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Première séance du jeudi 24 juin 2004

270e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente).

Mme la présidente. En attendant l'arrivée de M. le ministre d'Etat, je vais suspendre la séance.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue, est reprise à neuf heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
ET DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE
POUR 2005

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement et le débat d'orientation budgétaire pour 2005.

La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, ce débat d'orientation budgétaire est l'occasion de faire avec vous un point approfondi de la situation, particulièrement bienvenu à l'heure où l'on se met à reparler de croissance, dans le monde, en Europe et en France.

Je voudrais vous livrer les données essentielles de la situation telles qu'elles se présentent à nous aujourd'hui, en juin 2004. Comment faire la part des bonnes et des mauvaises nouvelles ? L'une des caractéristiques de l'économie moderne, en effet, c'est que les informations sont parfois contradictoires. Sommes-nous trop ou encore pas assez rigoureux avec nos finances publiques ? Comment devons nous agir ? Il ne s'agit pas d'aligner des chiffres, même si les chiffres sont utiles. Il s'agit de mesurer ensemble nos contraintes, mais aussi notre capacité à agir, qui est la raison d'être d'un gouvernement. Je vais essayer pour cela de limiter les données chiffrées à l'essentiel, pour insister sur leur signification, en suivant un raisonnement simple : quel est l'état des lieux, pourquoi faut-il agir et comment devons-nous agir ?

Nous devons composer avec une conjoncture internationale qui s'améliore et une situation budgétaire très difficile.

Nous sortons d'un ralentissement de croissance sans précédent depuis la récession de 1993 que le gouvernement d'Édouard Balladur avait trouvée. C'est grâce à la consommation que la France a résisté à la récession de 2003 qui atteignait d'autres pays européens, en maintenant un taux de croissance positif, même s'il a été très faible : 0,5 %, soit un peu plus que la zone euro. Les dépenses de consommation des ménages représentent à elles seules plus de la moitié du PIB, c'est dire leur importance capitale dans la croissance française. Ce sursaut de l'an passé, nous le devons donc à une consommation des ménages qui a bénéficié des réductions d'impôts et de l'augmentation du SMIC, et cela alors même que l'investissement des entreprises diminuait de 1,5 % et que les exportations reculaient de 2,7 %.

En résumé, si l'économie n'est pas rentrée en récession en 2003, c'est grâce à la consommation des ménages.

Cela nous a permis de saisir le redressement de la mi-2003 dans la zone euro avec un peu d'avance sur nos voisins. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Je crois qu'on peut dire que les nouvelles générales de l'économie française sont meilleures qu'il y a trois mois : la croissance mondiale pourrait dépasser les 4,5 % cette année, grâce aux États-Unis, mais aussi grâce à la Chine dont la croissance devrait être de 8 %, et grâce au Japon qui, après dix ans de crise, est sur un rythme de croissance annuelle de 3 %. D'après l'OCDE, la zone euro pourrait connaître une croissance moyenne de 1,6 %.

Autre bonne nouvelle : la France va mieux qu'on ne le pensait, avec une croissance de 0,8 % au premier trimestre, grâce encore à la consommation des ménages, mais aussi à l'investissement des entreprises. L'INSEE nous dit aujourd'hui que la croissance dépasserait 2 % en moyenne annuelle cette année, c'est-à-dire sensiblement plus que la croissance dans la zone euro, que cet institut situe à 1,7  ou 1,8 %.

Toutefois, le volontarisme reste plus que jamais de mise. D'abord parce que la croissance, pour l'Europe et pour la France, est encore convalescente. La demande reste faible dans la zone euro. Il n'est que de voir ce qui se passe en Allemagne et en Italie, ce qui est préoccupant parce que ces deux pays sont d'importants partenaires pour l'économie française.

Ensuite, le volontarisme reste plus que jamais de mise à cause des prix du pétrole - encore qu'en la matière la vérité du lendemain ne soit pas celle de la veille - qui, après une période continue d'augmentation, entrent dans une période de baisse. Combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne le sait. Les spécialistes estiment que c'est la prime de risques, et non l'inadéquation entre l'offre et la demande, qui a justifié l'augmentation du prix du baril, en dépit de la situation de croissance au niveau mondial.

Il y a aussi la question des déséquilibres américains. Ce n'est pas faire injure à nos amis américains que de dire que leur croissance nous aide beaucoup, mais que les déficits jumeaux sont un problème pour nous tous, car ils laissent présager une augmentation des taux aux Etats-Unis, ce qui aura des conséquences sur les taux en Europe et, compte tenu du poids de la dette française, sur la charge de la dette.

Enfin, dans tous les cas, nous ne pouvons nous satisfaire d'un taux de chômage de 9,8 % en 2004, qui a augmenté d'un point depuis décembre 2001. Notre politique budgétaire doit être au service de la croissance et de l'emploi, et ne peut pas être passive. Nous ne pouvons attendre que les choses s'arrangent.

Car s'il est sans doute un point de consensus entre nous, c'est que la croissance spontanée ne suffira pas à nous tirer d'affaire, en particulier parce que nos finances publiques sont très dégradées et hypothèquent le retour de la croissance. Nous ne pouvons pas utiliser les marges de manœuvre des fruits de la croissance pour soutenir l'activité car nous devons les consacrer à la réduction du déficit et de l'endettement.

À elle seule, cette réduction des déficits justifie une action volontariste. Il nous faut bien réaliser qu'avec une croissance supérieure à 2 % cette année, et encore de 2,5 % l'an prochain, notre déficit public resterait spontanément, si nous n'agissions pas, au-dessus de 3 %. Pour revenir en dessous des 3 % du PIB, sans avoir à agir, il faudrait en réalité que la croissance revienne très vite à 3 %. Qui ici pourrait affirmer que ce sera le cas ? En tout cas, la politique que le Gouvernement vous propose n'est pas une politique d'inaction.

La première conclusion, c'est donc qu'il nous faut agir et vite, si nous voulons tirer parti de cette croissance convalescente qui revient. C'est pour nous l'occasion, non de desserrer des contraintes, mais d'enclencher des mécanismes vertueux qui amélioreront la conjoncture.

Quelle est la situation de nos finances publiques ? Nous sommes arrivés au taquet de la dégradation budgétaire. Personne ici ne peut penser qu'il y ait la moindre marge de manœuvre de dégradation ou d'endettement supplémentaire.

M. Michel Bouvard. Très juste !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le déficit public de la France a dépassé les 3 % depuis 2002, c'est-à-dire dès que la croissance s'est dérobée. En 2003, les déficits publics ont atteint 4,1 % du PIB et la dette, près de 64 %. Nous ne respectons plus les critères de Maastricht qui s'imposent à nous, et cela quelle que soit notre opinion sur eux. Et rappelons-nous, ce qui n'est pas un détail, que seul un vote à l'unanimité des États pourrait les modifier. Et quand bien même on les modifierait, le problème resterait pendant, car ce n'est pas tant une question d'Europe qu'une question de bon sens.

M. Gérard Léonard. Très juste !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La France, comme l'Allemagne - ce qui n'est pas une consolation -, a fait l'objet à l'automne dernier d'une procédure européenne de déficit excessif, suspendue après l'intervention du Conseil, mais non sans mal.

Le 15 décembre 2003, la France a pris des engagements, et j'ai bien l'intention de tout faire pour qu'ils soient respectés. Ces engagements sont les suivants : revenir à un déficit public inférieur à 3 % dès 2005 ; stabiliser les dépenses de l'État en volume, chaque année, de 2004 à 2007 ; conduire une réforme structurelle de l'assurance maladie, qui ait des effets massifs dès 2005 ; affecter tout surplus de recettes liées à une croissance plus forte à la réduction du déficit ; financer toute nouvelle baisse d'impôts, soit par une diminution des dépenses publiques, soit par la suppression d'autres impôts. Ce n'est pas moi qui ai pris ces engagements, c'est la France, mais je les partage et je les défendrai. Ces engagements, c'est la parole de la France, mais aussi sa crédibilité. Il était nécessaire, dans ce débat d'orientation, de les rappeler. Ceux qui ne seraient pas d'accord avec ces engagements doivent dire lesquels ils contestent et en assumer la responsabilité.

Nous pourrions contester la rigueur des règles européennes, en objectant que nous ne sommes pas les seuls à être en difficulté. Mais nous avons, je crois, plutôt intérêt à réfléchir en priorité sur notre responsabilité collective dans cette dégradation. Car, et c'est un point capital, il ne s'agit pas seulement d'une dégradation conjoncturelle, qui pourrait s'améliorer d'elle-même. Notre déficit est structurel. Il s'est creusé, la France et elle seule en est responsable.

Je ne ferai aucun procès : nul n'a le monopole de la bonne ou de la mauvaise gestion. Cela fait vingt-trois ans que les déficits sont apparus et se répètent, inexorablement, année après année. Notre situation des finances publiques est structurellement déficiente. Mais le fait est qu'elle s'est nettement dégradée ces dernières années.

M. Didier Migaud. Surtout ces deux dernières années !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Des dépenses ou des baisses d'impôts importantes ont été engagées avant 2002, alors que les recettes de la croissance rentraient. Les recettes sont reparties avec la croissance en 2002, mais les charges demeurent.

M. Augustin Bonrepaux. Il ne fallait pas consentir de baisses d'impôt !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vais m'en tenir à des constats irréfutables, sans porter aucun jugement de valeur car ce ne serait pas à la hauteur de la gravité des enjeux. Nous sortons, comme nos partenaires européens, d'une période de deux ans de ralentissement fort. Clairement, les recettes fiscales rentrent beaucoup moins bien depuis 2002, après un cycle de croissance de cinq ans qui avait même mené à l'épisode désastreux de la « cagnotte fiscale ». Clairement aussi, des engagements ont été pris par nos prédécesseurs, en connaissance de cause - ils revendiquent par exemple les 35 heures - sur lesquels je ne veux pas me prononcer à ce stade, mais dont je constate qu'ils coûtent au total, à eux seuls, 14 milliards d'euros alors que les recettes de la croissance ont disparu.

M. Augustin Bonrepaux. Et vos engagements, à vous, combien ils coûtent !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le budget de l'État supporte 14 milliards d'euros de dépenses pour empêcher les Français de travailler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Il n'y a pas un seul pays au monde qui puisse se payer un luxe pareil !

M. Didier Migaud. Mais vous ne portez pas de jugement !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Imaginez ce que la France pourrait faire avec cette somme : elle pourrait ainsi financer des investissements dans les territoires, engager l'avenir avec la recherche ou être porteur de la modernisation de notre pays ! Et ces 14 milliards d'euros qui nous ont été légués comme dépenses sont récurrents. Chaque année, la France devra les assumer.

M. Augustin Bonrepaux. Et les baisses d'impôt sur le revenu, elles servent à quoi ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Autre constat, la dérive de l'assurance maladie, qui est repartie à la hausse...

M. Augustin Bonrepaux. La faute à qui ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...depuis l'année 2000, pour dépasser les 2 milliards d'euros dès 2001...

M. Éric Besson et M. Didier Migaud. C'est faux !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et qui cette année est sur une tendance de 13 milliards d'euros.

M. Didier Migaud. Elle était en excédent en 2000 !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le résultat, c'est un déficit public qui s'est remis à augmenter dès que la croissance s'en est allée.

La gestion de Francis Mer et Alain Lambert...

M. Augustin Bonrepaux. Elle a été aussi calamiteuse que la vôtre !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...a permis de limiter la dérive. Ils ont eu raison de stabiliser rigoureusement la dépense en volume en 2003. Mais malgré ces efforts, le déficit public a atteint 4,1 points de PIB en 2003, essentiellement sous l'effet des rentrées fiscales désastreuses car, cette année-là, les moins values on atteint plus de 11 milliards d'euros. Voilà tout le drame budgétaire de la France : 14 milliards d'euros de dépenses en plus, 11 milliards d'euros de recettes en moins ! Cela s'appelle un déficit structurel.

L'endettement public, qui avait longtemps été contenu aux alentours de 55 %, atteint en 2004 le taux moyen d'endettement public de l'Union européenne, soit 64 %. Cette comparaison est tout sauf satisfaisante. Regardons la situation telle qu'elle est et non telle que nous voudrions qu'elle soit : on s'aperçoit que nos partenaires européens ont progressé ces dernières années, alors qu'ils étaient nettement plus endettés que nous. En période de bonne conjoncture, entre 1999 et 2001, ils ont réussi à alléger leur endettement de 4,4 points de PIB, trois points de plus que nous pour ces mêmes années fastes. La vérité, c'est que nos partenaires européens ont profité des fruits de la croissance pour désendetter leur pays, alors que ces mêmes fruits de la croissance vous ont servi, mesdames, messieurs de l'opposition, à financer, en pure perte, des dépenses nouvelles ! Voilà pourquoi notre situation est moins bonne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce constat n'est nullement polémique, il est irréfutable !

M. Didier Migaud. Nous sommes à l'Assemblée nationale et non dans un congrès de l'UMP !

M. Richard Mallié. Ce sont les faits !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On a accumulé les dépenses, là où nos partenaires profitaient des recettes de la croissance pour désendetter et réduire le déficit.

M. Didier Migaud. Pas de discours partisan, monsieur le ministre !

M. Daniel Garrigue. Les socialistes sont prêts à recommencer !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Migaud, vous savez tout le respect que j'ai pour vous. Les chiffres pourront aisément démontrer si ce que je dis est exact ou non.

M. Didier Migaud. Vous n'avez rien démontré du tout !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Même si la vérité blesse, on ne peut pas la changer. La vérité est là et j'attends avec grand intérêt de connaître vos chiffres.

M. Didier Migaud. Les chiffres sont têtus !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ceux que je livre au débat sont, me semble-t-il, incontestables.

M. Didier Migaud. Non !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La vérité c'est que le déficit public français est maintenant supérieur à la moyenne de celui la zone euro.

Ces chiffres nous interpellent tous. Il nous faut en tirer certaines conséquences, notamment mesurer les méfaits durables de l'endettement sur notre économie.

Le premier de ces effets est un blocage des marges de manœuvre budgétaires pour l'État. La France consacre 40 milliards d'euros par an au service de la dette - c'est-à-dire au payement des intérêts, et non au remboursement proprement dit ! 40 milliards d'euros en pure perte, cela représente 80 % des recettes de l'impôt sur le revenu et 14 % des dépenses du budget général.

M. Éric Besson. Ça s'est dégradé depuis deux ans !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est plus que l'ensemble des crédits consacrés à l'emploi. Qui pourrait sérieusement prétendre continuer de la sorte ? On ne peut pas non plus jouer sans fin à se renvoyer la responsabilité, car c'est notre responsabilité collective. Essayons donc de montrer à la nation le visage de gens responsables, de droite comme de gauche, qui tirent les conséquences qui s'imposent d'une situation qui ne peut plus durer (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Le deuxième effet, c'est une perte de confiance diffuse des Français, qui ne peuvent pas se décider à consommer et à investir alors qu'ils ont le sentiment que l'État est aux limites de sa crédibilité budgétaire, quand l'endettement atteint près de 16 000 euros par habitant.

Il faut donc agir, et tout de suite, car, à défaut, la situation, loin de se stabiliser, va encore s'aggraver. Actuellement, tout se passe comme si nous engagions chaque année quinze mois de dépenses avec douze mois de recettes. Chacun peut comprendre les limites de cet exercice : en continuant ainsi, nous allons droit dans le mur !

Par quoi devons-nous commencer ?

Pour réduire nos déficits, je suis persuadé que le recours à de nouveaux prélèvements obligatoires n'est pas envisageable.

M. Hervé Mariton. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il ne s'agit pas là d'idéologie ou d'un théorème économique, mais de bon sens : la France est au taquet pour ce qui est de sa dégradation budgétaire, et elle l'est aussi en matière de prélèvements obligatoires, avec un taux de 43,78 %. Les Français attendent des raisons d'avoir confiance pour se remettre à consommer et à investir. Un supplément d'impôt serait dissuasif, et le but du Gouvernement n'est pas que le malade meure guéri !

J'irai plus loin : nous devons, dès que la situation budgétaire nous le permettra, alléger les prélèvements obligatoires qui entravent notre activité. Un exemple, parmi beaucoup d'autres : d'après les calculs récents de la Commission européenne, le taux de taxation du travail - au sens fiscal et social - était en France de 41,8 % en 2002, contre 36,3 % en moyenne pour l'Union européenne. Dans un pays qui compte 9,8 % de chômeurs, comment ne pas voir que le seul espoir est de réduire progressivement les prélèvements ? Nous luttons autant que nous le pouvons contre les délocalisations industrielles, mais la pression fiscale joue contre nous ! Au sein même de nos frontières, nous luttons pour réhabiliter la valeur du travail par rapport à l'assistance, mais, là encore, la pression fiscale joue contre nous, en décourageant le travail !

Aujourd'hui, pour réduire nos déficits, c'est sur la dépense que nous devons agir. Pour cela, nous avons décidé d'appliquer en 2004 la même règle qu'en 2003 : pas plus de dépenses que l'autorisation parlementaire que vous avez votée en loi de finances initiale. Car, avec le jeu des reports de crédits et des décisions prises en cours d'année, ce montant pourrait être bien supérieur, comme cela a été le cas certaines années précédentes, ce qui est une vraie dérive. C'est pour cela que la régulation budgétaire que j'ai décidée le 20 avril dernier a conduit à constituer une réserve de précaution de 7 milliards d'euros. Il n'est pas question que M. Bussereau ni moi-même revenions sur cette décision.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Bravo !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette stabilité en volume que nous visons ne nous permet au demeurant, toutes choses égales par ailleurs, que de réduire de 0,4 point de PIB le déficit de l'État, ce qui est un minimum quand il avoisine les 4 %.

Comment maintenir cette stabilité en volume l'année prochaine ? Certaines charges, telles que celle de la fonction publique ou celle de la dette, augmentent automatiquement, de 4 milliards d'euros. Les mesures de revalorisation du point de la fonction publique ou des minima sociaux coûtent 1,2 milliard d'euros. Les lois de programmation - défense, justice, sécurité - représentent 3 milliards d'euros et la nouvelle tranche annuelle des allégements de charges sur l'emploi 2,4 milliards. Tout cela, c'est déjà une progression de 2,5 % en volume ! Cela donne une idée de l'effort à réaliser : il nous faut trouver 11 milliards d'euros d'économies pour revenir à la stabilité !

Les lettres cibles adressées le 3 juin à tous les ministres par Dominique Bussereau et moi-même tiennent compte de cette équation : notre objectif de plafonnement du déficit à 3 % du PIB en 2005 implique un volume de dépenses qui progressera de façon différenciée entre les ministères pour ne pas augmenter globalement.

J'insiste sur ce point : tout ne peut pas être prioritaire. Pendant des décennies, à force de ne pas choisir, nous avons progressivement additionné les priorités - la plupart des dépenses de l'État étant, certes, hautement justifiables ! L'éducation, l'emploi, la recherche, la justice, la sécurité sont évidemment des priorités dans l'absolu. Mais aujourd'hui, la contrainte de l'endettement, qui se resserre autour de nous, nous oblige à choisir. Nous devons cibler les dépenses à privilégier, en préservant en premier lieu celles qui engagent l'avenir.

Un budget sérieux n'est pas un budget de récession. Il est possible d'assainir la situation des finances publiques, tout en faisant en sorte que la croissance et l'emploi soient soutenus. Cela implique que nous parvenions à maîtriser certains postes de dépenses. Je pense évidemment, à cet égard, aux effectifs de la fonction publique. Les pensions et les effectifs de la fonction publique représentent, en effet, 44 % du budget de la nation. En y ajoutant les 15 % consacrés à la dette, on parvient au chiffre de 60 % ! Ne pas poser la question des effectifs serait donc s'interdire de réduire le déficit et de maîtriser l'endettement. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite, dans les ministères et dans les fonctions où c'est possible grâce à des réorganisations, n'est évidemment pas une mesure dirigée contre les fonctionnaires - auxquels de meilleures conditions de travail doivent être assurées -, mais c'est une mesure dont il nous faut débattre. Il faut aussi envisager la vente d'immeubles situés en centre-ville, trop chers, au profit d'implantations plus rationnelles, car l'État doit être exemplaire.

Au-delà, je compte aussi beaucoup sur la nouvelle culture introduite par la LOLF à partir de l'an prochain. On ne raisonnera plus en termes de moyens, mais d'objectifs et de résultats, ce qui est un formidable levier de rationalisation et d'économies. De la sorte, la représentation nationale pourra voter en fonction d'objectifs déterminés, et juger si les moyens alloués y suffisent. Enfin, les responsables administratifs pourront redéployer librement des crédits au cours de l'année pour les gérer au mieux.

Nous allons donc agir vigoureusement pour maîtriser le déficit de l'État. C'est nécessaire, mais ce n'est pas suffisant. Il faut donner à notre politique budgétaire de la cohérence et de la visibilité. Il faut que la France se fixe des règles qui survivent aux clivages politiques. Les Français ont, certes, le goût de l'alternance,...

M. Jean-Louis Dumont. C'est la démocratie !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...mais le paquebot budgétaire ne peut pas naviguer sans dommages en changeant de cap tous les deux ou trois ans. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il nous faut donc introduire de la cohérence là où, trop longtemps, nous avons navigué à vue. Nous avons cru pendant des années que les difficultés n'étaient que conjoncturelles ; nous savons maintenant qu'elles sont structurelles.

La cohérence, c'est trois choses : une maîtrise de tous les comptes publics par tous les acteurs, une visibilité dans le temps et une concertation avec nos partenaires

Elle suppose tout d'abord, au sein de l'État, une concertation interministérielle beaucoup plus forte. Bercy ne doit pas seulement dire non, mais être une force qui propose des économies et des réformes. Là encore, dans le débat naturel entre Bercy et les autres ministères, il faut maintenant faire comprendre à chacun qu'il n'y a pas un budget par ministre, mais un seul budget, celui de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est une condition indispensable pour réussir.

La cohérence exige aussi que soient maîtrisés les autres soldes publics, sociaux et locaux. Le budget de l'État représente en effet, je le rappelle, moins de 40 % du total des budgets publics.

Pour ce qui est du déficit des comptes sociaux, tout d'abord, la réforme des retraites réalisée en 2003 permet d'alléger, à elle seule, un tiers du déficit de ces régimes à l'horizon de 2020, et la réforme en cours de l'assurance maladie doit changer les comportements et permettre un retour à l'équilibre en 2007, alors que le déficit pourrait atteindre 13 milliards d'euros cette année.

M. Jean-Louis Dumont. Dites : « devrait » !

M. Augustin Bonrepaux. C'est du conditionnel !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous qui n'avez voté ni la réforme des retraites, ni celle de l'assurance maladie, le moins que l'on puisse dire, c'est que toutes les économies réalisées ne vous devront que très peu !

Les collectivités locales, dans le respect de leur autonomie, devraient être, elles aussi, mieux associées à la stratégie d'ensemble des finances publiques. Nous pourrions ainsi associer, au moment du débat d'orientation budgétaire national, le Gouvernement, les commissions des finances des deux assemblées et les principales instances de représentation des collectivités locales dans une conférence annuelle de concertation, qui aurait un rôle pédagogique important devant le tribunal de l'opinion publique.

La cohérence, c'est aussi la durée. Une politique budgétaire n'a pas de sens à l'horizon d'une année, qui est l'horizon de la gestion et non celui de la vision. Nous devons mettre en place les instruments d'une stratégie budgétaire sur dix ou vingt ans, qui ne serait évidemment pas une prévision, mais un cadre auquel nous pourrions nous référer. Ce serait la concrétisation de cette fameuse « soutenabilité » des finances publiques - terme quelque peu obscur et abstrait, auquel on se réfère toujours sans savoir exactement ce qu'il représente. Cela devient nécessaire car le vieillissement de la population et les questions de santé et d'emploi exigent que nous anticipions.

Nous pouvons fixer des règles pour l'avenir, en tirant des leçons du passé. Nous ne devons pas fluctuer au gré de la conjoncture, en allant dans son sens puis en la contrariant, faute de vision de long terme. Ainsi, nous avons pu constater que les baisses d'impôts décidées lorsque les recettes fiscales sont fortes amènent à une dégradation proportionnellement plus forte quand la conjoncture se retourne, comme cela a été le cas à la fin des années 90. Nous vous proposons de fixer à l'avance, par une loi organique, une règle de gestion en cas de recettes supérieures aux prévisions. On pourrait ainsi - mais cela doit, bien évidemment, être débattu - donner la priorité à la réduction du déficit,...

M. Richard Mallié. Très bien !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...en y affectant au moins les deux tiers des excédents de recettes, le solde étant affecté à des dépenses d'investissement, de recherche ou à des allégements d'impôts ciblés, évalués et temporaires. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce serait un signal de vertu budgétaire, qui éviterait le débat sur la cagnotte. Un pays qui a plus de 1 000 milliards d'euros de dettes doit consacrer le surplus des recettes de la croissance au désendettement et à la réduction du déficit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Enfin, la cohérence, c'est la concertation avec nos partenaires. Si nous obéissons à des règles communes européennes, c'est le moins que nous puissions faire, plutôt que de tirer chacun dans son sens.

Il ne faut pas attendre, pour nous concerter, les procédures de déficit excessif. Un gouvernement économique de l'Europe, nécessaire dans le domaine monétaire, serait aussi précieux dans le domaine budgétaire, pas pour se substituer aux gouvernements des États membres, mais pour harmoniser leurs initiatives. D'ores et déjà, nous transmettons chaque année un programme pluriannuel sur trois ans à la Commission.

Mais ces obligations sont encore trop souvent formelles. C'est pourquoi je suis certain qu'un aménagement du pacte de stabilité est nécessaire pour prendre davantage en compte la situation conjoncturelle et le taux d'endettement de chaque pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En effet, l'objectif de déficit à moyen terme n'est pas forcément le même pour un pays dont l'endettement est lourd et le système de retraites déséquilibré que pour un pays qui, comme l'Angleterre, a une dette de 40 % et un déficit de 3,2 %. Il est moins grave d'avoir un tel déficit avec une dette de 40 %, qu'avec une dette de 106 % du PIB. Ce n'est pas vouloir s'extraire des règles du pacte de stabilité que d'en demander une lecture adaptée aux cycles économiques. Avoir 3 % de déficit avec 3 % de croissance, c'est beaucoup trop et c'est très préoccupant, mais avec - 1 % de récession, cela n'a en vérité aucune espèce d'importance.

Oui, il faut un pacte de stabilité. Mais, ce qui compte, ce n'est pas tant les 3 % de déficit ou les 60 % d'endettement que la lecture et l'interprétation que l'on fait de ce pacte.

J'ai proposé à mon collègue allemand de cosigner, avant la prochaine loi de finances, une déclaration commune pour mettre nos deux politiques économiques en perspective, y compris dans leur composante budgétaire. Cette initiative ne vise pas à aligner un État sur l'autre, ce qui n'aurait aucun sens, mais elle nous oblige à nous comparer, à réfléchir ensemble, à vérifier que nous allons dans le même sens. Elle pourrait tout à fait servir de socle à un pacte plus large, retraçant les principales initiatives des membres de l'Eurogroupe. Nous avons une monnaie commune, un marché commun, une banque centrale indépendante ; nous devons maintenant nous doter d'une stratégie économique commune.

Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les réflexions que le Gouvernement voulait vous livrer. Le rapport écrit qui vous est distribué comporte toutes les informations disponibles, notamment en matière de prévisions de recettes et de dépenses. Nous vous avons fait parvenir avant-hier le guide partagé de la performance, qui est le mode d'emploi de la LOLF.

J'espère que cette collaboration va se poursuivre durant ce débat d'orientation. Je sais que la situation n'est pas facile. Mais il y a au moins une bonne nouvelle, c'est qu'il n'y a guère de doute sur la direction que nous devons retenir : nous devons prendre des décisions tout de suite et les assumer. Après tout, c'est moins difficile quand on pense, à juste titre, travailler pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État au budget, mes chers collègues, depuis vingt-trois ans, l'État français dépense chaque année entre 10 % et 20 % de plus que les recettes qu'il perçoit. Nous sommes entrés dans une sorte de culture du déficit. Ce dernier est devenu une espèce de drogue qui provoque un phénomène d'accoutumance. En effet, même dans les années les plus favorables, de 1987 à 1991 et, plus récemment, de 1998 à 2001, nous n'avons même pas été capables d'atteindre ne serait-ce que l'équilibre primaire du budget. Les recettes exceptionnelles de la croissance, telle la « cagnotte » de 1999, ont été aussitôt englouties dans des dépenses comme les 35 heures. Ces recettes ont disparu mais les dépenses, elles, sont restées ! (« Hélas ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Besson. Ça commence bien. Vous faites dans la nuance !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le résultat de ces deux dernières décennies, c'est que, au fil du temps, la dette s'est accumulée : 1000 milliards d'euros aujourd'hui. Le ministre a souligné que les intérêts de la dette étouffent nos marges de manœuvre : 15 % du budget cette année, soit autant que le total des crédits de la justice, de l'enseignement supérieur, de la santé, de la solidarité.

Mes chers collègues, nous ne devons pas transformer les critères de Maastricht, notamment le fameux seuil des 3 %, en une contrainte extérieure qui nous servirait d'alibi. La question des déficits et de l'endettement, c'est notre problème et nous devons la traiter comme tel. Savez-vous que, pour simplement arrêter l'effet boule de neige de la dette en la stabilisant, ce n'est pas 3 % de déficit qu'il faudrait atteindre, mais beaucoup moins, entre 2 % et 2,5 % ?

Comment desserrer cet étau dans lequel des décennies de gestion, essentiellement socialiste, nous ont placés ?

Le principe cardinal à suivre, la ligne sur laquelle nous devons nous battre absolument, c'est la stabilisation de la dépense. Étant donné son niveau actuel, nous n'avons plus le droit d'augmenter la dépense publique.

En 2003, nous avons mis en œuvre ce principe cardinal en autorisant un volume de dépenses que le Gouvernement a respecté à l'euro près. Cela ne s'était jamais vu sauf en 1987. C'était méritoire, puisque nous avions dû « recaler » le budget 2002. Mes chers collègues, souvenez-vous qu'au collectif de juillet 2002, nous avions été obligés d'ajouter 2,5 milliards d'euros délibérément non prévus par nos prédécesseurs dans la loi de finances initiale. Il a fallu, fin 2002, payé trois fois la prime de noël aux chômeurs et aux RMIstes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Louis Giscard d'Estaing. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. Les socialistes vivent au-dessus de leurs moyens !

M. Augustin Bonrepaux. Parlez plutôt de ce que vous avez fait !

M. Richard Mallié. Nous avons payé vos dettes, monsieur Bonrepaux !

Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez parler M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En 2004, la dépense devra être tenue, et nous souscrivons totalement aux mesures de régulation, qui doivent être assumées par les différents ministres dans l'esprit de la loi organique.

Pour 2005, il faut être intransigeant sur la stabilisation de la dépense. Il n'y a pas d'autres perspectives. Notre débat porte sur le budget de l'État, mais je rappelle que celui-ci est inférieur à celui de la sécurité sociale. Il ne faut donc pas exonérer de l'effort budgétaire les autres administrations, notamment sociales. Et c'est notre honneur d'avoir réalisé, l'an dernier, la réforme des retraites et d'engager aujourd'hui celle de l'assurance maladie, alors que nos prédécesseurs n'ont même pas eu le courage d'esquisser ces réformes indispensables.

M. Augustin Bonrepaux. C'est du bluff !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. L'exécution budgétaire de 2003 doit nous inciter à la réflexion pour l'avenir.

Je rappelle les résultats : en 2003, le déficit budgétaire a atteint 57 milliards d'euros, soit 12 milliards de plus que prévu. Pourtant, cette année-là, la dépense a été tenue. Le déficit imprévu est donc dû à des moins-values de recettes. Fallait-il les compenser par des économies supplémentaires ? Je pense que non,...

M. Michel Bouvard. Très juste !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. ...et le Gouvernement a eu raison de ne pas courir le risque de prendre des mesures récessives qui auraient accentué la crise. Le ministre a d'ailleurs souligné que c'est une des raisons pour lesquelles nous avons pris de l'avance par rapport aux autres pays européens pour ce qui est du retour de la croissance.

Mais ces 57 milliards de déficit traduisent aussi le fait qu'en 2003, la dépense a été supérieure de 20 % à la recette. Est-ce possible ? Plus grave encore, sur ces 57 milliards, qu'il a fallu emprunter, 30 milliards correspondent à de l'investissement, ce qui est tout à fait sain, mais 27 milliards, soit près de la moitié, ont été affectés à des dépenses de fonctionnement. En clair, cela veut dire que l'État, pour payer ses fonctionnaires à la fin du mois, va chercher les moyens de financement chez le banquier. M. le ministre l'a dit, cette situation ne peut plus durer.

À partir de cette expérience, je dirai qu'il faut se caler sur deux règles pour nos orientations budgétaires de 2005 : stabilité en matière de dépenses ; prudence et sécurité en matière de recettes, avec affectation exclusive des gains supplémentaires éventuels à la réduction du déficit.

S'agissant de la dépense, la contrainte dite du « zéro volume » est extrêmement difficile. Les 4 milliards de dépenses supplémentaires pour 2005 que nous autorise l'inflation sont à peine dégagés qu'ils sont aussitôt absorbés par le poids du passé, celui de la dette croissante - 2 milliards - et celui des pensions : 50 000 à 70 000 fonctionnaires partent en retraite. Cela signifie qu'en réalité, pour toutes les autres dépenses, c'est la « contrainte zéro » qui doit s'appliquer, c'est-à-dire aucune augmentation en euros courants.

Or, 6 à 7 milliards sont déjà engagés pour les lois de programmation, pour l'unification du SMIC, pour la revalorisation de minima sociaux, entre autres. Il nous faut donc absolument redéployer 6 à 7 milliards de crédits. Un tel effort est du jamais vu ; il ne pourra donc pas passer par des économies de bouts de chandelles sur les dépenses de fonctionnement de l'État. Cet effort appelle une véritable réforme.

M. Jean-Jacques Descamps. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Et la réforme est possible. Je vais vous en donner quelques exemples.

Le poste principal dans le budget, c'est celui des effectifs de la fonction publique d'État : l'éducation nationale en représente la moitié. À cet égard, est-il logique que ceux qui passent le concours le plus exigeant et bénéficient de la rémunération la plus élevée aient la durée d'enseignement la plus courte : quinze heures pour un professeur agrégé, dix-huit heures pour un professeur certifié, vingt à vingt-deux heures pour un professeur de lycée technique ?

M. Augustin Bonrepaux. Mais vous avez vu leurs traitements ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela n'existe nulle part ailleurs qu'en France. Est-il acceptable qu'au nom du cloisonnement des disciplines, de la mono- valence, un professeur d'allemand qui n'a plus d'élèves puisse refuser d'enseigner le français et rester chez lui tout en étant payé alors qu'il y a un besoin d'heures d'enseignement en français ? (« C'est scandaleux ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) J'ai vu, avec Pierre Méhaignerie, un tel cas à l'académie de Rennes.

Dans le cadre du plan Jospin de revalorisation de la fonction d'enseignant, la nation a accepté un effort supplémentaire de plus de 20 milliards. Ce plan était nécessaire. Mais nos collègues socialistes trouvent-ils normal que, par manque de courage politique, le gouvernement de l'époque n'ait pas osé demander en contrepartie des obligations de service accrues ?

M. Gérard Bapt. Et vous, osez-vous ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le réseau diplomatique de la France est le deuxième du monde avec 268 représentations, 537 agences consulaires, 28 instituts de recherche, 166 établissements culturels. Ne serait-il pas possible, notamment dans le cadre de l'Union européenne, de simplifier et de réformer tout cela ?

À Bercy, monsieur le ministre, 1 400 emplois affectés à la perception de la redevance audiovisuelle pourraient être redéployés. La commission des finances a adopté un amendement à ce sujet dont nous parlerons cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Besson. Nous sommes ici dans un débat d'orientation budgétaire !

M. Augustin Bonrepaux. C'est de la provocation, monsieur Carrez !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le deuxième grand secteur à réformer, ce sont les dispositifs sociaux, qui fonctionnent à guichets ouverts. Nous avons voté dès la fin 2002, puis à nouveau en 2003, la réforme de l'aide médicale d'État, c'est-à-dire le bénéfice de la CMU pour les personnes en situation irrégulière. Est-il normal que les décrets d'application ne soient toujours pas sortis, alors que la non réforme de ce système explique, pour une grande partie, que nous n'arrivions pas à maîtriser l'immigration clandestine.

S'agissant des collectivités locales, je dis oui à l'indexation des dotations sur un tiers de la croissance du PIB, mais non aux dégrèvements systématiques qui font que plus l'on dépense, plus le contribuable national doit se substituer au contribuable local. C'est le contraire de la responsabilité et de l'autonomie financières.

La réforme doit aussi porter sur les organismes et les procédures inutiles, « la machine à faire de la complexité », selon l'expression du président de la commission des finances.

Puis, monsieur le ministre, nous pouvons progresser dans la conduite de la politique immobilière de l'État. D'une façon plus générale, il faut une gestion dynamique des actifs de l'État. C'est probablement en cédant un certain nombre d'actifs que nous parviendrons à stabiliser notre endettement.

Un chiffre donne parfois le vertige : si l'on calcule la situation nette de l'État, comme on le fait dans une entreprise, nous sommes à moins 550 milliards d'euros - c'est la différence entre le passif et l'actif. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Besson. Arrêtez de poser des questions ! Vous oubliez qui est au Gouvernement et avec quelle majorité !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Si nous en sommes là,...

M. Éric Besson. Oui, on sait, c'est notre faute ! Mais qu'est-ce que vous allez faire ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. ...c'est exclusivement en raison de votre gestion. Vingt ans de gestion socialiste, cela use un pays, mon cher collègue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Même en faisant un gros effort en matière de dépenses, nous n'aurons pas de marge de manœuvre en 2005. Comme l'a dit très justement M. le ministre, il est hors de question - nous devons être intransigeants sur ce point - d'augmenter les prélèvements. C'est impossible compte tenu du niveau où ils se situent.

M. Michel Bouvard. Il faut le dire à Lepeltier !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Mais il faut aussi avoir la lucidité de dire que nous n'aurons pas de marge de manœuvre pour des baisses d'impôts systématiques. Si nous voulons baisser des impôts, cela ne pourra se faire que par redéploiement. Par exemple, il est possible de procéder au recyclage d'un certain nombre de niches fiscales.

M. Augustin Bonrepaux. Qu'est-ce que vous attendez pour le faire ? La vérité, c'est que vous en créez sans cesse de nouvelles !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Là aussi, nous sommes confrontés à la nécessité de la réforme.

Pour terminer, je voudrais évoquer, comme l'a fait M. le ministre, la nécessité de nous doter collectivement de quelques règles d'or de bonne gestion, je dirais presque de règles de père de famille.

Première règle : la dépense doit être stabilisée. Je l'ai dit et je n'y reviens pas.

Deuxième règle : il faut être prudent dans l'évaluation des recettes. Il est judicieux, comme vient de proposer M. le ministre, de dire par avance que l'on affectera à la résorption du déficit, et donc de l'endettement, l'essentiel des recettes qui excéderont les prévisions.

Troisième règle, il faut absolument ramener notre déficit aux dépenses d'investissement. Il est impensable que l'État puisse continuer à financer des dépenses de fonctionnement par l'emprunt. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Quatrième règle - et il faut vraiment que vous nous aidiez sur ce point, messieurs les ministres -, il faut mettre en place, comme nous le demandons depuis un an, une procédure systématique d'étude d'impact financier à l'occasion de tous les textes examinés par notre assemblée. Il n'est pas normal que nous abordions des textes sans disposer d'une évaluation précise de ce qu'ils vont coûter.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Didier Migaud. Cela a-t-il été fait pour le texte que nous allons examiner cet après-midi ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. De surcroît, nous souhaitons que les mesures fiscales relèvent toutes de la loi de finances. Sans cela, il est impossible d'avoir une visibilité suffisante dans l'évolution de nos finances publiques.

Dernière règle d'or, il faut absolument évaluer, contrôler et faire vivre la loi organique. Cela implique de se doter de possibilités d'évaluation et de contrôle. Par exemple, est-il normal, mes chers collègues, qu'au moment où le budget d'investissement de la défense progresse de plus de 10 % - ce qui est une bonne chose, parce qu'il avait été sacrifié par nos prédécesseurs -, l'on nous propose un programme « armement » qui est une gigantesque boîte noire de 15 milliards d'euros, sur laquelle nous ne pourrons pas exercer le contrôle parlementaire qui nous revient ? Je pense que non.

M. Augustin Bonrepaux. Il ne suffit pas de proposer ! Pourquoi vous ne le faites pas ?

M. Michel Bouvard. Nous avons déposé les amendements nécessaires !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Messieurs les ministres, non seulement nous tous, à la commission des finances, mais aussi tous les collègues sur ces bancs, nous sommes prêts à travailler avec vous dans le cadre de cette lisibilité, de cette visibilité sur le moyen terme que vous donnez à la politique budgétaire et fiscale. Nous avons multiplié les travaux, les réflexions, les auditions, notamment sur la réforme de l'État, sur les quelques règles d'or qui doivent être suivies. Vous pouvez compter sur notre total soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en écoutant tout à l'heure M. le ministre d'État, dont je partage la totalité des analyses et des objectifs,...

M. Jean-Pierre Brard. C'est une conversion !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ...je pensais à la journée d'un élu local. Le matin, il reçoit une délégation de parents d'élèves qui lui demande des remplacements pour des heures d'enseignement qui ne sont pas effectuées alors que, comme l'a dit le rapporteur général, une proportion très importante d'enseignants ne font pas leurs dix-huit heures. À midi, il reçoit une délégation de coiffeurs qui demande l'abaissement de la TVA à 5,5 %. Le soir, il reçoit une délégation du Secours catholique et de Médecins du monde remettant en question l'aide médicale d'État, qui a quadruplé en deux ans et dont on sait les abus auxquels elle donne lieu. Si j'en parle, c'est que la montagne que nous avons à franchir est presque himalayenne.

M. Augustin Bonrepaux. Mais la route est droite !

M. Jean-Pierre Brard. Pierre Mazeaud va vous aider !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Nous en parlons d'ailleurs dans cette enceinte depuis vingt ans. La question que nous devons tous nous poser est de savoir quelle est l'action pédagogique la plus efficace pour convaincre non seulement nos compatriotes mais même des ministres de la nécessité de réduire la dépense publique.

Personnellement, l'argument le plus puissant pour convaincre nos compatriotes me semble être le suivant : tous les pays qui ont un taux de chômage inférieur à 5 % sont des pays qui ont maîtrisé leurs dépenses publiques et fait des réformes de structures. Vous disiez à l'instant, monsieur le ministre d'État, qu'il était nécessaire d'avoir la confiance de l'opinion publique. À cet égard, je pense que c'est le lien entre la politique de l'emploi et la maîtrise de la dépense publique qui peut être l'argument le plus efficace pour convaincre nos compatriotes.

Chacun sait, comme vient de le dire le rapporteur général, qu'il existe une accoutumance aux produits dopants. Aujourd'hui, la France est dopée à la dépense publique et à la dette. Dans un rapport paru la semaine dernière, l'INSEE montre que la politique budgétaire doit être infléchie, parce qu'elle n'est plus soutenable. Il y a un seuil au-delà duquel la dépendance créée par le dopage se retourne contre la performance, c'est-à-dire contre l'emploi. En matière de dopage, ce qui vaut pour un organisme humain vaut aussi pour l'économie française.

M. Didier Migaud. Cela s'adresse à qui ? Au Président de la République ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je parlais à l'instant de l'absolue nécessité qu'il y a à faire un effort de pédagogie, non seulement en direction de nos compatriotes mais aussi en direction de nos ministres. Et je reconnais - je l'ai d'ailleurs dit - qu'avoir un gouvernement composé de quarante-deux ministres et secrétaires d'État n'était pas le meilleur moyen pour assurer la maîtrise de la dépense publique. (« C'est vrai ! » sur divers bancs.)

Je me bornerai, monsieur le ministre d'État, à indiquer quelques pistes.

Je dis oui à la croissance zéro de la dépense publique. À la rentrée, le chiffre des effectifs dans la fonction publique va être connu. Si la diminution de ces effectifs tombe au-dessous de 15 000, nous pourrons dire qu'il est très difficile dans ce pays de franchir les caps nécessaires. Pourtant, le rapport Choussat parlait d'une diminution possible de 500 000 - il mériterait d'être relu.

Mais il faut tenir compte de la sensibilité de nos compatriotes qui travaillent dans la fonction publique. Ces fonctionnaires sont souvent étouffés par la multiplication des textes et leurs changements permanents. Notre assemblée doit parvenir à alléger les procédures, à remettre en question l'empilement des structures, faute de quoi nous ne pourrons pas justifier devant ceux qui travaillent dans le secteur public de l'efficacité des mesures que nous prenons. Je me rappelle toujours ce que me disaient les magistrats : « Arrêtez de modifier les textes sans arrêt. Nous avons plus besoin de stabilité dans les textes que de croissance des effectifs. »

La deuxième piste concerne les services publics. Le problème n'est pas leur existence. Nous y sommes attachés.

M. Augustin Bonrepaux. On voit le résultat !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. La question, qui n'est jamais posée, est de savoir à quels coûts les services qui sont rendus le sont. Sur le terrain, on constate que beaucoup de ces services, y compris à EDF ou à la SNCF, pourraient être rendus à un coût inférieur : ils pourraient être entre 10 et 20 % moins chers qu'ils ne le sont aujourd'hui.

M. Augustin Bonrepaux. C'est pourquoi vous voulez les supprimer ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Dans ce pays, ce ne sont pas les entreprises privées qui sont malades, mais l'Etat et l'ensemble des services publics. On peut dire qu'en France, l'État n'est pas géré.

Troisième piste : les engagements sociaux. Lors de la campagne pour les élections régionales, j'ai été stupéfait d'entendre parler de la « casse sociale », alors même que, au cours de ces deux dernières années, les dépenses sociales ont progressé de plus de 12 %.

M. Didier Migaud. Si le nombre de RMIstes augmente, ce n'est pas leur faute !

M. Augustin Bonrepaux. C'est parce que ces dépenses augmentent trop que vous voulez les transférer aux collectivités locales ?

Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, laissez parler M. le président de la commission.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. J'en arrive aux collectivités locales auxquelles vous êtes très attaché, monsieur Bonrepaux. J'espère que les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat mettront en place un observatoire des finances locales. Depuis quinze ans, celles-ci ont fortement augmenté. Il nous faut modifier les mécanismes, car la dépense publique locale est aujourd'hui récompensée.

M. Augustin Bonrepaux. Vous remettez en cause l'autonomie des collectivités locales !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Monsieur Bonrepaux, un peu de sérénité ! D'autant plus que vous êtes convaincu de la justesse de mes remarques.

Si nous ne mettons pas en place une incitation à la vertu, monsieur le ministre d'État, la dépense locale continuera à augmenter fortement. Actuellement, plus vous dépensez et plus vous êtes aidé par l'État. Plus vous économisez et plus vous êtes sanctionné. Les collectivités qui ont un taux de taxe professionnelle inférieur à 24,5 points doivent payer au fonds national de péréquation une taxe qui varie entre 0,6 et 3,4 points. Du coup, il n'est guère étonnant que les maires, qui font preuve de bon sens, vous disent, lors des réunions de communautés d'agglomération ou de communautés de communes : mais pourquoi verser cet argent à l'État alors que nous pourrions le garder pour nous ? Tout incite à la dépense, et cela continuera si nous ne changeons pas les règles qui vont dans ce sens.

M. Augustin Bonrepaux. Ce sont de nouvelles règles que vous proposez là ? Mais c'est nouveau, ça !

Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux, vous aurez la parole tout à l'heure.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. L'État n'est pas géré, disais-je, et vous partagez cette analyse, monsieur Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Mais je vous ai posé une question : est-ce que vous proposez de changer les règles ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Oui, pour les collectivités locales, je le propose. Et Hervé Mariton rassemble autour de lui, et à juste titre, un certain nombre de collègues qui s'engagent à ne pas augmenter le taux de leurs impôts locaux. Si nous ne parvenons pas à maîtriser les dépenses locales,...

M. Augustin Bonrepaux. Vous proposez cela au nom de l'autonomie inscrite dans la Constitution, je suppose !

Mme la présidente. Monsieur Bonrepaux !

M. Augustin Bonrepaux. Non mais quand même ! Il nous dit que les collectivités locales doivent être autonomes et il veut les museler !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Monsieur Bonrepaux, si vous étiez convaincu comme moi que la dépense publique excessive se retourne contre l'emploi et que l'inégalité majeure en France, c'est le chômage, vous conviendriez avec moi que nous devrions prendre ensemble les mesures qui permettent de régler le problème du chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Autre piste que nous devons explorer : la suppression des niches fiscales. La baisse de l'impôt sur le revenu devrait conduire à une certaine réduction de niches dont l'efficacité n'est pas toujours démontrée.

D'autres pistes sont à explorer en fonction des conclusions de la Cour des comptes. Les ministères qui n'ont tenu aucun compte de ses recommandations devraient être sanctionnés par le Parlement. C'est mon souhait, comme celui de mes collègues de la commission des finances.

Enfin, je pense que pour réhabiliter le travail, il faut être attentif à la prime pour l'emploi, qui est un des éléments de correction des inégalités et de revalorisation du travail. Ne serait-il pas possible, monsieur le ministre d'État, monsieur le secrétaire d'État au budget, de la réintégrer dans la fiche de paie mensuelle, pour qu'elle apparaisse aux salariés comme faisant partie des résultats de leur travail et non pas comme un chèque qui arrive à un moment quelconque de l'année ? Je crois que ce serait un moyen important de réhabiliter le travail.

Messieurs les ministres, dans les quatre ou cinq mois qui viennent, un travail important nous attend, en collaboration avec vos services. Et nous le ferons en étant convaincus que c'est la maîtrise de la dépense publique qui nous permettra d'être à la fois plus efficaces et moins injustes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

M. Augustin Bonrepaux. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour un rappel au règlement.

M. Augustin Bonrepaux. Mon rappel au règlement porte sur la répartition du temps de parole.

Mme la présidente. Elle résulte d'une décision de la conférence des présidents.

M. Augustin Bonrepaux. Je constate, madame la présidente, que l'UMP, par la voix de son futur président et de celles du rapporteur général, du président de la commission et de divers orateurs totalisant cinquante minutes, accapare la plus grande partie du temps de parole. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Bouvard. Vous êtes inscrit sur une motion de procédure, cet après-midi !

M. Augustin Bonrepaux. En revanche, le groupe socialiste est réduit à la portion congrue ne bénéficiant que d'à peine cinq minutes de plus que l'UDF et que le groupe communiste.

Vous nous excuserez, donc, madame la présidente, si nous dépassons légèrement notre temps de parole pour développer nos arguments !

M. Jean-Jacques Descamps. Chantage !

M. Philippe Auberger. C'est indigne !

Reprise du débat

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. J'ai, ici, la carte de vœux qu'Alain Lambert nous a adressée au début de l'année. Il rappelait avec Turgot : « Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunts. »

M. Jean-Pierre Brard. Il n'a pas été remercié ! Ou plutôt, il l'a été, c'est bien le problème ! (Sourires.)

M. Didier Migaud. Il a été élu, c'est pour cela qu'il a été licencié ! A l'UMP, il est dangereux d'être élu au suffrage universel !

M. Hervé Mariton. Nous persistons à vouloir aller dans la bonne direction et nous estimons que nos arguments sont à ce point pertinents que nous aurons besoin pour les exposer de moins de temps que M. Bonrepaux n'en demande pour présenter les siens.

Le groupe UMP constate avec vous, monsieur le ministre, que la situation économique de notre pays s'améliore aujourd'hui, et c'est tant mieux. Cela permettra une amélioration de l'état des finances publiques. Mais, chacun le comprendra, si nous voulons que l'amélioration de la situation économique se confirme et s'amplifie, nous avons besoin de meilleures finances publiques encore : c'est affaire de confiance. En effet, la qualité d'une politique et la qualité des finances de l'État sont choses liées dans la durée, comme nous l'expliquons au sein de l'Union européenne et comme nous devons en convaincre les Français. Nous avons trois ans pour réussir.

M. Jean-Pierre Brard. C'est mal parti !

M. Hervé Mariton. « Faites-moi de la bonne politique, je vous ferai de bonne finance » disait le baron Louis.

M. Didier Migaud. Entre le baron Louis et le baron Ernest !

M. Hervé Mariton. En effet, l'une et l'autre vont ensemble ; les bonnes finances sont au service d'une bonne politique.

Pour retenir de bonnes orientations budgétaires, la clarté est nécessaire. Vous l'avez précisé, monsieur le ministre, en évoquant le taquet auquel nous sommes arrivés. Nous sommes au-delà du taquet et la situation des finances publiques est mauvaise, très mauvaise. Elle est le résultat de longues années de mauvaise gestion...

M. Didier Migaud. Surtout les deux dernières !

M. Hervé Mariton. ...que nous devons assumer. Le rapport que vous nous avez présenté pour la période 2004-2007 évalue les dérives tendancielles de la charge de la dette à 8 milliards et celles des dépenses de personnel à 7 milliards. Si l'on respecte la bonne règle de maintien en volume constant de la dépense, il manque déjà 2 milliards : 15 milliards versus 13 milliards ! L'action de l'État serait donc nécessairement entamée de deux milliards. Cela montre la difficulté de la situation. La Cour des comptes nous rappelait encore hier qu'il n'est évidemment pas bon que l'État finance par l'endettement des dépenses de fonctionnement : un mois de dépenses courantes aujourd'hui.

Cette clarté est nécessaire à la pédagogie. Il ne s'agit pas d'inquiéter ou d'affoler nos compatriotes. Nous devons, en effet, construire la confiance, qui suppose un message clair, et vous l'avez livré. Il faut, oui, une lecture intelligente du pacte de stabilité, mais il ne serait pas judicieux de trop jouer avec nos engagements européens. Le Conseil des ministres nous protège des sanctions de la Commission, cela ne nous rend pas vertueux pour autant.

Clarté, et aussi cohérence. Vous l'avez rappelé avec Gilles Carrez et Pierre Méhaignerie, monsieur le ministre, de bonnes orientations budgétaires ne sont pas que l'affaire de l'État, ce sont également celle des financements sociaux et des collectivités locales. A cet égard, j'encourage tous ceux qui le souhaiteraient à signer le pacte de stabilité de la fiscalité locale que j'ai proposé, et si nos collègues socialistes souhaitent le signer, il seront les bienvenus.

Les choix budgétaires et fiscaux doivent être cohérents et coordonnés. Les lois de finances sont là pour cela. À cet égard, nous regrettons les annonces parfois désordonnées, source de problèmes de cohérence, de lisibilité et de coût. Nous ne voulons pas d'augmentation des prélèvements. Notre direction doit rester, autant que possible, celle de la baisse. Mais afficher d'emblée que l'impôt peut baisser ou qu'il ne le peut pas n'est peut-être pas la meilleure manière d'engager le débat. L'évolution, stable ou à la baisse, de l'impôt doit être la résultante de l'ensemble des choix proposés dans le projet de loi de finances. Évidemment, compte tenu de la situation, nous sommes opposés à toute augmentation et nous souhaitons la baisse autant qu'il est possible. Sans doute que la baisse sera très modeste en 2005, mais, en tout cas, ne troublons pas le message livré en 2003 et en 2004 ! Faisons preuve de cohérence.

Au-delà du discours de la méthode, tout cela requiert de l'ambition et de l'enthousiasme. Pour dégager des marges d'action, il faut évidemment, étant donné la situation de nos finances publiques, encourager et accélérer la réforme de l'État. Les outils seuls ne nous sauveront pas. Quelques-uns d'entre nous pensent probablement que la LOLF, par ses propres vertus, peut accélérer la réforme de l'État ; elle le permettra sans doute en partie, mais elle ne suffira pas sans volonté politique concrète - heureusement, elle existe, tant mieux et merci ! Cela exige évidemment une volonté d'action et une connaissance toujours rigoureuse du fonctionnement de l'État.

Nous avons été navrés, hier, d'entendre le Premier président de la Cour des comptes rappeler le flou artistique qui continue de régner dans la gestion des effectifs avec, en termes d'évolution de l'emploi en 2003, plus de 5 600 titulaires civils et plus de 13 000 contractuels. Il y a manifestement, en matière de maîtrise des effectifs et de réforme de l'État, une volonté à prolonger, à affirmer et à mettre en œuvre. Nous vous faisons confiance pour cela.

S'agissant des stratégies ministérielles de réforme, il faut que les résultats soient à la hauteur des attentes. Ainsi, vous avez engagé une politique de valorisation du patrimoine.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Mariton.

M. Hervé Mariton. Je conclus, madame la présidente.

Les dossiers pourraient parfois avancer plus vite, s'agissant, par exemple, des logements des gendarmes.

Vous avez rappelé, et je vous en remercie, monsieur le ministre, votre culture du résultat. Nous la partageons volontiers.

Les orientations budgétaires sont source de contraintes et d'objectifs. Nous partageons les vôtres pour les trois ans à venir. Le budget pour 2005 devra ouvrir cette période au terme de laquelle nous serons jugés. Il n'y a pas de temps à perdre. Au travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud. Vous nous avez invités, monsieur le ministre d'État, à une journée d'échanges sur la situation de nos finances publiques, sur les orientations et sur quelques propositions que vous nous présenterez cet après-midi. Ce que vous dites, monsieur le ministre d'État, est toujours intéressant et n'est jamais banal, comme votre façon de le dire. Le style a changé, le discours lui-même a changé, mais, nous aurons l'occasion d'y revenir, la politique reste la même, marquée par l'injustice et, souvent, l'insincérité. Nous aurons l'occasion de reprendre un certain nombre de vos chiffres. J'ai eu, parfois, l'impression, ce matin, que nous étions quelques-uns à nous être invités à un congrès de l'UMP où le ministre d'État pouvait quelque peu roder son discours.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Vous avez trouvé une belle formule !

M. Hervé Mariton. Vous savez qu'il y a beaucoup de convergence dans les congrès de l'UMP !

M. Jean-Pierre Brard. Il ne faut pas lire les journaux pour y croire !

M. Didier Migaud. En tout cas, vous êtes rassemblés, ici, dans cet hémicycle, au point de nous avoir oubliés ! Excusez-nous d'être là ! Notre temps de parole n'est peut-être pas suffisant, je le regrette ; la conférence des présidents a eu quelque oubli, nous méritions mieux que les trente-cinq minutes qui nous ont été proposées pour un tel débat !

Nous avons lu avec attention le rapport du Gouvernement. Il se lit d'ailleurs comme un roman. Comme dit la chanson : « C'est un beau roman, c'est une belle histoire. » En réalité, le scénario idyllique qui est décrit a pour objectif de mieux cacher le « sang et les larmes » que la politique menée par le Gouvernement promet aux Français. Dans leurs déclarations, le président de la commission des finances et le rapporteur général en appellent encore à plus de rigueur et d'austérité. Je ne peux qu'être inquiet, même si je constate quelquefois avec amusement et stupéfaction les vives critiques qu'ils formulent à l'encontre de la politique conduite depuis deux ans. A les entendre, que d'erreurs ont été commises depuis deux ans, erreurs qui, semble-t-il, émanent du Chef de l'État !

Monsieur le président de la commission, osez, soyez audacieux ! Remettez en cause les consignes qui viennent d'en haut ! Vous êtes président de la commission des finances, nous sommes le Parlement et, jusqu'à preuve du contraire, c'est nous qui décidons. Toutefois, ce que vous proposez, monsieur le président - nous aurons l'occasion d'y revenir - ne nous satisfait pas non plus, puisque cela aurait pour conséquence d'aggraver l'austérité.

Pour débattre des orientations, il est nécessaire de savoir d'où l'on part. Nous avons eu l'occasion de le préciser, nos finances publiques se sont particulièrement dégradées depuis deux ans.

Depuis le collectif d'été de 2002, nous critiquons les décisions fiscales et budgétaires du Gouvernement qui ont contribué à aggraver la dégradation des finances publiques. Le rapport préliminaire présenté par la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour 2003 a confirmé nos critiques et constaté que la situation financière s'est « gravement détériorée » en 2003. Vous avez dit, monsieur le ministre d'État, être attentif à ces chiffres et à cette situation incontestable. La Cour constate que le déficit budgétaire s'est creusé de 28 % par rapport aux prévisions initiales, que le solde primaire qui, monsieur le rapporteur général, était positif entre 1999 et 2001...

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous l'avez « tangenté » en 2000 !

M. Didier Migaud. ...est fortement négatif en 2003,...

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C'est l'exception qui confirme la règle !

M. Didier Migaud. ...ce qui a provoqué une explosion de la dette publique. Votre fonction mérite une rigueur dont vous faites le plus souvent preuve, mais, vous avez, ici, quelque peu dérapé !

Au total, la Cour constate que le déficit public français, avec un record historique en valeur de 4,1 % du PIB, a été en 2003 « le plus élevé de l'Union européenne. » La dette publique atteint le record historique de 63,7 % du PIB.

La dégradation du solde structurel contredit totalement les affirmations du Gouvernement. Alors que le Gouvernement accuse la gauche de n'avoir pas suffisamment réduit le déficit structurel, celui-ci s'est creusé depuis 2002 ! Alors que le solde structurel était inférieur, monsieur le ministre d'État, à la moyenne de la zone euro en 2001, il en est désormais le double ! Le Gouvernement prétend que la dégradation du déficit public est essentiellement conjoncturelle. En réalité, elle est structurelle et s'explique par l'absence de maîtrise des dépenses sociales.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est ce que j'ai dit !

M. Didier Migaud. Certes, monsieur le ministre d'État, mais vous contribuez à cette situation en échouant à maîtriser les dépenses sociales - comme vous le reconnaissez parfois dans des élans de sincérité -, en faisant progresser les dépenses militaires de façon excessive et en menant une politique fiscale non financée, qui prive l'État de recettes.

À ce propos, je trouve un peu cocasse que vous nous reprochiez aujourd'hui d'avoir consacré une partie des surplus de recettes fiscales de 1999 et de 2000 à la réduction des impôts alors qu'à l'époque vous nous réclamiez avec force d'agir de la sorte. En 1999, plus de 80 % du surplus de recettes fiscales a été affecté à la réduction du déficit - bien au-delà, par conséquent, de ce que propose le ministre d'État -, puis, en 2000, nous avons effectivement cherché à répartir les fruits de la croissance, et nous avons bien fait car cela a permis à la France de maintenir un bon niveau de consommation.

Pour votre part, alors que vous ne disposiez même pas de surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions budgétaires, vous avez pourtant continué, au mépris de la raison, à réduire l'impôt sur le revenu, au risque d'aggraver sérieusement la situation de nos finances publiques. En tenant ces propos, je crois exprimer votre pensée, monsieur le président de la commission, puisque cela ressemble fort à ce que vous avez dit hier ; mais j'avoue qu'il est difficile d'être aussi critique que vous envers l'action du Président de la République.

Cette dégradation historique et structurelle a déclenché un effet boule de neige sur la dette publique : depuis 2003, la France ne respecte plus aucun des critères du pacte de stabilité, que ce soit en termes d'inflation ou de finances publiques, et, eu égard à votre politique, notre capacité à les s'y conformer en 2007 est plus que douteuse.

Le Gouvernement mène une politique de rigueur et n'a pas de stratégie de croissance.

La rigueur se traduit d'abord par la réduction de droits sociaux comme l'ASS ou l'AME, ainsi que par une remise en cause des politiques publiques, à travers, notamment, une régulation budgétaire massive.

Depuis juin 2002, sans même tenir compte des gels et annulations de 2004, ce sont 11,7 milliards d'euros de crédits budgétaires qui ont été purement et simplement annulés, soit l'équivalent du budget civil de recherche et développement et de celui de la culture et communication ! Ces mesures portent prioritairement sur des dépenses d'investissement civil, comme les infrastructures de transport ou le logement, et sur des crédits d'intervention, concernant notamment la politique de l'emploi, ce qui a des conséquences très négatives sur l'activité et pose des problèmes redoutables aux collectivités locales, monsieur le président de la commission des finances, l'État reniant sa parole.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Mais il prend en charge les dégrèvements !

M. Didier Migaud. Augustin Bonrepaux, tout à l'heure, vous redemandera sûrement de créer cette mission d'information que nous réclamons depuis des mois et que vous nous avez toujours refusée, indispensable pour que nous sachions si l'État est toujours en mesure de respecter ses engagements. Nous regrettons que certains périodiques aient produit, sur ce dossier, un travail plus fourni que l'Assemblée nationale, et nous aimerions que la commission des finances puisse enfin y travailler.

La « politique fiscale non financée » que stigmatise la Cour des Comptes ne stimule pas la croissance et déprime les ménages, comme l'avait reconnu Francis Mer, votre prédécesseur, monsieur le ministre d'État. Les baisses d'impôts sont en effet ciblées sur les ménages les plus aisés tandis que l'ensemble des Français subissent les augmentations des prélèvements - droits sur les tabacs, TIPP, impôts locaux - et des tarifs publics de l'électricité et des transports en commun. Au total, loin des promesses du Gouvernement, le taux de prélèvements obligatoires n'a pas diminué, stagnant à 43,8 % en 2003.

La France, qui se trouvait, entre 1997 et 2001, dans le peloton de tête de la croissance au niveau mondial, accuse désormais un retard de croissance.

Alors que notre rythme de croissance, depuis trois trimestres, est censé approcher 3 %, ce dont nous nous réjouissons, tous les clignotants sont au rouge ou à l'orange : la consommation n'est pas dynamique - tout au moins pas aussi dynamique qu'elle le devrait - parce que le pouvoir d'achat ne progresse pas ; l'économie continue de détruire des emplois, à raison de près de 10 000 au premier trimestre ; le nombre d'allocataires du RMI a explosé de 10 % en un an ; la balance des paiements est déficitaire. Cette croissance molle ne porte donc pas de fruits.

La question qui se pose désormais est de savoir à qui elle profite. À cet égard, il y a matière à être intrigué. Vous avez annoncé, monsieur le ministre d'État, que la croissance excéderait probablement les prévisions de la loi de finances initiale ; l'INSEE parle de 2,2 ou 2,3 %. Nous ne contestons pas cette estimation, pas plus, du reste, que nous n'avions contesté la prévision initiale, car nous l'estimions tout à fait raisonnable, contrairement à l'an dernier. Mais comment expliquez-vous, alors, que le déficit envisagé soit également plus élevé que prévu ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour 2004, ce n'est pas ce que nous disons !

M. Didier Migaud. Si la croissance est supérieure aux prévisions, les recettes devraient suivre la même courbe ! Où est l'erreur ? Il y a tout de même quelque chose qui cloche !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Qui prétend que les déficits seront plus élevés que prévu ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il fantasme !

M. Didier Migaud. Si vous maîtrisez les dépenses, le déficit devrait baisser. Où est l'erreur ? Comment le déficit peut-il déraper ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais où avez-vous vu cela ?

M. Didier Migaud. C'est dans votre rapport sur le débat d'orientation budgétaire, monsieur le ministre d'État. Je vous renvoie à vos propres écrits : vous estimez à 0,2 ou 0,3 point l'augmentation supplémentaire prévisible du déficit.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous prenez vos désirs pour la réalité !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah ! J'ai compris ! Il confond avec l'assurance maladie !

M. Didier Migaud. Non, je ne confonds pas ! Je parle des comptes publics dans leur ensemble, État et sécurité sociale. Vous êtes tout de même chargé de l'ensemble des finances publiques, monsieur le ministre d'État ! (Exclamations.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. M. Sarkozy est responsable de tout, c'est bien connu !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Y compris d'Augustin Bonrepaux ! Et c'est un boulot à temps plein ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Il doit même s'occuper de Mme Alliot-Marie. (Sourires.)

M. Didier Migaud. Confronté à l'échec de sa politique injuste et inefficace ainsi qu'à la sanction récente du suffrage universel, le Gouvernement n'a procédé qu'à un simple « relookage » médiatique sans rien modifier au fond de sa politique. Le projet de loi censé soutenir la consommation et l'investissement - nous aurons l'occasion d'y revenir cet après-midi - ne représente en aucun cas un changement de politique ; ce n'est en fait qu'un catalogue disparate de « mesurettes » à l'effet incertain. J'ai d'ailleurs lu une critique intéressante émanant une fois encore du président de commission des finances, qui demande à quoi sert la disposition en faveur des restaurateurs.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je parlais de la baisse de la TVA.

M. Didier Migaud. J'espère que vous lui répondrez dès cet après-midi, monsieur le ministre d'État, car j'ai hâte d'entendre vos explications.

Le Gouvernement refuse une nouvelle fois de soutenir vraiment la consommation des ménages, s'en tenant à son seul objectif réel : multiplier les baisses d'impôts et les niches fiscales au profit des plus aisés.

Il est pourtant urgent, nous semble-t-il, de remettre en cause la politique économique et budgétaire dans un sens véritablement favorable à la demande intérieure. Le choix doit être fait d'une stratégie budgétaire de croissance appuyée sur la progression de l'emploi et du pouvoir d'achat de tous les Français.

Les objectifs affichés par le Gouvernement sont louables, même souhaitables, monsieur le ministre d'État. Quand vous déclarez qu'il faut encourager la consommation, soutenir la croissance, maîtriser la dépense publique, nous vous approuvons. Le problème, c'est que vous ne le faites pas !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis à Bercy que depuis trois mois ! C'est un peu tôt pour un bilan définitif !

M. Didier Migaud. La politique que vous conduisez est en contradiction avec ces objectifs.

Prenons l'exemple des dépenses publiques. Vous affirmez qu'elle sont maîtrisées mais la réalité contredit ce discours puisque leur part dans le PIB s'est accrue, retrouvant les niveaux les plus élevés jamais atteints, les chiffres de la Cour des comptes en attestent.

De même, le Gouvernement ne cesse de se dire préoccupé par la progression de l'endettement public et, pour atténuer ses responsabilités, il invoque une fatalité non démentie depuis vingt ans. Pourtant, je le répète, entre 1998 et 2001, le poids de la dette publique avait diminué, tandis qu'il explose depuis 2001.

La gestion des finances publiques est marquée, depuis juin 2002, par l'insincérité. Malgré les observations répétées de la Cour des Comptes et les réserves du Conseil constitutionnel, le Gouvernement persiste dans la présentation de prévisions non sincères, démenties systématiquement par les faits. Comme l'a fait remarquer le Premier président de la Cour des comptes, « il est paradoxal de faire voter aux parlementaires un plafond de dépenses en annonçant quelques semaines plus tard qu'il n'est qu'indicatif ». La sincérité de la loi de finances pour 2003 n'avait ainsi été admise que sous réserve d'observations importantes formulées par le Conseil constitutionnel, lesquelles auraient dû conduire le Gouvernement à déposer une loi de finances rectificative ; mais vous ne l'avez pas fait.

Lors de votre audition devant la commission des finances, le 4 mai dernier, monsieur le ministre d'État, vous avez indiqué que la stratégie du Gouvernement consistait notamment à « se doter de règles de comportement budgétaire pluriannuelles ». Nous partageons cet objectif mais nous sommes sceptiques quant à votre volonté réelle de l'atteindre ainsi que sur le fond des mesures proposées.

Je remarque cependant avec satisfaction que vous reprenez l'une de nos propositions. Dans mon rapport sur la dégradation des comptes publics, j'avais en effet suggéré de faire de la Commission économique de la nation, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne, un véritable lieu d'échanges et d'expertises associant parlementaires de la majorité et de l'opposition, représentants des collectivités locales et gestionnaires des comptes sociaux.

En revanche, il est dommage que vous n'ayez pas satisfait à la plus importante de nos propositions : celle qui vise à doter un parlementaire de l'opposition des pouvoirs de contrôle et d'investigation dont disposent déjà le président et le rapporteur général de la commission des finances. Dans le contexte actuel, l'opposition se trouve privée de tout pouvoir en la matière ou, tout au moins, dépendante du bon vouloir de l'exécutif et de la majorité. Je regrette que vous n'ayez pas encore répondu à notre demande sur ce point, même si je note avec satisfaction les idées avancées par le président de l'Assemblée nationale pour accorder davantage de pouvoirs à l'opposition.

Le Gouvernement évoque de façon récurrente la nécessité de remettre en cause les niches fiscales et de les évaluer systématiquement.

Il refuse pourtant, quand bien même la loi organique relative aux lois de finances l'exige implicitement, de les intégrer à la maquette budgétaire - je salue au passage l'important travail réalisé à ce sujet -, afin qu'elles puissent être analysées au regard des objectifs poursuivis et à l'aide des indicateurs définis pour chaque programme.

À cette contradiction s'en ajoute une seconde : le Gouvernement n'a de cesse de créer de nouvelles niches fiscales sans jamais en supprimer. À cet égard, le texte que votre majorité votera sans doute cet après-midi tient plus du chenil que du projet de loi, tant les nouvelles niches fiscales qu'il recèle sont nombreuses ! (Sourires.)

Vous nous racontez que vous voulez les remettre en cause. Chiche, monsieur le ministre d'État ! Vous avez demandé un rapport à je ne sais trop qui, alors que vous en avez déjà un à votre disposition : celui du Conseil des impôts, rendu l'année dernière, travail extrêmement rigoureux qui évalue le rapport coût/efficacité de chaque niche fiscale. Qu'attendez-vous ? J'ai oublié mon exemplaire, sans quoi je me serais permis de vous le remettre en séance afin d'accélérer votre réflexion et vos décisions.

En réalité, vous n'en avez pas la volonté et, à travers plusieurs dérogations fiscales, vous entendez poursuivre l'allégement de l'imposition pesant sur certains de nos compatriotes. Nous proposons, pour notre part, de plafonner l'avantage résultant du cumul de réductions d'impôts.

Nous souhaitons - et j'en terminerai par là, madame la présidente, en vous remerciant de votre compréhension - qu'un cap clair soit fixé pour nos finances publiques.

Vous nous avez parlé, monsieur le ministre d'État, de votre projet de loi organique tendant à affecter automatiquement au désendettement la moitié voire les deux tiers de tout surplus éventuel de recettes par rapport aux prévisions. Cette proposition contient, selon nous, deux faiblesses.

En premier lieu, elle instaure une règle mécanique dont l'application ne dépend que du niveau initial des prévisions. L'insincérité des prévisions de croissance et de recettes fiscales à laquelle nous sommes souvent confrontés permet de comprendre que la portée pratique d'une telle loi organique pourrait être réduite par un gouvernement peu scrupuleux.

Par ailleurs, cette proposition est moins volontariste que ce qui a pu être accompli dans le passé, en particulier par un gouvernement dont vous critiquez la politique, celui qui était au pouvoir en 1999 : je rappelle que plus de 80 % des surplus de recettes fiscales avaient alors été affectés à la réduction des déficits.

Le respect des indicateurs de solde de la dette publique et du déficit public ne permet pas de garantir un pilotage responsable des finances publiques. La solution à cette insuffisance réside dans l'utilisation de l'indicateur essentiel que constitue le solde primaire : à l'instar de la règle de conduite qui a été suivie entre 1997 et 2001, l'équilibre du solde primaire doit être l'objectif principal du pilotage des finances publiques ; cette solution nous paraît à la fois plus rigoureuse et plus opérante.

En conclusion, confrontés à une dégradation historique des finances publiques, que vous avez largement contribué à aggraver par vos décisions depuis deux ans, vous êtes désormais contraints, par nos engagements européens, à réduire massivement et brutalement le déficit.

Je suis stupéfait par vos a priori idéologiques, en particulier par le discours du président de la commission des finances sur les collectivités locales, qui seraient irresponsables et n'arrêteraient pas de dépenser de manière démagogique !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Je n'ai pas dit cela !

M. Didier Migaud. Il y avait quand même un peu de cela !

Ces propos sont regrettables parce que les élus locaux ont le sens des responsabilités. Et votre observatoire des dépenses des collectivités locales n'a, en fait, pour but que de plafonner ou remettre en cause l'autonomie de décision des élus.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Non, de contrer votre démagogie à venir !

M. Didier Migaud. Cela ne va pas dans le sens de l'histoire.

Vous assimilez abusivement réformes structurelles et réduction des droits sociaux.

Vous installez le pays dans la rigueur, avec toutes les conséquences que cela peut avoir.

Nous pensons, monsieur le ministre d'État, qu'une autre politique économique est possible. Vous nous dites que vous croyez en l'engagement politique et qu'il faut que nous arrivions à convaincre nos concitoyens que la politique est quelque chose de noble et qu'elle peut peser sur le cours des choses. C'est ce que vous essayez, je crois sincèrement, de faire.

Sincèrement aussi, nous pensons, je le répète, qu'une autre politique est possible dans l'intérêt de la France et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On peut toujours faire plus mal !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans le débat qui nous réunit autour de la stratégie économique du Gouvernement et des orientations des finances publiques, nous sommes aujourd'hui confrontés à un double défi : comment gérer le problème de notre endettement public tout en soutenant la croissance.

Ces deux questions sont essentielles à la fois pour l'avenir de notre pays et pour la justice sociale. Tel est l'enjeu du débat d'aujourd'hui.

Je tiens tout d'abord à saluer la démarche du nouveau ministre d'État qui s'est, dès la première heure, fixé ces deux priorités. Je suis certain qu'il saura faire preuve de la même énergie et de la même volonté qui lui ont permis de si bien réussir au ministère de l'intérieur.

Les défis qui sont devant nous méritent bien un homme de sa qualité pour les traiter et, avec du temps, je suis sûr qu'il démontrera toute l'étendue de son talent et de son imagination pour apporter les réponses que les Français attendent.

M. Éric Besson. Trop de louange tue la louange !

M. Jean-Pierre Brard. Les coups de sabot ne sont pas loin ! (Sourires.)

M. Nicolas Perruchot. Je sais aussi qu'une des grandes qualités du ministre d'État est son ouverture et sa volonté de voir la majorité avancer sur ses deux jambes. Il avait démontré à plusieurs reprises, lors de l'examen de textes précédents, son attachement à prendre en compte la vision de l'UDF.

En matière budgétaire, notre groupe a été trop peu entendu bien que l'histoire récente nous ait très souvent donné raison. Ainsi, en 2002, nous revendiquions, dès le mois de septembre, une hypothèse de croissance plus basse que celle annoncée par le Gouvernement. Malheureusement, nous avions raison et nous n'avons pu qu'assister impuissants à un creusement historique des déficits publics.

Dès 2002 encore, nous demandions avec insistance la mise en place d'une véritable réforme de l'assurance maladie, et j'y reviendrai, car nous savions, dès cette époque, quel serait l'impact sur nos finances publiques du statu quo. Vingt-quatre mois plus tard, là encore, il se confirme que nous avions raison.

L'année passée, lors du débat sur la loi de finances nous avions émis des critiques importantes.

Premièrement, nous refusions une baisse de l'impôt sur le revenu gagée par une hausse de la TIPP. Dès le lendemain du vote de la loi de finances, le président de la commission des finances nous donnait raison. La Cour des comptes a, elle aussi, rappelé très vigoureusement ce principe.

En outre, durant le débat sur la loi de finances pour 2004, nous avons très fermement combattu la suppression, pour 300 000 personnes, de l'allocation spécifique de solidarité ; il a fallu attendre le désastre électoral des élections régionales pour que, enfin, le Président de la république consente à nous écouter sur ce point.

M. Michel Bouvard. Il va falloir trouver les 600 millions !

M. Nicolas Perruchot. La liste serait longue. Je pourrais la compléter par notre position sur les chercheurs ou encore sur les intermittents.

Il en serait allé tout autrement si la majorité tout entière, et le ministre de l'économie en particulier, nous avaient écoutés dès le débat sur la loi de finances.

C'est la première idée que je souhaitais développer, monsieur le ministre d'État, celle de la défense d'une relation au sein de la majorité où les positions de l'UDF, qui sont parfois différentes de celles de l'UMP, soient mieux prises en compte car, in fine, on s'aperçoit que la majorité s'y range.

Je souhaite maintenant traiter des deux problèmes qui sont devant nous : comment diminuer notre endettement public et, dans le même temps, soutenir la croissance ?

Nous devons édicter des règles de bonne gestion afin de limiter notre endettement dans un premier temps puis, en haut de cycle, de le réduire.

Voyons tout d'abord l'état des lieux : ne nous le cachons pas, et d'ailleurs nos concitoyens l'ont bien compris, la situation de nos finances publiques et de notre endettement est très grave. Depuis vingt-trois ans, le ministre l'a rappelé, notre pays est constamment en déficit budgétaire et a accumulé une dette de plus de 60 000 euros par famille.

La croissance de l'endettement public, qui a été particulièrement soutenue ces deux dernières années, avec des taux records de déficit public, n'est pas le fruit d'une volonté politique de faire du déficit pour garantir la croissance. La preuve en est que nous avons les déficits alors même que nous n'avons pas la croissance ! Ces déficits s'expliquent, avant tout, par un laxisme continu en matière budgétaire. Là où il y a du laxisme, il y a surtout, selon nous, de l'irresponsabilité car il faudra bien que quelqu'un paye ces déficits. Et lorsqu'il y a de lourdes factures à acquitter, ce sont les plus défavorisés qui sont les premiers à en pâtir car l'augmentation marginale de la fiscalité ou la baisse des prestations sociales leur nuisent en premier.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. C'est exact !

M. Nicolas Perruchot. Je reprendrai donc à mon compte la phrase de mon collègue, Charles de Courson : « La gestion saine des finances publiques, c'est la bonne gestion ».

Ces déficits sont d'autant plus problématiques qu'ils réduisent les marges de manœuvre budgétaire de l'État et que cela va aller en s'aggravant, pour deux raisons.

Tout d'abord, il faut envisager une hausse des taux. Or, comme l'a démontré le rapporteur Marini, une hausse de 100 points de base des taux directeurs a pour conséquence une augmentation à terme de 10 milliards d'euros par an de la charge de la dette. Or celle-ci représente déjà 15 % du budget de l'État, on l'a rappelé.

Un autre facteur encore plus important rend urgent de régler la question de nos comportements budgétaires. Il s'agit de la dette démographique. En effet, nous savons tous qu'à terme, le renversement de la pyramide des âges conduira à un fait simple : il y aura moins d'actifs pour rembourser la dette que nous aurons contractée. Étant donné le stock actuel de dette et le double effet à prévoir de la hausse des taux et de l'explosion de la dette démographique, il devient essentiel de régler notre problème d'endettement chronique.

Le groupe UDF propose, pour y remédier, des mesures à la fois structurelles et conjoncturelles qui peuvent se résumer en cinq règles fondamentales que je vais exposer à l'occasion de ce débat d'orientation budgétaire.

Nous souhaiterions, d'ailleurs, comme cela a été évoqué par le ministre lui-même, que le Gouvernement montre qu'il a totalement pris la mesure structurelle du problème et que, en conséquence, il propose au Parlement une loi organique pour inscrire de façon durable dans nos comportements ces règles de bonne gestion qui sont les seules à même de garantir l'avenir financier des générations futures.

Règle numéro un, ne pas dépasser le taux de déficit qui est égal à la stabilisation de la dette. Le taux de déficit maximum est celui qui permet de stabiliser le niveau de dette d'un pays sur un cycle économique. Tel était l'objectif du critère de 3 % de déficit maximum défini par le Traité de Maastricht. Le problème est que ces 3 % se basaient sur une croissance de 3 % ; or nous arrivons difficilement à obtenir de tels taux. Nous n'en menons pas moins une politique budgétaire déjà laxiste puisque les déficits publics ont été bien supérieurs pendant quatre années d'affilée au 3 % autorisés.

Nous souhaitons donc que l'on se fixe une règle claire et juste qui permette, non seulement de ne pas dépasser certains taux de déficit mais, surtout, qui permette en haut de cycle de rembourser la dette. Formaliser un tel principe permettrait de pérenniser une politique budgétaire saine et sérieuse.

Deuxième règle, ne plus s'autoriser à faire du déficit de fonctionnement, Gilles Carrez a longuement évoqué ce sujet. Sur les 60 milliards d'euros de déficit de l'État, les deux tiers sont des déficits de fonctionnement. Or il est de bon sens de considérer que, sauf démographie croissante, on ne devrait emprunter que pour financer des investissements capables de produire des richesses.

En l'occurrence, c'est exactement l'inverse qui se passe. En fait, l'État emprunte tous les ans plus que ce qu'il dépense pour la politique de l'emploi, ou encore il emprunte pour payer les intérêts de la dette. Ce qui pour n'importe quel particulier serait considéré comme du surendettement semble naturel pour l'État. Or cela ne l'est pas et nous devons, là encore, formaliser le refus de tels comportements grâce à une loi organique qui obligerait à éliminer, à terme, tout déficit de fonctionnement. Tout autre comportement constituerait une faute grave à l'égard des Français et surtout des générations futures.

Troisième règle : s'interdire les déficits sociaux qui correspondent à des déficits de fonctionnement. L'assurance maladie a produit un déficit cumulé de 35 milliards d'euros sur trois ans. Le Gouvernement, après deux ans, a enfin décidé de prendre des mesures. Malheureusement, nous ne pouvons que regretter que le projet de loi qui nous sera soumis dès la semaine prochaine s'apparente davantage à un dix-neuvième plan de financement qu'à une véritable réforme. Cela est moralement inacceptable et politiquement grave. Dans trois ans, à la veille des échéances, la majorité, qui aura revendiqué le fait d'avoir fait une grande réforme, devra expliquer aux Français pourquoi il faut en refaire une. Car il faudra nécessairement en refaire une, tous les experts l'ont démontré.

Même dans l'hypothèse optimiste où nous réaliserions 10 milliards d'euros d'économies en 2007, ce dont nous doutons par ailleurs, d'une part, nous aurions un déficit cumulé d'au minimum 20 milliards d'euros et, d'autre part, après 2007, les raisons structurelles du déficit, la hausse des coûts médicaux et le vieillissement de la population, subsisteraient.

Ainsi, le plan de financement qui nous est proposé pour l'assurance maladie ne permettra pas de limiter, à terme, les déficits sociaux. Ces déficits seront « parqués » dans la CADES, ce qui est moralement inacceptable pour les générations futures. Une loi organique devrait interdire, ou tout du moins encadrer, ces montages irresponsables afin d'éviter ce genre de comportements.

Quatrième règle : faire des économies pour financer les dépenses nouvelles. Toute dépense nouvelle doit être financée par la réduction d'une dépense existante. L'ampleur du déficit de fonctionnement rend obligatoire cette règle d'or. Or, les marges de manœuvre à terme existent : non-remplacement des fonctionnaires qui partent en retraite, amélioration de la productivité des services, par exemple, et parfois externalisation. Cela nécessite, avant tout, une volonté politique dont nous ne doutons pas que le ministre d'État saura faire preuve, comme il l'a d'ailleurs déjà annoncé concernant son propre ministère.

Cinquième et dernière règle : moratoire sur les baisses d'impôts si notre croissance était inférieure à 2 %. Les baisses d'impôts ne peuvent pas être financées par du déficit ; sinon il s'agit d'un report d'impôt et non d'une baisse. Nous espérons que le Gouvernement ne reproduira pas l'erreur de l'an passé où l'on a vu une baisse de l'impôt sur le revenu financée par une hausse des impositions directes.

Pour l'année à venir, le sujet nous paraît simple compte tenu de la situation de nos finances publiques. Nous pensons qu'il faut donner un signe au pays en proclamant un moratoire sur la baisse des impôts tant que nous n'avons pas 2 % de croissance.

La proposition de l'UDF sur ce sujet apparaît plus que jamais d'actualité : redistribuer, par une baisse des prélèvements, les efforts faits par nos concitoyens pour tout ce qui dépasse 2 % de croissance et interdire de financer des baisses d'impôts par du déficit. Cet objectif aussi pourrait être formalisé pour changer définitivement les comportements sur ce point.

Enfin, il faut approfondir la coopération économique européenne. Les électeurs ont clairement marqué, lors des récentes élections européennes, leur souhait d'avoir plus d'Europe, notamment en matière économique. L'échec du pacte de stabilité et de croissance, depuis la décision, à l'automne dernier, de suspendre les procédures de déficit excessif, alors même que rien ne justifiait une telle décision, démontre que nos gouvernements n'ont pas souhaité assumer les conséquences qu'ils avaient pourtant définies. Mais surtout, cela rend obligatoire l'établissement d'une nouvelle étape de la coopération économique entre les peuples d'Europe, ou a minima, entre les pays de la zone euro. Sur ce point, l'UDF appelle de ses vœux, non une abrogation du pacte de stabilité, mais un enrichissement des règles de coopération.

La deuxième question principale de ce débat concerne les moyens d'un soutien à la croissance et à l'emploi

Pour le groupe UDF, soutenir la croissance passe par trois chantiers : retrouver la confiance de nos concitoyens en garantissant la sincérité des comptes publics, garantir la justice sociale grâce à une politique fiscale juste et lisible, et enfin, mener les grandes réformes dont notre pays a besoin.

Tout d'abord, il faut retrouver la confiance de nos concitoyens en garantissant la sincérité des comptes publics.

Le récent rapport de la Cour des comptes sur les comptes de la nation a une fois de plus démontré que nos finances publiques ne sont pas gérées dans la plus grande sincérité. La complexité du sujet et le manque d'informations données au Parlement permet au Gouvernement de présenter des comptes qui ne retracent pas exactement la situation des finances publiques. La Cour dénonce ainsi l'utilisation des ODAC - organismes divers d'administration centrale - pour camoufler des déficits. De tels comportements sont à proscrire d'urgence. Ainsi, nous espérons que les recettes exceptionnelles, qui proviendront éventuellement de la soulte d'EDF ou de privatisations d'entreprises publiques, seront bien affectées au remboursement de la dette et non au budget de l'État.

Pour garantir la croissance il nous faut garantir la justice sociale des politiques menées et de notre fiscalité.

Par le passé, le Gouvernement a fait des erreurs, notamment sur la réforme de l'allocation spécifique de solidarité, qui ont eu des impacts très négatifs sur la croissance, l'emploi et la confiance de nos concitoyens. De la même façon, une politique fiscale qui consiste à diminuer l'impôt sur le revenu, alors même qu'on augmente les prélèvements indirects, a un impact négatif puisqu'elle diminue le pouvoir d'achat, notamment celui des classes moyennes.

Par ailleurs, nous savons bien que le poids des prélèvements obligatoires en France est trop élevé et que notre fiscalité est complexe et parfois archaïque. L'UDF appelle de ses vœux une grande réforme fiscale visant à simplifier et à réduire le nombre de nos impôts. Cette réforme, si elle prenait avant tout en compte l'impératif de justice sociale, permettrait de répartir plus justement l'effort de chacun et la contribution de l'État. Cette réforme, trop longtemps différée, est une condition sine qua non à l'établissement en France d'une croissance durable.

Enfin, préparer le pays à la croissance de demain, ce n'est pas faire des économies ou des nièmes plans de financement, c'est mener les grandes réformes dont notre pays a besoin.

La position du groupe UDF est constante sur ce point. Nous réclamons davantage de vraies réformes au Gouvernement. Car c'est la condition du rétablissement des finances publiques et de la création de la croissance de demain. Une vraie réforme implique des changements de structure susceptibles de régler les problèmes posés sans avoir à y revenir au bout de deux ans. Ainsi, nous opposons la réforme des retraites, que nous avons soutenue, au plan de financement de l'assurance maladie. Le Gouvernement a mené une courageuse réforme des retraites qui permettra d'assainir durablement nos finances publiques à partir de 2006. En revanche, nous l'avons vu plus haut, le manque d'ambition du plan pour l'assurance maladie implique que celle-ci continuera à lester les comptes publics.

Deux réformes semblent indispensables à court et moyen terme pour garantir l'avenir de nos finances publiques et la croissance.

Il s'agit en premier lieu de la réforme des 35 heures. Les 35 heures ont un coût exorbitant au travers des allégements de charges qui ont été accordés aux entreprises, alors même que la réduction du temps de travail a diminué notre productivité, et donc, notre croissance.

M. Jean-Pierre Brard. C'est inexact !

M. Nicolas Perruchot. J'ai d'ailleurs entendu le ministre d'État évoquer ce sujet à plusieurs reprises. J'espère, ayant fait partie de la mission Ollier-Novelli, que le Gouvernement nous proposera à la rentrée une réforme sur le thème des 35 heures. Je souhaite notamment que nous puissions légiférer pour neutraliser les heures supplémentaires jusqu'à 39 heures. Il existe bien d'autres possibilités pour modifier les 35 heures. Nous considérons d'ailleurs, à l'UDF, comme sur de nombreux bancs de cette assemblée, que les 35 heures sont un acquis social et qu'il ne faut pas revenir dessus. Mais pourquoi ne pas laisser la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent de travailler plus ? Cela suppose que le législateur revienne sur cette loi.

M. Jean-Pierre Brard. Vous ne remettez pas en cause les 35 heures, mais vous voulez revenir dessus !

M. Nicolas Perruchot. Il le faudra, monsieur Brard, parce qu'il n'y a pas d'autre solution...

M. Jean-Pierre Brard. Mais si !

M. Nicolas Perruchot. ...étant donné la façon dont le précédent gouvernement a engagé cette affaire, estimant, je ne sais ni pourquoi ni comment, que le système économique était le même dans tout le pays. Or à chaque branche, à chaque entreprise, correspond une situation particulière.

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez comme M. Seillière !

M. Nicolas Perruchot. La culture de M. Seillière n'est pas tout à fait la mienne !

Il ne faut pas imaginer, monsieur Brard, que notre pays pourra retrouver le chemin de la croissance si nous continuons à faire peser sur le budget de l'État une somme s'élevant à plus de 15 milliards chaque année - le ministre l'a rappelé tout à l'heure - pour faire en sorte que les gens travaillent moins.

M. Augustin Bonrepaux. C'est faux ! La productivité a augmenté !

M. Nicolas Perruchot. Nous sommes le seul pays en Europe et dans le monde à le faire.

M. Jean-Pierre Brard. Cela n'est pas vrai !

M. Nicolas Perruchot. Et si j'approuve l'exception française en matière culturelle, en matière économique, je la désapprouve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous n'allons pas refaire ici le débat que nous avons eu dans le cadre de la mission d'information sur les 35 heures, où nous avons procédé à plus de soixante auditions. Et cinquante-sept ou cinquante-huit d'entre elles nous ont démontré tout le mal qu'avaient apporté les 35 heures dans notre pays.

M. Augustin Bonrepaux. Le mal qu'a apporté ce que vous en avez fait ! Vous faites une fixation !

M. Jean-Pierre Brard. Tout dépend de la façon dont vous avez choisi les « auditionnés » !

M. Nicolas Perruchot. Je suis certain qu'une grande partie des Français nous comprennent quand nous en parlons.

J'émets personnellement le souhait que le nouveau ministre d'État fasse avancer ce dossier, car je sais qu'il a pleinement conscience que nous ne pourrons jamais créer les conditions de la croissance face à des géants comme les États-Unis ou la Chine si nous ne décidons pas de permettre, par la loi, monsieur Brard, au moins pour ceux qui le souhaitent, de travailler plus.

M. Jean-Pierre Brard. En garantissant à chacun son bol de riz quotidien !

M. Nicolas Perruchot. On sait, monsieur Brard, tout le bien que vous pensez de ces politiques-là !

Mme la présidente. Monsieur Brard, laissez terminer M. Perruchot ! Vous aurez la parole dans quelques instants.

M. Nicolas Perruchot. La deuxième réforme nécessaire, qui est engagée, est celle de l'État.

Sur ce point, beaucoup reste à faire. Nous avons un double objectif : l'amélioration de la qualité des services et la réduction du nombre de fonctionnaires. A terme, c'est la seule façon de revenir à un budget vertueux. Le non-remplacement se justifie pleinement, compte tenu des nouveaux moyens de travail et de l'évolution démographique de la France. Mais cela demande une volonté politique sans faille. L'UDF sera toujours présente pour soutenir le Gouvernement dès lors qu'il proposera de vraies réformes de fonctionnement de l'État.

Enfin, monsieur le ministre d'État, nous avons entendu ce matin de bonnes nouvelles sur la croissance pour 2004 : 2,3 points de croissance. Et, comme les bonnes nouvelles sont rares en ce moment pour la majorité, autant en profiter et les dire !

M. Jean-Pierre Brard. Vous contribuez fort aux mauvaises nouvelles !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Brard, vous êtes un provocateur !

M. Nicolas Perruchot. Madame la présidente, je souhaiterais que M. Brard me laisse terminer mon propos. D'autant que le groupe socialiste m'a demandé de faire un peu plus court que les trente minutes qui me sont imparties, parce que certains orateurs souhaitent intervenir avant la pause de treize heures.

Mme la présidente. N'écoutez pas M. Brard et continuez votre propos, monsieur Perruchot. Je vous promets que tout le monde interviendra avant la pause.

M. Nicolas Perruchot. Les bonnes nouvelles étant rares pour la majorité, il faut les souligner et je suis ravi d'avoir entendu ce matin de bonnes nouvelles s'agissant de la croissance.

Au-delà, se pose la question des hypothèses de croissance pour le budget 2005. Et nous demandons, pour ce budget, la plus grande prudence.

On a vu, en 2003, les dégâts sur le budget d'une hypothèse de croissance surévaluée. Nous avions proposé à plusieurs reprises, avec mon collègue Charles de Courson, d'établir un budget selon deux hypothèses, l'une haute et l'autre basse. Cette méthode n'a pas été retenue. Or comme le souligne très justement la note de l'INSEE, il reste beaucoup à faire pour pérenniser une croissance forte. En conséquence, nous vous demandons la plus grande sagesse pour la définition du budget 2005.

Tel est, monsieur le ministre d'État, monsieur le secrétaire d'État, le propos de l'UDF. Comme vous l'avez compris, nous souhaitons des réformes, et de la cohérence dans les actes et dans les paroles. Quand des annonces sont faites, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent, l'impact budgétaire doit être pris en compte. Je souhaite sincèrement, monsieur le ministre, que la cohérence revienne au sein de la majorité pour ce qui est des annonces budgétaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je déplore que la tribune de l'Assemblée nationale soit devenue le lieu où les formations de la majorité, dont on n'avait pas vraiment remarqué jusqu'à présent qu'elles formaient une majorité cohérente, se font des appels du pied. Mais comme elles ne peuvent plus se parler dans aucun autre endroit, il ne leur reste guère que cette tribune. Je constate d'ailleurs que le président Méhaignerie m'approuve in petto.

Monsieur le ministre, le débat d'orientation budgétaire 2004 est l'occasion de dresser un constat, après deux ans d'une politique budgétaire et fiscale qui a multiplié les cadeaux aux plus riches, abandonné le soutien à l'emploi, accentué fortement l'injustice fiscale, paupérisé l'État et réduit les moyens de la solidarité nationale au détriment des plus modestes.

Le président Méhaignerie a rappelé tout à l'heure que les dépenses sociales ont augmenté. C'est vrai, et c'est le résultat de votre politique. Vous avez de plus en plus besoin de sparadrap et de mercurochrome pour réparer les dégâts que vous avez commis. Cela n'est pas à porter à votre crédit.

Ce bilan calamiteux pour la grande majorité d'entre eux, les Français l'ont sévèrement sanctionné lors des élections cantonales, régionales et européennes. Quand M. Mariton dit : « Nous avons trois ans devant nous », sous-entendant « sans élections », ce n'est guère rassurant ! C'est comme si M. Mariton - et je vais évoquer une image qui parlera à M. ministre d'État - conduisait après avoir enlevé le compteur de sa voiture pour ne plus voir à quelle vitesse il va dans le mur ! Pour ma part, j'estime qu'il est plus sage de garder le compteur. Hélas, il n'y a plus d'élections pour mesurer le niveau des imprudences que vous commettez, monsieur le ministre d'État.

Le désaveu que vous avez subi, combiné à la déconfiture des finances publiques qui ne peut réjouir personne, semble commencer à ébranler la foi du président de la commission des finances et du rapporteur général en la nécessité de nouvelles réductions d'impôts, ciblées, comme toujours, vers les contribuables les plus aisés. Ils entrent ainsi en contradiction avec la volonté clairement affirmée du Président de la République, pour qui la baisse des impôts est une question vitale pour l'avenir du pays. Le caractère affirmatif des propos du Président de la République, dont il a le secret, lui permet de se dispenser de toute démonstration pour asseoir la pertinence de ses affirmations.

Malgré ces discours dissonants, la baisse des prélèvements obligatoires est toujours érigée en dogme intangible, pilier de la politique néolibérale.

Derrière un abondant discours compassionnel pour la France d'en bas, votre politique fiscale favorise massivement les privilégiés. Votre discours me fait penser à l'ultime passage des condamnés sur le Pont des Soupirs, lesquels, avant leur exécution, bénéficiaient des paroles de compassion du prêtre qui donnait l'extrême-onction.

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pas cela, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Si ! C'est bien ce que vous faites et ce discours compassionnel ne trompe plus personne.

Les prévisions de recettes pour 2004, telles qu'elles sont décrites dans le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques, sont tout à fait révélatrices des conséquences du choix du recul de la justice fiscale qui est le vôtre depuis deux ans.

Les recettes de TVA, impôt qui frappe autant le smicard que le milliardaire pour une même consommation, vont augmenter sensiblement par rapport à 2003. Je dirais même, monsieur le ministre, que la TVA ne frappe pas tout le monde équitablement. Les plus pauvres sont davantage frappés que les plus riches.

Je voudrais évoquer une affaire qui vous est chère, puisqu'elle porte votre nom, et que l'on appelle le moratoire Sarkozy, pour les bateaux qui sont attachés à des ports de Méditerranée.

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne m'en souviens même pas ! Je connais les « erreurs Brard », non le moratoire Sarkozy !

M. Jean-Pierre Brard. Je vais vous rafraîchir la mémoire, monsieur le ministre, parce que cela en vaut la peine !

Grâce à ce moratoire, tous les produits d'avitaillement embarqués sur les bateaux sont exonérés de TVA, alors que ce privilège n'existe pas sur la côte atlantique, par exemple.

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est ce qui a sauvé nos ports par rapport à leurs concurrents italiens !

M. Jean-Pierre Brard. C'est sans doute pourquoi la Guardia di Finanza, qui est sans doute la seule administration italienne qui fonctionne bien, en demande l'abrogation. Ce moratoire est d'ailleurs tout à fait illégal et le ministre d'État devrait veiller à corriger cette anomalie : la TVA pèse davantage sur les plus pauvres que sur les plus riches, ces derniers étant, dans ce cas, totalement exonérés de TVA.

Les recettes de TVA devraient augmenter cette année de 3,5 à 4,8 %. De même, la TIPP, une taxe qui est également payée par tout le monde, selon la puissance du véhicule, rapportera plus en 2004 qu'en 2003, puisque vous prévoyez une progression de 3,8 % hors transfert d'une fraction de TIPP aux départements.

L'impôt sur le revenu, en revanche, va suivre une pente inverse. Selon le rapport, en effet, « les recettes d'impôt sur le revenu devraient cependant reculer par rapport à 2003, en raison de la baisse du barème de l'impôt sur le revenu de 3 % inscrite dans la loi de finances initiale pour 2004 ». Vous réduisez ainsi, au détriment des recettes de l'État, l'impôt payé par les plus riches, alors que dans le même temps, les recettes de TVA, qui en proportion pèsent bien plus lourdement sur les plus pauvres, sont en augmentation.

De même, l'impôt sur les sociétés rapportera moins en 2004.

Mais c'est évidemment l'ISF qui est en permanence l'objet d'un procès instruit par les adeptes, très nombreux dans la majorité, du moins d'impôts pour les riches !

Ils redoublent de zèle dans la période actuelle, émoustillés par la perspective d'une amnistie et d'une taxation a minima pour les capitaux dissimulés à l'étranger qui rentreraient en France. L'ISF est ainsi qualifié d'« archaïsme fiscal » qu'il faudrait rendre « plus supportable », en « mettant fin aux dérèglements issus de la période 1999 à 2002 ». Mais tous vos moyens sémantiques de discréditer l'ISF ne changent rien à la réalité. Le président de la commission des finances se souvient que j'avais moi-même proposé une réforme de cet impôt qui avait eu l'heur de lui plaire par son caractère plus juste, car elle conduisait à taxer moins les millionnaires et plus les milliardaires, à élargir l'assiette et à assurer la stabilité de l'impôt pour en améliorer la crédibilité.

Face aux chantres de la défiscalisation, il est nécessaire de réaffirmer clairement le rôle essentiel de l'impôt progressif sur le revenu pour la cohésion de notre société et pour la bonne santé de l'économie. Il faut le rappeler avec l'économiste Thomas Piketty : « L'impôt sur le revenu n'a pas simplement pour effet de réduire de façon immédiate et mécanique les disparités présentes de niveaux de vie. L'impôt sur le revenu a également un impact plus complexe sur les inégalités, dont les effets ne se font pleinement sentir qu'au bout d'un certain nombre d'années : en comprimant la hiérarchie des revenus disponibles, l'impôt progressif modifie structurellement les capacités d'épargne et d'accumulation des uns et des autres, et il conduit donc à réduire les inégalités patrimoniales futures, et par conséquent l'inégalité future des revenus avant impôt ».

L'objectif présidentiel, vers lequel avance le gouvernement actuel, de réduire de 30 % en cinq ans l'impôt sur le revenu, constitue à mes yeux un péril pour notre démocratie qui a, tout au contraire, besoin d'un effort renouvelé de solidarité et de cohésion. Et j'attends avec impatience le moment où les républicains siégeant dans la partie droite de l'hémicycle monteront à cette tribune pour défendre l'impôt.

Il faut rappeler le caractère profondément injuste des impôts indirects payés par tous qui, à l'instar la TVA, frappent de la même manière, pour un même achat, le smicard ou le titulaire de minima sociaux et l'assujetti à l'impôt de solidarité sur la fortune.

Depuis deux ans, on assiste à la mise en œuvre méthodique d'une volonté de rupture avec notre système de solidarité nationale au nom de la responsabilité de l'individu - comme si les plus modestes étaient forcément irresponsables. Il y a derrière tout cela une contestation de la légitimité des prélèvements obligatoires à des fins redistributives ou de mutualisation des risques, au prétexte que ces mécanismes inciteraient à la paresse, voire à la fraude.

Autre cible favorite de vos déclarations - et, déjà, de plusieurs mesures de démolition -, les 35 heures, chères au cœur de notre collègue Nicolas Perruchot. Voilà au moins un point de consensus entre l'UMP et l'UDF !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Oui, le bon sens !

M. Jean-Pierre Brard. Le pire, c'est que seul le Président de la République est, pour l'instant, opposé à un tel discours. Il a en effet mesuré, lui qui dispose d'un peu de sens politique, l'impact désagréable que pourrait avoir une remise en cause déclarée. Notre collègue Nicolas Perruchot vous donne toutefois la solution : les supprimer sans le dire. Car lorsqu'il se présentera à la télévision pour affirmer qu'il ne faut pas remettre en cause les 35 heures, mais simplement neutraliser les heures supplémentaires, le Français de bon sens n'y comprendra rien - et le tour sera joué. M. Perruchot compte certainement Merlin l'enchanteur parmi ses ancêtres (Sourires) : ...

M. Philippe Auberger. Vous, vous seriez plutôt la fée Viviane : vous savez endormir les gens !

M. Jean-Pierre Brard. ...il tente de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, en espérant que personne ne repérera le tour de passe-passe.

Or, si la consommation des ménages a été soutenue, c'est notamment parce que des centaines de milliers de salariés ont retrouvé un emploi grâce aux 35 heures.

M. Antoine Carré. C'est totalement faux !

M. Nicolas Perruchot. N'importe quoi ! Comme si la croissance n'y était pour rien !

M. Jean-Pierre Brard. Certes, il y a eu les allègements de charge, dit M. Perruchot. C'est vrai, et il n'y a d'ailleurs aucune raison de les maintenir. C'est même un problème économique beaucoup plus fondamental que les 35 heures : la politique d'allègement des charges encourage le travail déqualifié. Vous tirez vers le bas la qualification des emplois, ce qui n'est pas sans conséquence pour le savoir-faire de l'industrie nationale. Notre collègue Michel Bouvard, qui est un vieux républicain animé de la fibre gaulliste, comprend parfaitement ce que je dis, car il a le sens de l'intérêt national chevillé au corps. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Quel flagorneur !

M. Jean-Pierre Brard. Afin de ne pas dilapider mon temps de parole, j'offrirai toutefois à ceux qui n'ont pas compris un cours particulier en dehors de l'hémicycle.

M. Nicolas Perruchot. Cela peut être intéressant ! J'y viendrai !

M. Jean-Pierre Brard. Ce sera gratuit pour vous, cher collègue, car vous avez une grande marge de progression...

Il faut mettre en place des mesures de soutien à la consommation, orientées en particulier vers les plus modestes. Car, et c'est un truisme que de l'affirmer, ils dépensent l'argent qu'on leur redistribue, notamment pour satisfaire des besoins dont la consommation a été différée.

M. Nicolas Perruchot. C'est le contraire, avec les 35 heures !

M. Jean-Pierre Brard. C'est ce qui s'est passé en 1997, lorsqu'il a fallu prendre des mesures contracycliques, avec l'efficacité que vous savez.

M. Nicolas Perruchot. Et l'impact électoral que l'on sait ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Et c'est à cause des hésitations sur cette politique que la tendance s'est inversée à partir de 2000.

La tendance est de réduire fortement les dépenses de redistribution au profit des ménages, qui ne suffiront plus à maintenir la demande. À cet égard, les statistiques publiées hier par l'INSEE sont accablantes : plus vous donnez de sous aux privilégiés et plus la consommation baisse - ce qui s'est encore produit le mois dernier. Pire, l'inflation repart.

C'est vraiment extraordinaire : en raison d'un conditionnement idéologique dont il est difficile de vous sauver, ...

M. Nicolas Perruchot. Ce qui n'est sans doute pas votre cas, monsieur Brard ?

M. Philippe Auberger. C'est un spécialiste qui parle !

M. Jean-Pierre Brard. ...plus vous butez dans le mur, et plus vous vous y cognez la tête, croyant sans doute que votre persévérance permettra d'y creuser un trou dans lequel vous pourrez vous faufiler.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est quand même comme ça que le mur de Berlin a fini par tomber !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes dans l'erreur. Il suffirait, pour vous en convaincre, de rendre sa légitimité au principe de réalité - réalité que vous verrez si vous sortez de la croyance et de la foi, ce qui est certainement trop vous demander.

Pourtant, mes chers collègues de la droite, vos électeurs vous tirent par les pieds pour vous ramener vers le sol. Mais c'est plutôt d'un Sonotone dont vous avez besoin, afin de mieux les entendre. Si cela continue, je ne sais pas ce qui vous restera comme capital électoral.

M. Antoine Carré. Vous êtes expert !

M. Jean-Pierre Brard. Mais peut-être qu'une longue cure dans l'opposition vous rendra plus attentifs à ce que souhaitent nos concitoyens.

Mme la présidente. Monsieur Brard, je dois vous demander d'aller vers votre conclusion.

M. Jean-Pierre Brard. Hélas, madame la présidente, je m'y achemine plus tôt que prévu.

Nous devons prendre une nouvelle orientation, un nouveau cap, radicalement différent. Il faut en particulier sortir du pacte de stabilité.

Comme l'écrit l'économiste Joseph Stiglitz : « Du Pacte de stabilité, on peut tirer une leçon : bâtir d'une manière prétendument définitive des arrangements institutionnels destinés à résoudre les problèmes du passé constitue le meilleur moyen d'échouer dans le futur ». Écoutez-le, mieux que vous n'écoutez les députés de l'opposition !

Pour conclure, je voudrais à nouveau citer Thomas Piketty : « Que l'on ne s'y trompe pas : cette question fiscale est tout sauf une question technique. Sans impôts, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. De fait, toutes les grandes avancées institutionnelles ont toujours mis en jeu une révolution - un gros mot pour vous, je le sais bien - fiscale. [...] La nouvelle bastille à prendre s'appelle le dumping fiscal, et elle est la conséquence implacable d'une intégration économique poussée sans intégration politique. Les gouvernements européens sont enferrés depuis vingt ans dans une course-poursuite sans fin où chaque pays cherche à attirer vers lui les facteurs de production les plus mobiles - capital et travail qualifié - en les détaxant sans cesse davantage. Il s'agit évidemment d'un jeu à somme nulle, ou plutôt à somme négative, car la surtaxation des facteurs captifs - travail peu qualifié - qui en résulte, pèse lourdement sur l'emploi et les salaires. [...]À qui fera-t-on croire que le marché commun est plus sérieusement menacé par un État souhaitant abaisser la TVA sur les coiffeurs ou les restaurateurs - bien non échangeable par excellence - que par l'Irlande réduisant à 15 % son taux d'impôt sur les sociétés ? »

Mes chers collègues, je vous propose de méditer ces paroles, afin que le temps qui nous sépare du vote de la loi de finances soit pour vous l'occasion de venir à résipiscence. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le rapporteur général Gilles Carrez s'est exprimé sur les orientations budgétaires que devrait suivre le projet de budget pour 2005, compte tenu de nos finances publiques et de la situation économique de notre pays. Partageant son analyse et ses propositions, je consacrerai mon intervention à la mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances. Je vous rappelle que l'article 109 de la loi de finances pour 2003 a prévu la publication d'un rapport du Gouvernement sur la mise en œuvre de la LOLF. Je salue la précision et la qualité de ce rapport, qui me donne l'occasion de rappeler la position et les attentes de notre commission des finances.

J'évoquerai tout d'abord la maquette budgétaire pour me féliciter des progrès réalisés depuis les réponses aux questionnaires budgétaires de l'automne. Á l'époque, les documents budgétaires avaient suscité en nous de réelles inquiétudes. La maquette définitive, présentée en février et adoptée la semaine dernière par le Conseil des ministres, à l'issue d'une concertation avec le Parlement, traduit une avancée significative. D'ailleurs, plusieurs des propositions émises unanimement par notre mission d'information et approuvées par la commission ont été retenues.

Notre satisfaction aurait été presque totale si le Gouvernement avait accepté de nous suivre sur quelques points qui nous tiennent à cœur et nous incitent à vous demander de mettre à profit le délai d'un an qui nous sépare de la mise en œuvre définitive de la LOLF pour lever des obstacles que rien ne justifie du point de vue de la cohérence budgétaire et de l'efficacité de l'action publique, sans parler du droit de contrôle du Parlement. Il s'agit de la création de la mission interministérielle « écologie et maîtrise des risques » et du découpage des programmes « armement » et « préparation des forces » du ministère de la défense.

Si, comme nous le croyons, la LOLF doit rationaliser l'organisation de l'État et rendre plus transparent le coût des politiques publiques, le Gouvernement devrait, dans un souci de cohérence, regrouper dans une même mission les services et moyens budgétaires traitant de la protection de l'environnement, de la prévention des risques naturels et industriels et des interventions d'urgence lorsque des événements liés à ces risques surviennent, ce qui relève de la sécurité civile.

La création de cette mission permettrait en effet de renforcer la coordination des différents ministères et de rationaliser l'organisation des structures de l'État, en recentrant par exemple les DRIRE sur leurs missions de contrôle.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport préliminaire sur les résultats de l'exécution de la loi de finances pour 2003, il y a un statu quo et la remise en cause du périmètre des administrations de l'État n'a pas encore été amorcée. Non seulement on refuse de créer cette mission interministérielle, mais on crée une division « développement industriel » dans le programme « contrôle et prévention des risques technologiques ». Cette option est en décalage avec le transfert de la compétence économique aux régions prévu dans la loi relative à la démocratie de proximité de janvier 2002 et confirmé dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales.

De la même manière, alors que la fongibilité va donner une souplesse de gestion accrue aux ministères, comme l'a souligné Gilles Carrez, nous ne pouvons nous résigner à ce que ne soient pas « dégonflés » certains programmes du ministère de la défense. Ce que nous proposions dans ce domaine constituait pourtant un minimum. C'est ainsi que le programme « préparation des forces » avec 20 milliards d'euros et le programme « armement » avec 8,7 milliards d'euros échapperont à un véritable contrôle parlementaire.

M. Augustin Bonrepaux. Ils y échappent déjà !

M. Michel Bouvard. Le seul programme « armement » regroupe quarante programmes dans l'actuelle nomenclature budgétaire suivie à ce jour au niveau de l'article, ce qui correspond à une souplesse de gestion jamais atteinte.

On peut aussi s'étonner, messieurs les ministres, de l'élévation au rang de mission du compte d'affectation spéciale « fonds national des courses et de l'élevage » qui aurait pu être supprimé, ou encore de la place donnée au Conseil économique et social.

Il incombe maintenant au Gouvernement de désigner les responsables de chaque programme. Nous avons noté avec satisfaction vos engagements quant au calendrier.

Je souligne le travail conjoint réalisé par le ministère, les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat, la Cour des comptes et le comité interministériel d'audit des programmes pour définir les objectifs et les indicateurs de performance. Le « guide méthodologique » permettra la mise en place des projets et des rapports annuels de performances.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Michel Bouvard. Je souhaite enfin évoquer le problème délicat du dénombrement des emplois publics. Il s'agit d'un élément central de la mise en œuvre de la réforme car la fongibilité asymétrique dans la gestion des crédits par programme et des emplois par ministère constitue un axe fort de la réforme et ne peut voir le jour sans cet élément.

M. Hervé Mariton. Il y a de quoi faire !

M. Michel Bouvard. Le rapport qui nous a été remis confirme que l'outil de comptage des emplois est en cours d'installation dans les ministères. Cet outil est opérationnel depuis mars, dites-vous. Les membres de la mission, dont Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard, s'en assureront. Les gestionnaires devaient être formés avant le mois de juin. Le sont-ils ?

Vous connaissez les difficultés du dénombrement, qui ont été soulignées à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Le dénombrement exige de la part des ministères une plus grande rigueur dans leur politique d'emploi et l'intégration au périmètre pris en compte des établissements publics rattachés. Nous souhaitons à ce titre que les établissements publics présentés dans les « verts budgétaires » le soient désormais dans les bleus.

La réduction des effectifs de la fonction publique est incontournable si l'on veut maîtriser la dépense publique et le contrôle du Parlement doit pouvoir s'appliquer sur l'ensemble du périmètre, afin d'éviter que le transfert de personnel des ministères vers des établissements publics, que dénonce la Cour des comptes, soit utilisé par certaines administrations pour échapper à l'effort collectif. Le plafond d'autorisation des emplois doit donc tenir compte des transferts vers les établissements publics et les structures associatives.

La mise en œuvre de la LOLF a progressé à un rythme soutenu et rattrapé une partie du retard constaté en 2003. Ce progrès doit être salué, mais nous resterons néanmoins attentifs à l'évolution des éléments les plus tendus du calendrier, comme le redéploiement du système Accord, qui permettra en 2006 le raccordement des services centraux et déconcentrés. En revanche, nous exprimons la plus vive inquiétude pour le découplage qui s'annonce entre la LOLF et les stratégies ministérielles de réforme.

La réussite des projets annuels de performance et la maîtrise de la dépense, compte tenu des effets de masse et de la force d'inertie que représentent les pensions des fonctionnaires, le relèvement du point d'indice, les promotions et avancements dans la masse salariale - 43 % du budget de l'État - et enfin l'impact qu'aurait une remontée des taux d'intérêt sur la dette, tout cela suppose qu'une volonté farouche accompagne les stratégies ministérielles de réforme.

De ce point de vue, les ministères sont trop timides. Ils ne peuvent se contenter d'externaliser les parcs automobiles et de mener quelques opérations mineures.

M. Georges Tron. Très bien !

M. Michel Bouvard. Chacun des ministres doit se soucier de ses stratégies de réforme et de la gestion de son administration plus que de la présentation de textes de lois, généralement facteurs de dépenses.

Messieurs les ministres, au moment où vous arrêtez les orientations du budget pour 2005, chacun de vos collègues doit comprendre que la lettre de cadrage sera acceptable s'il engage réellement la réforme de son administration.

C'est ainsi que nous redonnerons à l'État la capacité d'investissement qu'il a perdue et que nous sortirons de la spirale de l'endettement durable, qui est sans doute ce que notre pays a de plus durable aujourd'hui. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Cour des comptes vient de nous le confirmer, la situation de nos finances publiques est aussi calamiteuse que celle que décrivait Alain Juppé en 1995, après deux années de gouvernement Balladur.

M. Hervé Mariton. Depuis, vous êtes passés par là !

M. Augustin Bonrepaux. Après deux années de Gouvernement Raffarin, de baisses d'impôts ciblées sur les catégories les plus aisées mais non financées, l'échec est patent !

Les cadeaux fiscaux injustes ont prouvé leur inefficacité. Six milliards d'euros ont été gaspillés, pour une croissance du PIB d'à peine 0,5 % en 2003. À ce propos, messieurs les ministres, nous n'avons toujours pas le détail de la régulation des crédits pour l'année 2004.

M. Didier Migaud. C'est vrai, et pourtant les élections sont passées !

M. Augustin Bonrepaux. Vous devriez tenir compte de ces échecs, monsieur le ministre d'État. Le président de la commission des finances, lui, a fait un acte de contrition en reconnaissant les erreurs de ce gouvernement, à savoir que la baisse des impôts sur le revenu n'a rien apporté...

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Reconnaissez-vous les vôtres ?

M. Augustin Bonrepaux. ...et que la baisse de la TVA sur la restauration ne sert à rien.

M. Michel Bouvard. Vous n'avez pas toujours dit cela !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Et le SMIC dans la restauration ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Bonrepaux est contre l'augmentation du SMIC ?

M. Augustin Bonrepaux. Pourtant, il continue à soutenir votre politique !

Vous, monsieur le ministre de l'économie, vous persistez dans votre politique et avec vos orientations budgétaires, vous persistez dans l'erreur !

On constate votre manque de volonté flagrant de réduire le déficit. D'un côté, vous réduisez les dépenses indispensables : la solidarité, les services publics, l'éducation, l'investissement. Mais les crédits militaires, vous n'y touchez pas ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Cela va changer !

M. Augustin Bonrepaux. Vous en parlez, mais vous êtes désarmés ! (Rires.) Et vous refusez - n'est-ce pas, monsieur le président de la commission des finances - le contrôle que nous vous réclamons avec insistance depuis deux ans !

M. Didier Migaud. Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Vous l'aurez !

M. Augustin Bonrepaux. On entend ici de belles paroles, mais dans la réalité, il n'y a aucune réduction de crédits pour l'armée !

M. Jean-Jacques Descamps. Vous, vous avez ruiné l'armée !

M. Augustin Bonrepaux. Vous persistez à vouloir baisser les impôts sur le revenu au lieu d'améliorer substantiellement la prime pour l'emploi ou de transformer les niches fiscales en crédits d'impôt, plus justes et surtout beaucoup plus efficaces.

Vous prétendez réduire la dette. Mais votre politique se traduit par des traites sur l'avenir.

Ce sont d'abord les allégements fiscaux sur la restauration et la réforme de la taxe professionnelle, qu'il faudra bien financer de 2005 à 2007.

C'est surtout l'aggravation de la dette sociale que vous allez reporter sur les générations futures, avec une réforme des retraites non financée. Vous aviez promis qu'elle serait financée par la baisse du chômage. Mais du fait de l'escalade du chômage, elle se traduira par une réduction du montant des retraites et une augmentation des cotisations, reportées bien sûr après 2007.

Ce sont surtout les déficits déguisés, comme ceux de la SNCF et de RFF. Vous prétendez rendre notre pays plus attractif en allégeant l'ISF et la fiscalité des plus aisés, mais vous compromettez son avenir par une réforme qui va encourager les délocalisations.

Quant à la réforme du statut d'EDF-GDF, elle va se traduire par une escalade des prix de l'énergie. Nous ne sommes pas les seuls à le dire, les industriels eux-mêmes en sont convaincus.

La réduction des investissements, dans le cadre des contrats de plan, va pénaliser certaines parties de notre territoire et réduire leur attractivité. Par exemple, l'abandon du fret ferroviaire sur de nombreuses lignes va livrer notre pays au transport routier, avec toutes les conséquences que l'on sait pour l'environnement.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ce sont des lignes qui ne servaient pas !

M. Augustin Bonrepaux. Alors, vous cherchez des responsables, et surtout des prétextes. Vous voulez mettre sous tutelle les collectivités locales, qui pourtant financent une grande part de l'équipement de nos territoires. Dans le cadre de la décentralisation, vous commencez par leur transférer la plupart des déficits de l'État.

Dans le domaine de la solidarité envers les plus démunis, vous avez transféré le RMI, dont les dépenses explosent en raison de votre politique inégalitaire. Depuis le début de l'année, le nombre de RMIstes a augmenté de plus de 10 %, atteignant 15 à 20 % dans certains départements.

Dans le même temps, les crédits transférés, eux, ont été réduits. Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, qu'en mai les crédits affectés à la compensation de ces charges aient été réduits de plus de 20 % ? Je tiens à votre disposition les chiffres du département de l'Ariège. Vous demandez aux départements de payer la différence. Il n'est pas étonnant que leurs dépenses augmentent !

De la même façon, vous préparez le transfert des TOS, des routes et du fonds social du logement. Il n'y aura bientôt plus de solidarité nationale, parce que chaque collectivité devra assumer la solidarité avec ses propres moyens. Mais la tutelle financière de l'État sera accrue, puisque vous ne transférez que des produits d'impôt, c'est-à-dire des ressources qui n'évolueront pas et qui, dès l'année du transfert, ne suffiront pas à compenser les charges transférées.

La plupart de vos réformes traduisent votre principale préoccupation qui est de réduire les subventions aux collectivités locales. J'évoquerai rapidement la baisse de 50 % du FNDAE, de la DDR, des crédits du logement, la taxation des offices HLM et, ce qui est beaucoup plus grave, la remise en cause des contrats de plan, monsieur le président de la commission !

Vous détournez des crédits européens, que vous utilisez pour mettre en œuvre la politique de l'État, qui devrait être financée avec les crédits de l'État, au détriment des zones rurales et des contrats de pays ! Ceux-ci, monsieur le ministre, n'ont plus les moyens aujourd'hui de financer cette politique, puisque ces crédits sont déjà pratiquement utilisés pour réaliser les projets déposés ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Bouvard. Du calme, monsieur Bonrepaux !

M. Didier Migaud. Mais il a raison !

Mme la présidente. S'il vous plaît, laisser M. Bonrepaux poursuivre !

M. Augustin Bonrepaux. Il n'y a plus de moyens pour les zones rurales, pour les contrats de pays !

M. Didier Migaud. C'est vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Vous avez asséché les crédits européens en les substituant aux crédits de l'État !

On assiste au même gel des projets dans le cadre des contrats de plan.

Tout cela justifie pleinement une mission d'information, et si elle est refusée, nous demanderons une commission d'enquête. Il faudra bien faire la lumière sur la façon dont ont été utilisés ces crédits. Or nous n'arrivons pas, dans les départements et les régions, à avoir des réponses à ce sujet, même dans le cadre des comités de suivi - je pense au comité de suivi qui s'est réuni avant-hier à Toulouse. Nous ne parvenons pas à savoir comment a été utilisée une dotation européenne de 80 millions, qui semble avoir été détournée de sa finalité, ce qui compromet le développement des zones rurales.

M. Édouard Landrain. N'importe quoi !

M. Augustin Bonrepaux. Vous qui prônez l'autonomie financière des collectivités locales, vous agissez exactement à l'opposé en instaurant de nouvelles tutelles financières. Vous voulez supprimer la taxe professionnelle : c'est les priver de leur ressource principale. Nous vous avions pourtant, en décembre dernier, proposé une réforme beaucoup plus réaliste, qui favoriserait l'emploi et ne creuserait pas le déficit comme vous le faites.

Et pour couronner le tout vous voulez encore aggraver cette tutelle sous le prétexte d'une conférence annuelle pour un pacte de stabilité interne. Voilà une nouveauté ! Pourquoi alors avoir refusé la proposition d'un bilan annuel que nous vous avons faite à l'occasion de l'examen de la loi de décentralisation ? En effet, cette conférence aura comme mission principale de dresser le bilan des charges et des crédits qui seront transférés vers les collectivités. Ce bilan devra tenir compte, non seulement des transferts de charges dues à la décentralisation, mais de toutes les aggravations de charges au détriment des collectivités. Il n'est pas sûr, par exemple, que l'aggravation des charges née de la réforme du statut des assistantes maternelles soit intégralement compensée. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et l'APA ?

M. Augustin Bonrepaux. Autre exemple, les services d'incendie et de secours : les moyens promis par M. le ministre de l'intérieur seront-ils suffisants ? Nous sommes prêts, nous, à dresser le bilan de tous ces transferts, monsieur le ministre d'État.

M. Michel Bouvard. De l'APA aussi ?

M. Augustin Bonrepaux. Mais reconnaissez que votre but n'est en réalité pas tant de contrôler et réduire les dépenses : votre objectif est politique. Vous n'acceptez pas le verdict des urnes, et vous vous voulez vous venger du résultat des élections cantonales et régionales. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'institution de cette nouvelle tutelle vise à empêcher les élus de conduire la politique voulue par les Français et de corriger les erreurs que vous commettez au niveau national. Quelle conception mesquine de la politique ! Mais elle ne nous étonne pas venant de l'UMP : pour l'UMP le pouvoir n'est légitime que quand elle l'exerce.

M. Georges Tron. Madame la présidente, M. Bonrepaux a largement excédé son temps de parole !

M. Édouard Landrain. Et nous avec par la même occasion !

M. Augustin Bonrepaux. En conclusion, ce n'est pas en poursuivant une telle politique que vous améliorerez l'attractivité de notre pays et que vous réduirez la fracture territoriale et la fracture sociale, qui s'aggravent. Ce n'est pas ainsi que vous réduirez le chômage, dont l'aggravation est la principale inquiétude des Français : c'est la cause principale de leur manque de confiance, et sans la confiance des Français, il n'y aura pas de retour de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Tron, pour cinq minutes.

(M. Jean Le Garrec remplace Mme Hélène Mignon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. Georges Tron. Quand un orateur se voit imparti un temps de parole de cinq minutes, il a le choix : soit il parle un quart d'heure, comme M. Bonrepaux ; soit il limite son exposé aux points qui lui tiennent particulièrement à cœur. Ainsi ferai-je, en me cantonnant à la question de la fonction publique et de la réforme de l'État.

Cela dit, je ne voudrais pas bouder notre plaisir collectif à participer à ce débat d'orientation budgétaire, au moment même où les perspectives économiques sont en train de s'éclaircir. Ce sont les prévisions de l'INSEE en termes de croissance, d'inflation et de chômage ; c'est l'enquête mensuelle de la Banque de France, qui notait il y a quelques jours que les perspectives d'activité sont favorablement orientées dans l'ensemble des secteurs. Tout cela nous promet, dans les mois qui viennent, voire, j'ose l'espérer, dans les années qui viennent, une croissance restaurée.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est plus la méthode Coué, c'est la méthode Tron !

M. Georges Tron. Ne vous inquiétez pas, monsieur Brard, je vais parler de vous !

Mais, messieurs les ministres, comme nous le rappelle très justement le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de finances pour 2003, on peut gâcher les chances qu'offre une période de croissance. On y lit en effet que « les résultats de 2001 avaient masqué l'arrêt des améliorations observées depuis 1997 faute d'un assainissement profond des finances publiques en cours de période de croissance ». C'est la première phrase du rapport de la Cour des comptes.

M. Jean-Pierre Brard. Lisez la suite !

M. Georges Tron. Ce sera aussi mon introduction : oui à la croissance, mais encore faut-il savoir qu'en faire. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais centrer mon intervention sur deux points : la réforme de l'État et la fonction publique.

Il y a d'ailleurs, comme l'a souligné le président Méhaignerie, toute une réflexion à mener sur le rôle du Parlement en cette matière. La LOLF et les stratégies ministérielles de réforme, les SMR, conduisent en effet à une nouvelle logique, celle des résultats, comme l'ont souligné plusieurs des orateurs qui m'ont précédé. C'est dans une telle logique que s'inscrit l'obligation faite aux ministères de programmer et de chiffrer les stratégies qu'ils comptent mettre en œuvre pour dégager des économies - c'est le sens des SMR - ; ou de rendre compte de la réalisation de leurs objectifs - c'est le but de la LOLF. Si on y ajoute les marges de manœuvre qui leur sont laissées dans la gestion des effectifs, sans capacité d'embauche, ce qu'on appelle, Michel Bouvard l'a rappelé, la « fongibilité asymétrique », on voit bien que les ministères obéissent dorénavant à une logique de résultats. Je suis profondément convaincu que, pour soutenir les efforts du Gouvernement, le Parlement, et plus précisément ses commissions des finances et leurs rapporteurs spéciaux, doivent veiller à ce que les ministères respectent effectivement les prescriptions de la LOLF et leurs engagements en ce qui concerne ces SMR.

M. Michel Bouvard. Bravo !

M. Georges Tron. Comme Pierre Méhaignerie, je suis totalement convaincu que nous devons être en mesure, chaque fois que ces objectifs ne seraient pas atteints, de demander très précisément aux ministres de nous expliquer pourquoi, et d'en tirer éventuellement toutes les conséquences pour le budget de l'année suivante. C'est seulement de cette façon que nous pourrons, mes chers collègues, garantir la réalisation concrète de la réforme de l'État, seul levier dont nous disposons pour redresser nos finances publiques.

Ma seconde réflexion portera plus précisément sur la fonction publique elle-même. Il faut à l'évidence - et il me semble que le Gouvernement, le Premier ministre en tête, en est convaincu - repenser aujourd'hui l'ensemble de la fonction publique. Cela nécessite qu'on engage une réflexion sur la refonte du cadre général d'emplois, qui compte actuellement 900 corps. Ce cadre alourdit de façon incontestable la gestion de l'État, et il faut y introduire de la mobilité. Elle n'est pas seulement imposée par le souci d'une meilleure gestion : je suis convaincu que cela correspond également à une attente profonde des fonctionnaires.

La question des effectifs a déjà été évoquée plusieurs fois, dans les lettres de cadrage ou dans le rapport que vous nous avez remis. Elle est centrale. L'évocation récurrente de l'objectif de remplacement d'un fonctionnaire sur deux démontre que le Gouvernement a pris la juste mesure de l'importance du sujet. Je voudrais rappeler à ce sujet deux ou trois chiffres très parlants, et qu'il est bon de conserver à l'esprit : de 1990 à 2000, le nombre des fonctionnaires de l'État s'est accru de 200 000, alors que la décentralisation achevait de se mettre en place, dans la logique des lois de 1982 et des années suivantes. De 1992 à 2002, 57 % de l'augmentation du budget général de l'État a été absorbée par des dépenses de personnels, et - tenez-vous bien ! - 85 % entre 1998 et 2000 : cela correspond très précisément à la période de croissance, où il y avait des marges de manœuvre pour agir dans le cadre de la réforme de l'État.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Dilapidation !

M. Georges Tron. La nécessité de repenser la fonction publique ne saurait se manifester d'une façon plus criante.

Je voudrais, messieurs les ministres, formuler à ce sujet trois remarques rapides.

D'abord, on ne réformera pas la fonction publique sans faire un effort de pédagogie.

M. Jean-Pierre Brard. Avec vous on est servi, monsieur Tron. Vous qui vous prétendez pédagogue, commencez par parler moins vite !

M. Georges Tron. Il ne s'agit pas simplement de parler, monsieur Brard, il faut comprendre aussi !

M. Jean-Pierre Brard. Ça prouve bien que votre pédagogie, elle « craint », monsieur Tron !

M. le président. Ne l'écoutez pas, monsieur Tron.

M. Georges Tron. Je ne l'écoute pas, je l'entends ! D'ailleurs ça ne me gêne pas outre mesure.

M. le président. Mais vous risquez de dépasser très largement votre temps de parole.

M. Georges Tron. J'ai encore à peu près dix minutes d'avance sur M. Bonrepaux qui a parlé juste avant moi.

M. Jean-Pierre Brard. Mais parlez moins vite, grand pédagogue !

M. Georges Tron. Pour en revenir à la nécessité de la pédagogie, l'école en est précisément la meilleure illustration, comme le soulignait très justement mon ami Gilles Carrez. Tous les fonctionnaires du secteur scolaire, s'ils sont extrêmement motivés, sont aussi aujourd'hui parfaitement découragés après quinze ans de carrière. Nous devons mener une véritable réflexion pour trouver les moyens de conforter celles et ceux qui se dévouent, et ne pas leur donner le sentiment que nous n'avons aucun message à leur transmettre. Nous avons d'ailleurs déjà engagé ce travail, et j'ai déposé un rapport sur ce sujet il y a deux ans. Mais cette réflexion doit s'accompagner de la transparence des chiffres. Vous avez parfaitement raison, monsieur le rapporteur général de rappeler que dans ce domaine précis de l'école, la France dépense 1 % de PIB de plus que la moyenne des pays de l'OCDE pour des performances inchangées depuis 1994. Cela mérite pour le moins réflexion, et cela prouve que la réforme de l'État peut parfaitement se conjuguer avec une amélioration de la condition des fonctionnaires.

Après la pédagogie, le mouvement est le deuxième impératif. Le ministère de l'économie et des finances se montre depuis plusieurs mois exemplaire à cet égard, avec la création d'une direction des grandes entreprises, celle d'une grande direction générale du Trésor et de la politique économique, le regroupement de plusieurs corps de contrôle qui est actuellement en préparation : tout cela contribue à modifier le fonctionnement de ce ministère, et va incontestablement dans le sens de la réforme de l'État.

Troisième et dernier impératif, mais non le moins important : associer l'ensemble des fonctionnaires à la réforme. Cela passe bien entendu par des mesures concrètes : je pense en particulier à la prime au mérite, actuellement mise en place dans cinq ministères, l'économie, la défense, l'intérieur, la fonction publique, l'agriculture. Mais cela suppose également - je me permets de vous soumettre cette suggestion, monsieur le ministre d'État - de rechercher les moyens de faire comprendre aux fonctionnaires que les efforts qu'ils consentiront leur bénéficieront aussi à eux. Vous nous avez expliqué tout à l'heure, monsieur le ministre, que les marges de manœuvre qui seront dégagées grâce à la croissance devront être affectées au désendettement de l'État. Nous adhérons totalement à ce propos. Mais il me paraîtrait assez astucieux de consacrer une partie des marges de manœuvre dégagées à partir de la réduction du nombre de fonctionnaires à l'amélioration de la rémunération de celles et ceux qui restent, et non seulement à l'investissement - mais celui-ci est bien entendu nécessaire pour assurer l'amélioration des conditions de travail.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Tout à fait !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est ce que nous faisons !

M. Georges Tron. On peut imaginer que soient détaillées, ministère par ministère, les possibilités de mieux rémunérer chaque catégorie de personnels, selon les tâches qui leur sont fixées dans le cadre des SMR. Cela permettrait d'associer les fonctionnaires à l'effort que nous mettons en place.

Il ne faut pas avoir peur de dire les choses concrètement : selon toutes les études dont nous disposons, nous disposons aujourd'hui de marges de manœuvre tellement faibles que la réforme de l'État et une démarche réfléchie en ce qui concerne la fonction publique sont les seuls leviers dont nous disposons. Si nous voulons être efficaces, nous devons être courageux, déterminés, et capables de faire comprendre aux fonctionnaires que rien ne se fera sans eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Ouf !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement vient de trouver le mot magique : la dette ! Loin de moi l'intention d'accréditer l'idée que la dette n'est pas un enjeu majeur.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous êtes en progrès !

M. Jean-Claude Sandrier. Avouez quand même qu'il faut un certain aplomb pour venir crier au feu sur la dette alors que c'est vous qui, en 2002 et 2003, avez allumé la mèche.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, bien sûr ! Depuis mai 2002 nous avons fait 1 000 milliards de dette !

M. Jean-Claude Sandrier. Dès 2002 le Gouvernement s'est tout de même empressé de faire baisser les recettes et d'augmenter les dépenses. Pis, comme si cela ne suffisait pas, il a persévéré en 2003, se payant le luxe, non seulement de baisser à nouveau les impôts de manière injuste et inopportune, mais de surestimer de façon importante et délibérée la croissance et de se livrer à des dépenses totalement inefficaces en matière de relance économique et d'emplois. L'accroissement phénoménal de la dette est de votre fait. Le Figaro lui-même prévoyait récemment une nouvelle dérive des comptes publics en 2004. Avec votre rapport sur les orientations budgétaires, vous faites vraiment penser à ces pyromanes qui viennent crier au feu après l'avoir allumé !

De plus mettre l'accent uniquement sur la dette, en en rejetant la responsabilité essentiellement sur les fonctionnaires, vous permet de jeter pudiquement le voile sur des questions majeures : quelle est l'efficacité de l'utilisation de l'argent public et de votre politique fiscale en termes d'emplois ? Ne s'agit-il pas de cadeaux à fonds perdus ? L'État assume-t-il encore sa mission d'assurer une répartition équitable des richesses ?

Et s'agissant des fonctionnaires, monsieur le ministre, vous n'avez toujours pas répondu clairement à la question que je vous ai posée en commission : puisque vous ne voulez pas toucher à l'armée, à la police, à la justice, dans quels secteurs supprimez-vous des emplois ? Enfin, vous vous flattez d'avoir tenu les dépenses budgétaires, mais cela est le résultat d'astuces de présentation et des gels de crédits - crédits pourtant votés - tandis que, dans le même temps, le Président de la République ou d'autres engageaient les finances de l'État pour les exercices à venir. Et comble du comble, il faut que ce soit EDF - encore entreprise publique - qui vienne aider l'État à contenir son déficit 2003 !

Enfin, vous oubliez de dire que la charge de la dette par rapport aux recettes de l'impôt sur le revenu - que vous avez diminué - a commencé à réaugmenter depuis 2002. Je vous renvoie au graphique figurant dans Le Figaro économie du 22 juin.

M. Michel Bouvard. Changez de lecture !

M. Jean-Claude Sandrier. Eh non, cela m'intéresse tout de même comme lecture !

Toute votre problématique se trouve circonscrite à diminuer les dépenses, en fait à s'inscrire dans une réduction du champ public, dans un affaissement du rôle de l'État, et à refuser d'examiner les choix et la structure des prélèvements obligatoires. Car là est bien le fond du problème.

L'affichage de la réduction du nombre de fonctionnaires reste un symbole, même si l'objectif de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux n'est pas clairement réaffirmé. On sait que le Premier ministre le prend pour « référence » et que des voix autorisées vous conseillent d'aller beaucoup plus loin encore.

C'est pour cela également que vous insistez sur la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, dont nous savons, par simple examen de la structure de notre population et des besoins y afférant, qu'elle est illusoire. Illusoire aussi car 15 à 20 % de nos compatriotes ne se soignent pas aujourd'hui comme ils le devraient. A-t-on décidé de les abandonner en chemin ? Il faudra donc bien, au-delà de certains abus relevés, financer davantage la santé dans notre pays.

Nous aurons l'occasion durant les semaines à venir de dénoncer cette supercherie d'un déficit totalement artificiel en montrant que les moyens existent dans notre pays pour mieux soigner et mieux couvrir les frais de santé.

Je le répète : les allégements successifs et injustes de l'impôt sur le revenu en 2003 et les dispositifs d'allégements de cotisations sociales ont coûté cher au budget de l'État et aux budgets sociaux, sans amener de contreparties intéressantes. C'est un argent qui a été, pour l'essentiel, gaspillé.

Les trois grandes institutions que sont la Banque de France, la Cour des comptes et l'INSEE ont expliqué dans un quotidien daté de mardi dernier que, tôt ou tard, un tour de vis serait inévitable. On verra d'ailleurs que ce n'est jamais pour tout le monde.

Pour la majorité de nos concitoyens, cela veut dire moins de services, moins d'investissements publics, avec des gels et des annulations de crédits à des niveaux inégalés.

Bien sûr, cela n'empêche pas certains membres du Gouvernement de continuer à promettre. Vous me permettrez à ce titre de relever l'exploit de M. le ministre de la cohésion sociale qui, semaine après semaine, ne cesse de tout promettre, alors même que le budget du logement est amputé de 9 %, que des crédits PALULOS sont sacrifiés et que ses ambitions affichées sont aujourd'hui sans moyen, et donc sans objet réel. Comme le titrait il y a une semaine un excellent hebdomadaire satirique : « Le ministre de la cohésion sociale ne cesse de claironner des promesses déjà lancées, voire non financées. »

On pourrait dire de même avec l'annonce, à grand renfort de publicité, d'une prétendue baisse des prix dans la grande distribution.

Vous vous targuez, monsieur le ministre, d'un accord de baisse de 2 % sur certains prix, mais après des hausses de 15 à 20 %, et alors que, dans le même temps, les transports publics annoncent de nouvelles hausses, les mutuelles annoncent des hausses de 6 %, le coût du logement s'envole, les carburants atteignent des sommets, les assurances ont augmenté, la sécurité sociale va coûter plus cher à nos concitoyens, les impôts locaux ont crû de 4 % en moyenne, les tarifs EDF ont augmenté, sans compter les conséquences néfastes de l'ouverture du marché de l'énergie qui se traduit pour une entreprise comme la SNCF par une augmentation de la facture de 345 à 467 millions d'euros ! D'un côté, le Gouvernement dit baisser quelques prix et, de l'autre, il est à l'initiative d'une cascade de hausses. Quelle cohérence !

Une communication même bien menée ne peut modifier la réalité. La réalité, c'est la suppression de moyens et de services, au détriment de la population et des entreprises, et je voudrais, pour illustrer mon propos, m'appuyer sur deux exemples tirés du département dont je suis l'élu, le Cher.

Un projet concerne la fermeture des trésoreries au sein d'un certain nombre de chefs-lieux de cantons. C'est un sujet que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Dans tous ces chefs-lieux de cantons, l'émoi est grand car c'est un peu de vie que l'on retire. Cela est si vrai que des élus UMP, dans une contorsion personnelle qui reste un mystère, en viennent à regretter dans leur localité des décisions qu'ils approuvent ici même, à Paris, selon sans doute le célèbre principe : « Chez les autres, mais pas chez moi ! »

L'autre exemple concerne l'intervention directe de l'État sur des politiques propres, et illustre parfaitement ce qu'on doit bien appeler la défaillance de l'État. Nous avons, dans le département du Cher, un certain nombre de travaux routiers, qui sont essentiels en matière de sécurité et d'aménagement du territoire. Or, avec le gel que vous avez instauré, l'intervention directe de l'État sur les routes nationales est tombée de 11 ou 12 millions d'euros à 1 million pour 2004 ! Cela se passe de commentaires !

Car derrière les rodomontades sur la bonne gestion de l'argent public, derrière les affirmations sur l'État gaspilleur, c'est bien une politique nouvelle que vous entendez imposer, une politique injuste fiscalement et donc injuste socialement.

En effet, et c'est dans le rapport qui nous a été présenté, vos choix induisent une nouvelle structure des prélèvements obligatoires. Une structure qui tourne le dos à la solidarité, une structure qui amoindrit tous les impôts progressifs, pour favoriser les impôts proportionnels, une structure qui tend à faire peser sur les plus faibles et les couches moyennes vos choix fiscaux.

Ainsi, pour 2005, la tendance à l'accroissement de l'imposition locale sera confirmée, tout simplement parce que le Gouvernement va continuer de transférer des charges, sans accorder les moyens correspondants. Nous savons que cette politique de transferts de prélèvements pénalise d'abord les plus faibles, avec des hausses record pour la collecte et le traitement des ordures ménagères, avec des hausses prévisibles pour les impôts votés par les conseils généraux et régionaux du fait d'un marché de dupe dans les transferts. Vous n'êtes d'ailleurs pas à une contradiction près : au moment où vous nous présentez un mini-plan de relance, vous plombez les collectivités locales, qui sont le premier investisseur public, alors que votre ministère a publié un document indiquant que les collectivités retombent dans un cycle de surendettement, comme en 1995.

Même si vous vous gardez d'annoncer une quelconque poursuite de baisse de l'impôt direct sur le revenu, baisse qui profite essentiellement aux plus riches, les députés communistes et apparentés sont de ceux qui ont toujours soutenu que l'impôt progressif est le plus juste, le plus utile, le plus efficace. Nous préconisons son relèvement jusqu'à 8 à 9 % du produit intérieur brut, alors qu'il n'en représente actuellement que 3,5 %. Dans le même temps, nous plaidons pour une baisse ciblée de la TVA, afin de faciliter la consommation, notamment des plus pauvres, et une baisse de la TIPP, car ce sont les prélèvements les plus injustes.

En ciblant les ménages modestes, comme vous le faites avec les impôts locaux, la TIPP, les nouveaux prélèvements annoncés sur l'assurance maladie, vous montrez votre vrai visage. Vos choix sont bien idéologiques et politiques : faire payer la France d'en bas et les couches moyennes en imaginant que cela va donner au capital des vertus qu'il n'a pas et qu'il n'aura d'ailleurs jamais. Le baron Seillière est là pour nous le prouver tous les jours. Car, à regarder dans le rapport, il n'y a qu'une catégorie de contribuables qui peut avoir le sourire, ce sont les entreprises qui se voient, une nouvelle fois, accorder des cadeaux supplémentaires : 2,4 milliards d'euros sans contrepartie.

Il est temps d'inverser les priorités, de contrôler réellement les aides publiques aux entreprises - or vous avez supprimé la loi Hue -, de pénaliser celles qui procèdent à des délocalisations, de réfléchir à la pénalisation des licenciements boursiers.

Il n'est plus concevable que la stratégie budgétaire et financière d'un État soit subordonnée à une loi qui fait que lorsque M. Michelin annonce 2 900 suppressions d'emplois, il s'octroie dans le même temps une augmentation de 146 %. Comme le disait le directeur de MBDA-Bourges, il n'est plus possible que, pour assouvir une demande de rendement des actions supérieure à 15 %, il faille licencier. Or licencier, c'est étrangler l'emploi qui produit les richesses nationales, celles qui permettent justement de financer la sécurité sociale et d'alimenter le budget de l'État.

Comme l'avait déclaré Hans Tietmeyer en 1996 au forum de Davos devant une assemblée de chefs d'État : « Désormais, vous êtes sous le contrôle des marchés financiers ! » Cette belle envolée finale a paraît-il suscité des applaudissements nourris, dit la gazette. Cela signifiait tout simplement que les chefs d'État de l'époque acceptaient comme une évidence la surdétermination de la souveraineté populaire par la rationalité marchande et spéculative du capital financier.

Vous ne faites plus, monsieur le ministre, comme l'écrit si justement Jean Ziegler dans son livre Les nouveaux maîtres du Monde que « transcrire en langage local, à travers un ensemble de décisions budgétaires et institutionnelles, les diktats des seigneurs du monde ». Si vous préférez, vous pouvez écrire « seigneurs » avec un « e » ou un « a ». Car au-dessus des gouvernements, des parlements, des juges, des journalistes, des syndicats, des intellectuels, des églises, des armées, des chercheurs règnent ainsi les marchés financiers. Vous l'avez admis, accepté, acté. Et ne me dites pas que ce n'est pas vrai.

Voici en effet ce que dit l'un des principaux maîtres à penser de la sociologie allemande contemporaine, par ailleurs membre du parti libéral allemand, M. Dahrendorf : « Pour rester concurrentiels sur les marchés mondiaux de plus en plus importants, les États sont obligés de prendre des initiatives qui engendrent des dommages irréparables pour la cohésion des sociétés civiles ». Ainsi, les gouvernements cèdent, dans leurs politiques budgétaires et fiscales, aux diktats des sociétés financières ou industrielles transnationales. Ce faisant d'ailleurs, ils décrédibilisent le rôle de l'État.

Alors faut-il continuer de s'écrier : « Vive la concurrence qui engendre des dommages irréparables », ou avoir le courage de dire non ?

Nous ne pouvons pas accepter cette logique. La France des dividendes est en train de tuer la France du travail. La France pour les riches est en train de ruiner la France pour tous. Et le seul mot qui vaille dans cette jungle, c'est « s'adapter », mot terrible qui, utilisé dans certaines circonstances, signifie « abandon ».

C'est pourquoi, dans le débat budgétaire, les députés du groupe des communistes et républicains détailleront des propositions pour réorienter la fiscalité, contrer les paradis fiscaux, taxer les investissements directs à l'étranger, arrêter les transferts de charges sur les collectivités locales, etc. Des promesses réaffirmées seront ainsi écornées, comme c'est le cas pour les chercheurs. Au total, votre démarche est injuste, inefficace et totalement soumise à l'idéologie prédatrice du « tout-marché ».

Le plus regrettable dans tout cela, ce n'est pas que vous vous entêtiez dans vos dogmes, c'est que vous ne teniez aucun compte des avertissements que les Français vous ont adressés en mars et juin derniers.

Enfin, au regard de ces enjeux et des choix politiques à opérer pour sortir de la loi de la jungle imposée par les nouveaux maîtres du monde, votre projet de loi sur la consommation et l'investissement paraît bien petit et bien fragile.

M. le président. Merci, monsieur Sandrier, d'avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, en ouvrant ce débat d'orientation budgétaire, vous avez évoqué les nouvelles perspectives, plus optimistes, de croissance, mais vous avez surtout souligné que la priorité de l'action gouvernementale est de réduire le déficit budgétaire et de maîtriser l'endettement.

Certains, aujourd'hui, s'efforcent de relativiser les problèmes que constituent le déficit budgétaire et l'endettement.

Il est vrai que la relation entre le déficit et l'endettement est forcément contingente et doit être située, vous l'avez vous-même souligné, notamment lorsqu'on fait des comparaisons, à l'échelle européenne.

Il est vrai aussi que la dépense publique est de nature différente de la dépense privée et qu'elle n'a ni les mêmes finalités ni la même échelle de temps.

Il est vrai également que le déficit budgétaire peut avoir un effet contracyclique important, mais d'une ampleur beaucoup plus limitée qu'auparavant dans une économie désormais totalement ouverte.

Certains vont même jusqu'à prétendre qu'il n'y a pas le feu à la maison, que l'on pourrait se satisfaire de ce niveau de déficit et d'endettement, qu'il serait même opportun de relancer fortement la croissance, dont les retombées permettraient de redresser nos finances.

Cette conception paraît déraisonnable − vous l'avez vous-même souligné −, si l'on considère la faiblesse des marges de manœuvre budgétaire dont dispose le Gouvernement. Le service de la dette atteint en effet 40 milliards d'euros, soit plus de 10 % des dépenses du budget général. Encore faut-il préciser que, en 2003-2004, nous bénéficions de taux d'intérêt particulièrement bas, mais que, en raison des déficits américains, nous ne sommes pas assurés qu'ils ne subiront pas, dans les prochains mois ou dans les prochaines années, une hausse significative qui entraînerait automatiquement une augmentation du service de la dette.

Cette conception paraît plus déraisonnable encore si l'on considère l'importance du déficit structurel de la France, que le FMI évaluait récemment à 2,7 % du PIB, contre 1,7 % pour l'ensemble de la zone euro. Ce déficit est en grande partie dû aux errements de la période 1997-2002, où l'effort de réduction des dépenses structurelles a été deux fois moins important, dans notre pays, que chez nos partenaires de l'Union européenne, et où les dépenses de personnel − celles qui ont la plus forte rigidité − ont considérablement augmenté.

Cette conception est déraisonnable, enfin, si l'on songe qu'une part importante de ce déficit − plus du tiers − couvre des dépenses de fonctionnement, ce qui risque de nous condamner à une véritable spirale du déficit et de l'endettement, en vertu d'un « effet boule de neige » qu'il serait très difficile d'arrêter.

Vous avez donc parfaitement raison de placer la maîtrise du déficit et celle de l'endettement au premier rang des priorités du Gouvernement et de notre pays.

Vous avez également évoqué, monsieur le ministre, le Gouvernement économique de l'Europe. Il est vrai qu'il reste beaucoup de progrès à accomplir en ce domaine. Pour l'heure, c'est essentiellement sur le terrain budgétaire que cette politique peut être menée, et vous avez eu raison de souligner qu'il serait important d'avoir, en ce domaine, une relecture − pour ne pas dire plus − du pacte de stabilité.

Vous avez également considéré que la priorité était de travailler avec l'Allemagne. Il est vrai que ce pays est notre principal partenaire, que nous sommes étroitement liés à lui, qu'il consent aujourd'hui des efforts importants, mais il n'est pas moins vrai qu'il a connu les mêmes travers et les mêmes retards que nous. Si nous voulons vraiment un gouvernement économique de l'Europe, il serait sans doute souhaitable d'associer également à ces travaux d'autres pays qui ont fait des efforts beaucoup plus importants : l'Espagne, l'Irlande, l'Angleterre, voire l'Italie, malgré le niveau très élevé de l'endettement dans ce dernier pays.

Enfin, monsieur le ministre, tous ces efforts n'auront pas grand sens si nous ne parvenons pas à libérer toutes les potentialités de développement de notre pays. Vous avez à juste titre souligné que l'État dépense aujourd'hui 16 milliards d'euros pour empêcher les Français de travailler. Combien de milliards d'euros de ressources supplémentaires afflueraient dans les caisses de l'État si les Français pouvaient de nouveau travailler comme ils le souhaitent ? Il est urgent de rétablir la liberté du travail et de desserrer le carcan des 35 heures : c'est la première condition du redressement de notre économie et de nos finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Didier Migaud. Du calme ! Du calme !

M. Daniel Garrigue. Monsieur le ministre, dans sa situation actuelle, la France pourrait être tentée de se résigner ou, à l'inverse, de prendre des mesures brutales dont les conséquences risqueraient de briser − comme on l'a vu récemment chez certains de nos partenaires − toute dynamique économique. Vous avez choisi une autre voie, celle du volontarisme et du rétablissement de la confiance. Nous approuvons cette ligne dans la mise en œuvre du budget pour 2004 et vous demandons de la poursuivre dans la préparation du budget pour 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci, monsieur le député !

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le ministre de l'économie, vous nous avez dit, ce matin, des choses très intéressantes. Reconnaissons-le, nous pourrions vous suivre sur tel ou tel point, et vous vous efforcez à une forme de « parler vrai », qui est devenue l'un des éléments de votre identité et de votre originalité. Mais il est dommage que vous n'alliez pas au bout de cette démarche et que, au moment où vous voulez faire des économies, vous ne fassiez pas de temps en temps celle de quelques bonnes grosses ficelles ou de quelques contrevérités manifestes.

J'aimerais ainsi que vous satisfassiez une curiosité personnelle : pourquoi faire constamment référence à 1981 ?

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. C'est une mauvaise année !

M. Richard Cazenave. C'est le début de la fin !

M. Éric Besson. Le rapporteur général lui-même a été gagné par votre obsession.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cette date marque une rupture !

M. Philippe Auberger. C'est le « Crépuscule des dieux » !

M. Richard Cazenave. C'est le partage « de l'ombre et de la lumière » !

M. Éric Besson. Notre histoire politique, économique, budgétaire, a-t-elle vraiment commencé − ou s'est-elle vraiment arrêtée − en 1981 ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il y a indéniablement eu une rupture !

M. Éric Besson. Pourquoi, dans votre bouche, les mots « partisan » et « idéologie » sont-ils des gros mots ? Êtes-vous si dégagé des contingences des partis ? Pensez-vous sincèrement qu'un homme politique doive s'abstraire des valeurs et des idées qui forment ce qu'on appelle des idéologies et des convictions ? Enfin, pensez-vous vraiment que vous pourrez indéfiniment vous affranchir des résultats de la gestion du gouvernement Raffarin depuis deux ans ? À écouter plusieurs des orateurs de la majorité, ce matin, on avait le sentiment que les élections législatives avaient eu lieu la semaine dernière. Plus nous nous éloignons d'avril 2002, plus vous faites le procès du gouvernement Jospin.

M. Richard Cazenave. C'est qu'on en découvre tous les jours !

M. Éric Besson. Mesdames et messieurs de la majorité, la critique de vos prédécesseurs et la caricature du bilan de la précédente législature sont-elles devenues votre seul dénominateur commun ?

Certes, monsieur le ministre, vous n'aviez pas vous-même, hier, la responsabilité de l'économie et des finances, mais n'êtes-vous pas depuis deux ans le numéro deux du Gouvernement, et le ministre qu'on dit le plus influent ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Restons calmes !

M. Éric Besson. « Ministre le plus influent du Gouvernement », ce n'est pas l'injure la plus grave qu'on puisse adresser à un homme politique.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, mais il ne faut pas exagérer !

M. Éric Besson. N'êtes-vous donc pas coresponsable des orientations, des erreurs et des échecs qui se sont accumulés depuis deux ans ?

Pour le reste, ne boudons pas notre plaisir. Ainsi, vous nous dites clairement que la consommation est bien le principal moteur de la croissance française. C'est exactement sur cette conviction que le gouvernement Jospin a fondé son action et c'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi, de 1997 à 2002, la France a connu une croissance plus forte que celle de ses partenaires européens, si bien que, pour la première fois depuis deux décennies, elle faisait presque jeu égal avec les États-Unis.

Oui, il aurait fallu, depuis deux ans, soutenir la croissance par la consommation, notamment par la consommation des plus modestes.

M. Richard Cazenave. C'était dur à faire avec l'ardoise que vous aviez laissée !

M. Éric Besson. Vous avez fait l'inverse. Aujourd'hui, vous nous dites que la consommation est redevenue une priorité. Dont acte. Nous vous jugerons aux actes.

Vous avez eu d'autre part, monsieur le ministre, le mérite de rompre avec la grande erreur qu'aura été la baisse de l'impôt sur le revenu dans le contexte économique et budgétaire que nous connaissions depuis deux ans. Avec une franchise remarquable, M. Méhaignerie a déclaré, il y a quarante-huit heures : « Je reconnais que nous avons commis une erreur en baissant de 3 % l'impôt sur le revenu. » Or, cette erreur, nous l'avions dénoncée dix fois, cent fois, mille fois, à cette même tribune.

M. Augustin Bonrepaux. Eh oui !

M. Éric Besson. Je n'insiste pas. Comme dirait Jean-Pierre Brard : à tout pécheur miséricorde.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis pas sûr que ce soit du Brard ! (Sourires.)

M. Éric Besson. Enfin, vous dites clairement − mais en creux − que le slogan du candidat Chirac en 2002 − augmenter les dépenses, baisser les impôts et les charges − était absurde. Tout le monde le savait, beaucoup le disaient, certains le reconnaissaient à voix basse, y compris dans la majorité. Ce matin, vous avez mis les choses au point. On peut, je crois, vous en remercier.

On ne vous reprochera pas non plus le sens de l'euphémisme et de la litote dont vous avez fait preuve en parlant de « la calamiteuse affaire de la cagnotte ». Pardonnez-moi, monsieur le ministre, si je suis plus direct que vous. Qui a parlé de la cagnotte ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Qui l'a dépensée ?

M. Didier Migaud. Il n'y avait pas de cagnotte !

M. Éric Besson. Quel est le Président de la République qui a mis en demeure le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, de dépenser le produit des plus-values de recettes ?

M. Michel Bouvard. Il n'a pas dit de les gaspiller !

M. Éric Besson. Qui, dans cet hémicycle − je reconnais ici certains visages −, criait à tout bout de champ « La cagnotte ! La cagnotte ! » ? Je n'insiste pas.

Je conclurai par quelques mots sur les 35 heures. Je n'ai pas le temps de corriger les chiffres incohérents que vous avez cités à propos du coût des 35 heures : il suffirait pourtant que je m'appuie sur ceux, bien différents, que donnaient vos prédécesseurs ou le rapporteur général.

Sur le fond, je remarque qu'il n'y a plus d'allégements de cotisations sociales liées aux 35 heures. Votre gouvernement les a transformés en allégements de charges, dits « allégements Fillon », qui coûtent de 15 à 17 milliards d'euros. Avez-vous cherché à nous dire ce matin que vous voulez revenir sur cette politique ? Cela pourrait avoir un sens, quand on constate que ces exonérations n'ont eu aucun impact sur l'emploi. Pourriez-vous, dans votre réponse, être plus précis sur ce point ?

Priorité à la consommation populaire, arrêt des baisses d'impôt, mise en cause des allégements de cotisations sans contreparties : si nous vous avons bien compris, nous devons reconnaître que ces orientations sont extrêmement intéressantes. Nous attendons donc de voir leur traduction dans le prochain budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci pour ce satisfecit !

M. le président. Si vous le voulez bien, nous allons maintenant entendre les quatre derniers orateurs, qui mettront un point d'honneur à respecter leur temps de parole, après quoi nous lèverons la séance et le Gouvernement répondra au début de celle de cet après-midi, à quinze heures.

La parole est à M. Philippe Auberger, qui, grâce à son esprit de synthèse, ne dépassera pas les cinq minutes qui lui sont imparties.

M. Philippe Auberger. Merci, monsieur le président, pour vos encouragements. (Sourires.)

Permettez-moi, pour commencer, d'exprimer mon étonnement. Le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution de la loi de finances pour 2003 aurait dû éclairer notre débat d'aujourd'hui. Or, il n'en est rien. Après une lecture très attentive, on s'aperçoit en effet qu'il ne fait référence ni à la situation économique difficile que nous avons connue en 2003 ni aux effets qu'elle a pu avoir sur les moins-values fiscales. Dans ces conditions, ses conclusions sont sérieusement tronquées.

Alors qu'on ne lui demandait pas du tout de faire le rapport d'exécution pour 2004, la Cour des comptes a voulu parler de l'année en cours, mais en se reposant sur des prévisions en matière de croissance qui ont été démenties hier par l'INSEE.

Le ministre d'État a proposé tout à l'heure avec raison une stabilisation de la pression fiscale en 2005.

La semaine prochaine, avec le projet de rétablissement des comptes de l'assurance maladie, nous allons demander aux Français un effort supplémentaire de 5 milliards d'euros. Ils ne comprendraient pas que, dans le même temps, on envisage de revoir notre fiscalité à la baisse.

M. le ministre d'État a néanmoins déclaré que certains aménagements seraient possibles en cas d'évolution de la fiscalité, et notamment de ce qu'il est convenu d'appeler dans notre jargon les niches fiscales. Reprenant la balle au bond, je vous propose, monsieur le secrétaire d'État, au lieu de multiplier les réductions d'impôt et autres systèmes de crédit d'impôt, de recourir, pour toutes les niches fiscales, à une réduction unique de l'assiette de l'impôt, plafonnée en proportion du revenu des personnes imposables. Le pourcentage pourrait être de l'ordre de 7 ou de 8 %, comme c'est déjà le cas pour certaines niches, en particulier pour les versements aux œuvres.

Tout en laissant aux contribuables le choix d'arbitrer entre les différentes niches fiscales, on créerait là une possibilité d'économies sans amputer par trop, comme c'est le cas parfois, le produit de l'impôt sur le revenu.

Lorsque nous avons décidé la suppression de l'avoir fiscal, nous avons réduit le montant du dividende imposable de 50 %. La franchise des dividendes, qui était de 1 220 euros, a ainsi été multipliée par trois, ce qui est, selon moi, excessif car cet avantage, qui peut être familialisé, s'ajoute à celui procuré par le PEA. La révision de ce dispositif permettrait de réaliser, à la marge, d'autres réajustements de notre fiscalité.

M. le ministre d'État a également proposé une stabilisation des dépenses en euro constant. C'est une heureuse initiative, après celle lancée pour l'année 2004, mais je me demande si elle sera suffisante. Je pense qu'il faudrait aller un peu au-delà et même tendre à une stabilisation en euro courant.

Je prendrai comme exemple celui des emplois. Cette année, le budget a prévu d'en supprimer 4 000 dans la fonction publique. Or, en dix ans, nous rappelait le ministre de la fonction publique, 100 000 emplois publics ont été créés. Il nous faudrait donc vingt ans pour résorber ces créations. Le rythme doit être absolument accéléré si l'on veut parvenir à une véritable stabilisation des dépenses à moyen terme.

M. le ministre d'État envisage, enfin, de revoir les allégements en matière de cotisations sociales et de porter leur limite de 1,7 à 1,5 SMIC. Je ne peux que l'approuver car le système qui a été mis en place dans le cadre de l'augmentation des SMIC se révèle exagérément favorable pour certaines entreprises où il crée un effet d'aubaine. La limite de 1,5 SMIC me semblerait donc préférable, et peut-être même pourrions-nous aller un petit peu en dessous, jusqu'à 1,3 SMIC, comme ce fut le cas, je le rappelle, lorsque ces allégements furent instaurés voilà une dizaine d'années.

Votre prédécesseur avait promis d'engager la réforme de la prime pour l'emploi dans le cadre de la préparation du budget pour 2005. Outre que cette prime est coûteuse, elle apparaît beaucoup trop éloignée de tout souci de reprise de l'emploi. Or c'est la reprise de l'emploi qu'il convient d'encourager. La prime devrait donc être payée trimestriellement - si possible dès le premier trimestre de la reprise - et son barème simplifié. La modulation en fonction du nombre d'enfants, par exemple, ne devrait pas avoir sa place dans un tel dispositif.

Mes chers collègues, nous aurons la chance, pour la préparation des budgets pour 2005, pour 2006 et pour 2007, de disposer d'une parfaite visibilité sur le plan politique puisque, durant les trois prochaines années, aucun rendez-vous électoral n'est prévu. Dans ces conditions, la programmation triennale des finances publiques qui nous sera proposée dans le cadre de la préparation du budget pour 2005 sera tout à fait décisive.

Afin de rétablir la confiance des Français et d'éviter trop d'épargne de précaution, une meilleure lisibilité de la politique des finances publiques est nécessaire, qu'il s'agisse de l'évolution des recettes ou des efforts en matière de dépenses.

Je souhaite, donc, monsieur le secrétaire d'État, que cette programmation triennale précise bien les orientations qui seront suivies au cours des trois prochaines années. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Deniaud.

M. Yves Deniaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Eric Besson s'étonnait tout à l'heure que nous ayons pris 1981 comme année de référence. Mais dans les années soixante et soixante-dix, la dette était restée, par rapport à cette année-là, à un niveau extrêmement faible, puisqu'elle s'élevait en 1980 à 20 % du PIB. En vingt ans, elle a triplé. Imaginez que nous continuions ainsi au cours des vingt prochaines années : que resterait-il pour vivre aux Français de l'an 2025 avec une charge pareille ? Heureusement, nous sommes déterminés à changer d'orientation.

Selon les dernières indications, une période de croissance s'annonce. Nous y mettons beaucoup d'espoir parce que nous gardons un goût amer de la précédente, achevée en 2001, et dont nous avons, chacun le sait, bien moins profité que d'autres.

Didier Migaud affirmait tout à l'heure que la dette avait alors baissé. Oui, de 1,7 point du PIB contre 4,7 points en moyenne dans l'Union européenne ! Ces trois points de différence qui nous manquent, expliquent à eux seuls que nous dépassions le critère des 60 %.

Il faut donc, d'emblée, affirmer, avec la dernière énergie, les règles de vertu qui nous permettront d'assainir en profondeur nos finances. Nous avions bien, après tout, diminué le déficit de 3 % du PIB quand nous gérions le pays entre 1994 et 1997, dans une période de croissance médiocre. Rien n'est donc fatal ni impossible.

La plus importante de ces règles de vertu est que les dépenses réalisées soient conformes, à l'euro près, à celles votées dans la loi de finances initiale. L'assurance de l'inviolabilité de cette règle fera changer en profondeur la mentalité des services les plus dépensiers. L'année 2004 sera à cet égard cruciale, car l'année 2003 restant le seul exemple de cette rigueur, c'est la répétition qui ancrera bien dans les têtes qu'il n'y a aucun supplément de ressources à espérer en dehors des économies de dépenses.

Poursuivie résolument jusqu'en 2007, cette politique courageuse, liée à une augmentation simplement limitée à l'inflation, donnera, à coup sûr, des résultats positifs, car elle imposera la réforme de l'État. Tant que l'on croit pouvoir se débrouiller pour grappiller quelques subsides de-ci de-là, on ne fait pas l'effort d'imagination nécessaire à toute révision des effectifs et des méthodes et à toute simplification de l'organisation et des procédures. On ne réformera l'État, quelle que soit la volonté proclamée, que par la contrainte financière.

Les stratégies lancées depuis deux ans sous l'impulsion des ministres en charge de la réforme de l'État, ont eu des effets positifs. Mais ceux-ci ne s'accéléreront que lorsque les habitudes viendront se briser contre ce mur qu'est l'intangibilité des dépenses.

M. Hervé Mariton. Très bien !

M. Yves Deniaud. Une telle politique impose, en revanche, une évolution dans la manière de pratiquer le gel budgétaire et de choisir, dans chaque loi de finances initiale, les économies à réaliser.

Nous l'avons dit maintes fois ici, il est terriblement frustrant de constater, trois semaines après le vote définitif de la loi de finances, un gel de crédits dix fois supérieur au montant des économies qui ont fait l'enjeu de nos débats pendant trois mois. D'autant que ce sont toujours les dépenses d'investissement qui en souffrent,...

M. Michel Bouvard. Absolument !

M. Yves Deniaud. ...ce qui nuit à l'équipement du pays, porte atteinte à la parole de l'État en matière contractuelle, et constitue un gâchis financier certain, comme la Cour des comptes le relève régulièrement,...

M. Michel Bouvard. Oui !

M. Yves Deniaud. ...l'allongement de la durée des travaux signifiant toujours une envolée des prix. Le meilleur exemple est celui de la dérive du coût du porte-avions Charles-de-Gaulle, dont le montant aurait, à lui seul, permis de financer le deuxième porte-avions !

La réforme de l'État devrait obéir à deux règles.

La première serait de protéger prioritairement les investissements mais aussi les services en contact avec le public. L'administration centrale a toujours trop tendance à renvoyer les baisses d'effectifs sur les services extérieurs...

M. Michel Bouvard. Eh oui !

M. Yves Deniaud. ...lesquels les renvoient à leur tour non pas sur les directions départementales mais sur les services en contact avec le public. Le pilotage par objectifs qui découle de la loi organique sur les lois de finances doit le permettre.

La seconde règle serait de hiérarchiser les crédits dans la loi de finances initiale, de façon à distinguer à l'avance les crédits certains, propres à être engagés sans réticence, et les crédits révisables, susceptibles d'être remis en cause et ne pouvant être dépensés qu'après un feu vert préalable. Ce serait plus clair pour les administrations et, permettez-moi de le dire, plus respectueux du Parlement.

Comme l'a fort justement dit Georges Tron tout à l'heure, puisque la réforme de l'État doit se traduire par un resserrement des effectifs, elle doit s'accompagner d'un intéressement des personnels. La notion d'objectifs voulue par la LOLF pourrait donc conduire à améliorer les carrières dans les services qui auraient accompli le plus d'efforts et - pourquoi pas ? - à favoriser les investissements dont ils sont responsables.

Nous soutiendrons tous les efforts qui iront dans ce sens comme nous soutenons votre volonté d'affecter les surplus éventuels de recettes fiscales exclusivement à la réduction du déficit. Ceci doit être poursuivi tant que le déficit ne sera pas revenu sous la barre des 3 % voire des 2,5 %, pourcentage au-dessous duquel la dette se stabilise, mais également tant que la dette ne sera pas repassée en dessous de 60 % du PIB. Alors seulement pourrons-nous envisager de consacrer une fraction d'éventuels surplus à des investissements ou à des baisses d'impôts supplémentaires.

En attendant, nous devons consacrer tous nos efforts à sortir du cercle infernal du déficit et de la dette. C'est, sans conteste, ce que vous faites avec talent et courage. Voilà pourquoi nous vous soutenons de tout notre cœur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps.

M. Jean-Jacques Descamps. Monsieur le secrétaire d'État, je tiens, pour ma part, à insister sur la nécessité de réorganiser l'État afin de résoudre l'équation budgétaire qu'avec M. le ministre d'État vous avez très bien posée.

J'ai eu l'occasion, au cours de ma carrière professionnelle, de connaître de nombreuses entreprises en grande difficulté dont beaucoup ont fermé leur porte. La France, elle, n'a pas le choix. Elle doit redresser sa situation financière.

Il est vrai que la croissance repart. Pour autant, notre pays ne va pas mieux. Disons qu'il va moins mal. Car la France est comme une entreprise en difficulté. L'État dépense toujours beaucoup plus qu'il ne gagne, les entrepreneurs n'ont plus vraiment confiance dans l'administration et le pays cherche la solution miracle pour retrouver ses emplois.

Je ne suis pas sûr que tous les Français et tous les responsables politiques soient conscients autant qu'il le faudrait de la gravité de la situation : la croissance est largement inférieure à celle de nos concurrents et tous les clignotants sont au rouge.

Pour redresser la situation, il faut mener une politique beaucoup plus volontariste qu'on ne le dit ici sur tous les bancs.

Premièrement, il faut montrer une volonté politique beaucoup plus ferme de réduire le train de vie de l'État. On ne peut plus compter sur la croissance et je ne suis pas sûr qu'il faille compter simplement sur la LOLF pour introduire un peu plus de discipline dans les ministères. Il faut véritablement réorganiser l'État sur la base d'une réduction de ses dépenses de structures publiques.

Deuxièmement, il faut recueillir une adhésion populaire à cet effort de la réforme de l'État, grâce à une information en langage compréhensible sur la situation du pays et sur ses conséquences pour chacun d'entre nous, des plus favorisés aux plus défavorisés. Vous êtes, monsieur le secrétaire d'État, avec le ministre d'État, le mieux placé pour le faire.

Troisièmement, les décisions d'économies doivent être cohérentes entre elles et apparaître plus justes. Pour cela, il faut qu'elles portent d'abord sur les plus hauts niveaux de la hiérarchie administrative et publique. Il faut savoir montrer l'exemple par le haut, réduire le train de vie des administrations centrales et des préfectures plutôt que s'attaquer aux malheureux étages décentralisés dans nos zones rurales.

Enfin, il faut décider un moratoire fiscal. Généralement, quand on parle de baisses d'impôt, on baisse en effet les impôts quelque part, mais on les augmente ailleurs. Cette fois, il faut faire preuve d'un effort de stabilité fiscale en euros constants. La seule solution serait de modifier les barèmes qui figurent dans le budget en fonction de l'inflation et de ne toucher à rien d'autre. Ce serait la meilleure façon de redonner confiance aussi bien à ceux qui travaillent qu'à ceux qui épargnent.

L'expérience montre que, pour réduire les frais de structures, il faut un changement de culture. On ne réduit pas les effectifs sans réorganiser et on ne réorganise pas sans faire réaliser des audits par des intervenants extérieurs à l'administration à réformer. Quand on fait auditer une entreprise par des personnes appartenant à l'entreprise, on s'aperçoit qu'elles ne bouleversent pas les choses. Les auditeurs extérieurs ont beaucoup plus d'idées pour réaliser des économies. La réorganisation d'une administration fait appel aux mêmes méthodes que celles mises en œuvre pour une entreprise.

Il faut également que les hauts fonctionnaires soient formés à cela. Je ne suis pas sûr que l'ENA dispense actuellement un cours sur la façon de faire des économies. Se donne-t-on les moyens de négocier avec le personnel les réductions d'effectifs ? En principe, quand on réduit les effectifs, le bénéfice de la réduction doit profiter à ceux qui restent. Les avantages acquis doivent également pouvoir être rachetés. On ne peut pas maintenir des avantages acquis à perpétuité.

Bref, il faut que l'administration utilise de nouvelles méthodes de management. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que tous les hauts fonctionnaires actuellement en place soient formés à ces nouvelles méthodes. Il me paraît très important qu'ils le soient à l'avenir.

Ce véritable plan de redressement de l'État n'est pas un plan de rigueur. Il ne s'agit pas de diminuer les dépenses d'investissements, il s'agit de diminuer les dépenses de structures, les dépenses de personnel bien sûr mais également, comme l'a souligné le rapporteur général, les dépenses de loyers, de locations, les frais de missions, etc. Et si l'on arrive à réduire davantage les dépenses de structures, on pourra même augmenter certaines dépenses d'investissements qui alimenteront la croissance.

Bien entendu, cela suppose une grande fermeté de la part des ministres et des élus. Il faut que les élus, y compris ceux de notre camp, tiennent sur le terrain les mêmes positions que celles qu'ils adoptent au Parlement, c'est-à-dire qu'ils essaient de réaliser, au niveau local, les mêmes économies que celles qu'ils réclament au niveau national.

Cela nécessite un effort de pédagogie vis-à-vis des citoyens. Il faut expliquer que les réformes et les économies que l'État réalise, c'est l'emploi de demain et donc le meilleur gage de progrès social. Il faut mener une véritable politique d'information très ciblée, en tenant un message d'espoir.

Il faut manifester une volonté politique d'économies mais en même temps faire preuve d'intelligence dans les réformes et les mutations nécessaires. C'est un art difficile, mais si nous voulons arrêter le déclin de nos comptes qui, s'il continuait, préfigurerait le déclin de la France, nous avons besoin de tous, de vous d'abord mais également de nous. Sachez, monsieur le secrétaire d'État, que vous avez ici des amis déterminés à vous soutenir si vous vous lancez dans cette politique de fermeté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Rouault.

M. Philippe Rouault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que l'Europe vient de s'élargir à dix nouveaux pays, la situation économique de l'Union, en particulier celle de notre pays, reste médiocre. Cette situation contraste singulièrement avec un environnement mondial qui connaît aujourd'hui une vive reprise. La consommation des ménages et l'investissement des entreprises demeurent atones tandis que les exportations sont fragilisées par le haut niveau de l'euro.

Pourtant, depuis quelques jours, on nous annonce que la croissance serait repartie, et qu'elle serait supérieure à la prévision de 1,7 %. Les économistes s'accordent en effet à tabler sur une croissance supérieure à 2 % pour l'année. La France est enfin touchée par le vent de la reprise. Un vent tout de même très faible. Nous sommes loin des performances économiques de nos voisins britanniques ou espagnols ou bien encore des États-Unis, dont la croissance est deux fois plus rapide que la nôtre et fondée sur des gains de productivité élevés. En outre, les rentrées fiscales sont plus dynamiques depuis le début de l'année grâce aux effets combinés de la reprise et de l'inflation.

Rentrées fiscales et croissance supérieure à 2 % ne suffiront cependant pas à alléger le déficit public. Chacun sait en effet qu'aucun budget n'a été équilibré en France depuis vingt-quatre ans. Plus encore, le ratio d'endettement public est passé de 20,7 points de PIB en 1980 à 63,7 points de PIB en 2003. Autant dire que l'état des finances publiques est loin de remplir les objectifs posés par Maastricht.

Si l'on retrace l'évolution du solde au sens de Maastricht, on remarque, outre le caractère fortement cyclique des déficits, que les années de forte conjoncture de 1999, 2000 et 2001 n'ont pas été mises à profit, par l'actuelle opposition alors au pouvoir, pour désendetter l'État. M. le ministre d'État l'a rappelé.

En outre, la dette atteint un niveau record à un moment critique : 1 000 milliards d'euros. Les taux d'intérêt européens, historiquement bas, risquent de remonter.

La dépense publique est de moins en moins efficace en termes économiques : les dépenses supplémentaires de l'État devraient produire une augmentation substantielle de l'activité qui générerait alors des recettes fiscales supplémentaires. C'est loin d'être le cas : l'INSEE démontre qu'un point de PIB de dépense publique supplémentaire ne s'accompagne que de 0,24 point de recettes en plus, contre 0,6 au début des années quatre-vingt-dix.

De plus, chaque nouvelle dépense publique porte en elle-même sa propre dérive. Une augmentation des dépenses de 1 point de PIB se traduit en moyenne, cinq ans plus tard, par une augmentation de la dette de 7 points de PIB, car l'État prévoit rarement les ressources pour financer sa dépense au-delà de la première année.

Le Gouvernement a respecté la norme de dépense fixée par le Parlement. Ceci est vertueux et devrait se poursuivre dans les années qui viennent.

Pour autant, face à la spirale du déficit budgétaire et son corollaire, une croissance préoccupante de l'endettement, l'État doit encore amplifier le redressement de ses finances tant pour tenir ses engagements européens que pour éviter des dangers plus durables dans le contexte du vieillissement de la population et des charges qui en découlent.

Par manque de temps, je n'évoquerai que quelques orientations parmi d'autres permettant de mettre en œuvre une maîtrise durable de la dépense.

Premièrement, au sein des axes possibles d'économies budgétaires, la proposition du rapporteur général d'appliquer à l'État « la règle d'or » en vigueur pour les collectivités locales, qui ne peuvent emprunter que pour financer des investissements et non des dépenses de fonctionnement, doit être comprise comme une ardente nécessité.

Deuxièmement, dans le cadre de la réforme de l'État, la réduction de la masse salariale de l'État doit devenir un élément incontournable d'une stratégie de baisse des dépenses publiques. On rappellera que le PLF pour 2003 prévoyait, pour les budgets civils, 1 089 suppressions d'emplois. C'était une première bonne évolution par rapport aux années précédentes. Cette baisse des effectifs budgétaires est cependant insignifiante par rapport à la totalité des emplois inscrits au budget, plus de 2 millions, et au regard des estimations de départs à la retraite en 2003, qui tablaient sur un nombre de 53 900. En 2004, les suppressions nettes d'emplois prévues en LFI restent modestes, avec 4 561 suppressions. Le taux de remplacement reste élevé et traduit manifestement que les opportunités offertes par les flux massifs de départs, déjà significatifs en 2003 et 2004, n'ont pas été utilisées, remettant à 2005 - c'est ce que l'on peut souhaiter - la diminution du format global de la fonction publique, la réduction des charges de rémunération et, à terme, des pensions. Il est également nécessaire de contrôler les dépenses de personnels des organismes parapublics financés par le budget de l'État.

Troisième et dernière orientation, le redressement des finances publiques ne pouvant être seulement l'affaire de l'État, il est nécessaire d'y associer les collectivités locales, en somme de les responsabiliser. En effet, si les collectivités locales, troisième pilier des finances publiques, sont en constant excédent depuis 1996, c'est moins grâce à la maîtrise de leurs dépenses, au contraire en forte progression, qu'à l'augmentation des impôts locaux. Bien qu'elles soient indépendantes fiscalement, les collectivités locales doivent être en capacité de mieux articuler leurs dépenses avec celles de l'État, elles doivent être associées en somme à la « cohérence globale des finances publiques ». Il est vrai que les collectivités territoriales ont eu à intégrer l'effet néfaste des trente-cinq heures, qui s'est traduit pour la majorité d'entre elles par une hausse de la masse salariale de 12 %.

Nous sommes, monsieur le secrétaire d'État, déterminés à vous soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

    2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite du débat d'orientation budgétaire pour 2005 ;

Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1676, pour le soutien à la consommation et à l'investissement :

Rapport, n° 1682, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures vingt-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot