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Deuxième séance du mardi 1er mars 2005

160e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.)

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DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE LA COUR
DES COMPTES

M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Mesdames, messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le premier président de la Cour des comptes...

Monsieur le premier président de la Cour des comptes, je suis particulièrement heureux de vous accueillir dans cette assemblée, que vous avez eu l'honneur de présider. La longue expérience parlementaire que vous mettez au service de vos fonctions actuelles ne peut qu'inciter notre assemblée à une écoute attentive des conclusions, mais aussi des propositions que votre haute juridiction émet sur la dépense et les comptes publics.

Je crois en effet, mes chers collègues, que nos concitoyens attendent du Parlement qu'il assure la transparence du budget de l'État - et ce n'est pas vous, monsieur le président de la commission des finances, ni vous, monsieur le rapporteur général, qui me démentirez. Mais ils souhaitent aussi qu'il garantisse la meilleure efficacité dans l'affectation des ressources que la nation y consacre, ainsi qu'un contrôle rigoureux de son exécution. La coopération entre le Parlement et la Cour des comptes, qui est appelée, je le souhaite, à se renforcer, constitue le socle naturel de cette bonne gestion.

La parole est à M. le premier président de la Cour des comptes. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, en application de l'article 136-1 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis ce matin à M. le Président de la République et que je viens de commenter devant le Sénat.

En me présentant ainsi devant la représentation nationale, je me conforme à une tradition qui remonte à l'année 1832. C'est à cette date, en effet, que le rapport public, jusqu'alors réservé à l'Empereur, puis au Roi, devint accessible aux parlementaires. Il faudra encore attendre plus d'un siècle et la veille de la deuxième guerre mondiale pour qu'on autorise enfin sa lecture aux citoyens.

Aujourd'hui, près de sept décennies plus tard, le rapport public n'est plus la seule publication de la Cour. En effet, outre ses communications sur l'exécution de la loi de finances et sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, bien connues de votre assemblée, la Cour fait connaître certaines de ses observations par la voie de rapports publics particuliers. Ainsi elle a consacré au cours des trois derniers mois des rapports thématiques à l'accueil des immigrants et à l'intégration des populations issues de l'immigration, au « maintien en condition opérationnelle des matériels des armées », et enfin au « démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets ».

Près d'une dizaine d'autres rapports publics particuliers sont en ce moment même en cours d'élaboration et vous seront transmis, pour la plupart, dès cette année ; ils témoigneront de la diversité des interventions de la Cour et de ce qu'elle me paraît pouvoir apporter en termes de contribution à l'amélioration de l'efficience de la gestion publique et d'appréciation de l'efficacité des politiques conduites.

S'agissant enfin du contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, je ne saurais omettre de signaler qu'au cours des douze derniers mois la Cour a également publié des rapports sur le Comité français pour l'UNICEF, sur l'Association française contre les myopathies et, il y a quelques jours à peine, sur l'Association pour la recherche contre le cancer. Elle s'apprête par ailleurs à procéder aux vérifications qui déboucheront sur un bilan public de l'utilisation des fonds recueillis en France à la suite de la catastrophe du sud-est asiatique. Ce rapport, élaboré au plan national, sera complété par un autre, de portée internationale, qu'elle publiera parallèlement en sa qualité de commissaire aux comptes de l'Organisation des Nations Unies. C'est assez dire, mesdames, messieurs les députés, combien les communications de la Cour se sont multipliées au cours des dernières années.

Pour autant, nous entendons conserver au rapport public annuel toute sa spécificité, toute sa singularité. Bien loin qu'il soit vidé de son sens par la croissance du nombre des autres publications, nous nous attachons à le faire évoluer pour qu'il ne cesse de constituer, à la fois un relevé des activités de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, un inventaire des observations les plus significatives et les plus exemplaires auxquelles elles ont pu procéder, et enfin un état des suites qui leur sont réservées.

Les deux volumes du rapport qui vous est remis y contribuent, chacun à sa manière.

Le rapport d'activité, publié depuis quatre ans dans un fascicule distinct, est le moyen de rendre compte de notre activité, et de répondre à une obligation de transparence, à laquelle les juridictions financières souscrivent d'autant plus que c'est pour elles le moyen de faire connaître l'efficacité de leurs interventions.

L'absence de suites aux interventions de la Cour est en effet une légende qui n'a que trop duré. Peut-être la Cour et les chambres régionales sont-elles trop modestes pour revendiquer la paternité de réformes intervenues après leur passage ? Peut-être retient-on plus l'anecdote que les réformes de fond auxquelles la Cour et les chambres régionales ont contribué ? Toujours est-il que, contrairement aux idées reçues, nombre de nos contrôles produisent des effets tangibles. L'actualité même en offre la démonstration : les péripéties diverses qu'affronte actuellement telle fédération sportive doivent beaucoup à la Cour. De même, le redressement de telle association de lutte contre le cancer n'aurait pas été possible sans l'intervention, il y a quelques années, de notre juridiction.

Vous trouverez dans le rapport d'activité d'autres illustrations des résultats obtenus. Ils sont loin d'être négligeables, si l'on considère, par exemple, la réforme entreprise par la protection judiciaire de la jeunesse après le contrôle de la Cour en 2003, ou les modifications significatives que nombre de collectivités territoriales ont dû opérer dans leur rapport avec leurs délégataires de service public, après les contrôles des chambres régionales des comptes.

Quant au contenu du deuxième volume, sans avoir peut-être le caractère exhaustif de jadis, il ne se limite pas non plus à un propos d'ambiance. Il permet, à partir de quelques exemples significatifs, de prendre la mesure de ce qu'est la gestion publique, de l'écart qui peut la séparer de ce qu'elle devrait être, ou encore d'en retracer les évolutions, d'en évaluer les excès ou les insuffisances, au regard notamment des observations que nous avons pu formuler précédemment.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, tant ses nouvelles publications que le nouveau contenu du rapport public attestent que la Cour ne cesse de s'adapter aux évolutions de son environnement, caractérisées en particulier, depuis plus de dix ans, par un renforcement progressif et continu de sa contribution à l'information du Parlement. Ce renforcement, à l'initiative duquel, avec le premier président de l'époque, Pierre Joxe, je m'honore d'avoir pris ma part dans une vie antérieure, a été confirmé, amplifié et approfondi par la loi organique relative aux lois de finances.

Ainsi la Cour participe-t-elle d'ores et déjà, à l'Assemblée nationale, aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle, la MEC, créée par votre commission des finances, et à ceux, plus récents, de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, mise en place par votre commission chargée des affaires sociales. Elle s'efforce par ailleurs de répondre dans les meilleures conditions aux demandes d'enquête qui sont formulées par la commission des finances au titre de l'article 58-2 de la LOLF.

Enfin, ses référés font désormais l'objet, dans les conditions prescrites par la loi, de communications systématiques aux commissions des finances des deux assemblées.

Sans doute faudra-t-il aller plus loin encore si l'on veut être certain de disposer des meilleurs moyens d'apprécier la performance réelle des administrations et d'optimiser l'usage qui est fait de ce bien rare qu'est l'argent public.

Je demanderai ainsi à la Cour de mieux exprimer encore ses recommandations et préconisations, afin de faciliter les suites qui leur seraient réservées par l'exécutif ou, à défaut, pour mettre le Parlement davantage en mesure d'en pointer l'absence et d'en évaluer les conséquences.

Peut-être faudra-t-il également veiller à ce que l'ensemble de ces propositions soit connu du Parlement. Si l'on ne devait pas souhaiter une communication plus rapide des référés aux deux assemblées, du moins pourrait-on envisager que leur soit transmise trimestriellement une synthèse des propositions qu'y formule la Cour, ce qui faciliterait leur exploitation plus rapide.

Mais les principales implications du nouveau contexte que je viens d'évoquer restent probablement encore à venir.

Demain, on le sait, la Cour assumera à l'attention du Parlement la tâche nouvelle de certification des comptes de l'État. Elle jouera par ailleurs, avec les chambres régionales des comptes, un rôle majeur dans le processus de l'évaluation de la performance des politiques publiques. Il reviendra ainsi aux juridictions financières d'être les garantes d'une mise en œuvre satisfaisante de la LOLF, dont le législateur a souhaité qu'elles soient l'un des rouages essentiels.

Car ne nous y trompons pas : rien n'ira de soi dans le jugement de la performance, qui ne pourra évidemment pas reposer sur les seules données chiffrées. Un complément d'appréciation d'ordre qualitatif sera indispensable. Les Anglo-saxons l'ont d'ailleurs bien compris, puisqu'ils ont souvent abandonné l'approche par les indicateurs, en faveur de celle fondée sur les mesures de performances, qui permet à la fois une évaluation quantitative et qualitative plus conforme à la réalité multiforme et évolutive de l'action publique. Ce complément d'ordre qualitatif, il reviendra notamment à la Cour de l'apporter. Mais il n'y aura pas que cela.

La Cour devra être ainsi, non seulement autorisée, mais expressément invitée à formuler des propositions de réforme de la LOLF, dont ce serait une erreur de la considérer comme un monument intangible. (M. Michel Bouvard applaudit.)

Ainsi je ne suis ni le premier, ni le dernier à souligner que la France est probablement le seul pays à présenter la totalité des dépenses de l'État sous la forme de programmes, alors même qu'on peut se demander si toutes les formes de l'action publique peuvent y trouver systématiquement leur traduction.

Il est ainsi probable que nous découvrirons rapidement le danger qu'il y aurait à rester prisonnier de tel programme qui serait considéré comme complet et immuable, alors que les actions, par nature, changent en fonction des décisions des pouvoirs publics. Il faudra pour le moins accepter que la gestion par programme soit appliquée avec souplesse et pragmatisme, en attachant davantage d'importance à l'esprit général du programme plutôt qu'à son contenu, et, si cela ne suffit pas, avoir le courage de procéder aux changements qui s'avéreraient nécessaires.

La réussite de la LOLF constitue un enjeu trop important en termes de renforcement de la démocratie parlementaire, de transparence et de responsabilité des gestionnaires dans l'usage de l'argent public, pour que toutes les chances de réussite ne soient pas réunies. Vous aurez compris que les juridictions financières sont résolues à tout mettre en œuvre pour qu'il en soit ainsi.

Mais vous ne serez pas surpris, j'imagine, de m'entendre dire que, pour qu'elles puissent agir avec une totale impartialité et efficacité, il est indispensable de reconsidérer la place qui leur est faite.

Bref, il s'agit de tirer toutes les conséquences du choix qui a été fait par notre pays de ne retenir aucun des modèles habituels de positionnement de l'institution supérieure de contrôle, à savoir son rattachement à l'exécutif ou au législatif. Certes le choix ainsi opéré en 1958 par le constituant était implicite. Et sans doute cela peut-il expliquer qu'il ait fallu attendre les années 1990 pour que le Parlement et la Cour en tirent les premières conséquences concrètes, et 2001 pour que le Conseil constitutionnel pose clairement le principe de l'équidistance de la Cour par rapport au Gouvernement et au Parlement, que, selon nous, la logique de la LOLF a parallèlement rendu incontournable.

Dans ces conditions, il m'est vite apparu que la présence des juridictions financières dans un programme rattaché à une mission du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - comme à tout autre élément de l'exécutif d'ailleurs - était difficilement défendable. La Cour, avec le renfort du Conseil d'État, a donc formulé un certain nombre de suggestions pour que son positionnement soit remis en conformité avec les principes que j'ai rappelés. L'affaire est d'importance : ce sont la clarté, la qualité et la pérennité des rapports du Parlement et de la Cour qui sont en question.

Nous avons été sensibles à l'écoute de la commission des finances de l'Assemblée. Grâce à elle l'idée se fait jour d'un rattachement des programmes de la Cour et du Conseil d'État à une mission spécifique de conseil ou d'appui des pouvoirs publics, qui pourrait également inclure le Conseil économique et social. L'exercice du contrôle financier, l'exonération des crédits et la régulation budgétaire feraient ainsi l'objet d'un traitement adapté.

C'est une formule à laquelle nous pouvons souscrire, sous réserve que nul rattachement ne mette en cause notre double référence à l'exécutif et au législatif, et dès lors que les chambres des comptes pourraient nous accompagner.

C'est en effet la spécificité des juridictions financières de former un tout indissociable, comme en témoignent les nombreuses missions d'évaluation conjointes des politiques publiques appelées à se développer encore après la loi du 13 août 2004 sur les libertés et responsabilités locales.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les treize insertions du présent rapport public ne tiennent pas de ce qu'on dénomme communément l'épinglage. Elles ne se veulent pas un tableau de chasse. Mais elles sont une contribution, parmi d'autres, à l'effort national de bon usage de la ressource publique.

Il s'agit d'abord d'appréciation du suivi réservé à des observations antérieures. Ainsi en va-t-il de la « refondation indemnitaire ». Les ministères concernés, ayant pris en compte les recommandations faites par la Cour en 1999, ont procédé à une régularisation juridique des dispositifs en cause. Mais cette réforme paraît essentiellement formelle, et l'on peut déplorer que l'objectif de motivation des personnels et de rénovation de la gestion publique, affiché par les pouvoirs publics, ne l'ait pas davantage inspirée. L'opération de désamiantage du campus de Jussieu appelle des critiques analogues. Malgré les préconisations faites en 1999 par la Cour, cette opération particulièrement complexe a été menée sans la coordination indispensable qui aurait évité la dérive des délais et des coûts.

Il s'agit encore de démontrer que la Cour n'intervient pas seulement pour blâmer, mais parfois aussi pour souligner les progrès accomplis et l'amélioration de la gestion publique. La construction progressive du service public de la transfusion sanguine ou la rationalisation de l'organisation financière de France Télévisions, dans le cadre d'une holding que la Cour avait appelée de ses vœux, en constituent deux bons exemples.

Il s'agit aussi, de manière plus classique, d'alerter sur des gestions défaillantes.

C'est le cas en particulier des opérations immobilières du ministère des affaires étrangères, qui révèle une situation critique, caractérisée par des incohérences nombreuses et un défaut de pilotage patent, sources de surcoûts, de retards dans les réalisations et, au final, d'une efficacité largement insuffisante. Il est urgent que ce ministère professionnalise la gestion de son patrimoine. À défaut, ses projets de révision de ses implantations parisiennes, tout comme la modernisation de l'hébergement de son réseau diplomatique et consulaire, risqueraient de réserver de bien mauvaises surprises. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est aussi le cas du fonctionnement de la direction générale de la santé. Au lieu de proposer les axes d'une politique de prévention et de protection de la santé, et d'en coordonner la mise en œuvre, son efficacité est mise à mal par l'éclatement des responsabilités, le foisonnement des textes juridiques, le poids des tâches de gestion ou la succession des urgences sanitaires. Tout indique que la création d'une Haute autorité de santé ne facilitera pas le repositionnement souhaitable de ladite direction.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, aussi brièvement énoncées que possible, les quelques considérations dont je souhaitais, avec votre permission, assortir le dépôt du présent rapport public.

Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la remise du rapport public de la Cour des comptes est l'occasion d'un rendez-vous toujours attendu, surtout par la commission des finances.

C'est la première année, monsieur le premier président, que vous vous livrez à cet exercice, dans cet hémicycle que vous connaissez si bien. Et j'ai le plaisir de voir qu'il attire un nombre toujours croissant de nos collègues. Est-ce dû, cette année, à votre autorité morale,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république. Sans doute !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ...ou est-ce dû au fait que nos collègues sont de plus en plus attentifs au contrôle de la dépense publique et de plus en plus convaincus qu'il faut légiférer moins ? (« Les deux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Puisse cette conjonction se retrouver !

Je souhaite vraiment, avec Gilles Carrez, que, sous votre présidence, les bonnes relations entre la commission des finances et la Cour des comptes non seulement se poursuivent, comme l'a dit notre président, mais se renforcent. Nos deux institutions ont vraiment tout à gagner d'une coopération toujours plus approfondie. La création d'un conseil des prélèvements obligatoires et la mise en application de la LOLF manifesteront une nouvelle étape dans ces relations. On ne peut qu'être frappé de la convergence entre des contrôles menés par la commission des finances et des éléments du rapport public. Tel est le cas du rapport sur les opérations immobilières du ministère des affaires étrangères, qui a donné lieu à un contrôle sur pièces et sur place en Allemagne du rapporteur spécial Jérôme Chartier, et qui fait l'objet de développements dans le rapport. (« Excellent ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Comment ne pas souligner que cette gestion est perfectible ? Et je me félicite que la MEC ait choisi de s'attaquer à la question des cessions immobilières. Il y a tant à faire et tellement d'économies potentielles.

Je souhaite également que les travaux de la Cour ne restent pas sans écho. Monsieur le premier président, j'ai remarqué votre optimisme. Il est plus important que le nôtre : nous estimons qu'il est parfois difficile de passer de l'analyse critique à la mise en œuvre des préconisations. Très souvent, celles-ci restent sans effet, faute d'une volonté politique suffisamment forte. Et, parfois, elles se heurtent aussi au poids de l'inaction, de la complexité ou de la bureaucratie. Je prends un exemple, auquel nous sommes attentifs : l'analyse du Conseil des impôts sur les niches fiscales date de deux ans, et elle est restée sans effet.

M. Didier Migaud. Ça dépend de vous !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Il faut incontestablement, ici aussi, disposer d'une meilleure évaluation a priori, plutôt que de voter sans arrêt de nouvelles niches. Je pourrais citer un texte législatif imposant qui en a encore accru le nombre. Il nous faut donc procéder à un réel effort d'évaluation de la dépense publique.

M. René Dosière. Cela dépend de la majorité !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Et la loi organique doit, comme vous l'avez dit, monsieur le premier président, conduire à raisonner en termes de performance des dépenses publiques.

M. Didier Migaud. C'est une autocritique !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Lors de la séance de rentrée de la Cour des comptes, j'ai noté votre souci, que je partage, du risque d'une bureaucratisation des indicateurs de performance.

M. Michel Bouvard. Très juste !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Car le danger peut exister pour nombre d'administrations, y compris pour le Parlement.

M. Didier Migaud. C'est vrai.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. La loi organique doit nous permettre de mieux prendre en compte les préconisations de la Cour. Et une mission d'information a été confiée à deux députés, Yves Jego et Jean-Louis Dumont, pour assurer un suivi de certaines des préconisations contenues dans les rapports publics ou dans les référés. Je serai personnellement très attentif à ce que le suivi des préconisations de la Cour, comme celles de la MEC, soit bien assuré.

M. Didier Migaud. Comme pour les niches !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. La mission Bouvard-Migaud-de Courson-Brard...

M. René Dosière. Quelle équipe ! (Sourires.)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. ...poursuit ses travaux. Compte tenu du travail considérable mené par la Cour des comptes, cette mission fera prochainement des propositions pour améliorer, dès la présentation de la loi de finances pour 2006, les indicateurs de performance, dans un souci de simplification.

Monsieur le premier président, je sais la part personnelle que vous prenez dans cet ensemble de missions nouvelles. Et j'ai également, avec Gilles Carrez, été sensible à la demande d'indépendance budgétaire que vous avez formulée. La nécessaire indépendance de la Cour doit être en effet garantie. C'est pourquoi le rapporteur général et moi-même avons préconisé la mise en place d'une mission qui inclurait des programmes relatifs aux institutions visées par la Constitution et chargées d'une fonction de conseil aux pouvoirs publics. J'ai été sensible que vous proposiez d'associer à cette mission le Conseil économique et social. Ainsi, la Cour échappera pour la gestion de ses crédits, notamment pour la régulation budgétaire, à la sphère des ministères qu'elle est chargée de contrôler. Cela apparaît parfaitement logique et je pense que nous trouverons, avec nos collègues du Sénat, une synthèse. Chaque institution contribue ainsi, à sa place, à un chantier très vaste, mais reconnu de plus en plus indispensable par nos compatriotes.

La LOLF doit vraiment être un outil pour casser les carcans, les habitudes, les conforts, l'empilement des structures, et remettre en question la complexité des procédures. C'est le rôle du contrôle parlementaire que de mettre au jour des insuffisances, des incohérences, et de faire comprendre à nos concitoyens que la dépense publique doit être justifiée au premier euro. Ce contrôle permettra de faire mieux accepter le rôle de l'État, mais aussi d'assurer un meilleur fonctionnement des services publics.

Puisse 2005 être l'an I de la réforme de l'État, ce qui veut dire : moins légiférer, moins complexifier, contrôler la dépense publique. C'est un vaste chantier et nous vous remercions d'y participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. René Dosière. Faut pas rêver !

M. le président. Monsieur le président de la commission des finances, j'espère que vos propos seront entendus, même en dehors de cet hémicycle.

La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier Philippe Séguin pour sa présentation du rapport public pour 2004 et également pour ses considérations très judicieuses sur la mise en œuvre de la loi organique. Comme l'a dit Pierre Méhaignerie, nous partageons complètement votre analyse, monsieur le premier président, selon laquelle la Cour des comptes, et plus généralement les juridictions financières, ne peuvent pas être rattachées à cette mission de gestion des finances publiques, qui est une mission ministérielle totalement placée sous la dépendance de Bercy. Il est donc nécessaire de trouver, dans le cadre de la maquette, une solution plus satisfaisante, tendant à regrouper dans une même mission de conseil, d'assistance des pouvoirs publics, les organismes cités par la Constitution et qui jouent un rôle explicite de conseil, d'avis auprès de la Présidence de la République, de l'Assemblée nationale, du Sénat.

M. René Dosière. Il y a à faire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. On pourrait ainsi regrouper le Conseil économique et social, les juridictions financières - parce que nous partageons votre analyse selon laquelle la Cour et les chambres régionales des comptes ne peuvent pas être dissociées - et les juridictions administratives - Conseil d'État, cours administratives d'appel, tribunaux administratifs.

Le point le plus délicat concerne leur traitement budgétaire proprement dit. Vous nous avez suggéré que ce traitement relève du titre I et soit analogue à celui des dotations aux pouvoirs publics. Mais dans votre proposition, vous soulignez également la nécessité de rester dans la démarche de performance de la loi organique, ce qui veut dire que même si les juridictions financières devaient bénéficier de dotations, elles ne pourraient pas s'exonérer de la production de projets annuels de performance et de rapports sur la base des résultats.

Par ailleurs, nous partageons complètement votre analyse selon laquelle le système actuel risquerait, à tort, de vous soumettre aux affres de la régulation budgétaire. Il faudra donc que nous trouvions une solution. Mais je ne suis pas certain que celle-ci passe par les dotations du titre I. Quoi qu'il en soit, la réflexion est ouverte.

La Cour des comptes suit une méthode éprouvée, qui donne toute sa place à la vision rétrospective et à l'examen contradictoire. Mais la Cour a su, dans sa communication à l'égard de l'exécutif, du législatif et de l'opinion publique, aller bien au-delà de la simple pédagogie paradoxale qui s'appuie sur la litanie des erreurs ou des irrégularités, pour insister sur l'évaluation des politiques et sur le contrôle de la performance.

Et je sais, monsieur le premier président, que vous êtes particulièrement attaché à développer cette nouvelle dimension.

En effet, la gestion publique est de moins en moins uniforme et nous avons d'ailleurs considéré qu'une plus grande marge d'initiative donnée aux gestionnaires serait gage d'efficacité. C'est le sens de la loi organique et c'est la manière dont vont fonctionner les différents responsables de programmes qui, je le dis devant l'ensemble de mes collègues, vont avoir un rôle majeur, totalement différent de celui des actuels directeurs d'administration centrale. Nous le verrons dès 2006.

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C'est le sens aussi du mouvement général de décentralisation.

En contrepartie, il convient de bien distinguer ce qui relève de la responsabilité de chacun. C'est vrai pour les décisions de gestion. C'est également vrai pour les décisions en matière de prélèvements obligatoires.

L'initiative et la responsabilité sont indissociables. C'est dire qu'il ne s'agit pas de s'en remettre à la seule vision comptable des choses, mais bien de retrouver des marges de choix politiques, à partir de la démarche alliant objectifs et indicateurs, mesures des résultats et des performances.

De ce point de vue, l'appréciation des juridictions financières, à équidistance de l'exécutif et du législatif, pour reprendre l'une de vos expressions favorites, monsieur le premier président, contribue au bon exercice du contrôle politique, qui relève de notre responsabilité. C'est dans cet esprit, comme le disait, il y a un instant, Pierre Méhaignerie, que la commission des finances a demandé à deux de ses membres, Yves Jego et Jean-Louis Dumont, de dresser le bilan du suivi des préconisations de la Cour des comptes.

Par ailleurs, j'insiste sur l'importance du travail qui est conduit depuis quelques années, en liaison étroite avec la Cour, au titre de la mission d'évaluation et de contrôle.

Pour conclure, je suis persuadé, monsieur le Premier président, que les relations de travail entre notre assemblée et la Cour des comptes seront particulièrement constructives au moment où va entrer en application cette fois dans sa totalité, la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le premier président, l'Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes. Elle vous remercie de votre présence et vous dit, par ma voix, la joie qui a été la nôtre de vous retrouver dans cet hémicycle. (Applaudissements.)


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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SAUVEGARDE DES ENTREPRISES

Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises (nos 1596, 2095).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, les Français souhaitent travailler dans des entreprises stables qui ne craignent pas quotidiennement une éventuelle faillite. C'est bien légitime.

Nombre de nos compatriotes sont prêts à créer leur entreprise : ils ont des idées, du talent et de l'énergie. Je connais la motivation qui anime les forces vives de ce pays : ensemble, nous pouvons aller de l'avant, faire des projets, entreprendre et créer des emplois.

Encore faut-il que chacun sache à l'avance que les difficultés, qui ne manquent pas de survenir dans la vie économique et sociale, seront traitées de façon à assurer une sécurité satisfaisante. C'est un message important des acteurs économiques et sociaux de notre pays : chacun ressent un grave manque de sécurité dans le traitement des difficultés des entreprises, en premier lieu sur le plan économique. Il y a dans notre pays une faillite toutes les dix minutes. Entrepreneurs ou salariés, nombreux sont ceux qui, chaque jour, se trouvent confrontés à l'incertitude liée à ces procédures collectives. Ils redoutent ce qui leur arrivera demain. Ils comprennent mal le déroulement des procédures, complexes, lentes et souvent inefficaces.

Ils souffrent aussi du manque de sécurité de l'emploi. Chacun connaît la terrible réalité du résultat de ces procédures : c'est la liquidation dans 90 % des cas. Chaque année, 150 000 emplois salariés sont détruits.

Ils souffrent enfin du manque de sécurité juridique, car les procédures judiciaires actuelles sont complexes. Il n'est pas admissible que ces procédures collectives inspirent de la crainte aux salariés et aux chefs d'entreprise. Au lieu de les aider, de les appuyer, souvent elles les font fuir ! Ce texte entend inspirer un profond changement d'état d'esprit au bénéfice de l'ensemble des parties prenantes.

Je souhaite apporter des réponses à ce sentiment d'insécurité. Ma ligne directrice en la matière est simple : il faut anticiper pour éviter la casse. Voici près de trois ans que j'ai engagé les travaux sur le texte que je vous présente aujourd'hui : c'est donc le fruit d'une démarche réfléchie et concertée que nous allons discuter au cours des deux prochaines semaines. Cette démarche s'inscrit dans la continuité de mon action et de celle du Gouvernement, pour répondre aux attentes des Français. Nos compatriotes souhaitent davantage de sécurité, une simplification de leur vie quotidienne, une France plus prospère. C'est à cela que je travaille au sein du Gouvernement.

Nous avons commencé les travaux du quinquennat par des textes importants pour la sécurité de nos concitoyens. C'était une de leurs attentes lorsqu'ils ont désigné une nouvelle majorité.

Les textes structurants que je vous ai présentés et que vous avez adoptés y répondent pleinement : la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 et la loi sur la criminalité organisée du 9 mars 2004 sont désormais en vigueur et permettent à la justice de notre pays de mieux lutter contre les formes de délinquance que nos compatriotes souhaitent ardemment voir disparaître.

Mais la sécurité, c'est aussi la confiance dans l'économie. La loi de sécurité financière, dont je vous avais présenté les mesures relatives à la gouvernance d'entreprise, est un facteur favorisant l'investissement, la croissance et l'emploi.

Des ordonnances sur les valeurs mobilières et sur les sociétés à responsabilité limitée, que vous avez ratifiées, ont simplifié les règles s'appliquant aux entreprises pour faciliter leur financement et leur développement. C'est la même intention qui m'anime lorsque je vous présente aujourd'hui cette loi de sauvegarde des entreprises. C'est une loi pour les Français, une loi pour la sécurité, pour la confiance et pour la croissance.

Je le disais il y a un instant, les entrepreneurs redoutent les procédures telles qu'elles fonctionnent actuellement. Ils savent inconsciemment que, s'ils montent les marches du tribunal, leur entreprise sera, neuf fois sur dix, liquidée quelques mois après. Nous sommes face à un véritable gâchis économique et social.

Je veux changer cela. Je propose, dans le texte que je vous présente aujourd'hui, de donner envie aux chefs d'entreprise de prendre leurs difficultés à bras-le-corps quand il en est encore temps. Je veux en particulier que chacun oublie le mythe de la cessation des paiements, véritable couperet pour l'emploi et la survie des entreprises.

Ce texte se veut aussi source de sécurité pour les professionnels libéraux. Ils sont aujourd'hui exposés, comme les autres acteurs de notre société, aux aléas économiques. Pourtant, ils ne bénéficient ni des régimes d'indemnisation du chômage ni de mécanismes de traitement des difficultés économiques de leurs structures d'exercice. J'ai entendu leur demande de pouvoir utiliser les nouveaux mécanismes que cette loi de sauvegarde des entreprises met en place. Ces professionnels forment un tissu économique formidable au travers de leurs cabinets ou de leurs agences. Aussi convient-il de leur accorder le bénéfice des procédures de conciliation et de sauvegarde qui renforceront leur capacité de réaction et leur éviteront de voir, comme trop souvent, toute leur vie remise en cause par un choc conjoncturel.

Vous l'avez compris, les nouvelles procédures que je vous propose entendent délibérément redonner confiance aux uns et aux autres : je les ai conçues pour faire en sorte que les processus de traitement des difficultés économiques se placent enfin sous le signe de la sécurité.

C'est bien d'une loi pour la confiance dont nous parlons aujourd'hui : confiance des salariés, confiance des entrepreneurs, confiance des autres partenaires de la vie des entreprises - leurs fournisseurs, leurs banquiers, leurs clients. Mais la confiance ne se décrète pas. Elle se construit. Telle est l'ambition du texte que vous discutez aujourd'hui.

Que serait une entreprise sans ses salariés ? Ce sont eux qui la font vivre et croître. C'est leur motivation qui détermine son succès. Ce sont leurs savoir-faire qui sont appréciés de ses clients. Je veux donc que les salariés aient confiance dans la façon dont les difficultés de l'entreprise seront traitées par les nouvelles procédures que je propose. Aussi, je souhaite que les équilibres atteints dans la loi de cohésion sociale, promulguée le 19 janvier dernier, soient strictement maintenus dans le cadre des nouveaux mécanismes.

En particulier, nous devons veiller à ce que les salariés soient informés de l'évolution de la situation et qu'ils puissent s'exprimer par le biais de leurs instances représentatives chaque fois qu'une décision lourde doit être prise.

M. Arnaud Montebourg. C'est un désaveu du rapporteur !

M. le garde des sceaux. Mais il faut aussi restaurer la confiance des chefs d'entreprise. Aujourd'hui, une ouverture de procédure collective conduit quasiment à déposséder les entrepreneurs : l'entreprise est gérée par la justice et non par ses créateurs. Cela ne fonctionne pas de manière satisfaisante.

Je souhaite redonner confiance aux chefs d'entreprise en leur garantissant que lorsqu'ils recourront aux nouvelles procédures, ils resteront maîtres de leur activité et de l'entreprise qu'ils ont souvent créée. Tel est l'objet de la nouvelle procédure de sauvegarde.

Plutôt que de structures et d'organisations, c'est bien d'hommes et de femmes dont ce texte veut traiter en leur redonnant confiance dans le fait que gérer ses difficultés en amont est possible et utile. Et je parle de choses bien concrètes que je voudrais illustrer par deux exemples.

Quand vous créez une entreprise, il faut souvent solliciter vos proches pour qu'ils cautionnent le lancement de vos affaires. Dès lors, leurs biens sont en jeu à la moindre difficulté que vous pourriez rencontrer. Qu'en résulte-t-il ? Aujourd'hui, si vous pressentez des difficultés, vous essayez de les dissimuler : comment en effet envisager que la maison de ceux qui vous ont fait confiance soit vendue du fait de votre échec professionnel ? Et tout cela finit mal, comme en témoignent les chiffres.

C'est une véritable spirale de l'échec, que nous devons inverser. La nouvelle procédure de sauvegarde permettra de redonner confiance, en protégeant les proches du chef d'entreprise qui lui apportent leur caution personnelle. Chacun aura intérêt à anticiper.

Second exemple : la cession des actifs des entreprises en difficulté. Qui d'entre nous n'a pas connu, dans son entourage, des gens dont les biens professionnels avaient été cédés sommairement au terme de procédures complexes et opaques ?

Comment ne pas craindre d'entrer dans les procédures de traitement des difficultés des entreprises si de tels risques existent ? Le texte que je propose réforme de façon ambitieuse les procédures de cession, pour qu'elles soient gérées dans la transparence et au mieux des intérêts des entrepreneurs et de leurs créanciers.

Enfin, ce texte restaure la confiance dans l'équilibre des relations entre les forts et les faibles.

Les salariés sont évidemment les plus fragilisés en cas de difficultés économiques. C'est pourquoi j'ai souhaité que la nouvelle procédure de sauvegarde puisse être éligible au mécanisme de garantie des salaires.

De même, on a trop souvent l'impression que l'État, s'appuyant sur sa puissance, est le seul à pouvoir retrouver l'agent qui lui est dû. Aussi ce texte permet-il aux créanciers publics de mieux contribuer à la sauvegarde des entreprises. Par exemple, le Trésor public pourra participer plus facilement à des efforts d'abandon ou de restructuration de dette.

Cela étant, le rôle de l'État en matière de signalement des difficultés des entreprises est pleinement confirmé, car il est normal que les privilèges qu'il conserve soient doublés d'obligations de vigilance. Le fisc et les URSSAF devront ainsi signaler leurs échéances impayées dans un délai fixé. C'est aussi un gage de confiance.

L'ambition de redonner confiance dans ces procédures tient donc à la fois de la nécessité d'amener les chefs d'entreprise à anticiper et de celle de leur permettre d'entreprendre sans crainte irrationnelle du lendemain.

De la confiance des entrepreneurs et des salariés naît la croissance économique. C'est la troisième ambition de ce texte, car croissance économique et difficultés des entreprises sont étroitement liées. Évidemment, quand l'activité économique se développe, les difficultés sont moindres. Les experts estiment qu'avec un taux de croissance de 1,8 %, le nombre de défaillances se stabilise.

Inversement, pour inciter les entrepreneurs à s'engager dans le développement de nouvelles activités, il faut leur donner confiance dans la façon dont les difficultés seront traitées. Et ce raisonnement simple, qui n'est pas seulement théorique, correspond bien à la réalité des choses.

Or la moitié des entreprises connaissent une défaillance dans les cinq années qui suivent leur création.

M. Arnaud Montebourg. C'est ce qui va arriver à l'UMP !

M. le garde des sceaux. Un bon traitement des difficultés est donc un moteur important de la création d'entreprise et de la croissance, tout comme une issue plus juste à la liquidation des entreprises. Christian Jacob me rejoindra au cours du débat pour vous présenter avec moi un aspect essentiel du texte : l'encouragement à une seconde chance pour les chefs d'entreprise.

Vous connaissez tous des exemples d'entrepreneurs qui, après l'échec d'un projet, se sont vus interdire, pour quinze ou vingt ans, la gestion de toute structure commerciale, après une procédure de liquidation de quatre à cinq ans et la saisie de leurs biens.

Nous sommes convaincus que nombre de ces hommes et femmes ne méritent pas pareille sanction : ils se sont seulement trompés, ils ont entrepris au mauvais moment ou ont été victimes d'un environnement défavorable. Parfois aussi, ils ont été exagérément optimistes : mais la croissance ne demande-t-elle pas d'être optimiste ?

Pour lever cette menace importante qui pèse sur les chefs d'entreprise, le texte propose de réformer le régime des sanctions, afin qu'elles ne soient prononcées que contre des chefs d'entreprise malhonnêtes et selon une procédure garantissant de façon claire les droits de la défense, ce qui fait cruellement défaut aujourd'hui.

En aidant de la sorte ces hommes et ces femmes à rebondir, nous entendons lever un verrou important de la croissance. Nous voulons croire que notre pays saura, demain plus que par le passé, valoriser les premiers échecs et ne plus clouer systématiquement au pilori ceux qui ont participé au développement de notre économie.

Sécurité, confiance croissance : tels sont les enjeux de ce texte que j'ai voulu audacieux et novateur. Mais j'entends déjà quelques sceptiques. Pour certains, cette loi resterait compliquée, et trop favorable aux professionnels des procédures collectives. C'est totalement faux.

Le projet simplifie les procédures pour les rendre plus facilement accessibles aux entrepreneurs. Le chef d'entreprise reste donc en charge de l'entreprise, mais les choses sont organisées pour qu'il respecte les droits des uns et des autres. Si nous pouvons simplifier encore au cours du débat que nous allons avoir, je m'engage à le faire.

Quant aux professionnels des procédures, en particulier les administrateurs et mandataires judiciaires, je rappelle que votre assemblée a, lors de l'examen de la loi du 3 janvier 2003, tiré les conséquences des dysfonctionnements relevés chez certains d'entre eux.

Je rappelle à ceux qui s'expriment sur ces sujets que mon action depuis deux ans a été déterminée alors que, dans le passé, les critiques incantatoires n'avaient conduit le gouvernement précédent à aucune mesure concrète. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Marylise Lebranchu. Merci, monsieur !

M. Arnaud Montebourg. Nous en reparlerons ce soir !

M. le garde des sceaux. Depuis deux ans, j'ai mis fin à divers abus, notamment de sous-traitance illicite de leur tâche par certains professionnels.

En outre, le décret du 10 juin 2004 a institué des règles de rémunération plus strictes et plus claires : ces professionnels sont depuis lors rémunérés pour ce qu'ils doivent faire, tout ce qu'ils doivent faire, et rien que ce qu'ils ont le droit de faire.

Enfin, j'ai mis en place une vigoureuse politique d'inspection et de contrôle, et demandé, chaque fois que cela s'avérait nécessaire, des poursuites disciplinaires immédiates. Trois radiations ont déjà été prononcées. J'entends continuer dans cette voie.

On dit ensuite que la loi mettrait les PME dans les mains des banques. C'est totalement inexact.

D'abord, souvenons-nous que la France connaît, en matière de crédit, une situation très particulière.

M. Paul Giacobbi. Ah !

M. le garde des sceaux. Le crédit fournisseur y tient en effet une place considérable : chez nous plus qu'ailleurs les entreprises donnent des délais de paiement à leurs clients. En comparaison, le crédit bancaire n'occupe qu'une place réduite.

M. Paul Giacobbi. Il aurait fallu en tenir compte dans le projet de loi !

M. le garde des sceaux. Une des raisons de cette situation est l'incertitude juridique relative au traitement des créances bancaires dans les procédures collectives.

M. Paul Giacobbi. Cela n'a rigoureusement rien à voir !

M. le garde des sceaux. Le projet part d'un constat simple : ce sont les banquiers qui peuvent apporter le plus rapidement leur concours à une entreprise en difficulté. Nous entendons donc les y inciter. Rapprochons les banques des PME, les fournisseurs y gagneront !

Une façon d'y parvenir est par exemple de préciser les effets de la conciliation. Il ne s'agit pas d'accorder des avantages aux banquiers en général mais, quand une entreprise rencontre des difficultés, de donner une sécurité juridique aux banquiers qui décident de l'aider. Cela passe notamment par la limitation des éventuelles accusations de soutien abusif. Il s'agit là, je crois, d'un régime « gagnant gagnant », que ce soit pour le chef d'entreprise, pour ses fournisseurs ou pour les banquiers qui jouent le jeu. Cessons donc d'opposer les uns aux autres !

Enfin, j'entends dire que la loi ne prendrait pas suffisamment en compte les intérêts des salariés. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est, encore une fois, totalement inexact.

Vous le savez, 150 000 salariés sont licenciés chaque année du fait de la défaillance de leur entreprise. Toute la réforme vise à y remédier et, grâce à l'anticipation du traitement des difficultés, à sauver au moins un tiers de ces emplois.

M. Arnaud Montebourg. Nous jugerons sur pièces !

M. le garde des sceaux. En anticipant, on évite de recourir à des procédures de licenciement dérogatoires. On peut ainsi procéder à la remise en route de l'entreprise, dans la concertation et avec la meilleure sérénité possible.

Après avoir consulté les organisations de salariés, j'ai pris en compte leur souhait de participer eux aussi à la détection des difficultés.

M. Philippe Vuilque. C'est la moindre des choses !

M. le garde des sceaux. Dans ce cas, pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

Le texte prévoit ainsi qu'ils peuvent prendre part à la procédure d'alerte.

M. Alain Vidalies. Pas tous !

M. le garde des sceaux. Enfin, l'organisation des relations paritaires telle que confirmée par la loi de cohésion sociale n'a pas été modifiée, et il n'est évidemment pas question d'y revenir.

Mesdames et messieurs les députés, c'est vraiment dans le cadre d'une grande ambition économique et sociale pour notre pays que je vous présente ce texte aujourd'hui.

M. Alain Vidalies. « Sociale » est de trop !

M. Arnaud Montebourg. « Économique » aussi !

M. le garde des sceaux. C'est un texte moderne, qui apporte sécurité et confiance dans un secteur identifié par nos concitoyens comme l'un des plus terribles pour leur vie quotidienne.

Faisons en sorte que les difficultés des entreprises soient, à l'avenir, moins synonymes de chômage et d'échec ; donnons à nos concitoyens les moyens de prendre les choses en main, d'anticiper pour éviter la casse. Ce projet de loi cherche à changer les mentalités afin que les difficultés ou les échecs soient affrontés, gérés, et enfin surmontés. Les hommes et les femmes qui les subissent, qu'ils soient entrepreneurs, salariés ou professionnels libéraux, n'ont pas d'autre ambition que de contribuer au développement de notre pays : aidons-les en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous allons nous pencher est effectivement ambitieux : il entend sauvegarder les entreprises en difficulté, c'est-à-dire trouver une solution pour assurer leur pérennité et éviter, autant que faire se peut, leur dépôt de bilan, afin de préserver l'emploi.

Mais en cette matière, il ne faut pas se faire trop d'illusions.

M. Paul Giacobbi. Ah !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Une entreprise, comme toute activité humaine, naît, se développe, et souvent disparaît.

Une entreprise disparaît parce que les produits qu'elle fabrique ne plaisent plus aux consommateurs, sont techniquement dépassés, ou vendus à un prix trop élevé pour résister à la concurrence d'autres producteurs nationaux ou étrangers.

M. Paul Giacobbi. C'est du darwinisme économique !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Une entreprise disparaît parce qu'elle a perdu un marché ou un client, ou parce qu'un de ses clients, ayant lui-même subi des difficultés financières, lui a laissé une « ardoise » qui déséquilibre ses comptes.

Une entreprise disparaît parce qu'elle n'a pas accès au crédit bancaire, parfois en raison d'un simple effet mécanique de ratio résultant d'une certaine industrialisation des pratiques bancaires.

Enfin, une entreprise disparaît parce qu'elle est mal gérée, ou parce que ses dirigeants ne sont pas à la hauteur, voire sont malhonnêtes.

Un texte consacré à la sauvegarde des entreprises doit donc faire le tri entre ce qui relève de la vie quotidienne des affaires et ce qui résulte du comportement fautif des hommes. Cela résume d'ailleurs toute l'évolution du droit de la faillite depuis le temps où l'on asseyait, aux portes des villes, sur les pierres de la honte, les débiteurs coiffés d'un bonnet vert. À l'époque, l'imprudence et la fraude vous expédiaient aux galères.

M. Jérôme Lambert. Aujourd'hui, ce sont les salariés qui galèrent !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Il a fallu attendre 1807 pour que le code de commerce organise la liquidation des biens du débiteur et leur répartition entre les créanciers. Le débiteur, lui, était incarcéré pour dettes.

Ce n'est qu'en 1838, aux beaux temps de l'Orléanisme, que l'on réserva un meilleur traitement aux commerçants malheureux et de bonne foi.

M. Arnaud Montebourg. La famille de Roux a ainsi pu prospérer !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Mais il a fallu attendre un siècle encore pour que l'intérêt économique de l'entreprise, et donc l'intérêt général, soit pris en compte : en 1935, le législateur, marqué par la crise de 1929, distingua enfin le sort du débiteur de celui de l'entreprise. La loi du 13 juillet 1967 confirma ce principe. Celle du 25 janvier 1985, venant après la nationalisation de notre économie, et poursuivant cette évolution, fit primer l'intérêt économique général, c'est-à-dire la survivance de l'entreprise, sur l'intérêt des créanciers. Les banques étaient alors devenues la propriété de l'État, ce qui ne manquait pas d'avoir une influence sur notre droit de la faillite.

En 1994, on estima que l'on avait probablement été trop loin dans l'effacement des droits des créanciers, et qu'il convenait de rétablir l'équilibre, simplement pour assurer le crédit de l'entreprise puisqu'on était revenu à une économie de marché. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. Et avant, c'était quoi ?

M. Xavier de Roux, rapporteur. Aujourd'hui, le texte qui nous est soumis va beaucoup plus loin. Son ambition est d'intervenir très en amont, avant la cessation de paiement, afin de sauvegarder l'entreprise.

Vous le disiez en effet, monsieur le garde des sceaux : trop souvent, la cessation de paiement signifie la perte de confiance des partenaires de l'entreprise. Si l'on examine le taux de succès des redressements judiciaires, on est effaré de constater que la plupart des entreprises qui y ont recours sont en déroute et ne se redresseront en fait jamais.

C'est pour cette raison qu'en 1994, déjà, notre assemblée s'était penchée sur la réforme du droit des difficultés de l'entreprise et avait institué le règlement amiable. Celui-ci avait fait l'objet d'un long débat, car la conciliation, à l'époque, n'était pas à la mode. Pourtant cette possibilité donnée au débiteur de se mettre d'accord avec ses créanciers, sous la houlette du tribunal de commerce, afin de trouver une solution aux difficultés prévisibles de l'entreprise a fonctionné. Comme a fonctionné le mandat ad hoc, c'est-à-dire le mandat donné par le président du tribunal de commerce à une personnalité indépendante pour négocier avec toutes les parties. Ces deux institutions, règlement amiable et mandat ad hoc, découlent, rappelons-le, de la pratique du tribunal de commerce de Paris au plus fort de la crise immobilière des années 1990.

Les tribunaux de commerce sont souvent attaqués, notamment dans cette enceinte. Mais on devrait parfois leur montrer de la reconnaissance. Car l'effet systémique de cette crise financière pas si ancienne, qui manqua d'emporter le Crédit lyonnais - et avec lui, probablement, la place financière de Paris -, fut endigué grâce aux créations prétoriennes originales du tribunal de commerce de Paris, entrées depuis dans notre droit positif. Et c'est probablement le succès de l'emploi, avant tout dépôt de bilan, du mandat ad hoc et du règlement amiable, qui vous a poussé, monsieur le garde des sceaux, à nous proposer une procédure plus ambitieuse encore : la sauvegarde de l'entreprise.

De quoi s'agit-il ? D'un redressement judiciaire anticipé, qui peut être demandé par le débiteur s'il voit les nuages s'accumuler et son entreprise confrontée à de graves difficultés, dès lors que celle-ci n'est pas encore en cessation de paiement.

Cette procédure est tout à fait innovante, dans la mesure où elle applique une partie des règles du redressement judiciaire alors que la cessation de paiement n'est pas survenue. Elle permet de trouver une solution avant qu'il ne soit trop tard, et met le chef d'entreprise en position de prendre sans délais les mesures qui s'imposent pour retrouver la confiance de ses banquiers et de ses principaux fournisseurs. Ceux-ci seront réunis en comités pour décider collectivement de l'accord susceptible d'être passé avec le débiteur afin d'assurer la pérennité de l'entreprise. Il s'agit presque d'une révolution dans notre droit, ...

M. Arnaud Montebourg. Une contre-révolution, vous voulez dire !

M. Xavier de Roux, rapporteur. ...car on instille ainsi une forte dose de contrat dans une procédure, le redressement judiciaire, qui depuis son origine était essentiellement institutionnelle.

Certains, bien entendu, y voient déjà malice et pensent que cette procédure pourrait être détournée de son objet.

M. Arnaud Montebourg. Ce sont les avocats qui le disent ! Ils savent ce qu'est un détournement de procédure.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Sans doute ! Malheureusement, ils s'y prêtent quelquefois, même si ce n'est pas réellement leur métier ! Mais fermons la parenthèse, monsieur Montebourg, il fait froid !

Cette procédure, selon certains, pourrait être détournée de son objet et permettre des réorganisations d'entreprises sans tenir compte, notamment, du code du travail. Il faut évidemment, dans ce cas, soit n'avoir pas lu le texte, soit ignorer totalement, en pratique, ce qu'est une difficulté d'entreprise et la manière de la surmonter.

M. Paul Giacobbi. On sent que vous l'avez vécue !

M. Xavier de Roux. rapporteur. Notre tissu économique est fragile : 90 % des entreprises françaises sont très petites, petites ou moyennes. Ce texte vise précisément au maintien de l'ensemble de ce tissu économique. Il n'est pas destiné à telle ou telle grande entreprise et, lorsque l'on étudiera chaque article de ce projet, il conviendra d'avoir à l'esprit la nature du monde économique auquel on s'adresse.

Oui, je le sais, le rôle de l'entreprise dans notre pays est encore ambigu. La relation entre l'entrepreneur et le salarié est encore empreinte de la dialectique des théories du début du siècle.

Mme Marylise Lebranchu. C'est n'importe quoi !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Le capital et le travail ne font pas toujours bon ménage dans notre pays...

M. Arnaud Montebourg. C'est l'Ancien Régime !

M. Alain Vidalies. C'est le XIXsiècle !

M. Xavier de Roux, rapporteur. ...même, monsieur Vidalies, s'il est évident que l'entreprise est créatrice d'activités, de richesses et d'emplois !

Notre pays doit, plus que jamais, favoriser la création des entreprises pour promouvoir la recherche, l'innovation, le progrès. Les conditions de leur financement, et donc finalement leur sauvegarde, sont essentielles. Il n'y a pas d'emplois sans entrepreneurs ; il n'y a pas d'entrepreneurs sans une législation leur permettant de développer leurs activités. Il convient de saluer une importante avancée, puisque la suspension des poursuites et le traitement collectif des créanciers s'appliqueront désormais non seulement aux entreprises inscrites au registre du commerce ou au registre des métiers, mais également aux professions libérales qui, jusqu'ici, étaient les seules à ne pas pouvoir en bénéficier alors qu'une part essentielle de notre économie relève justement du secteur tertiaire.

Le projet de loi de sauvegarde des entreprises qui nous est soumis doit donc contribuer et participer à ce mouvement de rénovation de notre droit, à cette modernisation de nos institutions et, finalement, protéger l'imagination et la créativité, garante de l'avenir économique de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est guère convaincant !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, vous avez su trouver un équilibre dans un domaine compliqué où les corporatismes sont très présents. Un ancien président du tribunal de commerce de Paris disait en plaisantant, lors d'une audition : « En matière de faillite, on a souvent confié au croque-mort le soin de faire de la chirurgie. » (Sourires.) Vous avez tenté de remettre chaque chose à sa place, ce qui n'est pas simple. Vous avez apaisé la matière en modulant les sanctions, en vous fondant sur l'idée que la défaillance d'une entreprise est un phénomène normal qui n'est pas nécessairement délictueux.

Vous avez su, monsieur le garde des sceaux, distinguer entre le débiteur malheureux et le débiteur malhonnête, indélicat ou récidiviste.

Vous avez, enfin, encore simplifié la liquidation, lorsqu'il n'y a plus grand-chose à liquider, ce qui est malheureusement souvent le cas.

Ce projet novateur a été examiné avec beaucoup d'attention par la commission des lois.

Je salue, monsieur le garde des sceaux, votre sens du dialogue.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. C'est vrai !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Je suis persuadé que nos travaux enrichiront encore ce texte essentiel pour notre droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Jérôme Chartier, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Le garde des sceaux et le rapporteur de la commission des lois ont décrit avec talent et précision les mesures et l'intérêt des dispositions contenues dans ce projet de loi. Vous me permettrez, par conséquent, de ne pas y revenir. Cependant, avant de donner la position de la commission des finances sur les articles dont elle était saisie, je souhaiterais souligner devant vous trois intérêts majeurs de ce projet.

Premier intérêt : son esprit ; ce texte est animé par une volonté d'évolution ambitieuse, mais décisive : le dirigeant ne sera plus coupable d'infamie lorsque son entreprise rencontrera des difficultés pour faire face à ses échéances. Ce projet de loi, en créant des procédures qui responsabilisent le chef d'entreprise, souhaite mettre fin à cette image qui, ne soyons pas angélique, aura la vie dure, et ce n'est pas avec ses 197 articles que nous la ferons disparaître. Encore aujourd'hui, face à ses salariés comme à ses créanciers, le dirigeant d'une entreprise en difficulté n'est parfois bon qu'à être mis à la porte. À cet égard, l'arrivée de l'administrateur judiciaire est emblématique. Elle est vécue par certains comme la preuve tangible, de l'incapacité du dirigeant. Les mots n'y changeront rien. Quinze ans après la disparition de l'inculpation, le mis en examen est toujours présumé coupable et, alors que le terme de faillite a disparu depuis 1985, je ne l'ai jamais autant vu reproduit à longueur d'articles de presse que depuis que l'on parle de ce texte. Je veux toutefois croire que la formidable motivation du Gouvernement à casser ce préjugé dévastateur - celui du dirigeant toujours coupable parce que son entreprise va mal - saura atteindre les tribunaux et leur environnement.

Second intérêt : l'État républicain devient le partenaire de l'entreprise en difficulté. En offrant aux administrations financières la faculté de remettre leurs créances en capital et en intérêt, le Gouvernement et le garde des sceaux manifestent leur volonté d'être aux côtés des entrepreneurs pour les aider à traverser une passe difficile. Je salue cette initiative. Il est vrai que, jusqu'à présent, lorsque l'État souhaitait accompagner l'entreprise, soit il remettait les intérêts - ce qui avait la vertu de faire sourire les autres créanciers - soit l'ordre venait d'en haut et il allait plus loin, hors procédure, ce qui ouvrait le risque d'une décision mal appréciée parce que souvent purement politique et aux effets parfois dévastateurs. À cet égard, l'issue de la procédure engagée dans le cadre de « l'affaire AOM-Air Lib » méritera tout notre intérêt.

Cette procédure fait aussi penser à la responsabilité future de l'acteur de l'administration financière déconcentrée qui prendra la décision de remettre le capital et les intérêts. Il convient d'en examiner toutes les implications, voire d'en limiter les effets. Un trésorier-payeur général n'acceptera de remettre une créance que si et seulement si l'ordonnateur l'autorise. Or quel ordonnateur l'autorisera ? Comment engagera-t- il sa responsabilité s'il permet une remise de créance contestée par la suite par le juge des comptes ? À ce titre, l'article additionnel après l'article 42 proposé par la commission des lois apporte une réponse importante. Il conviendra néanmoins d'approfondir au cours du débat cet aspect de la responsabilité qu'un décret en Conseil d'État devra préciser. J'insiste toutefois sur cet aspect de la responsabilité qui sera décisif quant à l'efficacité du soutien de l'État face à l'entreprise en difficulté.

Troisième intérêt de ce projet de loi, enfin : la prévention, bien sûr, mais surtout l'information donnée sur ces procédures nouvelles. Le garde des sceaux l'a souvent rappelé, ce projet n'est pas destiné à ceux des tribunaux de commerce dont le volume de procédures ouvertes est le plus important, mais à tous les tribunaux. Ce projet offre à l'entreprise en difficulté des outils qui s'adapteront à toutes les situations auxquelles le dirigeant sera confronté dans ces moments pénibles.

Des questions se posent donc.

Première question, le chef d'entreprise assumera-t-il, même si c'est vertueux et salvateur pour l'avenir, de mettre sur la place publique ses difficultés ? Dans le monde de l'entreprise, il convient de taire ses bons contrats avant qu'ils ne soient signés et de taire ses difficultés de peur que la concurrence n'en profite. Chaque dirigeant vous le dira. J'encouragerai donc, au cours du débat, tout ce qui sera de nature à rendre le plus discret possible la démarche - que je qualifie de vertueuse - du dirigeant qui dit tôt ses difficultés pour sauver l'avenir de son entreprise et les emplois qui lui sont liés.

Deuxième question : qui conseillera le chef d'entreprise sur la bonne procédure à suivre ? L'avocat ? Il n'est pas toujours - à tort d'ailleurs - écouté. L'expert-comptable ? Il devra trouver les mots pour dire au dirigeant qu'il doit aller au tribunal et ce sera difficile. Les créanciers ? Le dirigeant, devenu débiteur, serait entre leurs mains et se laisserait guider par leurs intérêts qui ne sont pas forcément ceux de l'entreprise. Pour se protéger, le dirigeant devra bien connaître la loi que, certes, nul n'est censé ignorer, mais avouons que la forme, qui sera, nul n'en doute, juridiquement parfaite après ce débat, risque, dans un premier temps, d'être indigeste pour le dirigeant qui n'est pas un juriste, mais qui doit être le bénéficiaire véritable de cette loi.

Je propose donc au garde des sceaux, qu'une fois ce texte approuvé, le Gouvernement se tourne vers les regroupements locaux de chefs d'entreprise et lance un travail d'explication pédagogique en responsabilisant l'État déconcentré sur les résultats obtenus. Je ne demanderai pas un énième rapport qui ne sera de toute façon pas lu, mais je suis convaincu que la chancellerie saura faire converger les résultats les plus éloquents et faire apparaître judicieusement au grand public le nombre d'emplois ainsi sauvés. Ce chiffre, comparé aux résultats antérieurs, parlera de lui-même et prouvera la réussite dans les faits de ce projet de loi.

Enfin, la commission des finances était saisie de cinq articles sur lesquels elle a émis un avis favorable. Elle a examiné des amendements qui visaient à mieux faire apparaître la responsabilité prise par les ordonnateurs pour que l'État joue un rôle efficace auprès des entreprises en difficulté. Si ce dispositif est performant, les administrations financières, en raison du volume de leurs créances, pourront jouer un rôle moteur parmi les créanciers qui seront nombreux à observer le comportement de l'État.

Mieux que par les aides à l'implantation et à l'entreprise qui doivent être conformes aux dispositions européennes, l'État peut et doit exercer à travers ce soutien - qui n'aura rien d'abusif - un appui considérable quand tout va mal pour le dirigeant et l'entreprise. Mais il engage également sa responsabilité en condamnant d'emblée l'avenir d'une entreprise si tous les créanciers sont prêts à l'aider et qu'il est le seul à ne pas vouloir le faire. Sans surestimer le rôle de l'État, la commission des finances, en s'interrogeant à juste titre sur cette nouvelle mission, notamment sur les créances qui feront l'objet d'une remise et seront admises à ce titre en non-valeur, a souhaité appeler votre attention sur ce qu'elle considère comme essentiel et salutaire et qui, si cette réforme est bien expliquée, sera, tout comme l'ensemble du projet, utile aux entreprises, aux emplois et à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme du droit régissant les entreprises en difficulté constitue, pour la commission des lois de l'Assemblée nationale, un moment important à de nombreux points de vue.

Tout d'abord, il s'agit là évidemment d'une question essentielle pour le bon fonctionnement de l'économie de notre pays. Il en va bien sûr directement du maintien des emplois des entreprises en difficulté, de la préservation de la valeur ajoutée que représentent ces entreprises elles-mêmes et leur savoir-faire économique et technique. Mais, au-delà de l'entreprise qui connaît une passe difficile, le législateur doit conserver à l'esprit l'exigence de sécurisation des autres entreprises qui en sont les partenaires économiques, qu'il s'agisse de ses fournisseurs, de ses clients ou de ses banques, ainsi que de leurs propres emplois.

C'est la raison pour laquelle les règles juridiques qui régissent le traitement des difficultés des entreprises se voient confrontées, d'une certaine manière, à une forme de quadrature du cercle, puisqu'elles doivent concilier des droits par nature antagonistes. Le droit des entreprises en difficulté découle ainsi directement de l'orientation retenue pour organiser la confrontation de ces droits antagonistes. Autrement dit, tout dépend des finalités des procédures que l'on élabore pour traiter ces difficultés, et de la hiérarchisation de ces finalités.

C'est bien pourquoi les lois réformant ce droit sont aussi rares que marquantes dans le droit des entreprises : la dernière réforme, issue d'une proposition de loi, date de 1994, et la précédente résultait des lois de 1984 et 1985, qui avaient elles-mêmes profondément modifié le régime antérieur élaboré en 1967.

C'est aussi pourquoi l'examen de ces lois doit être particulièrement attentif. Dans cet esprit, la commission des lois a procédé, avant les travaux approfondis du rapporteur, à une série d'une vingtaine d'auditions dans le cadre du deuxième volet des travaux de sa mission d'information sur le droit des sociétés. Les comptes rendus de ces auditions ont d'ailleurs été publiés en même temps que le rapport sur le projet de loi lui-même, de façon que toutes les personnes intéressées puissent en prendre connaissance pour éclairer la discussion du projet. De son côté, le rapporteur du projet de loi a ensuite procédé à plus de quarante auditions, plus directement centrées sur les dispositions précises du projet de loi.

Ainsi, au total, la commission a pu mettre utilement à profit le délai entre le dépôt et l'examen de ce projet de loi important, qui marquera la chronique législative autant que la loi du 25 janvier 1985 et sa réforme du 10 juin 1994.

M. Alain Vidalies. Ça...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Pour un sujet d'une pareille importance et d'une telle difficulté, on ne peut en définitive que se féliciter que l'Assemblée nationale, et en particulier sa commission des lois, ait pu disposer du temps nécessaire pour examiner le projet de loi. Je sais que vous le regrettiez, monsieur le ministre, mais, à tout malheur, il y a des aspects positifs.

Ce projet, je le rappelle, comprend 197 articles, et réécrit en tout ou partie la quasi-totalité des 260 articles du livre VI du code de commerce.

M. Arnaud Montebourg. Pourquoi avoir déclaré l'urgence dans ce cas ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Parce qu'on a perdu du temps !

M. Alain Vidalies. Vous ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non !

M. Alain Vidalies. Qui ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Le Gouvernement considérait, lui, que le temps était précieux pour sauver les entreprises, et nous en avons profité pour bien travailler, comme je viens de le rappeler.

Si l'on en vient au fond, l'esprit du projet de loi de sauvegarde des entreprises consiste à dépasser les principes qui régissent depuis vingt ans le droit des faillites, et dont la mise en œuvre n'a malheureusement jamais été à la hauteur des ambitions.

Il ne s'agit naturellement pas de revenir sur l'idée consistant à permettre à l'entreprise qui a passé un mauvais cap de repartir d'un nouveau pied, pour autant qu'elle demeure capable de fonctionner économiquement, une fois traité son endettement excessif.

Ce qui diffère, ce sont les moyens nouveaux que l'on veut consacrer à cette finalité. Ainsi, tout l'esprit du projet de loi peut être résumé par le triptyque suivant : il faut anticiper au maximum la crise avant qu'elle ne devienne irréversible, simplifier les procédures lorsque cette crise irréversible est atteinte, et ne pas empêcher de rebondir le dirigeant honnête mais malheureux, en lui faisant comme aujourd'hui définitivement passer le goût d'entreprendre et d'accepter des risques.

Sans revenir sur le détail des mesures traduisant, au plan technique, ce triptyque, j'insisterai en préalable sur une condition qui se révélera rapidement impérative pour la réussite de cette réforme. Cette condition n'est pas du ressort de la loi. Elle tient plutôt de l'appropriation de la réforme, et de son esprit, par ceux précisément auxquels elle est destinée, c'est-à-dire les chefs d'entreprise, mais aussi l'ensemble des acteurs du tissu économique, voire l'opinion publique en général.

En effet, les chefs d'entreprise n'ont pas encore, dans notre pays, le réflexe de se tourner spontanément vers le tribunal, fût-ce le tribunal de commerce, tant qu'ils peuvent faire autrement. La procédure de sauvegarde devra donc leur être expliquée avec beaucoup de pédagogie pour qu'ils s'imprègnent de toutes ses subtilités et en identifient pleinement tous les avantages. De même, les établissements de crédit, comme les créanciers publics, devront accepter la logique de la négociation et de la remise partielle de dettes pour préserver le principal, alors que leurs mécanismes de protection reposent beaucoup plus aujourd'hui sur la sécurisation de leurs créances par des sûretés ou des privilèges, sûretés qui, à l'expérience des faits, ne constituent pourtant que des garanties à la portée limitée pour le créancier, mais souvent dramatiques pour les salariés, et pour le chef d'entreprise ou ses proches lorsqu'ils se sont portés caution.

De même, la réussite de la réforme exigera que l'opinion publique accepte l'idée que l'entrepreneur est quelqu'un qui, par nature, prend des risques et que, s'il manque de chance, s'il perd un marché important, l'échec économique qui peut s'ensuivre ne doit pas pour autant le stigmatiser à tout jamais. Dans d'autres économies développées admettant mieux la prise de risque économique, l'échec de l'entrepreneur malheureux fait même partie de son apprentissage de la gestion de l'entreprise, et lui permettre de rebondir est considéré comme une évidence.

Le projet de loi de sauvegarde va dans ce sens : il restera sans doute encore à faire un peu évoluer les esprits pour sortir enfin du syndrome du César Birotteau de Balzac, César Birotteau, figure du commerçant failli, honnête mais trompé, qui ne retrouve son honneur perdu qu'après avoir remboursé plus que ce qu'il devait, au prix de privations supportées par toute sa famille, et qui peut seulement alors mourir en paix.

Si j'en viens aux mesures du projet de loi lui-même, je n'insisterai que sur quelques points qui me paraissent personnellement essentiels et sur lesquels la commission a souhaité apporter des adaptations nécessaires au texte qui lui était soumis. Je prendrai les procédures dans leur ordre chronologique, et je ne retiendrai que les cinq points principaux.

En ce qui concerne le mandat ad hoc, le projet de loi prévoit l'information systématique du parquet de l'ouverture de chaque mandat ad hoc, au risque de modifier très sensiblement l'état d'esprit des dirigeants. L'information du ministère public est parfaitement légitime dans le cas d'une procédure de conciliation, qui est plus formalisée et qui peut se traduire par des effets de droit à l'égard des tiers. Elle paraît en revanche plutôt contre-productive dans le cas du mandat ad hoc, alors même que celui-ci n'a aucun effet juridique et que le parquet ne pourra pas faire grand usage de l'information qui lui aura été transmise. Sur ce point, il nous a paru essentiel de ne pas céder à la tentation bien française de l'encadrement juridique, dans la mesure où ce qui fait la recette du succès du mandat ad hoc, c'est précisément sa souplesse et sa complète confidentialité.

La nouvelle procédure de conciliation proposée par le projet en remplacement du règlement amiable répond aux demandes de sécurité juridique des créanciers, mais le projet de loi sort en partie du cadre de l'épure lorsque, pour obtenir un effet juridique à l'égard des tiers, il impose dans tous les cas un jugement par le tribunal, une large publicité, et la possibilité de recours en tierce opposition. Il est nettement préférable de chercher plutôt à satisfaire les exigences propres à chaque affaire, en offrant la possibilité d'un choix adapté aux circonstances de l'espèce. Suivant le cas, les parties devraient pouvoir opter soit pour la nouvelle conciliation, juridiquement sécurisée mais potentiellement plus risquée pour le crédit de l'entreprise, soit pour une conclusion de la conciliation très proche de celle en vigueur, c'est-à-dire confidentielle mais sans effets juridiques à l'égard des tiers.

Si l'on en vient à la sauvegarde, il est évident que la possibilité de déclencher la procédure de suspension complète des poursuites avant la cessation des paiements va dans le sens de l'anticipation que tout le monde attend. C'est d'ailleurs du bon sens, et c'est ce qui est pratiqué à l'étranger. On a assez glosé sur le fait qu'on s'inspire du chapitre 11 des États-Unis mais cela se pratique aussi depuis 1999 dans un pays comme l'Allemagne.

Pour être efficace, la sauvegarde doit être rapide, car le temps est compté pour le crédit de l'entreprise. Être rapide impose de ne pas créer des procédures trop longues, en particulier les procédures de déclaration et de vérification des créances, qui sont lourdes et coûteuses, alors que l'entreprise est encore saine et qu'il s'agit seulement de trouver un accord avec les créanciers et pas du tout de distribuer l'actif réalisable.

À l'initiative de son rapporteur, la commission a adopté le principe d'une vérification simplifiée des créances des membres des créanciers. En complément, pour les entreprises les plus petites mais dont les comptes sont fiables, la commission a souhaité, à mon initiative, compléter cette première simplification par une procédure de vérification des créances se fondant directement sur la comptabilité de l'entreprise. Celle-ci ferait ainsi une économie de coût et de temps substantielle, à un moment particulièrement crucial pour elle.

En ce qui concerne le redressement judiciaire, tous les praticiens savent que, lorsque la continuation de l'entreprise en cessation de paiement avec la même direction est impossible, ce sont les plans de cession globale de l'entreprise qui permettent de préserver le maximum d'emplois.

Naturellement, on comprend bien la nécessité de supprimer la dualité des deux régimes actuels de la cession en redressement judiciaire et de la cession d'unités de production en liquidation. Il faut en effet éviter que les acheteurs ne jouent de l'une sur l'autre pour finalement attendre la procédure qui leur est la plus favorable et leur permet de proposer le prix le plus faible possible, avec le moins d'emplois sauvegardés. Il ne faut pas pour autant prendre le risque de faire disparaître des opportunités de plans de cession pendant la phase du redressement. La plupart des professionnels craignent aujourd'hui que le transfert du plan de cession du redressement vers la liquidation n'empêche des cessions dans de bonnes conditions pour le dirigeant comme pour l'entreprise, ses salariés et ses créanciers.

C'est pourquoi, avec un large consensus, la commission a souhaité infléchir le projet de loi en permettant des cessions pendant le redressement judiciaire, sans naturellement modifier l'économie générale du projet consistant à n'avoir qu'un corps de règles unique de publicité des offres ou de reprise des contrats de travail, applicable pour les cessions en redressement comme en liquidation.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions patrimoniales et professionnelles, on peut comprendre que la publicité systématique des audiences présente le double avantage de faire toute la lumière sur les agissements répréhensibles des dirigeants effectivement malhonnêtes, tout en incitant fortement les tribunaux à une rigueur absolue dans leurs décisions, mais un grand nombre de dirigeants qui ne seront pas condamnés devront aussi subir les conséquences dommageables de cette publicité, et le crédit de leur entreprise en pâtira d'ailleurs tout autant qu'eux. C'est pourquoi la commission a adopté un amendement permettant que les audiences préalables au prononcé des sanctions ne soient publiques que si le parquet, le tribunal ou l'un des organes de la procédure le souhaite.

Les cinq points que je viens de mentionner contribueront, je l'espère, à améliorer le projet de loi par des adaptations ponctuelles, sans en modifier globalement l'économie générale. De son côté, le rapporteur de la commission présentera de nombreuses propositions d'enrichissement ou de précision du projet de loi. Ainsi, la commission des lois espère contribuer utilement à l'élaboration de ce qui devrait donc être bientôt, et sans doute pour de nombreuses années, la grande loi de sauvegarde des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1596, de sauvegarde des entreprises :

Rapport, n° 2095, de M. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,

Avis, n° 2099, de M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot