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Deuxième séance du mardi 5 avril 2005

195e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

HOMMAGE AU PAPE JEAN PAUL II

M. le président. Mes chers collègues, de Cuba à Berlin, de Jérusalem à Londres, du Caire à Moscou, de Calcutta à Paris, le monde entier rend hommage avec émotion au pape Jean-Paul II qui vient de s'éteindre après avoir courageusement lutté contre la maladie et la souffrance. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

Je veux saluer, en votre nom, cette personnalité historique majeure de notre temps qu'a été le pape Jean-Paul II. Son engagement inlassable pour la paix entre les peuples, sa détermination à faire progresser le dialogue et la tolérance entre les religions, son combat permanent en faveur d'un monde plus juste et plus solidaire, son refus de la misère et de la pauvreté auront durablement marqué nos consciences.

Son action appelle notre profond respect et j'ai souhaité que, dans cet hémicycle, nous rendions hommage à sa mémoire.

M. le Premier ministre veut associer le Gouvernement à l'hommage du Parlement. Je lui donne la parole.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement tient en effet à s'associer solennellement à l'hommage rendu au pape Jean-Paul II. Par-delà l'expression publique de cet hommage pleinement conforme à notre tradition républicaine s'agissant d'un chef d'État ami avec lequel la France entretient des relations de proximité, je souligne combien notre pays a été touché par la disparition du Souverain Pontife.

Chacun a pu constater, ces derniers jours, que la mort de Jean-Paul II a suscité partout parmi les peuples de la planète une véritable mondialisation de la fraternité. Je partage la tristesse qu'éprouvent les catholiques de France et, au-delà, celle de nos concitoyens, qu'ils soient croyants ou non, qui se sentent sincèrement émus par la disparition du pape.

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande d'honorer aujourd'hui la mémoire du pape Jean-Paul II en observant un instant de silence et de recueillement. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement, debout, observent une minute de silence.)

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

GRÈVE DES URGENTISTES

M. le président. La parole est à M. Pierre-Louis Fagniez, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre-Louis Fagniez. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, ma question concerne les urgences et la grève des urgentistes. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est une question très préoccupante car elle concerne toute la population.

Elle concerne bien sûr les médecins urgentistes, lesquels ne sont affectés qu'à cette tâche. Mais elle concerne aussi, et souvent au premier chef, les médecins traitants dont les multiples tâches font parfois oublier le rôle premier qu'ils jouent et la nécessaire coopération qu'ils apportent dans la prise en charge des urgences. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

À écouter quelques urgentistes captifs des médias, on pourrait croire que « urgences » égale « urgentistes ». C'est faux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'urgence, c'est d'abord l'affaire des médecins traitants et l'urgence grave, celle des chirurgiens, des réanimateurs et même, monsieur le ministre, des cardiologues dont le rôle, dans ce cas, s'apparente à celui des chirurgiens.

Il est, dès lors, inacceptable que certains urgentistes dénigrent les médecins généralistes, alors que ce sont eux qui répondent aux besoins d'un service d'urgence de proximité et de qualité ! Certes, ces médecins sont, à ce qu'il semble, gagnés par la lassitude et ont du mal à assurer des prestations d'urgence, tant leur exercice est aujourd'hui difficile.

Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur cette situation et quelles sont vos intentions sur ce dossier crucial des urgences ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Je lance un appel au rassemblement du corps médical. Il ne peut pas y avoir, d'un côté, les médecins urgentistes hospitaliers et, de l'autre, les médecins libéraux, les deux ne se parlant pas. C'est impossible.

Aussi, j'ai l'honneur d'annoncer à la représentation nationale que le décret (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) qui définit la prise en charge des urgences dans notre pays sera présenté demain au Conseil d'État, et je souhaite qu'il soit publié dans les quarante-huit heures suivantes.

De quoi s'agit-il ? Ce décret définit, secteur par secteur et département par département, la prise en charge de tous les malades urgents. Une concertation sera menée, département par département, entre les médecins urgentistes hospitaliers et les médecins libéraux. D'ailleurs, dans les départements où la concertation a eu lieu, il n'y a pas de grèves. Elles n'ont lieu que dans les départements où il n'y a pas eu de concertation et où les deux corps de médecins ne s'entendent pas.

En plus de ce décret, il est prévu une incitation financière pour augmenter le nombre de médecins généralistes qui prennent des gardes le week-end et la nuit.

Je le dis ici calmement mais fermement : j'évaluerai dans six mois les effets du décret et je prendrai mes responsabilités car, pas plus que vous, monsieur le député, je n'accepterai que le moindre territoire de ce pays soit dépourvu d'une prise en charge des malades urgents. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

GRÈVE DES URGENTISTES

M. le président. La parole est à Mme Odette Duriez, pour le groupe socialiste.

Mme Odette Duriez. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, depuis quelques mois, pas une semaine ne passe sans que vous vous félicitiez de votre politique. Pourtant, vous n'avez réussi qu'à désorganiser le système de santé (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et à monter les professionnels les uns contre les autres. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Après le drame de la canicule de l'été 2003, le Gouvernement avait annoncé un plan spécial pour les urgences, notamment une hausse importante du nombre des lits d'appel pour les désengorger.

M. Albert Facon. Ils ne sont jamais arrivés !

Mme Odette Duriez. Les urgences sont toujours autant encombrées.

Dans le même temps, vous rendiez facultative la participation des médecins libéraux aux gardes et vous annonciez une amélioration de la rémunération de ceux qui en feraient. Là encore, rien n'est venu honorer vos promesses.

Vous avez imposé une convention qui oppose les spécialistes et les généralistes et ne résout en rien le problème de la permanence des soins et de la présence de médecins sur le territoire. De nombreux généralistes la dénoncent.

Dernier mouvement en date : les urgentistes ont déclenché hier une grève illimitée. Ils protestent contre l'abandon dont ils sont victimes de votre part. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ils se sentent plus que jamais impuissants à bien faire leur travail. La désorganisation s'installe. L'accueil des malades et la qualité des soins sont aujourd'hui menacés.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. A cause des 35 heures !

Mme Odette Duriez. Monsieur le ministre, quand cesserez-vous d'opposer entre eux les professionnels pour évacuer vos propres responsabilités ? (« Grotesque ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Qu'attendez-vous pour réunir l'ensemble des acteurs autour de la table et aborder dans la sérénité la question des moyens et de la permanence des soins, dont le Gouvernement a la responsabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Madame la députée, s'il y a un secteur où du retard a été pris, c'est bien, effectivement, les urgences et j'aurais aimé que vous régliez ce retard avant que je n'arrive au ministère de la santé ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Drian. Votre majorité est aux commandes depuis trois ans !

M. Albert Facon. Oui, et qu'avez-vous fait pendant la canicule ?

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Nous voyons aujourd'hui des files d'attente aux urgences, ce qui est totalement inacceptable, pour deux raisons : cela pose, en amont, le problème des gardes qui ne sont pas assurées, donc de la permanence des soins dont parlait à l'instant M. Fagniez et, en aval, celui de l'état des urgences hospitalières et des lits de suite, nécessaires pour désengorger les urgences.

Dès mon arrivée au ministère de la santé, nous avons mis en place un plan de 489 millions d'euros, dont 150 millions d'euros pour l'année 2004.

M. Jean-Louis Idiart. À qui allez-vous faire croire cela ?

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. 90 % des postes sont déjà sur le terrain.

M. Albert Facon. Et en 2002 et 2003, qu'avez-vous fait ?

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Comme M. Bertrand l'a indiqué, ici même, la semaine dernière, 75 millions d'euros seront distribués cette année pour les urgences : ils permettront la création de postes en urgences hospitalières - nous en avons déjà créé 2 700 - ainsi que celle de lits d'aval de suite pour désengorger les urgences : le plan prévoit la création de 15 000 lits en trois ans.

Tout cela, madame la députée, c'est nous qui l'avons fait et vous ne ferez croire le contraire à personne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Qu'avez-vous fait en 2002 et 2003 ? Qu'avez-vous fait pendant la canicule ?

PORTAGE DE JOURNAUX À DOMICILE

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le ministre délégué à l'industrie, le droit à l'information, garant de la liberté d'expression et de communication, justifie une large diffusion de la presse auprès de nos concitoyens.

Celle-ci est assurée à 50 % par les ventes en kiosque, à 15 % par la distribution par La Poste, et à 35 % par le portage de journaux à domicile. Cette dernière formule connaît un taux de développement de 50 % par an, et le secteur représente 18 000 emplois en France.

Or, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi relatif à la régulation des activités postales dont nous débattrons la semaine prochaine ne garantit pas l'accès des porteurs de journaux aux boîtes aux lettres.

L'UDF souhaiterait que les conditions du portage des journaux à domicile soient clarifiées et garanties dans le projet de loi et que les porteurs puissent exercer leur activité sans entraves. Le Parlement ne vote-t-il pas chaque année un crédit d'aide au développement du portage ?

Monsieur le ministre, vous engagez-vous à soutenir la position de l'UDF pour que nos concitoyens continuent à recevoir leurs journaux chaque jour et que les 18 000 emplois de ce secteur ne soient pas mis en péril ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Baguet, le Gouvernement s'engage naturellement à respecter la Constitution.

Quelle est la situation actuelle ? À peu près un tiers de la presse quotidienne régionale est distribuée par portage. Votre question implicite concernait l'accès aux boîtes aux lettres, qui n'est pas réglementé. De ce fait, les propriétaires se trouvent souvent dans une situation d'insécurité.

C'est la raison pour laquelle La Poste a mis au point un système électronique d'accès, Vigik, qui est efficient, mais qui a l'inconvénient de ne pas laisser les autres prestataires accéder aux halls d'immeubles fermés, donc à leurs boîtes aux lettres. L'article L. 3, tel qu'il est rédigé dans le projet de loi sur les activités postales actuellement en cours de discussion, prévoit que les sociétés qui effectuent du portage - que les journaux assurent directement ce portage ou qu'ils aient recours pour cela à un tiers - pourront se faire autoriser par l'ART à bénéficier du système d'accès Vigik dans les halls d'immeubles. De ce point de vue, une protection sera assurée. Mais la jurisprudence constitutionnelle considère que les propriétaires ne peuvent pas être contraints à laisser accéder à leurs boîtes aux lettres s'ils ne le souhaitent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CAMPAGNE RÉFÉRENDAIRE

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le Premier ministre, nous venons d'avoir connaissance du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe, document officiel qui sera envoyé à tous les électeurs.

Celui-ci est précédé d'un exposé des motifs qui, au lieu d'aborder le débat démocratique, est uniquement inspiré par la frénésie manipulatrice qui vous anime en faveur du « oui ». (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il s'agit - soyons clairs - d'un texte de propagande (Mêmes mouvements), où les promesses d'une Europe idyllique le disputent à de grossières contrevérités. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cette tromperie payée par tous les contribuables porte atteinte au respect de la pluralité des opinions, qui est un des fondements de la démocratie.

M. François Grosdidier. Pas vous ! Pas ça !

M. Jacques Brunhes. À cette manœuvre, monsieur le Premier ministre, s'ajoutent la campagne officielle tronquée, la pression éhontée du Gouvernement sur les médias (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ou même la censure directe qu'il exerce, comme en témoigne l'épisode Fillon.

Les partisans du «  non » n'acceptent pas qu'on les injurie, en caricaturant leur position et en les stigmatisant comme des analphabètes - je reprends des termes lus ou entendus -, en les qualifiant d'« anti-français », d'« anti-européens », ou, comme vous l'avez fait la semaine dernière, monsieur le Premier ministre, de « représentants de l'abandon ». (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les Français supportent de moins en moins qu'on les méprise. Certes, votre fébrilité témoigne de votre immense inquiétude. Mais l'enjeu du référendum est trop grand pour l'avenir de notre pays et pour la construction d'une Europe démocratique et progressiste pour que les citoyens soient ainsi manipulés et privés des moyens d'effectuer leur choix en toute connaissance de cause. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Notre président a interrogé le Président de la République. Au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, je réitère sa demande. Quelles mesures comptez-vous prendre pour éclairer le projet référendaire par des points de vue divers et permettre ainsi l'échange et la confrontation pluraliste ?

Il y va de l'honneur de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Brunhes, vous avez dit :  « Propagande » ! (« Oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Comme gaulliste, comme républicain et comme ministre de l'intérieur, je dois vous répondre avec humilité, car, dans ce domaine, je n'ai aucune expérience. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Mais le Gouvernement a trois exigences.

La première, c'est une exigence de régularité. Tous les documents qui seront adressés à nos compatriotes ont été soumis au Conseil constitutionnel et approuvés par lui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. André Chassaigne. Quel résultat !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La deuxième exigence, c'est une exigence de responsabilité.

Nous adresserons le texte du projet de traité constitutionnel, le texte du projet de loi et, comme pour tout projet de loi,  son exposé des motifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Liberti. C'est de la propagande !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est ce qui a été fait en 1972. C'est ce qui a été fait en 1992. Et c'est ce qui a été fait en 1988. Le Président François Mitterrand et Michel Rocard avaient ajouté, en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, une lettre personnelle en faveur du « oui ». (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La troisième exigence, c'est une exigence d'équité. Pour la première fois, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé de donner les moyens aux partis politiques de concourir, comme il va de soi en démocratie, à l'expression du suffrage : ...

M. André Chassaigne. Oh là là !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... 800 000 euros pour chaque parti agréé ; huit partis, dont quatre en faveur du oui et quatre en faveur du non. Voilà une belle leçon de démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INDEMNISATION DES VICTIMES
DE LA SÉCHERESSE DE 2003

M. le président. La parole est à M. Jacques Pélissard, pour le groupe UMP.

M. Jacques Pélissard. Monsieur le ministre de l'intérieur, dans le département du Jura, maints bâtiments d'habitation ont, comme c'est le cas dans de nombreuses communes de France, subi des dommages importants liés à la sécheresse de l'été 2003.

Des décisions ont été prises en 2004 par le Gouvernement. Elles se sont traduites notamment par un arrêté du 11 janvier 2005 portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. En effet, seule cette procédure permet aux sinistrés d'être indemnisés pour les dommages subis.

Ces sinistrés ne demandent pas, je le rappelle, la solidarité publique, mais simplement la mise en jeu de la police d'assurances qu'ils ont souscrite. Cependant, les critères météorologiques et géologiques fixés se sont traduits, dans certains départements, par le rejet de toutes les demandes communales, quelles que soient l'étendue et la gravité des dommages.

Dans le département du Jura, par exemple, 50 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle et 200 ont vu leur demande rejetée. Cette situation est mal vécue par nos concitoyens dont les maisons d'habitation sont réellement sinistrées.

Vous aviez annoncé la mise en place d'une mission d'inspection afin de trouver des solutions permettant de remédier à cette situation. Quelles sont vos propositions ? Quels sont les résultats de cette mission d'inspection ? Quelles décisions seront prises par le Gouvernement pour répondre à l'attente de nos concitoyens  véritablement sinistrés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Pélissard, nous avons tous en mémoire la terrible sécheresse de 2003. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, en 2004, d'assouplir les critères d'indemnisation, ce qui a porté à 2 200 le nombre de communes dont la situation est prise en compte.

Nous savons, comme vous, que ce n'est pas suffisant. Dans le Jura, 100 communes n'ont pu être indemnisées. Vous êtes bien placé, en tant que président de l'Association des maires de France, pour savoir que de nombreuses communes n'ont pas pu voir leurs dommages pris en compte.

C'est pourquoi le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a décidé d'aller encore plus loin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), d'assouplir les critères communaux, ...

M. Manuel Valls. Arrêtez-le !

M. le président. Monsieur Valls, je vous en prie !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ... d'élargir les zones et davantage encore - c'est vous dire la fierté que j'ai d'appartenir à ce gouvernement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - de prendre en compte au cas par cas chacune des situations des personnes concernées par la sécheresse.

M. Arnaud Montebourg. Au cas par cas !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous examinerons, dis-je, chaque situation, au cas par cas.

Vous le voyez, nous répondrons aux problèmes de nos compatriotes individuellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

VENTES À LA DÉCOUPE

M. le président. La parole est à M. Tony Dreyfus, pour le groupe socialiste.

M. Tony Dreyfus. Ma question s'adresse à M. le ministre du logement.

Tous les parlementaires élus de grandes villes françaises sont, comme moi, très préoccupés de la multiplication des ventes à la découpe, qui font des ravages dans les populations les plus fragiles mais, plus généralement, dans l'ensemble des classes moyennes - les unes et les autres se voyant chassées des centres-villes et bientôt promises à l'être encore plus loin.

Déjà insuffisant, le marché locatif se trouve étranglé. Déjà compromise, la mixité sociale se trouve aujourd'hui anéantie. Des rues entières sont désormais exposées à de véritables transferts économiques de populations. Il faut que l'investissement dans l'immobilier soit encouragé. Mais cela suppose que soit dissuadé le profit purement spéculatif de ceux qui achètent des immeubles entiers pour les revendre aussitôt par appartements et empocher une plus-value immédiate, quand il ne s'agit pas, comme on peut parfois le redouter, d'un blanchiment commode.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, un décret sur la base d'un accord. Mais une majorité d'associations représentatives des locataires ont déjà dénoncé le projet d'accord. Personne, surtout, ne peut croire qu'un décret puisse régler le problème. Une loi est indispensable pour taxer de manière dissuasive les reventes trop rapides, celles pour lesquelles il s'agit non plus d'investissement mais de spéculation.

Le groupe socialiste a déposé des propositions de loi. Nous attendons qu'elles soient débattues. Cela dépend du Gouvernement, et de lui seul. Quand allez-vous faire en sorte que le Parlement s'en saisisse afin que cette crise très grave, qu'il a seul le pouvoir d'enrayer, soit traitée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Françoise de Panafieu. Et à Lyon ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au logement et à la ville.

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville. Monsieur Dreyfus, vous êtes trop avisé pour ignorer qu'il ne faut céder ni à la démagogie ni au populisme pour résoudre les problèmes de fond de la vie quotidienne des Françaises et des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous sommes, comme vous, préoccupés par les ventes à la découpe. Il est urgent de protéger les locataires les plus fragiles, qu'il s'agisse des personnes âgées ou des personnes handicapées, ainsi que les classes moyennes de Paris et des autres grandes agglomérations - puisque, dans le dispositif proposé, nous prévoyons des mesures en faveur des couples qui, avec un enfant, disposent de moins de 6 300 euros par mois.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C'est la troisième fois que vous nous faites la même réponse !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Pour autant, M. Louis Besson, lorsqu'il était ministre du logement, n'avait pas cédé à la tentation d'instituer un dispositif qui aurait provoqué exactement l'effet contraire de celui escompté.

Je lis, monsieur Dreyfus, dans votre proposition de loi, que vous voulez soumettre à autorisation les ventes à la découpe. Pensez-vous que M. le maire de Lyon va se soumettre lui-même à autorisation ?

Mme Françoise de Panafieu. Une honte !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Va-t-il, lui qui est le principal vendeur à la découpe sur son agglomération, s'autoriser ou s'interdire des ventes à la découpe ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je vous invite donc à un peu de mesure.

Nous avons établi un accord contractuel. Il peut être étendu par un décret, notamment aux marchands de biens. Je comprends qu'on puisse ne pas signer un accord. Mais ceux qui s'y opposeront choisiront la politique du pire, car on ne pourra pas l'étendre aux marchands de biens alors même que cette extension est nécessaire.

Cela dit, nous prendrons, dans la loi « Habitat pour tous », des dispositifs antispéculatifs, et d'autres encore.

M. Patrick Bloche. Trop tard !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. À force, monsieur Dreyfus, de jouer les pompiers pyromanes, on se retrouve dans la situation de l'arroseur arrosé ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

ESPACE JUDICIAIRE EUROPÉEN

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig, pour le groupe UMP.

M. Émile Blessig. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Les frontières nationales n'arrêtent plus ni la délinquance, ni la criminalité.

M. Albert Facon. Sarko n'a rien fait ?

M. Émile Blessig. Il est donc nécessaire qu'elles ne soient pas un obstacle à la coopération judiciaire. Dans l'Union européenne, la reconnaissance mutuelle qui veut qu'une décision judiciaire prononcée dans un État membre soit reconnue immédiatement exécutoire dans un autre est la base et le moteur de la construction d'un espace judiciaire commun européen.

Vous avez annoncé, monsieur le garde des sceaux, la constitution d'un groupe de travail avec vos homologues belges, espagnols et allemands en vue de la mise en réseau des casiers judiciaires nationaux de ces quatre pays.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le garde des sceaux, où en est ce projet ? Quelles sont les améliorations que les Françaises et les Français sont en droit d'en attendre en matière de lutte contre la criminalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez raison de souligner, monsieur le député, que construire un espace judiciaire européen est essentiel pour lutter contre la criminalité, et en particulier la criminalité transfrontalière.

L'expérience que vous en avez, en Alsace, illustre la nécessité de donner aux juges des moyens dont ils ne disposent pas aujourd'hui. En effet, lorsqu'un juge, soit à l'instruction, soit en position de jugement, souhaite connaître le passé judiciaire d'un individu, il peut bien sûr interroger les casiers judiciaires des autres pays, mais il se passe des semaines, avant qu'il n'obtienne des renseignements.

Il était donc nécessaire de donner aux juges des différents pays volontaires les moyens d'obtenir ces renseignements dans la journée. C'est ce que nous mettons actuellement au point avec l'Allemagne, qui a été le premier pays avec lequel nous avons entrepris cette démarche, suivie de l'Espagne, puis de la Belgique qui, traumatisée par l'affaire Fourniret, a souhaité s'associer à notre démarche.

Je puis, d'ores et déjà, vous indiquer que d'autres pays européens souhaitent nous rejoindre. Le mécanisme proposé est très simple : il s'agit d'interconnecter nos casiers judiciaires informatisés. Cela ne nécessite ni gros investissements, ni modification des lois nationales, et cela permet de parvenir rapidement à l'objectif qui est de donner à nos juridictions les moyens de mieux connaître les antécédents judiciaires des individus arrêtés et jugés, et d'apporter à nos concitoyens un plus de sécurité au sein de l'espace judiciaire européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

SITUATION AU LIBAN

M. le président. La parole est à M. Christian Philip, pour le groupe UMP.

M. Christian Philip. Ma question s'adresse au ministre des affaires étrangères et porte sur trois aspects de la situation au Liban.

Premièrement, l'organisation des Nations unies vient de parvenir à un accord avec la Syrie sur le retrait, d'ici à la fin du mois, de ses troupes et de ses services de renseignement. Je me félicite de voir ainsi mise en œuvre la résolution 1559, votée par le conseil de sécurité, à l'initiative du Président de la République et de notre ministre des affaires étrangères.

Je souhaite savoir si l'organisation des Nations unies a pu mettre au point avec la Syrie les dispositions nous permettant d'être assurés que ce retrait sera effectif, total, et contrôlé.

Deuxièmement, M. Fitzgerald a remis au secrétaire général des Nations unies un rapport sur les conditions de l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri. L'organisation des Nations unies va-t-elle rechercher les responsables de cet assassinat par la mise en place d'une commission d'enquête internationale ou par tout autre moyen ?

Troisièmement, pour sortir de la crise, il faut des élections. Celles-ci sont normalement prévues d'ici à la fin du mois de mai. Mais pour qu'elles puissent se tenir, il faut un gouvernement. Or il n'arrive pas à se mettre en place.

De quels moyens de pression la France dispose-t-elle pour obtenir que les élections se tiennent comme prévu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Nous avons pris acte dimanche, monsieur le député, de l'accord intervenu à Damas. Cet accord s'inscrit exactement dans le cadre de la résolution 1559 qui prévoit le retrait de toutes les troupes et de tous les services de renseignement syriens du territoire libanais.

La nouveauté, c'est que le gouvernement syrien s'est engagé à procéder à ce retrait avant le 30 avril. Nous faisons confiance, monsieur Philip, au secrétaire général des Nations unies, et à son représentant M. Roed-Larsen, pour vérifier la réalité de ce retrait.

La situation libanaise est très fragile. Le processus politique démarre, et certains souhaitent déstabiliser le pays par une série d'attentats. Nous condamnons fermement tous ces attentats comme nous avons condamné l'attentat tragique qui a coûté la vie à dix-neuf Libanais et à M. Rafic Hariri.

Au-delà du rapport de M. Fitzgerald, c'est en ce moment même que se discute aux Nations unies la constitution d'une commission d'enquête internationale sur les responsabilités dans cet assassinat.

Troisièmement, vous avez raison, les élections seront le moment de vérité. Elles doivent se tenir comme prévu, c'est-à-dire au mois de mai. Et c'est la raison pour laquelle un gouvernement doit être constitué et nous appelons toutes les forces libanaises à le mettre en place le plus rapidement possible.

Le seul objectif de la France pour ce pays qui nous est si proche et auquel nous sommes liés depuis de très longues années, est que peuple libanais retrouve au plus vite sa pleine souveraineté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. le président. La parole est à M. Pierre Amouroux, pour le groupe UMP.

M. Pierre Amouroux. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Il y a quelques mois, vous avez, monsieur le ministre, inauguré le pont de Triel qui franchit la Seine dans les Yvelines. À cette occasion, vous nous avez rappelé la politique ferme et déterminée contre l'insécurité routière que vous menez, sous l'impulsion du Président de la République, depuis 2002.

Le nombre de tués ou de blessés sur nos routes avait atteint de tristes records, trop facilement acceptés, d'autant plus inadmissibles que la vie d'un certain nombre de victimes aurait pu être sauvée si les conducteurs avaient adopté un comportement responsable et respectueux des règles du code de la route.

Votre volonté a d'ores et déjà porté ses fruits. En effet, depuis deux ans et demi, les chiffres marquent une baisse continue.

M. le président. Pouvez-vous poser votre question ?

M. Albert Facon et M. Maxime Gremetz. Il n'en a pas !

M. Pierre Amouroux. Ces bons chiffres laissent penser que nos concitoyens ont changé de comportement, notamment en ce qui concerne le respect des limitations de vitesse. Le week-end de Pâques est le plus meurtrier depuis plus de vingt ans, notamment dans les Yvelines.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dresser le bilan chiffré du dernier week-end pascal et nous dire quelles leçons vous en tirez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Albert Facon. Demandez aux appareils photo de Sarko !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, certains chiffres vont dans le bon sens, mais d'autres, hélas ! nous interpellent et nous inquiètent.

Avant l'action de ce Gouvernement et l'appel du Président de la République, l'on dénombrait 80 morts et 1534 blessés sur les routes à Pâques 2002. Cette année, nous déplorons 34 morts et 971 blessés. C'est encore beaucoup trop, même si la tendance est plutôt vertueuse.

En revanche, je suis inquiet, je ne m'en cache pas, car depuis quatre mois, nous relevons de nouveau une augmentation de la vitesse sur les routes, au-delà de ce qui est autorisé. Or l'on sait qu'à chaque fois que la vitesse augmente sur nos routes, cela risque de se traduire par des victimes supplémentaires. Et la bonne tendance que nous avons connue risquerait de s'inverser.

Nous allons donc continuer à travailler en direction des jeunes, des motards, et des conducteurs de poids lourds, qui sont concernés par ces augmentations, ainsi qu'avec les élus et les associations.

Permettez-moi de profiter de votre question pour rendre hommage à l'association Anne Cellier qui accomplit depuis des décennies un travail remarquable et dont la présidente vient de décider d'interrompre l'activité. Nous lui devons un hommage et beaucoup de reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

SITUATION EN CÔTE D'IVOIRE

M. le président. La parole est à M. Henri Sicre, pour le groupe socialiste.

M. Henri Sicre. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

L'actualité internationale est largement occupée par les problèmes de la Côte d'Ivoire, qui ne datent pas d'aujourd'hui, mais qui sont totalement occultés en France. Nos compatriotes qui ont été rapatriés en novembre dernier en savent quelque chose. Ils sont quelque 10 000 à se trouver abandonnés, mal logés, souvent sans emploi, attendant le maigre viatique de 750 euros qui leur avait été promis, espérant une quelconque assistance, la main tendue de la France !

Il en est de même pour nos soldats qui sont toujours là-bas. Leur mandat devait s'achever hier : il a été prolongé d'un mois. Nos soldats vont donc rester, mais pour quelle mission ? Sont-ils encore acceptés par les partis ? Quelle légitimité servent-ils ? La question est d'autant plus cruciale, monsieur le ministre, que notre diplomatie a passé la main à l'Afrique du Sud.

Certes, l'Afrique du Sud est un pays ami, mais nous restons peu ou mal informés. Que s'est-il passé les 3 et 4 avril à Pretoria ? Que peut-on attendre de la mission du président Thabo Mbeki qui a accueilli les protagonistes ?

Qu'en est-il, monsieur le ministre, des élections annoncées pour cette année ? Les registres d'état-civil sont-ils reconstitués dans le nord contrôlé par les rebelles ? Où en est le processus de paix ? Que faut-il penser des rumeurs annonçant une prochaine reprise des combats avec des mercenaires libériens de part et d'autre ?

La France a-t-elle ou souhaite-t-elle avoir un avenir en Côte d'Ivoire ? Jouer le statu quo, monsieur le ministre, si telle était la position de la France, ne ferait qu'aggraver la crise en Côte d'Ivoire et continuerait à nous faire perdre notre crédit dans toute l'Afrique.

Le groupe socialiste est préoccupé. Il a essayé de convaincre la commission des affaires étrangères au lendemain des événements du mois de novembre 2004 de créer une mission d'information pour sortir la France de ce que l'on appelle aujourd'hui un mauvais pas, et que l'on appellera peut-être dans quelques jours, un gâchis ! Cette demande a été refusée.

M. le président. Posez votre question !

M. Henri Sicre. Le groupe socialiste vous demande donc, monsieur le ministre, de façon grave et solennelle, d'expliquer clairement à la représentation nationale les raisons du silence persistant de la France sur la crise ivoirienne et ses séquelles au plan humain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave. Quel culot ! C'est scandaleux !

M. le président. Taisez-vous, monsieur Cazenave !

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Sauf à subir une nouvelle fois la violence et une spirale d'intolérance et d'actes armés en Côte d'Ivoire, il n'y a pas d'autre alternative que le processus politique et démocratique qui a été imaginé dans les accords de Marcoussis. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) et que l'Union africaine a soutenu à plusieurs reprises.

C'est précisément parce qu'il y a une panne dans ce processus politique que l'Union africaine a initié une nouvelle médiation. Elle a été confiée à un homme d'État africain respecté, M. Thabo Mbeki, président de l'Afrique du Sud. En ce moment même, sont réunis autour de lui à Pretoria, le président Gbagbo, le premier ministre ivoirien et d'autres personnalités ivoiriennes, qui ont entre leurs mains l'avenir de leur pays : M. Ouattara, M. Bédié, M. Soro. Nous espérons qu'ils trouveront non seulement les mots mais aussi les actes pour résoudre les deux principaux points de blocage du conflit que sont le début du cantonnement et du désarmement des forces armées des rebelles et l'organisation d'élections présidentielles ouvertes.

Monsieur le député, permettez-moi de le dire à la représentation nationale et de le confirmer comme Michèle Alliot-Marie l'a fait à plusieurs reprises, la France n'est pas en Côte d'Ivoire pour elle-même et par elle-même. Elle y est, avec ses soldats auxquels je veux rendre hommage pour leur courage et leur engagement que plusieurs d'entre eux ont payé de leur vie, (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et du groupe socialiste) dans le cadre d'un mandat précis des Nations unies et au service de la paix. C'est ce mandat qui vient d'être renouvelé par le Conseil de sécurité.

La France sait que la réconciliation nationale est difficile et que le processus est fragile. Nous souhaitons que ce soit d'abord les dirigeants africains eux-mêmes qui, avec l'appui de la communauté internationale, trouvent les actes et prennent les décisions qui permettent d'aboutir à ces accords.

En ce qui nous concerne, sur place, dans les conditions que je viens de rappeler, dans notre dialogue avec les capitales africaines et aux Nations unies, nous continuerons d'avoir pour seul objectif, par notre action quotidienne, le retour de la paix et de la stabilité dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

TIBET

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, pour le groupe UMP.

M. Lionnel Luca. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Répondant à l'invitation du président de l'assemblée nationale tibétaine, qui se réunissait en session budgétaire, j'ai eu l'honneur de conduire une délégation de douze députés du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur le problème du Tibet, issus de trois formations politiques différentes, à Darhamsala en Inde, siège du gouvernement tibétain en exil.

Avec Jean-Louis Bianco, Patrick Bloche, Geneviève Perrin-Gaillard et Chantal Robin-Rodrigo pour le groupe socialiste, Philippe Folliot pour l'UDF, Gabriel Biancheri, Richard Mallié, Marcelle Ramonet, Jacques Remiller, Dominique Tian et Philippe Vitel pour l'UMP, nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec les autorités tibétaines : le premier ministre, le président de l'assemblée tibétaine et surtout cette autre grande et belle figure de l'humanité qu'est le Dalaï Lama, prix Nobel de la paix en 1989.

Ils nous ont confirmé leur volonté de mener un dialogue direct avec les autorités chinoises sur la base d'une autonomie, dont le fonctionnement en Inde sans problème depuis quarante-six ans démontre qu'elle serait possible en Chine, sans risque de séparatisme. Leur engagement est très clair : cette autonomie ne concernerait que les Tibétains du Tibet et non pas ceux qui sont en charge des responsabilités en exil.

Nous avons aussi vu à l'œuvre une authentique démocratie politique, une société solidaire, qui continue d'accueillir des réfugiés, notamment des enfants et des adolescents, dans des conditions misérables pour leur offrir un soutien et une formation dignes d'éloges. J'ai promis à l'un de ces enfants, âgé de cinq ans, de présenter son dessin, qui parle mieux que quiconque des conditions de vie du peuple tibétain en Chine. (M. Lionnel Luca montre un dessin d'enfant.).

Monsieur le ministre, les autorités tibétaines souhaitent que la France, qui a d'excellentes relations avec la Chine, leur permette de renouer le dialogue pour favoriser la coopération et l'autonomie. De quelle manière pensez-vous pouvoir intervenir en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le député, la mission parlementaire qui s'est rendue récemment à Dharamsala montre l'intérêt que la France, à travers sa représentation nationale, porte à tout ce qui se passe au Tibet. Elle est très attentive, vous le savez, à la situation de ce pays. Nous avons toujours affirmé, ce qui va de soi, que seul un dialogue approfondi et sincère entre les autorités chinoises et le Dalaï Lama peut dégager une solution pacifique, qui préserve à la fois l'identité tibétaine et la souveraineté chinoise sur le Tibet.

De ce point de vue, nous avons soutenu les prises de contact entre Pékin et les représentants du Dalaï-Lama depuis 2002. À l'occasion des rencontres bilatérales de haut niveau, nous encourageons les autorités chinoises à poursuivre dans cette voie.

Nous avons aussi suivi avec attention les résultats encourageants de la troisième mission des émissaires du Dalaï Lama, dirigé par M. Lodi Gyari, qui s'est rendue en Chine en septembre dernier. Nous avons pris note de la franchise du dialogue qui a permis pour la première fois d'aborder les questions de fond, et nous espérons que ces discussions se poursuivront pour aboutir à des résultats.

Vous nous demandez ce que nous faisons.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Eh bien, j'ajouterai ceci : la question du Tibet est toujours à l'ordre du jour des sessions annuelles du dialogue euro-chinois, où la France prend toute sa part. Y est évoquée en particulier la question des droits de l'homme, sur laquelle nous sommes intransigeants. Le dialogue fournit donc l'occasion de rappeler les attentes qui sont les nôtres sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE SPATIALE

M. le président. La parole est à M. Loïc Bouvard, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Posez votre question, monsieur Bouvard, ne vous laissez pas griser par les applaudissements ! (Sourires.)

M. Loïc Bouvard. Monsieur le ministre délégué à la recherche, le 12 février dernier, nous avons assisté au lancement réussi de la fusée Ariane V depuis le centre spatial de Kourou en Guyane. Cette réalisation est un très beau succès scientifique et industriel et une preuve évidente de la qualité du savoir-faire européens. En effet, c'est l'Agence spatiale européenne qui a piloté le développement de la fusée et la maîtrise d'œuvre a été assurée principalement par le Centre national d'études spatiales jusqu'en 2003, puis par EADS.

Plus récemment, dans le cadre de la visite de M. le Président de la République au Japon, le président du CNES et son homologue japonais ont fait part de leur souhait de renforcer leurs travaux en commun dans le domaine spatial.

Enfin, M. le Premier ministre a signé avec les représentants de la Banque européenne d'investissement et ceux d'Arianespace les actes permettant l'installation du lanceur russe Soyouz au centre spatial de Kourou.

Ces exemples démontrent la vitalité de la politique spatiale européenne et l'excellence de notre recherche et de notre industrie en matière aérospatiale face aux États-Unis et à la montée en puissance de la Chine.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser l'importance et les perspectives de développement de notre politique spatiale ainsi que les enjeux économiques qu'elle représente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est au ministre délégué à la recherche.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Monsieur le député, les succès indissociables de l'Europe spatiale et de la politique spatiale française ont abouti au lancement réussi d'Ariane et à l'accord très important avec la Russie sur Soyouz, mais aussi à la mise en œuvre de programmes essentiels comme Galileo et au lancement de satellites tels que Eutelstat et Metéosat ainsi que, ne l'oublions pas, de la sonde Cassini-Huygens, qui a atterri sur l'une des lunes de Saturne, Titan.

L'Europe comme les gouvernements européens ont bien compris que l'espace était un enjeu essentiel : sur le plan stratégique, avec la maîtrise de l'accès à l'espace au travers des lanceurs ; sur le plan économique : ce secteur représente en France plus de 10 000 ingénieurs et chercheurs, 20 000 collaborateurs, un chiffre d'affaires de plus de 4 milliards d'euros et 15 % du budget civil de la recherche et du développement ; sur le plan scientifique et technologique également.

Aussi le Gouvernement a-t-il décidé la semaine dernière de conclure un contrat de 8 milliards d'euros avec le CNES pour la période 2005-2010 afin de conforter non seulement la place de la France en tant que première puissance européenne en matière spatiale, mais aussi la politique européenne de l'espace. L'espace est en effet l'un des acquis les plus probants et les plus spectaculaires de la construction européenne, à la fois par les coopérations industrielles, par les politiques communes et les projets mis en œuvre, mais aussi par la mise à disposition de moyens de sécurité, de communication, d'observation, de prévention des catastrophes naturelles pour tous les Européens. L'espace, c'est tout cet ensemble-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

    3

RATIFICATION DU TRAITÉ ETABLISSANT UNE CONSTITUTION POUR L'EUROPE

Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur le référendum portant sur le projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés rassemblés,...

M. Jean-Claude Lefort. Dans leurs différences !

M. le Premier ministre. ...je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui, pour la première fois, en application de l'article 11 de la Constitution, un projet de loi avant qu'il soit soumis au vote des Françaises et des Français. C'est la première fois, en effet, qu'il est fait application de cette nouvelle procédure depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui a été voulue par le Président de la République.

Cette nouvelle pratique se situe dans la continuité de notre tradition républicaine voulue par le général de Gaulle dès les débuts de la ve République. Elle montre qu'il n'y a pas de concurrence entre la représentation du peuple par le Parlement et le référendum. La voie parlementaire et la voie référendaire ne s'opposent pas, elles se complètent.

Ce référendum est un moment de vérité car l'Europe ne peut avancer qu'avec les citoyens.

Je vous le rappelle, ce traité ne révise pas les traités existants ; il s'y substitue. C'est l'article IV-437 du projet de traité constitutionnel. Pour cette raison, le texte qui sera soumis aux Français le 29 mai prochain et qui vous est présenté aujourd'hui comporte une question : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? »

Ce référendum est le dixième référendum national de la ve République et le troisième consacré dans notre pays à une question européenne.

Le premier référendum concernait le premier élargissement de la Communauté économique européenne. Le 23 avril 1972, les Français se sont prononcés à une large majorité en faveur du passage de l'Europe des Six à l'Europe des Neuf. Ils ont ratifié l'entrée de trois nouveaux États dans la Communauté : le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark. Le taux d'abstention avait été alors de près de 40 %, taux jugé bien élevé à l'époque. Hélas ! ce record a été battu depuis.

Le deuxième référendum a eu lieu vingt ans plus tard, le 20 septembre 1992. Il s'agissait d'approuver le traité établissant l'Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique qui ne s'appelait pas encore l'euro. Ce référendum donna lieu à une campagne passionnée et argumentée. Le résultat positif fut acquis avec une marge étroite. Ses conséquences pour les Français en sont pourtant durables, concrètes et quotidiennes.

L'euro est aujourd'hui une réalité, la zone euro un espace qui protège les deux tiers de notre commerce extérieur, la parité entre l'euro et le dollar ne concernant qu'un tiers de notre commerce extérieur. La zone euro nous protège aussi de tous ceux qui seraient tentés par des dévaluations compétitives.

De ces deux consultations, je retiens trois leçons : il faut s'opposer à l'abstention, il faut combattre la confusion, il faut un vrai débat et faire preuve de conviction.

Il faut d'abord s'opposer à l'abstention.

Le référendum est l'expression la plus directe et la plus élevée de la souveraineté populaire. Il est un moment unique de la vie démocratique, puisque c'est aux Françaises et aux Français eux-mêmes qu'il appartient de trancher, en arbitre ultime.

Pour cette raison, mesdames, messieurs les députés, il vous incombe en tant qu'élus de la nation, comme il incombe aux élus locaux ainsi qu'aux membres du Gouvernement, de rappeler aux Françaises et aux Français qu'ils doivent participer à ce référendum. On ne peut à la fois dénoncer le déficit démocratique de l'Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l'organisation démocratique de l'Europe et l'engagement européen de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le pronostic, nécessairement incertain du résultat de cette consultation, engage la responsabilité de chacune et de chacun. L'indifférence ressemblerait à de l'insouciance.

Il faut aussi combattre la confusion.

Un référendum sur l'Europe n'est pas un plébiscite. Il n'est pas, il ne peut devenir ni une motion de confiance ni une motion de censure.

La réponse à la question posée - le oui ou le non - n'appartient ni aux uns ni aux autres, mais au peuple.

M. Michel Piron. Très bien !

M. le Premier ministre. La réponse que nous demandons à chaque Français, c'est une réponse libre, indépendante des considérations partisanes et des échéances électorales. La réponse que nous demandons à chaque Français s'attache à la question posée, à toute la question. La réponse que nous demandons aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd'hui ; elle vaut pour leurs enfants, pour l'avenir. Elle décidera la règle du jeu pour l'action que voudront mener en Europe tous nos successeurs.

Avec ce nouvel élargissement, il fallait évidemment de nouvelles règles. Le traité n'est pas un discours politique, pas un choix politique, c'est un « discours de la méthode ». Notre Constitution nationale nous a permis, dans le temps, de conduire des politiques bien différentes les unes des autres.

La Constitution est une méthode. Elle n'engage pas tous les choix politiques. Mais elle apporte à la construction européenne les moyens de l'efficacité, les moyens de l'organisation démocratique.

Enfin, nous avons besoin d'un vrai débat. Ce référendum sera l'occasion de parler partout en France d'Europe ainsi que de la France. Dans ce débat, chacun doit pouvoir s'exprimer sur ce qu'il attend de l'Europe et des nouvelles règles d'organisation pour les choix politiques d'avenir que notre pays fera en Europe.

La campagne est organisée sur deux plans : celui de l'explication et celui de la conviction.

La campagne d'explication d'abord. Son organisation relève de la responsabilité du Gouvernement sous l'autorité du Président de la République. Chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe...

M. Jean-Claude Lefort. Le texte intégral ?

M. le Premier ministre. ...ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité.

Comme tout projet de loi qui vous est soumis, ce texte est précédé d'un exposé des motifs...

M. Frédéric Dutoit. Partisan !

M. le Premier ministre. ...qui explique...

M. Jacques Brunhes. Il n'explique rien, il affirme !

M. le Premier ministre. ...l'objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer. Ainsi que l'a indiqué tout à l'heure le ministre de l'intérieur, l'envoi de ces documents à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

La campagne de conviction est déjà engagée. Chacun pourra faire son choix. Le « oui » et le « non » sont également respectables. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.

Au terme de cette campagne, personne ne pourra dire qu'il n'a pas été informé...

M. André Chassaigne. Mais les informations sont tendancieuses !

M. le Premier ministre....qu'il n'a pas été en mesure de déposer dans l'urne son bulletin de vote de manière libre et éclairée, bref d'exprimer un vote responsable.

J'entends dans le pays des pronostics incertains sur l'adhésion des Français au projet européen

M. Frédéric Dutoit. Tout le monde est d'accord avec l'Europe. Là n'est pas la question !

M. le Premier ministre. J'entends dire que cinquante ans de vie commune depuis la création de la Communauté en 1957 auraient sédimenté des malentendus, des incompréhensions, voire des rancœurs.

M. André Chassaigne. Ce n'est pas seulement cela !

M. le Premier ministre. J'entends des rumeurs de divorce entre le peuple de France et l'idée européenne.

M. Frédéric Dutoit. C'est faux !

M. le Premier ministre. J'entends parfois aussi l'isolement présenté comme une liberté alors que l'histoire nous a appris que l'isolement était toujours porteur de dépendance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ces rumeurs ne sont pas surprenantes. Rappelez-vous l'étroitesse de la victoire du « oui » au référendum sur le traité de Maastricht !

M. Gilbert Biessy. Caricature !

M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas digne d'un Premier ministre !

M. le Premier ministre. Puisqu'il est « ouvert », le référendum du 29 mai doit être le moment de parler ouvertement de notre ambition pour l'Europe, sans tabou mais sans mensonge.

Je le dis devant vous, mesdames, messieurs les députés, je le dis aux Français par votre intermédiaire : nous avons besoin de l'Europe. (« De laquelle ? » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mais nous avons aussi besoin d'affirmer un désir d'Europe. Nous ne ferons pas progresser l'Europe dans la direction que nous voulons si nous n'avons pas un véritable désir d'Europe. (« Quelle Europe ? » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est à nous de décider, par ce référendum, si nous voulons approfondir et poursuivre notre vie commune européenne et lui donner un nouveau sens.

C'est en adoptant la Constitution pour l'Europe que de nombreux Françaises et Français pourront combler l'écart entre leur idéal de l'Europe et l'Europe qu'ils n'aiment guère, celle qu'ils craignent, celle qu'ils jugent parfois procédurale, bureaucratique, menaçante ou imparfaite. Au fond, refuser le traité c'est conserver l'imparfait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En adoptant la Constitution, la France reste à l'avant-garde de l'Europe que nous voulons.

M. Frédéric Dutoit. Une Europe libérale !

M. le Premier ministre. Sur aucun point, mesdames, messieurs les députés, on ne peut prétendre que le nouveau traité serait moins bon que les règles actuelles.

M. Bernard Deflesselles. Tout à fait !

M. le Premier ministre. Les Français veulent une Europe qui ait une âme : la Constitution est porteuse de valeurs, elle consacre la charte des droits fondamentaux.

M. André Chassaigne. Sans qu'elle soit applicable !

M. le Premier ministre. Pour la première fois, les Français retrouveront dans le traité les droits auxquels ils ont été si attachés au cours de l'histoire, auxquels ils sont attachés depuis la Déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 - c'est l'article I-9 du projet de traité constitutionnel. C'est peut-être le premier traité de « l'homme européen » décrit tout récemment par Jorge Semprun et Dominique de Villepin.

Les Français veulent une Europe qui ait un visage : le Conseil européen aura un président stable dont le mandat pourra aller jusqu'à cinq ans. Pour la première fois, les Européens auront face à eux une autorité politique qui pourra défendre son autorité face à l'administration et aux organisations technocratiques,...

M. Frédéric Dutoit. Ça, c'est vrai !

M. le Premier ministre. ...une autorité politique qui assumera toute la responsabilité politique des décisions de l'Union, en vertu de l'article I-22.

Les Français veulent une Europe qui soit un modèle social. Cette Constitution se donne pour objectifs le plein-emploi, la justice sociale et le progrès social. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je vous renvoie à l'article I-3. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Elle reconnaît l'importance des services publics sur tout le territoire à l'article II-96.

M. André Chassaigne. Mais il n'y a plus de services publics !

M. le Premier ministre. Elle reconnaît aussi le rôle des partenaires sociaux dans l'article I-48. Pour la première fois, le Conseil européen de printemps sera précédé par un sommet tripartite : Conseil, Commission et partenaires sociaux.

M. Gilbert Biessy. Ce n'est pas contraignant !

M. le Premier ministre. Les Français veulent une Europe qui soit à leur écoute. Pour la première fois, cette Constitution s'ouvre à la société civile aux termes de l'article I-47.

M. Jean-Claude Lefort. C'est dangereux car il s'agit des lobbies.

M. le Premier ministre. L'article I-11 donne aux Parlements nationaux le pouvoir de contrôler le respect du principe de subsidiarité et l'article I-47 innove puisqu'il introduit le droit d'initiative populaire, le droit de pétition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les Français veulent une Europe qui soit écoutée et respectée sur la scène mondiale, une Europe qui les protège des désordres de la mondialisation, une Europe qui crée entre les États membres une solidarité de sécurité, comme le prévoit l'article I-43. Elle aura son ministre des affaires étrangères en vertu de l'article I-28 et renforcera sa défense commune dans le cadre de l'article I-12.

M. André Chassaigne. À la remorque de l'OTAN !

M. le Premier ministre. L'Europe unie se fera mieux entendre et la voix de la France y sera renforcée.

Cette Constitution européenne, c'est l'Europe que les Français veulent : une Europe de la paix et de la sécurité,...

M. André Chassaigne. Une Europe de la guerre !

M. Gérard Léonard. Le mur de Berlin est tombé. Il s'est écroulé, tout comme vous !

M. le Premier ministre. ...une Europe porteuse de valeurs, fidèle à l'humanisme français, une Europe de progrès et de croissance, et une Europe pour laquelle le « voisinage » n'est pas nécessairement l'adhésion, comme le prévoit l'article I-57. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Frédéric Dutoit. Vous avez peur de la Turquie ?

M. le Premier ministre. La Constitution européenne ouvre le champ des possibles. C'est pourquoi le référendum n'est pas partisan. Il offre à l'Europe un choix entre une ouverture sur l'avenir et les blocages du présent. (« Quelle Europe ? » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Nouveau traité, nouvelle Europe. Dire oui à la nouvelle Europe, c'est avant tout dire oui à la France car le non affaiblirait la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La France a besoin d'un oui pour défendre les intérêts des Françaises et des Français. Les Français ont besoin, en effet, que la France soit forte.

J'ai confiance dans le vote des Français. J'ai dit que ce référendum était le troisième référendum européen. Il ne sera peut-être pas le dernier : les Français seront de nouveau consultés pour arrêter les frontières de l'Europe, pour débattre des éventuels élargissements de l'Union, issus de futures négociations.

La date du 29 mai sera un moment de vérité, comme chaque fois que la parole est donnée au peuple. Elle donne corps à une Europe plus démocratique et elle perpétue notre tradition républicaine du référendum.

C'est donc une certaine idée de la démocratie européenne qui est en jeu, et c'est pour cela que je demande aux Français de voter le 29 mai, d'aller dans leur bureau de vote pour remplir leur première mission qui est de voter, et ensuite de voter oui à la question que le Président de la République leur a personnellement et collectivement posée. La France a besoin de l'Europe, mais l'Europe a besoin du « oui » de la France. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs des groupes, je salue la présence dans les tribunes du président du Parlement européen, M. Josep Borrell. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, un référendum, est-ce bien utile ? Certains se posent peut-être désormais la question. Pourtant, l'ampleur du questionnement qui traverse notre peuple en démontre, si besoin était, l'absolue nécessité. Au nom des député-e-s communistes et républicains, je me félicite de cette consultation. Sur de tels enjeux, il revient à notre peuple de se prononcer en toute conscience.

Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, il ne s'agit pas d'un plébiscite. Le débat que ce référendum ouvre au cœur de la société est un débat essentiel qui nous ramène aux grandes controverses politiques de notre temps.

Force est de constater que l'on a beaucoup traîné en chemin avant d'accepter un référendum et d'en donner la date. Maintenant, on a l'impression que l'on veut d'une certaine façon étouffer le débat : le matériel officiel est transformé en outil de propagande (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ou l'école publique utilisée pour faire passer des consignes de vote.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La propagande, dans laquelle votre maître, l'Union soviétique, excellait !

M. Yves Nicolin. Que craignez-vous ?

Mme Marie-George Buffet. Mais, quoi que vous fassiez, les Françaises et les Français se sont emparés de ce grand débat fondamental qui met en jeu des options qui pèseront demain sur leur vie quotidienne.

À vous écouter, monsieur le Premier ministre, il n'y a pas d'ambiguïté. Votre option, celle que vous mettez en œuvre, avec les ravages sociaux que l'on sait depuis que vous avez été nommé, correspond pleinement à celle que porte le texte. Ce n'est pas une « méthode », comme vous le dites, mais un traité profondément libéral, profondément régressif.

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

Mme Marie-George Buffet. Que nous est-il demandé formellement ? De porter une appréciation sur le projet de loi du Gouvernement qui ratifie le traité. Adopter une sorte de concentré de toutes les mesures dévastatrices mises en œuvre par le Gouvernement, assorti d'une peine de sûreté de plusieurs décennies, n'est naturellement pas fait pour soulever notre enthousiasme. Et les mots sont faibles.

D'enthousiasme, je n'en distingue d'ailleurs pas vraiment à l'égard du texte. On comprend que certains ne souhaitent pas voir le Gouvernement occuper le devant de la scène dans la campagne du oui compte tenu du succès de son action auprès de l'opinion...

M. Yves Nicolin. Il est toujours plus populaire que le PC avec ses 3 % !

Mme Marie-George Buffet. ...et de la nécessité de ne pas rebuter les électrices et les électeurs de gauche peu enclins à emprunter les autoroutes du libéralisme.

En réalité, il s'agit d'un choix de société. Voulons-nous poursuivre l'Europe telle qu'elle s'est construite jusqu'ici et accélérer le rythme des régressions ? Ou bien voulons-nous qu'elle change de cap et dessine à l'avenir d'autres horizons ? Le choix est d'importance.

En 1992, à l'occasion du traité de Maastricht, le débat s'est enfermé dans un dilemme stérilisant : « pour ou contre l'Europe ? ». Le procédé ne prend plus, monsieur le Premier ministre. Nos concitoyens veulent se prononcer sur l'orientation à donner à l'Europe. C'est cela qu'ils « désirent », pour employer votre expression.

La Constitution propose d'approfondir le sillon creusé depuis des décennies en gravant le libéralisme dans le marbre. Voulons-nous de cette Europe ou bien voulons-nous d'une autre Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Yves Nicolin. D'une Europe communiste ?

Mme Marie-George Buffet. Tel est l'enjeu du débat.

Dans quelques semaines, nous allons célébrer le soixantième anniversaire du 8 mai 1945, de la Libération. Au sortir des heures sombres de notre histoire, partagées par l'Europe tout entière et au-delà, se sont reconstruites des sociétés sur des bases nouvelles, marquées par un idéal démocratique et social solide et déterminé.

M. Yves Nicolin. Ce n'est pas grâce à vous !

Mme Marie-George Buffet. Je vous en prie, monsieur le député, nous sommes le parti de la Résistance ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « À partir de 1943 ! » sur les mêmes bancs.) Le général de Gaulle, lui, le reconnaissait !

M. Gilbert Biessy. Taisez-vous à droite ! Sinon, nous pourrions vous rappeler des souvenirs qui dérangent !

Mme Marie-George Buffet. La Libération fit naître l'espoir d'un monde meilleur qui éteigne à jamais le feu infernal. Ce fut la paix, ce furent les grandes réalisations issues du programme du Conseil national de la Résistance, ce fut la conscience aiguë des relations nouvelles entre les peuples, notamment entre les peuples d'Europe. (« De l'Est ? » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'Europe, c'est un bel idéal ! Mais qu'en est-il advenu ? La belle idée d'Europe a servi de cheval de Troie à un libéralisme d'autant plus décomplexé qu'il se réfugiait hors de portée des citoyens et des citoyennes. La belle idée d'Europe a été utilisée pour détruire les acquis de la Libération, elle est devenue le fer de lance des décisions de l'OMC et du FMI. Le bilan est désastreux.

M. Francis Delattre. Et la libération des pays de l'Est ?

Mme Marie-George Buffet. À l'heure où nous parlons, il est plus que temps d'en tirer les leçons.

M. Francis Delattre. Budapest, vous connaissez ?

M. le président. Monsieur Delattre !

Mme Marie-George Buffet. Je sais bien que cela vous ennuie d'entendre exposer les arguments des partisans du non, mais il faudra bien vous y résigner ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les rédacteurs du traité auraient pu se donner pour mission de refonder l'Europe sur d'autres bases. Puisqu'ils n'ont pas voulu le faire, le moment semble bien choisi pour remettre les choses à plat et travailler réellement à un autre projet européen. Tel est le sens du vote négatif.

Je veux le dire à ses défenseurs sincères, la belle idée d'Europe est en passe d'être gâchée par le libéralisme. Il est plus que jamais nécessaire de réagir. C'est le sens du vote « non », un vote d'espoir pour l'Europe.

Que dit le texte ? En substance, il se résume à une phrase : « L'Europe offre à ses citoyennes et à ses citoyens un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ».

M. Yves Nicolin et M. Richard Mallié. Cela s'appelle la liberté, vous ne connaissez pas ce mot ?

Mme Marie-George Buffet. Ainsi rédigé, l'article 3 indique la philosophie globale qui a inspiré ses rédacteurs.

Si les premières lignes du traité exposent de grandes intentions louables et des objectifs que personne ne saurait contester : démocratie, égalité, liberté..., la seule garantie apportée par le texte, développée par la suite, c'est bien la « concurrence libre et non faussée » dont les mécanismes sont décrits avec une précision d'horloger dans la partie III. La Constitution lui est essentiellement consacrée. Il est à tout le moins permis de s'interroger sur l'utilisation de grandes valeurs partagées au sein des peuples pour couvrir et habiller des projets qui le sont moins. Les préliminaires passés, il n'est plus question que de marchés, de libéralisation, de mise en concurrence.

Ensuite, certains choix qui relèvent de décisions politiques d'importance sont d'ores et déjà inscrits dans le texte. Il fixe ainsi aux gouvernements eux-mêmes des lignes directrices qui sont à l'évidence celles d'une politique extrêmement libérale. Le Parlement européen, dont les attributions sont réduites à la portion congrue - il n'a même pas l'initiative législative - est enjoint de faire appliquer la Constitution, donc le libéralisme.

Le droit de pétition évoqué dans le texte, je dis bien évoqué, n'est aucunement défini et peut très bien revenir à donner l'autorisation aux citoyens de crier dans le désert. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous êtes une spécialiste !

M. André Chassaigne. Ils ne l'ont pas lue !

Mme Marie-George Buffet. Il y a des sujets sur lesquels les rédacteurs ont su, ou plutôt voulu, être plus attentifs et plus précis.

Face au défi démocratique auquel est confrontée l'Europe, que nombre de citoyens jugent éloignée de leurs préoccupations et hors de portée, c'est peu dire que le texte présenté n'est pas à la hauteur. Les institutions, en dépit de quelques menues modifications, restent à l'abri de l'intervention citoyenne.

Quant à la Charte des droits fondamentaux, une formidable idée pourtant, qui aurait pu être une source énorme de progrès, elle énonce plusieurs droits appréciables, mais elle ne se préoccupe pas de les traduire en actes et de les faire appliquer.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n'est pas une politique, mais une Charte, justement !

Mme Marie-George Buffet. On peut s'interroger sur quelques éléments troublants. Comment faut-il entendre le droit à la vie, qu'évoquent d'ailleurs les opposants à l'avortement ?

M. François Hollande. Il faut demander à Mme Boutin !

Mme Marie-George Buffet. Et comment interpréter l'absence de ce droit dans le texte ?

Que penser du droit à travailler inscrit dans le texte, plutôt que du droit à un emploi ? Faut-il être rassuré que l'Union européenne reconnaisse et respecte le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale ? Ou au contraire s'inquiéter qu'elle n'affiche aucune ambition pour les renforcer et les développer, alors qu'elle cherche par ailleurs à réduire les charges sociales et le champ d'application des droits sociaux garantis ?

Faut-il se satisfaire du droit de vote accordé aux citoyens de l'Union pour les municipales quel que soit leur pays de résidence ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs.) Ou faut-il regretter une fois de plus que des hommes et des femmes, qui ont passé l'essentiel de leur vie sous nos latitudes, soient humiliés et privés d'un droit élémentaire, celui de voter ?

Faut-il accepter que la laïcité en soit absente ? L'engagement pris par le garde des sceaux au Sénat de viser dans le projet la décision du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel n'est pas respecté alors qu'il devait garantir que l'interprétation par le Cour de justice de Luxembourg de certaines dispositions de la charte des droits fondamentaux n'aille pas à l'encontre de nos normes constitutionnelles, notamment dans le domaine de la laïcité.

Très franchement, cette charte ne fait pas rêver !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Vous non plus !

Mme Marie-George Buffet. Comme je viens de le montrer, non seulement elle consacre des droits a minima - mais là n'est pas le plus éclairant -, mais, de plus, son préambule prévoit que ces droits seront interprétés selon les explications du Présidium. Les choses semblaient, en l'état, déjà trop belles ! Je ne saurais trop vous conseiller la lecture de ces explications, dont la philosophie est de reprendre d'une main ce qui a été donné de l'autre.

Le même préambule réaffirme de prime abord la liberté de circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, sous-entendant nettement que les droits inscrits dans la charte ne s'appliquent que dans la mesure où ils ne contredisent pas ces principes - ou plutôt ce principe, le libéralisme -, que les rédacteurs du texte ont la sagesse d'appeler « les compétences et tâches de l'Union ».

Et comme si tout cela ne suffisait pas, la conclusion de la charte, en vue d'encadrer ses possibles applications, ajoute qu'elle ne crée aucune compétence ni tâche nouvelles pour l'Union. Paroles, paroles !

Enfin, un sort définitif est fait à ce texte, dont la dangerosité pour les forces dominantes était pourtant très relative, lorsqu'on nous explique que si les droits reconnus devaient entrer en conflit avec les autres parties de la Constitution, celles-ci auraient naturellement le dernier mot. Comme si nous ne l'avions pas déjà compris ! Il convient en tout cas de saluer l'ingéniosité des rédacteurs du texte, qui ont réussi à y inscrire des droits tout en créant les conditions permettant de ne pas les appliquer.(Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Un texte libéral donc, un texte de droite. Pour ceux qui pourraient encore en douter, je me contenterais de citer l'article III-131, qui me paraît éclairer suffisamment les motivations - ou plutôt les lubies - fixées à l'Union : « Les États membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté par les mesures qu'un État membre peut être appelé à prendre en cas de trouble intérieur grave affectant l'ordre public, en cas de guerre ou de tension internationale grave constituant une menace de guerre ou pour faire face aux engagements contractés par lui en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale. » Tel est le sens de cet article : en cas de guerre, l'Union se préoccupe de protéger le marché !

Et l'on vient nous parler des progrès de l'Europe politique et nous expliquer que la dignité humaine est au cœur des préoccupations de l'Union ! Ajoutons que l'inféodation à l'OTAN est inscrite noir sur blanc dans le traité, puisqu'il y est indiqué que les politiques de l'Union doivent être « compatibles » - le mot est élégant - avec celles de l'OTAN.

M. Richard Mallié. C'est ce que demandent tous les anciens États du bloc soviétique !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Nous sommes dans l'OTAN !

Mme Marie-George Buffet. Une telle inféodation montre à quel point, non content d'être idéal, ce texte se veut également atlantiste.

On nous parle d'Europe puissance et on appelle les États à démultiplier leur potentiel militaire : je préfère que l'Europe se pense solidaire et s'inscrive dans un immense élan de coopération.

Venons-en aux services publics. Les directives européennes n'ont eu de cesse de les attaquer, alors qu'ils constituaient une énorme richesse pour les peuples d'Europe. Quel progrès aurait pourtant permis une véritable mise en synergie à l'échelle européenne de toutes ces structures visant à répondre, dans l'égalité, aux besoins fondamentaux des hommes et des femmes ! Il a, au contraire, été décidé d'ouvrir ces champs aux spéculateurs et à la marchandisation. L'Union ne s'interdit rien en la matière ! La culture ? Marchandisable ! La santé ? Marchandisable ! La retraite ? Marchandisable ! L'énergie ? Marchandisable ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les directives européennes, inscrites dans la logique des traités précédents, ont toutes été négociées et acceptées par les gouvernements de ces vingt dernières années. Aujourd'hui, selon les termes du projet de traité constitutionnel, des services dits d'intérêt économique général sont tolérés comme des «dérogations» : leur caractère temporaire et exceptionnel semble donc aller de soi.

M. Pierre Lequiller. C'est faux !

M. François Liberti et M. André Chassaigne. C'est vrai !

Mme Marie-George Buffet. Quant à la banque centrale européenne, son indépendance la faisant échapper à la souveraineté populaire, son action est tournée vers la spéculation au lieu de favoriser l'emploi et la formation. Il n'est, pour s'en convaincre, qu'à considérer les taux de chômage en Europe, dont celui de notre pays qui ne cesse de croître sous le poids des politiques libérales conjointes de Paris et de Bruxelles.

M. Hervé Novelli. Et le taux de chômage aux États-Unis ?

Mme Marie-George Buffet. Évoquons aussi la mise en concurrence des salariés et des peuples, qui pèse sur les droits sociaux et sur les salaires et conduit au chantage à la délocalisation.

Que propose l'Europe en vue de faire progresser les droits et les pratiques sociaux partout dans le monde ? Elle n'a rien à dire sur le sujet ! Elle se préoccupe seulement des taux de profit et de l'Eurofirst 80 ! C'est elle qui inspire les pseudo-réformes des retraites et de la protection sociale visant à baisser encore le niveau des droits garantis et des prestations.

M. Francis Delattre. Parlez-nous de la Constitution !

Mme Marie-George Buffet. Les peuples d'Europe souffrent de ces politiques : il faut changer d'Europe pour vivre mieux,

Évoquons enfin la fameuse directive Bolkestein, dont l'existence a été révélée voici de longs mois, je tiens à le souligner, par le journal L'Humanité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Cette directive n'a rien à voir avec la Constitution !

Mme Marie-George Buffet. Quand le débat sur cette directive a commencé à prendre une trop grande ampleur, on a soudain entendu des cris d'orfraie. Mais un grand nombre de ceux qui se sont mis à les pousser ont oublié de nous rappeler qu'ils avaient, à Bruxelles, porté ce texte qui les révulse aujourd'hui.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est hors sujet !

Mme Marie-George Buffet. Si c'est hors sujet, on se demande bien pourquoi le Président de la République s'est autant mobilisé sur la question !

M. Daniel Paul. Bravo !

Mme Marie-George Buffet. Il faut dire à nos concitoyens et à nos concitoyennes que l'épisode n'est pas clos, puisque cette directive est une déclinaison du traité constitutionnel et que loin d'avoir été abandonnée, comme certains ont tenté de le faire croire, elle a simplement été mise sous le boisseau jusqu'à l'été. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il faut également leur rappeler que l'agenda de Lisbonne, qui permet à l'orientation définie par le traité constitutionnel de ne pas être contrariée, prévoit encore nombre de mauvais coups pour les mois à venir : libéralisation du secteur de l'énergie, des transports - notamment des chemins de fer - et des services portuaires, chasse aux aides d'État, nouvelle « modernisation » des systèmes de protection sociale et plan de maîtrise de l'évolution salariale. Il ne faut pas non plus oublier la modification de la directive sur le temps de travail qui est en cours d'examen.

M. Francis Delattre. Qu'a fait Gayssot ?

M. André Chassaigne. Il a créé des emplois ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-George Buffet. Durant le débat, les travaux de démolition continuent ! Les modifications prévues sont très graves. Elles révèlent, s'il en était encore besoin, les objectifs de la Commission, ceux-là même qui ont été inscrits dans le texte du traité constitutionnel. Pour la France, nous avons appris hier que la privatisation de GDF, voulue par Bruxelles et acceptée de bon cœur par le Gouvernement, était reportée au lendemain du référendum. Les réjouissances prévues en cas d'adoption du projet de traité risquent de ne pas être partagées par un grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens. On ne connaît déjà que trop les conséquences d'une victoire du oui !

La mobilisation sociale des dernières semaines - celle des chercheurs, des lycéens, des fonctionnaires et des salariés du privé - et, ces jours derniers, le nouveau cri d'alerte des urgentistes révèlent une même aspiration à sortir du carcan libéral qui étouffe chacune et chacun d'entre eux. Ils veulent le renouveau des services publics : le projet de traité constitutionnel veut les détruire. Ils veulent une juste rétribution de leur travail : le projet veut augmenter les revenus du capital. Ils veulent une école pour tous : le projet veut réduire les dépenses publiques et sociales. Ils veulent le respect de leur dignité et de leurs droits : le projet les tire vers le bas.

M. Richard Mallié. Cela suffit !

Mme Marie-George Buffet. Voter non, ce sera à juste titre, pour beaucoup d'hommes et de femmes, une question de dignité. Ce sera également donner une suite à leur lutte.

« Une Constitution, nous dit-on, n'interdit pas de mener la politique que l'on souhaite ». En l'occurrence, c'est faux ! Celle-là constitutionnalise une politique économique, ce qui n'est le cas d'aucune autre Constitution, hormis, dans l'histoire de l'humanité, celles de régimes totalitaires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. Les chars à Varsovie !

M. Hervé Novelli. Nostalgie !

Mme Marie-George Buffet. Ce texte a pour ambition d'imposer aux gouvernements, aux parlements et aux peuples la politique à mener pour les décennies à venir. C'est une atteinte grave à la démocratie.

Que se passera-t-il si le non l'emporte ? La question agite beaucoup les partisans du oui. Nous avons eu droit aux prédictions les plus catastrophiques, pires que celles formulées par d'obscurs prédicateurs pour le passage à l'an 2000. La victoire du non, ce serait donc, au choix, le chaos, le schisme à gauche, la disparition de la France du paysage international, la fin de l'Europe ou encore la honte indélébile.

M. Daniel Paul. La mer se retire !

Mme Marie-George Buffet. Vous me pardonnerez, mes chers collègues, de ne pas dresser une liste exhaustive : je ne peux, par respect pour l'Assemblée, rapporter ici certaines des prédictions que j'ai entendues.

Nous pensons au contraire que si le non l'emporte, il sera la voix de la France, et c'est une voix qui compte en Europe ! Ce non sera un écho pour tous les peuples qui n'auront pas eu la chance de pouvoir s'exprimer et qui auront été privés d'un véritable débat sur le projet de traité constitutionnel.

M. Jean Leonetti. C'est l'alliance du Parti communiste avec Le Pen !

Mme Marie-George Buffet. De nombreuses forces travaillent à construire une autre Europe en phase avec les attentes, les besoins et les aspirations des hommes et des femmes. Les regards des progressistes européens sont tournés vers la France. Le non de la France sera pour eux un formidable encouragement et pour les politiques libérales, un sacré coup d'arrêt, car il marquera leur échec. Si le non l'emporte, il faudra remettre l'ouvrage sur le métier et écrire un autre texte. Si le non l'emporte, il faudra permettre aux citoyens et aux citoyennes de dessiner eux-mêmes l'Europe dont ils ont besoin. Si le non l'emporte, il faudra l'entendre, en France, comme l'espoir toujours vivace d'une société plus juste et plus humaine.

Mes chers collègues, la logique du moindre mal a conduit à une dégradation dramatique des conditions de vie en France et en Europe. Les appels successifs au renoncement ont conduit à une société qui se replie au lieu de se déployer et qui se résigne, au lieu d'espérer. Il est temps de tirer les leçons de décennies de construction européenne, d'ouvrir les yeux sur les dégâts qu'elle a provoqués et de proclamer la nécessité d'une autre Europe. Voici venue l'occasion de mettre fin aux ravages de l'Europe libérale ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voici venu le temps d'une Europe nouvelle qui, apportant enfin le progrès, puisse retentir d'espoirs nouveaux !

Notre peuple a devant lui une chance historique : celle de réorienter profondément la construction européenne, en se prononçant majoritairement pour le « non » au projet de loi du Gouvernement visant à ratifier le projet de traité constitutionnel. De profonds changements seront alors possibles et une autre Europe pourra enfin voir le jour.

Dans le nouveau traité qui pourrait alors être élaboré, il faudrait que figurent le principe de non-régression sociale et la garantie de droits réels pour les salariés, notamment en matière de retraite et de protection sociale.

M. Jean Leonetti. Ce n'est pas demain la veille !

Mme Marie-George Buffet. Ce nouveau traité devrait dessiner les contours d'une véritable Europe des services publics, qui permette de répondre partout aux besoins fondamentaux.

Il faudra inscrire au programme de cette nouvelle Constitution une Europe de l'emploi, avec une Banque centrale européenne sous contrôle des élus, assurant la sécurité de l'emploi et de la formation, une Europe de l'égalité réelle entre les hommes des femmes, qui ne nie pas les droits acquis par les femmes, une Europe de la démocratie, qui ne se cache pas des citoyens mais qui leur permette de participer pleinement à l'élaboration des décisions, une Europe qui ne ferme pas ses frontières, une Europe de paix, enfin, dégagée de la tutelle de l'OTAN, qui agisse pour le désarmement et qui cherche des issues politiques aux conflits majeurs de notre temps.

Voilà de quoi est fait le non au projet de traité constitutionnel : de ces espoirs, de ces projets et de ces propositions. Les contours que je viens de tracer forment une antithèse à ce qui nous est proposé. Le besoin d'Europe est immense, à condition de ne pas se tromper d'Europe. Le non est décidément un vote d'espoir. C'est un vote qui rassemble, porteur d'autres possibles.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. L'alliance de Buffet avec Le Pen !

Mme Marie-George Buffet. C'est celui que le groupe des député-e-s communistes et républicains porte, aux côtés d'un grand nombre d'hommes et de femmes dans notre pays. Peut-être, demain, sera-t-il majoritaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Pour l'UMP, la parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, au-delà du traité constitutionnel et de ses avancées démocratiques, politiques et sociales considérables, l'enjeu du référendum du 29 mai est la construction d'une Europe politique.

Dans un monde en recomposition après l'effondrement de l'empire soviétique, où l'Asie prend une place sans cesse plus importante, et qui est confronté à la globalisation. l'Europe est à un tournant de son histoire, de notre histoire.

Dans ce monde nouveau, l'Union européenne, désormais forte de ses vingt-cinq États membres, a besoin des règles politiques partagées, solidaires et non partisanes qui lui manquent afin de poursuivre sa grande ambition.

L'Union européenne ne peut rester plus longtemps régie par les règles de 1957, arrêtées alors qu'il ne s'agissait que de jeter les bases du marché commun entre les six pays fondateurs.

L'empilement des traités successifs - l'Acte unique, Maastricht, Amsterdam, Nice - exigeait synthèse, simplification et plus encore démocratie, transparence et proximité.

M. François Liberti. Nous sommes servis !

M. André Chassaigne. Le Présidium, c'est la transparence !

M. Bernard Accoyer. Nous avons besoin de nouvelles règles communes plus simples et plus efficaces, rendues plus indispensables encore par l'élargissement de 2004 qui a profondément modifié l'équilibre de l'Union et posé de nouvelles questions.

Ces règles sont inscrites dans le traité constitutionnel, élaboré dans le consensus par cent deux conventionnels de tous les pays de l'Union et de toutes les sensibilités.

M. Jean-Claude Lefort. C'était loin d'être une constituante !

M. Bernard Accoyer. C'est une nouvelle Europe, plus démocratique, plus sociale, plus efficace, plus proche des citoyens, qui nous est proposée par le traité constitutionnel.

M. Guy Teissier. C'est vrai !

M. Bernard Accoyer. C'est pourquoi, parce que nous pensons avant tout à la France,...

M. Frédéric Dutoit. À la France d'en haut !

M. Bernard Accoyer. ...le groupe UMP dit oui au traité constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Oui, pour bâtir ce que le général de Gaulle appelait une « Europe européenne qui existe par elle-même, pour elle-même et qui ait sa propre politique ».

Nous disons oui parce que, dans ce monde multipolaire, l'émergence d'une Europe puissance politique fortement intégrée, avec ses 450 millions d'habitants, avec un PIB comparable à celui des États-Unis, donnera à l'Union européenne la capacité de peser sur la scène mondiale, dans l'intérêt des peuples qui la composent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Liberti. Elle sera surtout scotchée à l'OTAN !

M. Bernard Accoyer. Nous disons oui car l'Europe est porteuse d'un message pour le monde qui sert l'intérêt de tous. C'est le message du traité constitutionnel : un message pour la paix, pour la démocratie, pour le progrès économique et social.

M. Pierre Lequiller. Tout à fait !

M. Bernard Accoyer. Il porte, chacun le sait, l'empreinte de nos propres valeurs, celles qui ont fait la France. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Le message européen est un message de paix, ainsi que le proclame l'article 3 du traité, fidèle à l'objectif des pères fondateurs de l'Europe, Robert Schuman et Konrad Adenauer. Nul ne peut oublier que l'Union européenne a d'abord apporté la paix sur notre continent, après des siècles de guerres et de conflits toujours plus destructeurs, jusqu'au plus terrible d'entre eux et l'embrasement planétaire qu'il déclencha. Parce que l'histoire nous a appris que rien n'est jamais acquis, c'est d'abord pour préserver cette paix pour les générations futures que notre devoir est d'approfondir encore la construction européenne.

M. Jean-Claude Lefort. Le non, ce n'est tout de même pas la guerre !

M. Bernard Accoyer. Nous disons oui au traité constitutionnel pour une Europe plus démocratique, respectant les droits fondamentaux.

M. Richard Mallié et M. Guy Teissier. Très bien !

M. Bernard Accoyer. Qui pourrait nier que, pour la Grèce, l'Espagne, le Portugal, les anciens pays du bloc de l'Est, l'adhésion à la communauté européenne a permis de tourner définitivement les pages sombres de leur histoire récente et de s'ancrer dans la démocratie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. Nos collègues communistes devraient se mettre à genoux !

M. Bernard Accoyer. Fondé sur les valeurs de la démocratie et du respect de l'État de droit inscrites à l'article 2, le traité constitutionnel, dans lequel est intégrée la charte des droits fondamentaux, de portée considérable, renforce encore les mécanismes démocratiques au sein de l'Union.

M. André Chassaigne. Simple affichage !

M. Bernard Accoyer. Ainsi que le disait Jean Monnet, « rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les institutions ».

Les nouvelles compétences données au Parlement européen ainsi que l'extension du champ de la codécision avec le Conseil à des domaines tels que les politiques d'immigration et de coopération judiciaire s'inscrivent dans ce progrès démocratique, tout comme les nouveaux droits reconnus aux citoyens de l'Union, tel le droit d'initiative populaire défini à l'article 47.

L'article 11 donne aux parlements nationaux les moyens de veiller au respect du principe de subsidiarité dans les textes législatifs européens, c'est-à-dire d'agir en amont des décisions européennes. Le traité donne ainsi un coup d'arrêt à ce qu'il faut bien appeler un recul des parlements nationaux, recul qui n'est pas étranger à une certaine méfiance des citoyens vis-à-vis de l'Europe.

M. Daniel Paul. Cette méfiance est la sagesse même !

M. Bernard Accoyer. En confortant l'Europe des parlements nationaux, en répondant à l'exigence de proximité, le traité renforce l'Europe démocratique.

Cette Europe plus démocratique, c'est aussi une Europe politique plus efficace. Avec un président du Conseil européen, responsable et assisté d'un ministre des affaires étrangères, l'Europe aura un visage, ce visage qui lui a trop souvent manqué, la rendant distante et trop anonyme pour les Européens.

M. Jean-Claude Lefort. Elle a déjà le visage de M. Barroso, hélas !

M. Bernard Accoyer. Le traité constitutionnel renforce le rôle du Conseil européen, où se décide l'essentiel : c'est par exemple le Conseil qui, sous l'impulsion de Jacques Chirac et du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a récemment décidé de la remise à plat du projet de directive sur les services, pour lequel, d'ailleurs, il n'y avait de majorité ni au Conseil ni au Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Paul. C'est faux !

M. Gilbert Biessy. Vous n'y croyez pas un instant !

M. Bernard Accoyer. Le traité renforce le poids politique de la France au sein du Conseil puisque, dans le nouveau système de pondération, notre pays représentera 13 % des droits de vote contre 9 % actuellement.

Parce que le politique doit primer sur l'économique, l'article 194 du traité renforce les coordinations économiques dans la zone euro, au service de la croissance et de l'emploi. C'est cette priorité politique qui a prévalu sur une vision strictement technocratique et comptable lors du récent aménagement du pacte de stabilité, voulu par la France.

Une Europe politique plus efficace permettra également à ceux qui le veulent aller de l'avant grâce aux « coopérations renforcées » facilitées par l'article 44. Par exemple, nous pourrons décider avec des États membres de politiques communes plus fermes pour lutter contre l'immigration clandestine, ou en matière de défense et de sécurité commune, ce qui n'avait pu être décidé, ni à Amsterdam, ni à Nice.

Nous disons oui au traité constitutionnel pour le progrès économique et social. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Depuis le lancement du marché commun en 1957, en effet, l'Europe et la France ont bénéficié d'une progression sans précédent de leur niveau de vie et de protection sociale.

M. Pierre Lequiller et M. Guy Teissier. C'est évident !

M. André Chassaigne. Dix-sept millions de chômeurs !

M. Bernard Accoyer. Le PIB de l'Union a progressé de 300 % au cours des quarante dernières années et le marché intérieur a créé, à lui seul, plusieurs millions d'emplois depuis 1993.

M. Gilbert Biessy. Vous oubliez la précarité !

M. Guy Teissier. Ce que proposent les communistes, c'est la précarité pour tous !

M. Bernard Accoyer. Ce progrès économique doit se traduire par plus de justice sociale en Europe. C'est pourquoi le traité constitutionnel contient des avancées considérables pour plus de garanties sociales au sein de l'Union.

Il s'agit du premier traité qui, comme il est précisé dans son article 3, fait du plein emploi, du progrès social, du développement d'une véritable économie sociale de marché, de la solidarité entre les générations, de l'égalité entre les hommes et les femmes, des objectifs pour l'Union. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Pour la première fois, le jeu de la libre concurrence est encadré par la très riche clause sociale de l'article 117, qui impose à l'Union de prendre en compte ces objectifs dans toutes ses politiques. Pour la première fois, un traité de l'Union affirme le caractère fondamental du rôle des services publics au sein de l'Union, comme le dispose l'article 122.

M. Pierre Lequiller. Tout à fait !

M. Bernard Accoyer. Pour la première fois, les partenaires sociaux et le dialogue social sont expressément reconnus au niveau européen : telle est la portée de l'article 48.

M. André Chassaigne. Personne ne vous croit !

Mme Élisabeth Guigou. Mais si ! Pour une fois, M. Accoyer a raison !

M. Bernard Accoyer. Mais surtout, mes chers collègues, nous disons oui au traité constitutionnel parce qu'il intègre en totalité, dans sa deuxième partie, la charte des droits fondamentaux, laquelle proclame des droits particulièrement importants pour les salariés : le droit à l'information et à la consultation au sein de l'entreprise, le droit de négociation et d'action collectives, la protection en cas de licenciement injustifié et le droit à des conditions de travail justes et équitables.

M. Jean-Claude Lefort. C'est la moindre des choses, non ?

M. Bernard Accoyer. Mes chers collègues du groupe communiste, ce texte contient des avancées considérables, et vous protestez ! C'est là un paradoxe incompréhensible. Les Français, eux, ne s'y trompent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. En quoi la reconnaissance du droit de grève est-elle une avancée ?

M. André Chassaigne. Et que faites-vous des recommandations du présidium ?

M. Bernard Accoyer. Cela n'a rien à voir... Mais je sais bien que vous êtes nostalgique d'un autre présidium ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'inscription de la charte dans le traité constitutionnel garantit qu'aucune initiative de l'Union ne pourra porter atteinte à ces droits.

De surcroît, le traité garantit la spécificité du modèle français de protection sociale, puisque les actions de l'Union concernant la sécurité sociale et la protection des travailleurs resteront adoptées à l'unanimité.

Mes chers collègues, il n'est pas possible de refuser ces avancées considérables et d'en rester aux traités précédents.

Le traité constitutionnel reprend également les politiques communes qui ont été synonymes de progrès pour les États membres et au premier rang desquelles vient la politique agricole, principale politique de l'Union par ordre d'importance. Celle-ci représente un succès incontestable.

M. Gilbert Biessy. Qu'en pensent les agriculteurs ?

M. Bernard Accoyer. Alors que l'Europe se trouvait en 1962 en situation de pénurie alimentaire, elle est devenue une grande puissance agricole. Ce succès est avant tout celui de la France, principal acteur de la PAC, deuxième exportateur mondial de produits agricoles et premier exportateur agroalimentaire. La PAC, pour l'agriculture française, ce sont 10,4 milliards d'euros de crédits européens garantis chaque année jusqu'en 2013 par l'accord de Luxembourg, obtenu grâce à l'action déterminante du Président de la République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Autre politique commune importante de l'Union : la politique régionale européenne, destinée à assurer la cohésion économique et sociale entre les États de l'Union conformément à l'objectif fixé par l'article 3 du traité. Elle a déjà permis à l'Irlande, à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal d'atteindre un haut niveau économique et social, offrant aux entreprises françaises de nombreux et importants débouchés commerciaux. C'est cette même logique du « gagnant-gagnant » qui se met en œuvre pour les nouveaux pays de l'Union, afin qu'ils parviennent rapidement, eux aussi, au niveau de vie moyen de l'Union, en respectant bien sûr la règle d'or qui a constamment prévalu depuis cinquante ans, celle de l'harmonisation par le haut. L'avenir de l'Union ne saurait s'accommoder ni de dumping fiscal, ni de dumping social : ce serait la négation de l'esprit communautaire. Le traité, sur ce point aussi, est une garantie nouvelle.

Nous disons oui au traité constitutionnel, parce c'est l'intérêt national.

Le statut de pays fondateur, de pays moteur avec l'Allemagne, confère à la France une influence importante dans les instances européennes. Cette influence, nous devons la sauvegarder : c'est la condition pour continuer à peser efficacement dans les négociations internationales commerciales, sociales, agricoles, environnementales et culturelles. Comment la France pourrait-elle agir sur une économie globalisée, affronter la concurrence de nations-continents émergentes avec leur puissance démographique impressionnante, telles que la Chine, l'Inde, le Brésil ? Comment pourrait-elle lutter contre les délocalisations si elle n'était pas l'acteur d'une stratégie économique et sociale européenne commune ?

M. Pierre Lequiller. Très juste !

M. Bernard Accoyer. Comment la France pourrait-elle relever seule le défi industriel et technologique, alors que nos principaux succès techniques et scientifiques, tels Ariane, Airbus, Galileo ou Huygens, sont d'abord le fruit de coopérations européennes ?

M. André Chassaigne et M. Jean-Claude Lefort. Nous n'avons jamais contesté cette coopération-là !

M. Bernard Accoyer. Comment ne pas évoquer la recherche, et particulièrement le projet ITER, en faveur duquel l'Union européenne est unie derrière la France pour obtenir l'implantation du réacteur expérimental à Cadarache, projet qui représente 10 milliards d'euros d'investissements et 10 000 emplois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons besoin de l'Europe pour l'avenir, mais également aujourd'hui, pour assurer notre sécurité commune et celles de nos frontières. Qui peut croire que la France pourrait affronter seule le terrorisme international, la criminalité transfrontalière, les trafics de drogues, les flux renouvelés et préoccupants de l'immigration clandestine et protéger nos frontières ?

M. Jean-Claude Lefort. Personne n'a jamais soutenu cela !

M. Bernard Accoyer. Pour autant, il ne s'agit pas de diluer notre pays dans un grand ensemble technocratique et sans âme. Un grand ensemble qui ne respecterait pas notre histoire, nos valeurs, notre langue, notre culture, ne pourrait avoir un avenir durable et ne recueillerait en aucun cas l'adhésion des Français.

C'est bien dans cet état d'esprit que les négociateurs du traité ont défendu la construction d'une Europe respectueuse de l'identité et de la diversité de ses États membres, et le traité marque clairement le refus d'un super-État européen.

Faire l'Europe sans défaire la France, telle est l'ambition qui a guidé tous les Présidents de la République, le général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, et tous les gouvernements successifs, de droite et de gauche, qui ont toujours cherché le rassemblement des Français pour bâtir notre destin européen, sans jamais demander un quitus de politique intérieure. Faire l'Europe sans défaire la France : c'est une ambition respectée par le traité.

Mes chers collègues, la réussite de l'élargissement de 2004 nécessite d'approfondir les solidarités politiques, économiques et sociales entre les 25 et, par conséquent, de stabiliser les frontières de l'Union en écartant tout nouvel élargissement qui risquerait de bouleverser son équilibre.

M. Richard Mallié. Très bien !

M. Bernard Accoyer. L'article 57 propose d'ailleurs à ces États une alternative claire, qui n'existait pas précédemment : celle du partenariat privilégié, que l'UMP - derrière Nicolas Sarkozy, et avant lui avec Alain Juppé - souhaite pour la Turquie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Lefort. Parlez donc de la Turquie !

M. Bernard Accoyer. En outre, la récente révision de notre propre Constitution impose de consulter les Français par référendum sur toutes les éventuelles nouvelles adhésions, et la règle de l'unanimité des pays membres fait que ce sont bien les Français qui décideraient in fine.

Personne n'imposera donc aux Français l'entrée de la Turquie dans l'Union contre leur gré. Ceux qui disent le contraire pour leur faire peur mentent aux Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, trop de contrevérités créent la confusion dans ce grand débat.

M. Jean-Claude Lefort. Absolument !

M. Bernard Accoyer. Les Français ont droit à la vérité : l'Europe du non n'existe pas.

Quel projet pour l'Europe défend ce cartel hétéroclite du refus ?

M. Jean-Claude Lefort. Ça commence ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Ce cartel va des militants de la IVe Internationale aux nostalgiques de la France seule, une France qui serait alors isolée et sans influence ! (« Mais non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Christine Boutin. N'exagérez pas !

M. Bernard Accoyer. Quelle vision commune pourrait rassembler ceux qui, sur ces bancs, ont voté contre tous les traités européens sans exception depuis cinquante ans, et les négociateurs d'hier de l'Acte unique et du traité de Maastricht ?

Il faut dire la vérité à nos compatriotes. Donner raison à ce front hétéroclite remettrait en cause les efforts accomplis depuis cinquante ans par la France pour la construction d'une Europe politique. Ce serait se résoudre à la dilution de l'Union dans une vaste zone de libre-échange euro-atlantique, dotée de quelques vagues mécanismes de coopération, dont on sait bien que le leadership politique échapperait aux pays de l'Union.

Cet avenir de renoncement et de fatalité que nous proposent les adversaires du traité constitutionnel, nous n'en voulons pas et nous le dénonçons !

Nous n'en voulons pas parce que ni la France, ni l'Europe n'y trouverait avantage.

Le traité constitutionnel est un traité voulu par la France, préparé sous l'égide de la convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing ...

M. Jean-Claude Lefort. C'est tout dire !

M. Bernard Accoyer. ... et qui porte la marque de la France, de sa vision de l'avenir de l'Union, de ses traditions politiques, sociales et juridiques.

Les adversaires du traité prétendent que son rejet permettrait de remettre l'ouvrage sur le métier et de fabriquer un meilleur texte. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est la thèse de la crise salutaire, le salut par le repli sur soi et l'immobilisme.(Exclamations sur les mêmes bancs.)

En réalité, ce serait isoler la France, l'arrêter au bord du chemin qu'elle a elle-même tracé.

M. Jean-Claude Lefort. Mais à part insulter les autres, que savez-vous faire ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. La vérité, mes chers collègues, c'est qu'il n'y aura pas de session de rattrapage.

Quel crédit nos partenaires pourraient-ils accorder à la France, si nous détruisions nous-mêmes ce que nous avons largement contribué à bâtir ?

Que deviendrait la relation historique franco-allemande, forgée au lendemain de la guerre, ainsi remise en cause ?

Et dans cette Europe-là, privée de son centre de gravité, les processus de renationalisation des politiques communes, les décisions ultralibérales pourraient être encouragées, tant le moteur franco-allemand a été et demeure irremplaçable pour faire avancer l'Europe.

Mes chers collègues, parce que nous croyons que la France doit rester forte en Europe et dans le monde, qu'elle doit rester porteuse d'avenir, spécialement pour notre jeunesse, parce que nous voulons plus de démocratie, plus de droits, de proximité et de garanties pour nos compatriotes, le groupe UMP demande aux Français, avec conviction et détermination, de répondre oui au référendum constitutionnel du 29 mai. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, oui, l'Europe est un combat, l'un des plus beaux de notre temps !

Le continent ruiné et humilié de l'après-guerre s'est relevé. Nous avons conquis la paix, nous avons dépassé les murs de l'Histoire, nous avons uni des peuples, des cultures, des croyances qui jadis nous séparaient. Oui, l'Europe a réussi ! Oui, la France a réussi dans l'Europe !

Notre première victoire est d'avoir rendu ces acquis irréversibles, d'avoir fait de l'Europe une évidence, de lui avoir donné une solidité qui lui permet de surmonter les crises et les coups de tabac. Elle est, depuis cinquante ans, notre fil rouge et notre défi permanent. Parfois, la France s'est cabrée devant ses disciplines ; jamais elle ne s'est dérobée. Nous avons été à l'origine de chacun de ses traités. Nous avons participé à chacune de ses réalisations. Nous avons donné chacune de ses impulsions.

Mais j'ai pleinement conscience du doute qui s'est installé. On l'a connu pour le traité de Maastricht, on le mesure dans cette campagne : beaucoup de nos compatriotes, notamment dans les catégories populaires, ont le sentiment que leurs efforts sont devenus vains. Que l'Europe s'éloigne de notre modèle républicain. Qu'elle va toujours plus avant dans la dérégulation. Que la France est en train de perdre la bataille, ou l'a déjà perdue.

Comment ne pas comprendre ce découragement, quand les inégalités ravagent notre cohésion sociale, quand tant de nos élites renvoient l'image d'une « France qui tombe » ? Comment ne pas comprendre la tentation de renverser la table quand l'Europe semble plus préoccupée par l'adaptation de sa compétitivité aux canons financiers de la mondialisation que du coût social qu'ils font peser sur ses peuples ? Cette réalité, les socialistes n'ont pas attendu le référendum pour vouloir la changer.

C'est donc à tous les renoncements que je voudrais répondre. Je n'ai ni arrogance ni mépris à l'égard de quiconque, mais j'ai la conviction bien trempée que la réponse n'est pas dans le repli du non, mais dans un oui de combat (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) : combat pour les progrès de cette constitution ; combat pour rendre l'Europe plus sociale, plus démocratique et plus puissante ; combat pour réconcilier la France avec elle-même et lui permettre de tenir son rang.

Je le dis et je l'assume : ce oui est un combat d'orgueil et de fierté.(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Léonce Deprez. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. J'assume totalement l'engagement européen des socialistes. Nous avons été parmi les architectes de l'Europe. Nous avons porté ou soutenu chacune de ses étapes, avec la conviction d'œuvrer pour la justice sociale et la grandeur de notre pays. Jamais, dans cette construction, nous ne nous sommes dédits. Ni reniements hier, ni reniements aujourd'hui, ni reniements demain : voilà l'engagement des socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Ueberschlag. De tous ?

M. Jean-Marc Ayrault. Le traité de Rome a ouvert la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. L'Acte unique a réalisé le marché intérieur. Le traité de Maastricht a fondé une union monétaire. La Constitution nous fait accéder à une autre dimension : elle est le premier texte à définir l'Europe dans un modèle de civilisation fondé sur des valeurs : la démocratie bien sûr, l'État de droit, mais aussi l'égalité, la solidarité, la neutralité confessionnelle, la protection sociale, le développement durable. Toutes ces valeurs sont les nôtres, elles sont celles de la République française ! (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Nous réalisons le vieux rêve des pères fondateurs : transformer un marché commun en une communauté de destin ; réunir nos peuples dans une citoyenneté, un passeport, une monnaie, des institutions et maintenant des valeurs partagées. Quel plus beau symbole de cette marche que la clause d'assistance mutuelle à laquelle les États ont souscrit dans la Constitution, en cas d'agression armée d'un des leurs ? Elle est l'une des marques les plus fortes de l'Europe solidaire que nous avons voulue.

Comment, mes chers collègues, peut-on y voir une défaite de la France ?

Comment peut-on y voir une abdication des socialistes que je représente ici ?

Oui, mes chers collègues, la Constitution rendra l'Europe plus démocratique. On a trop critiqué son fonctionnement opaque, ses « directives technocratiques » pour ne pas applaudir les renforcements des pouvoirs de contrôle du Parlement européen.

M. Dominique Dord et M. Pierre Lequiller. Tout à fait !

M. Jean-Marc Ayrault. Le président de la Commission ne sera plus un notable désigné par les gouvernements, il sera l'élu de la majorité politique de l'Assemblée parlementaire de l'Europe et sera responsable devant elle. Les directives de la Commission deviendront des projets de loi soumis à débat et à vote. Les parlements nationaux eux-mêmes seront saisis de la conformité de ces lois au principe de subsidiarité. Les intrusions dans les particularismes culturels des peuples, souvent abusives, seront mieux contrôlées. Les politiques, c'est-à-dire les élus des citoyens, aux parlements français et européen pour ce qui nous concernent, prendront désormais le pas sur les technocrates : c'est l'étape de la construction de l'Europe politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Oui, mes chers collègues, la Constitution donne un vrai pouvoir de décision à l'Europe. Là où le traité de Nice risquait de la paralyser en octroyant une prépondérance excessive aux petits États, la Constitution reconnaît enfin le poids démographique et politique des grandes nations.

Oui, la Constitution enracine l'Europe politique. La présidence fixe du Conseil européen et la désignation d'un ministre des affaires étrangères donneront désormais un visage et une présence à la diplomatie européenne que tous les citoyens désormais connaîtront.

L'Europe commence à comprendre que ses divisions en Irak ou dans sa relation avec les États-Unis desservent son influence.

Comment oublier sa médiation réussie en Ukraine, sa tentative d'obtenir un contrôle pacifique du programme nucléaire iranien, ses initiatives de paix en Afrique, sa politique en faveur du développement politique qu'elle est capable de faire avancer si elle est unie ? Or, cette fois, elle l'est ! J'oserai même dire que si les États-Unis avaient écouté davantage les résolutions unanimes du Conseil européen sur le Proche-Orient, le conflit israélo-palestinien eût peut-être déjà trouvé la voie du règlement durable que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est cela l'Europe politique et diplomatique, l'Europe « puissance » ! La voix de l'Europe est beaucoup plus unie sur ces questions qu'on ne le dit souvent.

Oui, la Constitution garantit mieux la sécurité de nos peuples.

Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle développe les coopérations policières et judiciaires contre les nouvelles menaces, bien réelles, du terrorisme, des mafias ou du blanchiment d'argent. Mais surtout, elle pose les fondations d'une défense commune. Tous les partenariats dans ce domaine seront permis pour les États qui le veulent. Ils pourront s'appuyer sur une Agence européenne d'armements et sur la clause de secours mutuel.

Toutes ces dispositions traduisent la volonté de l'Union d'assumer un statut d'acteur à part entière sur la scène mondiale, où l'Europe est vraiment attendue. Pas seulement sur le continent européen ou africain, mais aussi en Asie, où la Chine et l'Inde, qui sont aujourd'hui des puissances économiques, auront vocation demain à jouer un rôle politique. D'autres pays - je pense au Japon - s'inquiètent et attendent que nous apportions une puissance politique, une réponse géostratégique. Le Président Lula du Brésil et le Président Mbeki de l'Afrique du Sud en avaient également fait part à cette tribune. Le monde nous regarde et les partisans d'un équilibre mondial attendent de l'Europe qu'elle franchisse un pas. Cette Constitution le permettra, si nous le voulons, si les Français le veulent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Oui, la Constitution est une protection pour le monde du travail. Sa novation la plus importante est de reconnaître des droits sociaux inaliénables à tous les citoyens européens : les droits syndicaux, le droit de grève, l'égalité entre les sexes, la non-discrimination, les services publics entrent dans ses principes fondamentaux. Dans le même esprit, les objectifs de l'Union s'élargissent au plein-emploi, à la protection sociale, aux aides à la reconversion. Mais surtout, le texte du traité constitutionnel fait obligation à l'Union de prendre en compte la dimension sociale dans toutes ces politiques. Au moment où le libéralisme rogne partout ces acquis, les Européens, eux, les inscrivent dans leur Constitution. Qui peut dès lors parler de carcan libéral ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Dominique Dord. Bravo ! Et que disent les communistes ?

M. Jean-Marc Ayrault. Ceux qui soutiennent cette thèse se réfèrent souvent à « la concurrence libre et non faussée » pour la justifier. Préféreraient-il que l'Union laisse la porte ouverte au capitalisme monopolistique, que certains d'entre eux ont si longtemps combattu ? À cette question, ils doivent répondre. Dans un marché unique, une concurrence non faussée et la lutte contre les monopoles sont bien le moins. Tous ceux ici qui croient à l'Europe pourraient revendiquer cela comme un acquis.

M. Pierre Lequiller. Tout à fait !

M. Léonce Deprez. Très juste !

M. Jean-Marc Ayrault. Ce principe, comme tous ceux qui ont trait à l'économie, fait partie du socle fondateur de l'Europe depuis le traité de Rome. S'il est inscrit à nouveau dans le traité constitutionnel, la Constitution se limite à le codifier. En suivant la logique des partisans du « non », les Conventionnels de 1789 auraient rejeté la déclaration des droits de l'homme et du citoyen au motif qu'elle comportait la reconnaissance du droit de propriété et en expliquait les conditions de jouissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Bayrou. Eh oui !

M. Dominique Dord. Monsieur Ayrault, vous êtes remarquable !

M. Jean-Marc Ayrault. Ce traité n'est certes pas le chef-d'oeuvre de 1789, mais quel progrès comparativement au vide antérieur !

M. Pierre Lequiller. Exactement !

M. Jean-Marc Ayrault. Les partisans du « non » doivent le savoir, sans cette Constitution, on garderait le grand marché sans avoir ni les contrepouvoirs politiques, ni les protections sociales qu'institue le nouveau texte.

M. Pierre Lequiller. Tout à fait !

M. Jean-Marc Ayrault. Son rejet aboutirait à ce paradoxe dont l'histoire est coutumière : la surenchère anti-libérale enracinerait le libéralisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est le président de la Confédération européenne des syndicats, favorable au traité, qui le dit : « les libéraux n'ont pas besoin de Constitution ». La situation actuelle leur convient très bien ! (Mêmes mouvements.)

M. Dominique Dord. Et que dit Mme Buffet ?

M. Jean-Marc Ayrault. J'ai la conviction que c'est à la gauche de faire vivre ce traité. L'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution lui donnera une portée juridique, dont le mouvement syndical et associatif pourra se saisir pour exiger de nouvelles garanties sociales. C'est une vraie révolution qui s'inscrira dans la vie des gens, notamment par la création d'une jurisprudence européenne. Les syndicats, les associations, les citoyens pourront faire valoir partout, notamment au niveau des institutions judiciaires, leurs droits, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Cela aussi c'est un progrès ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La reconnaissance des services d'intérêt général ouvre la voie à une loi garantissant le rôle et les missions des services publics. L'extension des coopérations renforcées offre la chance de fonder une défense européenne ou de développer des programmes de recherche et d'industrie. Autant d'atouts que pourront utiliser les forces progressistes, les forces de gauche, mais aussi le mouvement social. On l'a vu pendant la guerre en Irak ou dans la mobilisation contre la directive Bolkestein : un espace public européen émerge, une opinion publique européenne s'exprime et commence à peser sur les décisions de l'Union. La Constitution en prend acte à travers l'instauration du droit de pétition collective.

M. Jean Le Garrec. C'est formidable !

M. Jean-Marc Ayrault. Alors, sortons des mythes et des faux-semblants qui encombrent nos greniers. Je ne veux pas faire croire aux Français que cette Constitution sera « le manège enchanté », qui fera disparaître le chômage par miracle, stoppera les délocalisations d'un coup de baguette magique et augmentera subitement le pouvoir d'achat. Ses limites sont celles de toute Constitution.

M. Pierre Lequiller. Exactement !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle ne définit pas des politiques. Elle est une proclamation de principes, une organisation des pouvoirs, un cadre de vie démocratique. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Pas seulement !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle est surtout un compromis indispensable - peut-être imparfait - entre des États et des forces politiques qui n'ont pas les mêmes visions et les mêmes objectifs.

M. André Chassaigne. C'est un système économique !

M. Jean-Marc Ayrault. La gauche n'a pas à en rougir. Elle a contribué à la création de cette Constitution dans le cadre de la convention, elle a arraché des avancées, et n'a subi aucun recul. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous ne nous lasserons pas de le marteler : aucune nation ne construira l'Europe seule. La décision du Conseil européen de remettre à plat la directive Bolkestein en est l'exemple le plus récent. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Dominique Dord. Alors, les communistes ?

M. Patrick Braouezec. C'est faux !

M. André Chassaigne. La directive est contenue dans le texte !

M. Jean-Marc Ayrault. Ceux qui, comme les députés communistes, pensent qu'il faut s'appuyer sur la dynamique du mouvement social pour faire bouger les choses devraient se rendre compte que c'est la coalition des forces politiques de gauche, parti socialiste et d'autres qui n'acceptaient pas un tel recul du droit social, qui a fait reculer la directive Bolkestein. Parmi ces forces, la Confédération européenne des syndicats, qui a manifesté à Bruxelles, est favorable au traité constitutionnel. C'est bien la preuve qu'il est possible d'articuler l'action politique avec le mouvement social, à condition de s'en donner les moyens. Nous n'aurions certainement pas obtenu gain de cause si nous n'avions pas, à l'instar de la Confédération européenne des syndicats, inscrit la dynamique de cette mobilisation dans la perspective de la Constitution européenne. Il en a été de même pour la réforme du pacte de stabilité. C'est bien parce que la France et l'Allemagne se sont inscrites dans la perspective de la Constitution européenne, qu'elles ont eu le poids nécessaire pour faire bouger les lignes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le pacte a été modifié de façon à favoriser la croissance et l'emploi par rapport à la vision monétariste qui prévalait jusqu'alors.

Mes chers collègues, nous ne prêchons pas dans le désert. Soyons conscients que les exigences françaises ont de l'écho dans les autres pays européens et servent la cause que nous défendons. Voilà qui prouve que la France n'est pas devenue le village gaulois assiégé par les légions libérales. Elle est toujours capable de peser, d'influencer, d'orienter dès lors qu'elle assume pleinement ses engagements européens. Le « non » est impuissant parce qu'il est solitaire et que seul, on n'arrive pas à faire bouger les choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. C'est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Quand les leaders du « non » brandissent le talisman d'une renégociation, ils entraînent la France dans un mirage.

M. Léonce Deprez. Tout à fait !

M. Dominique Dord. Oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Aucun ne détient les clés de cette renégociation. Aucun n'est au pouvoir. Aucun ne dispose d'alliés en Europe, hormis le parti conservateur britannique et des formations populistes ou ultra-libérales. Quelles garanties de résultats peuvent-ils assurer à nos compatriotes ? (« Aucune ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Aucune ! Ils n'apportent pas la réponse parce qu'ils en sont bien incapables. Ils devront s'en remettre au bon vouloir des États-membres, dont une partie a signé l'actuelle Constitution à reculons parce qu'elle va trop loin dans le processus d'intégration. Par quelle opération du Saint-Esprit va-t-on obtenir mieux avec des États qui veulent moins ?

Mme Élisabeth Guigou. C'est le bon sens !

M. Jean-Marc Ayrault. Souvenons-nous de l'histoire. Il y a cinquante ans, la France a rejeté le traité de la CED. Depuis, la défense européenne est restée dans les limbes et, avec elle, la capacité de l'Europe à assurer la sécurité sur son sol indépendamment des États-unis. Si nous disons non le 29 mai, le scénario a toutes les chances de se reproduire. Tous ceux qui, à Bruxelles et dans les capitales européennes, considèrent nos préoccupations sociales et politiques comme des lubies - et il y en a - auront les mains libres. Soit ils enterreront la Constitution sans fleurs ni couronnes, soit la France sera marginalisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Daniel Paul. Ce n'est pas vrai !

M. André Chassaigne. C'est l'orateur de quel groupe ?

M. Jean-Marc Ayrault. Cela, je ne le veux pas pour mon pays. Rappelons-nous - ce n'est pas si loin - les refus hautains de Margaret Thatcher dans les années 80. Pendant dix ans, elle a dit non à tout. Pendant dix ans, elle a mis la Grande-Bretagne en marge de l'Europe. Elle n'a pas pu empêcher François Mitterrand et Helmut Kohl de lancer la monnaie unique et l'espace Schengen. Je ne veux pas que la France demain connaisse le même sort et se retrouve sur le banc de touche. Quand on se met à l'écart, d'autres imposent le jeu. (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Que les Français ne se trompent donc pas de sens. Notre oui n'est ni béat ni morose, c'est un oui de combat. Notre ambition est de rapprocher l'Europe réelle de l'Europe souhaitée par une immense majorité de Français, et je viens d'expliquer pourquoi cette Constitution y concourt. Le reste est à conquérir.

Le grand défi des socialistes est de concrétiser les avancées de la Constitution avec les gouvernements et les partis de la gauche européenne, tous favorables au traité. Nous avons conscience que l'Europe sociale est l'attente première des catégories populaires et du monde du travail, non seulement de France mais aussi de toute l'Europe.

Nous en avons posé les fondations au parti socialiste européen en définissant une réelle stratégie de croissance et d'emploi. Celle-ci repose sur un investissement massif de l'Europe dans des programmes industriels et de recherche, dans la formation continue des travailleurs et dans une politique des hautes technologies et de la connaissance. Il est inadmissible qu'à votre initiative, monsieur le Premier ministre, le budget européen ait été plafonné alors que l'urgence sociale exige de nouvelles marges financières. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Augustin Bonrepaux. Ça, c'est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. De la même manière, il faudra peser sur la Banque centrale pour qu'elle modifie sa politique monétariste qui bride la croissance et la compétitivité des entreprises européennes. L'évolution du pacte de stabilité est déjà une première étape, à condition que soit mise en place une véritable gouvernance économique au service de la croissance, de l'emploi et de la prospérité.

Notre deuxième bataille : négocier un traité social qui traduise les principes énoncés dans la Constitution sur la protection des travailleurs.

Notre troisième bataille : obtenir une loi garantissant l'existence et le rôle des services publics comme la Constitution le permet. Nous ne voulons pas d'une marchandisation généralisée.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Les services publics doivent conserver les moyens de leurs missions,...

M. André Chassaigne. C'est un vieux rêve !

M. Jean-Marc Ayrault. ...qui garantissent la solidarité sociale et la cohésion territoriale. Le traité constitutionnel le permet, c'est la raison pour laquelle nous votons oui. Après, il faudra se battre pour que naisse une loi de défense des services publics qui s'impose à toute l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Notre quatrième bataille : donner à l'Europe les moyens de mieux se protéger et de mieux s'assumer dans le monde.

La constitution d'un noyau de défense commune est une priorité majeure. L'assouplissement des coopérations renforcées en offre l'opportunité. Pour de nombreux Français, la paix est acquise définitivement en Europe, et c'est vrai qu'on n'imagine pas un nouveau conflit franco-allemand, mais les menaces n'ont pas disparu pour autant, du terrorisme à l'instabilité des marches de la Russie, en passant par la crise d'identité du monde musulman, et bien d'autres risques que j'ai évoqués tout à l'heure. L'Europe doit avoir la capacité de se défendre par elle-même, et ce projet de Constitution, pour les peuples et les pays qui le voudront, lui en donne les moyens.

C'est aussi une nécessité. Lorsque nous avions des débats avec les Polonais, ils nous demandaient où était la protection de l'Europe, et ils avaient raison. Ils ont connu le joug soviétique, et ils ne veulent plus revivre une telle situation, même si c'est aujourd'hui celui de la Russie. Il faut réfléchir à cette question si nous voulons mieux intégrer les Polonais. Ils ont subi tant de malheurs de la part de leurs voisins, que ce soit l'Allemagne, la Russie ou l'Union soviétique, ils ont droit eux aussi à la protection, et ce projet de constitution nous en donne les moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

(M. Yves Bur remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,

vice-président

M. Jean-Marc Ayrault. Je ne suis pas naïf, mes chers collègues, je ne veux pas faire croire à nos concitoyens que l'Europe puissance va émerger comme par magie. Comme pour la monnaie ou la citoyenneté, c'est un processus long qui enjambe les générations. Mais ce dont je suis sûr est qu'on n'avancera plus à vingt-cinq comme on l'a fait à six ou à dix. La grande intelligence du traité constitutionnel est de l'avoir compris et d'autoriser les pays qui le veulent à avancer plus vite. J'espère que ce sera le cas de la France, c'est en tout cas la volonté des socialistes. Là se forgeront les projets les plus ambitieux.

Je ne suis pas devin, je ne sais si les liens tissés entre les pays membres et l'exceptionnelle plasticité de l'Union lui permettront de résister à une nouvelle secousse, je sais seulement que tous les exemples du passé, la politique de la chaise vide, le chèque britannique, la guerre en Irak rappellent qu'à chaque fois que l'Union s'est divisée, elle s'est bloquée pendant des années.

J'entends parler de la nécessité d'une crise salutaire, mais, je pose encore une fois la question à ceux qui le proclament, avec qui et pour quoi faire ? La crise n'est salutaire que pour ceux qui se rêvent un destin d'homme providentiel. Elle ajouterait le marasme européen à la dépression économique, sociale et morale que la France traverse, et je crois que nous devons tous être conscients que notre pays ne va pas très bien en ce moment. Avons-nous l'envie et les moyens d'affronter cette épreuve ? Sommes-nous prêts à en assumer toutes les conséquences ? C'est en tout cas à chaque Française et à chaque Français d'y répondre en conscience.

Il n'y a pas ceux qui capitulent et ceux qui résistent. Le oui est une volonté de mettre la France et l'Europe en concordance avec leurs ambitions, un oui qui veut s'inscrire dans la réalité européenne pour mieux l'orienter, un oui qui signifie clairement que notre pays veut rester maître de son destin. C'est aussi une question de conscience nationale.

L'Europe n'est ni l'enfer ni le paradis. Elle n'est pas l'épopée héroïque dont, parfois, nous rêvons. Construite sur les ruines de ses empires, elle se défie des magistères et préfère les compromis d'intérêt. Chaque projet est une partie d'échecs, chaque négociation est un bras de fer. Gagne celui qui sait créer une dynamique de rassemblement, pas celui qui s'isole, pas celui qui méprise, pas celui qui dénigre ses partenaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Les forces qui s'opposent aujourd'hui à la Constitution sont les mêmes qui, hier, dénonçaient la Communauté européenne du charbon et de l'acier, et je me garderai bien de faire des citations de ses adversaires, ce sont les mêmes qui avaient peur de la réconciliation franco-allemande (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française),...

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. ...qui accusaient le traité de Rome d'être une hydre supranationale, qui considéraient le Marché unique comme un asservissement au pouvoir des multinationales, qui rejetaient la monnaie unique comme l'abdication de notre souveraineté. Avec eux, mes chers collègues, ça n'a pas beaucoup changé, c'est toujours « Apocalypse Non ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Aujourd'hui, ils se réfugient et se drapent dans le manteau d'une autre Europe comme un hommage involontaire à sa réussite et comme un exorcisme de leur propre aveuglement.

Mais l'Europe reste aussi un combat entre la droite et la gauche. Nous voulons presque tous son avènement, parce que nous avons tous conscience que l'intérêt de la France, de notre nation, c'est de voir plus grand, c'est de voir, à cette étape historique de développement de notre pays, que l'Europe est une opportunité, et cela peut être commun à la droite et à la gauche, mais, en même temps, nous avons des visions et des objectifs différents. Chaque président, chaque gouvernement a apporté sa pierre, mais sur des bases souvent opposées. Aux visions volontaristes et fédéralistes de François Mitterrand et de Jacques Delors ont répondu la raideur nationale d'un général de Gaulle ou l'absence d'initiatives du premier septennat chiraquien. Le référendum dépasse momentanément nos clivages politiques mais, et c'est l'intérêt de la démocratie de le proclamer, il ne les épuise pas.

Mme Martine David. Très juste !

M. Jean-Marc Ayrault. La politique d'alignement libéral de l'actuelle majorité est aux antipodes de l'Europe sociale du groupe socialiste. La même bataille politique existe au sein des institutions européennes et devra se poursuivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Souvenons-nous de ce qui s'est passé en 2000. La majorité de gauche du Conseil européen avait arrêté la stratégie dite de Lisbonne pour faire de l'Europe la zone la plus performante en matière de croissance, d'emplois, de recherche et de nouvelles technologies. Depuis, la majorité européenne est passée à droite, et aucun des objectifs de Lisbonne n'a été rempli, faute de moyens et, surtout, de volonté. C'est l'une des preuves les plus flagrantes que l'orientation de l'Europe dépend moins de ses traités, même s'ils sont indispensables, que des rapports de force politiques.

M. Jean Le Garrec. C'est évident !

M. Jean-Marc Ayrault. Si nous voulons changer l'Europe, comme le veulent de nombreux Français, y compris ceux qui, aujourd'hui, dans les sondages, disent non, changeons de majorité en France et en Europe. Voilà la vraie réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Bien sûr !

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est moins bon !

M. Dominique Dord. Il faiblit sur la fin !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes dans un débat politique à l'Assemblée nationale, où il y a aussi la droite et la gauche.

Je récuse donc le discours de la défausse qui fait de l'Europe la cause de tous nos maux. Aucune institution de Bruxelles n'a exigé la privatisation d'EDF. Aucun ordre de Bruxelles n'a imposé l'austérité salariale et la baisse des impôts des plus fortunés. Aucun n'a demandé la fin des 35 heures ou des retraites par répartition. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Garrigue. Aucun non plus n'a demandé l'application des 35 heures partout !

M. Jean-Marc Ayrault. Toutes ces inégalités relèvent des choix du Gouvernement. Nulle constitution ne les dicte, nulle main invisible ne les fabrique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

C'est l'une de vos grandes fautes, monsieur le Premier ministre, vous avez instrumentalisé l'Europe pour justifier le désastre de votre gestion. À chaque coup de rabot sur les acquis sociaux ou sur le droit du travail, vous avez servi le même refrain aux Français : il faut rétablir notre compétitivité européenne, il faut s'adapter à ses règles, il faut faire ce que font tous les autres.

Et quand les chiffres comparatifs avec nos partenaires ont tourné à votre confusion, vous et vos amis avez plongé dans des guerres démagogiques contre « les bureaux anonymes » de Bruxelles, la réforme de la PAC, l'adhésion de la Turquie pour certains de vos amis. Votre responsabilité est immense dans le désarroi des Français vis-à-vis de l'Europe. Là où il fallait assumer, vous vous êtes défaussé. Là où il fallait peser, vous vous êtes hélas isolé.

Peut-on alors s'étonner que nos compatriotes doutent de la capacité de leurs dirigeants politiques à influencer le cours de l'Europe ? Soit nous la montrons sous le profil patibulaire d'une bureaucratie lointaine sur laquelle la politique n'a pas de prise, soit, parfois, nous la présentons sous les traits naïfs d'une « France en grand » qui, telle Saint Louis, guérit les écrouelles.

Notre démocratie est malade de ces confusions. Elle aspire à un langage de vérité. C'est tout le sens de notre oui, à nous, les socialistes : se défaire des peurs et des caricatures. Peu importe les querelles intestines, peu importe les ambitions personnelles. Ces enjeux sont de faible poids au regard de la nécessité de doter l'Europe d'une Constitution et de lui tracer une perspective qui concilie le souhaitable et le possible.

Puisque nous parlons vrai, allons jusqu'au bout. L'une des inquiétudes les plus vives de nos compatriotes est de voir le projet européen se diluer au fil d'élargissements que beaucoup considèrent hâtifs et mal préparés. Les mêmes craintes existaient quand l'Espagne, le Portugal et la Grèce ont adhéré dans l'Union : on redoutait une concurrence déloyale,...

M. Jean-Louis Idiart. Exactement !

M. Jean-Marc Ayrault. ...on les accusait de tirer les salaires vers le bas, ils étaient perçus comme fauteurs de délocalisations. Qui aujourd'hui regrette qu'ils aient comblé leur retard et consolidé leur démocratie après la dictature dont ils avaient été si longtemps les victimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sur le plan économique, nous en profitons nous aussi en termes d'exportations et d'emplois.

La solidarité est l'un des fondements de l'Europe. C'est aussi une dette envers des nations qui ont vécu sous le joug totalitaire, et c'est vrai pour les derniers arrivants, qui ont vécu plus de cinquante ans sous le joug de la dictature soviétique.

M. Jean-Pierre Gorges. Très juste !

M. Jean-Marc Ayrault. Ont-ils oui ou non leur place dans l'Union européenne ? La solidarité européenne, les valeurs européennes devraient tous nous conduire à dire oui, ils ont leur place, ce ne sont pas des invités auxquels on octroie une place en bout de table, ils ont les mêmes droits mais aussi les mêmes devoirs. C'est ça le sens historique de la construction de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Quant à la question de la Turquie, elle est hors sujet. Le processus de négociation est indépendant de la Constitution. Son résultat dépendra de la volonté turque de remplir les critères d'adhésion, de la capacité de l'Europe à l'accueillir et, in fine, du choix des Français. Tout cela prendra d'ailleurs au moins dix à vingt ans. Alors pourquoi certains jouent-ils volontairement avec la peur ?

Mes chers collègues, la grande vertu de cette campagne est de sortir des fantasmagories. Nul ne peut faire croire que cette Constitution va nous jeter dans les ténèbres. Nul ne peut prétendre qu'elle va résoudre tous nos problèmes. Nul ne peut prétendre en effet qu'elle sera la solution miracle. Comme dans toute réalisation européenne, son application dépendra des majorités politiques mais, surtout, de la volonté de porter des projets ambitieux, non pas une Europe a minima, mais une Europe forte, déterminée, qui soit un véritable modèle de civilisation et qui parle aux citoyens de l'Europe, mais aussi au monde.

Depuis dix ans, je le regrette profondément et beaucoup comme moi le ressentent comme une douleur, la France renvoie l'image d'une nation qui ne sait plus ce qu'elle veut. Entre les foucades de son président et les échecs de son gouvernement, elle s'est repliée dans le doute.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Tout à fait !

M. Jean-Marc Ayrault. Tout notre défi est là : sortir notre pays de son enfermement, lui redonner foi en lui-même et en l'Europe. C'est un chemin plus escarpé qu'un non tonitruant, il y faudra du temps, de la constance, des alliés, mais au moins est-il la promesse d'une réalité plutôt que d'une chimère.

Dans ce référendum, la France va engager une part de son destin. Ne prenons pas le risque que le train parte dans la mauvaise direction parce que nous aurions décidé de ne pas monter dedans. Plutôt qu'un non solitaire,...

M. Gilbert Biessy. Solitaire ? À 54 % ?

M. Jean-Marc Ayrault. ...je propose un oui de combat, un oui puissant qui mette la France en position d'agir et de peser. Mes chers collègues, les seuls combats perdus d'avance pour l'Europe que nous voulons sont ceux qu'on ne livre pas. En tout cas, vous pouvez compter sur les socialistes. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.

M. François Bayrou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les Français donnent, le 29 mai, leur assentiment, l'histoire retiendra que ce 5 avril 2005 se sera tenu l'ultime débat sur la figure de l'Europe.

Ce débat a débuté en réalité il y a cinquante-cinq ans, en 1950. Et cette réflexion sur la forme de l'Europe répondait à la plus lourde des questions politiques : voulons-nous, dans ce monde où s'organisent et se confrontent les superpuissances, conserver une voix respectée et influente ? Voulons-nous continuer à porter les valeurs, les idées, la culture, les langues de la société, de la civilisation européenne ? Voulons-nous que, dans cette construction, la voix des citoyens soit entendue et respectée ?

Nous le disons dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale de la République française, la France a façonné, pour une part, le visage de la planète. Les autres pays européens, les Britanniques en particulier, ont également pris une grande part à cette élaboration du monde.

Et pendant des siècles, nous, nations européennes, avons vécu un équilibre des puissances qui donnait à chacune d'entre nous, depuis des siècles, bonne fortune ou mauvaise fortune, dans la paix ou dans la guerre, la chance d'épanouir et de faire rayonner son génie national.

Puis nous avons vu se lever le nouveau monde. Cela a commencé sans qu'on s'en rende compte. Les États-Unis ont fait basculer les forces au cours de la Première Guerre mondiale, en 1917, et sans eux, nous ne savons pas ce qu'aurait été le destin. Ils ont supporté l'essentiel de l'effort de guerre entre 1940 et 1945. Et sans eux, on sait ce qu'aurait été le destin ! Ensuite, la guerre froide a connu l'issue que l'on sait grâce, en grande partie, à leur capacité technologique et économique. Ce jour-là, après la guerre des guerres, les plus lucides ont compris que le centre du monde s'était déplacé.

Étrangement sans doute pour certains, c'est le général de Gaulle, selon moi, qui l'a dit le mieux, le jour très important de la fondation du RPF, en 1947 : « Nous nous trouvons désormais dans un univers entièrement différent de celui où notre pays avait vécu pendant des siècles. Nous fûmes longtemps accoutumés à une Europe équilibrée, où cinq ou six grandes puissances, tout en rivalisant entre elles, et se faisant périodiquement la guerre, avaient une civilisation semblable, une commune manière de vivre, un même droit des gens, où les États moins importants se trouvaient protégés par la parité des plus grands, où notre vieux continent dominait en fait le monde par sa richesse, sa puissance, son rayonnement, où la France pouvait mener, avec bonheur ou malheur suivant les circonstances, mais toujours à son gré, une politique traditionnelle, mais fondée sur des données constantes. Le tableau a complètement changé. Notre planète, telle qu'elle est aujourd'hui, présente deux masses énormes toutes deux portées à l'expansion, mais portées [...] par des courants idéologiquement opposés... Dans une pareille situation, placés là où nous le sommes, le maintien de notre indépendance devient pour nous un problème brûlant et capital. Il implique que nous nous appliquions à refaire l'Europe, afin qu'existe, à côté des deux masses d'aujourd'hui, l'élément d'équilibre sans lequel le monde de demain pourrait peut-être subsister sous le régime haletant des modus vivendi, mais non pas prospérer et fleurir dans la paix. »

C'est une belle langue et c'est une belle vision.

Aujourd'hui, cinquante-huit ans après, l'une de ces deux masses s'est, pour un moment au moins, effacée, mais une autre arrive : la Chine, comme Alain Peyrefitte l'avait pressenti. Ses chiffres de croissance indiquent au monde entier l'ambition qui est la sienne et la réalité qu'elle présente déjà. L'année dernière, plus de 50 % du ciment consommé sur la planète l'a été par la Chine, idem pour l'acier. Cela explique l'augmentation de 30 % du prix de cette matière première. Et si hier le pétrole a franchi la barre des 58 dollars le baril, approchant les 60 dollars, c'est évidemment parce que la demande chinoise joue aujourd'hui un rôle très important : la Chine s'est éveillée.

Et désormais, l'ancien équilibre entre nations européennes, qui permettait à chacune de jouer sa chance, s'est mué en une division qui ne permet à aucune d'entre elles de peser sur le destin du monde. Cette réalité peut être anodine pour certains. Dans ce cas, la construction européenne est sans importance et sans objet. Mais nous sommes nombreux sur tous les bancs de cet hémicycle, dans tous les courants de la vie nationale, pour qui cette réalité de l'effacement de l'Europe est insupportable. Il ne s'agit pas de gloire ou de fierté, ce qui est en jeu c'est le destin de ce que nous avons de plus précieux.

L'Europe se retrouve à son rendez-vous et le monde nous oblige à revoir nos points communs, et à redécouvrir des siècles d'histoire que notre mémoire courte avait abolis.

Car l'Europe existe ! Et ceux qui disent qu'il n'y a pas de peuple européen ne voient pas le poids de cette histoire. L'Europe existait avant les nations, et aujourd'hui un peuple européen se forme. Nous avons un héritage à partager.

Nous avons créé une société qui ne ressemble à aucune autre : une société de liberté, de solidarité et de diversité. Nous n'avons pas l'apanage de la liberté ; il existe d'autres sociétés de liberté dans le monde, notamment les États-Unis. Mais solidarité et diversité, cela nous pouvons le revendiquer comme l'empreinte unique de l'Europe. Personne d'autre ne l'a.

La solidarité est en effet une production européenne. Nous affirmons souvent le caractère unique de la protection sociale à la française, mais elle est née d'un double héritage : britannique avec le modèle de sécurité sociale unique et universelle - je fais référence à Beveridge - et Allemand avec l'héritage de Bismarck, dans la mesure où elle est assise sur le travail. Et d'autres pays, comme la Scandinavie, ont poussé cette protection sociale jusqu'à des niveaux que nous n'avons pas atteints. Nous ne la défendrons qu'ensemble !

Quant à la diversité culturelle à la française, nous savons bien quel en est le risque. Toujours les empires portent avec eux leur culture et leur langue. Toujours ils laminent les autres cultures et les autres langues. L'Europe, au contraire, défend la diversité des cultures et des langues. Convenons ensemble qu'il lui arrive de le faire davantage et mieux que la France. Je pense en particulier aux cultures régionales à propos desquelles nous nous honorerions à entendre ce que l'Europe nous dit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Et c'est notamment en matière culturelle que ce risque existe. En Allemagne, 75 % des chansons sont produites directement en anglais ! Cela met les Européens, et pas seulement les Allemands, devant leurs responsabilités.

Nous nous honorerions aussi à entendre ce que l'Europe nous dit en matière de droit, de protection de la vie personnelle, de séparation des pouvoirs, de transparence.

L'Europe doit-elle ou non exister ? Doit-elle être unie ? Doit-elle être démocratique ? Ce fut un long chemin que ce débat : la décision visionnaire, en 1950, de mettre en commun le charbon et l'acier qui nous ont coûté trois guerres ; l'audace de la Communauté européenne de défense qui a été évoquée à juste titre par M. Ayrault, et son échec ; le sursaut du marché commun en 1957 ; 1'eurodépression des années 70 et 80, avec trois décisions de Valéry Giscard d'Estaing - création du système monétaire, élection du Parlement européen au suffrage universel, institution du Conseil européen ; la réaction de Jacques Delors et de François Mitterrand : l'Acte unique ; la volonté d'Helmut Kohl et de François Mitterrand de créer une monnaie unique pour l'Europe - l'euro ; le traité de Maastricht ; les échecs du traité de Nice et aujourd'hui, au terme de ce long chemin, comme une conclusion logique, comme une clé de voûte, le pouvoir politique, la démocratie et donc la Constitution.

Et nous avons décidé de soumettre cette étape ultime au référendum. Cela représente un risque, mais c'est un risque qu'il était juste de prendre. Il ne serait pas juste qu'une entreprise historique aussi importante que celle-là soit conduite sans l'assentiment, à l'insu des peuples eux-mêmes.

Quel que soit le risque du référendum, nous avons eu raison de le prendre. Nous ne répondons pas seulement pour nous-mêmes. C'est la chance et la charge de la France que d'avoir à apporter une réponse pour elle-même et pour les autres peuples européens. J'étais hier avec des étudiants issus de vingt-deux pays de l'Union européenne. Ils savent bien que de cette réponse dépendra purement et simplement l'avenir du projet. Il est des pays qui peuvent voter non : les ratifications se poursuivront et l'on se tournera un jour à nouveau vers eux pour leur demander de bien vouloir réexaminer la question. Je ne pense pas que ce soit le cas de la France. Si la France vote non, le référendum qui doit avoir lieu trois jours plus tard aux Pays-Bas sera négatif et l'on dira qu'il n'est plus besoin de poursuivre le processus des ratifications, puisque le pays qui a porté le projet l'aura ruiné.

M. François Rochebloine. Très juste !

M. François Bayrou. Je voudrais maintenant évoquer les sept objections principales au projet de Constitution que nous entendons au cours des innombrables débats que nous conduisons partout en France.

La première, qui est la plus évidente pour nos compatriotes, porte sur la lisibilité du projet. Quelle compréhension un citoyen peut-il avoir de ces pages nombreuses ? Dans sa partie institutionnelle - les règles du jeu qui permettront aux Européens de vivre ensemble, de prendre des décisions, d'avoir des responsables et de garantir des droits aux citoyens -, ce projet se résume à soixante articles, soit l'équivalent de quatre pages de journal, qui fondent la transparence et la séparation des pouvoirs. L'on saura qui fait quoi, quelles sont les compétences et quels sont les droits nouveaux des citoyens.

La partie II, qui est la charte des droits fondamentaux des citoyens européens, fixe les droits que les citoyens européens pourront invoquer pour l'avenir. Ainsi, le texte répond bien à la définition que donne d'une constitution la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen votée le 26 août 1789, qui pose en son article 16 que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée et la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

La partie III, la plus lourde et qui suscite tant de débats de bonne ou de mauvaise foi, se borne à reprendre en un seul texte tous les traités qui formaient l'Europe d'hier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Quinze traités, un seul texte ! Aucune disposition nouvelle n'a été introduite, mais les citoyens européens intéressés pourront conserver dans leur bibliothèque, en un seul texte, toutes les références et toutes les garanties de 1'Union européenne.

Deuxième interrogation : l'Europe opaque, illustrée pour tous ceux qui souhaitent tourner la page par ce qu'on appelle improprement la directive Bolkestein. Le traité institue une nouveauté : l'obligation de transparence. Dans l'Europe précédente - celle du traité de Nice - la délibération et la préparation de cette directive dont on a depuis beaucoup débattu ont eu lieu dans le secret. La Constitution oblige, au contraire, à des délibérations publiques, y compris pour les délibérations législatives qui impliqueront les gouvernements des vingt-cinq pays européens. Ainsi, l'ordre du jour sera connu et public, tout comme la préparation des textes, et le double assentiment des gouvernements et du Parlement européen sera requis pour tous les textes importants. L'Europe prend visage démocratique. La voix des citoyens y prend, enfin, le poids nécessaire. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Léonce Deprez. Très bien !

M. François Bayrou. Troisième interrogation : la perte de souveraineté. Comme beaucoup d'autres, je reconnais à cette tribune que la question de la souveraineté est la plus importante des questions politiques. Il s'agit de savoir comment nous pouvons librement peser sur l'avenir du monde auquel nous appartenons - ou, si je puis dire, de la planète sur laquelle nous sommes embarqués. Pour nous, qui sommes des militants européens, l'Europe n'est pas une souveraineté perdue, mais au contraire, une souveraineté retrouvée. Depuis longtemps, dans nombre de domaines - en matière monétaire, notamment, à l'époque du franc et de la Banque de France -, notre souveraineté était une apparence. Nous avons maintenant, avec l'euro, une souveraineté retrouvée. Elle est certes partagée, mais nous l'exerçons. L'idée que nous construisons l'Europe pour la souveraineté est au centre de ce traité.

Quatrième interrogation : l'identité. C'est une grande question. L'identité de l'Europe apparaît en filigrane dans la question des élargissements. Nous sommes nombreux à penser que perdre l'identité de l'Europe, c'est risquer sa dissolution. C'est un grand souci pour ceux qui ont dit leur inquiétude à propos, par exemple, de l'adhésion de la Turquie. Pour ceux-là, la Constitution, ciment de l'Europe, est un antidote à ce risque.

Quant à l'identité française, on entend à ce propos, agiter toutes les caricatures, tous les croquemitaines : dans les débats, on m'a dit au cours de ces dernières heures - comme à vous, je présume - que la Constitution menaçait la laïcité, le droit au divorce, l'interruption de grossesse, voire l'école publique !

M. Jean Dionis du Séjour. Et même les écoles maternelles !

M. François Bayrou. Tout cela n'a évidemment aucun fondement solide et sérieux, ni aucune consistance. Il y a, en revanche, deux éléments certains pour calmer ces craintes agitées. D'abord, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du mois de novembre, a rappelé que la Constitution française demeurait la référence en matière de droit interne - le sommet de la hiérarchie des normes. Il a explicitement indiqué que c'était notamment le cas en matière de laïcité, puisqu'en son article 1er, la République française est définie comme une République laïque. Pour ce qui est de la vie personnelle et familiale, je me contenterai de rappeler que les articles 2 et 9 de la Charte, qui sont les articles 62 et 69 de la Constitution, correspondent exactement aux articles 3, 16 et 18 de la déclaration universelle des droits de l'homme, qui s'appliquent en France depuis cinquante-quatre ans et ne nous ont pas empêchés, que je sache, de sauver l'identité et les caractères propres de la société française ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La cinquième objection porte sur le social. Une réponse immédiate est que, pour la première fois, un texte européen met au nombre de ses objectifs le développement durable, l'économie sociale de marché, le plein-emploi, le progrès social, la lutte contre l'exclusion sociale, l'égalité entre les hommes et les femmes, la solidarité entre générations et la protection des droits de l'enfant. Mais, plus profondément, les puissances financières ont intérêt à un univers sans régulation. M. Moncks, secrétaire général de la confédération des syndicats européens, l'a dit : « Le capitalisme international n'a pas besoin de Constitution européenne : il préfère vingt-cinq orientations politiques différentes en Europe. C'est la jungle et la jungle lui convient. Mais nous, les travailleurs et les organisations syndicales, nous avons besoin de régulation, donc de volonté politique, donc de Constitution. C'est notre chance, c'est la seule chance possible, et c'est maintenant. » (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Léonce Deprez. Très bien !

M. François Bayrou. Sixième objection : l'Europe et l'OTAN - ou l'indépendance de l'Europe. L'article I-41, alinéa 2, où apparaît pour la seule fois dans le texte le nom de l'OTAN, dispose que « la politique de l'Union n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique nord pour certains États membres ». Elle respecte les choix de certains États et elle respecte leurs obligations. Elle n'assujettit à rien, elle n'oblige à rien, elle n'ampute rien de notre liberté. Au contraire, elle la respecte et il me semble légitime que le texte l'ait ainsi indiqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, le septième argument pour le « non » est le seul qui m'apparaisse purement, simplement et réellement mensonger : c'est celui, si souvent défendu à la tribune, selon lequel le « non » n'aurait pas de conséquences. On a le droit d'être contre l'Europe et de ne pas vouloir sa construction. Mais on n'a pas le droit de dire qu'on la sert lorsqu'on vote non, que le « non » n'a pas d'importance, car il nous permettra de négocier un meilleur traité et de repartir sur de meilleures bases. Cet argument qu'on nous serine à longueur de journée et de débat est mensonger, car il est directement contraire à la dynamique qui serait créée si la France votait non.

Je lance donc un défi aux partisans du « non » : qu'ils trouvent un seul responsable politique, un seul homme d'État de l'un des vingt-quatre autres pays européens qui vienne dire aux Français : « Votre non n'aura pas d'importance, il nous rendra service et nous permettra de faire une Europe plus intégrée, plus politique, plus sociale » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelque bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Tant qu'ils ne le feront pas, je considérerai qu'ils mentent au peuple français.

M. Julien Dray. Les fascistes en seraient capables !

M. François Bayrou. Nous voilà responsables, nous, citoyens français - non pas collectivement, mais individuellement -, du plus beau, du plus grand projet que le siècle ait offert, non pas à nous, mais à l'humanité. Nous devrons décider sur le fond : va-t-on vers l'unité, ou revient-on en arrière vers la division ? Car, de toute manière, il y aura mouvement et dynamique. Vers l'unité, ou vers la division ? Va-t-on vers la démocratie et vers le libre débat des citoyens, ou revient-on en arrière, vers l'Europe des initiés et des experts ?

Des forces considérables attendent que nous disions non. Les puissances établies ont intérêt à demeurer sans concurrents politiques. Selon John Hulsman, l'un des piliers de l'Heritage Foundation et des plus brillants de ceux qu'on appelle les néoconservateurs américains, « l'Amérique doit en permanence prendre note des désaccords intra-européens afin de les exploiter pour mettre sur pied des coalitions volontaires sur telle ou telle initiative politique. Seule une Europe qui s'élargit au lieu de s'approfondir, une Europe à la carte, où les efforts vers une plus grande centralisation et une plus grande homogénéisation sont maintenus au minimum, répondrait à la fois aux intérêts des États-Unis et - merci bien ! - à ceux des citoyens des pays du continent européen ». Voilà ce qu'écrit un penseur des principales orientations de la politique américaines à propos de l'avenir de l'Europe !

Malheureusement, certains États européens attendent aussi, en secret, que nous disions non : tous ceux qui ne souhaitent pas voir se réaliser l'Europe unie - je pense par exemple à une partie de la classe politique britannique. Si nous votons oui et que les autres États européens font de même, la Grande-Bretagne sera placée devant un choix historique : être dans la construction européenne ou en-dehors ? In ou out ? Nombreux sont les responsables politiques antieuropéens britanniques qui redoutent ce choix. Ceux-là rêvent d'un non de la France. Tous ceux qui rêvent de voir l'Europe aller à vau-l'eau, dériver, se dissoudre, revenir à une zone de libre-échange fêteront la victoire du « non » en France. Il nous resterait alors à déplorer les conséquences de la décision que nous aurions prise : l'affaiblissement de la France.

C'est notre projet. C'est nous qui l'avons voulu. C'est nous qui avons forcé le destin pour que ce projet soit présenté aux Européens et adopté par eux. Il est normal et il est juste, dans l'histoire comme dans la vie, que ceux qui ont conçu ce projet, qui l'ont porté et qui ont persuadé leurs partenaires en assument le choix définitif, pour le consacrer ou pour l'abattre.

L'UDF demande aux Français de voter oui : oui à l'Europe, oui au projet qu'ils ont souhaité, voulu, conçu, écrit - en définitive, oui à eux-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vos propos de cet après-midi l'ont montré, tout comme les sondages de ces dernières semaines : les Français sont inquiets. Ils sont inquiets pour leur emploi, pour leur pouvoir d'achat, pour leur retraite. D'une façon regrettable, mais inévitable, ils sont tentés de faire du référendum sur la Constitution européenne la tribune de leurs inquiétudes, de leur mécontentement. C'est le risque de tout référendum.

Face à cette situation, les responsables politiques que nous sommes ont deux possibilités. Soit nous alimentons ces craintes et nous entretenons la confusion sur l'enjeu du scrutin, et c'est la certitude d'une défaite pour la démocratie, pour l'Europe et pour la France. Soit nous saisissons ce référendum comme l'opportunité d'un vrai débat sur l'Europe. Depuis Maastricht, qui a été, il y a un peu moins de dix ans, l'occasion d'un dialogue sur l'Europe, la France n'a pas connu de véritable débat sur l'Europe : les élections européennes ne l'ont pas permis. C'est la raison d'être de ce référendum, au moment où l'Union européenne va franchir une étape majeure de son histoire.

Mais pour qu'il y ait débat, encore faut-il que l'on réponde aux questions que les Français se posent.

M. François Sauvadet. Très juste !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. La première question a été rappelée par Mme Buffet : l'Europe va-t-elle préserver nos valeurs, en particulier les valeurs de solidarité qui sont à la base de notre modèle social ? On a dit, vous l'avez tous rappelé, tant de contrevérités sur ce sujet ces dernières semaines. Il nous reste désormais trop peu de temps pour le gâcher en polémiques. Je dirai simplement ceci : l'Europe sociale est encore jeune, et les traités successifs lui ont accordé trop peu de place. Les progrès introduits par cette Constitution n'en sont que plus notables : par elle, l'Europe se dote d'une Charte des droits fondamentaux, comme la France s'est donné une déclaration des droits de l'homme ; et pour la première fois un traité européen reconnaît les services publics, dont il fait un droit fondamental, et donne à l'Union compétence pour les protéger. S'il ne s'agissait là que de pure rhétorique, comme on a pu l'entendre, la France n'aurait pas eu à se battre pour les obtenir ; or vous savez que tel a été le cas.

J'aimerais revenir sur un article qu'on a agité aujourd'hui comme un épouvantail, l'article III-131, dont on a encore peu parlé. Cet article date du traité de Rome de 1957. Il avait été introduit à la demande de nos partenaires, qui, prenant prétexte des événements d'Algérie, craignaient que la France ne respecte pas ses engagements. Il n'a jamais été utilisé, hormis au moment de la guerre des Malouines. Cette disposition figure donc déjà dans les traités actuellement en vigueur, et refuser la Constitution ne changera bien évidemment rien à une situation qui existe depuis cinquante ans. Cela démontre exemplairement qu'avant de diffuser des faux arguments, il convient de savoir ce que l'on dit et ce que l'on lit.

Je voudrais revenir ensuite sur une question qui vient d'être évoquée et qui est essentielle dans le débat français : celle de l'identité et des frontières de l'Europe. La France est peut-être le pays européen le plus attaché à l'idée d'une Europe qui compte politiquement dans le monde, et certains craignent que cette ambition ne soit incompatible avec les élargissements successifs de l'Union. J'aimerais dire à nos concitoyens trois vérités incontestables à ce sujet.

Premièrement la Constitution ne répond pas à la question des frontières car ce n'est pas son rôle. Dotant l'Union de règles renouvelées, elle la conforte dans ses nouvelles dimensions en lui permettant de mieux fonctionner à vingt-cinq qu'elle n'en aurait la possibilité avec les règles actuelles. Et je n'ai entendu personne contester le fait que, grâce à la généralisation de la majorité qualifiée, au renforcement des pouvoirs du Parlement européen et à la création d'une véritable présidence du Conseil européen, la réforme fera progresser l'Europe.

Ces avancées vers une Europe politique sont d'autant plus remarquables qu'elles s'accompagnent d'un renforcement du contrôle de l'Union par les parlements nationaux et d'un rôle accru du citoyen : c'est bien cette Europe démocratique qui a été évoquée par plusieurs intervenants.

Deuxièmement, personne ne conteste non plus que la Constitution crée de nouveaux instruments au service de cette Europe puissance : le ministre européen des affaires étrangères, la clause de défense mutuelle, la clause de solidarité, l'Agence européenne de la défense, et encore une fois le fameux article I-41. Nier toutes ces avancées et faire croire que la Constitution introduit une subordination, de quelque nature que ce soit, de l'Union européenne à l'OTAN, c'est truquer le débat.

Le troisième point a été évoqué à propos des futurs élargissements : vous avez révisé notre Constitution pour que les Français aient désormais le dernier mot.

Je voulais, enfin, évoquer une inquiétude réelle de nos concitoyens dont vous avez tous parlé : ils s'interrogent sur la place de la France dans l'Union. Cette question est bien sûr liée à la précédente. Certes, les Français savent ce que la construction européenne doit à leur pays, comme ils savent ce qu'elle leur a apporté, mais ils peinent parfois à retrouver leurs marques dans une Europe plus vaste, plus diverse et de ce fait moins homogène.

Là aussi la Constitution répond à leurs préoccupations, à la fois parce qu'elle est fortement marquée par nos valeurs, et parce qu'elle renforce sensiblement le poids de la France dans le processus de décision. On peut toujours juger que cela n'est pas encore suffisant, pas assez ambitieux. Mais cette Constitution est d'abord un outil au service d'un projet que la France devra poursuivre avec ses partenaires. Cette Constitution est un levier pour cette union politique en émergence.

Vous le savez, vous l'avez dit, l'Europe est une part de l'avenir de la France, pour nous, pour nos enfants. Et je souhaite que la France garde l'initiative dans le jeu des possibles. Ce n'est pas en nous retirant du jeu que nous pourrons rebattre les cartes. Si la France dit non, ce n'est pas le chaos qu'elle doit craindre : c'est dans un premier temps l'incompréhension, et plus tard l'indifférence.

Entre inquiétude et espérance, la France et l'Europe n'ont jamais eu autant besoin l'une de l'autre. Alors à chacun de se prononcer, selon les mérites du texte qui nous est proposé, à l'issue d'un débat digne et respectueux.

Comme le Premier ministre, et avec l'ensemble du Gouvernement, je demande aux Français de répondre, le 29 mai, oui à la question qui leur est posée, en responsabilité, en toute connaissance, et pour ma part avec une conviction lucide et enthousiaste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Le débat est clos.

    4

ORDRE DU JOUR
DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 2061, tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires :

Rapport, n° 2209, de M. Philippe Rouault, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Discussion du projet de loi, n° 2119, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance.

Rapport, n° 2217, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot