ces deux entreprises, et donc de leurs salariés. Les garanties de service public - qualité, présence territoriale, péréquation tarifaire - données à la filiale transport me paraissent, en toute honnêteté, suffisantes.

Ce ne sont pas non plus les agitations politiciennes et les contrevérités martelées sans relâche, avec une certaine efficacité, il faut le reconnaître, en vue de susciter la peur et le refus chez les agents et auprès d'une opinion publique désinformée, qui changeront mes convictions. L'« intox », si vous me permettez le mot, portant sur le démantèlement public ne trompera pas, cette fois, l'opinion, comme ce fut le cas pour le prétendu démantèlement social, qui a produit 12 % de dépenses supplémentaires.

Ces évolutions procurent à EDF-GDF les moyens de son développement et de sa croissance, dans un nouveau contexte européen et mondial, notamment grâce à l'augmentation de capital au service de stratégies de croissance ou à la possibilité de nouer des alliances avec d'autres opérateurs, sans oublier les garanties et les avancées sociales majeures que contient le texte.

À propos d'autres entreprises publiques - Air France, Airbus ou encore Renault qu'a évoqué Hervé Novelli - des craintes analogues de démantèlement et de disparition de service public avaient été exprimées, compréhensibles dès lors que la désinformation est forte. Aujourd'hui, chacun peut constater ce qu'il est advenu de ces entreprises et reconnaître les statuts privilégiés qui ont été conquis.

Il est impératif pour la France de concilier l'exercice du service public et le développement de coopérations en Europe et dans le reste du monde. Le projet de loi permet de conserver la maîtrise publique d'EDF-GDF pour des raisons stratégiques et environnementales, notamment pour la première d'entre elles, la politique de l'énergie.

Je voterai volontiers ce texte, en vous félicitant, monsieur le ministre d'État, pour le respect de chacun dont vous avez témoigné et pour la pédagogie que vous avez déployée, c'est-à-dire pour la manière et l'art. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie.

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, un génie français pousserait-il nos gouvernants à détruire ce qui fonctionne bien ? Vous avez du mal, monsieur le ministre d'État, à expliquer à nos compatriotes les raisons qui vous poussent à ouvrir le capital d'EDF-GDF, c'est-à-dire à privatiser ces deux entreprises et à démanteler l'ensemble du secteur énergétique dans notre pays.

Je dis bien « privatiser » car l'ouverture du capital conduira à terme à la privatisation d'Électricité de France et de Gaz de France.

On a fait souvent référence à des déclaration de nombreux élus présents ou absents. Je me permettrai de citer un propos de mon collègue et ami Jean Lassalle, du groupe UDF : « On ouvre à 30 % et on termine à 100 % ! » Cette déclaration éclaire les termes du débat d'une lumière un peu différente de celle projetée jusqu'à présent.

J'ai en mémoire les assurances données en 1993, lors de l'ouverture du capital du groupe Elf. Je vous citerai, pour la bonne bouche, l'ancien président d'Elf, Philippe Jaffré, qui s'exprimait dans Sud-Ouest le 3 février 1994 : « Elf-Aquitaine va tirer un surcroît de liberté, grâce à la privatisation qui nous donnera aussi davantage de moyens ». Il ajoutait : « De façon générale, nos activités seront protégées par la golden share, cette action privilégiée qui donnera un droit de regard à l'État. Dans ce cadre, tous les investisseurs qui souhaitent acheter 10, 20 ou 33 % de ces sociétés, ne pourront le faire sans l'accord formel de l'État. » Écoutez bien, mes chers collègues, sa conclusion : « Cela rend une OPA hostile d'autant plus improbable. ». Jamais son groupe, nous assurait ainsi Philippe Jaffré, ne donnerait lieu à une OPA dans le cadre d'une privatisation !

L'allusion à Elf n'avait pour objectif que de nous rappeler que lorsque la droite parle d'ouverture de capital, il convient, au mieux, d'être prudent, au pire, d'être très inquiet.

Vous majorité, monsieur le ministre d'État, a toujours procédé par étapes : pour Elf hier, pour EDF demain. Votre gouvernement a besoin d'argent et, plutôt que de renoncer aux avantages fiscaux que vous concédez à vos amis, vous préférez privatiser EDF et GDF, partiellement demain et totalement ensuite.

Le week-end dernier, nous avons appris votre volonté d'attendre 2005 pour procéder à l'ouverture du capital. Belle concession ! De fait Gaz de France, selon son propre président, ne serait en capacité d'être mis sur le marché que dans six mois. Quant à EDF, chacun sait que cet exercice demandera du temps, davantage que les six mois requis pour Gaz de France. En différant de douze mois l'ouverture du capital, vous ne faites donc aucune concession.

Aujourd'hui, vous souhaitez connaître - prétendez-vous - l'état réel de ces deux entreprises. Vous vous engagez à les maintenir à 100 % dans le domaine public et à auditer leurs besoins de financement durant un certain temps. Vous nous annoncez même la constitution d'une commission ad hoc et pluraliste, pour mener à bien cet inventaire. Pourquoi alors, monsieur le ministre d'État, ne pas avoir pris le temps d'effectuer ces travaux préalablement à l'examen du texte et pourquoi ne pas ajourner l'examen du projet de loi, pour ne le reprendre que lorsque vous y verrez plus clair et que nous y verrons plus clair ?

Mais revenons-en à la vraie raison de cette privatisation. Ce sont vos difficultés financières et budgétaires, monsieur le ministre d'État, qui justifient la privatisation. Vous vous risquez à remettre en cause l'organisation de l'énergie en France, parce que vous avez mis l'État dans l'incapacité d'assumer ses engagements.

On pourra trouver de nombreuses explications à votre décision d'ouverture du capital : celle-là restera déterminante. Cette privatisation ne s'adosse à aucun projet industriel. Devant les salariés, devant 1a presse, aujourd'hui devant nous, vous ne faites référence à l'avenir industriel de ces deux entreprises que de façon confuse.

Vous nous demandez de nous prononcer sur le statut d'EDF et de GDF. Or, vous n'avez pas établi de projet d'entreprise qui soit susceptible de mobiliser ces deux sociétés et de justifier l'ouverture du capital.

Mais avant de revenir sur vos arguments et sur les conséquences de l'ouverture du capital, je souhaite ici même, monsieur le ministre d'État, prendre date et faire de nos concitoyens nos témoins : puisque vous remettez en cause le caractère public de ces deux entreprises, vous devrez en assumer les conséquences, relatives non seulement aux hausses des prix que l'ouverture du capital entraînera, mais également aux dysfonctionnements et aux ruptures d'électricité auxquels immanquablement nous serons un jour confrontés.

M. Alain Néri. Oui !

M. Michel Roumegoux. Mais non !

M. David Habib. Vos arguments pour ouvrir le capital d'EDF sont injustifiés. Vous avez évoqué successivement l'obligation européenne et vos ambitions pour Electricité de France et Gaz de France.

Sur le premier point, soyons définitifs : Bruxelles impose des règles communes aux États membres afin de libéraliser les marchés énergétiques européens, mais ne demande en aucune façon le changement de statut juridique d'EDF et de GDF. Mario Monti - il a été abondamment cité -, lors de son audition du 10 juin 2003, a précisé qu'il n'appartient pas à la Commission européenne de demander la privatisation des entreprises. L'article 295 du traité de Rome n'impose d'ailleurs pas de régime de propriété aux entreprises des États membres.

Se prononçant sur la situation particulière d'Électricité de France dans une lettre adressée au secrétaire général de la CGT, M. Monti estime que « le gouvernement français aurait pu avoir recours à d'autres moyens que le changement de statut ».

Les limites à l'actionnariat public sont les avantages concurrentiels dont EDF ou GDF pourraient bénéficier au titre de la garantie de l'État. Inutile de céder partie ou totalité d'EDF et de GDF : il suffit - vous le savez - de limiter la garantie de l'État aux activités non soumises à la concurrence.

Sur le second point, l'argument du développement d'Électricité de France et de Gaz de France, vous prétendez que, face à des groupes européens énergétiques qui proposent une offre « multi-énergie » à leurs clients, EDF et GDF doivent être capables de répondre à la demande. Nous sommes d'accord et prêts à soutenir toutes les initiatives qui renforceraient la compétitivité de ces deux entreprises. Pourtant, vous le savez, le principe de spécialité qui encadre l'action d'EDF et GDF est déjà soumis aux règles de concurrence s'appliquant à toutes les entreprises.

L'objet légal traditionnel d'EDF - activités de production, transport, distribution, importation et exportation d'électricité, ainsi que les activités connexes - a été, par ailleurs, élargi par la loi du 10 février 2000.

Tenant compte de l'ouverture progressive du marché de l'électricité, EDF a déjà la faculté de proposer aux clients éligibles « une offre globale de prestations techniques et commerciales accompagnant la fourniture d'électricité ».

Par ailleurs, EDF peut « exercer toute activité à l'étranger ». Il peut s'agir de la fourniture de toutes les formes d'énergie et de multiples services. Le handicap du principe de spécialité est un argument qui ne justifie pas, en tant que tel, l'ouverture du capital d'EDF et de GDF.

Vous nous rappelez qu'EDF et GDF doivent être capables de se développer à l'étranger...

M. Jean-Louis Dumont. C'est déjà fait !

M. David Habib. ...mais vous oubliez de nous parler d'EDF International, entreprise installée sur le marché étranger, qui est forte d'un capital social très important et qui pourrait être la tête de pont de ce développement

Monsieur le ministre, renoncez à l'ouverture du capital d'EDF et GDF, car elle est dangereuse et se heurte aux enjeux énergétiques du pays ainsi qu'aux intérêts du tissu économique.

Le marché énergétique, vous le savez, ne peut être réduit à une dimension financière et juridique ; il ne faut pas occulter sa dimension industrielle. Les priorités à long terme de la politique énergétique sont la capacité à valoriser les parcs de production existants et à réaliser de nouveaux investissements ainsi qu'à développer l'usage des énergies renouvelables.

Face à ces réalités, le marché de l'électricité, énergie non stockable, ne peut être soumis au jeu de l'offre et de la demande, au risque de défaillances du système électrique.

M. Jean-Louis Dumont. Vous oubliez qu'il y a des admirateurs d'Enron dans cette assemblée !

M. David Habib. Les investisseurs privés ayant une vision à court ou moyen terme, ils chercheront à écarter ces contraintes énergétiques et ne seront pas animés par l'éthique de responsabilité qu'impose la durée d'amortissement à trente ou quarante ans ou la matière, le nucléaire.

Ayez l'honnêteté de reconnaître que l'introduction de capitaux privés fera rapidement obstacle aux projets de renouvellement de notre parc nucléaire.

Et, au-delà de ces contraintes énergétiques, en privatisant, vous remettez en cause les valeurs du service public qui font la force d'EDF et GDF : l'ouverture du capital viendra également en opposition aux principes du service public français, notamment la continuité du service, l'égalité, la recherche de la qualité, la recherche du moindre coût et son universalité.

La volonté d'ouvrir le capital d'EDF et de GDF a une visée budgétaire et politique. De nombreuses incertitudes pèsent sur l'avenir industriel et financier d'EDF et de GDF.

Aucun projet industriel n'a été défini. À ce propos, nous ne disposons d'aucune étude sur la valeur réelle des deux entreprises. Les comptes d'EDF, bâtis sur une durée de vie prolongée pour les cinquante-huit réacteurs nucléaires français, ne sauraient la définir à eux seuls.

Mais tout cela semble ne pas peser dans votre décision. Vous ignorez les difficultés et les débats qui accompagnent la privatisation du secteur de l'énergie, notamment les dysfonctionnements et ruptures d'électricité dus à des aléas de court terme, qui ont été évoqués, ce soir, sur les bancs communistes et socialistes, ainsi que les fortes hausses de prix déjà annoncées.

D'autres que nous sont aussi sensibles au sujet : j'ai sous les yeux une motion, adoptée par le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, le département qui m'est le plus cher,...

M. Charles de Courson. Ne soyez pas chauvin !

M. David Habib. ...à la suite d'un vote conjoint des élus UDF et des élus socialistes ; ils vous demandent de renoncer à votre projet. Monsieur de Courson, que soient cités ici les propos hasardeux tenus par certains socialistes sur ces questions, d'accord,...

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est honnête de votre part !

M. David Habib. ...mais qu'il vous soit aussi rappelé les positions prises en région par vos amis politiques. Je crois d'ailleurs me souvenir que certains leaders de l'UDF siègent au parlement de Navarre ; vous devriez leur en faire part...

M. François Brottes. Très bien !

M. David Habib. À ceux qui aiment les États-Unis, dont je suis, je suggère de méditer ce commentaire d'un auteur américain connu pour ses convictions libérales, M. Borenstein, qui affirmait : « Ces États et pays qui n'ont pas encore emprunté le chemin de la dérégulation de l'électricité seraient avisés d'attendre, pour tirer les enseignements des expériences en cours en Californie, à New York, en Pennsylvanie, en Nouvelle-Angleterre et Pays de Galles, en Norvège, Australie et ailleurs. »

M. Pierre Cohen. Très bien !

M. David Habib. La sécurité d'approvisionnement, la protection de l'environnement, l'aménagement du territoire et la cohésion sociale sont des contraintes devant faire partie intégrante de la politique énergétique. Les logiques budgétaires qui vous inspirent, monsieur le ministre d'État, ne peuvent les écarter.

Au nom de ceux qui ont créé EDF et GDF, dont nous sommes les « héritiers », pour reprendre votre expression de cet après-midi, mais aussi au nom des générations qui arrivent et attendent de nous que nous sachions maintenir ce qui fonctionne bien, je vous demande de renoncer à votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Guillet.

M. Jean-Jacques Guillet. Monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, en quelques semaines, vous avez, avec le talent que nous vous connaissons,...

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Cela commence bien !

M. Jean-Jacques Guillet. ...levé deux incertitudes.

La première portait sur notre politique énergétique. Nous n'avions pas eu de débat sur ce sujet depuis des années, et celui qui est intervenu récemment a d'autant plus marqué qu'il a été pour la première fois sanctionné par un vote. C'était important car il s'agissait, alors que nous n'étions sûrs de rien, de placer l'énergie nucléaire au centre de notre politique, et je crois que c'est maintenant chose faite.

La deuxième incertitude que vous aurez levée portait sur le statut des entreprises EDF et GDF. Les deux entreprises, depuis une dizaine d'années, vivaient effectivement dans l'incertitude totale, partagées entre la nécessité de conserver les missions de service public qui lui étaient propres depuis 1946 - et même avant -, et le besoin de se développer à l'étranger et de s'endetter sans filet de sécurité.

Le changement de statut était nécessaire, tout simplement, parce que nous sommes en train de changer de modèle électrique et gazier, ce qui n'est pas un drame en soi, vous l'avez souligné, monsieur le ministre d'État. Le modèle électrique et gazier a changé plusieurs fois de nature. Au début du siècle, il était fondé sur l'impératif d'industrialisation du pays et sur le service public local, et cela a donné la loi de 1906 relative à l'économie concessionnaire, texte important dont nous devons conserver quelques acquis, c'est le moins qu'on puisse dire. La deuxième modification du modèle électrique et gazier français est intervenue en 1946, alors que l'heure était à la reconstruction du pays et à la planification de notre politique énergétique et de notre politique industrielle : nous y sommes parvenus en créant deux champions nationaux, EDF et GDF, qui sont même devenus des champions européens et mondiaux.

Aujourd'hui, nous sommes face à d'autres défis : celui du marché européen, certes, mais également celui de la mondialisation, dont il faut évidemment tenir compte. C'est dans ce contexte que nous élaborons un nouveau statut des deux entreprises qui assurera leur développement et, par la même occasion, donnera un moteur à l'ensemble de notre politique industrielle. Car EDF et GDF ont évidemment un rôle important à jouer en matière de politique industrielle, et je pense en particulier, à cet égard, à deux sociétés qui vous sont chères, monsieur le ministre d'État, Areva et Alstom, à la seconde, en particulier, en faveur de laquelle vous avez fait un effort très utile, au cours de ces dernières semaines, en négociant avec Bruxelles la possibilité de la conserver à notre pays.

Ces deux incertitudes levées, il faut quand même souligner que d'autres demeurent. Un premier pas important a été accompli, il fallait lever ce verrou, mais il reste des incertitudes, et je voudrais en relever deux.

La première porte sur la nécessité de séparer le réseau de transport et le réseau de distribution des activités commerciales des sociétés EDF et GDF. A cet égard l'article 4 est un peu insuffisant ou un peu ambigu,...

M. Jean-Louis Dumont. Et même dangereux !

M. Jean-Jacques Guillet. ...j'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles. J'estime qu'il convient de séparer totalement activités régulées et activités commerciales.

M. Jean-Louis Dumont. Enfin un membre de la majorité qui réagit bien !

M. Jean-Jacques Guillet. On sait très bien qu'une entreprise, quelle que soit la bonne volonté des hommes qui la dirigent, a une vocation commerciale et doit produire au moindre coût pour offrir le moindre tarif. En l'absence de séparation nette, EDF et GDF seraient donc tentées de peser sur les investissements des réseaux de transport, qui sont concernés par le projet de loi.

Ce sera également vrai, demain, pour les gestionnaires des réseaux de distribution ; il faudra lever une certaine ambiguïté. C'est d'autant plus important, dans mon esprit, que les réseaux de distribution concernent le service public local et que les collectivités locales, ainsi que tous les citoyens, sont sensibles au renouvellement, au renforcement et à l'intégration dans l'environnement des réseaux de distribution ; il convient de le garder à l'esprit.

La deuxième incertitude qui demeure, et j'en terminerai par là, porte sur l'avenir de l'économie concessionnaire et de la loi de 1906, que j'évoquais au début de mon propos. Quel sera le rôle futur des communes et autres collectivités locales ? Vous avez tracé une petite piste : pourquoi ne pas envisager que les collectivités locales participent au capital d'EDF et GDF, dans des conditions qui restent à définir, en apportant, en quelque sorte, leur réseau au capital ?

Cette piste doit certainement être étudiée, mais il faut le faire avec beaucoup de réserve et de méfiance. Je ne suis pas certain qu'il soit dans l'intérêt général de voir les communes entrer au capital des deux entreprises, de quelque façon que ce soit, même, par exemple, au niveau des gestionnaires de réseaux de distribution. Les collectivités locales, en effet, jouaient jusqu'à présent un rôle de contrôle, de garantie du service public local, par l'intermédiaire, en particulier, des établissements publics de coopération intercommunale. Devenues actionnaires, elles n'auraient évidemment plus comme objectif que de percevoir des dividendes.

N'oublions pas qu'actuellement, les collectivités locales, qui interviennent de façon déterminante dans l'aménagement du territoire, en assurant notamment la maîtrise d'ouvrage de l'électrification rurale, grâce au FACE, le fonds d'amortissement des charges d'électrification, verraient ce rôle supprimé par leur entrée au capital d'EDF et GDF. Sur ce point, nous devons nous montrer extrêmement vigilants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Ce mercredi après-midi, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1613, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières :

Rapport, n° 1659, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Avis, n° 1668, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heure trente, deuxième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées :

Rapport, n° 1665, de M. Denis Jacquat.

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 16 juin 2004, à zéro heure quarante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot