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Deuxième séance du mardi 14 décembre 2004

100e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

ADHÉSION DE LA TURQUIE À L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. Bernard Deflesselles, pour le groupe de l'UMP.

M. Bernard Deflesselles. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, dans trois jours, le 17 décembre, la France fera connaître, lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement à Bruxelles, sa position sur l'ouverture des négociations pour l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Vous le savez, cette perspective suscite interrogations et inquiétudes chez la très grande majorité de nos concitoyens. Elle provoque même une vive opposition, qui pourrait et devrait être prise en compte.

Débats, analyses, commentaires, propositions se sont multipliées au cours des derniers mois, montrant qu'il n'y avait que deux options : soit l'éventuelle adhésion après de longues − de très longues − négociations, soit le partenariat privilégié, que semblent préférer les Français.

Hier, à Bruxelles, lors du conseil « Affaires générales et relations extérieures », vous avez rappelé à juste titre que, depuis plus de cinquante ans, le projet européen était fondé sur la réconciliation et le respect : réconciliation entre tous les Européens, notamment entre la France et l'Allemagne, mais aussi réconciliation avec soi-même. C'est dans cet esprit que de très nombreuses voix, dont la nôtre, se sont élevées dans notre pays pour demander que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie...

M. Pierre Lellouche et M. Jean Leonetti. Très bien !

M. Bernard Deflesselles. ...constitue une condition indispensable et préalable à l'ouverture de toute négociation entre l'Europe et ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Chaque pays européen a entrepris sur lui-même un travail de mémoire. Cela doit nous inciter à demander solennellement à la Turquie de l'engager à son tour.

Au-delà des critères d'adhésion élaborés par Bruxelles, c'est là plus qu'un simple souhait : une exigence morale. Je vous demande, monsieur le ministre, d'expliciter la conviction de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, tout au long de la négociation qui va sans doute s'ouvrir avec la Turquie (« Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste), et qui sera longue, difficile, la France veut tenir un langage de vérité à l'égard de ce pays et de nos concitoyens. Dans cet esprit, toutes les questions seront posées, tous les problèmes seront soulevés, notamment celui de cette tragédie...

M. François Rochebloine. Ce génocide !

M. le ministre des affaires étrangères. Je n'oublie pas que, en 2001, votre assemblée, à l'unanimité, a qualifié cette tragédie de génocide. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.) Nous aborderons le cas de cette tragédie qui, à partir de 1915, a martyrisé des centaines de milliers d'Arméniens.

Nous poserons la question de la reconnaissance de cette tragédie, pour deux raisons simples et graves. D'une part, il s'agit, pour de très nombreuses familles françaises d'origine arménienne − et pas seulement pour elles − d'une blessure qui ne se cicatrise pas. D'autre part, cette question est, je le répète, au cœur même du projet européen, fondé sur la réconciliation, avec les autres − la France a donné l'exemple avec l'Allemagne −, avec soi-même et avec son histoire.

Cette question ne sera pas une condition préalable à l'ouverture des négociations d'adhésion, mais la France la posera dans le cours de la négociation, parce qu'elle veut une réponse et que c'est la négociation qui permettra à la Turquie de faire ce travail de mémoire. En tout état de cause, je rappelle que cette négociation sera conclue par un vote des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

NOUVELLE CONVENTION MÉDICALE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Monsieur le ministre, en matière d'assurance maladie, vous avez chanté tout l'été (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et maintenant, pour les assurés, la bise est venue. Dès le 1er janvier, retraités et salariés subiront une augmentation de la CSG. La semaine dernière, vous avez baissé le taux de remboursement de plusieurs médicaments et vous vous apprêtez à approuver demain une nouvelle convention médicale qui constitue un recul sans précédent pour l'accès aux soins.

Cette convention généralise en effet les dépassements d'honoraires, notamment ceux des spécialistes. À partir du 1er juillet prochain, si elle devait être approuvée, les Français paieraient la consultation d'un spécialiste en accès direct 32 euros, dont on leur rembourserait moins de 15 euros : ils en seraient donc de leur poche pour 17 euros. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Les riches pourront se le payer ! Il y aura deux poids, deux mesures !

M. Jean-Marie Le Guen. Mais cette convention médicale supprime également le médecin référent. Plus de 1 400 000 de nos compatriotes, parmi les plus fragiles, qui bénéficiaient du tiers payant pour leur accès aux soins, en seront privés.

Enfin, cette convention prévoit plus de 1 milliard d'euros de rémunérations supplémentaires, dont profiteront essentiellement les spécialistes et qui viendront accroître d'autant le déficit de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, toute la semaine, vous avez participé très directement aux négociations sur la nouvelle convention médicale, ce qui est en totale contradiction avec la loi que vous avez fait voter cet été. Continuerez-vous à peser sur ces négociations, en faveur d'une petite minorité de médecins spécialistes et en contradiction avec les intérêts de la santé publique. (Exclamations prolongées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. le président. Merci, monsieur Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. ...ou laisserez-vous le directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie renégocier...

M. le président. Merci, monsieur Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. ...les concessions inacceptables que vous avez d'ores et déjà mises en œuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voilà dix ans que la convention entre les médecins libéraux et la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés n'avait pas été modifiée. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Des négociations ont lieu actuellement, et je voudrais féliciter les partenaires qui les ont abordées dans un esprit de responsabilité.

Elles tournent autour de deux points forts. En premier lieu doit être pris l'engagement mutuel de réaliser 1 milliard d'euros d'économies en 2005.

M. Albert Facon. Sur le dos de qui ?

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Ces économies seront parfaitement détaillées et − c'est une première − régionalement réparties.

D'autre part, pour la première fois, cette convention permettra d'avoir un parcours personnalisé de soins. Ainsi, au cours du premier trimestre 2005, les Français devront choisir un médecin traitant.

Monsieur Le Guen, ce n'est pas parce que vous n'avez pas été capables de faire une réforme de l'assurance maladie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) que vous devez faire croire que celle-là est inéquitable. Elle est équitable. Grâce à elle, l'égal accès aux soins pour tous sera garanti. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Demain, contrairement aux mensonges que vous proférez, les Français ne seront pas remboursés différemment, s'ils passent par leur médecin traitant. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur Le Guen, je comprends que vous soyez gêné : pour la première fois depuis dix ans, on renégocie la convention, personne ne descend dans la rue, nous garantissons l'égal accès aux soins pour tous et nous avons sauvé l'assurance maladie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. − Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas vrai !

ADHÉSION DE LA TURQUIE À L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Bayrou. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Chacun connaît l'importance de la décision qui doit être prise à Bruxelles, jeudi et vendredi, sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Malgré les très nombreuses questions qui ont été posées, il est incroyable que, à deux jours de l'ouverture de ce Conseil, on ignore tout de la ligne que vont suivre le Gouvernement français et ses représentants. En effet, le débat a été refusé, le vote a été écarté.

Sur le fond, le Gouvernement français a d'abord dit qu'il était favorable à l'adhésion. Puis on a cru comprendre − d'après vos déclarations mêmes, monsieur le Premier ministre − qu'un partenariat privilégié pourrait être envisagé, ce qui devait rendre de la liberté à l'Union européenne. Dans les dernières heures, on a entendu dire que cette option avait été abandonnée. Le ministre des affaires étrangères a déclaré hier que la France exigerait de la Turquie la reconnaissance de « la tragédie arménienne du début du siècle ». Le ministre vient d'ailleurs de répéter cinq fois ce mot de « tragédie ».

M. Alain Gest. On en a déjà parlé !

M. François Bayrou. Or il n'échappe à personne que « tragédie », ce n'est pas « génocide », et que cela n'est pas conforme à la loi adoptée par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste) Il y a là un premier fléchissement de la France.

Enfin, ce matin même, le ministre annonce qu'il n'est plus du tout question de faire de cette reconnaissance une condition à l'ouverture des négociations. Et il en va de même pour la question de Chypre : on s'apprête à ouvrir des négociations d'adhésion avec la Turquie qui ne reconnaît pas l'un des pays de l'Union et occupe militairement une partie de son territoire. (« C'est honteux ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Une telle illisibilité, une telle inconséquence empêchent notre pays de peser sur la négociation, alors qu'il dispose d'un droit de veto.

Pendant ce temps, le gouvernement turc, lui, donne des leçons de lisibilité par la voix de son Premier ministre, qui a déclaré qu'il n'accepterait aucun partenariat privilégié, qu'il ne reconnaîtrait ni le gouvernement chypriote ni le génocide arménien.

Au-delà de l'acceptation pure et simple de l'adhésion de la Turquie à ses conditions propres, et contre le sentiment de la grande majorité des Français, que cherche le Gouvernement dans l'ouverture de ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Pierre Lellouche. Et vous, monsieur Bayrou, que cherchez-vous ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur Bayrou, le ministre des affaires étrangères que vous avez cité voudrait vous inviter à vous rappeler que le premier dialogue avec la Turquie a été noué en 1963. À l'époque, le général de Gaulle − ce n'est peut-être pas votre référence, mais c'est la mienne − avait lui-même évoqué la vocation européenne de ce pays.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Depuis, aucun gouvernement, pas même ceux auxquels vous avez participé, monsieur Bayrou, n'a remis en cause cette vocation européenne de la Turquie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Dionis du Séjour. Et le peuple, dans tout cela ?

M. le ministre des affaires étrangères. En 1999, le Conseil européen auquel participaient Jacques Chirac, c'est vrai, mais aussi Lionel Jospin a reconnu à la Turquie le statut de candidat. Nous en sommes là. Jeudi et vendredi, nous devons en effet décider de l'ouverture éventuelle de négociations d'adhésion, des conditions de cette ouverture et de leur date. Il ne s'agit que de cela. Ceux qui disent le contraire ou qui font croire aux Français qu'il s'agirait, demain matin, ou même après-demain matin, de faire entrer la Turquie dans l'Union ne leur disent pas la vérité que je leur ai promise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)


Nous abordons ce débat avec quatre exigences.

Premièrement, la sincérité. Nous dirons aux Turcs que nous voulons que cette négociation réussisse et aboutisse, sans raccourci ni complaisance.

Deuxièmement, le réalisme. Cette négociation sera longue, difficile. Son résultat n'est pas écrit d'avance.

Nous poserons, dans le cadre de cette négociation, toutes les questions, notamment celles du génocide arménien et de Chypre, mais vous savez bien, monsieur Bayrou, que nous n'aurons pas les réponses tout de suite.

M. François Rochebloine. On les connaît déjà !

M. le ministre des affaires étrangères. La troisième exigence sera celle de la transparence qui vous est due. Le Parlement sera régulièrement informé et associé à chacune des étapes de cette négociation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maurice Leroy. Informé seulement !

M. Maxime Gremetz. Jamais il ne votera !

M. le ministre des affaires étrangères. Enfin, la quatrième exigence, je pense que vous y serez sensible, monsieur Bayrou, est celle de la démocratie. Au final, ce ne sera ni vous ni moi qui trancherons, mais bien le vote du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

REVALORISATION DES BAS SALAIRES

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le Premier ministre, samedi, je vous ai remis des milliers de pétitions exigeant une amélioration du pouvoir d'achat de 300 euros pour les familles et une revalorisation des salaires.

M. Charles Cova. Démagogie !

Mme Marie-George Buffet. Cette mobilisation témoigne de l'insupportable : notre pays est devenu un pays de bas salaires.

M. Hervé Novelli. À qui la faute ? Aux 35 heures !

Mme Marie-George Buffet. Le MEDEF multiplie les contrats précaires, impose des temps partiels, mène le chantage à la délocalisation ; le pouvoir d'achat des familles populaires est laminé.

M. Lucien Degauchy. Grâce à Martine Aubry et aux 35 heures !

Mme Marie-George Buffet. Depuis deux ans, le pouvoir d'achat du salaire mensuel a stagné. Le gel des salaires est d'une violence extrême. Sait-on assez - cela vous intéresse, messieurs les ministres - que le salaire moyen d'un ouvrier est de 871 euros et celui d'une ouvrière de 603 euros ? Sait-on assez que le salaire moyen d'une employée est de 744 euros ?

M. Jean-Paul Anciaux. Qu'avez-vous fait pour eux ?

Mme Marie-George Buffet. La part des salaires dans la valeur ajoutée recule de nouveau. Pendant ce temps, les salaires des grands patrons augmentent de 15 à 20 % et les revenus du capital des ménages les plus riches augmentent de 6 %.

Vous déclarez, monsieur le Premier ministre, vouloir revaloriser le travail, mais vous vous faites le complice de la logique patronale. Loi après loi, vous facilitez les licenciements, vous culpabilisez les chômeurs, vous créez des sous-contrats. Le récent rapport du Secours catholique, comme les statistiques des Restos du cœur le montrent, désormais on peut dire qu'il existe en France des « salariés pauvres ».

Mais cela ne vous suffit pas. À ceux qui réclament un peu plus de salaires pour vivre tout simplement, vous répondez : travaillez plus. Votre objectif, c'est d'en finir avec les 35 heures et de revenir aux 39 heures, voire aux 40 heures, pour un coût de plus en plus faible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Le MEDEF !

M. Gilbert Biessy. À droite, ils ne savent pas ce que c'est que travailler !

Mme Marie-George Buffet. Il s'agit, en somme, de travailler plus en gagnant moins. Et vous donnez le mauvais exemple : depuis que vous êtes à la tête du pays, les fonctionnaires ont perdu près de 4 % de pouvoir d'achat.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous accorder la prime de 300 euros, financée par un prélèvement sur les placements financiers des entreprises et des banques, qui vous est demandée ? Allez-vous augmenter de 5 % le traitement des fonctionnaires ? Allez-vous augmenter le SMIC...

M. Jean-Paul Anciaux. On l'a fait, nous !

Mme Marie-George Buffet. ...de 6 % dès 2005 pour aller vers un SMIC à 1 400 euros brut par mois pour 35 heures ?

Enfin, monsieur le Premier ministre, face à une telle situation sur les salaires, allez-vous prendre l'initiative d'organiser un nouveau Grenelle des salaires, de l'emploi et de la formation dès le début 2005 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion.

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Madame la députée, je vous remercie de me donner l'occasion, une fois encore, de vous rappeler tous les dispositifs de la politique mise en place par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté.

Mme Marie-George Buffet. Ma question porte sur les salaires !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Le Premier ministre a souhaité reconduire la prime exceptionnelle qui est versée aux allocataires du RMI et aux bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité.

M. Gilbert Biessy. Que fait-il pour les salaires ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Cette prime sera versée avant Noël ; elle concerne 1,5 million de personnes, pour un coût total de 350 millions d'euros.

Mme Martine David. On vous a interrogée sur les salaires !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Le Premier ministre l'a rappelé également lors de la présentation du contrat qu'il propose aux Français pour 2005, c'est ce Gouvernement qui conduit, depuis 2002, une politique d'augmentation des plus bas salaires. (« Voilà ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La mise en place des 35 heures avait en effet abouti, je vous le rappelle puisque vous semblez l'avoir oublié, à la création de six SMIC différents.

M. Jean-Paul Anciaux. Eh oui !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Nous avons voulu les réunifier. Le Gouvernement tient sa parole : la réunification sera obtenue début juillet, et nous sommes parvenus à faire distribuer l'équivalent d'un treizième mois pour les plus bas salaires, ce que vous n'avez jamais fait. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Par ailleurs, madame la députée, il est prévu, dans le cadre de la loi de cohésion sociale, de proposer 185 000 contrats d'avenir en 2005, avec un objectif de 1 million de contrats sur quatre ans.

Mme Martine David. C'est du blabla !

M. Gilbert Biessy. Il ne s'agit pas d'un vrai contrat de travail, avec de vrais salaires !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Le contrat d'avenir propose une nouvelle logique : la transformation des minima sociaux en rémunérations actives, l'accompagnement personnalisé, mais aussi l'acquisition de compétences.

Un effort sans précédent sera consenti, toujours dans le cadre du plan de cohésion sociale, en faveur des plus démunis avec une priorité absolue pour des solutions durables.

M. Maxime Gremetz. Répondez à la question !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Ainsi, il est prévu de construire 500 000 logements sociaux. Vous n'aviez rien fait de tel quand vous étiez au Gouvernement ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilbert Biessy. Et les salaires ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. La capacité d'hébergement des sans-abri sera augmentée de 10 000 places en trois ans. Vous n'aviez pas fait cela non plus ! Le premier pas vers l'emploi sera accompagné, grâce à une enveloppe de 428 millions d'euros supplémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Gilbert Biessy. La question portait sur les bas salaires !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Et je n'oublie pas le tarif social de l'EDF, que vous n'aviez pas mis en place.

M. le président. Merci, madame la ministre.

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Bref, je le répète, nous n'avons pas de leçons à recevoir de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

AVENIR DE LA RURALITÉ

M. le président. La parole est à M. Jean Auclair, pour le groupe de l'UMP.

M. Jean Auclair. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, concerne l'avenir de la ruralité et la présence de l'État dans les zones rurales.

Dans la droite ligne des engagements du Président de la République, le Gouvernement a décidé de construire une ruralité plus dynamique, plus attractive, pour offrir une meilleure offre de services à la population. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Parce qu'en milieu rural plus qu'ailleurs, nous avons besoin de logements, de services de proximité à la population...

M. Christian Paul. Surtout dans la Creuse !

M. Jean Auclair. ...de guichets multiservices, de la présence des professionnels de santé, de services qui répondent à l'attente de la population comme les points d'accueil polyvalents, le projet de loi sur le développement des territoires ruraux s'imposait. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le Premier ministre vient de recevoir à Matignon une délégation de maires ruraux de la Creuse. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Cette rencontre témoigne de l'engagement du Gouvernement en faveur de ces territoires.

Monsieur le ministre de l'agriculture, pouvez-vous nous dire quel est l'avenir de la ruralité et confirmer avec force l'engagement de l'État pour les zones rurales et plus particulièrement pour la Creuse ? (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Maxime Gremetz. Vive la Creuse !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur Auclair, vous qui vous battez pour votre département, et qui vous battez bien, en particulier ici, pour défendre ses services publics, sachez que la préoccupation d'une ruralité vivante est, pour ce gouvernement...

M. Maxime Gremetz. De privatiser !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. ...essentielle. Nous avons besoin des agglomérations, des grandes villes et des villes moyennes, mais nous avons également besoin d'une ruralité active, à la fois pour notre agriculture et nos industries et pour la qualité de vie des habitants.

Cela signifie qu'il faut respecter la ruralité, et cela doit être l'attitude du Gouvernement et des services publics. Cela veut dire aussi qu'il faut améliorer l'accessibilité des territoires - deux CIADT y ont été consacrés - à travers les dessertes routières, aériennes et ferroviaires, ainsi que la téléphonie mobile et le haut débit - le Premier ministre a pris, au cours du dernier CIADT, des engagements dans ce domaine.

Cela suppose également un travail législatif. La loi d'orientation sur les territoires ruraux qui a déjà été votée par votre assemblée et qui sera discutée au Sénat en janvier, contient de nombreuses mesures d'origine parlementaire.

Par ailleurs, je vous indique que lors du congrès de l'Association des maires de France, au cours duquel M. Pélissard a été élu président, le Premier ministre a pris l'engagement de tenir une conférence nationale sur le service public en milieu rural.

M. Maxime Gremetz. Une conférence !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Cette conférence, qui sera présidée par un maire, en présence du Premier ministre, sera installée au début de l'année 2005.

Enfin, je vous confirme ce que le Premier ministre vous a indiqué en vous recevant avec vos collègues élus de la Creuse tout à l'heure à l'Hôtel Matignon (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), le Premier ministre présidera lui-même, dans le département de la Creuse, une réunion de travail sur les services publics en milieu rural avec vous-même et tous les ministres concernés.

M. Gilbert Biessy. On comprend pourquoi il a posé cette question !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Cela montrera sur le terrain l'attention que le Gouvernement porte à la ruralité au premier semestre 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CHANTIERS D'INSERTION ET CONTRATS D'AVENIR

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, pour le groupe de l'UMP.

Mme Christine Boutin. Monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la cohésion sociale, je ne vous parlerai pas, aujourd'hui, du dividende universel. Je veux me faire l'interprète des structures supports des chantiers et ateliers d'insertion. Ces acteurs, qui permettent aux personnes éloignées de l'insertion de retrouver le chemin du travail, sont en effet très préoccupés par la mise en place des contrats d'avenir, qui concerne 70 % des 60 000 chantiers d'insertion.

Les contrats CES seront remplacés par les contrats d'avenir et les contrats d'accompagnement. La prise en charge des salaires par l'État et les collectivités serait, semble-t-il, dégressive dans le temps, mettant en péril l'équilibre financier des chantiers d'insertion. Or la production d'un chantier d'insertion ne peut pas entrer dans la logique d'une productivité classique d'entreprise. Le temps passé pour réaliser une production est avant tout du temps passé pour structurer et redonner aux gens confiance en eux. Ainsi, la valorisation de la production d'un chantier d'insertion dépasse rarement 20 % de ses frais de fonctionnement. Une aide pérenne est donc nécessaire.

Ma question est la suivante : le Gouvernement considère-t-il toujours les chantiers d'insertion comme un outil de réelle utilité sociale dans le parcours d'insertion ? Si oui, quel sera le statut des personnes embauchées par les chantiers d'insertion ? Bénéficieront-elles d'un contrat d'avenir avec une prise en charge à 95 % par l'État sans dégressivité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion.

M. Maxime Gremetz. Encore ?

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Le Gouvernement est tout à fait conscient que les chantiers d'insertion, comme les structures d'insertion, qui sont au nombre de 5 000 aujourd'hui et qui emploient 300 000 personnes, offrent une réelle chance de réinsertion dans la vie sociale.

Le nombre de postes financés dans ces entreprises passera de 11 000 à 15 000 emplois en trois ans.

M. Jérôme Lambert et M. Albert Facon. Financés à quel niveau ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Nous prenons toutes les mesures, vous le constatez, pour que ces associations continuent à faire le travail qu'elles assurent avec beaucoup de succès. L'aide à l'accompagnement socioprofessionnel des associations intermédiaires sera étendue à l'ensemble des structures, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Quant au fonds départemental d'insertion, il sera doublé, à condition bien sûr que les conseils généraux ne diminuent pas leur apport. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Albert Facon. Répondez à la question !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Au total, 66 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à ce secteur en 2005 et 428 millions d'euros supplémentaires sur la durée du plan.

En ce qui concerne les chantiers d'insertion, le plan de cohésion sociale prévoit deux avancées majeures, attendues depuis des années par les associations : une reconnaissance législative de ces structures et la création d'une aide à l'accompagnement socioprofessionnel. Les chantiers d'insertion pourront ainsi bénéficier des contrats d'accompagnement dans l'emploi et des contrats d'avenir.

S'agissant des contrats d'accompagnement dans l'emploi, l'aide de l'État sera fixée par décret avant le premier trimestre 2005, avec un maximum possible de 95 %, notamment pour les chantiers d'insertion.

Mme Martine David. Et d'ici là ?

M. Jean Le Garrec. Quel sera le contenu du décret ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. En ce qui concerne les contrats d'avenir, l'aide de l'État cumulée à l'aide à l'accompagnement socioprofessionnelle de 15 000 euros par structure porte l'effort au-delà de 95 % la première année et à près de 90 % la deuxième année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Christine Boutin. Très bien !


TEMPS DE TRAVAIL

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.

M. Alain Vidalies. Monsieur le Premier ministre, lors de votre présentation du contrat pour 2005 tendant, pour l'essentiel, à achever la remise en cause des 35 heures, vous avez omis une initiative importante : la modification de la définition du temps de travail effectif.

En effet, au cours des débats sur la loi de cohésion sociale, un amendement de M. Fourgous, soutenu par l'UMP et le Gouvernement, a été voté. Il précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Ainsi, non seulement les ouvriers du bâtiment, mais aussi tous les employés des sociétés de services qui partent de l'entreprise pour se rendre sur le chantier ou chez le client ne verront plus ce temps de déplacement professionnel comptabilisé comme temps de travail.

M. Claude Goasguen. C'est faux !

M. Alain Vidalies. Plusieurs millions de salariés potentiellement concernés par cette modification risquent ainsi de découvrir, au cours des prochaines semaines, qu'ils devront travailler dix, quinze ou vingt heures de plus par mois pour le même salaire. Ce n'est plus travailler plus pour gagner plus ; c'est travailler plus pour gagner pareil !

Le plus extraordinaire est que cet amendement s'attaque à une législation et à une jurisprudence bien antérieures à la loi sur les 35 heures. La Cour de cassation avait en effet rappelé, le 31 mars 1993, que le temps de transport entre l'entreprise et le chantier constituait un temps de travail effectif.

M. Dominique Dord. La question !

M. Alain Vidalies. L'auteur de l'amendement a d'ailleurs lui-même reconnu que son objectif était bien de combattre cette jurisprudence ancienne.

Par ailleurs, cette nouvelle définition, qui va aggraver les conditions de travail des salariés, est un non-sens économique au moment où les entreprises du bâtiment se plaignent d'un déficit de main-d'œuvre. Il est extraordinaire qu'une telle mesure ait été votée dans une loi dite de « cohésion sociale » sans aucune concertation avec les partenaires sociaux, notamment les organisations syndicales de salariés. Monsieur le Premier ministre, pourquoi le Gouvernement a-t-il soutenu cette initiative désastreuse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Vidalies, il vous a sans doute échappé que, dans sa déclaration de la semaine dernière, le Premier ministre avait réaffirmé que la durée légale du travail était bel et bien de 35 heures (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), point de départ des heures supplémentaires !

Par ailleurs, le Premier ministre a souhaité des consultations préalables approfondies que le pôle de cohésion sociale a engagées dès le mois de juin. Sa décision est donc le fruit d'un dialogue social. Il est d'ailleurs reconnu que c'est l'accord collectif qui doit définir le temps de travail et que celui qui travaille plus doit gagner plus. Parallèlement, à Bruxelles, la France n'accepte pas la dérogation individuelle au-delà de la directive 48 heures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant à la question précise concernant la durée du trajet entre le lieu de travail et celui de son exécution, nous ne visions que le développement de nouveaux modes de déplacement, et notamment les longs voyages de certains cadres, par exemple jusqu'à Tokyo ! (Vives protestations, huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voilà la réalité ! Il n'y a pas de quoi en faire toute une histoire ! (« A Tokyo ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

PRESCRIPTION D'ANTIDÉPRESSEURS
AUX ADOLESCENTS

M. le président. La parole est à M. Christian Ménard, pour le groupe UMP.

M. Christian Ménard. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, l'Agence européenne du médicament - l'EMEA - a fait le point, le 8 décembre dernier, sur la prescription aux enfants et aux adolescents d'une classe d'antidépresseurs, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, dont neuf produits sont commercialisés en France.

L'Agence a notamment attiré l'attention sur les données épidémiologiques concernant le risque de comportement suicidaire induit par ces traitements lorsqu'ils sont délivrés à des personnes de cette tranche d'âge. Le comité estime nécessaire qu'une mise en garde sur ce point soit introduite dans les notices et rappelle que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ne sont pas autorisés , en Europe, pour le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents.

Toutes ces déclarations ont été confortées par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui a rappelé, le 10 décembre dernier, qu'il n'y avait pas lieu de prescrire ces médicaments aux patients de moins de dix-huit ans et qu'une conférence de consensus de 1995 avait déjà dénoncé l'inefficacité de ces produits dans le traitement de la dépression de l'enfant et de l'adolescent.

Monsieur le ministre , quel est votre sentiment sur la concordance des conclusions de ces différentes agences et quelles mesures comptez-vous prendre pour limiter l'éventuelle dangerosité de ces produits ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Le taux de suicide chez les adolescents en France est l'un des plus élevés de l'Union européenne.

M. Patrick Braouezec. C'est le plus élevé !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Il faut, tout d'abord, se préoccuper de la surveillance de l'état sanitaire des garçons. En effet, à l'inverse des adolescentes, qui sont suivies pour leur contraception par des généralistes et des gynécologues, certains adolescents ne voient jamais un médecin. Il faut mettre en place dans toutes les régions des maisons des adolescents, comme nous venons de le faire à Avicenne et à Cochin.

Le traitement des adolescents déprimés par les produits dont vous parlez, monsieur Ménard, est un sujet majeur. Les études épidémiologiques montrent non seulement que ce type d'antidépresseurs est inefficace pour traiter les dépressions chez les adolescents, mais qu'il peut augmenter le taux de suicide.

Il est donc primordial aujourd'hui d'entendre l'Agence européenne du médicament lorsqu'elle dit qu'il n'y a pas d'indication d'antidépresseurs chez les adolescents de moins de dix-huit ans. La France n'a pas autorisé la mise sur le marché de cette classe d'antidépresseurs pour les adolescents, mais, à titre personnel, j'ai écrit au directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé pour rappeler que l'on ne doit pas prescrire de tels antidépresseurs aux moins de dix-huit ans, sauf en cas d'échec de la psychothérapie et sous la responsabilité de spécialistes.

Je présenterai, dans quelques mois, un plan de santé mentale, parce qu'un problème se pose en psychiatrie et que cela me paraît extrêmement important. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Chers collègues, sur un tel sujet, il faut avoir un minimum de dignité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PACTE DE STABILITÉ

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Descamps, pour le groupe UMP.

M. Jean-Jacques Descamps. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la Commission européenne, par la voix de M. Almunia, commissaire aux affaires économiques et monétaires, devrait proposer aujourd'hui une lecture nouvelle du pacte de stabilité au sein duquel les budgets des membres de l'Union sont encadrés. Elle suspendrait les procédures en déficit excessif contre la France et l'Allemagne, mettant fin par la même occasion au seuil fatidique des 3 %. De plus, et c'est une bonne chose, elle se réserve dorénavant la possibilité d'apprécier les politiques budgétaires à l'aune des efforts réalisés par les États membres pour s'adapter aux réalités du moment et aux contraintes, souvent lourdes, héritées du passé.

M. Jean-Claude Lefort. C'est faux !

M. Jean-Jacques Descamps. Par ce geste, la Commission apprécie donc positivement les efforts faits par la France pour réduire son déficit. En revanche, elle continue de s'interroger sur l'avenir de nos comptes publics.

Monsieur le ministre, quelles conclusions tirez-vous de cette évolution de la position de la Commission européenne ? Faut-il se satisfaire de sa décision sur les déficits publics au risque de les laisser filer, ce que nous ne souhaitons pas de ce côté de l'hémicycle ? Faut-il lui demander d'accorder davantage d'importance à la dimension qualitative de la dépense publique, à la pertinence des engagements budgétaires des gouvernements...

M. Jean-Claude Lefort. Il faut changer le traité !

M. Jean-Jacques Descamps. ...et aux accélérations des actions de correction qui sont menées ?

Enfin, cela va-t-il vous permettre de mieux résister aux incertitudes qui planent sur notre budget 2005 en raison du niveau élevé de l'euro et de l'évolution incertaine du prix du pétrole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet, monsieur le ministre Descamps, la Commission européenne a décidé aujourd'hui même de suspendre la procédure de déficit public excessif qui avait été engagée à l'encontre de notre pays. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, il y a deux ans et demi, nous avons trouvé une situation budgétaire très difficile. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Migaud. C'est faux !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Francis Mer et Alain Lambert, puis Nicolas Sarkozy et Dominique Bussereau, sous l'autorité du Premier ministre, ont mené une politique courageuse de réduction de nos déficits publics. Il s'agit non pas de les réduire pour le plaisir, mais tout simplement de ne pas laisser peser sur la tête de nos enfants et petits-enfants le poids de notre manque de responsabilité. Je vous rappelle que la dette publique française représente aujourd'hui une année de SMIC par habitant ! C'est cela l'enjeu.

L'Europe a donc pris acte de nos efforts, mais il faut bien évidemment persévérer dans cette voie de l'économie de l'argent public, parce que trop d'impôt tue l'emploi. Il faut que les dépenses publiques soient réservées aux actions les plus efficaces.

Quant au pacte de stabilité, il faut que les dépenses qualitatives soient prises en compte, ainsi que l'effet des réformes structurelles que nous avons accomplies avec François Fillon et Jean-Paul Delevoye pour les retraites et avec Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand pour l'assurance maladie. C'est cela aussi que la Commission européenne a salué aujourd'hui et nous continuerons l'année prochaine, sous présidence néerlandaise, à discuter des possibilités de réformer le pacte de stabilité. Voilà ce que l'on peut dire aujourd'hui sur cette très importante question. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


PUBLICITE SUR LE VIN
ET POLITIQUE VITICOLE

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Floch. Monsieur le Premier ministre, une campagne médiatique très forte a été orchestrée pour que l'on revienne sur les dispositions du code de la santé publique tendant à interdire la publicité pour le vin. Or nous savons tous que la publicité pour le vin existe de fait. Il suffit de circuler dans le métro ou de regarder les murs de nos villes pour s'en apercevoir.

Pourtant, vous cédez à la rue et annoncez votre ouverture à davantage de publicité en faveur du vin. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Votre majorité vous a entendu. Les alcoologues aussi. Ces derniers sont inquiets.

Croyez-vous vraiment que l'assouplissement du code de la santé publique en vue de permettre la publicité pour l'alcool favorise le vin et la viticulture française ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

D'ores et déjà, on sait qu'il profitera d'abord aux producteurs de whisky, de bière ou d'alcools anisés, qui sont dans les mains de sociétés internationales disposant de capitaux destinés à la promotion sans commune mesure avec ceux de nos viticulteurs. Croyez-vous adresser un message favorable à la santé des Français et à la viticulture ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Toute cette agitation cache en réalité l'impuissance du Gouvernement à régler la crise structurelle du secteur viticole.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Ce n'est pas vrai !

M. Jacques Floch. Les viticulteurs français ont énormément travaillé pour améliorer la qualité de leur production.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Ce n'est pas grâce à vous qu'ils ont réussi à s'en sortir !

M. Jacques Floch. Ils ont arraché des vignes et accompli des efforts considérables pour améliorer les processus de vinification. Comment l'État les a-t-il aidés ? Comment a-t-il compensé l'endettement nécessaire à la modernisation des exploitations ? Quelle politique de promotion des vins français à l'étranger a-t-il mise en place depuis deux ans, date du début de la diminution des exportations ?

La viticulture française a besoin de se sentir soutenue (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) dans ses efforts de restructuration et de modernisation, dans sa démarche commerciale pour l'exportation et dans sa recherche permanente de qualité. Quand allez-vous promouvoir une politique responsable, qui aille au-delà de la création du Conseil de la modération ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Telle est la question que je pose au Premier ministre, en espérant que l'on cesse de confondre, comme le font nos collègues de la majorité, la politique de lutte contre l'alcool et celle qui doit être menée en matière de viticulture. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le député, je ne peux vous répondre en lieu et place du ministre de la santé sur la politique de santé publique du Gouvernement. Il le fera lui-même bien volontiers si vous l'interrogez.

M. Maxime Gremetz. Il s'agit pourtant d'un grave problème de santé publique !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Je tiens simplement à vous dire que le Gouvernement ne sous-estime pas les problèmes de la viticulture et qu'il a entendu le message très puissant délivré au cours des manifestations viticoles de la semaine dernière.

Ici même, il y a huit jours, à la demande de M. le Premier ministre et en réponse à M. Suguenot qui interrogeait le Gouvernement, j'ai annoncé que le Conseil de la modération, chargé de définir une politique intelligente et modérée en matière de consommation, de publicité et d'éthique, serait mis en place dès le début du mois de janvier. C'est là un engagement pris au nom du Gouvernement et à la demande du Premier ministre.

Parallèlement, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, avait entamé un travail de réflexion avec les différentes filières - AOC, vins de table et vins de pays - qui sera poursuivi. Nous allons essayer de mieux positionner l'offre française et d'assurer sa promotion.

Enfin, les demandes conjoncturelles exprimées par les agriculteurs, notamment les viticulteurs, seront étudiées avec la plus grande attention, en particulier en ce qui concerne l'aide à l'installation des plus jeunes.

À dix-huit heures, je recevrai, en présence des députés qui ont participé à la rédaction du Livre blanc, l'ensemble des organisations viticoles de notre pays. Après les avoir écoutées, le Gouvernement proposera des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

APPLICATION DE LA LOI
SUR LES FÉDÉRATIONS SPORTIVES

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour le groupe de l'UMP.

M. Francis Delattre. Monsieur le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, lors des états généraux du sport que vous avez organisés, les fédérations sportives, qui sont la pierre angulaire du mouvement sportif dans notre pays, avaient souhaité disposer de plus d'autonomie et de souplesse.

La loi qui porte votre nom leur a donné largement satisfaction. En contrepartie, le législateur avait exprimé sa volonté de mieux encadrer les intérêts économiques et financiers qui les submergent au quotidien, comme nous le constatons régulièrement à travers la presse.

À ce titre, votre loi prévoit notamment que les représentants des organismes à but lucratif ne peuvent pas dépasser 20 % de l'effectif des dirigeants des fédérations sportives. Il semble que, globalement, le processus se mette en place tranquillement et produise déjà des effets positifs, sauf pour une ou deux fédérations qui font l'actualité. Je vous laisse le soin de deviner lesquelles.

L'une d'entre elles vient de connaître un véritable coup de force, puisqu'un groupe de représentants des milieux socioprofessionnels a convoqué une assemblée générale considérée comme irrégulière par les tribunaux, sur la base de statuts déclarés illégaux par votre propre ministère, pour destituer une présidente qui n'avait pour tort que de défendre le respect de la loi, position que nous partageons tous.

Face à cette situation, j'aimerais, monsieur le ministre, que vous fassiez le point sur l'ensemble du processus, sachant que la loi fixe au 30 mars l'aboutissement des négociations. Quelle est votre position face aux instances dirigeantes qui s'opposeraient purement et simplement à un texte qui ne fait que protéger l'éthique sportive ? (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Vous l'avez rappelé, monsieur le député : l'organisation du sport français repose sur trois grands principes.

Le premier est l'unité du sport, plus précisément l'unité du secteur professionnel, du secteur amateur et de l'environnement économique d'un sport.

Le second est la prédominance du socle associatif. C'est aux dirigeants bénévoles à gérer et à animer les structures fédérales.

Le troisième principe réside dans les valeurs éducatives et sociales du sport, qui doivent être portées dans chacun des projets fédéraux. La loi d'août 2003, votée par la représentation nationale, permet de donner un peu plus de souplesse aux fédérations, mais dans le respect de ces trois principes.

Toutes les fédérations sportives ont adopté ou sont en train d'adopter ces nouveaux statuts, sauf une : la fédération française d'équitation.

M. Francis Delattre. Elle n'est pas très à cheval sur les principes ! (Sourires.)

M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Cela porterait à sourire si les conséquences n'étaient pas si graves.

Nous avons pu faire évoluer très correctement les statuts de la fédération française de ski et la remettre sur ses rails. Mais vous avez rappelé la situation de la fédération française d'équitation : élection illégale d'un président, statuts non conformes et autres irrégularités qui, au fil des années, ont permis aux structures commerciales de délivrer directement des licences, sous le gouvernement précédent, ce qui contrevient totalement à la loi de juillet 2000.

J'ai souhaité que cette fédération puisse sortir de l'impasse. Dans le cas inverse, quelles en seraient les conséquences ? Il s'agirait, pour elle, du retrait de l'agrément, du retrait de la délégation, du retrait des cadres techniques et de la suspension définitive des subventions qui lui sont allouées.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. J'ajoute, en accord avec mon collègue Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, que cette fédération se verrait également retirer son habilitation.

En tout, 5 millions d'euros disparaîtraient de ses comptes, alors qu'elle manque déjà d'argent et que l'aide de l'État lui est nécessaire pour développer l'équitation dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire.)

FERMETURE DE L'ENTREPRISE
ABELIA DÉCORS

M. le président. La parole est à M. Joël Hart, pour le groupe de l'UMP.

M. Joël Hart. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à avoir subi les conséquences économiques, sociales et morales d'une fermeture d'entreprise. À ce titre, nous avons mal compris et peu apprécié l'implacable mécanique dont font preuve certaines banques dans de telles situations.

Chacun a entendu parler au moins une fois dans sa vie des papiers peints Vénilia ou d'Abelia décors, dont l'une des unités est installée dans la ville dont je suis maire. Et chacun doit avoir à cœur de permettre aux quelque 300 salariés et cadres de cette entreprise de passer Noël comme tout le monde.

Dès lors, comment comprendre que deux banques importantes comme le Crédit du Nord et le Crédit Lyonnais...

M. Maxime Gremetz. Non ! Une seule : le Crédit Lyonnais !

M. Joël Hart. ...condamnent sans appel Abelia décors à disparaître à très court terme ? Elles ont en effet fait saisir les stocks de rouleaux de papiers peints, empêchant ainsi l'entreprise de satisfaire les clients, de faire entrer l'argent, de s'approvisionner en matières premières, bref, de tourner ?

Comment comprendre qu'une banque comme le Crédit Lyonnais, que nous renflouons tous chaque jour avec nos impôts, puisse se montrer aussi intransigeante et qu'elle refuse un nouveau délai propice à la recherche d'un repreneur à une entreprise dont la qualité technique et le savoir-faire indéniables sont aujourd'hui bafoués par des pratiques pour le moins curieuses d'un groupe étranger agissant avec désinvolture ?

N'y a-t-il pas là, monsieur le ministre, matière à réflexion ? L'État renfloue ou a renfloué une banque avec l'argent des contribuables et celle-ci se moque éperdument du sort de ces contribuables salariés ?

M. Maxime Gremetz. Vous le découvrez ? Il est bien temps de se réveiller !

M. Joël Hart. À la veille des fêtes de Noël, je vous demande, au nom des trois cents familles concernées, dans une ville où la population est déjà à 20 % frappée par le chômage, d'user de votre pouvoir auprès de ces banques pour que soit levé immédiatement l'embargo sur le stock de papiers peints. N'oublions jamais, en effet, que, derrière les mécaniques économiques et financières, il y a des hommes, des femmes et des familles qui ont le droit de vivre dignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez raison, monsieur le député-maire, ce qui se passe dans l'entreprise Abelia et Abelia décors est un véritable drame humain, qui concerne un peu moins de trois cents salariés à Abbeville et quarante à Puteaux.

Le 8 décembre, le bilan a été déposé pour deux raisons : la situation du marché...

M. Maxime Gremetz. Non !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et la défaillance financière de la holding allemande VDN, qui possède ces deux sociétés.

M. Maxime Gremetz. Non ! Arrêtez ! C'est n'importe quoi !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Depuis le dépôt de bilan, nous mettons en œuvre trois actions.

La première consiste à tout faire pour que l'activité puisse se poursuivre, notamment à intervenir...

M. Maxime Gremetz. Auprès du groupe VDN ?

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...pour que le stock de papiers peints saisi soit restitué. Avec l'administrateur judiciaire et les deux banques concernées, le Crédit Lyonnais et le Crédit du Nord, nous faisons tout pour permettre la poursuite de l'activité, puisque cette entreprise a des produits à vendre.

M. Maxime Gremetz. Il suffit de donner un ordre !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Deuxièmement, depuis que nous connaissons les difficultés de cette société, nous avons tout fait pour que, en ce qui concerne les créances de l'État, les choses se passent le mieux possible et que les salariés ne soient pas pénalisés. Localement, le trésorier-payeur général ainsi que le préfet suivent particulièrement cet aspect du dossier.

M. Maxime Gremetz. Il n'y aucune créance de l'État ! Qu'est-ce que vous racontez ?

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Troisièmement, nous sommes intervenus auprès de nos partenaires allemands pour examiner précisément la situation de la holding VDN,...

M. Maxime Gremetz. Nous y voilà enfin !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et éviter qu'elle ne se dérobe à ses responsabilités économiques, sociales, financières et surtout humaines.

M. Maxime Gremetz. Bien sûr, puisque vous n'êtes pas capable d'intervenir auprès du Crédit Lyonnais !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Voilà ce que je suis en mesure de vous dire aujourd'hui. Nous suivons ce dossier avec beaucoup d'attention. Je vous propose d'ailleurs que nous restions en étroit contact pendant les semaines qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Maurice Leroy.)

PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLEE

M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au mercredi 22 décembre 2004 puis du mardi 18 au jeudi 27 janvier 2005 inclus a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Ce document sera annexé au compte rendu.

La conférence des présidents a également décidé que le vote solennel sur le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en deuxième lecture, aurait lieu le mardi 18 janvier, après les questions au Gouvernement.

    3

STATUT GĖNĖRAL DES MILITAIRES

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au statut général des militaires (nos 1741, 1969).

La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est un texte important sur lequel nous nous penchons, l'un de ces textes fondateurs qui déterminent le caractère et le fonctionnement des institutions de notre pays. Cependant, ce projet de loi relatif au statut général des militaires vous est soumis alors que, dans un contexte géostratégique plus incertain que jamais, nos militaires sont engagés, dans des conditions parfois très difficiles, sur de nombreux théâtres d'opérations extérieurs.

Le statut général des militaires actuellement en vigueur date de 1972. En trente-deux ans, la société française a changé ; nous aussi, et les armées de même. Mais les crises sont toujours aussi nombreuses, et elles exigent peut-être plus des hommes que par le passé. Il convenait donc de modifier le statut général des militaires, afin de prendre en compte ces changements, sans pour autant remettre cause les éléments fondamentaux du métier des armes.

J'ai voulu que la méthode suivie pour cette révision allie expertise et ouverture. C'est pourquoi j'ai demandé au vice-président du Conseil d'État, M. Renaud Denoix de Saint-Marc - le plus haut fonctionnaire de l'État - de présider une commission composée à la fois de personnalités extérieures au ministère - afin de mieux prendre en compte les transformations de notre société -, de représentants de chaque armée - pour bien comprendre leurs mécanismes, leurs aspirations et leurs exigences - et de chaque grande direction du ministère.

Cette commission a élargi son approche par l'audition de plus de soixante-dix militaires, de membres d'associations et de femmes de militaires. Des membres du Conseil supérieur de la fonction militaire - CSFM - ont été associés à ces travaux avant même que les instances de concertation ne soient officiellement saisies. Celles-ci ont très largement participer à la réflexion, puisque l'avis des Conseils de la fonction militaire des armées et du Conseil supérieur de la fonction militaire a été recueilli à plusieurs reprises, sur le rapport comme sur le projet de loi. Le débat fut sans tabou. C'est ainsi qu'a pu être formulé un projet qui suscite l'adhésion de la communauté militaire.

Le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à votre examen était devenu nécessaire. Il prend en compte les exigences d'aujourd'hui et apporte des réponses qui garantissent à la fois l'efficacité du métier militaire et l'épanouissement des hommes et des femmes qui l'ont choisi. Ce faisant, il vise à concilier deux exigences : tenir compte des évolutions de ces trente dernières années, tout en préservant les principes essentiels du métier militaire.

Ces évolutions ont été nombreuses. Ce sont d'abord celles de la société, qui a profondément changé au cours de ces dernières décennies. La communauté militaire ne pouvait rester à l'écart de certains de ces changements. Je pense notamment à la modification du rapport à l'autorité, au développement de la société de l'information, à l'entrée massive des femmes dans le monde du travail et à la multiplication des mouvements associatifs. Ces évolutions sociales ont naturellement conduit les militaires à souhaiter, comme tous les Français, à la fois plus de responsabilisation et plus de dialogue. Cette double aspiration est légitime.

De leur côté, les armées ont également connu des évolutions, au premier rang desquelles figure la professionnalisation, qui a commencé en 1996. Celle-ci est la transformation la plus profonde qui ait affecté les institutions et les administrations françaises. À cet égard, je tiens à souligner que le ministère de la défense a fait preuve d'une modernité et d'une capacité d'adaptation qu'aucun autre ministère n'a pu égaler.

M. Jean-Louis Bernard. C'est exact !

Mme la ministre de la défense. Cette professionnalisation a fait apparaître de nouveaux enjeux.

Le premier d'entre eux est l'attractivité. Dès lors que nous ne pouvons plus compter sur des appelés apportant de façon obligatoire et quasi gratuite leurs compétences, nous nous trouvons en concurrence avec d'autres administrations et, plus encore, avec le secteur privé lorsqu'il s'agit de recruter les spécialistes dont nous avons besoin.

Le deuxième enjeu, qui prolonge le premier, est la fidélisation, car il nous faut conserver dans les rangs des armées ces spécialistes dont les compétences nous sont indispensables.

Enfin, il convient d'assurer la cohésion entre militaires de carrière et contractuels, qui font quasiment le même travail, ces derniers constituant maintenant un peu plus de la moitié du personnel.


La troisième évolution survenue au cours de ces trente dernières années est liée aux conditions d'exercice du métier militaire. En effet, les militaires sont aujourd'hui confrontés à des engagements de plus en plus complexes.

Cette complexité tient d'abord à l'accroissement de la place que tiennent les règles de droit encadrant leurs activités. C'est avec étonnement que j'ai découvert, à mon arrivée au ministère, la précision et l'étendue de cet encadrement juridique. À titre d'exemple, les récents engagements de l'armée française en Côte-d'Ivoire ont été l'occasion de rappeler que les militaires ne sont amenés à ouvrir le feu que dans des conditions extrêmement précises sur le plan juridique.

La complexité de l'engagement des militaires vient aussi du fait qu'ils ont à faire face à des situations de plus en plus floues, qui ne correspondent ni tout à fait à un temps de paix, ni tout à fait à un temps de guerre, notamment en opérations extérieures - c'est le cas au Kosovo ou en Afghanistan. Cela rend encore plus difficile la détermination des règles juridiques applicables.

Dernière évolution notable de ces trente dernières années, également liée à la professionnalisation : l'évolution du lien armées-nation. En effet, l'abolition du service national obligatoire a profondément modifié le lien particulier qui existait entre l'armée française et la population - plus spécifiquement la population masculine, qui effectuait ce service. Ceci doit amener les armées à tisser des liens nouveaux avec la communauté des citoyens et à s'insérer dans la cité par d'autres moyens que ceux liés à la conscription.

Les évolutions que je viens de décrire devaient être prises en compte par le nouveau statut général des militaires. Pour autant, les caractéristiques des conflits armés demeurent : c'est pourquoi il était non moins essentiel que le nouveau statut réaffirme un certain nombre de principes fondamentaux de la vie militaire.

Ces principes constituent en quelque sorte la contrepartie de ce pouvoir extraordinaire - au sens propre du terme - donné aux militaires : le pouvoir d'ouvrir le feu et le pouvoir de donner la mort, avec le risque de la recevoir. Le nouveau statut prend en compte cette réalité et rappelle, dès l'article premier, ces principes fondamentaux que sont l'esprit de sacrifice, la discipline, la disponibilité, le loyalisme et la neutralité.

Un autre principe, différent dans son essence et dans sa portée, hérité de 1972, est maintenu : celui de l'unicité du statut militaire. Il s'applique aux trois armées, à la gendarmerie et aux services communs, qui sont soumis aux mêmes sujétions et bénéficient des mêmes compensations.

Voilà, à grands traits, les principes qui ont guidé le choix des règles inscrites dans le nouveau statut des militaires.

Ce texte contient des dispositions qui prennent en compte de manière équilibrée les exigences du métier militaire et l'épanouissement des hommes et des femmes. Ces dispositions concernent tant les personnes que les règles de fonctionnement de l'institution.

Les avancées les plus significatives concernent les droits personnels des militaires, leur protection, le système de concertation dans les armées et la gestion des carrières.

Tout d'abord, l'encadrement des droits civils des militaires est assoupli. Certaines obligations, devenues complètement anachroniques, ont été supprimées. Ainsi, il ne sera désormais plus nécessaire de demander une autorisation de mariage avec un étranger, ni de déclarer la profession du conjoint. Certains estiment, je le sais, que nous sommes peut-être allés trop loin en la matière. Nous aurons l'occasion de nous en expliquer au cours de la discussion.

M. Jacques Brunhes. D'autres estiment au contraire que le texte ne va pas assez loin !

Mme la ministre de la défense. D'autres restrictions ne se justifiaient pas, dès lors qu'elles s'appliquaient à des professionnels ayant conscience de leurs responsabilités et des exigences de leur métier. Ainsi, les militaires auront désormais la liberté d'exercer des responsabilités associatives, ce qui me paraissait constituer une légitime aspiration de leur part mais également présenter de l'intérêt pour les associations, qui jouent un rôle de plus en plus important dans notre société.

De même, j'ai voulu que les règles régissant les conditions d'expression soient assouplies. Dans un souci d'ouverture, de reconnaissance du sens de la responsabilité, mais aussi d'harmonisation, les droits des militaires ont été rapprochés des règles applicables aux fonctionnaires, dans la mesure où cela ne remettait pas en cause leur spécificité, liée à leur mission.

La deuxième série de mesures concerne la protection et les garanties que l'État apporte aux militaires en certaines circonstances. Ces droits et garanties vont être renforcés.

Désormais, les militaires bénéficieront d'une meilleure couverture juridique. Les dommages qu'ils pourraient subir, tout au long d'une mission, seront considérés comme imputables au service et leur donneront droit à réparation. Lorsque j'ai pris mes fonctions, une affaire bien connue traînait depuis des années : la veuve d'un militaire ne parvenait pas à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant du décès de son mari, survenu au cours d'une excursion organisée pendant une escale en cours de mission. Cette situation était inadmissible sur le plan de l'équité, et j'ai considéré qu'en la matière, nous étions en retrait par rapport aux règles de droit commun. Le nouveau statut met fin aux situations de ce genre : c'est désormais du début à la fin de la mission que la présomption d'imputabilité s'appliquera.

Le deuxième problème est relatif à l'usage de la force en opération extérieure. Actuellement, la responsabilité pénale des militaires est examinée au seul regard de la règle de la légitime défense définie par le droit interne français. Or, il paraît évident que la notion communément admise de légitime défense, relative aux personnes civiles, n'a rien à voir avec celle dont peuvent bénéficier les militaires en opération.

Avec le nouveau statut, cette responsabilité sera désormais examinée en prenant en compte la spécificité que constitue l'impératif d'accomplissement de la mission, dans le respect de l'ensemble des règles du droit international public. Il s'agit d'une extension considérable de la protection pénale dont bénéficieront nos militaires, qui m'a paru indispensable au regard des nouvelles tâches qu'assument nos armées dans le monde.

De même, j'ai voulu que le droit disciplinaire soit rénové et simplifié, et que les droits de la défense soient mieux assis. Les sanctions disciplinaires et statutaires, en particulier, sont fusionnées en une échelle unique.

Si les droits des personnes ont été revus, c'est également dans le fonctionnement de l'institution qu'il m'a paru nécessaire, après avoir pris connaissance des conclusions de la commission Denoix de Saint Marc, d'améliorer un certain nombre de choses.

J'ai souhaité, en premier lieu, que le système de concertation spécifique aux armées soit conforté. D'abord en rappelant que certaines instances ont pour objet d'assurer un dialogue direct entre les chefs d'état-major et les militaires de leur arme. En temps normal, les conseils de fonction militaire seront présidés par les chefs d'état-major ou directeurs de service. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas par le passé. Je tiens pour ma part à ce que chacun exerce des responsabilités clairement définies. Quant au conseil supérieur de la fonction militaire, dont les membres sont désignés parmi ces instances, il continuera d'être présidé par le ministre. La protection des membres de ces conseils sera garantie.

Pour compléter ce dispositif, une commission indépendante d'évaluation sera chargée de remettre périodiquement un rapport au Président de la République, faisant état de l'évolution de la condition militaire et de la fonction militaire en général.

Enfin, les grandes règles de gestion seront modernisées. Les droits des personnels sous contrat, qu'on ne peut considérer comme des contractuels ordinaires de l'État, seront rapprochés de ceux des militaires de carrière. Les limites d'âge, elles aussi, seront rationalisées, afin de mieux concilier les conséquences de la réforme des retraites et l'impératif de jeunesse des armées.

Le dispositif de reconversion, probablement l'un des meilleurs de la société française, sera encore amélioré, notamment par un meilleur accès des militaires à la fonction publique civile.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les principales dispositions de ce nouveau statut.


Ce nouveau statut ne constitue pas une révolution. Il contient des adaptations nécessaires aux enjeux du XXIe siècle, aussi bien dans le domaine de l'emploi des forces que dans celui de la gestion des ressources humaines. Lorsqu'on traite des problèmes d'hommes et de femmes qui donnent tant à notre pays et qui prennent tant de risques, il ne s'agit pas de jeter de la poudre aux yeux et de prévoir un texte inapplicable. Il ne s'agit pas de changer pour changer : il s'agit d'améliorer concrètement leur situation. Cela requiert une certaine humilité, une grande écoute, et la recherche de l'intérêt général et personnel de ceux qui seront soumis à ce statut.

Ce nouveau statut modernise et réaffirme, dans le même temps, les spécificités de l'état militaire.

Il y a quelques semaines, lors de la séance consacrée au projet de budget de la défense, nous avions évoqué les tragiques événements de novembre en Côte d'Ivoire. Ces événements nous rappellent que le métier militaire n'est pas un métier comme les autres. C'est aussi ce qu'il nous faut garder à l'esprit en examinant ce texte.

Enfin, j'ai le sentiment que ce projet de statut répond aux attentes des militaires. Il devrait contribuer au renforcement du lien entre les militaires et nos concitoyens. Il est fidèle en cela à notre histoire nationale et à nos institutions républicaines.

Le fait d'avoir choisi, il y a huit ans, de bâtir une armée professionnelle ne doit en rien remettre en cause la belle formule du général De Gaulle selon laquelle « La nation se reflète tout entière au miroir de son armée ».

C'est cette armée, républicaine et professionnelle, que le Gouvernement vous demande aujourd'hui de conforter dans son statut et sa vocation, au service de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos armées pourraient être dotées des équipements les plus sophistiqués, elles pourraient développer les stratégies militaires les plus élaborées, elles pourraient prévoir les réglementations les plus abouties, leur efficacité n'en dépendrait pas moins de la qualité des hommes et des femmes qui les servent.

C'est ce que le philosophe Jean Bodin voulait déjà signifier au XVIe siècle lorsqu'il proclamait : « II n'y a de richesse que d'homme ».

Cet adage illustre l'intérêt et l'importance du débat que nous ouvrons aujourd'hui sur la réforme du statut général des militaires, texte qui constitue le fondement de l'état de militaire. C'est cette richesse qu'il nous est proposé d'entretenir et d'accroître.

Le projet qui nous est soumis vise au remplacement de la loi de 1972 qui régit la situation de nos militaires. Cette loi, présentée par Michel Debré, ministre de la défense de l'époque, fut longuement débattue car elle avait un caractère très novateur. Elle rassemblait, unifiait et simplifiait un ensemble de textes épars pour constituer le premier statut général des militaires.

Ce statut fixe en effet les règles qui déterminent la place de l'institution militaire en général, et de chaque militaire en particulier, dans la société française, les contraintes que celle-ci impose, tout comme la considération qu'elle veut lui marquer.

Les rapports entre les armées et la société civile qu'elles doivent défendre, sont vitaux pour l'harmonie et la quiétude de la nation. Ils sont essentiels pour le bon fonctionnement des institutions comme pour sa place dans la communauté internationale.

Les illustrations de cette règle abondent à travers le monde aussi bien que tout au long de notre histoire. Ainsi, l'un des défis majeurs rencontrés par les pays de l'ex-URSS pour accéder à la démocratie a résidé dans la capacité de leur pouvoir politique nouveau à s'assurer du contrôle politique de leurs forces armées.

Notre histoire nationale est riche de ces rapports, parfois tumultueux, entre les années et les institutions politiques. En fait, en partant de la Révolution, on est frappé par les alternances entre les périodes de ferveur envers l'armée, et celles où la méfiance l'emporte avec la volonté de la maintenir à l'écart de la vie du pays.

C'est dans la première moitié du XIXe siècle que vont se mettre en place les premiers éléments juridiques qui vont faire la particularité de l'état militaire. Le repère peut en être précisément fixé avec la loi du 19 mai 1834 sur l'état de l'officier qui fixe déjà les premières lignes d'un statut pour un agent au service de l'État.

Des règles précises pour le recrutement et l'avancement forment le premier bloc de garanties des militaires. Viendront s'y ajouter rapidement les règles sur les sanctions disciplinaires, puis l'éligibilité et le droit de vote. Il faudra toutefois attendre l'ordonnance du 17 août 1945 pour que le droit de vote soit reconnu définitivement aux militaires par le général de Gaulle, les autres droits et libertés publiques demeurant sous le régime général de l'interdiction, sauf autorisation reconnue au cas par cas par le ministre de la guerre. C'est le « cantonnement juridique » des militaires selon l'expression du doyen Hauriou.

Certains courants de pensée voudraient pousser à la banalisation des armées et s'interrogent sur la pertinence d'un statut dérogatoire pour les militaires. Les tenants de cette tendance font peu de cas de la mission particulière des militaires, comparable à aucune autre : la défense de la patrie avec le recours aux moyens les plus puissants de la violence légale, en y consacrant toute leur énergie, jusqu'au péril de leur vie si nécessaire. Je n'insisterai pas sur la cruauté de faits récents qui viennent de nous rappeler cette vérité première qu'est l'identité unique de l'état militaire.

Avant de présenter l'essentiel des dispositions du projet de loi, permettez-moi, madame la ministre, de souligner le respect de deux grands principes dans le texte que vous nous soumettez, et que nous soutenons entièrement.

Le premier réside dans le maintien de notre culture militaire nationale qui imprime sa marque aussi bien à l'exercice des droits civils et politiques qu'à nos règles de gestion. Il évite à la fois de céder à un certain « air du temps », ainsi qu'à une propension parfois excessive à vouloir imiter ce qui se fait ailleurs.

Le second principe retenu dans l'élaboration de ce texte veut que chaque modification du statut de 1972 ait clairement comme objectif d'améliorer, de clarifier et de simplifier la situation des militaires. C'est la raison pour laquelle 1a réforme est aujourd'hui comprise et acceptée par la communauté militaire.

L'exercice des droits civils et politiques des militaires, objet du chapitre Ier du titre Ier, constitue le socle nouveau du cantonnement juridique des militaires. Comme s'y était engagé le Président de la République, les fondements essentiels de l'état militaire sont réaffirmés, et donc confortés : interdiction d'adhésion à un parti politique ou à un syndicat, interdiction du droit de grève, obligation de disponibilité dans le temps et dans l'espace.

La liberté d'opinion est heureusement confirmée à l'article 4 et la liberté d'expression élargie puisque l'autorisation préalable du ministre de la défense est abrogée. En contrepartie, l'obligation de réserve est réaffirmée et rend le militaire responsable de son expression.

Enfin, pour aller à l'essentiel, des dispositions obsolètes sont abrogées, comme l'autorisation préalable de mariage avec un étranger, ou une étrangère, et l'interdiction d'introduction des publications dans les enceintes militaires - à l'époque d'internet, cela s'imposait. Toutefois, en cas de nécessité, des restrictions sont possibles dans l'usage des moyens de communication ou d'information. L'obligation de déclaration de travail du conjoint est également supprimée.

Au total, le champ du cantonnement juridique est limité à ce qui est strictement irréductible à l'état militaire. Celui-ci ne repose plus que sur les indispensables « blocs de granit », pour reprendre l'expression de Napoléon à propos des principes fondamentaux du code civil.

L'exercice du métier militaire est risqué par nature, à tout moment, en toutes circonstances. Le statut de 1972 avait apporté de nombreuses garanties, qui trouvent leur prolongement dans les codes de pension militaire d'invalidité et des pensions civiles et militaires de retraite. Elles sont évidemment maintenues, voire élargies comme la protection contre les menaces, injures ou violences à l'égard des familles de militaires.

Cependant, le règlement douloureux et conflictuel de plusieurs cas de militaires ayant subi un préjudice dans des circonstances particulières a créé une attente très forte au sein de la communauté militaire.

Les conditions nouvelles dans lesquelles ils exercent leur mission demandaient en effet à être mieux prises en compte. C'est un élément essentiel de la réforme qui nous est proposée puisqu'elle doit procurer à tous une certaine tranquillité au départ en mission. C'est le domaine où les mesures nouvelles peuvent produire le plus rapidement des effets tangibles. C'est celui où les avancées sont les plus importantes.

Pour ne citer que les plus significatives, je mentionnerai tout d'abord l'introduction de la notion d'opération extérieure, par l'article 96, dans le code de pensions militaires d'invalidité, comblant le vide juridique qui existait entre le temps de paix et le temps de guerre. Celles et ceux qui y participeront à l'avenir n'auront plus à contracter d'assurance pour se garantir contre les dommages subis à cette occasion.

Mieux, le militaire sera considéré en permanence en service du début à la fin d'une mission opérationnelle, y compris notamment pour l'entraînement ou les escales. Ce sera la fin d'une protection « à éclipse » qui pouvait donner lieu à interprétation et entraînait une grande insécurité pour ceux qui servaient en dehors de leur lieu de stationnement.

Les dispositions nouvelles ne se limitent pourtant pas à l'indemnisation des dommages corporels. Par l'article 17, alinéa II, les militaires en opérations à l'extérieur du territoire français - ils sont près de 15 000 aujourd'hui - bénéficieront d'une protection pénale dès lors qu'ils seront amener à user de leurs armes dans le respect du droit international. C'est un progrès considérable, peut-être le plus important de l'ensemble de la réforme, en raison de la fréquence de ces situations et de la judiciarisation croissante des relations, nationales aussi bien qu'internationales.

Pour en terminer avec les garanties, je voudrais mentionner celles qui tiennent aux changements apportés dans notre système de sanctions disciplinaires. Ce fut un thème constant de polémique dans notre histoire militaire. C'est un régime aux conséquences lourdes puisqu'il peut être privatif de liberté. Il convenait donc de l'adapter à notre temps. C'est fait avec, à l'article 41, une nouvelle typologie des sanctions réparties en trois groupes qui offre à chacun des garanties particulières pour que l'intéressé puisse s'expliquer ou se défendre. Seuls les arrêts subsistent comme sanction privative de liberté, avec, pour eux seulement, une possibilité de cumul, et dans des conditions très limitatives.

Un troisième ensemble de mesures est constitué par les mesures de gestion des militaires, de leur recrutement à leur retour à la vie civile. Les dispositions sont les plus nombreuses et les plus techniques.

Toutes visent à moderniser les règles qui organisent les déroulements de carrière. Il s'agit de les adapter au contexte nouveau créé par la professionnalisation totale de nos armées. C'est là que la récente réforme impose le plus ses conséquences.

Je ne retiendrai ici que deux principes et une mesure précise dans ce domaine de la réforme.

Le premier principe, le plus emblématique à mes yeux, réside dans le souci permanent de rapprocher autant que possible la situation des engagés de celle des militaires de carrière. Le statut de 1972 excluait les contractuels de nombre d'avantages et de garanties. Ce décalage n'est plus supportable alors que près de la moitié de nos militaires servent en vertu d'un contrat mais se trouvent, au quotidien, côte à côte avec les militaires de carrière, tous tendus vers des objectifs communs, à l'entraînement comme en mission.

Ce rapprochement des situations trouve de nombreux points d'application, seuls le recrutement et quelques mesures d'aide au départ, comme le congé du personnel navigant, étant différenciées.


Le premier principe, à mes yeux le plus emblématique, réside dans le souci permanent de rapprocher autant que possible la situation des engagés de celle des militaires de carrière. Le statut de 1972 excluait les contractuels de nombre d'avantages et de garanties. Ce décalage n'est plus supportable alors que près de la moitié de nos militaires servent sur la base d'un contrat, mais se trouvent au quotidien côte à côte avec les militaires de carrière dont ils partagent les objectifs, à l'entraînement comme en mission.

Ce rapprochement des situations va trouver de nombreuses applications. Seuls le recrutement et l'aide au départ, à travers quelques mesures comme le congé du personnel navigant, resteront différenciés.

Le second principe consiste à regrouper au sein du statut l'ensemble des mesures de reconversion et d'aide au départ. Ces mesures, d'une importance cruciale pour la « respiration » de nos armées, assureront des flux d'entrée et de sortie réguliers, bien que modifiables en fonction des circonstances et des besoins. C'est aussi l'image de l'armée qui est en jeu à travers sa capacité à accompagner les anciens militaires vers une activité professionnelle civile et sa capacité à recruter.

Dans ce texte, un chapitre entier, comprenant les articles 61 à 64, est consacré à l'accès à la fonction publique civile. Cette possibilité, très prometteuse et très attendue, permettra à d'autres administrations de bénéficier de l'expérience des militaires et donnera à ceux-ci l'occasion de se faire mieux connaître.

L'article 89 fixe de nouvelles limites d'âge en les simplifiant, voire en les unifiant pour les officiers. Par rapport à ce que prévoyait le statut de 1972, les limites d'âge font l'objet de deux modifications. La première est formelle : mentionnées aujourd'hui dans une annexe, elles figureront demain dans la loi, ce qui n'est pas sans signification symbolique. La seconde porte sur le fond : ce projet de loi prend en compte les conséquences de la réforme des retraites, puisque la limite d'âge est en moyenne repoussée de trois années. Cela permettra au plus grand nombre de militaires d'atteindre le nombre d'annuités nécessaires à la perception d'une pension de retraite à taux maximum.

Je terminerai cette présentation par l'évocation des organismes consultatifs, plus généralement connus sous le terme de structures de concertation.

Ce dispositif, établi en 1969, revêt une importance particulière pour l'institution militaire. C'est, en quelque sorte, notre palliatif à l'interdiction du droit syndical et le rempart contre toute tentation de contourner cet interdit. Il était donc nécessaire de conforter le dispositif existant en intégrant les organismes de niveau national au statut. C'est ce que prévoit ce texte. Cela n'avait pas été fait en 1972, et la précaution prise alors n'a heureusement pas été reconduite. L'article 18 du projet reprend donc l'essentiel de la loi de 1969.

Mais chacun sait depuis longtemps que les institutions ne valent que par la façon dont on les fait vivre. Vous y êtes particulièrement attachée, madame la ministre, et nous ne pouvons que nous louer de votre investissement personnel pour faire vivre la concertation. Nous ne doutons pas que les mesures d'ordre réglementaire que vous serez amenée à prendre, notamment en ce qui concerne le mode de désignation des membres du CSFM et des CFM, confirmeront votre intention de leur donner force et crédibilité.

Je suis également convaincu que la commission d'évaluation de la condition de la fonction militaire, instaurée par l'article 1er du projet de loi, informera utilement l'administration et les organismes de concertation, renforçant ainsi le dialogue entre les uns et les autres. Ainsi seront mieux traités et résolus les problèmes liés à la condition militaire, ce qui éloignera le spectre de tentations aventureuses.

Madame la ministre, ce projet de loi portant statut général des militaires que vous présentez aujourd'hui à notre vote est capital pour l'avenir de nos militaires, sur le plan juridique comme sur le plan matériel. Mais vous en êtes convaincue, puisque chacune des modifications que vous proposez constitue un progrès par rapport au statut de 1972 actuellement en vigueur. Je pense notamment à l'ensemble des garanties que ce texte va apporter à nos militaires pour qu'ils accomplissent leur difficile mission de défendre nos intérêts.

Nous tous, sur les bancs de cette assemblée, sommes convaincus de l'importance de ce texte. Nous en avons longuement débattu en commission de la défense, afin d'en appréhender tous les aspects. Nous avons conclu que ce projet de statut était bon pour nos armées et avons donc émis un avis favorable sur l'ensemble du texte.

Toutefois, même si nous savons bien que le mieux peut être l'ennemi du bien, nous vous proposerons un certain nombre d'amendements. Tous ont pour finalité d'améliorer encore le statut général de nos militaires pour de nombreuses années. Ces amendements feront l'objet de nos prochaines discussions qui seront, j'en suis certain, de grande qualité et à la hauteur de l'événement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe UDF.

M. Francis Hillmeyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au statut général des militaires était devenu nécessaire pour moderniser un statut vieux de trente-deux ans, comme vous l'avez souligné, madame la ministre, et l'adapter aux évolutions de notre société comme aux réformes majeures de nos armées qui ont été conduites depuis 1996 et à la professionnalisation.

En effet, le statut des militaires de 1972 ne pouvait être maintenu en l'état, à une époque où les exigences de disponibilité des forces humaines opèrent une mutation profonde, en raison notamment de la fin de la conscription, du grand nombre de militaires sous contrat, de l'emploi ponctuel de spécialistes, et enfin de l'utilisation croissante des NTIC. Des problèmes quotidiens apparaissent au sein de nos troupes, entravant le bon fonctionnement de nos armées, du fait de l'obsolescence des textes en vigueur. La commission de révision du statut général des militaires, dans son rapport remis le 29 octobre 2003, a relevé une série de dysfonctionnements que le présent projet de loi se propose de résorber.

Pour le groupe UDF, ce texte doit permettre de rendre attractifs la carrière militaire et le métier de soldat, afin de renforcer la professionnalisation, notamment en ce qui concerne le recrutement et la nécessaire fidélisation. Mais il doit aussi, au-delà des devoirs constitutifs de l'état militaire, qui ne doivent pas être sacrifiés aux modes sociétales, mettre notre défense nationale et ses hommes en phase avec les mœurs du XXIe siècle et les pratiques en vigueur dans les armées des grands pays démocratiques.

Ce texte s'inscrit donc dans l'optique du « format armée 2015 » et pourra s'appuyer dans ses réalisations sur la loi de programmation militaire 2003-2008. Dans le cadre général de notre politique de défense et des objectifs actualisés du modèle d'armée 2015, la programmation 2003-2008 se fixe principalement comme objectif la consolidation de l'armée professionnelle dans ses différents aspects, y compris en matière d'activité, d'entraînement opérationnel et de fonctionnement. Elle sanctuarise les initiatives de rénovation des équipements et la prise en compte des besoins humains au sein des forces armées. En somme, sans la réforme du statut militaire, la LPM ne pourrait certainement pas atteindre tous ses objectifs opérationnels et satisfaire nos légitimes ambitions pour améliorer le quotidien de nos forces armées.

Venons-en au statut en tant que tel. Depuis 1972, le statut général des militaires détermine les grands principes qui régissent l'état militaire et les droits et sujétions qui l'accompagnent. Le projet de loi a été rédigé en fonction des recommandations des professionnels, recueillies et formulées par la commission de révision du statut général des militaires, présidée par M. Denoix de Saint Marc, vice-président du Conseil d'État, et composée de douze membres représentant les armées, directions et services du ministère de la défense, et de trois personnalités qualifiées de la société civile.

Cette ouverture sur la société civile est une excellente initiative qui introduit, dans un domaine pourtant très spécifique, les méthodes vertueuses appliquées à la réforme de l'État.

Ce projet de loi portant statut général des militaires se présente dans son ensemble sous la forme d'un texte plus clair et plus concis, regroupant en moins de 100 articles une vingtaine de lois qui en comptaient plus de 400. Il réaffirme les principes intangibles de l'état militaire : esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité.

Sur la question des avancements, qui est un élément fondamental du statut, nous notons que l'article 36 permet de distinguer la nomination et la promotion, tout en appliquant des règles comparables. La procédure d'avancement est donc désormais parfaitement clarifiée.

Quant à la question des retraites et du retour à la vie civile, elle met en jeu l'attractivité des postes de soldat, mais également la fidélisation des militaires professionnels, dont plus de 50 % sont des contractuels. Je vous rappelle brièvement les trois dispositifs existants : l'orientation et l'évaluation professionnelles ; la formation professionnelle ou l'accompagnement vers l'emploi ouvert aux militaires qui réunissent au moins quatre ans de service ; enfin, le congé de reconversion, d'une durée maximale de six mois en position d'activité. En clair, ce texte modernise les règles statutaires de gestion en renforçant la mobilité professionnelle des militaires et en améliorant les perspectives de reconversion pour ceux à qui l'institution militaire ne peut offrir un déroulement de carrière complet - et ils sont nombreux.

Cette réforme propose également un assouplissement du statut : les militaires obtiennent plus de droits et font l'économie des obligations les plus obsolètes. Le texte fait ainsi disparaître certaines obligations, comme l'ont souligné Mme la ministre et M. le rapporteur, notamment celles qui consistaient à demander une autorisation avant d'épouser une personne étrangère ou à déclarer la profession du conjoint. Il supprime également l'interdiction d'introduire des magazines dans les enceintes militaires, ce qui devrait permettre à nos soldats de diversifier leurs lectures.

Les militaires que nous avons auditionnés ont, ces dernières années, constaté l'émergence de deux phénomènes. D'une part, l'élévation conséquente du niveau de recrutement, notamment des sous-officiers, n'est pas sans incidence sur les rapports professionnels. D'autre part, la volonté des militaires de concilier leur vie professionnelle avec leur vie familiale et des activités citoyennes est plus affirmée. Une nouvelle politique des ressources humaines militaires devait donc être élaborée. C'est désormais chose faite.

Nous reconnaissons donc que les militaires aspirent, plus que par le passé, à participer aux décisions qui les concernent. En conséquence, ce projet de loi supprime, à juste titre, les dispositions anachroniques en matière de droits civils et politiques et favorise la participation des militaires à la vie de la cité. J'en veux pour preuve l'article 4, qui concerne le droit à l'expression : il est plus que jamais nécessaire de souligner l'esprit de responsabilité des militaires et de valoriser leur place au sein de la société. Dans cette logique, le législateur doit supprimer l'autorisation préalable du ministre pour évoquer des sujets politiques ou des questions internationales.

Je pense qu'il est également utile de préciser la nature du devoir de réserve, dans la mesure où il impose une obligation de modération dans l'expression.

Enfin, les militaires se voient reconnaître la liberté d'adhérer à des associations non professionnelles, sans obligation de déclaration ni possibilité de démission forcée. C'est une avancée importante par rapport au texte de 1972, qui fera des militaires des citoyens à part entière et permettra de renforcer le lien entre l'armée et la nation.

Par ailleurs, ce projet de statut pose les bases d'une modernisation des instances de consultation militaires, dont les membres jouissent des garanties indispensables à leur droit d'expression. Pour autant, les sanctions de base sont maintenues. Ce texte a l'intelligence de rénover le régime des sanctions des militaires tout en renforçant les garanties accordées par l'État au regard des risques encourus dans l'exercice de leur métier.

Mes chers collègues, j'aimerais m'attarder un instant sur un sujet qui risque d'animer nos débats à venir au sein de cette assemblée, à savoir l'interdiction pour un militaire d'adhérer à un parti politique. La position du groupe UDF est sans équivoque : nous sommes favorables au maintien de cette interdiction. Car comme il doit y avoir une séparation sans aucune ambiguïté entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, afin de garantir la liberté de penser et de croire de chaque individu, il doit y avoir une séparation totale entre l'état militaire et l'état militant, afin de garantir la neutralité du pouvoir militaire dont les missions relèvent du seul chef des armées, le Président de la République, élu au suffrage universel par les Français.

Pour le groupe UDF, cette interdiction n'est pas un état de fait obsolète, mais bien le choix d'une démocratie saine et forte qui refuse de se transformer en un Léviathan moderne où tous les pouvoirs seraient mélangés pour finir entre les mains d'un seul homme.

M. Jérôme Rivière. Très bien !

M. Francis Hillmeyer. Prenons garde à bien distinguer les ordres ! Il y va de notre capacité à maintenir le pluralisme démocratique, quels que soient les efforts qu'il en coûte à notre esprit de tolérance.

En commission, et je salue au passage le travail de notre président et rapporteur Guy Teissier, nous avons adopté divers amendements importants. Ils permettront, je l'espère, d'enrichir le projet de loi que vous nous présentez. La plupart de ces amendements correspond à de justes demandes émanant des professionnels, qui ont été nombreux à nous solliciter, faisant preuve d'un grand sens des responsabilités.

Ainsi, le groupe UDF est très attaché aux dispositions suivantes : l'introduction de grades spécifiques dans la marine, le rétablissement de la position de militaire en retraite, qui curieusement a été supprimée du statut de 1972, ou encore l'indemnisation des militaires blessés ou malades lors d'opérations extérieures.

Le groupe UDF est particulièrement satisfait que la commission ait adopté son amendement, déposé à l'article 1er, sur la participation de notre armée à la politique européenne de défense. Son importance est non seulement symbolique, mais aussi légale, pour ne pas dire quasi constitutionnelle.

La reconnaissance de la participation de nos armées à la politique européenne de sécurité et de défense résulte des engagements pris par la France de respecter les Traités européens en vigueur. Certes, on aurait pu aller plus loin. Je pense, par exemple, à l'idée d'une formation militaire au sein d'une académie européenne pour garantir une meilleure « interopérabilité » des forces armées européennes, dont les coopérations se multiplient, et pour promouvoir un véritable esprit européen de défense.


L'UDF, par la voix du général Morillon, souhaite également la mise sur pied d'un Institut des hautes études de défense européen qui doit favoriser, au sein des armées et de la population civile, le ferment nécessaire à l'émergence d'une culture de défense commune. Cela dit, l'amendement déposé par le groupe UDF est bien le minimum que l'on puisse voter pour introduire la dimension européenne, totalement absente du projet de loi, alors même que vous vous efforcez, madame la ministre, de faire avancer ce dossier au sein de coopérations renforcées avec nos partenaires. Nous avons là une occasion historique d'introduire dans nos textes fondamentaux notre volonté, partagée par une large majorité de nos compatriotes, de donner à notre armée un horizon qui n'est pas borné aux frontières de notre République, mais un rôle pilote dans l'émergence d'une véritable défense européenne.

Enfin, s'il est un sujet que nous ne pouvons omettre de mentionner, c'est bien celui de la réserve, enjeu majeur pour notre défense.

L'UDF souhaite rester mobilisée sur ce sujet qui mériterait beaucoup plus de considération. Pourquoi, comme le notaient nos collègues Teissier et Léonard, de nombreux réservistes sont-ils encore obligés de se comporter comme des clandestins dans leur entreprise ? Nous regrettons que ce thème central pour l'évolution de nos armées et le renforcement du lien armées-nation soit réduit à un seul article dans ce projet de loi. Le rapport d'information de nos collègues sur les réserves est pourtant sur la table et certaines propositions pourraient être reprises dès l'examen de ce texte. Certes, vous nous avez annoncé, madame la ministre, un projet de loi au cours du premier semestre 2005, mais au vu de l'encombrement législatif qui continue de sévir malgré la volonté du président de notre assemblée, on peut craindre un report sine die qui ne permettra pas de revaloriser cet engagement indispensable tant à nos armées qu'à notre nation. Ainsi, le groupe UDF est favorable à une simplification de l'avancement des réservistes en le rendant conforme aux disponibilités et aux périodes d'activité des réservistes.

Pour conclure, le groupe UDF est convaincu que ce projet de loi permettra aux forces armées françaises de répondre aux défis des prochaines décennies, aussi bien dans le domaine de l'emploi des forces que dans celui de la gestion des ressources humaines. Mais nous attendons de la discussion parlementaire qui va s'engager une ouverture de votre part sur les différents sujets que je viens d'évoquer, et en particulier sur la dimension européenne qui ne peut être absente de ce nouveau texte fondateur, qui, si l'on se réfère à la longévité du précédent statut, nous engage pour de longues années.

Le groupe UDF, persuadé que vous serez sensible aux amendements adoptés par la commission, se prononcera favorablement sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste et républicain.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des mutations profondes ont affecté nos armées au cours de ces dernières années. Elles ont connu la suppression du service national, la professionnalisation, la féminisation accélérée des personnels militaires ainsi qu'un rôle accru des personnels civils en leur sein. Elles doivent faire face à la construction de la défense européenne ainsi qu'aux opérations extérieures généralement menées sous mandat international, dans un cadre multinational.

En même temps, le monde militaire est traversé par les changements en œuvre dans la société française : comme le note le rapport de la commission Denoix de Saint Marc, la volonté de concilier vie professionnelle et vie familiale s'est nettement renforcée, tandis que l'aspiration citoyenne à participer pleinement aux décisions qui le concerne s'est affirmée.

Il découle de l'ensemble de cette évolution de nouveaux enjeux, attentes et aspirations qui rendent nécessaire la révision du statut général des militaires, vieux de trente-deux ans.

Le recrutement et la fidélisation des ressources humaines, que la conscription ne garantit plus, posent la question de l'attractivité du métier de militaire. Or l'attractivité ne se mesure pas uniquement en termes matériels, même si l'amélioration de la condition des militaires de carrière et des contractuels, du point de vue des rémunérations, du déroulement des carrières et des facilités de reconversion, notamment au bout des carrières courtes, en est un aspect essentiel. Compte tenu des mutations sociétales et de celles internes aux armées, il est tout aussi indispensable de renforcer les garanties du personnel militaire en matière de couverture juridique et sociale, d'assouplir le régime disciplinaire dérogatoire, d'assurer que les rapports internes à l'institution militaire ne soient fondés exclusivement sur l'autorité et que la représentativité élue de la collectivité militaire au sein des instances de concertation soit un facteur d'épanouissement de la vie professionnelle.

Mais surtout, il convient de garantir que les droits des militaires se rapprochent le plus possible de ceux de l'ensemble des fonctionnaires. En effet, si la spécificité du métier militaire oblige à déroger aux droits constitutionnellement acquis à chaque citoyen - et nous en convenons -, il est primordial que ces dérogations soient restreintes au strict minimum nécessaire afin de préserver la citoyenneté des militaires, gage de l'intégration des armées dans le cadre de la République. Il s'agit là de la question fondamentale du lien entre la nation et son armée.

Ce projet de loi apporte des avancées dans ces domaines, madame la ministre. Nous nous félicitons ainsi des assouplissements concernant le droit civil des militaires ; du renforcement des garanties en matière de couverture juridique et sociale, notamment de l'institution du principe d'imputabilité au service d'accidents survenus pendant toute la période des opérations - vous l'avez évoqué, madame la ministre - ; de l'inscription dans le statut des droits de la défense en matière disciplinaire ; du rapprochement des droits et protections des personnels sous contrat de ceux reconnus aux militaires de carrière.

Cependant, force est de constater le caractère limité de ces avancées. Le groupe communiste regrette que le projet soit en deçà des recommandations de la commission Denoix de Saint Marc sur certaines questions, alors même que celle-ci ne propose aucunement un bouleversement de l'architecture du statut. Je relève quelques exemples à titre d'illustration. S'agissant du régime disciplinaire, l'article 41, qui précise la possibilité de cumul des sanctions du premier groupe avec celles du deuxième ou du troisième groupe, ne retient pas la notion de « faute très grave » que le rapport préconisait comme condition du cumul. De même, le Gouvernement n'a pas retenu la proposition d'instituer un congé d'éducation pour tirer les conséquences de la féminisation des armées. L'idée d'un Haut conseil de la fonction militaire a été abandonnée en faveur d'une commission définie a minima. Heureusement, un amendement du rapporteur, adopté par la commission, rectifie le texte sur cet aspect.

Dans d'autres domaines, le projet est même en recul par rapport au statut de 1972 modifié. C'est le cas, par exemple, des restrictions relatives à la liberté de circulation et à la résidence des militaires. C'est le cas pour les congés exceptionnels et les congés de fin de service. C'est le cas de la suppression de la position statutaire « en retraite » et du renvoi aux statuts particuliers des dénominations particulières en usage dans la marine auxquelles les marins restent, nous le savons tous, très attachés.

Par ailleurs, une injustice perdure à l'égard de la situation des militaires sous contrat qui quittent les armées avant d'avoir atteint les quinze années de service exigées pour prétendre à une pension de retraite, et qui ne peuvent, de ce fait, voir prises en compte les bonifications auxquelles ils devraient avoir droit.

Mais nous regrettons surtout, madame la ministre, la frilosité, voire le manque d'ambition du projet, notamment dans deux domaines : les droits civils et politiques et la modernisation des instances de concertation.

Certes, il y a un assouplissement du droit d'expression puisque l'autorisation préalable du ministre pour évoquer des sujets politiques ou des questions internationales est supprimée. De même est levée l'interdiction de l'introduction dans les enceintes militaires de publications susceptibles de nuire au moral ou à la discipline. Mais ne s'agit-il pas là de restrictions soit purement formelles - puisque, chacun le sait, les militaires n'ont jamais cessé de s'exprimer sous des pseudonymes -, soit totalement inapplicables à l'heure d'Internet ?

Si l'obligation de déclaration avant l'adhésion et l'exercice de responsabilités des militaires au sein des associations non professionnelles ainsi que la possibilité de leur démission forcée sont supprimées, l'interdiction d'adhésion à un groupement politique, à un syndicat, et de créer des associations professionnelles, ou d'y adhérer, est maintenue.

M. Jean-Louis Bernard. Très bien !

M. Jacques Brunhes. Or il est notoire que certains militaires militent dans des formations politiques sous des pseudonymes ou sans inscription formelle. Par ailleurs, ils ont le droit d'être candidat à une fonction publique élective et la possibilité d'adhérer à un parti politique pendant la durée de la campagne et la durée d'exercice du mandat. Certes, ils sont mis en disponibilité au nom de la neutralité des forces armées.

M. Yves Fromion, vice-président de la commission. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. Or au terme de leur mandat, n'ont-ils pas la possibilité théorique de réintégrer l'armée et, dans ce cas, n'y a-t-il pas une certaine tartufferie à imaginer qu'ils perdent ipso facto leur identité politique ? Ou alors ce droit de réintégration n'est que théorique et le militaire est contraint, de fait, soit à la démission, soit à la retraite afin de pouvoir exercer un droit statutaire ? L'obligation de neutralité dans l'exercice de ses fonctions est, je le rappelle, celle de tout fonctionnaire et agent de l'État. Il convient aussi de rappeler que le droit de vote, considéré comme le début effectif de politisation du citoyen, était considéré comme incompatible avec les règles de neutralité politique des armées.

M. Jean-Claude Viollet. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. Les militaires ne l'ont obtenu qu'après la Seconde Guerre mondiale et, madame la ministre, la République ne s'est pas effondrée !

Quant à l'affirmation, figurant dans l'exposé des motifs du projet de loi, que cette interdiction « participe à la discipline et au loyalisme des militaires et conforte la confiance de la nation dans l'institution militaire », elle paraît, permettez-moi l'expression, saugrenue.

M. Jean-Louis Bernard. Oh !

M. Jacques Brunhes. Le loyalisme et la discipline des policiers sont-ils remis en cause par leur adhésion à des partis ? La confiance de la nation dans la Cour des comptes est-elle remise en question parce que Philippe Séguin a été nommé à la tête de cette haute juridiction ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il nous paraît donc souhaitable de permettre au militaire de s'inscrire, comme tout fonctionnaire, à un parti politique, sous réserve de ne pas entreprendre un acte militant dans une enceinte militaire.

Quant au droit de se syndiquer, il est acquis dans certaines armées alliées - allemande, belge, néerlandaise, du Royaume uni... - avec lesquelles les soldats français sont parfois en contact lors des opérations extérieures. Cette situation ne peut qu'être porteuse de frustrations, voire de conflits, d'autant plus que ce droit est accordé à tout citoyen par la Constitution française, par les conventions internationales et par le traité constitutionnel européen. D'ailleurs, on peut penser que son obtention est inscrite dans le cours des choses. Là aussi, il convient de rappeler que, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le droit de se syndiquer était interdit aux fonctionnaires car considéré comme incompatible avec le fonctionnement normal de l'État.

M. Yves Fromion, vice-président de la commission. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. Or, depuis la levée de l'interdiction, l'État ne s'est pas écroulé, madame la ministre !

C'est dire qu'il faut relativiser la crainte d'un syndicat purement militaire.

Si l'idée ne fait pas l'unanimité parmi les intéressés, pourquoi ne pas leur accorder la possibilité d'adhérer aux confédérations syndicales reconnues ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Fromion, vice-président de la commission. La neutralité de la CGT est connue !

M. Jacques Brunhes. Ce droit ne pourrait être perçu comme comportant le risque de création d'un « contre-pouvoir » face au commandement. Nous aurons l'occasion d'en parler, mes chers collègues !

Cela nous paraît d'autant plus nécessaire que le dispositif de concertation que vous envisagez n'est qu'un toilettage du système existant, alors même que le rapport Denoix de Saint Marc admet le dysfonctionnement des instances nationales, en raison de leur faible représentativité, où la concertation est perçue comme formelle « sans grand effet sur la prise en compte des attentes des militaires ». A contrario, le fonctionnement des instances locales élues donne satisfaction. Dès lors, pourquoi ne pas renforcer la représentativité des instances de concertation par la création d'une chaîne élective continue, qui garantirait aussi la crédibilité des conseils nationaux, CFM et CSFM ? Nous regrettons que le rapport préconise un système mixte combinant le tirage au sort et l'élection, tout comme le renvoi, dans le projet, de cette question capitale à un décret en Conseil d'état. Rappelons que ce système de concertation a clairement montré ses limites avec le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, qui n'a pas su empêcher la manifestation des gendarmes.

Bref, madame la ministre, ce texte, malgré ses avancées, contient trop d'imperfections. Nous tenterons, par amendements, de l'améliorer. Dans l'hypothèse, malheureusement vraisemblable, où ils ne seraient pas retenus, nous ne pourrions pas approuver votre projet.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Hugon.


M. Jean-Yves Hugon
. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Le statut qui nous est proposé correspond-il aux besoins des militaires français ? Si la question se pose - et elle apparaît fondamentale à la commission - il est très difficile d'y répondre avec précision. La " société militaire ", expression commode, comprend plus d'un million et sans doute plus d'un million et demi de personnes, militaires en activité, retraités, veuves et orphelins. Si l'on élargit cette notion aux familles, c'est plus du quinzième de notre société qui est concerné par le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis. C'est dire son importance. ». C'est en ces termes que s'exprimait, à cette même tribune, un de vos prédécesseurs, monsieur le président de la commission, Joël Le Theule, alors rapporteur, le 2 mai 1972. Trente-deux ans plus tard, il est tout à l'honneur du Gouvernement de soumettre à nos travaux un nouveau statut des militaires. Au nom du groupe UMP, je vous en félicite, madame la ministre.

Depuis 1972, le statut général des militaires détermine les grands principes qui régissent l'état militaire et les droits et sujétions qui l'accompagnent. Ce statut plus que trentenaire devait être réformé pour mieux prendre en compte les évolutions de nos armées, notamment leur professionnalisation et leurs mutations internes. Au cours des six dernières années, une nouvelle armée s'est constituée et les conditions d'emploi des troupes se sont transformées. La nature du lien entre l'armée et la nation s'en est trouvée modifiée, faisant apparaître de nouveaux enjeux en matière de recrutement et de fidélisation du personnel militaire. Le temps était donc venu d'élaborer un nouveau statut pour prendre en compte ces évolutions tout en respectant les spécificités du métier des armes. Ce statut devait être également réformé pour mieux être en phase avec la société d'aujourd'hui, qui, à l'évidence, n'est plus celle de 1972.

Le projet de loi qui nous est présenté répond à cette ambition. Le nouveau statut général des militaires se présente sous la forme d'un texte plus clair et plus concis, regroupant en moins de cent articles une vingtaine de lois. Il reprend la plupart des propositions formulées par la commission sur la réforme du statut des militaires présidée par M. Denoix de Saint Marc et tient compte de l'avis des divers conseils et du Conseil supérieur de la fonction militaire, qui ont été associés aux différentes étapes de son élaboration. Ce nouveau statut présente plusieurs grandes avancées, qui conduiront le groupe UMP à le soutenir.

La première avancée est la modernisation des règles statutaires de gestion, afin de permettre aux armées d'assurer le recrutement de leurs effectifs en nombre et en qualité. En améliorant l'attractivité de la condition militaire, il facilitera de fait le recrutement et la fidélisation des effectifs. Comme cela est déjà le cas pour d'autres catégories de fonctionnaires, la rémunération des militaires inclura désormais une part liée au mérite. Cette possibilité est ouverte par l'article 10 du projet de loi, qui renvoie aux différents statuts particuliers. La part de la solde attribuée au mérite comprendra deux fractions : l'une individualisée, l'autre attribuée par unité, en fonction d'objectifs assignés au préalable. Le recrutement de volontaires et de militaires « commissionnés », c'est-à-dire spécialisés dans des domaines très techniques, sera favorisé. L'article 89 du projet de loi prévoit que ces personnels pourront désormais servir quinze ans au lieu de dix ans, ce qui leur permettra de bénéficier d'une pension de retraite à jouissance immédiate.

En matière de gestion du personnel, le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de rapprocher le statut du personnel de carrière de celui du personnel sous contrat. Le caractère de précarité du statut des militaires du rang et des sous-officiers subalternes, autrefois justifié par leur faible niveau scolaire, apparaît de moins en moins légitime de nos jours. Il est donc particulièrement opportun d'aligner autant que possible sur celui des militaires de carrière le statut de ces personnels indispensables au bon fonctionnement des forces.

Préconisée par la commission de révision du statut général des militaires, la création d'un congé d'éducation, qui devait répondre aux souhaits d'une partie du personnel féminin, n'a finalement pas été retenue. Cette mesure, qui aurait introduit le travail à temps partiel dans les armées, n'a pas été jugée compatible avec le caractère opérationnel des forces.

La deuxième avancée de ce statut est de renforcer la mobilité professionnelle en améliorant les perspectives de reconversion. La modernisation des règles de gestion rend nécessaire un meilleur accompagnement des militaires vers la vie civile. Le projet de loi prend en compte cet élément en multipliant les passerelles entre le ministère de la défense et le secteur civil. Ainsi, dans l'intérêt du service, un militaire peut être affecté auprès d'un établissement public de l'État, d'une collectivité territoriale, d'une organisation internationale, d'une entreprise privée ou d'une association. Il conserve alors, comme précisé à l'article 46, sa position d'activité.

Reprenant les propositions de la commission de révision du statut général des militaires, le projet de loi consolide, à l'article 65, le dispositif de reconversion des militaires. Une formation professionnelle peut leur être proposée après au moins quatre ans de service. Elle pourra s'effectuer à l'occasion d'un congé de reconversion ou d'un congé complémentaire de reconversion. Le dispositif est accompagné d'une évaluation et d'une orientation destinées à faciliter la reconversion vers un emploi civil, clé du recrutement. Des dispositions législatives facilitant l'accès des militaires aux emplois réservés sont également reprises dans le projet de loi, complétant le dispositif d'accès à la fonction publique par quatre passerelles : le concours, le détachement, la sélection sur dossier et les emplois réservés. En contrepartie de ces aides à la reconversion, un délai de préavis est instauré, dont la durée sera déterminée par un décret prévu par l'article 73.

La troisième avancée du nouveau statut est le renforcement des garanties accordées par l'État en matière de couverture sociale et de protection juridique pour tenir compte des contraintes et des risques encourus dans l'exercice du métier et dans l'emploi de la force au cours d'opérations. Un des principaux sujets de préoccupation de la communauté militaire tient à la couverture sociale de ses membres à l'occasion d'opérations extérieures. Les suites juridiques données à certains événements tragiques survenus ces dernières années hors du territoire national ont suscité des inquiétudes justifiées. La multiplication des opérations extérieures et l'augmentation du nombre de militaires mis en cause devant les juridictions pénales ont conduit le Gouvernement à proposer une évolution de la législation concernant la protection juridique des militaires, ainsi que le régime disciplinaire qui leur est applicable.

Conformément aux recommandations de la commission de révision, le projet de loi inscrit l'imputabilité au service de toutes les blessures et de tous les décès survenus en toutes circonstances, entre le début et la fin d'une mission opérationnelle. Les articles 94 et 95 prévoient une modification du code des pensions civiles et militaires en ce sens. Cette évolution de la législation permettra aux militaires de bénéficier de garanties identiques à celles que la Cour de cassation reconnaît depuis quelques années aux salariés du secteur privé en mission à l'étranger, ce qui paraît pour le moins légitime compte tenu des risques spécifiques au métier militaire. Le projet de loi accorde, et c'est justice, les mêmes protections aux militaires de carrière et aux militaires sous contrat, lesquels devaient, jusqu'à présent, se contenter de la modique solde de réforme lorsqu'ils étaient obligés de quitter le service actif à la suite d'une incapacité résultant d'une blessure ou d'une maladie survenue en service, avant d'avoir accompli cinq années de services effectifs.

Quatrième avancée, le nouveau statut supprime quelques dispositions anachroniques ou inapplicables en matière de droits civils et politiques et favorise la participation des militaires à la vie de la cité. Ainsi, il supprime la demande d'autorisation avant d'épouser un étranger ou l'obligation de déclarer la profession du conjoint. Les militaires seront libres d'exercer des responsabilités associatives, mais ils n'auront toujours pas la faculté d'appartenir à un groupement professionnel, ni à un parti politique, ce qui serait contraire à certains principes fondamentaux en matière de discipline, de loyalisme et de neutralité, réaffirmés par le présent statut. Concernant le droit d'expression, il est également opportun que l'autorisation préalable soit supprimée : une disposition qui pouvait se comprendre dans une armée de conscription paraît moins justifiée aujourd'hui, d'autant que demeure l'obligation de réserve, laquelle est relative au sujet évoqué et proportionnelle à la responsabilité exercée.

S'agissant de la concertation, le système actuel des conseils de la fonction militaire, s'il s'avère globalement satisfaisant, a besoin de voir ses modalités confortées. Ce sont les chefs d'état-major ou les directeurs de service qui les présideront en temps normal, et non plus le ministre. Les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire, présidé par le ministre de la défense, seront désignés parmi les conseils de fonction militaire d'armée, au sein desquels la liberté de parole doit être totale. Pour compléter le dispositif, une commission indépendante d'évaluation de la fonction militaire sera chargée de remettre périodiquement un rapport au Président de la République, afin d'apprécier l'évolution des statuts et des rémunérations des militaires

Ce projet de loi, mes chers collègues, ne propose pas une révolution, mais une adaptation à de nouvelles contraintes et à de nouvelles réalités sociétales. Il a pour ambition de permettre aux forces armées de répondre aux défis des prochaines décennies, aussi bien dans le domaine de l'emploi des forces que dans celui de la gestion des ressources humaines. Faire de la politique, c'est souvent rechercher un équilibre, en n'allant ni trop loin ni pas assez loin. Nous sommes parvenus à un texte équilibré, compréhensible par tous et qui, nous l'espérons, car tel est notre but, répondra à la majeure partie des préoccupations et des attentes légitimes des militaires.

Je ne pouvais conclure sans avoir, au nom du groupe UMP, une pensée émue pour nos soldats tombés récemment en Côte d'Ivoire, pour leurs familles et pour leurs proches. Je veux redire aussi notre reconnaissance et notre considération à nos 13 000 militaires actuellement en opérations extérieures sur les cinq continents, qui, dans des conditions matérielles difficiles, luttent contre le terrorisme et le narcotrafic, soutiennent activement des opérations à caractère humanitaire, assurent la protection de nos compatriotes et des ressortissants étrangers et participent aux opérations de maintien de la paix en portant, partout où ils se trouvent, haut et fort les couleurs de notre drapeau.

Je n'oublierai pas d'adresser mes remerciements à tous les collaborateurs de l'Assemblée nationale pour leur dévouement et leur grande compétence et à tous mes collègues de la commission de la défense, qui ont débattu avec conviction certes, mais toujours tolérance et ouverture d'esprit, conférant ainsi la hauteur de vue et la dignité indispensables pour mener à bien la tâche qui nous est confiée. Qu'il me soit également permis de dire à notre président rapporteur Guy Teissier combien nous apprécions son sens de l'écoute et sa bienveillante autorité, qui font de lui un président respecté, garant de la qualité de nos travaux. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Au nom du groupe UMP, permettez-moi de vous dire, madame la ministre, combien nous vous sommes reconnaissants de nous donner l'occasion d'écrire ensemble une page qui marquera notre histoire parlementaire. C'est à l'un de vos illustres prédécesseurs, le ministre d'État de la défense nationale Michel Debré, que je laisserai le mot de la fin : « Au-delà des dispositions que nous étudierons tout à l'heure, ce soir ou demain et des votes sur tel ou tel article, le fond de l'affaire est le soutien que je demande au Parlement et l'approbation d'un texte qui est à la fois, je le crois un beau moment juridique, mais avant tout l'affirmation que les pouvoirs publics ont conscience de ce que représentent éternellement l'armée et ceux qui la servent pour le bien de la République et de la nation ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'actuel statut général des militaires fixe, depuis 1972, les grands principes et les dispositions majeures qui régissent l'état militaire. Vous l'avez indiqué, madame la ministre, dans votre lettre en date du 23 décembre 2002 à M. Renaud Denoix de Saint Marc, vous l'avez redit ici : en trente ans, notre société a profondément évolué.

Toutefois, parallèlement, le contexte géostratégique a beaucoup changé aussi. Avec la fin de l'affrontement des blocs, la multiplication de conflits locaux, l'émergence de menaces asymétriques, terroristes, les finalités et l'organisation même de notre défense ont dû être adaptées : la conscription a été suspendue, notre armée s'est professionnalisée, féminisée aussi, les personnels civils y sont plus nombreux, son format et sa doctrine d'emploi se sont modifiés avec notamment le développement du concept de projection intérieure ou extérieure et la multiplication des OPEX, la réserve a pris une place plus active dans l'opérationnalité permanente de nos forces, le lien entre l'armée et la nation n'est plus le même.

Tout cela ne pouvait que conduire à s'interroger sur la place nouvelle des militaires dans notre organisation sociétale et à examiner les modifications à apporter à leur statut pour prendre en compte ces nouvelles réalités et, autant que faire se peut, les évolutions susceptibles d'intervenir encore. Car nous ne révisons pas ce statut pour deux ou trois ans, mais plutôt pour vingt ou trente ans, si l'on en juge par l'histoire.


Sur votre commande, madame la ministre, a été constituée pour ce faire une commission de révision du statut général des militaires, présidée par M. Renaud Denois de Saint-Marc et composée de personnalités de la société civile et de représentants des différentes composantes des forces armées. Ses travaux ont fait l'objet d'un rapport, qui a été présenté à la commission de la défense nationale et des forces armées le 11 février 2004.

C'est sur la base des recommandations de cette commission que le Gouvernement a, pour l'essentiel, élaboré le présent projet de loi relatif au statut général des militaires, sur lequel nous vous avons auditionnée, madame la ministre, le 24 novembre 2004. Nous l'avons ensuite longuement examiné les 30 novembre et 1er décembre 2004, et il vient aujourd'hui devant notre assemblée en séance plénière pour être débattu et voté en première lecture.

Nul doute que le projet qui nous est soumis - qui, en plus des recommandations de la commission Denoix de Saint-Marc, a, comme indiqué dans son exposé des motifs, tenu compte des avis et des conseils et du Conseil supérieur de la fonction militaire - marque une évolution par rapport au statut de 1972, mais reconnaissons que c'est bien là le moins que l'on pouvait en espérer.

Ainsi vont être supprimées un certain nombre de dispositions, particulièrement anachroniques, selon vos propres termes, madame la ministre, voire inapplicables, en matière de droits civils et politiques, tel le régime de l'autorisation préalable, qui limitait jusque-là le droit d'expression des militaires. En revanche, les garanties accordées par l'État, à la fois en termes de couverture sociale et de protection juridique, vont être renforcées au regard des contraintes et des risques encourus par nos militaires dans l'exercice de leur métier, notamment lors de l'emploi de nos forces en opérations extérieures, le régime des sanctions militaires va être rénové et certaines règles de gestion ou, beaucoup plus modestement, des instances de concertation vont être modernisées.

Pour autant, je ne suis pas tout à fait sûr que la réforme proposée, au-delà du mérite - immense - qu'elle a déjà d'exister, marque une évolution aussi importante que le prétend son exposé des motifs et, en tout cas, qu'elle permette, en l'état, à nos forces armées de répondre aux défis des prochaines décennies, aussi bien dans leur domaine d'emploi que dans la gestion de leurs ressources humaines, voire dans la participation de nos militaires à la vie civile et politique.

Toutefois, la qualité des travaux menés par notre commission de la défense - d'où sont sorties des propositions partagées parfois par l'ensemble de nos collègues, toutes sensibilités confondues, ou par une majorité d'entre eux - nous laisse penser, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que nous pouvons encore, ensemble, en sagesse, faire progresser ce texte.

Je ne prendrai ici que quelques exemples - puisque nous allons examiner en détail le texte, article par article - en partant, pour l'essentiel, des amendements que j'ai personnellement déposés et défendus en commission, ou auxquels je me suis finalement rallié, avec un certain nombre de mes collègues.

S'agissant des dispositions statutaires, je pense que nous devrions adopter, à l'article 1er, le principe, qui a recueilli l'accord de notre commission, de la création d'un Haut comité d'évaluation de la condition militaire, dans lequel le Parlement serait représenté, et qui, avec toute la solennité voulue et l'indépendance souhaitable, dans la logique constitutionnelle, établirait périodiquement un rapport adressé au Président de la République, chef des armées, et soumis au débat de nos deux assemblées.

En matière de droits civils, je persiste à penser que nous devrions préciser, à l'article 4, pour respecter tout à la fois le principe constitutionnel de laïcité et la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, à laquelle, j'en suis convaincu, nous sommes tous ici attachés, que si les opinions et croyances ne peuvent être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire, cette règle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes, et non du culte, dans les enceintes militaires.

Tout comme je pense, s'agissant des responsabilités, que nous aurions intérêt à préciser dès à présent, à l'article 8, les conditions spécifiques dans lesquelles la responsabilité pécuniaire des militaires peut être engagée, en application de l'article 37 de la loi organique relative aux lois de finances.

En ce qui concerne la rémunération, nous devrions écrire, entérinant ainsi le principe adopté par notre commission, qu'un militaire dont l'affectation entraîne des difficultés de logement, comme c'est souvent le cas en région parisienne, et plus encore pour les militaires du rang ou les sous-officiers, bénéficie de plein droit d'une aide appropriée - et non pas peut en bénéficier.

De la même manière, nous devrions, s'agissant des garanties, amender l'article 11, comme l'a fait notre commission, afin d'ouvrir aux anciens militaires titulaires d'une pension d'invalidité l'accès aux soins du service de santé des armées, ainsi qu'à l'aide du service chargé de l'action sociale des armées.

S'agissant toujours des garanties et de la couverture des risques, nous devrions pouvoir, comme notre commission en a accepté le principe, à l'article 12, élargir l'utilisation des fonds de prévoyance militaire et aéronautique à des actions de solidarité permettant de faire face aux situations sociales exceptionnelles auxquelles est de plus en plus confrontée une armée professionnelle.

En matière de protection juridique et de responsabilité pénale, si l'article 17 constitue, en l'état, une avancée certaine, il me semble, au vu de plusieurs événements survenus récemment en OPEX, qu'il conviendrait de relier encore plus étroitement le droit international, visé par ce texte, et les règles d'engagement, fixées ou approuvées par l'autorité nationale.

Pour ce qui concerne les organismes consultatifs, nous devrions, à défaut d'ouvrir le débat sur de nouvelles formes d'organisation et de représentation des militaires, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, adopter la proposition retenue par notre commission, à l'article 18, tendant à renforcer la capacité de dialogue au sein de l'armée professionnelle, en faisant des structures actuelles de consultation de véritables outils de concertation. .

Pour ce qui est des dispositions applicables aux militaires servant en vertu d'un contrat, il conviendrait, eu égard à l'importance accordée à la réserve militaire dans notre système de défense et à la considération que la nation se doit d'apporter à celles et ceux qui y servent, de les intégrer, comme le propose notre commission, à l'article 24.

De même, s'agissant des positions statutaires, il nous apparaît incontournable, au nom d'une fraternité d'armes qui ne saurait cesser avec l'activité et, plus encore, pour leur attachement constant à l'esprit de défense comme pour leur engagement permanent dans le lien armée-nation, de rétablir, à l'article 45 ou sous toute autre forme, les retraités, nommément cités dans la loi Debré de 1972. À défaut de figurer dans le présent texte, ils pourraient disparaître du CSFM, alors que leur présence y avait été précisément obtenue par le Parlement, dans la loi de 1969, en raison de l'intérêt qu'ils présentaient déjà,...

M. Jean-Michel Boucheron. Absolument !

M. Jean-Claude Viollet. ...et pourraient même craindre, à plus ou moins long terme, de se voir exclus de la Caisse nationale de sécurité sociale militaire.

En ce qui concerne toujours les positions statutaires, et en particulier la position d'activité, il m'apparaîtrait utile, madame la ministre, alors que la féminisation de nos armées croît très régulièrement, puisqu'elle est passée de 7,4 % en 1993 à 12,5 % en 2003, d'intégrer à l'article 46 le congé parental d'éducation sans solde. Cette mesure est proposée par la commission Denoix de Saint-Marc et demandée par le CSFM et prendrait en compte l'étude de juillet 2004 du Conseil économique et social sur « la place des femmes dans la professionnalisation de nos armées », qui démontre que ce congé est particulièrement bien adapté à la féminisation croissante de nos forces et aux contraintes qui pèsent sur les familles.

S'agissant de la non-activité, il conviendrait encore, selon moi, de modifier la rédaction de l'article 56 de telle sorte que le militaire de carrière conserve l'intégralité de sa solde jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise en retraite, lorsque l'affection dont il est atteint est survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues par les dispositions de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, afin de ne pas offrir une moindre protection que celle procurée par le statut de 1972.

La notion de blessures reçues par suite d'accidents survenus entre le début et la fin d'une mission opérationnelle apparaissant aujourd'hui trop restrictive, eu égard aux contextes d'engagement, aux conditions d'hygiène, d'exposition aux maladies endémiques ou liées à la dégradation de l'environnement écologique - je pense en particulier aux opérations dans le Golfe -, aux chocs moraux difficilement supportables - je pense, bien entendu, au Rwanda -, au fait qu'une armée professionnelle est de plus en plus confrontée à des situations de crises, au danger, à la mort - comme ce fut malheureusement le cas, tout récemment, en Côte d'Ivoire -, il conviendrait d'étendre les dispositions de l'article 95 aux autres dommages spécifiques, atteintes ou maladies, accompagnant plus qu'hier les conflits et les crises d'aujourd'hui.

Vous le voyez, madame la ministre, ce texte, qui constitue indéniablement, et sur de nombreux points, une avancée par rapport au statut de 1972, peut et doit être encore sensiblement amélioré, dans les domaines que je viens d'évoquer et dans bien d'autres encore, sur lesquels s'est penchée notre commission et sur lesquels nous reviendrons au cours du débat.

Mais il est un point sur lequel ce nouveau statut sera une occasion manquée : le plein exercice de la citoyenneté de nos militaires.

Cette question du statut des militaires et de la citoyenneté n'étant pas nouvelle, nous ne pouvons nous dispenser de la resituer dans la longue marche pour la citoyenneté de notre vieille démocratie.

Quelques rappels sur le plan de la vie politique, d'abord.

Après la définition par l'Assemblée constituante, en 1789, des critères permettant l'accession au corps électoral - il fallait « être un homme doué de raison et d'autonomie, ne pas être membre d'un corps, gagner sa vie sans être inféodé à la volonté d'un tiers » - et l'établissement du suffrage censitaire par la Constitution de l'An III, sensiblement aggravé sous la Restauration, il a fallu attendre l'avènement de la IIe République, en 1848, et le décret du 5 mars de cette même année, pour voir instaurer le suffrage universel direct,... pour les hommes. Les femmes, elles, devront attendre la IVe République, et l'ordonnance du 21 avril 1944, pour devenir électrices et éligibles.

Quant aux militaires, après s'être vus reconnaître le droit de vote par le décret du 5 mars 1848 - droit de vote qui allait de pair avec l'éligibilité, ce qui avait amené de nombreux militaires à devenir députés après les élections de février 1 871 et celles, complémentaires, du 2 juillet -, ils devaient très vite se voir contester ce droit, à l'initiative de certains officiers et avec le soutien des généraux ministres de la guerre. Il leur fut retiré par la loi du 27 juillet 1872. Sitôt cette loi votée, le Parlement s'attaquait à restreindre, puis à suspendre le droit à l'éligibilité des militaires en activité, ce qui fut fait par l'article 7 de la loi organique du 30 novembre 1875, qui confirmait en son article 2 leur perte du droit de vote, une situation qui devait durer soixante-dix ans.

En effet, une proposition de loi déposée en 1 894 par un député socialiste, Jules Guesde, pour tenter de « réintégrer l'armée nationale dans la nation en lui rendant le droit de vote », fut massivement rejetée, tandis qu'une dernière tentative, lancée en 1 898 par un autre député socialiste, Fournière, en pleine affaire Dreyfus, échouait également.

La loi sur le recrutement du 21 mars 1905, qui consacrait l'égalité de tous devant 1'« impôt du sang », principe démocratique s'il en fut, n'évoquait même pas la question du droit de vote. Il a fallu à nos militaires attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l'ordonnance du 17 août 1945 pour que les droits politiques leur soient de nouveau accordés, sans que leur soient pour autant reconnus les mêmes droits d'expression et d'activité politique qu'aux citoyens français.

Une situation qui perdure encore puisque, si l'article 3 de votre projet, reprenant les dispositions de l'article 6 du statut général des militaires, objet de la loi du 13 juillet 1972, pose comme postulat que « les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens », l'article 5, reprenant les termes de l'article 9 du statut de 1972, « interdit aux militaires en activité de service d'adhérer à des groupements ou associations à caractère politique », tout en précisant que « les militaires peuvent être candidats à toute fonction publique élective », alors même que le code électoral, dans son article L. 46, établit que « la fonction de militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, est incompatible avec les mandats qui font l'objet du titre I », à savoir députés, conseillers généraux et conseillers municipaux.

Quelques rappels sur le plan de la vie sociale.

Si le droit syndical, hors de l'entreprise, a été institué par la loi de 1884, il a fallu attendre 1968 pour qu'il ait droit de cité dans l'entreprise, avec la création de la section syndicale, et 1982 pour qu'il se concrétise enfin à travers le droit d'expression et l'obligation de négocier.

Une marche lente, bien plus lente encore que pour les droits politiques, et qui, bien évidemment, ne concerne pas encore les militaires ! L'article 6 du projet précise que « l'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire », reprenant ainsi les termes de l'article 10 du statut de 1972, selon lequel « l'existence de groupements professionnels à caractère syndical, ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».

Cette position reste d'ailleurs à préciser, dans la mesure où le code du travail comme la loi de 1901, qui donnent des définitions pourtant précises des syndicats et des associations, ignorent tout d'un « groupement professionnel militaire », comme c'était déjà le cas des « groupements professionnels à caractère syndical ».

Plus globalement, chacun voit bien que l'évolution des droits politiques et syndicaux accompagne l'évolution sociale, sociétale même. Et c'est précisément pour cette raison que devait être révisée la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, élaborée à la suite de la guerre d'Algérie, après le choc sociétal de 1968, dans le contexte d'une refonte de nos forces armées visant à les adapter aux conditions de la guerre froide.

Notre société a évolué et connu de profondes mutations. Nos armées ont également connu des évolutions importantes, dans leur format comme dans leur doctrine d'emploi, avec la suspension du service national, la professionnalisation, la multiplication des OPEX, la construction d'une défense européenne, la féminisation et l'importance accrue prise par les personnels civils et les réservistes, qui jouissent, eux, de l'ensemble des droits syndicaux et politiques.


C'est la raison pour laquelle je souhaitais exprimer mon accord sur la suppression de l'autorisation préalable, prévue à l'article 7 du statut de 1972, et sur l'application du régime de droit commun de la fonction publique, c'est-à-dire la liberté d'expression individuelle, corollaire de la liberté de pensée, moyennant le respect d'une obligation de discrétion professionnelle, de secret professionnel, de secret défense et de réserve.

Le sens des responsabilités n'est pas moindre chez les militaires que chez les autres agents publics. Il n'est donc pas admissible de poser à leur liberté d'expression d'autres limites que celles qu'impose le droit commun de la fonction publique.

Je suis favorable à la suppression de la possibilité jusque-là offerte au commandement, par l'article 8, d'interdire certaines publications dans les enceintes militaires, disposition, dans les faits, tombée d'elle-même en désuétude et dont le développement des NTIC rendait la portée et l'applicabilité plus qu'illusoires.

Je suis d'accord avec un certain nombre d'autres dispositions, telles que la suppression de l'autorisation préalable de mariage avec un conjoint étranger, la suppression, sauf pour les militaires de la gendarmerie, de l'incompatibilité de l'état militaire avec les fonctions de jurés, la suppression de l'obligation de déclaration de la profession du conjoint, ou encore la suppression de l'obligation de déclarer la prise de responsabilités dans une association.

En revanche, je suis beaucoup plus réservé - ou, tout au moins, je m'interroge - sur d'autres dispositions, tel le maintien de l'interdiction pour un militaire en activité de constituer des groupements à caractère syndical ou d'adhérer à une organisation professionnelle ou à un parti politique, ou d'exercer un mandat électif.

Il vaudrait mieux, de mon point de vue, organiser ces évolutions plutôt que de les subir, parce que les limites des instances de concertation actuelles, s'agissant notamment des droits de représentation, ont été, à plusieurs reprises, démontrées, qu'il s'agisse des manifestations publiques des unités de l'armée de terre, en France comme en Allemagne dans les années 70, ou des manifestations de gendarmes, pourtant non syndiqués, avec véhicules, matériels, uniformes et même parfois armes de services, en 2001. Les modifications proposées dans votre texte, même si elles constituent des avancées, ne me semblent pas répondre sur ce point complètement aux besoins.

À vouloir, une fois de plus, clore ce débat avant même de l'avoir réellement ouvert, on court le risque de voir se développer des corporatismes qui pourraient constituer, à terme, une véritable difficulté pour le commandement.

Une première étape pourrait être, dans la continuité des premiers pas déjà réalisés par la gauche en 2000 et 2001, avec l'élection des présidents de catégories par leurs pairs, de renoncer à tout tirage au sort, pour ne retenir que l'élection pour la composition des instances comme pour celle de leur présidence et de leur bureau, maître de leur ordre du jour. On pourrait aller au-delà de l'instauration d'un Haut comité d'évaluation de la condition militaire, proposée par notre commission, en écho à la proposition de la commission Denoix de Saint Marc, et mettre en place une instance de médiation, qui ne ferait pas concurrence aux instances représentatives, mais à laquelle les militaires pourraient s'adresser et qui aurait droit de regard sur les CFM et CSFM. Mais le simple fait de renoncer au tirage au sort, et de ne retenir que l'élection, renvoie bien évidemment au débat sur la capacité même d'organisation.

L'interdiction d'adhérer à un parti politique me semble avoir été suffisamment détournée pour que, là encore, on envisage sérieusement de revenir au principe de réalité, en alignant les droits des militaires en activité sur la règle applicable dans la fonction publique d'État, sous réserve que les militaires conservent, en service, la neutralité de rigueur. Notre loi fondamentale - la Constitution de notre République - ne reconnaît-elle pas elle-même les partis en affirmant qu'« ils concourent à l'expression des suffrages » ? Alors, comment des citoyens disposant du droit de vote pourraient-ils, fussent-ils militaires en activité, être privés de ce droit personnel, de caractère privé, en principe sans incidence sur leur comportement dans le service ?

Il m'aurait semblé également utile, à travers le nouveau statut, de revenir sur l'interdiction de fait d'exercer une fonction élective en raison de l'obligation dans laquelle se trouve actuellement le militaire en activité de se placer en position de service détaché, c'est-à-dire sans solde, pour l'exercice de tout mandat pour lequel il serait élu, ce qui est, vous en conviendrez, plutôt rédhibitoire, notamment pour les mandats locaux. Cela pourrait être fait en tenant compte, là encore, de la spécificité de la fonction militaire, ce qui peut naturellement conduire à diverses restrictions ou exclusions, comme c'est déjà le cas pour certains autres corps de la fonction publique d'État.

Voilà, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les quelques réflexions que je souhaitais exprimer avec conviction, alors que nous engageons le débat sur le projet de loi relatif au statut général des militaires, qui vise à modifier la loi du 13 juillet 1972, amendée par la loi du 30 octobre 1975, partie intégrante de la grande réforme de la défense de la France, voulue dès 1960 et entreprise par le général de Gaulle après la fin de la guerre d'Algérie, et qui pérennise, depuis trente ans, le cadre juridique de 1' « identité militaire française ».

Je forme le vœu que nos débats nous permettent de progresser ensemble et de décider utilement, pour accompagner le mouvement de réforme de la société militaire, mais également, je l'espère, pour que, sans nier la « spécificité » de la fonction militaire, nous puissions sortir du « cantonnement juridique » afin que nos militaires soient pleinement citoyens en même temps que pleinement soldats.

J'ai totalement confiance dans les femmes et les hommes de nos armées, et j'attends de leur plus grande implication dans la vie sociale et politique de notre pays une meilleure prise en compte par l'ensemble de nos concitoyens des problématiques de défense, permettant ainsi de resserrer le lien armées-nation autour d'un esprit de défense partagé.

Quant à notre position finale sur ce texte, après une « abstention favorable » en commission, elle sera bien entendu fonction des avancées que nous aurons réalisées ensemble au cours de ce débat.

Mais, madame la ministre, je souhaitais vous dire, à cet instant, que nous aurons à cœur d'apporter un message positif de soutien de l'ensemble de notre assemblée à nos armées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Madame la ministre, avec ce texte vous demandez au Parlement de tirer logiquement les conséquences de la loi de 1996, qui a mis un terme à la conscription en suspendant le recours au service national et en engageant nos armées sur un modèle professionnel.

Vous m'autoriserez, d'une phrase, à indiquer à cette tribune que je m'interroge parfois sur le bien-fondé de cette professionnalisation. Par certains aspects, je regrette la fin du recours au service national. Trop souvent, me semble-t-il, nos militaires sont perçus comme des salariés effectuant une mission anodine au service du pays, trop souvent nos concitoyens ne sentent plus le vrai lien entre la nation et son armée. Je ne pouvais pas passer sous silence cette impression, partagée par bon nombre de nos concitoyens. Mais je sais, madame la ministre, combien vous êtes attachée à ce lien armée-nation. Je sais combien, en particulier avec la politique dynamique des réserves opérationnelles que vous menez, vous souhaitez plus que jamais insérer les armées dans le tissu social de notre pays.

Madame la ministre, la professionnalisation de nos armées appelait évidemment cette réforme. Vous avez travaillé sur la base des propositions de la commission Denoix de Saint Marc. Vous vous êtes donné le temps de la réflexion sur ce texte ; le Parlement a, lui aussi, disposé de temps pour réfléchir.

Je rappellerai les principaux changements présentés à notre vote.

S'agissant de la situation maritale, elle ne sera plus soumise à déclaration.

En ce qui concerne les droits civiques et politiques, même si, depuis longtemps, l'armée n'est plus la « grande muette » - les militaires disposant du droit de vote depuis plus d'un demi-siècle -, vous nous présentez des simplifications qui évitent l'hypocrisie dans laquelle bien des chefs de corps sont obligés de vivre aujourd'hui. Avec certains de mes collègues, nous vous proposerons, dans le cadre de l'article 6, d'aller un peu plus loin, en particulier en matière de participation à la vie associative, sachant qu'il me paraît ainsi indispensable, comme à l'immense majorité d'entre nous ici, de refuser l'adhésion militante et publique à un parti politique. La carrière de militaire n'est pas une carrière de la fonction publique d'État, comme toutes les autres. La neutralité des militaires dans leur mission régalienne est particulièrement essentielle.

Pour ce qui est des limites d'âge, elles prennent en compte la nécessité d'adapter nos armées aux populations qui les composent aujourd'hui.

Enfin, les protections juridiques et médicales sont renforcées.

C'est sur un aspect de ces améliorations que je voudrais insister un bref instant : celui du cadre juridique qui concerne nos militaires servant dans le cadre d'opérations extérieures. Plus que jamais, l'actualité nous montre que les troupes françaises engagées sous les couleurs nationales ou pour le compte d'institutions internationales sont confrontées à des risques juridiques post-conflit qui peuvent affecter leur capacité à remplir leur mission. L'exemple le plus caricatural - et, au demeurant, triste - est l'incapacité des troupes américaines à arrêter ou à battre le mollah Omar, au début des opérations en Afghanistan, en raison d'incertitudes juridiques pesant sur le cadre d'une telle interception. La même situation aurait pu se présenter pour les troupes de tout autre pays, et force est de constater qu'en fin de compte ce sont nos concitoyens qui sont ainsi sanctionnés, puisque, profitant de ces interrogations, un dangereux terroriste a pu ainsi rester en liberté.

Vous nous proposez, dans le cadre de l'article 17, de demander au juge de ne pas rechercher la responsabilité pénale du militaire qui, dans le respect des règles de droit international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire français, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force, lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Nous aurons l'occasion d'y revenir pendant la discussion des articles, mais ce sujet est primordial quand on voit la campagne odieuse menée de l'étranger contre nos soldats engagés en Côte d'Ivoire : il mérite que l'on s'y arrête un instant.

Vous l'avez vous-même expliqué longuement dans votre intervention liminaire, la détermination des règles juridiques applicables aux opérations extérieures sont de plus en plus difficiles à mettre clairement à jour. Si vos propositions représentent une avancée certaine en matière de protection juridique et de responsabilité pénale, je suis très dubitatif quant à la notion de droit international. Elle reste très mal définie et ne fait pas exclusivement référence à des traités ou conventions. Nous sommes bien sûr tous attachés au principe du droit international, mais de quoi s'agit-il ? Certaines définitions incluent les us et coutumes des pays qui forment la communauté internationale. Faut-il comprendre que, là ou le viol est un usage de guerre, nos soldats seraient en droit de le pratiquer ? Bien évidemment non, et, le plus souvent ledit droit international sera brandi pour menacer nos soldats engagés en opération extérieure.

Aussi, dans un souci de protection des militaires français, il me semble qu'il conviendrait d'offrir un bouclier juridique supplémentaire à nos militaires dès lors que les actions de coercition ou d'emploi de la force ont été entreprises dans le respect des règles d'engagement formulées par l'autorité dont ils dépendent. En cas de conflit entre ces règles d'engagement et les notions de droit international, il appartient, me semble-t-il, aux politiques et à la hiérarchie militaire d'en assumer les responsabilités, et non aux militaires engagés au feu.

Ces règles sont le plus souvent couvertes par le secret défense. Ainsi pourraient-elles, selon la volonté exprimée par le pouvoir politique, qui dirige les armées, être, ou non, en totalité ou partiellement, déclassifiées. Quoi qu'il en soit, la discussion sur ce sujet montrera, j'en suis certain, notre volonté collective de ne pas laisser nos militaires soumis à la seule règle de la légitime défense.

Votre texte, madame la ministre, est raisonnable et consensuel. Ce n'est pas une révolution, avez-vous dit. Mais il était nécessaire de montrer aux hommes et aux femmes qui, tous les jours, portent les couleurs de notre pays dans le cadre de missions indispensables et difficiles que le Gouvernement de la France et la représentation nationale leur donnent, au-delà des moyens financiers votés il y a quinze jours, un cadre statutaire moderne et efficace afin qu'ils puissent encore mieux accomplir leur mission au service de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les précédents orateurs ont rappelé le contexte dans lequel est présenté ce projet et décrit avec minutie son architecture. Je n'y reviendrai donc pas.

Cela étant, je souhaiterais préciser quel est l'état d'esprit de nos soldats, alors que nous commençons l'examen d'un statut qui risque de leur être appliqué, comme certains l'ont rappelé, pendant les trente prochaines années et qui correspond à une forte attente.

Dès l'an 2000, à l'occasion de notre rapport sur la professionnalisation des armées, M. Grasset et moi-même avons voulu nous faire l'écho de leurs craintes et de leurs inquiétudes. Pour ma part, j'avais particulièrement mis l'accent, à l'époque, sur le sentiment des militaires d'être mal aimés par les pouvoirs politiques et trop peu défendus par leur hiérarchie.

Aussi est-ce avec un intérêt tout particulier que les militaires et anciens militaires, avec lesquels je suis en contact, ont étudié ce projet de loi et m'ont fait part de leurs impressions. S'ils ont eu un avis plutôt favorable sur l'ensemble du texte, quelques points qui leur sont chers ont été examinés en commission et ont fait l'objet d'amendements qui vont, à mon avis, dans le bon sens. Je veux, bien évidemment, parler en premier lieu de la reconnaissance dans le texte de l'article 1er du sacrifice suprême, spécificité de ceux qui deviennent militaires et savent qu'ils peuvent perdre leur vie au combat. Les événements tragiques de Côte d'Ivoire viennent de nous le rappeler douloureusement.

La proposition de notre commission de créer, à l'article 1er, un Haut comité de la condition militaire indépendant reste le gage de la considération du monde militaire au plus haut niveau de l'État, même si je considère - mais je reviendrai sur ce point au cours de la discussion de l'article 1er - qu'il ne devrait comporter en son sein ni membres militaires, ni parlementaires, afin que la condition militaire ne soit jamais l'enjeu de luttes politiques.

L'amélioration de la concertation est nécessaire pour que l'on passe enfin d'une consultation trop souvent formelle à une véritable concertation et que l'on ne dise plus, dans les casernes comme dans les chaumières, que le Conseil supérieur de la fonction militaire n'est qu'une simple chambre d'enregistrement.

Cependant, il reste aussi à adopter des mesures qui, bien que symboliques aux yeux de certains, ont leur importance, comme la réintroduction des grades de la marine, auxquels vous me savez particulièrement attaché, madame le ministre,...

M. Gilbert Le Bris. Eh oui !

M. Charles Cova. ...ou la reconnaissance des retraités, car, si ces derniers sont écartés du statut militaire, c'est la définition même de la collectivité militaire qui s'en trouvera modifiée. Nos anciens ne méritent pas cela !


Au-delà de ces points de satisfaction, d'autres méritent d'être approfondis, car l'attente de nos soldats est forte et nous ne devons pas les décevoir.

En effet, s'il n'est pas dans les habitudes des militaires de s'adresser à leurs représentants à l'Assemblée nationale, certains d'entre eux ont cependant souhaité s'adresser à moi, en ma qualité d'ancien officier supérieur, et m'ont fait part de leurs craintes et de leurs souhaits. J'ai par ailleurs été le destinataire de lettres non signées émanant de camarades d'active souhaitant informer la représentation nationale. En accord avec votre cabinet, dont je salue ici la parfaite collaboration, des réponses ont été apportées à ceux qui signaient leur courrier.

Je vous soumettrai un amendement visant à renforcer le lien entre l'armée et la nation qui, vous le savez, madame la ministre, est fragile, en proposant la mise en place de commissions extra-municipales. Mon amendement a été rejeté en commission au motif que cela existe déjà dans certaines communes, j'y reviendrai au cours des débats.

Je présenterai également un amendement permettant à des militaires en activité d'adhérer à des associations, dans des conditions strictes. Je conviens bien volontiers qu'il ne faudrait pas qu'une association, sous couvert de bonnes intentions, soit en réalité un groupement subversif ou professionnel qui ne veut pas dire son nom. Je vous ai d'ailleurs entretenu à de nombreuses reprises, madame la ministre, de ce sujet et ma position n'a pas changé. Je reste persuadé que le nouveau statut doit, soit marquer une avancée significative sur ce point, soit que les explications que vous ne manquerez pas de nous fournir et qui de ce fait figureront au Journal officiel de la République soient sans ambiguïté sur la possibilité pour les militaires en activité qui le souhaitent d'adhérer aux associations d'anciens militaires.

Mon souhait, madame la ministre, est surtout que nous rendions au monde militaire la place qui est la sienne dans la nation, en gardant toutefois à l'esprit que ce qui était supportable pour nos soldats il y a trente ans ne l'est plus aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Léonard.

M. Jean-Louis Léonard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il aura fallu trente-deux ans pour qu'enfin l'ensemble de la représentation nationale s'intéresse de plus près à la condition de ces femmes et de ces hommes, dévoués et courageux, qui défendent les intérêts supérieurs de la nation et assurent au quotidien notre sécurité nationale ou celle de nos ressortissants, comme c'est actuellement le cas en Côte-d'Ivoire.

Je tiens ici à saluer et à remercier personnellement le chef de l'État, mais surtout vous, madame la ministre, d'avoir engagé dès 2002 une réflexion courageuse sur la place des militaires dans notre société.

Car, il faut bien le dire, l'évolution de la société, la professionnalisation de notre armée, les mutations de l'environnement géostratégique et l'échec de la loi de 1972 sont autant d'éléments incontournables qui ont rendu nécessaire la révision du statut des militaires et la prise en compte d'enjeux nouveaux comme la fidélisation du personnel militaire.

La reconnaissance des droits civils et politiques, les protections et garanties accordées aux militaires, la concertation, la gestion du personnel ont largement inspiré votre projet.

Cependant, et précisons-le d'emblée, les fondements de l'état militaire que sont l'esprit de sacrifice, la disponibilité, la neutralité, la discipline et la loyauté ne doivent surtout pas être remis en cause, et il paraît fondamental même de les réaffirmer dans ce projet de loi.

Surtout, mes chers collègues, il ne faut pas manquer l'occasion de renouveler le contrat moral entre l'État et ses militaires, de redéfinir ce lien entre l'armée et la nation, cher à notre pays, et de rétablir un climat de confiance mis à mal par la négligence coupable des gouvernements socialistes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilbert Le Bris. Est-il bien nécessaire de polémiquer ainsi ?

M. Jean Michel. En effet !

M. Jean-Louis Léonard. J'ai parlé des gouvernements, et non des collègues !

Nous devons tirer les leçons de l'échec du précédent statut, devenu obsolète, et réaffirmer la spécificité du monde militaire. J'espère que nous y parviendrons avec vous, madame la ministre.

En préambule, ce projet de loi défini les principes fondamentaux de l'état de militaire, souligne la responsabilité de l'État à leur égard, étend son champ d'application à tous les militaires, de carrière ou sous contrat notamment, et encadre le renvoi à des statuts particuliers.

Il crée aussi une commission d'évaluation qui doit rendre compte de l'évolution de la condition militaire. Et c'est sur ce point - point sur lequel je ne suis pas d'accord avec mon ami Charles Cova - que je souhaite attirer votre attention, mes chers collègues. En effet, la création de cet organisme est essentielle aux yeux du monde militaire qui souhaite sortir d'une logique corporatiste que lui imposaient les statuts de 1972.

Cet organisme, qui doit être un haut comité, n'interfère pas du tout, comme vous le craignez, mon cher collègue Cova, avec le CSFM. Il n'est en effet pas possible de parler de la condition militaire sans que l'opinion publique ne s'empare de cet avis. Il sera une sorte de baromètre des conditions d'existence financières, physiques, morales et sociales des militaires.

Dans cet esprit, la commission de la défense a repris un amendement que j'avais déposé avec mes collègues Beaulieu et Vitel, et que je vous demande bien évidemment de soutenir. Il précise que le Parlement devra être représenté au sein de ce comité. Le reste de la composition de ce comité étant fixé par décret, je vous demande, madame la ministre, de veiller au respect de la mixité souhaitée par les militaires et de nommer au sein de celui-ci aussi bien des responsables d'administration que des anciens combattants ou encore des personnalités qualifiées aux côtés des parlementaires.

Organe de concertation indépendant, ce haut comité d'évaluation de la condition militaire adressera périodiquement un rapport au Président de la République, chef des armées, et qui donnera lieu à débat devant le Parlement. Ainsi, acteurs et décideurs auront une évaluation régulière et comparative de la condition militaire et de son évolution, ce qui, je l'espère, nous permettra, cette fois-ci, de ne plus attendre trente-deux ans avant de faire évoluer les choses. Le fait d'y associer étroitement le Parlement et l'opinion publique par le débat qui s'y déroulera sera un signe fort en direction du monde militaire. Ce haut comité sera un lien supplémentaire entre la nation et son armée.

Ce texte renvoie ensuite aux droits et obligations des militaires, encadrant l'exercice des droits civils et politiques. Nous nous félicitons de voir que ces dispositions soulignent l'esprit de responsabilité du militaire et valorisent sa place au sein de la société.

Je sais que certains irresponsables argueront que le droit d'adhérer à des partis politiques ou à des groupements syndicaux notamment n'est toujours pas reconnu aux militaires, ou encore que leur liberté de circulation est restreinte. Je souhaite leur répondre que l'intérêt du service doit primer sur l'exercice de certaines libertés individuelles, mais votre discours, madame la ministre, nous a rassurés sur ce point.

Sur le chapitre de la responsabilité des militaires en opération, je souhaiterai simplement faire une remarque, comme mon collègue Jérôme Rivière, et j'espère, madame la ministre, que vous saurez en tenir compte. Je trouve regrettable qu'à l'article 17, le texte fasse seulement référence au respect des règles du droit international dont tout le monde sait qu'il n'est pas très précis et qu'il n'est pas interprété partout de la même manière. En Côte d'Ivoire, par exemple, la lecture des règles du droit international par les autorités ne correspond pas forcément à la nôtre.

Avec mes collègues Jérôme Rivière, Jean-Claude Beaulieu et Philippe Vitel, nous avons déposé un amendement permettant de relier plus étroitement le droit international et les règles d'engagement qui doivent toujours être approuvées par l'autorité dont dépend le militaire.

Je ne m'étendrai pas sur les dispositions concernant les protections et garanties qui, a priori, répondent largement aux attentes du monde militaire.

Je ferai néanmoins remarquer que pour ce qui est de la rémunération, il ne peut être admis, comme le prévoit le texte, que celle-ci soit fonction notamment des résultats individuels obtenus. En effet, valoriser la performance et le résultat de manière individuelle dans une armée où la réussite est toujours collective revient à dénaturer l'esprit même de ce texte. Cette rémunération au mérite n'est pas acceptable et n'est pas demandée par les militaires, qui préfèrent une progression de leur indice plus cohérente avec le monde civil. Si cette prime au mérite a un sens dans certaines professions où les indicateurs individuels sont objectifs, elle ne peut ici agir que contre l'esprit de solidarité qui anime notre armée. Tout au plus, pourrait-on l'imaginer pour les gendarmes dans leur rôle de police judiciaire, mais ce serait alors rapprocher dangereusement leur statut de celui de la police.

C'est dans cette logique que j'ai déposé plusieurs amendements que je vous demanderai, mes chers collègues, de bien vouloir soutenir lors de la discussion des articles.

Enfin, le texte prévoit un certain nombre de dispositions relatives aux déroulements des carrières. Cela passe notamment par une meilleure politique de recrutement, la mise en place d'un procédé de gestion des carrières ou encore l'instauration d'un dispositif d'aide au départ qui permet d'adapter la gestion des fins de carrière aux réalités.

Je pense qu'à l'avenir, madame la ministre, nous allons devoir tenir compte du régime spécial des militaires, qui servent toute une vie, avec toute leur âme, une nation, mais qui, malheureusement, n'ont pas le choix que de partir très tôt, trop tôt, de la fonction militaire.

Et que dire du décret du 18 juin 2004 sur la retraite complémentaire - non directement liée à votre projet de loi - qui prévoit de reverser les cotisations, non lors du départ à la retraite, mais à l'âge de soixante ans seulement et pour lequel rien n'a été annoncé ! Cela est inacceptable et risque de masquer les résultats très importants de votre travail. J'attends des organismes de concertation qu'ils engagent rapidement une réflexion sur ce thème pour trouver les solutions qui conviennent à tous.

Permettez-moi enfin de saluer le Gouvernement pour son esprit d'initiative et son courage, et de remercier le rapporteur et la commission pour avoir su réaliser un consensus.

Réserviste opérationnel dans la marine nationale comme mon ami Charles Cova, je suis directement concerné par l'application de ce statut.

M. Jean Michel et M. Gilbert Le Bris. Vous n'êtes pas le seul !

M. Jean-Louis Léonard. Je l'attends avec beaucoup d'impatience, même si je sais, madame la ministre, que vous préparez un dispositif spécifique pour répondre aux attentes de la réserve et valoriser cet engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Michel. Délit d'initié ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Boucheron.

M. Jean-Michel Boucheron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le métier militaire ne sera jamais un métier comme un autre. L'armée ne sera jamais un service de l'État comme les autres.

M. Jérôme Rivière. Tout à fait !

M. Jean-Michel Boucheron. Jamais on ne devra banaliser l'exercice du métier des armes.

Le militaire n'est pas un policier plus lourdement armé, et l'armée elle-même n'intervient que dans des situations de crise, où le droit international est bafoué et où l'exercice de la force est rendu nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix, c'est-à-dire au fait de rendre à des hommes et des femmes le droit de vivre, de vivre en paix.

Toute tentative de banalisation du statut de militaire ou de l'armée découlerait d'une profonde erreur d'analyse du rôle de nos forces militaires, ainsi que des conditions de leurs interventions. Il faut cependant, dans ce cadre, préserver les droits de nos soldats, qu'ils soient militaires de carrière ou engagés temporairement dans les forces.

Tout d'abord, il fallait tenir compte du changement de contexte stratégique. Le statut de 1972 liait l'imputabilité des dommages subis par les militaires à la notion de guerre. Or, le régime des opérations extérieures n'est pas un régime de guerre alors que les OPEX en présentent toutes les caractéristiques. Nous ne sommes pas non plus dans de simples opérations de maintien de l'ordre hors métropole comme le définissait le texte de 1955. Il fallait donc toiletter ce texte en étendant la protection des militaires au-delà de la stricte période de service, qui était très restrictive, à la notion de participation aux opérations. Le fait que soit élargie aux autres militaires et à leurs familles la protection de l'État dont bénéficiaient les gendarmes contre les menaces, voies de fait, injures et diffamations est aussi de nature à protéger la sécurité et la dignité des hommes qui servent la politique de la France dans des conditions extrêmement difficiles. Ces progrès étaient nécessaires et attendus. Le fait de rendre les procédures d'utilisation de la force conformes aux règles de droit international était une adaptation nécessaire à la réalité d'aujourd'hui.

Restait le toilettage des droits civiques des militaires. L'armée dans son fonctionnement interne et collectif ne peut pas être le lieu de luttes syndicales, de divisions philosophiques ou spirituelles, de joutes politiques ou de campagnes électorales. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Toute la difficulté résidait dans le fait d'étendre les droits quand c'était possible, de faciliter le dialogue interne au maximum. Il faut dire aux partisans de la syndicalisation des personnels militaires qu'aucune action syndicale n'est possible sans droit de grève. Est-on prêt à accepter cette situation dans l'armée ? La réponse est à mon avis négative. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Fromion. Bien sûr !

M. Jérôme Rivière. Tout à fait !

M. Jean Michel. Très bien !

M. Jean-Michel Boucheron. Il faut donc construire d'autres systèmes de concertation. Le maintien partiel du tirage au sort dans les désignations rend impossible les campagnes électorales, tout en rendant possible l'élection de représentants librement choisis. Par ailleurs, les procédures du CFM et du CSFM doivent être protégées, élargies et publiques. L'existence d'associations de conjoints, de retraités, d'anciens militaires, d'amicales, sont aussi des lieux utiles de réflexions, de prospectives, de propositions, qui jouent un rôle réel.

Nous souhaitons, madame la ministre, que les retraités ne soient pas exclus de l'institution militaire, qu'ils participent au CSFM et qu'ils bénéficient de la caisse de sécurité sociale militaire. L'amélioration du texte sur ce point est pour nous très importante.


Enfin, reste l'éternel débat sur les droits civiques des militaires. Vous avez à juste titre desserré l'étau qui pesait sur l'expression publique en misant sur la responsabilité de chacun. Les militaires peuvent s'exprimer, à eux de prendre la mesure des limites que sont le « confidentiel défense » et le devoir de réserve. Nous verrons à l'usage si cette ouverture est sans inconvénients. Je suis prêt à prendre le pari que oui.

La participation directe des militaires à la vie politique est un problème plus compliqué. Votre texte est très dur quant à leur éventuelle adhésion aux partis politiques. Je dois dire que personnellement cette liberté individuelle ne me dérangerait pas si elle était limitée par l'interdiction de la publicité de cet engagement. Qu'un militaire adhère à un parti politique et participe à ses travaux sans que cela apparaisse publiquement ne me paraît pas susceptible de mettre en péril l'institution ou ses missions. Mais il est évidemment impératif qu'il n'y ait pas une armée de droite, une armée de gauche, voire une armée d'extrême droite - une armée d'extrême gauche me paraissant plus improbable. (Sourires.) L'armée doit être celle de la nation tout entière et celle-ci doit la reconnaître comme telle.

Un texte n'est jamais parfait, celui-ci n'échappe pas à la règle même s'il est à la fois de prudent et moderne. Vous avez évité les deux tentations habituelles, madame la ministre, celle du verrouillage et celle de la mode qui passe. Vous aurez compris que ce texte étant un texte un de responsabilité, il pourra rencontrer notre adhésion. (Applaudissements sur tous les bancs du groupe socialiste et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme était indispensable, chacun l'a bien compris. La professionnalisation, la mixité des unités, l'évolution de la société, la diversité des modes d'engagement de nos forces - gestion des crises, interposition, opérations de maintien de la paix - impliquaient de repenser le cadre juridique dans lequel nos armées interviennent, d'autant que la multiplication des engagements sous mandat ou sous commandement international rend parfois diffuse la notion d'autorité hiérarchique. En prenant connaissance de la presse écrite et audiovisuelle, qui pourrait savoir si les forces françaises en Côte d'Ivoire agissent sous commandement national ou de l'ONU ? Et lorsqu'a été demandée la création d'une commission d'enquête sur la crise en Côte d'Ivoire, qui s'est soucié de savoir sous quel commandement nos troupes opéraient ? Personne. Cela démontre bien la confusion qui règne dans les esprits. On peut comprendre dès lors que les militaires sur place eux-mêmes s'interrogent sur les conditions dans lesquelles ils sont engagés.

Vous avez eu raison, madame la ministre, de faire en sorte que ce nouveau statut prenne en compte ces difficultés ou du moins s'en approche car il est difficile d'aller aussi loin que nous le souhaiterions. Toujours est-il que nous devons faire en sorte que les militaires bénéficient de la meilleure protection juridique possible dans le cadre des interventions qui leur sont demandées par la République.

Après une très large concertation, intelligemment menée, le projet apporte les meilleures réponses aux problèmes posés comme aux demandes formulées par les militaires. Et je tiens à vous féliciter, madame la ministre, pour la méthode que vous avez suivie. L'ouverture d'esprit dont vous avez fait preuve et cette absence de verrouillage dont parlait M. Boucheron montrent avec quelle sensibilité vous avez su aborder les difficiles problèmes liés au statut des militaires. Les travaux en commission permettront en outre d'apporter les améliorations nécessaires.

Le projet maintient certaines limitations qui paraissent insupportables aux yeux de certains collègues, compte tenu de l'image qu'ils ont du soldat-citoyen. La question des droits civils et politiques peut certes nourrir un débat théorique, mais nos concitoyens sont avant tout attachés à la neutralité de l'État et de ceux qui le servent.

M. Charles Cova. Eh oui !

M. Yves Fromion. Il suffit de voir comment l'appartenance politique supposée d'un haut fonctionnaire en place dans un département peut être perçue. Comment imaginer que se posent les mêmes questions à propos de l'armée ? Certains collègues considèrent que l'adhésion d'un militaire à un parti politique est possible dès lors qu'elle n'est pas officielle. Mais peut-on faire des partis politiques des officines opaques, aux pratiques occultes, pour des citoyens clandestins ? Je ne le crois pas. Une demi-mesure en la matière serait néfaste à l'image et à la place des militaires dans notre société.

Certains évoquent encore la participation à la vie politique des collectivités locales. Mais je rappelle que les maires élisent les sénateurs et que lors des campagnes électorales, les candidats demandent aux uns et aux autres de prendre parti. Rester en dehors du champ politique est une utopie. Méfions-nous de l'angélisme !

Enfin, s'agissant du droit syndical, imaginons ce qui aurait pu se passer en 2001 lorsque les forces armées ont été touchées par un mouvement de protestation, né du sentiment d'être ignorées de la nation, alors que, pour des raisons budgétaires, les capacités opérationnelles de nos armées ont été remises en cause. Que serait-il arrivé si dans nos casernes, dans nos quartiers, sur nos navires ou ailleurs, une contestation syndicale s'était élevée, avec toutes ses conséquences sur le commandement et la vie des unités ? Eût-il été admissible que, devant l'Assemblée nationale, des militaires viennent manifester dans le cadre de leurs organisations professionnelles ?

M. Jean Michel. Mais ils ont manifesté avec leurs véhicules !

M. Yves Fromion. Si cela s'est fait ici ou là, cher collègue, doit-on pour autant encourager de telles pratiques ? Non. Les militaires eux-mêmes ne le souhaitent pas. C'est pourquoi, mes chers collègues, nous devons nous garder d'alimenter un débat théorique. Le statut des militaires doit s'appliquer à leurs conditions de vie dans la cité. Rien ne serait pire que de créer un climat intellectuel qui ne correspondrait pas à leurs attentes. Ceux qui se sont exprimés à l'occasion des travaux de la commission n'ont pas fait figurer les droits civils et politiques, notamment syndicaux, parmi leurs revendications essentielles.

Ce projet de réforme est un texte équilibré et je vous remercie, madame la ministre, d'avoir conduit si intelligemment ses travaux préparatoires. En adoptant ce texte, nous répondrons non seulement à la demande des militaires mais aussi aux exigences de la République et de son armée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marguerite Lamour.

Mme Marguerite Lamour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de réforme du statut général des militaires va permettre de prendre en compte les évolutions sociétales qui ont marqué ces dernières décennies. Il remplacera et simplifiera le statut actuel. Certes, il ne représente pas une révolution, mais, comme vous l'avez dit lors de votre audition le 24 novembre dernier, madame le ministre, il constitue une évolution et une adaptation aux objectifs que nous nous sommes fixés pour nos armées. Le chef de l'État, qui a lancé la professionnalisation des armées en 1996, a souhaité revoir le statut des hommes et des femmes qui les composent. Cette reforme démontre, s'il en était besoin, l'intérêt constant et l'attachement que le Président de la République et vous-même portez à nos armées.

À mon sens, cette réforme du statut s'inscrit dans le droit-fil de la loi de programmation militaire 2003-2008. Votée par la majorité de notre assemblée, voilà deux ans, dès le début de la mandature, elle a permis, entre autres, de redonner confiance aux armées grâce à de nouveaux moyens matériels : ils constituaient une première urgence, compte tenu du manque d'intérêt manifesté à l'égard de la défense durant les années précédentes. Il convenait, dans un second temps, de se pencher sur l'attractivité des armées et de fidéliser les hommes et les femmes qui y servent.

Le présent projet réaffirme des principes auxquels nos militaires sont attachés, tels que la discipline, la loyauté, la neutralité et la disponibilité, mais il met également l'accent sur des prérogatives nouvelles qui répondront, je l'espère, à leurs attentes : je veux parler d'une meilleure couverture juridique et sociale, et de la possibilité d'accomplir certains actes citoyens.

Je ne développerai pas ici des arguments techniques sur les différents articles du projet mais je vous livrerai l'impression générale que j'en retiens.

Comme chacun dans cet hémicycle, je suis très attachée à nos quatre armées. Cependant, vous comprendrez aisément, madame le ministre, qu'en ma qualité de députée de Brest, et qui plus est de la partie la plus navale de cette ville historiquement vouée à la marine depuis Colbert, que j'accorde une attention particulière au statut des marins et, plus précisément, car ils y ont beaucoup insisté, au maintien des appellations de leur grade. Tel est le sens des amendements à l'article 19 que j'ai cosignés. Ces appellations, qui figurent dans le statut de juillet 1972, devraient faire l'objet d'un décret pris en application de cette nouvelle loi. Mais ne pas faire droit à leur demande serait, j'en suis certaine, faire offense à ces hommes et ces femmes qui donnent et qui ont donné, au même titre que ceux des trois autres armées d'ailleurs, le meilleur d'eux-mêmes et parfois leur vie pour notre patrie.

Pour conclure, madame la ministre, permettez-moi de vous dire ma satisfaction : ce projet est l'expression de la nécessaire modernisation qui correspond aux armées du XXIe siècle. Les amendements que nous lui apporterons enrichiront son contenu. Grâce à ce texte, vous confirmerez l'une des priorités de ce gouvernement : doter notre défense nationale des moyens humains et matériels adaptés pour qu'elle retrouve au plus vite la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter sur la scène internationale. Soyez-en remerciée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Le Bris.


M. Gilbert Le Bris
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Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les militaires sont extravertis : ils pensent à leurs missions, aux relations avec leurs supérieurs ou leurs subordonnés, à l'environnement humain dans lequel ils évoluent. Ils ne sont pas introvertis et pensent relativement peu à leur statut, à leurs états d'âme ou à leurs éventuelles insatisfactions.

M. Jean Michel. Sauf les gendarmes !

M. Gilbert Le Bris. Ce sont des femmes et des hommes de devoirs, non de droits. Alors que l'on reproche parfois à certains civils de penser plus à leurs droits qu'à leurs devoirs, les militaires représentent souvent des exemples à suivre par la conscience, l'engagement, l'implication avec lesquels ils font leur travail.

M. Jérôme Rivière. C'est vrai !

M. Gilbert Le Bris. Mais cet état d'esprit aboutit souvent à la constatation que nous avons pu faire, et récemment encore, par nos visites et nos auditions, à savoir que les militaires, dans leur grande majorité, sont peu informés et se préoccupent finalement assez peu de leur statut.

Raison de plus pour que la représentation nationale accorde tout son intérêt à définir précisément et intelligemment le statut des militaires, qui ont, en effet, un statut spécial dans notre société. Aux Etats-Unis, par exemple, on les appelle même government issue - GI - pour rappeler leur place à part dans les institutions.

Il fallait donc réviser ce statut de 1972 dans ses aspects les plus obsolètes. Professionnalisation, féminisation, nouvelles missions, imprégnation sociétale étaient passées par là. D'ailleurs, il faudrait que ce statut, sans perdre de sa lisibilité ni de ses fondamentaux, fasse l'objet de révisions plus périodiques, pour ne pas laisser se creuser un écart trop important avec l'évolution globale de la société et celle des nouvelles recrues. Car c'est bien avec des civils que l'on fait des militaires, et s'ils doivent bien sûr s'adapter au cadre, à la structure qui les accueille, ils ne manquent pas d'y apporter l'état d'esprit de l'époque, avec ses qualités et ses défauts, ses avantages et ses inconvénients, bref sa réalité.

Ce projet représente une évolution positive à bien des égards. Il a d'ailleurs été utilement amendé en commission et l'on ne peut qu'approuver les modifications proposées à l'article 19 sur la hiérarchie militaire générale, car la disparition des grades de la marine constituerait non seulement une erreur, mais également une faute juridique, historique et psychologique.

M. Jean-Louis Bernard. Une provocation !

M. Gilbert Le Bris. J'apprécie aussi la disposition qui vise à réintroduire la position « en retraite » qui figurait à l'article 52 du statut de 1972 et qui avait disparu de l'article 45 du présent projet.

Tout cela m'incite à penser que l'on a modernisé le logiciel « statut des militaires », mais qu'il est peut-être déjà insuffisant dans certains domaines par rapport à ce qu'est notre société mais aussi par rapport à ce qui se fait ailleurs et particulièrement en Europe, alors même que nous cherchons un rapprochement pour une défense commune.

Certes, le métier des armes n'est pas un métier comme les autres. Il est fait de contraintes particulières et justifiées : la disponibilité, qui écarte bien sûr le droit de grève et de manifestation, la discipline et la loyauté, bien évidemment, ce qui implique la neutralité politique dans le service.

Mais si l'on veut éviter la syndicalisation dans les armées, il faut soigner la concertation. Celle-ci existe depuis 1969 en complément du rôle traditionnel du commandement de représenter et défendre les intérêts des soldats. Pourtant, force est de constater que les militaires ont un discours critique sur le déroulement et les résultats de la concertation. Puisque le métier est spécial, qu'il suscite un investissement humain profond, l'écoute, la réactivité et le dialogue doivent être proportionnels au dévouement requis. Les militaires ne peuvent pas se contenter d'un échange de monologues avec l'administration. Nous le savons aujourd'hui, même le respect de la discipline est amélioré par le dialogue. La concertation est donc légitime, indispensable, mais surtout elle doit être crédible. Or, pour cela, il faut que les représentants aient une véritable légitimité et que leur immunité soit assurée, sinon, pour reprendre un mot célèbre, chacun préférera l'ennui plutôt que les ennuis.

La seule méthode pour parvenir à cet objectif est de passer totalement, franchement, par celle de l'élection à tous les niveaux et dans chaque instance de représentation, de bas en haut. À cela doit s'ajouter une certaine maîtrise de l'ordre du jour sur tout ce qui concerne la condition militaire.

Reconnaissance, garanties et salaires compétitifs sont les clés d'une bonne adaptation de l'armée aux défis du xxie siècle. Toutes les modifications du statut des militaires permettant d'incorporer ces exigences présentes chez les futures générations de soldats vont bien dans le sens d'une armée moderne et motivée par le service de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Branget.

Mme Françoise Branget. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est nous est proposé répond à une double ambition : il adapte le statut des militaires aux évolutions de la société française, tout en réaffirmant les principes intangibles garants de l'efficacité de notre armée.

Les modifications apportées sont importantes et légitimes. Elles vont conforter la place de l'armée dans la société française.

Il était devenu indispensable de revoir la loi de 1972 portant statut général du militaire, qui ne correspondait plus aux évolutions de ces trente dernières années. Je pense notamment à la mondialisation des risques terroristes, à la multiplication des interventions françaises sur la scène internationale ou encore à la professionnalisation de l'armée. J'en profite pour souligner l'efficacité avec laquelle cette professionnalisation a été réalisée. Peu d'institutions ont réussi, en un laps de temps si court, une transformation aussi profonde. Celle-ci n'aurait pas été possible si l'engagement des militaires n'avait pas été total. Il faut les en féliciter. D'ailleurs, le projet de loi que nous nous apprêtons à voter sera suivi du même volontarisme.

Après ce constat d'ordre général, permettez-moi d'appeler votre attention sur trois points.

Le premier concerne les restrictions de liberté. Il faut reconnaître que ce texte constitue plus un « changement dans la continuité » qu'une rupture avec le statut de 1972. Mais compte tenu des exigences de loyauté, de neutralité et de discipline de l'armée, il est important que cette réforme soit menée selon les principes élémentaires conditionnant l'efficacité des militaires.

Ainsi, les restrictions relatives à la liberté d'opinion et de croyance sont inchangées : elles sont libres, mais ne peuvent être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire.

L'interdiction d'adhérer à un groupement politique ou de recourir au droit de grève est également maintenue pour assurer, en tout temps et en toutes circonstances, la sécurité du territoire, de la population et des intérêts vitaux de la France. En vertu des principes fondamentaux de l'état militaire, l'interdiction d'adhérer à un syndicat comme de créer des associations professionnelles reste également intangible. Cette mesure est d'ailleurs soutenue par une grande majorité des militaires, soucieux d'éviter les problèmes de commandement des armées syndiquées.

L'autorité militaire peut également contrôler les moyens personnels de communication et d'information comme le téléphone portable ou internet. Il s'agit moins de restreindre les libertés individuelles que de garantir le caractère opérationnel des forces et de protéger les militaires d'éventuelles indiscrétions.

Toutes ces mesures restrictives sont certes un poids dans l'exercice quotidien des fonctions de militaire, mais un poids garant et indispensable au bon fonctionnement et à l'unité de notre armée. Tout militaire qui s'engage en est conscient. Ces exigences et ces sujétions méritent d'ailleurs le respect des citoyens et la considération de la nation. Pour autant, le projet de loi a su réformer avec lucidité de nombreux archaïsmes en prenant en compte les évolutions de ces trente dernières années. De ce fait, ce nouveau statut est tout sauf un statu quo.

Deuxièmement, dans le cadre national, le texte favorise une participation accrue des militaires à la vie de la cité. La liberté d'information est élargie en supprimant l'interdiction d'introduire certaines publications dans les enceintes de l'armée. Cette restriction n'était plus compatible avec les moyens modernes de communication ni avec la liberté d'opinion.

Le droit d'expression est également étendu. L'autorisation préalable nécessaire aux militaires avant de s'exprimer sur des sujets politiques ou internationaux est supprimée. Leur esprit de responsabilité est ainsi valorisé tout comme leur place au sein de la société. Des dispositions sont également prises pour participer plus facilement aux activités d'associations, secteur ô combien dynamique dans notre pays.

Les militaires pourront ainsi prendre des responsabilités au sein de ces associations sans pour autant en rendre compte à leurs supérieurs comme c'était le cas jusqu'à présent. Ce changement est essentiel afin de mieux intégrer le militaire dans la vie culturelle, sportive ou sociale de la collectivité. L'image d'une armée proche des citoyens est, il est vrai, un atout majeur.

Cette proximité se retrouve aussi dans les nouvelles dispositions de détachement des militaires auprès d'administrations ou d'entreprises. Leur rémunération et leur couverture juridique et médico-sociale sont plus avantageuses, ce qui favorise les échanges d'expériences liées au détachement. Cette disposition s'intègre dans la volonté plus générale de rapprocher le statut militaire de celui des autres agents de l'État. Il s'agit ici d'un des grands mérites de ce projet de loi.

Troisièmement, je souhaite évoquer la prise en compte de la dimension internationale des actions de notre armée.

Il est indéniable que notre capacité militaire est une des toutes premières au monde. Chaque fois qu'il faut faire appel à des forces armées pour une crise grave, la France fait partie du cercle restreint des nations sollicitées par les autorités internationales. Or les militaires qui doivent parfois employer la force au-delà de la légitime défense, comme les y autorise le mandat international, doivent également respecter la loi pénale de leur État. Une telle situation peut très vite entraîner une insécurité juridique pour le soldat. C'est pourquoi le projet prévoit qu'un militaire n'est pas pénalement responsable lorsqu'il fait usage de la force armée dans le respect du droit international et lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de la mission.

Pour assurer une meilleure couverture sociale des militaires, le projet de loi étend l'imputabilité des blessures au service lors d'opérations extérieures.

Pour conclure, je dirai que le texte répond aux objectifs fixés. Il confirme que le militaire n'a pas que des devoirs mais qu'il a aussi des droits. Il garantit la neutralité des armées, tout en libéralisant les règles chaque fois que les exigences du métier de militaire le permettent.

Le seul point d'ombre concerne la situation des militaires sous contrat. En quittant les armées sans avoir atteint les quinze années de service exigées pour prétendre à une pension de retraite, ils ne peuvent pas voir prises en compte les bonifications auxquelles ils devraient avoir droit. Mais je crois, madame la ministre, que vous négociez actuellement avec Bercy pour régler cette injustice.

Enfin, je tiens ici à saluer le courage et le dévouement de nos soldats. J'ai une pensée toute particulière pour les familles des militaires français morts dans un raid ivoirien, ainsi que pour les personnels de la 7e brigade blindée de Besançon, comprenant le 19e régiment de génie et le 35e régiment d'infanterie, dont trois compagnies sont actuellement en Côte d'Ivoire. Le respect et la confiance que les citoyens leur témoignent sont amplement mérités. Ils peuvent en être fiers, et je leur exprime toute ma reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de la défense. Monsieur le président, je tiens à remercier le président et rapporteur, M. Teissier, les membres de la commission de la défense qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que l'ensemble des oratrices et orateurs qui se sont succédé à la tribune. Vous avez, les uns et les autres, su rappeler le rôle essentiel de nos militaires et exprimé votre soutien à leurs actions. Un consensus s'est dégagé sur la nécessité de concilier la modernisation du statut et le respect des contraintes inhérentes aux opérations militaires, même si des divergences d'appréciation ont pu s'exprimer sur la manière d'assurer cet équilibre.


S'agissant de la méthode retenue, je voudrais que les militaires fassent leur ce statut. Il ne faut pas qu'il leur soit imposé ; ils doivent avoir le sentiment qu'il leur appartient, qu'il exprime leurs aspirations et l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes. De même, ce statut doit être compris d'eux car, sinon, ils ne pourront pas se l'approprier. Tels sont les principes qui nous ont guidés jusqu'à présent, et qui doivent continuer à guider le travail que nous allons accomplir ensemble.

La concertation a été menée tout au long du processus d'élaboration. Elle était nécessaire. M. Le Bris a rappelé plusieurs éléments de la réforme que nous avons essayé de mettre en place. À ce propos, je remercie tout particulièrement le président Teissier et les différents orateurs qui ont eux-mêmes été les artisans de cette concertation en engageant avec les militaires un dialogue propre à nous éclairer sur ce qu'ils éprouvaient et à leur montrer qu'ils étaient associés à la réflexion. D'autres orateurs, dans le cadre de leurs fonctions passées ou présentes de réservistes, ont eu la même démarche.

Outre la concertation, ce texte recherche la clarté. Nous avons essayé d'y contribuer en regroupant vingt textes en un seul et 400 articles en cent. Pour ce faire, il nous a fallu - et les parlementaires savent bien qu'il s'agit d'une tâche très lourde - distinguer entre ce qui relève de la loi et ce qui ressortit au règlement, ce qui nous a conduits à renvoyer au règlement plusieurs dispositions, M. Hugon et Mme Lamour notamment l'ont signalé. Je le répète, il est important que le texte soit clair et compréhensible par tous.

De même, il faut éviter les répétitions. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements. C'est pourquoi nous nous sommes attachés, lorsqu'il existait déjà des solutions, à ne pas créer de nouveaux dispositifs. Sans entrer dans le détail, c'est cette raison qui m'a poussée à écarter l'idée du congé d'éducation. On peut répondre à ce besoin autrement, en se référant à des textes en vigueur ou à des pratiques existantes.

Parce que je souhaite également que ce texte entre rapidement en vigueur, j'ai demandé aux services juridiques du ministère, sous réserve, bien entendu, des amendements qui seront votés ici ou au Sénat, de préparer d'ores et déjà les décrets d'application. Il me paraît très important que l'application d'un texte aussi fondamental ne reste pas suspendue à des décrets qui ne viennent pas. Sachez donc que je chercherai à aller le plus vite possible, quitte à bousculer un peu mes collègues dans le cadre des concertations interministérielles, car c'est souvent une source de ralentissement.

Pour en venir au fond, c'est-à-dire à la discussion des articles, j'accueillerai l'ensemble des amendements qui ont été déposés dans un esprit d'ouverture dès lors que les grands équilibres entre la nécessaire modernité et les principes fondamentaux de la vie militaire seront respectés, car je crois que nous partageons tous la volonté de parvenir au meilleur texte possible.

Nous avons essayé dans toute la mesure du possible de nous rapprocher du statut de la fonction publique. Toutefois, comme l'a rappelé M. Boucheron, les militaires ne sont pas des fonctionnaires comme les autres. Par conséquent, nous nous heurtons sur certains points à des spécificités qui nous empêchent de parvenir à un parallélisme parfait. Ce ne serait pas servir la modernité que de vouloir à tout prix s'aligner sur ce qui se fait ailleurs, sans tenir compte des missions particulières des militaires.

La discussion nous permettra aussi sans doute de lever certains malentendus, notamment sur la place des retraités et sur la considération que nous leur portons. J'aurai donc l'occasion de m'en expliquer auprès de MM. Boucheron, Brunhes, Cova et Hillmeyer. Il en va de même pour les retraites. Les retraités ne sont pas au cœur du texte parce que beaucoup de dispositions les concernant sont obsolètes et que d'autres n'ont pas de raison de figurer dans ce texte.

Pour les réserves, c'est pareil. Il y aura dans les tout prochains mois, en tout cas avant le mois de juillet prochain, monsieur Hillmeyer, un texte sur les réserves.

M. Jean-Louis Léonard. J'espère bien !

Mme la ministre de la défense. Vous craignez un report du texte. Mais, pour me connaître, vous devez savoir que quand je veux qu'un texte passe, il passe, et je vous le prouve aujourd'hui même ! L'examen de celui-ci n'était pas évident il y encore peu de temps.

La question des appellations, notamment dans la marine, relève du même malentendu, monsieur Cova, monsieur Brunhes et madame Lamour.

De la même façon, la discussion des articles permettra de préciser le rôle du Haut comité d'évaluation évoqué par M. Léonard et M. Viollet, d'expliquer que sa composition en découle et de définir ses rapports avec le Président de la République et le Parlement.

En définitive, il est important de travailler encore sur le fond. Nous ne réglerons sans doute pas tout, mais je souhaite, au-delà du travail de ce soir et de demain, que nous poursuivions ensemble notre réflexion sur différents sujets qui ont été évoqués, sans forcément déboucher sur un texte. Je pense en particulier au domaine juridique évoqué par M. Rivière et M. Fromion et dans lequel les difficultés sont considérables, en particulier s'agissant de certains qualifications juridiques qui ne relèvent pas seulement de la loi française. Nous en parlerons certainement, mais il est probable que notre discussion ne sera que le prélude d'une autre à venir car je doute que nous puissions trouver La bonne solution au cours de l'examen de ce texte.

En tout état de cause, je vous remercie les unes et les autres, les uns et les autres, pour votre contribution au débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je rappelle aux membres de la commission de la défense que leur commission se réunit immédiatement pour examiner les amendements déposés postérieurement à sa dernière réunion.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1741, relatif au statut général des militaires :

Rapport, n° 1969, de M. Guy Teissier, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot