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Première séance du mercredi 6 avril 2005

197e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation conduite par M. Björn von Sydow, président du Parlement suédois, accompagné de nombreux parlementaires. (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Comme chaque premier mercredi du mois, les quatre premières questions seront réservées à des thèmes européens.

M. Jean-Pierre Brard. Combien de points va gagner le « non » ?

M. le président. Monsieur Brard, je ne vous ai rien demandé, sinon de vous taire ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

BUDGET DE L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen, pour le groupe socialiste.

M. Pierre Cohen. Monsieur le Premier ministre, l'Europe prépare ses prévisions budgétaires pour la période 2007-2013. Après avoir défini, en 2002, le budget de la PAC, vous avez décidé de plafonner le financement des prochaines perspectives financières à 1 % seulement du PIB communautaire.

Comment allez-vous, dans ces conditions, financer la solidarité que l'on doit aux nouveaux États membres, nécessaire au développement de tous ? Comment allez-vous financer les dépenses liées au développement rural, qui doit avoir une place de plus en plus importante dans nos campagnes ? Comment allez-vous financer les fonds structurels, qui aident les régions françaises à investir ou à se reconvertir ? Comment allez-vous financer les objectifs que les États membres se sont assignés à Lisbonne et que vous avez confirmés au dernier Conseil européen - qu'il s'agisse de recherche, d'innovation et de développement ou d'actions en faveur de la croissance et de l'emploi ?

Puisque vous devez rencontrer les chercheurs cet après-midi, comment comptez-vous rattraper la récession qui touche depuis trois ans vos budgets consacrés à la recherche, pour atteindre l'objectif de 3 % du PIB en 2010 ? Comment comptez-vous relever les défis de la politique spatiale si vous ne donnez pas à l'Europe les moyens de son ambition ? La frilosité de votre gouvernement conduira inévitablement à sacrifier des secteurs importants de l'action de l'Union européenne, ce qui est en total décalage avec les défis que doit relever l'Europe aujourd'hui.

Ma question est simple : quand allez-vous réviser votre position intenable ? Il vous faut soit définir les secteurs que vous sacrifiez, soit donner les moyens nécessaires à une Europe forte et solidaire, avec un budget de combat. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je souhaite répondre à cette question, posée dans des termes modérés et qui exprime de véritables interrogations, pour apporter les éclaircissements nécessaires.

Chacun sait que l'Union européenne souhaite, pour elle-même et pour les États, la meilleure gestion possible. Les États répondent donc qu'ils sont d'accord pour une telle gestion, et qu'ils font d'ailleurs du pacte de stabilité et de croissance la règle de l'Union. Toutefois il faut aussi que l'Union s'applique à elle-même les règles qu'elle impose aux États. Elle doit donc surveiller ses dépenses et nous avons bien l'intention que tout euro dépensé par l'Union soit bien dépensé pour les Européens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous invitons donc l'Union à maîtriser son budget et, naturellement, nous abordons la discussion avec une position de négociation établie par le chef de l'État en concertation avec plusieurs partenaires, laquelle fixe ce budget à 1 % du PIB communautaire, pour que nous puissions étudier tous ensemble les véritables propositions d'avenir que l'Union est capable de faire, notamment sur des sujets majeurs tels que la recherche.

Nous avons déjà obtenu quelques satisfactions, notamment, grâce au ministre des finances, une révision du pacte de stabilité et de croissance...

M. Yves Fromion. Très bien !

M. le Premier ministre. ...qui permet de prendre en compte, en cas de procédure de déficit budgétaire, les dépenses de recherche ou celles qui sont liées à des actions extérieures ou à des actions de développement.

M. Yves Fromion. Voilà !

M. le Premier ministre. Nous souhaitons donc une Europe ouverte et nous sommes favorables à un soutien à la recherche et aux politiques régionales. La position de la France n'est pas une position fermée, mais une position de bon gestionnaire. Que l'Union s'applique à elle-même les règles de bonne gestion qu'elle demande aux États de respecter ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

PRÉVENTION DES CRISES AGRICOLES

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre de l'agriculture, la saison des fruits et légumes commence ces jours-ci, notamment avec les premiers fruits rouges, dont la fraise. Or la saison précédente a été l'une des plus calamiteuses depuis soixante ans pour les arboriculteurs et les maraîchers français. Devant l'ampleur de cette crise, nous avons été nombreux à réagir et avons saisi l'opportunité que représentait le projet de loi sur le développement des territoires ruraux pour éviter qu'une telle crise ne se répète.

Elle a, en effet, des causes parfaitement identifiées, dont l'une est connue de tous : le secteur des fruits et légumes est un secteur sacrifié de la grande distribution française. Or la loi sur le développement des territoires ruraux, promulguée le 23 février 2005, a été vécue comme un signe d'espoir par les professionnels concernés : bien après certains autres pays européens, la France définissait enfin dans sa législation ce qu'était une crise et interdisait des pratiques excessives de marges arrière dans ce secteur. Enfin et surtout, en adoptant dans son article 23 l'amendement du sénateur UDF Daniel Soulage, elle a instauré le coefficient multiplicateur, qui liait le prix d'achat au producteur et le prix de vente au client.

Alors que la saison commence, le décret qui devait donner le feu vert à la mise en œuvre de ce dispositif n'est toujours pas paru. Pire : les versions provisoires qui en circulent révèlent des rédactions laxistes, à l'opposé de la volonté du législateur.

Monsieur le ministre de l'agriculture, je vous alerte sur les répercussions très graves qu'aurait dans nos campagnes un tel état de fait, s'il devait durer.

Ma question est triple : avez-vous fait le nécessaire pour que ce dispositif soit validé par la Commission européenne ? (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Quelles mesures comptez-vous prendre pour que le décret respecte la volonté du législateur ? Quand ce décret sera-t-il publié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur Dionis du Séjour, vous avez raison d'évoquer les difficultés que connaît le secteur des fruits et légumes. J'ai visité, ces jours derniers, des exploitations dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, notamment dans le Vaucluse, chez M. Ferrand, et dans d'autres départements de la région, et je me rendrai prochainement dans votre département. Ce secteur difficile, qui connaît des crises, est également riche en emplois.

Des dispositifs de gestion des crises sont nécessaires, et se déclinent à deux niveaux.

Au niveau européen, tout d'abord, la France a exigé, par la voix du président de la République, lors de la négociation du financement de la politique agricole commune jusqu'en 2013, que l'Europe mette en place un dispositif de gestion des crises. Lors du prochain conseil des ministres, au mois de mai, la Commission doit nous faire des propositions qui, d'après les informations dont nous disposons, s'inspirent des propositions françaises.

Quant à la loi sur le développement des territoires ruraux, très amendée par la majorité de l'Assemblée nationale et du Sénat, elle prévoit quatre mesures issues du travail réalisé dans le cadre du rapport Canivet : l'une porte sur l'encadrement de l'annonce de prix, applicable immédiatement ; une autre sur la définition de la crise, qui nécessite un arrêté ministériel dont la signature interviendra dans les jours prochains ; une troisième sur l'encadrement des remises, des rabais et des ristournes, qui fera également l'objet, avec une autre mesure consacrée à la poursuite des prix abusivement bas, d'un décret en cours de signature ; enfin, la mesure d'une importance essentielle, demandée sur tous les bancs de la majorité - par l'UDF comme par l'UMP - qui tend à instituer le coefficient multiplicateur.

M. André Chassaigne. La majorité n'est pas seule à la demander !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Si elle est demandée également par l'opposition, c'est d'autant mieux !

Cette mesure nécessite un décret en Conseil d'État, qui fait actuellement l'objet d'une concertation et sera pris avant la fin du mois, c'est-à-dire avant le début de la campagne légumière et de celle des fruits. Je prends devant vous l'engagement que nous nous attacherons à corriger avant la publication de ce décret, avec l'aide de toutes les parties prenantes, les défauts que vous avez évoqués. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR LE TEMPS DE TRAVAIL

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le Premier ministre, vous êtes décidément un adepte inconditionnel et un fervent défenseur de cette Constitution européenne résumée dans son article 1-3, qui dispose que « l'Europe offre à ses citoyens un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » ! Alors que vous envisagez d'ouvrir, sans objectifs définis et sans aucune contrepartie, notre système d'aide au cinéma aux studios américains, au lieu de construire l'Europe cinématographique en défendant l'exception culturelle française et l'emploi artistique, voilà maintenant la directive sur le temps de travail, dite opt out, concoctée par la Commission européenne. Véritable directive des travaux forcés (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), elle permet de porter la durée du travail jusqu'à 65 heures hebdomadaires ! Cette directive remet en cause la santé et la sécurité des travailleurs.

Lors de sa négociation, en décembre, la France s'est opposée à ce texte, mais c'est une mascarade car, dans la réforme des 35 heures, vous l'avez introduite avec la notion de temps choisi. Après Bolkestein, vous faites à nouveau le grand écart. Avec ce texte, les partisans de cette construction européenne libérale assèneront un nouveau coup de poignard au monde du travail et de la création. En disant « non » le 29 mai, les Français auront une occasion exceptionnelle de donner un coup d'arrêt à votre politique et d'ouvrir les portes d'une Europe sociale, solidaire et fraternelle. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Démagogue !

M. Frédéric Dutoit. Dans le carcan de la Constitution et avec les directives qui se succèdent, nous sommes curieux de savoir comment vous comptez vous y prendre pour améliorer la situation de l'emploi et garantir les droits des salariés en France autrement que par des promesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur Dutoit, je commencerai par citer un chiffre à propos de l'exception culturelle : en 2004, grâce au crédit d'impôt, plus de 1 500 emplois ont été créés dans le secteur culturel et dans le domaine du cinéma, avec la relocalisation, notamment à Versailles, de tournages qui, sans cela, auraient été réalisés ailleurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'extension du crédit d'impôt à l'audiovisuel devrait créer cette année autant d'emplois que dans le secteur du cinéma en 2004.

Pour en venir à vos approximations, il est faux de prétendre que le projet de directive sur le temps de travail conduirait les Français à devoir travailler plus. Que je sache, la directive de 1993 n'a pas empêché le gouvernement de M. Jospin de réduire le temps de travail à 35 heures ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Un peu de silence !

M. le ministre délégué aux relations du travail. Il serait honnête, monsieur Dutoit, de reconnaître que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est le chef de file du refus du projet de directive (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et que, le 7 décembre, face à l'insistance de M. Blair, nous avons fait échouer le projet de directive sur le temps de travail, grâce, notamment, au soutien de la Suède et de la Belgique. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il est également faux de prétendre que le projet de directive sur le temps de travail constitue une régression par rapport à celui de 1993, mais nous n'acceptons pas l'opt out, c'est-à-dire la possibilité de déroger par accord individuel, et nous ne changerons pas de position, parce que nous croyons qu'il faut en Europe des valeurs sociales partagées et qu'il est indispensable de lutter contre le dumping social. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Après l'adoption du traité sur le projet de constitution européenne, le front qui a refusé la directive du temps de travail, ne pèsera plus 31 % des droits de vote, mais 40 % : les Français doivent savoir ce qu'ils doivent faire ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

défense européenne

M. le président. La parole est à René Galy-Dejean, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. René Galy-Dejean. Madame la ministre de la défense, l'Union européenne est une grande puissance économique et commerciale. Aujourd'hui, elle joue un rôle de plus en plus important sur la scène internationale, notamment grâce à l'action concertée de pays membres qui sont eux-mêmes des acteurs politiques importants. En effet, réunis, les pays de l'Union européenne sont assurés d'agir beaucoup plus efficacement, à condition, toutefois, de disposer de moyens propres dans trois domaines essentiels : la monnaie, la diplomatie et la défense.

Nous avons déjà l'euro. Le projet de traité constitutionnel donnera à l'Europe une véritable dimension politique, donc diplomatique.

M. Henri Emmanuelli. Ah !

M. René Galy-Dejean. Néanmoins ces atouts ne permettront des actions efficaces et crédibles en matière internationale que s'ils sont soutenus par des forces militaires suffisamment importantes pour parer à toute menace ou intervenir dans toute zone de conflit, soit pour restaurer la paix et assurer la sécurité des habitants, soit pour protéger nos approvisionnements. C'est la leçon que nous avons tirée en Europe de divers événements, par exemple ceux de l'ex-Yougoslavie, dans les années 90. Le projet de créer une Europe de la défense s'est précisément renforcé durant cette période, avec la mise en commun des capacités militaires nationales pouvant être mobilisées rapidement et capables d'assurer ensemble les missions dites de gestion de crise. La France est d'ailleurs l'un des États moteurs de ce développement de l'Europe de la défense.

Madame la ministre, au regard des missions récemment assurées par l'Europe en Bosnie, au Congo, en Afghanistan, et présentement en Côte d'Ivoire, quels enseignements tirez-vous quant à la maturité de la défense européenne ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur Galy-Dejean, il y a dix ans seulement, la défense européenne était une utopie ; il y a cinq ans, notamment à la suite du sommet de Saint-Malo entre le président Chirac et Tony Blair, c'était un beau projet ; depuis trois ans, c'est devenu une réalité, qui s'est concrétisée aux yeux de tous par la présence de soldats portant l'écusson européen sur les théâtres de la Macédoine, de la Bosnie, du Congo, mais également de l'Afghanistan.

Principalement à l'initiative de la France, grâce notamment à la crédibilité que la loi de programmation militaire voulue par le Président de la République et réalisée par le Gouvernement nous a donnée, nous avons pu avancer pour doter l'Europe des moyens de se protéger contre les risques de terrorisme ou de prolifération, mais également de lutter contre les crises dans lesquelles nos compatriotes ou nos intérêts peuvent être menacés.

M. Henri Emmanuelli. En Côte d'Ivoire !

Mme la ministre de la défense. C'est ainsi que nous avons pu créer les groupements tactiques, c'est-à-dire cette force d'intervention très rapide qui nous permet d'arriver en moins de quinze jours sur un théâtre de crise pour empêcher celle-ci de se développer. Nous avons pu également créer la force européenne de gendarmerie, sur initiative française, qui nous permet d'assurer les fins de crise et d'éviter cette période où il peut justement y avoir une reprise de la violence susceptible de tout remettre en cause. Les groupements tactiques regroupent aujourd'hui les vingt-cinq pays européens, et commencent à être opérationnels.

M. Henri Emmanuelli. Un miracle !

Mme la ministre de la défense. La force européenne de gendarmerie est installée en Italie, son commandant est un général français et, elle aussi, sera opérationnelle dès cette année. La cellule civilo-militaire sera en place à partir du mois de juillet et la cellule opérationnelle le sera en 2006 pour préparer nos interventions. Enfin, la nouvelle agence européenne de défense nous permet de coordonner nos programmes et de soutenir notre industrie de défense.

M. Yves Fromion. Très bien !

Mme la ministre de la défense. Ainsi, monsieur le député, il y a aujourd'hui une défense européenne crédible,...

M. Henri Emmanuelli. Avec la Pologne !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, restez tranquille ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la ministre de la défense. ...qui permet à l'Europe de conforter son image, et qui nous rend capables de protéger nos citoyens. La France a joué un rôle essentiel dans sa création. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Rompez ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

CONTESTATION DANS LES LYCÉES

M. le président. La parole est à M. Éric Raoult, pour le groupe UMP.

M. Éric Raoult. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieure et de la recherche.

Monsieur le ministre, les adversaires de la loi Fillon sont-ils des démocrates ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) C'est une vraie question,...

M. Patrick Roy. La réponse est oui !

M. Éric Raoult. ...quand on observe la situation de certains lycées et les appels au blocage pour demain lancés par la Confédération nationale lycéenne.

En effet, depuis quinze jours, une minorité de jeunes, politisés, tente de bloquer l'institution scolaire dans certains lycées de la région parisienne.

M. Yves Durand. La faute à qui ?

M. Patrick Roy. C'est parce que vous ne voulez pas les entendre !

M. Éric Raoult. Par des piquets de grève, par des obstructions et par des occupations nocturnes de lycées, ils empêchent la grande majorité de leurs camarades de suivre normalement leurs cours. Cette situation commence à nuire gravement à la préparation des examens de fin d'année. Les blocages d'aujourd'hui ne sont plus les contestations d'hier.

Monsieur le ministre, dans mon département de Seine-Saint-Denis, les parents et les élèves deviennent inquiets pour la préparation des examens, y compris le bac. Dans ma ville du Raincy, suite à une manifestation organisée devant la mairie, j'ai eu l'occasion de recevoir avant-hier une délégation de lycéens. Je pensais qu'ils me parleraient de l'école, de leur avenir ; qu'ils me proposeraient une alternative de négociation... Rien de tout cela : ils m'ont parlé du capitalisme (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), de « l'école des patrons », de la « marchandisation des savoirs ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire).

M. Jean-Michel Ferrand. Manipulation !

M. Éric Raoult. Ils m'ont aussi donné le tract des jeunesses communistes pour le « non » à la Constitution ! (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Leurs TPE, ils doivent les faire à la fête de l'Huma ou à Cuba ! (« Eh oui ! sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous savons que cette contestation, aidée et secondée par certaines municipalités dont des représentants siègent sur ces bancs (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Jean-Pierre Blazy. Délateur !

M. Éric Raoult. ...n'a rien de spontanée : elle est accompagnée d'une poignée de professeurs d'extrême gauche. Hier, ils faisaient de la désinformation ;...

M. Richard Mallié. Exactement !

M. Éric Raoult. ...aujourd'hui, ils font de la manipulation et de la récupération. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Posez votre question !

M. Éric Raoult. Je termine.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande votre réaction face à ces faits et quel message vous adressez aux familles et à leurs enfants qui fréquentent ces établissements et souhaitent y travailler dans la sérénité. Il en va de l'avenir de la réussite d'une année scolaire et de leurs examens. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les députés, je ne suis pas insensible aux inquiétudes qui ont été manifestées, depuis plusieurs semaines, par beaucoup de lycéens, notamment au sentiment qu'ils ont d'une montée, qui ne date pas d'hier, des inégalités à l'intérieur du système éducatif. Je leur dis que, dans la loi d'orientation que vous avez votée, sont prévus des instruments puissants pour lutter contre ces inégalités. Je pense en particulier à la définition des priorités éducatives.

Demain, je vais recevoir les élus du conseil national de la vie lycéenne avec lesquels nous pourrons débattre d'un certain nombre de leurs revendications concernant notamment l'organisation du lycée. Enfin, les textes d'application de la loi d'orientation, qui s'appliquera dès la rentrée prochaine, feront l'objet d'une très large concertation avec toutes les organisations syndicales.

Cela étant je tiens à affirmer, monsieur Raoult, que je ne laisserai pas une infime minorité bloquer le fonctionnement des établissements (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française), et cela à quelques semaines de l'organisation du baccalauréat. Des instructions extrêmement fermes ont été données aux recteurs et aux préfets pour qu'ils mobilisent tous les moyens nécessaires afin de mettre un terme à ces blocages.

M. Henri Emmanuelli. Faites donner la police !

M. Jérôme Lambert. Mai 68 a commencé comme ça !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je rappelle que ces blocages touchent moins de 1 % des établissements français.

Je veux, à cette occasion, rendre hommage aux chefs d'établissement et à l'encadrement qui fait preuve d'une loyauté et d'un courage exemplaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Je tiens à leur dire qu'ils ont le soutien total du Gouvernement.

Je remercie également celles des organisations syndicales et des associations de parents d'élèves qui, quelles que soient leurs convictions, ont appelé au respect des principes de la loi et de la démocratie. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Et de la laïcité !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En revanche, je tiens à indiquer aux personnes qui continuent, pour d'obscures raisons, à encourager, voire à initier ces blocages, qu'elles ne rendent service ni à la jeunesse qu'elles prétendent défendre, ni à la démocratie, ni à la République, dont elles bafouent les principes. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CONVENTION DE RECLASSEMENT PERSONNALISÉ

M. le président. La parole est à M. Richard Cazenave, pour le groupe UMP.

M. Richard Cazenave. Ma question s'adresse à M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Patrick Roy. Et du chômage !

M. le président. Monsieur Roy !

M. Richard Cazenave. Monsieur le ministre, le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, s'est donné pour objectif, d'ici à la fin de 2005, d'amorcer une baisse significative et durable du chômage.

M. Gilbert Biessy. Il y a à faire !

M. Richard Cazenave. Il s'est donné les moyens de lutter prioritairement contre le chômage de longue durée et contre le chômage des jeunes.

Dans ce sens, notre majorité a soutenu et voté, le 18 janvier dernier, la loi sur la cohésion sociale qui prévoit notamment la mise en place et le développement de différents contrats favorisant le retour à l'emploi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : contrats d'avenir - dont les premiers ont été signés -, contrats RMA et contrats d'apprentissage, ainsi que tout un volet concernant les emplois de service à la personne, lesquels vont être considérablement développés.

Cette loi prévoit aussi, dans son article 74, une mesure très attendue qui ouvre aux salariés licenciés un réel dispositif de reclassement. Dans la nuit de lundi à mardi, monsieur le ministre, les partenaires sociaux, au terme de plus de onze heures de négociations, sont parvenus à un accord sur une convention de reclassement personnalisé pour les licenciements économiques. Cette convention permettrait d'étendre aux entreprises de moins de mille salariés un dispositif jusque-là réservé aux très grandes entreprises.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur cette décision des partenaires sociaux, car c'est une mesure sociale très importante, et nous indiquer comment ce dispositif va être mis en œuvre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur Cazenave, les salariés des entreprises qui emploient moins de mille personnes représentent dans notre pays la grande majorité des victimes de licenciements ; naguère, en pareil cas, ils étaient laissés à leur sort. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a voulu mettre un terme à cette situation en essayant de faire en sorte qu'ils bénéficient de conditions d'accompagnement, de bilans de compétences, de validations de l'acquis et de l'expérience, de davantage de formations, dans le cadre de conventions de reclassement personnalisé. Cela s'est traduit dans la loi que vous avez votée le 18 janvier dans cet hémicycle.

Moins de dix semaines après, les partenaires sociaux en charge de l'organisation de ses modalités ont passé un accord de principe, largement consensuel. Il prévoit les mesures d'accompagnement, le statut de la formation professionnelle, une rémunération pendant trois mois à hauteur de 80 % de la rémunération - c'est-à-dire 95 % du salaire net -, puis de 70 % - c'est-à-dire 85 % du salaire net - pendant une période globale de huit mois, afin de permettre les mutations, la formation et d'accélérer le retour à l'emploi. C'est un grand accord qui est intervenu. Je remercie l'ensemble des partenaires sociaux d'avoir si vite répondu à la demande du Gouvernement et du Parlement.

Quant à la mise en place, monsieur le député, elle est assez simple. L'État mobilisera, comme c'est prévu dans la loi, à la fois les services de l'ANPE et le doublement du financement du droit individuel à la formation. Je recevrai les partenaires sociaux dans les jours qui viennent, une fois que les signatures formelles auront été réunies et je compte pouvoir signer le décret de mise en place avant la fin du mois.

J'espère que, pour ces 200 000 licenciés économiques par an, la vie va pouvoir changer à partir du 1er mai. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LES DÉLOCALISATIONS

M. le président. La parole est à M. Dominique Strauss-Kahn, pour le groupe socialiste.

M. Dominique Strauss-Kahn. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Dans la période troublée que vit la France aujourd'hui, il est une question qui angoisse beaucoup nos compatriotes : celle des délocalisations. Des hommes et des femmes souffrent de perdre leur emploi, parfois de façon très abrupte, et ne savent pas vers qui se tourner.

M. Lucien Degauchy. Les 35 heures !

M. Dominique Strauss-Kahn. Il y a, dans cela, bien sûr, une composante économique, qui tient à la fois à des secteurs qui s'étiolent, à des territoires qui se vident, à une sorte de « siphonage » de notre tissu économique. (« Aux 35 heures ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En vingt-cinq ans, la France a ainsi perdu un million et demi d'emplois industriels.

Cela n'est certes pas uniquement dû aux délocalisations...

M. Lucien Degauchy. Les 35 heures !

M. Dominique Strauss-Kahn. ...mais celles-ci sont de plus importantes.

M. Jean-Michel Ferrand. Grâce à qui ?

M. Lucien Degauchy. Grâce aux socialistes !

M. Dominique Strauss-Kahn. Or vous savez comme moi, monsieur le ministre, combien un pays comme le nôtre a besoin d'une industrie puissante et ne saurait vivre, longtemps encore, uniquement sur les services.

Au-delà de l'aspect économique, il y a des hommes et des femmes qui souffrent et qui ne comprennent pas l'injustice qui leur est faite. Comment oublier les salariés de Bosch à Vénissieux, contraints de travailler plus pour un salaire horaire diminué ? On est loin de travailler plus pour gagner plus !

M. Richard Mallié. Et avec vous, on rase gratis !

M. Dominique Strauss-Kahn. Les pouvoirs publics ne peuvent pas rester inactifs. Pour ma part, je ne crois pas à une loi générale qui, par miracle, écarterait les délocalisations (« Ah ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), mais je ne crois pas non plus que nous puissions baisser les bras.

Monsieur le ministre, je me suis rendu, il y a peu, dans une entreprise exemplaire : Sediver à Saint-Yorre, dans l'Allier. Cette entreprise, qui a été rachetée par un groupe étranger, est aujourd'hui menacée de fermeture, la production devant être délocalisée en Chine et au Brésil.

Pourquoi est-elle exemplaire ? D'abord, parce qu'elle réalise des bénéfices (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), même si ses comptes ont parfois été un peu aménagés - en chargeant les frais de structures de l'entreprise - pour montrer que le produit, dont on voulait arrêter la production, était moins bénéficiaire qu'il ne l'est en réalité.

M. Serge Poignant. La question !

M. Dominique Strauss-Kahn. Elle est exemplaire aussi, parce qu'elle développe une vraie compétence technique dans la production d'isolateurs électriques qui demande beaucoup de savoir faire et dont EDF, notamment, est un grand consommateur, avec un savoir-faire qui date de dizaines d'années, à tel point qu'il est peu probable qu'une éventuelle délocalisation permette de produire ces biens avec la même qualité.

M. Daniel Mach. La question !

M. Dominique Strauss-Kahn. Elle est exemplaire encore parce que, dans une certaine mesure, elle est stratégique. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous en prie !

M. Dominique Strauss-Kahn. En effet, si cette entreprise ferme, il n'y aura plus en Europe de producteur de cette nature et EDF devra se fournir à l'étranger.

M. le président. Monsieur Strauss-Kahn, posez votre question !

M. Dominique Strauss-Kahn. Or des repreneurs se sont présentés, même si les salariés n'ont jamais réussi à obtenir des informations à leur sujet. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

Monsieur Strauss-Kahn, posez votre question !

M. Dominique Strauss-Kahn. On assiste à une sorte de conspiration du silence, de résignation à l'inaction.

Monsieur le ministre, je vous demande, avec M. Gérard Charasse, député de l'Allier, de rouvrir ce dossier, de voir quels sont les repreneurs éventuels, de favoriser la négociation et de fournir aux salariés l'information qu'ils demandent.

M. le président. Merci, monsieur Strauss-Kahn.

M. Dominique Strauss-Kahn. Il faut impliquer les pouvoirs publics dans la politique industrielle, même quand il s'agit de petites et moyennes entreprises ; il y va de l'avenir de notre industrie. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, j'irai du général au particulier, pour aller ensuite à la politique du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Il est exact que le tissu industriel de la France a perdu un million et demi d'emplois en un quart de siècle. Vous êtes bien placé pour le savoir, mais tout le monde le sait, en particulier dans cette assemblée, où il y a consensus pour dire qu'il faut se battre pour notre industrie. Désormais, nous comptons 22 % d'emplois industriels contre 65 % dans les services, dont la moitié dans les services à moyenne et faible valeur ajoutée, et la moitié dans les services à haute valeur ajoutée. Telle est la réalité.

Reste que, je le répète, il y a consensus : nous voulons tous nous battre pour notre industrie,...

M. Henri Emmanuelli. Pas pour les actionnaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...car nous pensons, le Gouvernement en particulier, que le tissu industriel de la France est porteur d'avenir, d'innovation, de recherche et de développement. Cela nous distingue, du reste, de certains autres pays. (« Blablabla ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Passons au particulier, c'est-à-dire à Sediver, entreprise qui, effectivement, a souffert.

Je me suis penché sur ce dossier qui, sans attendre votre visite du 10 mars, avait été ouvert par Nicolas Sarkozy, au mois de juillet de l'année dernière. Des discussions ont eu lieu. Le Gouvernement et les pouvoirs publics - car c'est ensemble que l'on peut gagner - se sont mis autour de la table avec les salariés et ont proposé, le 24 novembre, une solution.

Il est exact que 166 seulement des 288 emplois ont pu être préservés. Pour des raisons que je n'ai pas encore comprises, mais je vais réexaminer les faits, il semblerait que les salariés aient refusé cette proposition ; il est vrai qu'on leur demandait de travailler un peu plus pendant un certain temps. Le préfet s'est saisi du dossier. Une médiation a eu lieu le 3 janvier.

M. Henri Emmanuelli. Venez donc voir avec moi ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout état de cause, je prends l'engagement de vous écrire sous dix jours pour vous dire si nous sommes entrés dans une phase judiciaire, auquel cas nous ne pourrions plus intervenir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. N'importe quoi !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, ça suffit !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela dit, au niveau de la région, grâce aux pouvoirs publics et aux collectivités locales qui travaillent main dans la main - car c'est ensemble que l'on trouvera la solution - des sociétés nouvelles s'implantent : Caravelle, par exemple, a créé, autour du site, 200 nouveaux emplois de services en ligne.

Par ailleurs, le Gouvernement a mis en place des pôles de compétitivité et l'Agence pour l'innovation industrielle peut intervenir. Pour la première fois, 2 milliards d'euros ont ainsi été investis dans le tissu industriel français : voilà à quoi croit le Gouvernement, voilà les moyens qu'il met en œuvre pour lutter contre les délocalisations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Emmanuelli, taisez-vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SITUATION DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe UMP.

M. Philippe Pemezec. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, la situation de l'assurance maladie est, depuis de nombreuses années, extrêmement préoccupante, comme l'avait d'ailleurs constaté le haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, installé l'an dernier par le Premier ministre et réunissant les représentants du monde de la santé. C'est d'ailleurs pourquoi le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre, en concertation avec l'ensemble des acteurs, une réforme structurelle visant à sauvegarder notre régime d'assurance maladie, en préservant et en consolidant ses principes fondamentaux, auxquels les Français sont attachés.

La situation était simple : ou bien sauver l'assurance maladie, ou bien laisser les Français sans véritable système de protection sociale.

La réforme vise donc à la fois à mieux organiser le système, à rationaliser les dépenses et à responsabiliser tous les Français : médecins, patients, industries pharmaceutiques. En effet, le trou de la sécurité sociale était devenu un gouffre : 13 milliards d'euros de déficit prévu pour 2004, dont 1,5 milliard au titre de la CMU. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, quand la carte Vitale infalsifiable sera-t-elle mise en œuvre ? Comment comptez-vous lutter contre les abus à la CMU (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et à l'AME ?

Par ailleurs, les comptes de la sécurité sociale pour 2004 ont été arrêtés aujourd'hui. Pouvez-vous nous indiquer les premières évolutions pour 2005 et nous dire si elles correspondent aux prévisions établies par la commission des comptes de la sécurité sociale ?

Enfin, pouvez-vous nous faire part des indicateurs qui permettront le suivi de la réforme de l'assurance maladie ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le député, le relevé des comptes de la sécurité sociale montre une amélioration importante avec, pour le régime général, une bonne surprise puisqu'il fait état de 2,5 milliards d'économies de plus que ce qui avait été prévu en septembre par la commission des comptes de la sécurité sociale. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette amélioration porte sur l'assurance maladie pour 1,6 milliard : c'est une réponse à ceux qui ne croyait pas à la réforme ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Louis Idiart. Douste-Blazy est arrivé !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Pour l'essentiel, nous devons ce résultat au fait que les dépenses de l'assurance maladie sont maîtrisées. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie que vous avez voté, mesdames et messieurs les députés, prévoyait une augmentation de 5,2 % ; elle ne sera que de 4,9 %. Les deux premiers mois de 2005 montrent que la tendance se confirme. En janvier et en février, les dépenses de soins de ville ont augmenté de 1,6 % : il faut remonter à plus de dix ans pour retrouver pareille maîtrise ! Quant aux arrêts de travail, ils sont en diminution de 5 % : du jamais vu depuis vingt ans ! Il faut dire qu'avec Xavier Bertrand, nous menons une politique de contrôle des bénéficiaires.

S'agissant de la carte Vitale, nous avons décidé de mettre en place douze indicateurs de suivi de la réforme de l'assurance maladie, qui seront publiés, en toute transparence, tous les six mois. Vous y trouverez le nombre de contrôles des cartes Vitale et je peux vous annoncer que, lors de leur prochain renouvellement, ces cartes porteront une photographie. La biométrie nous permettra d'être sûrs que la personne qui porte la carte en est bien la propriétaire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce n'est qu'à ce prix qu'on pourra en sentir les effets sur l'assurance maladie.

Je ne veux pas crier victoire, mais nous sommes sur la bonne voie. Les Français adoptent un bon comportement. Merci à tous ceux qui y contribuent. Quant à ceux qui n'ont rien proposé pendant si longtemps, ils sont mal placés pour nous donner des leçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

FISCALITÉ RÉGIONALE

M. le président. La parole est à M. Dominique Richard, pour le groupe UMP.

M. Dominique Richard. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement.

Depuis plusieurs mois, nous assistons à une véritable campagne de désinformation menée par les exécutifs socialistes des régions sur la flambée de la fiscalité locale. Elle serait due, selon eux, au financement de la décentralisation. Or cet argument est faux : les transferts de compétences aux collectivités n'ont pas encore eu lieu et ils seront intégralement compensés par l'État. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En vérité, cette pression fiscale est le fait de la gestion irraisonnée de la gauche dans nos collectivités locales, avec l'explosion des frais de fonctionnement et la mise en œuvre des promesses électorales, décidées uniformément rue de Solferino : bel esprit décentralisateur !

Hier soir, les présidents socialistes des conseils régionaux ont annoncé leur décision de ne pas signer les conventions relatives au transfert aux régions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) des agents qui relevaient, jusqu'alors, de l'État, en application de la loi du 13 août 2004. Seul le président Zeller a signé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce comportement d'élus de la République est inadmissible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est la négation de l'esprit démocratique, du respect de la loi, qui n'est ni de gauche ni de droite, mais qui est la loi de la République et s'applique à chacun. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quel message adressent-ils ainsi à nos concitoyens auxquels on demande du civisme, alors même que leurs élus s'affranchissent de cette ardente obligation ? Comment l'État peut-il accepter ces nouvelles féodalités ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ce comportement irresponsable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, alors que, depuis trois ans, notre gouvernement, avec une détermination totale, a engagé une diminution des impôts et des charges sociales pour rendre aux Français du pouvoir d'achat, afin qu'ils investissent, embauchent et consomment, l'histoire retiendra que, la première année de mandat des régions socialistes s'est traduite par une explosion des impôts régionaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

L'augmentation est de 25 % en Île-de-France, 30 % en PACA, 50 % en Bourgogne et en Languedoc-Roussillon : décidément, quand la gauche a des responsabilités, elle commence toujours par augmenter les impôts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

L'histoire retiendra sans doute une deuxième chose à propos de la loi sur la décentralisation.

Alors que nous avons engagé une concertation considérable avec les partenaires sociaux sur l'affectation des personnels techniques dans les collèges et les lycées, pour un meilleur service public au quotidien, nous constatons que, en dépit des garanties statutaires que nous avions données aux personnels, et des garanties financières accordées aux régions, des régions socialistes ont choisi de s'ériger en contre-pouvoir. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart. Mauvais perdant !

M.  le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Ce que nous craignions il y a un an est en train de se passer sous nos yeux. C'est le contraire de ce que les Français attendent de la République. C'est le contraire de ses valeurs, qui doivent nous rassembler ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faudra s'en souvenir car c'est à cause de ce type de blocage que la France s'enlise dans les conservatismes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Ce que nous attendons, demain, sur les enjeux essentiels, qu'ils soient français ou européens, c'est une nation rassemblée au service de l'intérêt général et qui regarde vers l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE

M. le président. La parole est à M. Éric Besson, pour le groupe socialiste.

M. Éric Besson. Permettez-moi d'abord, monsieur le président (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) de suggérer à M. Copé de montrer un peu plus de modestie. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le Parlement a été saisi d'une demande de création de commission d'enquête sur ce sujet, ce qui nous permettra de vérifier si vos propos correspondent à la vérité. Nous avons, nous, de bonnes raisons de penser que ses conclusions pourraient fortement troubler le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je ne peux pas non plus vous laisser dire que vous avez baissé les impôts depuis l'entrée en fonction du gouvernement Raffarin. Les prélèvements obligatoires - impôts et cotisations sociales - ont, au contraire, augmenté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.- Claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Certes vous avez baissé certains impôts, comme l'impôt de solidarité sur la fortune, mais vous avez augmenté les taxes et les impôts que paient la majorité des Français. Les propos que vous venez de tenir, monsieur Copé, constituent une contre-vérité manifeste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

J'en viens à ma question, qui s'adresse à M. le Premier ministre.

Les chiffres publiés il y a quelques jours par le ministère de l'emploi montrent une nouvelle dégradation du taux de chômage, désormais solidement installé au-dessus de la barre à la fois symbolique et douloureuse des 10 %.

Depuis l'entrée en fonction de votre gouvernement, la France compte 225 000 chômeurs de plus. Cela ne vous empêche pourtant pas, pas plus que M. Sarkozy et M. Fillon, de prétendre en permanence que vous avez réhabilité le travail. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à juger la formule indécente.

Vous vouliez être jugés sur vos résultats : faisons-le.

Après trente-deux mois de gouvernement Jospin, la France comptait 630 000 chômeurs en moins. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Après trente-deux mois de gouvernement Raffarin, elle compte 225 000 chômeurs et 125 000 Rmistes de plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous allez nous chanter encore le même refrain, repris ici même hier soir par M. Copé, selon lequel nous avons, nous, bénéficié de la croissance. Or, depuis 2002, la croissance mondiale est extrêmement forte ; elle l'a été particulièrement en 2004. Vous êtes donc directement responsable, monsieur le Premier ministre, ainsi que votre gouvernement, de l'ampleur de cet échec. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Celui-ci est dû à des erreurs de diagnostic, à une politique budgétaire socialement injuste et économiquement inefficace, à votre parti pris de détruire l'un après l'autre les outils d'une politique active de l'emploi,...

M. le président. Posez votre question, monsieur Besson !

M. Éric Besson. ...quitte aujourd'hui à improviser une reconstruction bricolée et, pour l'essentiel, non financée, de ce que vous avez systématiquement détruit pendant deux ans.

Monsieur le Premier ministre, à partir de quel taux de chômage accepterez-vous de reconnaître vos erreurs et votre échec ? Quand comptez-vous changer enfin de politique ? Quand allez-vous lutter vraiment contre le chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. (M. Emmanuelli quitte l'hémicycle. - Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député, vous avez vécu, sous le gouvernement Jospin, une période de forte croissance au plan européen, que vous avez cassée. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Lucien Degauchy. Ils n'en ont rien fait !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La dernière année de ce gouvernement a enregistré la baisse de la croissance et la montée inexorable du chômage, avec des chiffres que l'on n'avait jamais connus auparavant.

M. Augustin Bonrepaux. Et vous, que faites-vous ?

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Quand Jean-Pierre Raffarin est entré en fonction, sa première préoccupation a été de sortir de la récession pour retrouver la croissance. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Non contents d'avoir cassé la croissance, vous avez bloqué le SMIC, que nous nous sommes employés à revaloriser pendant trois ans. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Menteur !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. S'agissant des mesures spécifiques pour l'emploi, nous avons réuni l'ensemble des acteurs - UNEDIC, ANPE, AFPA, collectivités locales -, instauré la maison commune de l'accueil pour les demandeurs d'emploi, le dossier unique et les formations adaptées.

Quant au RMI et aux ASS, nous avons mené une politique de la main tendue, favorisant le retour vers l'activité et l'emploi, grâce à la formation : je veux parler des contrats d'avenir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Encore une voie de garage !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Enfin, nous avons mis en place les conventions de reclassement personnalisé et les services d'aide à la personne.

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Cet ensemble de mesures cohérentes du Gouvernement va produire ses effets...

M. Albert Facon. A la Saint-Glinglin !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...et notre situation sera meilleure que la moyenne européenne dès la fin de l'année ou du semestre suivant. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PÊCHE À LA MORUE

M. le président. La parole est à M. Gérard Grignon, pour le groupe UMP.

M. Gérard Grignon. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

En juin 2003, le gouvernement d'Ottawa promulguait une loi sur les espèces en péril. En mars de la même année, un comité de scientifiques canadiens indépendants considérait que le stock de morues franches de l'ensemble de la région - englobant la zone économique exclusive française autour de Saint-Pierre-et-Miquelon - était menacé.

En janvier 2004, ce comité transmettait au ministre canadien de l'environnement un rapport demandant d'ajouter la morue à la liste des espèces en péril, établie en annexe de la loi. Si le ministre canadien répond positivement à cette demande, la pêche à la morue sera mise sous moratoire, avec les conséquences économiques que l'on peut imaginer.

Le comité scientifique officiel franco-canadien, qui s'est réuni fin mars à Ottawa, dans le cadre du rendez-vous annuel des délégations de nos deux pays, donne une interprétation très différente et plus optimiste sur l'avenir du stock de morues qui concerne la France et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais tout se passe comme si une décision de cette importance qui touche à l'intérêt de la France dans sa zone économique allait être prise sans que le Gouvernement français y soit réellement associé, au détriment du droit international et au mépris des traités franco-canadiens sur la pêche de 1972 et de 1994.

Le Gouvernement a-t-il l'intention de s'investir dans ce dossier afin que les intérêts de la France, sur son propre territoire au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, ne dépendent pas d'un comité de scientifiques canadiens indépendants ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le député, les ministères des affaires étrangères, de l'agriculture et de l'outre-mer sont très attentifs au risque d'un nouveau moratoire canadien sur la pêche à la morue. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin partage l'inquiétude des pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis que le comité sur la situation des espèces en péril au Canada a recommandé que la morue soit inscrite sur la liste des espèces menacées.

La délégation française au conseil consultatif franco-canadien qui s'est tenu à Ottawa en mars dernier a rappelé avec force que rien ne pourrait être décidé dans ce domaine sans la consultation préalable de la France, ce qui est conforme aux accords de 1972 et de 1994.

A cet égard je formulerai trois observations et, ce faisant, à travers vous, je m'adresse aux pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon.

D'abord, la décision du Gouvernement canadien ne saurait intervenir avant début 2006 et, de l'aveu même des autorités canadiennes, il ne s'agira pas d'une interdiction, mais de simples restrictions.

Par ailleurs, le comité sur la situation des espèces en péril fera des propositions fin 2005 et l'on nous indique d'ores et déjà que, pour le secteur de Saint-Pierre-et-Miquelon, le groupe scientifique considère que la biomasse augmente, ce qui laisse espérer un accroissement des quotas.

Enfin, le risque d'une dérive étroitement environnementaliste de la gestion a été levé par l'administration canadienne elle-même qui a confié à un groupe tripartite - avec les gouvernements du Labrador et de Terre-Neuve - une mission de réflexion pour trouver un équilibre.

Monsieur le député, l'année 2005 a vu les intérêts français préservés, puisque les quotas habituels de morue ont été reconduits. Nous ne laisserons pas des décisions se prendre sans nous en 2006 et nous veillerons à ce que Saint-Pierre-et-Miquelon soit protégé d'une nouvelle crise de la morue. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA RECHERCHE

M. le président. La parole est à M. Pierre Lasbordes, pour le groupe UMP.

M. Pierre Lasbordes. Monsieur le ministre délégué à la recherche, pour favoriser la croissance et créer des emplois, l'Europe s'est engagée en 2000, lors du conseil européen de Lisbonne, dans une stratégie qui vise à faire de notre continent, à l'horizon 2010, l'économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive de la planète.

Dans le monde ouvert d'aujourd'hui, le meilleur moyen de préserver, en France et en Europe, nos emplois et notre modèle social et de conquérir des parts de marché est de faire porter notre effort sur la recherche et l'innovation.

La recherche, ses découvertes et ses applications permettent en effet à notre pays et à au continent européen de produire des biens et des services à haute valeur ajoutée et de disposer d'une longueur d'avance dans la compétition internationale. Que ce soit à Toulouse, avec Airbus, à Grenoble avec ST Microelectronics ou à Kourou avec Ariane, la science irrigue nos territoires d'emplois et de richesses nouvelles.

C'est dans cette perspective que l'Europe, dont l'impulsion est déterminante, a fait de la recherche une de ses priorités. Elle poursuit aujourd'hui son sixième programme-cadre de recherche et de développement, soit 20 milliards d'euros à injecter dans les laboratoires et les entreprises innovantes. Le projet de traité constitutionnel a renforcé encore le rôle de la recherche, notamment spatiale, dans la politique européenne.

Dans la réflexion qu'elle conduit pour le septième programme-cadre, l'Europe a aussi souhaité accroître son action en faveur de la recherche fondamentale, avec la création en 2007 d'un conseil européen de la recherche chargé de financer spécifiquement ces projets.

Sachant que le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la création de ce conseil, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser votre position et nous faire part le cas échéant, des perspectives qu'ouvre ce dispositif ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la recherche.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Monsieur le député, l'Europe a un magnifique bilan en matière de recherche. Si vous avez cité de grands programmes soutenus depuis des années par l'Europe, bien d'autres pourraient être mentionnés.

Dans les prochaines années, le cadre européen sera modifié, avec le septième PCRD qui est en cours de préparation et qui sera très ambitieux. Il faut dire que le niveau européen est le plus adapté aux programmes de recherche, que ce soit dans le domaine de la technologie, de la recherche ou dans d'autres disciplines.

La recherche européenne passe d'abord par la muise en œuvre de moyens supplémentaires. L'Europe vient de proposer, pour le septième PCRD, un montant de 10 milliards d'euros sur sept ans. Cette proposition mérite d'être discutée dans le détail, mais cette ambition paraît nécessaire pour développer encore davantage la recherche sur le plan européen et donc mutualiser encore plus les moyens et coordonner encore mieux les systèmes nationaux.

Le conseil européen de la recherche a proposé d'amplifier plus spécifiquement l'effort de recherche fondamentale, c'est-à-dire les avancées désintéressées de la science, le progrès de la connaissance. C'est indispensable vis-à-vis des États-Unis et de l'Asie.

Cette proposition a été lancée par des scientifiques français et soutenue depuis 2003 par le Gouvernement français. J'espère que nous arriverons à un accord fondé sur les principes d'une bonne recherche : transparence, évaluation par les pairs et bonne organisation.

Enfin, le traité constitutionnel devrait encore amplifier cette ambition en faisant de l'espace une compétence partagée.

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    2

LUTTE CONTRE LE DOPAGE

Explications de vote et vote par scrutin public d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public du projet de loi relatif à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs.

Explications de vote

Dans les explications de vote, plusieurs orateurs sont inscrits. Je rappelle qu'ils disposent au plus de cinq minutes.

La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe UDF.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer dans quelques instants répond aux engagements internationaux de la France dans la lutte contre le dopage, et à une démarche largement soutenue par le mouvement sportif français, en particulier par le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF.

Après les lois Herzog du 1er juin 1965 et Bambuck du 28 juin 1989, vous avez souhaité, monsieur le ministre, ajuster la loi Buffet du 23 mars 1999, l'idée forte étant d'harmoniser les règlements relatifs à la lutte contre le dopage, de mettre notre législation en conformité avec les règlements du Comité international olympique et avec les nouvelles dispositions du code préparé par l'Agence mondiale antidopage, et de veiller à la protection de la santé des sportifs.

Cette harmonisation est opportune car elle met fin à la spécificité française et intègre notre réglementation aux dispositifs mis en place au niveau international. Elle rendra ainsi plus efficace la lutte contre le dopage et permettra d'éviter les excès ou dérives qui ont pu être constatés ces dernières années dans certaines disciplines, jetant le discrédit sur les sportifs. Le mouvement collectif qui en a résulté, et qui s'apparentait à un véritable acharnement médiatique, a conduit à prendre des mesures si rigoureuses que certains sportifs ont pu être empêchés de se soigner au cours d'épreuves.

Ce texte largement consensuel appelle toutefois un certain nombre de remarques sur lesquelles je ne reviendrai pas, les ayant évoquées largement lors de la discussion générale.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement français affiche une priorité. Rappelons toutefois qu'il sera difficile de faire l'économie d'une réelle intégration internationale dans ce domaine. Tous les pays devront également faire preuve de volontarisme afin d'harmoniser les dispositifs notamment prévus par l'Agence mondiale antidopage. L'idée semble faire son chemin en Europe, intégration européenne oblige, mais les initiatives restent encore bien timides au niveau international.

Le groupe UDF considère que l'ensemble de ces dispositions constituent une réponse appropriée aux problèmes posés et sont de nature à faire avancer efficacement la lutte contre le dopage, permettant ainsi de préserver la santé de nos sportifs.

Avant de conclure, je veux, monsieur le ministre, me réjouir des propos que vous avez tenus lors de votre conférence de presse du 1er avril sur l'exercice de la profession d'agent sportif. Ils reprenaient en effet, pour une très grande part, la proposition de loi que j'ai déposée avec mon collègue et ami Édouard Landrain...

M. Francis Delattre. Remarquable proposition !

M. François Rochebloine. ...et dont le texte a été mis en distribution le 24 février. Elle a été rédigée en étroite collaboration avec la ligue professionnelle de football, qui est la discipline principalement concernée, en particulier avec son président Frédéric Thiriez.

Pour en revenir au projet de loi relatif à la lutte contre le dopage qui est soumis à notre assemblée, le groupe UDF le votera avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1998 et 1999, la France s'est engagée dans une nouvelle étape de la lutte contre le dopage et pour la préservation de la santé des sportifs. Très largement rassemblés dans cet hémicycle, nous avons adopté une loi permettant de prendre à bras-le-corps ce problème réel qui touche le sport au plan international, tout en résistant au discours, faux, du « Tous dopés ». Certains ont affirmé que cette loi plaçait la France dans l'isolement. Bien au contraire, elle a permis d'enclencher un mouvement au niveau des États européens, puis d'obtenir du CIO, en février 1999, la création de l'Agence mondiale antidopage, laquelle, recueillant enfin l'adhésion de toutes les fédérations internationales, a elle-même élaboré un code universel de lutte contre le dopage. Enfin, une convention internationale sous l'égide de l'UNESCO est en cours d'adoption.

Ce combat humaniste pour le respect du sport, des sportifs et des sportives peut donc prendre une nouvelle direction. La loi qui nous est soumise prend en effet acte des modifications intervenues au niveau international.

Permettez-moi cependant, monsieur le ministre, quatre remarques.

La première est un appel à continuer à faire preuve de volonté politique. La lutte contre le dopage est une action difficile, parce qu'elle se heurte à différentes formes de pressions - celles liée aux enjeux économiques, bien sûr, mais aussi, parfois, politiques, voire nationalistes -, pressions qui pèsent sur les athlètes et entraînent parfois la pratique du dopage. Un engagement de la force publique, de l'État, est donc nécessaire, ce qui implique des moyens humains et financiers au service non seulement de l'éducation, de la prévention, de la surveillance médicale, mais aussi du mouvement sportif, qui doit disposer de l'encadrement nécessaire pour accompagner les enfants, les jeunes ou les adultes. Il faut donc un budget conséquent pour le ministère de la jeunesse et des sports, mais aussi, je crois, un engagement fort auprès du mouvement sportif.

Ce qui fait la force de l'Agence mondiale antidopage, c'est qu'elle s'appuie à la fois sur le mouvement sportif et sur les États. Elle a besoin de reposer sur ces deux jambes, parce que si l'une flanche, les autres peuvent prendre le relais pour poursuivre ce combat difficile qui est loin d'être terminé.

Ma deuxième remarque concerne le laboratoire. Nous devons faire très attention à éviter toute confusion, dès lors que l'agence maîtrise à la fois les contrôles, l'expertise - à travers le laboratoire - et la sanction. D'autres agences indépendantes, qui disposent également de l'ensemble de ces pouvoirs, n'ont pas joué un rôle efficace dans la lutte contre le dopage. Une vigilance permanente est donc nécessaire.

Ma troisième remarque porte sur les certificats thérapeutiques. Le CPLD avait commencé à examiner leur validité par des contre-expertises. Cette action doit être poursuivie.

Quatrième remarque, enfin : il faut faire en sorte que l'État français conforte le rôle de l'Agence mondiale antidopage face aux pressions que peuvent encore exercer certaines fédérations internationales. En effet, toutes ne se sont pas ralliées au code universel avec l'enthousiasme que l'on aurait pu souhaiter.

Ces remarques, monsieur le ministre, constituent pour le groupe des député-e-s communistes et républicains autant d'appels à des engagements clairs et à une mobilisation permanente des autorités publiques et du mouvement sportif. Je sais d'ailleurs que nous pouvons compter sur ce dernier, puisque, dès 1998, de très nombreux sportifs organisaient un relais entre le siège du CNOSF et celui du CIO à Lausanne, lançant ainsi une grande campagne sur le « sport net ». Cet engagement ne peut qu'être poursuivi.

Mobilisés aux côtés des sportifs et des sportives, et attentifs aux exigences que je viens de rappeler, les députés communistes et républicains voteront en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs suivants, je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Marie Geveaux, pour le groupe UMP.

M. Jean-Marie Geveaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte sur lequel nous allons nous prononcer est important et largement consensuel. Il poursuit deux objectifs essentiels : mettre notre législation en conformité avec les nouvelles exigences internationales, d'une part ; renforcer notre organisation au niveau national, d'autre part.

En effet, le projet de loi prend acte des évolutions survenues au niveau international avec la création de l'Agence mondiale antidopage en 1999 et l'adoption du code mondial antidopage en 2003. Il était donc attendu au niveau tant national qu'international, car il va nous permettre de nous mettre en conformité avec les nouvelles normes en vigueur. En outre, grâce à votre volontarisme, monsieur le ministre, nous le ferons en respectant le calendrier initialement prévu, c'est-à-dire avant les Jeux olympiques de Turin.

Concernant l'organisation de la lutte contre le dopage sur le territoire français, la nouvelle agence française de lutte contre le dopage va prendre le relais du conseil de prévention et de lutte contre le dopage, avec des responsabilités et des missions élargies. En matière de prévention, le ministère des sports aura désormais un rôle pilote à jouer, témoignant du profond engagement de l'État dans ce domaine. À ses côtés, tous les acteurs du sport devront se fédérer pour assurer une protection optimale à tous les sportifs, quel que soit leur niveau, professionnel ou non. Cette action passera notamment par le renforcement des contrôles inopinés, y compris sur les lieux d'entraînement ou au domicile des sportifs.

Le texte qui nous est proposé vient consacrer une longue tradition, celle de l'exemplarité de la France dans la lutte contre le dopage. Depuis de nombreuses années maintenant, et grâce à une mobilisation sans faille, sur tous les bancs de cet hémicycle, la France a joué un rôle pionnier. Nous ne pouvons que nous en féliciter. À l'heure de la candidature de Paris pour les Jeux olympiques de 2012 et à l'approche des Jeux olympiques d'hiver de Turin, l'année prochaine, nous donnons là un signal fort et montrons que notre détermination ne faiblit pas.

En un mot, nous avons là un excellent texte qui devrait susciter un large consensus. Dans l'intérêt du sport et des sportifs, le groupe UMP le votera donc aussi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Alain Néri, dernier orateur inscrit.

M. Alain Néri. Nous voilà donc à nouveau réunis dans cet hémicycle pour évoquer la lutte contre le dopage. Dans ce domaine, la France a toujours agi en pionnière. Dès 1965, avec la loi de Maurice Herzog, puis en 1989, avec la loi Bambuck, et enfin avec la loi Buffet du 23 mars 1999, elle s'est toujours retrouvée en tête de ce combat.

Certains ironisaient en affirmant que l'action de la France ne recevrait pas d'écho au niveau international et que nous étions en train de nous isoler. Bien au contraire, nous avons eu la preuve que notre pays a joué un rôle de moteur, permettant la mise en place de structures internationales telles que l'AMA.

De même que dix ans après la loi Bambuck, il était apparu nécessaire de voter une nouvelle loi - la loi Buffet -, il convient aujourd'hui de procéder aux adaptations nécessaires en prenant acte des modifications intervenues au niveau international.

Après la création de l'AMA en 1999 et l'adoption du code mondial antidopage en mars 2003, dit aussi déclaration de Copenhague, une modification, une adaptation de la loi s'impose en effet. On a longtemps reproché à la France d'avoir adopté une législation plus sévère que celle des autres pays. Nous sommes aujourd'hui dans la nécessité de nous mettre en conformité avec le droit international. Le code mondial antidopage entrera en vigueur le 1er février 2006, jour d'ouverture des Jeux olympiques de Turin. Les États devront alors avoir adapté leur législation s'ils veulent pouvoir continuer à accueillir des événements internationaux. Tel sera bien le cas de la France après l'adoption de ce projet de loi. Le code mondial antidopage régira en effet les compétitions internationales dont, espérons-le, les Jeux olympiques de 2012 à Paris.

Si nous avons débattu de ce texte dans un esprit constructif et de concertation, c'est aussi pour contribuer à ce que la France organise les jeux de 2012. Notre implication dans la lutte contre le dopage prouve que nous voulons un sport mondial permettant aux athlètes de tous les pays de concourir à égalité de chances.

Ce texte appelle cependant de notre part quelques réserves, concernant notamment le rôle des fédérations internationales qui deviennent maîtresses du jeu, s'agissant de la répartition entre les interventions nationales et internationales. En effet, elles définissent en toute liberté les manifestations et compétitions inscrites à leur propre calendrier, qui échappent ainsi aux contrôles nationaux. Espérons que l'Agence mondiale antidopage - l'AMA - fera preuve d'une autorité suffisante pour imposer une lutte antidopage rigoureuse et homogène aux fédérations internationales dont certaines manifestent, malheureusement aujourd'hui, un enthousiasme mesuré, voire modeste en la matière.

De même, nous déplorons le transfert des responsabilités de l'État à une agence indépendante en matière de lutte contre le dopage. Créé par la loi de 1999 pour veiller à l'efficacité de la loi antidopage, chargé de mission complémentaire dans le domaine de recherche, de recueil d'information et de prévention - missions qui semblent disparaître de votre projet de loi - le conseil de prévention et de lutte contre le dopage devient l'agence française de lutte contre le dopage, instance de contrôle, d'expertise, de jugement, trois actions qui semblent difficiles à mettre en œuvre simultanément. Ce changement de dénomination peut également révéler un profond désengagement de l'État.

Nous nous inquiétons également du devenir du laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry qui perd son statut d'établissement public national pour se fondre au sein de la nouvelle agence. En effet, nous sommes très attachés au rôle joué par ce laboratoire qui, dans le domaine de la recherche fondamentale, a permis de faire un grand pas dans la lutte contre le dopage grâce à la mise à jour des effets de l'EPO et de l'hémoglobine réticulée. Je regrette, par conséquent, que mon amendement demandant que le laboratoire demeure sous le contrôle du ministère de la jeunesse et des sports et du ministère de la santé n'ait pas été accepté.

Enfin, nous dénonçons l'utilisation à des fins thérapeutiques de produits interdits s'ils ne sont pas soumis au contrôle rigoureux d'experts, car nous ne sommes malheureusement pas à l'abri de dérives : ordonnances délivrées par des médecins complaisants, voire, dans certains cas, complices.

Certaines inquiétudes ont été levées, monsieur le ministre, au cours de la discussion. L'expérience montrera, je le pense, qu'en cas de dérives, cette loi pourra être améliorée pour que la lutte contre le dopage soit toujours plus rigoureuse.

Nous regrettons également l'absence totale de référence au traitement pénal du dopage, ceux qui trichent devant être mis à l'index, car les jeunes y sont très sensibles.

La lutte contre le dopage et la protection de la santé des sportifs relèvent, avant toute autre considération, d'une politique nationale de santé publique qui doit être conduite tant en faveur des sportifs que des valeurs éducatives et sociales du sport.

En dépit de ces réserves, monsieur le ministre, parce que votre projet de loi adapte notre législation à la norme internationale et en vue d'éviter, dans la perspective de la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques, qu'un vote avec quelques retenues ne soit apprécié par certains comme un manque d'unanimité de la part de la France, le groupe socialiste le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous manifesterons ainsi ensemble notre volonté de faire que Paris accueille les Jeux olympiques en 2012 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Le scrutin ayant été annoncé dans le palais, je vous informe, mes chers collègues, que M. le ministre s'exprimera à l'issue du vote.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l'ensemble du projet de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 372

                    Nombre de suffrages exprimés 372

                    Majorité absolue 187

        Pour l'adoption 372

        Contre 0

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur tous les bancs.)

La parole est à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames , messieurs les députés, je suis heureux, vous vous en doutez, qu'après un débat enrichissant, la procédure du vote solennel ait été retenue, témoignant de l'intérêt que votre assemblée porte à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Je me félicite également que ce projet ait recueilli l'unanimité de vos votes.

Il n'existe pas de sport sans l'affirmation de règles éthiques. C'est sur ce constat simple que l'intérêt à agir des pouvoirs publics au service du développement de la pratique sportive trouve son fondement : celui des valeurs éducatives et sociales du sport.

La recherche d'un engagement éthique et l'adhésion aux règles de vie en société sont au cœur de l'apprentissage sportif et indissociables de l'acquisition du geste technique. Ce sont elles qui donnent son vrai sens au sport.

Transgresser les principes de loyauté et d'équité en altérant les modalités de la pratique sportive, ce n'est pas seulement tricher, c'est aussi remettre fondamentalement en cause l'essence même du sport. Le Président de la République l'avait exprimé avec force lors des états généraux du sport en décembre 2002 lorsqu'il avait affirmé : « le dopage c'est l'anti-sport ».

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Parce qu'il défend des valeurs qui s'inscrivent dans notre pacte républicain, le sport s'est imposé comme un fait social majeur. Cette reconnaissance a parallèlement mis en exergue les risques sanitaires que les pratiques dopantes ou des formes perverties de techniques d'entraînement font courir à la santé des sportifs. La lutte contre le dopage s'inscrit désormais nécessairement dans une logique sanitaire de surveillance médicale et de santé publique.

Dès 1965 avec la loi Herzog, la France a érigé la lutte contre le dopage au rang de priorité politique nationale. Cette préoccupation a, comme aujourd'hui, transcendé tous les clivages partisans, avec les apports postérieurs de la loi Bambuck de 1989, puis de la loi qui porte votre nom, madame Buffet, en 1999.

Six ans après cette dernière loi et après en avoir évalué l'application, j'ai eu l'honneur de présenter un dispositif rénové et renforcé de lutte contre le dopage intégrant les évolutions internationales particulièrement significatives de ces dernières années.

L'engagement du Comité international olympique et du mouvement sportif international aux côtés des gouvernements nationaux a permis de notables avancées, dont je retiens, comme vous l'avez fait, trois étapes clés : la création de l'Agence mondiale antidopage en 1999, l'adoption, dans la déclaration de Copenhague de mars 2003, du principe d'un code mondial antidopage, aujourd'hui élaboré et reconnu par l'ensemble des fédérations internationales olympiques - même si certaines émettent effectivement quelques réticences - enfin, la rédaction d'une convention internationale sous l'égide de l'UNESCO visant à faire converger les législations antidopage des États pour plus de résultats et d'efficacité.

Une politique efficace de lutte contre le dopage repose sur trois axes d'intervention indissociables : développer une politique volontariste de prévention et de recherche publique, intégrant un suivi médical performant des pratiquants, notamment des sportifs de haut niveau ; conduire une politique de répression pénale sans concession des trafics de produits dopants aidée par un réseau national d'échanges d'informations actif et coordonné et par une coopération internationale renforcée ; rendre notre dispositif de lutte contre le dopage cohérent avec le code mondial antidopage et clarifier les responsabilités des acteurs nationaux et internationaux pour plus d'efficience. Tel est l'objet du présent projet de loi, dont l'économie générale se résume en trois points essentiels.

Il fixe d'abord un principe simple de répartition des compétences. Le contrôle de la loyauté des compétitions internationales relève des instances internationales, celui des compétitions nationales et de l'entraînement des sportifs sur notre territoire des autorités nationales. Il réaffirme ensuite le rôle premier de l'État dans le domaine de la prévention et de la recherche, comme dans celui, plus général, de la protection de la santé des sportifs qui est ainsi améliorée. Enfin, il confie l'ensemble du champ disciplinaire national à une autorité indépendante aux compétences renforcées, l'Agence française de lutte contre le dopage - l'AFLD - en garantissant la stricte séparation des procédures de contrôle, d'analyse et de sanction disciplinaire.

Ces évolutions, aujourd'hui nécessaires, devront s'accompagner d'une constante exigence et vigilance au niveau international. En effet, les standards de la lutte contre le dopage doivent être constamment adaptés et les résultats à la hauteur de ces enjeux. Les gouvernements - et la France y veillera - doivent, par leur présence et leur action au sein de l'Agence mondiale antidopage, travailler en ce sens avec les fédérations internationales et le Comité international olympique.

Le projet qui vous est soumis, que vous venez d'adopter à l'unanimité, et l'application du code mondial antidopage doivent permettre un traitement équitable de tous les athlètes de haut niveau, quels que soient leur nationalité, leur lieu d'entraînement et le type de compétitions auxquelles ils participent.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Je suis également convaincu, et ce sera ma conclusion, que ces nouvelles dispositions permettront aux parents d'encourager la pratique sportive de leurs enfants en clubs sans crainte et sans appréhension. En somme, elles redonneront aux valeurs éducatives et sociales toute leur place dans le sport. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

    4

TRANSPOSITION DU DROIT COMMUNAUTAIRE À LA FONCTION PUBLIQUE

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (nos 2210, 2222).

La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est la première fois depuis que je suis ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État que j'ai l'honneur de présenter un projet de loi à votre assemblée.

Vous connaissez mes orientations : renforcer la motivation des fonctionnaires en réformant la structure de la fonction publique, tout en étant fidèle au principe du statut, ouvrir la fonction publique à la société, notamment en offrant une nouvelle voie d'accès par l'apprentissage, le PACTE, et en modernisant les règles de déontologie, en particulier pour permettre aux fonctionnaires de participer au mouvement de création d'entreprises, développer la formation permanente, sujets sur lesquels nous reviendrons à l'occasion d'un projet de loi ultérieur.

Le texte qui vous est soumis transpose plusieurs mesures de droit communautaire concernant la fonction publique. Il transpose l'ensemble des directives et des jurisprudences européennes qui devaient être appliquées dans le champ de la fonction publique. Dorénavant, le droit de la fonction publique sera entièrement conforme aux normes communautaires. Je souhaitais d'autant plus que nous soyons exemplaires en la matière que, vous le constaterez, cette transposition est source de progrès social, tout en respectant intégralement les particularités de notre modèle de fonction publique.

Le projet de traité constitutionnel qui sera soumis au suffrage des Français le 29 mai marque d'une certaine manière la reconnaissance de ce modèle par l'Union européenne : il consacre en effet pour la première fois le rôle social indispensable des services publics, à l'article II-96, laisse libres les États de définir le mode de financement de ces services, par l'article III-122, et il autorise les aides d'État dans ce domaine, par l'article III-238. Autant dire que les services publics seront mieux reconnus, mieux protégés avec le traité que sans. Bref, l'Europe n'est pas, comme certains voudraient le faire croire, une machine anti-service public, bien au contraire : elle est le cadre dans lequel nous pouvons faire avancer et progresser nos valeurs, comme ce traité le prouve.

L'examen des mesures de transposition que je vous soumets le montre également de manière très claire. Poursuivre l'ouverture de notre administration aux ressortissants européens, lutter contre les discriminations, résorber la précarité dans la fonction publique, tels sont les objectifs principaux de ces mesures.

Le projet de loi parachève l'ouverture de la fonction publique française aux ressortissants communautaires.

Cette ouverture, qui résulte du principe de libre circulation des travailleurs, favorise la prise de conscience, au sein des administrations françaises, de la réalité de l'Union et renforce le sentiment d'appartenance commune. Par ailleurs, l'ouverture est une occasion pour nos cultures administratives de se confronter et de s'enrichir mutuellement. Nous avons tout à y gagner.

Or, dans la situation actuelle, la fermeture est la règle et l'ouverture l'exception, les corps étant ouverts au cas par cas. Nous allons donc renverser la situation : l'ouverture sera la règle et la fermeture l'exception. Ainsi tous les corps de la fonction publique seront désormais ouverts au recrutement par concours des ressortissants de l'Union. En cours de carrière, l'entrée des ressortissants par détachement dans tous les corps de la fonction publique française sera possible, et seul l'accès aux emplois relevant de la puissance publique continuera à être conditionné par la nationalité française.

Les règles antérieures révélaient une certaine frilosité de la fonction publique française, qui n'avait accepté que d'entrouvrir ses portes sous pression de la Commission. Désormais, la lettre et l'esprit du droit communautaire seront respectés. Ainsi des ressortissants européens pourront progressivement accéder aux corps de direction de l'État. Nous avons déjà reçu plusieurs demandes d'élèves européens de l'ENA, qui souhaitent intégrer la fonction publique française. Nous leur proposons aujourd'hui des contrats. Demain, ils pourront être recrutés sur un pied d'égalité avec leurs camarades français.

Ce nouveau cadre permettra d'enrichir notre fonction publique, par l'échange réciproque d'expériences et de cultures professionnelles. La collaboration, au sein d'un même service, entre Français, Allemands, Italiens ou Suédois par exemple, ne peut que donner de nouveaux horizons à l'évolution du service public.

J'en viens à deux autres aspects du projet qui méritent d'être soulignés. Ils concernent l'application du principe communautaire de non discrimination et la continuité des contrats.

Le projet de loi renforce la lutte contre les discriminations conformément aux règles du droit communautaire en la matière. Il met en particulier fin à certaines différences de traitement entre les hommes et les femmes pour les dérogations aux limites d'âge ou aux conditions de diplôme au moment du recrutement.

Par ailleurs, il impose la continuité des contrats des agents publics en cas de transfert d'une activité du secteur privé à l'administration, en application d'une directive du 12 mars 2001 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises. En conséquence l'administration aura l'obligation de reprendre les personnels, à l'image de ce que prévoyait déjà le code du travail pour les employeurs privés. Elle devra également préserver les clauses substantielles des contrats. Cela jouera, par exemple, lorsque les missions d'une association ou d'une concession de service public sont prises en charge par une administration de l'État ou par une collectivité locale.

Je terminerai par le dispositif le plus important de ce texte. Il concerne les conditions d'emploi des contractuels de la fonction publique. Il permettra de mettre un terme à des situations de précarité qui ne sont pas acceptables.

Le statut actuel de la fonction publique est en effet fondé sur une différence radicale : il y a les fonctionnaires titulaires, qui ont droit à une protection intégrale, et les contractuels, qui bénéficient de garanties très inférieures à celles des salariés du secteur privé, puisqu'il n'existe pas de CDI dans la fonction publique.

Cette différence majeure crée une situation bien connue : les employeurs publics, État et collectivités territoriales, peuvent employer des agents sur des contrats à durée déterminée sans aucune limitation de durée. Des exemples récents ont montré que des contrats à durée déterminée pouvaient être renouvelés des dizaines de fois. À moins de passer un concours de fonctionnaire, ce qui ne leur est pas forcément possible, ces contractuels n'ont aucun espoir de voir leur situation consolidée. Cela engendre des situations difficiles dans la vie quotidienne, quand ils veulent emprunter ou trouver un logement, par exemple.

Pour y remédier, le projet de loi qui vous est présenté n'autorise le renouvellement des contrats à durée déterminée que pour une durée totale de six ans. Au-delà, le contrat sera transformé en contrat à durée indéterminée.

Par ailleurs, les agents de plus de cinquante ans et justifiant de huit ans de service public bénéficieront de la transformation automatique de leur contrat en contrat à durée indéterminée.

Cette mesure est, je crois, la seule efficace. Par le passé, vous le savez, des plans de titularisation avaient été mis en place, mais ils n'étaient pas satisfaisants. Ces vagues un peu aveugles ne réglaient pas le problème de manière sûre, et laissaient toujours passer beaucoup de monde à travers les mailles du filet. Je crois donc que nous avons trouvé là, grâce à l'Europe, il faut bien le dire, un bon moyen de sortir de la précarité les agents non titulaires. Il s'agit d'une mesure de justice et d'équité, qui n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour l'État et ne remet en rien en cause le statut des fonctionnaires, la voie normale d'accès à la fonction publique restant le concours et la titularisation, le CDI n'ayant qu'un caractère exceptionnel. Cette mesure s'appliquera bien entendu aux trois fonctions publiques.

Plus de stabilité, plus d'ouverture, plus d'égalité, tels sont les acquis essentiels des mesures qui vous sont proposées. Elles montrent que l'Europe peut être un moteur de progrès social, une source de protections nouvelles et d'innovations positives, dans la fidélité aux principes fondateurs du statut de la fonction publique française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril 2003, le professeur Lemoyne-Deforges a présenté, à la demande du Gouvernement, un rapport relatif à l'adaptation du droit de la fonction publique française au droit communautaire. La même année, le Conseil d'État a consacré son rapport public aux perspectives pour la fonction publique.

Après audition des trois conseils supérieurs de la fonction publique, des centrales syndicales, des associations d'élus et d'universitaires, la commission des lois du Sénat a examiné le 16 mars dernier le texte dont nous débattons et la Haute assemblée l'a adopté, avec quelques modifications, le 23 mars 2005. Votre commission des lois l'a examiné pour sa part le 30 mars dernier et, après une ultime consultation des centrales syndicales, il me revient l'honneur de vous le présenter.

À titre liminaire, je souhaite replacer ce texte dans le contexte communautaire, la fonction publique étant devenue au fil du temps un champ de compétence communautaire.

Ce projet de loi met incontestablement notre pays en règle, tant au regard de la transposition des directives communautaires, que de certains principes communautaires fondamentaux formulés depuis plusieurs années par la Cour de justice des communautés européennes voire par la Cour européenne des droits de l'homme.

S'agissant de transposition, ce ne sont pas moins de six directives qui servent aujourd'hui de fondement à ce texte : celle du 11 février 1976 relative à la mise en œuvre des principes d'égalité et de traitement entre hommes et femmes ; celle du 15 décembre 1977 sur les possibilités de travail à temps partiel ; celle du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée qui pose comme principe fondamental que la forme normale du travail est la relation de travail à durée indéterminée ; celle du 12 mars 2001 relative au rapprochement des législations concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise offrant des garanties à des agents en précarité ; celle du 11 mars 2002 relative à la consultation des travailleurs et enfin, celle du 23 septembre 2002 modifiant celle du 11 février 1976.

Pour ce qui est des principes communautaires, il s'agit, pour l'essentiel, des principes d'égalité entre les hommes et les femmes, de libre circulation des travailleurs, de pérennité des travailleurs, d'ouverture aux ressortissants communautaires, de parité et de protection contre les discriminations.

Tout le monde s'accorde à reconnaître le retard français dans la transposition des normes communautaires. La France a été condamnée près d'une centaine de fois au titre de la procédure en manquement, non seulement pour non-transposition dans les délais impartis mais également pour non-respect de dispositions communautaires, voire mauvaise transposition d'une directive.

Cette situation, source d'insécurité juridique, a conduit le Gouvernement à agir récemment par voie d'ordonnance, et à créer, par voie de circulaire, le 27 septembre 2004, un réseau interministériel de transposition.

Le présent projet s'inscrit dans le droit fil de cette démarche, le Gouvernement ayant choisi, s'agissant de la fonction publique, d'organiser un véritable débat et non de recourir aux ordonnances, marquant ainsi une volonté de transparence.

Comme l'a dit M. le ministre, l'effort de transposition s'achève avec le présent texte, puisque, à l'issue de son examen, il ne restera aucune directive en souffrance de transposition, concernant la fonction publique.

M. François Rochebloine. Heureusement !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier., rapporteur. C'est dire l'effort accompli en ce domaine et l'importance du texte qui vous est présenté aujourd'hui.

En première lecture, le Sénat, sur vingt-deux articles, en a adopté huit sans modification et a procédé à quelques adaptations du texte présenté par le Gouvernement. Les modifications qui en résultent tendent principalement à rappeler que le recours à des agents non titulaires pour occuper un emploi permanent demeure une exception, à assouplir le dispositif transitoire prévu pour les agents non titulaires âgés d'au moins cinquante ans, à prévoir une application différée de la loi pour les dérogations aux conditions d'âge et de diplômes et à simplifier certains dispositifs.

Pour sa part, votre commission des lois s'est attachée à mettre en exergue les grands principes mis en œuvre par ce texte mais aussi à assurer la meilleure sécurité juridique possible aux agents de la fonction publique. Pour cela, nous avons procédé à des aménagements faisant ressortir les principales dispositions de ce texte que je tiens à vous exposer.

Considérons d'abord les dispositions relatives à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, que je vous proposerai, par souci de cohérence, de présenter dans un seul chapitre. Il s'agit de traiter désormais de manière équivalente les hommes et les femmes dans leurs droits et devoirs de fonctionnaires.

En effet, actuellement, plusieurs textes prévoient des régimes plus favorables pour les femmes, concernant par exemple les limites d'âge ou les conditions de diplôme pour présenter un concours. L'objectif est d'étendre aux hommes les dispositifs spécifiques aux femmes et, pour certains, de les adapter aux évolutions de la société et de la fonction publique. Il est également prévu de garantir au fonctionnaire la priorité au retour à son ancien emploi à l'issue d'un congé de maternité ou de paternité.

Enfin, s'agissant de la lutte contre les discriminations, ce projet de loi tend à harmoniser les droits des victimes de discriminations et renforce leurs droits dans le cas où ils n'étaient pas prévus par la loi, avec notamment l'institution d'une protection en cas de plainte.

D'autres dispositions concernent l'ouverture de la fonction publique aux ressortissants de l'Union européenne et à la mobilité avec la généralisation du détachement.

La libre circulation des personnes est l'un des fondements même du Traité instituant les Communautés européennes, article 39. Or, jusqu'à présent, les ressortissants communautaires ne pouvaient accéder à un corps de la fonction publique que si cette possibilité était expressément prévue. Le texte inverse cette règle. Par principe, les ressortissants pourront désormais accéder à tous les corps, sauf si une exception est prévue par le statut particulier. Seuls leur resteront fermés des emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté et ceux qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique.

Le projet de loi prévoit en outre la généralisation du détachement, permettant ainsi une mobilité au sein et entre les trois fonctions publiques ainsi qu'en faveur des ressortissants communautaires non français.

Cette disposition innovante permettra, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, une collaboration entre Français, Suédois, Belges, Italiens et autres, ouvrant ainsi de nouveaux horizons au travail de chacun, au bénéfice de l'intérêt général.

Enfin, les dispositions relatives à la lutte contre la précarité sont certainement celles qui donnent à votre projet un relief tout particulier : il s'agit de répondre à la fois à la précarité des agents contractuels de la fonction publique et à celle des salariés d'une structure dont l'activité est reprise par une collectivité publique.

En ce qui concerne les agents non titulaires, le texte limite le recours aux contrats à durée déterminée à deux périodes de trois ans, soit six ans, et instaure, au-delà, un contrat à durée indéterminée que la collectivité pourra proposer. Il est, par ailleurs, prévu pour les agents employés depuis plus de six ans et âgés de plus de cinquante ans une transformation automatique en CDI. Cette disposition trouve son fondement dans la directive du 28 juin 1999 dont la transposition aurait dû intervenir avant le 10 juillet 2001. Elle constitue une véritable réponse sociale à des personnes dans une situation d'hyper précarité.

Cette directive pose le principe que la forme normale du travail est la relation de travail à durée indéterminée. Partant de ce principe, il ne s'agit nullement de créer une deuxième fonction publique placée sous l'égide du contrat, ni d'ouvrir une nouvelle voie d'accès à la fonction publique, mais de permettre de « déprécariser » certaines situations individuelles devenues anormales.

M. Jean-Pierre Dufau. Et pourtant !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier., rapporteur. Il s'agit d'une véritable résorption d'emplois précaires, loin de toute idéologie, et il n'y faut voir aucune volonté de remettre en cause les fondements du statut de la fonction publique que sont le concours et les garanties statutaires.

M. Jean-Pierre Dufau. C'est ça !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier., rapporteur. Ce sont près de 700 000 personnes qui sont aujourd'hui concernées, dont près de 200 000 pour la seule fonction publique d'État, monsieur Derosier,...

M. Bernard Derosier. Je n'ai rien dit ! Mais si vous me cherchez, vous allez me trouver !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur.... qui, depuis de nombreuses années, renouvelle à l'envi des contrats sans donner aux agents en question un véritable statut.

Cette disposition permettra également de réguler une pratique que nous connaissons tous au sein des collectivités locales, mettant certains contractuels dans une dépendance totale vis-à-vis de certains exécutifs au point qu'ils se sont malheureusement retrouvés dernièrement à l'ANPE.

À nos yeux, ce dispositif est plus adapté que ceux imaginés antérieurement, notamment dans la loi Sapin qui proposait une titularisation à la fois complexe et totalement inadaptée aux situations que votre texte, monsieur le ministre, prend en compte. La loi Sapin était, en effet, totalement inintéressante pour les non titulaires âgés de plus de cinquante ans, ayant plus de six, dix voire vingt ans d'ancienneté, car elle ne prévoyait ni reprise d'ancienneté, ni reclassement indiciaire, ni différentiel de cotisations à racheter, ni indemnité compensatrice face aux pertes très importantes de salaire.

Sans pour autant vouer un culte du CDI, ce projet de loi constitue une avancée notable dans l'émergence d'une fonction publique qui tienne compte à la fois et des évolutions de la société et des nécessaires adaptations aux principes communautaires. Je vous sais sensible à cet aspect, monsieur le ministre, et ouvert à ce que le maximum d'agents contractuels puisse bénéficier de cette mesure, dont le cadre juridique sera fixé par voie réglementaire.

Pour ce qui est enfin des salariés des structures de droit privé dont l'activité est reprise par une collectivité locale dans le cadre d'un service public administratif, l'article 15 tire les conséquences d'une évolution jurisprudentielle initiée à partir de la directive du 12 mars 2001 relative au rapprochement des législations concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise.

La Cour de justice des communautés européennes, le Tribunal des conflits, la Cour de cassation et, tout dernièrement, le Conseil d'État, dans un arrêt Lamblin du 22 octobre 2004, ont eu l'occasion de préciser les termes mêmes de cette directive et, en conséquence, ceux de l'article L. 122-12 de notre code du travail, qui est en quelque sorte le pendant de l'article 15 du projet. Ce dernier propose auxdits salariés, en cas de transfert de l'activité à une personne publique, un contrat de droit public d'une durée déterminée ou indéterminée selon le type de contrat dont ils disposent au moment du transfert.

Une telle situation se rencontre dans la fonction publique de l'État, dans la fonction publique territoriale, et dans la fonction publique hospitalière. Cet article a le mérite de clarifier la situation de tels salariés et de leur donner un espoir réel de poursuite d'activité dont jusqu'à ce jour ils n'étaient pas assurés.

À l'occasion de l'examen de cet article 15, je vous demanderai, monsieur le ministre, une précision sur son articulation avec les dispositions d'ordre public de l'article L.122-12 du code du travail, afin de le rendre incontournable dans son application réelle. Je pense que nous pourrons ainsi clarifier la situation de certains salariés jetés à la rue après l'alternance politique de 2004 en Languedoc-Roussillon, dont l'activité a été reprise par d'autres associations financées par des collectivités publiques, dans l'esprit même du projet de loi qui a pour objectif, en dehors de la transposition de normes communautaires, de résorber l'emploi précaire.

Cela me conduit, monsieur le ministre, au terme de cette présentation, à saluer votre esprit d'initiative tant dans la transposition des directives communautaires qu'au regard de votre volonté, maintes fois réaffirmée, de placer un certain nombre d'agents publics en situation d'hyper précarité dans une situation enfin régulière et pérenne.

La commission des lois vous invite, en conséquence, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Bernard Derosier, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Bernard Derosier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose aujourd'hui un texte qui, s'il était adopté en l'état, aurait pour conséquence de modifier profondément le visage de la fonction publique française.

Toutes les directives européennes ne sont pas forcément mauvaises.

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Heureusement !

M. Bernard Derosier. Certaines vont même dans le bon sens. Ainsi nous avons, aujourd'hui, l'opportunité d'apporter à l'administration française des mesures de modernisation initiées au niveau communautaire en matière de lutte contre les discriminations, de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, de recrutement initial, de mobilité en cours de carrière des fonctionnaires et d'ouverture aux ressortissants de l'Union européenne. Cela représente trois directives transposables sur quatre.

Malheureusement, chassez les vieux démons de la droite, ils reviennent au galop : sous couvert de transposer une directive relative au travail à durée déterminée, vous proposez un dispositif proprement scandaleux...

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Pas du tout !

M. Bernard Derosier... en tout cas inadmissible pour celles et ceux qui sont attachés à la qualité de notre fonction publique. Vous imaginez en effet d'introduire le contrat à durée indéterminée dans la fonction publique. Mais il existe, monsieur le ministre : c'est le statut !

Vous avez évoqué, dans votre intervention liminaire, « certains qui veulent faire croire » ! Mais qui d'autre que vous veut faire croire que la création des CDI dans la fonction publique est la réponse à je ne sais quelle situation ? Rien ne vous obligeait à permettre que des agents au service de l'État, des collectivités territoriales, du système hospitalier, c'est-à-dire au service des citoyens, soient désormais dans une situation de précarité définitive.

Non, un CDI ne garantit pas l'emploi sur toute la carrière. On peut ainsi imaginer que, dans une administration, une collectivité territoriale, ou même dans la commune qu'administre M. de Roux, un emploi occupé par le titulaire d'un CDI soit supprimé. Que deviendra le titulaire ? Il sera mis fin à son contrat.

Vous auriez pu imaginer de renforcer encore la qualité de nos services publics en permettant qu'ils soient assurés par des fonctionnaires recrutés selon des règles bien connues.

M. Georges Tron. Et que faisons-nous des contractuels ?

M. Bernard Derosier. Les organisations syndicales représentatives des fonctionnaires - vous savez que plusieurs millions de personnes sont concernées - s'y sont fortement opposées, en particulier dans les instances où elles peuvent exprimer le point de vue de leurs mandants : je pense notamment aux conseils supérieurs des diverses fonctions publiques. Le 6 décembre, les représentants de l'administration au conseil supérieur de la fonction publique de l'État ont emporté un avis favorable à vingt contre dix-huit. Le 13 décembre, au conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, l'unanimité s'est faite contre votre projet de loi. Enfin le 22 décembre dernier, le conseil supérieur de la fonction publique territoriale, que j'ai l'honneur de présider, a émis un avis négatif à l'unanimité des votants - il est vrai, monsieur Tron, que vous n'étiez pas des nôtres ce jour-là.

M. Georges Tron. Si vous me cherchez, monsieur Derosier, vous allez me trouver !

M. Bernard Derosier. Mais je suis sûr que si vous aviez été là, vous auriez suivi la position des conseillers de votre sensibilité.

M. Georges Tron. Sûrement pas la vôtre !

M. Bernard Derosier. En bref votre texte fait quasiment l'unanimité contre lui chez ceux à qui il est destiné à s'appliquer. Cependant vous persistez.

Ce vote résulte de l'opposition à la création de ces contrats à durée indéterminée, qui institueraient, que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, une nouvelle voie d'accès sans concours à la fonction publique et une nouvelle catégorie d'agents, en même temps qu'ils provoqueraient une remise en cause du statut qui irait au-delà de la transposition du droit communautaire.

Dans un rapport du 14 avril 2004 relatif à la mutation de la fonction publique territoriale, le conseil supérieur avait déjà rappelé son attachement au concours comme mode d'accès de droit commun aux emplois publics. Alors que la mission du conseil supérieur de la fonction publique territoriale est d'assurer la concertation nécessaire au suivi des textes législatifs et réglementaires qui régissent cette fonction publique et ses agents, le Gouvernement n'a pas entendu cet appel, qui date maintenant d'un an.

C'est d'autant moins étonnant que le dialogue social dans la fonction publique est actuellement sinistré, tant en ce qui concerne les questions statutaires que les salaires.

En témoigne l'incapacité du Gouvernement à mener une politique salariale cohérente. Alors que le traitement des fonctionnaires connaissait jusqu'à ces derniers temps une véritable dégradation de son pouvoir d'achat, l'expression massive de la colère des salariés, lors de leur grande journée d'action du 10 mars dernier, a fortement inquiété le Gouvernement. Celui-ci a tout à coup trouvé une partie des euros qui lui manquaient encore quelques mois auparavant pour ouvrir une véritable négociation. En réalité, aucun accord n'a été trouvé entre les organisations syndicales et le Gouvernement. Ce dernier a proposé unilatéralement une hausse supplémentaire de 0,8 point pour cette année 2005 : 0,5 % au 1er juillet, le solde intervenant le 1er novembre. Pour le département du Nord, une collectivité que je connais bien, cela représente 940 000 euros au 1er juillet et 1,740 million d'euros après l'augmentation prévue pour le 1er novembre, et cela sans compensation, « à l'euro près », pour reprendre les termes de M. Copé.

Dans le même temps, le Gouvernement n'a pas renoncé à s'attaquer aux fonctionnaires, coupables d'être, selon lui, en trop grand nombre, dans un service public qui n'en demande pas tant.

Sous le prétexte d'adopter diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique française, vous nous invitez à remettre en cause les grands principes constitutionnels et républicains qui fondent le statut de la fonction publique depuis 1946. Est contredit dans la foulée le principe d'égal accès des citoyens aux places et emplois publics proclamé par l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi, ils « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. C'est au contraire ce principe que nous consacrons.

M. Bernard Derosier. Bien sûr ! En marche arrière et à la tête du client, monsieur de Roux !

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. C'est vous qui faites marche arrière !

M. Georges Tron. Quelle idée avez-vous de vous-même, monsieur Derosier ?

M. Bernard Derosier. Monsieur Tron, on ne vous voit pas assez souvent ici pour supporter que vous vous exprimiez ainsi de façon intempestive !

M. le président. Ne vous interpellez pas, chers collègues.

M. Bernard Derosier. Prétendant transposer la directive du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre passé entre la Confédération européenne des syndicats, l'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe, le Centre européen des entreprises à participation publique sur le travail à durée déterminée, ce projet de loi propose de limiter le recours aux contrats à durée déterminée dans la fonction publique en consacrant législativement la notion de contrat à durée indéterminée de droit public.

Sous couvert de lutter contre la précarité dans la fonction publique, le Gouvernement nous propose de créer une nouvelle catégorie de fonctionnaires, les agents recrutés par l'État ou les collectivités publiques par contrat à durée indéterminée, et cela grâce à l'Europe à vous en croire, monsieur le ministre : ne faisons pas supporter, en ce moment surtout, une avanie supplémentaire à l'Europe, cette Europe qui est la nouvelle dimension de notre avenir.

Étrange logique qui veut que pour lutter contre la précarité dans la fonction publique, on sape les fondements même de cette dernière, son recrutement et son statut. En effet, en application de la règle énoncée par l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983, qui constitue le titre Ier du statut général des fonctionnaires, les emplois permanents de l'administration doivent être occupés par des fonctionnaires ; et les cas de recours aux agents non titulaires sont limitativement énumérés par les dispositions propres à chacune des trois fonctions publiques : je vous renvoie aux articles 3 à 6 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

Dès lors, la règle est que l'emploi soit occupé par un fonctionnaire titulaire, qui bénéficie, je le répète, d'un contrat par définition à durée indéterminée. La lutte contre la précarité devrait donc se concentrer sur la question de l'application et de la pertinence du statut de la fonction publique.

Afin de garantir au mieux le respect du principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics, le recrutement de ces agents de la fonction publique s'effectue en principe par voie de concours. Contrairement à ce qui prévaut en droit du travail, le recours au contrat à durée déterminée dans la fonction publique n'est donc pas une dérogation au principe du contrat à durée indéterminée, mais une exception au mode normal de recrutement, qui est le concours et la titularisation dans un grade de la fonction publique.

J'entends d'ici le président de la commission des lois - et je sais, monsieur de Roux, que vous partagez cette approche - accuser les défenseurs du statut et des conditions d'accès à la fonction publique telles qu'elles existent aujourd'hui de « ringardise » et d'archaïsme, en un mot leur reprocher une vision rétrograde de la fonction publique. C'est toujours la même histoire : quand on veut tuer son chien...

M. Xavier de Roux. vice-président de la commission. Les fonctionnaires ne sont pas des chiens, monsieur Derosier !

M. Bernard Derosier. ...vous connaissez la suite, et j'ai bien peur que nous nous trouvions devant une application concrète de l'adage. Vous semblez avoir, de votre point de vue, des raisons de considérer que la fonction publique a besoin d'être secouée. En tout cas vous mettez tout en œuvre pour la mettre de plus en plus en difficulté. L'accusation est facile quand on n'a pas d'arguments cohérents, rationnels et responsables.

Pour autant, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : le statut de la fonction publique, notamment les dispositions qui en régissent l'accès, ne doit pas rester en dehors de tout examen. La fonction publique est un corps vivant qui, comme tout corps vivant, a besoin de s'adapter pour permettre aux services publics de mieux répondre aux attentes des citoyens. L'approche est fondamentalement, voire idéologiquement différente entre ceux qui veulent des services publics de qualité, avec des fonctionnaires recrutés dans le respect des garanties que le concours assure - dont nous sommes, avec mes amis socialistes - et les réactionnaires libéraux, pour qui la collectivité publique ne peut assurer ses missions qu'à la condition d'être rentable.

Or le projet que nous examinons comporte, dans son chapitre III, un ensemble de mesures qui traduisent manifestement une confusion entre les logiques de l'emploi public et celles de l'emploi privé, puisqu'il prévoit que les agents non titulaires recrutés sur des emplois permanents sont engagés par des contrats à durée déterminée d'une durée maximale de trois ans ; ces contrats sont renouvelables, par reconduction expresse, dans la limite maximale de six ans. À l'issue de cette période de six ans, les contrats peuvent être reconduits, par décision expresse et pour une durée indéterminée.

Mais, ce projet va bien au-delà du droit communautaire, qui, si on en croit le rapport que le Conseil d'État a consacré en 2003 aux perspectives pour la fonction publique - s'il vous avait échappé, monsieur le ministre, je vous invite à en prendre connaissance - « ne fait rien d'autre qu'inciter à une plus stricte application des principes même du statut général ».

Il n'est donc pas juste d'imputer à l'Europe, comme vous venez de le faire, l'instauration des contrats à durée indéterminée au sein de la fonction publique, alors que ce projet relève au contraire d'une démarche idéologique propre au Gouvernement. C'est le choix du contrat contre le statut. Ce choix est révélateur de l'état d'esprit du Gouvernement à l'égard des fonctionnaires et de la fonction publique en général. J'en veux pour preuve supplémentaire la contradiction entre la suppression par le Gouvernement de postes de titulaires et la création concomitante de contrats à durée indéterminée dans la fonction publique.

Estimant que la gestion des services publics ne doit pas différer de celle des entreprises privées, le Gouvernement introduit des dispositions qui amorcent le démantèlement de la fonction publique. C'est à juste titre que les syndicats s'y sont opposés, et il ne s'est trouvé personne pour voter en faveur de ce dispositif. La contradiction avec le service public, dont les caractéristiques justifient le statut de la fonction publique, est pourtant évidente.

Ce projet introduit une confusion majeure dans le texte qui régit le statut de la fonction publique, puisque, à côté d'un recrutement reposant sur le système de la carrière, il propose la mise en place d'un système de l'emploi qui favoriserait la subjectivité du recrutement.

Cette régression, dangereuse pour le service public, est contraire au principe d'égalité dans l'accès aux emplois public comme à l'égalité devant le service public.

Pourtant, notre tradition juridique privilégie le concours comme mode de recrutement de la fonction publique. C'est en effet le procédé le plus apte à assurer l'égalité tout en permettant de vérifier les vertus et talents des postulants.

La loi du 19 octobre 1946 posant le premier statut général de la fonction publique a consacré l'aboutissement d'une évolution qui s'est manifestée dans le courant de la IIIe République en faisant du concours le procédé de principe pour le recrutement des corps relevant de ces dispositions. Les statuts généraux ultérieurs ont maintenu ce principe.

Cependant, malheureusement, le concours n'est pas une exigence constitutionnelle garantissant qu'il serait le seul moyen possible de recrutement des agents publics. Ainsi, qu'il s'agisse de la mise en place d'une troisième voie d'accès à l'École nationale d'administration - décision de 1982 -, du recrutement dans les corps d'inspection et de contrôle opéré au tour extérieur - décision de 1984 -, jamais le Conseil constitutionnel n'a estimé que le concours était l'unique recours pour garantir un recrutement conforme au principe d'égalité de tous dans l'accès aux emplois publics posé par l'article VI de la Déclaration des droit de l'homme et du citoyen.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Ce n'est pas ce que vous avez dit tout à l'heure !

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission. Nous essayons de comprendre ! C'est subtil !

M. Bernard Derosier. Eh bien, écoutez-moi, monsieur le rapporteur, cela changera, car vous ne m'avez pas écouté en commission !

Nous savons même que, pour les agents relevant des catégories C, aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prévoir que le recrutement d'agents aura lieu sans concours.

Cependant, dans tous les autres cas, le législateur a prévu un cadre et des principes permettant de garantir l'aptitude des candidats au recrutement. Et ce cadre a été vérifié par le Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une exigence constitutionnelle. Les lois d'intégration s'y sont d'ailleurs dans tous les cas conformées. La loi de résorption de l'emploi précaire du 3 janvier 2001,...

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Qui est totalement indigeste !

M. Bernard Derosier. ...que notre rapporteur considère comme compliquée encore qu'elle ait permis des centaines d'intégrations de fonctionnaires, posait des conditions de titre, de diplôme ou d'équivalence, ainsi que des conditions d'expérience qui étaient autant de garanties de la qualité du service public assuré par les agents ainsi intégrés.

Le principe d'égalité dans l'accès aux emplois public tel qu'il est posé dans l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s'entend au regard des qualités respectives des candidats. Or, si l'on s'en réfère au projet que nous soumet le Gouvernement, seul l'écoulement du temps suffirait à satisfaire ce principe - trois ans, renouvelable une fois.

Certains agents publics verront donc leurs compétences sanctionnées par un concours ou une validation de leur expérience professionnelle, d'autres n'auront eu qu'à passer un contrat. Cela, vous en conviendrez, est proprement injuste.

En outre, en ne prévoyant aucune vérification de l'aptitude des contractuels à exercer leur fonction en limitant ce contrôle au simple renouvellement au bout de trois ans du contrat, le législateur méconnaît sa compétence, car il laisse ainsi au pouvoir réglementaire toute latitude pour, éventuellement, encadrer les modalités de recrutement de ces contractuels.

Il est donc fondamental que la loi prévoie des garanties quant à l'aptitude des candidats à être agent public. D'ailleurs, en négligeant toute prise en compte de conditions d'aptitude dans l'accès à l'emploi public, ce projet de loi va à l'encontre de l'objectif constitutionnel de bon fonctionnement du service public, de sorte que l'égalité des citoyens devant le service public sera elle-même compromise. Le Conseil constitutionnel a tenu un tel raisonnement le 19 février 1998 à propos d'une loi organique portant recrutement exceptionnel de magistrats de l'ordre judiciaire et modifiant les conditions de recrutement des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire.

Ce texte de transposition ne nous propose rien en ce sens. Au contraire, par sa globalité, il masque ses effets réels. Il traite en effet indifféremment des trois fonctions publiques, dont les métiers respectifs diffèrent pourtant de plus en plus ; il n'établit aucune différence entre les agents, ni les postes qu'ils occupent ni leurs catégories.

J'insiste donc : en ne fixant pas les règles minimales précisant le cadre de l'exercice du pouvoir réglementaire, mes chers collègues députés, nous n'exerçons pas nos compétences.

S'il est utile de lutter contre la logorrhée législative, il est prioritaire de conserver au législateur sa compétence. Il convient de ne pas minorer les effets d'un texte qui n'est en rien bénin, car il tend à multiplier, au sein des services publics, le recrutement de contractuels.

Les collectivités territoriales sont actuellement confrontées à une véritable crise des ressources humaines : d'une part, les métiers assumés par les agents des collectivités territoriales se diversifient ; d'autre part, il est parfois difficile de recruter le personnel statutaire souhaité. Le recrutement de contractuels a donc tendance à s'étendre.

Ce projet prévoit également le développement d'une sous-catégorie d'agents publics en contrat à durée indéterminée employés dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Petit à petit, on assiste donc à la multiplication des procédures dérogatoires qui visent toutes à vider de son contenu le statut et à ouvrir les voies d'accès à la fonction publique sans concours. C'est la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée sous couvert de transposition d'une directive européenne. C'est, avec le PACTE - parcours d'accès aux carrières de la territoriale, de l'hospitalière et de l'État -, une nouvelle voie d'accès sans concours. On assiste à une discrète « vente à la découpe » du statut, qui avec le fort renouvellement de la génération du baby-boom, aujourd'hui appelé papy-boom, permettra de gommer progressivement les règles statutaires.

Une fois de plus le Gouvernement mène une réforme en affirmant le contraire, en nous demandant de regarder ailleurs.

Par ailleurs, ce projet, s'il est adopté, aboutira à un effet inverse à l'objectif de résorption de la précarité qu'il se fixe. Il y a véritablement une erreur d'appréciation entre les objectifs fixés et les moyens pour y parvenir.

Si de précédents gouvernements ont cherché à résorber la précarité des nombreux agents recrutés par contrat à durée déterminée, par exemple par les plans Le Pors, Perben ou Sapin, le présent projet de loi n'a pas cet objectif, d'autant que le contrat à durée indéterminée ne garantit pas un emploi à vie.

Ce texte va au contraire accroître la précarité des agents publics en multipliant le nombre d'agents sous contrat. Or, chacun sait que le chômage touche désormais malheureusement plus de 10 % de la population active. Dans un tel contexte, un contrat de travail, et un contrat de droit public de surcroît, est plus que jamais résiliable.

Alors qu'il a pour ambition de mettre fin au renouvellement abusif des contrats à durée déterminée dans la fonction publique...

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Tout à fait !

M. Bernard Derosier. ...en diminuant le nombre d'agents publics en situation précaire, c'est tout le contraire qu'organise le projet de loi. En effet, ce dispositif sera un facteur supplémentaire de précarité pour les contractuels qui pourront se voir remerciés avant le délai de six ans ou à son terme et remplacés par une personne disposant d'un nouveau contrat à durée déterminée.

Et de même que le projet est en contradiction avec le principe d'égalité dans l'accès à l'emploi public, il organise la rupture du principe d'égalité dans le déroulement de la carrière.

Les contractuels en durée indéterminée employés pour des tâches identiques à celles effectuées par des agents publics statutaires appartenant à un même corps ou un même grade seront donc assimilables dans ces grades ou corps. Ils recevront pourtant à mérite égal, à travail égal, un traitement différent. Il y a donc en germe dans ce texte une rupture d'égalité que le législateur et le Conseil constitutionnel ne sauraient occulter.

Demain, les gestionnaires publics et les exécutifs territoriaux - maires, présidents de conseil général ou de conseil régional - seront donc devant deux filières : une fonction publique statutaire et une fonction publique contractuelle.

Quelle sera alors la situation des contractuels du service public à côté des fonctionnaires statutaires ? Le projet qui nous est soumis se garde bien de répondre à cette interrogation.

Ces nouveaux contractuels ne manqueront pas d'exiger, à bon droit, la définition d'une carrière avec des avancements légitimes et un régime indemnitaire, avantages réservés jusqu'à ce jour aux seuls fonctionnaires titulaires.

Comment la mobilité des personnes qui se retrouveront en CDI sera-t-elle assurée ? Dans la mesure où l'acte contractuel est un acte bilatéral lié à un emploi, il sera nécessaire pour passer d'une collectivité à l'autre, ou d'un ministère à l'autre, de rompre ce contrat. Ainsi, le principe de mobilité, qui est réclamé par chacun, se trouve complètement désossé.

Comment s'effectuera le déroulement de la carrière des agents en CDI ? Ce déroulement sera-t-il d'ailleurs possible ?

Qui va représenter les agents titulaires d'un CDI ? Quels seront les organes ? Comment annoncer tout cela par rapport à tout ce qui existe dans les comités techniques et les commissions administratives paritaires ? Comment mettre tout cela en musique ? Ce serait particulièrement difficile et complexe. Doit-on se diriger vers ce que l'on a pu lire : un système de convention collective au sein des collectivités publiques ?

J'ajoute que les agents en CDI ne pourront prétendre à bénéficier de formation puisqu'ils auront été recrutés pour une profession bien spécifique.

On en revient donc à instituer, à côté du système de la carrière, un système de l'emploi, c'est-à-dire à fonder le recrutement des agents publics sur des critères subjectifs et donc à revenir à la situation antérieure à 1983, voire à 1946.

Or, la promotion d'une fonction publique d'emploi fait naturellement courir à terme un risque à l'ensemble de la fonction publique, mais dans l'immédiat, c'est la fonction publique territoriale qui est la plus exposée.

La diversification des métiers assurés par les agents des collectivités territoriales permet en effet de s'affranchir aisément des règles du statut. Comment ne pas craindre de voir apparaître de nouveaux clientélismes similaires à ceux qui existaient dans les collectivités territoriales avant la loi de 1983 ?

Seule une véritable intégration dans la fonction publique répondant à des critères objectifs constituerait un progrès pour les agents non titulaires et répondrait aux nombreuses situations de précarité que connaît actuellement la fonction publique dans son ensemble.

A titre d'exemple, le projet de loi ne résoudra en rien le problème de la précarité des vacataires, très nombreux notamment dans l'éducation nationale.

Il aurait donc été plus judicieux de s'attaquer de front à la question du statut de la fonction publique et de régler le sort des contractuels dans le cadre d'une loi de modernisation de ce statut.

M. Jean-Pierre Dufau. Tout à fait !

M. Bernard Derosier. Malheureusement, la question qui continue de se poser après bientôt trois ans de gouvernement Raffarin est précisément de savoir quel est le type de fonction publique que nous voulons et pour quel type de services publics.

La notion de statut ne doit en aucun cas être synonyme de rigidité. Bien au contraire, elle doit pouvoir évoluer en conformité avec les grands principes d'égalité et de neutralité qui sont au centre de notre fonction publique. D'ailleurs, le principe de la séparation du grade et de l'emploi, principe essentiel de notre statut, permet toutes les adaptations à l'évolution des métiers.

L'organisation du statut doit être plus souple et moins cloisonnée, moins étanche pour permettre d'accueillir l'ensemble des agents qui travaillent à l'accomplissement du service public.

Dans un contexte marqué par un incontestable appauvrissement de l'État, une augmentation significative du chômage et un transfert des charges de l'État vers les collectivités territoriales, le traitement réservé à la fonction publique est effarant.

En raison de la massification des départs en retraite, de l'évolution des modalités d'intervention de l'État et des transferts de charges aux collectivités locales, la fonction publique est à une période charnière de son histoire.

En omettant de fixer de grandes orientations à la réforme de la fonction publique, comme à la réforme de l'État, c'est l'avenir même du service public que le Gouvernement hypothèque.

Un véritable débat d'orientation sur le devenir de la fonction publique et de son statut est donc plus que jamais nécessaire. Confronté aux nouveaux besoins sociaux et aux transferts de personnels prévus dans la loi sur les libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, le statut de la fonction publique doit en effet être adapté.

Réformer la fonction publique signifie la moderniser, et d'abord définir les améliorations à apporter à l'existant en matière de recrutement, en matière de formation, où il est manifestement nécessaire de faire évoluer les choses en instituant une véritable formation tout au long de la vie, et en matière de reconnaissance de l'expérience professionnelle.

En effet, il est important de réformer rapidement le statut, de le moderniser et de l'adapter aux nouvelles méthodes de gestion des ressources humaines, ainsi qu'aux nouvelles missions de service public.

Alors même que les fonctionnaires territoriaux vont être fortement sollicités dans la mise en œuvre de ce transfert de charges, le Gouvernement veut réformer la fonction publique au détriment du service public et du statut.

Je terminerai mon intervention en posant la question de la procédure suivie pour nous soumettre un tel projet de loi. Plus que de transposer une directive communautaire, il s'agit en fait de modifier le statut de la fonction publique. L'exposé des motifs en témoigne, dissimulant en cela le véritable objet de notre débat. Il semble donc qu'il y ait un décalage important entre la présentation de ce projet de loi et son contenu réel.

L'esprit des directives qu'il nous est proposé de transposer est qu'il faut mettre fin à la précarité, mais en aucun cas transformer les contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Elles appellent simplement à la pérennisation des emplois précaires. Ainsi, on aurait pu fort bien recourir, par exemple, à une nouvelle loi de résorption de l'emploi précaire, comme la loi Sapin.

Le fait qu'il existe déjà, au sein de l'État, des agents qui bénéficient d'un contrat à durée indéterminée et le décalage que cela entraîne entre les dispositions législatives et réglementaires ne justifient en rien que l'on étende cette possibilité de recours aux contrats à durée indéterminée et n'ôtent rien à l'inconstitutionnalité du texte qui nous est proposé.

Le respect de la hiérarchie des normes n'est pas un exercice formel. Le vote de cette exception d'irrecevabilité doit nous permettre d'énoncer notre interprétation des principes qui animent notre Constitution et s'appliquent à la fonction publique et au service public dans son ensemble.

Mes chers collègues, je suis certain que vous ne pourrez pas vous résoudre à contredire ce principe essentiel de la République qu'est le principe d'égalité. Avant que le Conseil constitutionnel ne censure cette loi, adoptez dès aujourd'hui cette exception d'irrecevabilité qui permet à la représentation nationale de protéger elle-même nos règles fondamentales. C'est ce à quoi je vous invite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre, s'il souhaite répondre à M. Derosier.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. C'est bien volontiers que je vous réponds, monsieur Derosier. Le cheminement tortueux de votre discours ne m'a pas convaincu et, bien souvent, je vous ai trouvé en contradiction avec vous-même.

M. Georges Tron. Bien sûr !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Tantôt, en effet, vous affirmez le respect du principe du concours ; tantôt vous préconisez des solutions qui y dérogent.

Je vous rappelle que la première obligation constitutionnelle à laquelle nous devons nous conformer, comme le fait aujourd'hui le Gouvernement, a été rappelée par une décision du 10 juin 2004. Il s'agit de l'obligation de transposer les directives.

Elle s'appliquait au gouvernement que vous avez soutenu, monsieur Derosier, dès lors que la directive de 1989, qu'il avait d'ailleurs approuvée, devait être transposée, ce à quoi il s'est refusé.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. En somme, si une entorse a été faite à l'obligation de transposer les directives communautaires, elle vient de votre gouvernement. Sans doute allez-vous nous expliquer les raisons de son choix. J'ai ma petite idée sur la question.

M. Georges Tron. Moi aussi !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Je constate qu'une l'occasion s'est présentée au gouvernement de l'époque de transposer cette directive.

M. Georges Tron. L'examen de la loi Sapin !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. On ne pouvait en effet imaginer de meilleure occasion que le vote de la loi Sapin, qui avait précisément pour objectif de lutter contre la précarité.

Je suis, je l'avoue, perplexe sur ce sujet et j'attends de votre part une explication claire. Quelle fut la raison d'un tel refus de transposition, aussi clairement assumé, de la part du gouvernement de l'époque ?

M. Bernard Derosier. Je répondrai à ce sujet.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. J'en suis heureux.

M. Bernard Derosier. Vous n'en avez pas l'air !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Mais au fond, on comprend bien pourquoi ce gouvernement n'a pas voulu transposer la directive. La titularisation que prévoyait le plan Sapin ne parvenait pas à résoudre le problème de la précarité dans la fonction publique.

Certes, vous nous dites que le contrat doit être opposé au statut. Mais je vais vous rafraîchir la mémoire, monsieur Derosier : le contrat existe dans le droit de la fonction publique. Il est prévu par la loi de 1984, votée, me semble-t-il, par des députés qui vous sont proches.

M. Bernard Derosier. À une époque où vous n'étiez pas né, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Or les articles 3, 4 et 5 de cette loi définissent le recours au contrat à durée déterminé. Ne tentez donc pas de nous faire croire - de manière, convenez-en, un peu grossière - que nous introduisons aujourd'hui le contrat dans le droit de la fonction publique. C'est faux ! Il existe dans ce droit depuis belle lurette, à tel point que nous sommes à présent confronté au problème de l'hyper-précarité.

Quand j'interroge les quelque 250 000 contractuels qui pourraient bénéficier de ce nouveau projet de loi et que je leur demande s'ils préfèrent leur situation actuelle, que vous n'avez pas tenté d'améliorer - des CDD qui se renouvellent, sans aucune assurance d'accéder à une vraie sécurité dans sa vie professionnelle -, à la solution d'aujourd'hui - un CDI -, ils font tous la même réponse. Ils préfèrent le CDI au CDD.

Évidemment, vous ne pouvez pas partager cette opinion, monsieur Derosier, puisque vous préférez le dogme aux hommes.

M. Jérôme Lambert. Nous préférons surtout leur donner des garanties !

M. Gérard Léonard. Laissez donc parler le ministre, monsieur Lambert !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Vous privilégiez une vision dogmatique du statut - d'ailleurs erronée, puisque celui-ci a déjà prévu, je le rappelle, des situations contractuelles -, au réalisme qui conduit le Gouvernement, par humanisme et par sensibilité, à trouver une solution pragmatique à des situations difficiles.

De fait, c'est une différence entre nous. Souvenez-vous de ce que disait Descartes : « Qui fait l'ange fait la bête. »

M. Jean-Pierre Dufau. « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. » C'est de Pascal !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Nous sommes prêts à trouver des solutions pragmatiques, qui répondent aux attentes des agents. En vous accrochant de manière aussi discutable au statut sans chercher de solutions pour les contractuels, vous ne les aidez pas.

Par ailleurs, la seule solution que vous proposez, la titularisation des agents en CDD, est en contradiction avec l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui a prévu le principe du concours.

Puisque ce principe existe, on voit mal pourquoi des contractuels à durée déterminée pourraient se retrouver, par le processus de la titularisation, dans la même situation que ceux qui ont passé le concours. C'est par respect de ce principe et de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que nous avons prévu une durée de six ans pendant laquelle les titulaires d'un CDD pourront passer les concours internes de la fonction publique. Elle nous semble suffisamment longue pour donner à chacun une chance de les préparer et de les passer dans de bonnes conditions.

Pour nous, monsieur Derosier, il ne saurait exister de seconde fonction publique, accessible par CDI. À ce sujet, vous avez failli sortir de la vérité en prétendant que nous créions une nouvelle façon d'entrer dans la fonction publique via le CDI. Ce n'est pas le cas.

M. Jérôme Lambert. Non, en effet.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Dans sa rédaction actuelle, le texte ne le prévoit pas. Il permet en revanche d'entrer dans la fonction publique en CDD, puis de se voir après un certain temps proposer un CDI, ce qui est très différent. On ne peut donc pas considérer que nous créons une seconde voie d'accès à la fonction publique.

D'ailleurs - vous le savez fort bien, puisque vous les rencontrez, vous aussi - le Gouvernement a proposé la création d'un groupe de travail réunissant les organisations syndicales, qui nous permettra de réviser les articles 3, 4 et 5 de la loi de 1984, et d'en corriger les défauts. Nous voulons éviter que l'employeur public, en particulier l'État, ait recours à des contractuels pour contourner les autorisations budgétaires qui lui sont accordées par la représentation nationale. Car c'est souvent ce qui se passe : le Parlement autorise l'État à recourir à un certain nombre de postes budgétaires, qui doivent être pourvus par concours, et c'est pour contourner ces autorisations budgétaires qu'il recourt à des contractuels.

Nous voulons précisément resserrer les contraintes qui pèseront sur les employeurs publics et nous le ferons avec les organisations syndicales, dans le cadre de la négociation que je leur ai proposée.

Enfin, vous nous avez présenté certaines de vos idées sur la modernisation et la rénovation de la fonction publique. Il y a quelque temps, j'ai expliqué aux organisations syndicales et aux fonctionnaires que nous avions puisé des idées nouvelles dans le rapport du Conseil d'État de 2003.

M. Georges Tron. Oui !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Je suis heureux que vous l'ayez cité, car il ouvre, pour la modernisation de la fonction publique, des pistes qui, à mon sens, devraient être consensuelles. La fonction publique ne devrait être ni de droite ni de gauche. C'est la fonction publique de la République.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Lorsque le Conseil d'État, institution de la République, réunissant des hommes et des femmes qui se prononcent en toute impartialité, animés qu'ils sont par la seule considération de l'intérêt général, propose, dans son rapport, une modernisation de la fonction publique, ces suggestions devraient nous rassembler au-delà des partis politiques.

Je constate d'ailleurs que vous avez ouvert la voie vers le consensus en citant abondamment ce rapport du Conseil d'État de 2003. Vous êtes même allé plus loin. Vous avez repris textuellement les mots que j'ai utilisés il y a quelque temps, quand j'ai rappelé mon attachement au principe de la séparation du grade et de l'emploi, et à la nécessité de le revivifier, au moment où il s'est peu à peu calcifié.

J'ai souhaité une fonction publique moins cloisonnée, moins étanche et plus souple, termes que vous avez repris textuellement.

J'ai indiqué à quel point le Gouvernement souhaitait adapter le statut de la fonction publique aux contraintes et aux nécessités de notre époque en matière de recrutement, de formation et de reconnaissance de l'expérience professionnelle. Vous avez textuellement repris ces termes.

M. Bernard Derosier. Vous les aviez vous-même tirés du rapport du Conseil d'État !

M. Georges Tron. C'est un excellent rapport, en effet !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Je vous remercie, donc, monsieur Derosier, de venir ainsi sur les brisées des réformes que nous préparons. Merci par avance du soutien que, je n'en doute pas, vous leur apporterez.

Tel est le souhait que je formule aujourd'hui. S'il faut réformer, adapter et moderniser la fonction publique, faisons-le avec la volonté de réunir plutôt que de diviser et évitons les discours à l'emporte-pièce comme celui que vous avez prononcé tout à l'heure, qui désignent de façon manichéenne les uns comme les avocats inconditionnels du statut de la fonction publique...

M. Daniel Mach. C'est facile !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. ...et les autres comme ceux qui veulent le « démanteler ». Ce mot revient souvent dans votre bouche,...

M. Jérôme Lambert. Ce n'est pas seulement une affaire de mots !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. ...mais vous savez qu'il ne correspond pas à la réalité.

Vous savez aussi que la plupart des fonctionnaires, une partie des organisations syndicales et le Gouvernement souhaitent trouver des solutions de bon sens. Celle que vous est proposée aujourd'hui en est une. La preuve en est que les contractuels qui vont en bénéficier l'approuvent et l'applaudissent. Je suis convaincu que vous en ferez autant après la période de réflexion que ce débat vous aura accordée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Je souhaiterais apporter une rectification, car le président de la commission des lois n'a pas tenu les propos que vous lui avez prêtés, monsieur Derosier. Il a simplement indiqué que la fonction publique française devait s'adapter, qu'elle n'était pas un bloc monolithique en dehors du temps.

À cet égard, je vous renvoie à un excellent article de doctrine, publié dans les Cahiers de la fonction publique et intitulé : « S'appuyer sur le droit communautaire pour donner sa pleine mesure au modèle de fonction publique de carrière ». Il y est indiqué : « Il faut donc bien constater que la fonction publique est devenue de facto un champ de compétence communautaire dans lequel Commission et Cour de justice des Communautés européennes interviennent régulièrement. Dans tout projet de réforme concernant la fonction publique, il convient désormais d'acquérir le réflexe d'une vérification de la compatibilité avec le droit communautaire. » C'est précisément ce que nous faisons aujourd'hui.

M. Bernard Derosier. Ce n'est pas la question !

M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Georges Tron, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Derosier. Un homme de nuance !

M. Georges Tron. J'aimerais être nuancé, monsieur Derosier. Encore eût-il fallu pour cela que vous fassiez preuve de bonne foi dans votre intervention. Or je n'ai entendu qu'un plaidoyer laborieux contre le texte, prononcé sur un ton doctoral, un plaidoyer technique, comme à votre habitude, mais qui fut, en l'espèce, très inspiré par la politique. Il est vrai que votre tâche était particulièrement difficile puisque, comme vient de le rappeler très justement le ministre, vous avez tenté de démontrer qu'il ne fallait pas approuver des dispositions qui sont pourtant dans l'intérêt des agents concernés.

Avec nuance, et malgré la haute idée que vous semblez vous faire de la manière dont vous avez défendu votre point de vue, permettez-moi de vous dire que je ne le partage pas, ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Tout d'abord, vous avez globalement présenté ce dispositif - en tout cas les articles 7 et suivants du projet de loi - comme une manœuvre contre la fonction publique. Vous vous êtes d'ailleurs bien gardé de rappeler que cette directive datait de 1999 et que c'était donc à vous qu'il incombait de la transposer. Plutôt que de nous donner des leçons sur l'Europe - et nous approuvons tous deux la Constitution européenne -, vous auriez mieux fait de nous démontrer que vous ne l'invoquez pas quand elle vous sert pour la laisser de côté quand elle vous dessert. J'aurais aimé un peu plus de clarté sur ce sujet. Quoi qu'il en soit, vous qui êtes habituellement si précis, monsieur Derosier - mais il est vrai que l'exercice auquel vous venez de vous livrer n'était pas aisé -, vous auriez pu signaler que la directive de 1999 s'applique à la totalité du droit du travail, et pas seulement à la fonction publique. Il ne s'agit donc pas, comme vous le prétendez, d'une manœuvre contre cette dernière.

Par ailleurs, vous avez fait référence aux plans de titularisation passés. À cet égard, je vous invite à relire les déclarations que j'avais faites, par exemple, en tant qu'orateur du groupe RPR lors de l'examen de la loi Sapin. Vous vous apercevrez que, contrairement à vous, je suis un homme de nuance, puisque j'avais approuvé le plan de titularisation de Michel Sapin. La nuance, quand on est dans l'opposition, monsieur Derosier, ce n'est pas de tenir des propos politiques mais de prendre en compte l'intérêt des agents. J'attends de vous une attitude aussi raisonnable.

Cela dit, compte tenu de la multiplication de ces plans au cours des vingt dernières années - plan Le Pors, plan Perben, plan Sapin -, on peut se demander, en toute objectivité et au-delà de toute considération politique, si l'adoption d'un quatrième plan de titularisation irait dans la bonne direction. Pour ma part, je ne le pense pas. J'ajoute que, en dépit de ses aspects positifs, le plan Sapin ne prenait pas en compte la situation des personnes de plus de 50 ans. Or, comme l'a rappelé le rapporteur, elle fait l'objet de l'une des principales mesures du texte qui nous est présenté aujourd'hui.

Enfin, vous redoutez la création d'une nouvelle filière de recrutement dans la fonction publique par la voie des contrats à durée indéterminée. Si votre crainte est réelle, soyez rassurés, mes chers collègues : le ministre vient de le dire, et il faut l'affirmer avec force, il n'y aura aucun recrutement direct en contrat à durée indéterminée dans la fonction publique, mais uniquement une transformation de CDD en CDI. Il ne s'agit donc pas d'une filière de recrutement et votre inquiétude ne peut justifier un refus du texte. Il n'y a pas d'augmentation du recours aux CDI. Ceux qui disent le contraire sont dans l'erreur ou de mauvaise foi. Soit vous ne connaissez pas le texte, soit vous faites exprès de ne pas le comprendre.

M. Jean-Pierre Dufau. Toujours la nuance !

M. Georges Tron. Le recrutement par voie de concours demeure donc la règle. Le ministre l'a rappelé à plusieurs reprises, et de la manière la plus claire, notamment au Sénat, lorsque M. Le Grand l'a interpellé pour lui demander si l'on pouvait envisager qu'une procédure permette aux agents non-titulaires d'être intégrés dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale comme administrateurs ou attachés territoriaux. L'argument selon lequel on créerait une filière de recrutement supplémentaire ne tient donc pas la route.

M. Jérôme Lambert. Nous verrons !

M. Georges Tron. En dépit des critiques purement formelles de M. Derosier - auquel je me réserve d'ailleurs le droit de rappeler la façon dont les fonctionnaires ont été traités par le gouvernement de M. Jospin, notamment en matière salariale -, ce dispositif suscite beaucoup d'intérêt. La preuve en est que plusieurs sénateurs de l'opposition en ont demandé, et c'est légitime, l'extension aux filières de l'enseignement, notamment pour le GRETA et le CFA. Au-delà de l'opposition de principe de M. Derosier, chacun reconnaît objectivement que ce dispositif présente un intérêt pour les agents en situation précaire, auxquels il offrira des débouchés beaucoup plus sûrs.

Espérant encore que d'une discussion sereine pourrait naître un consensus, le groupe UMP ne votera pas l'exception d'irrecevabilité.

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Asensi. Le groupe communiste, dont j'exposerai les arguments ultérieurement, rejette le texte qui nous est soumis. En effet, sous couvert de lutte contre la précarité, c'est, comme l'a dit M. Derosier, un coup sérieux qui est porté au statut de la fonction publique avec la possibilité d'y recruter des personnels en contrat à durée indéterminée. La fonction publique sera donc composée de deux catégories de salariés : ceux qui bénéficieront du statut et ceux qui seront titulaires d'un contrat à durée indéterminée de droit privé.

Le Gouvernement applique ainsi de la manière la plus zélée les directives européennes. Ne jouons pas au chat et à la souris : nous sommes ici en plein débat sur la Constitution européenne. Une fois de plus, le droit français doit s'adapter au droit européen. En autorisant le recrutement de personnels en contrats à durée indéterminée, vous torpillez la fonction publique. J'espère que les électeurs français s'en rappelleront et qu'il sera mis fin à cette débauche libérale le 29 mai prochain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Dufau. Le groupe socialiste votera évidemment l'exception d'irrecevabilité, remarquablement défendue par M. Derosier. Son intervention n'était ni manichéenne ni partiale, mais au contraire précisément et solidement argumentée. Qu'elle ne corresponde pas aux desiderata des auteurs du projet de loi ne la rend pas moins pertinente.

A aucun moment, M. Derosier n'a prétendu que la fonction publique était immuable et ne devait pas évoluer. Il a même appelé de ses vœux une réforme de l'État, reconnaissant la nécessité, pour la fonction publique, de s'adapter aux problématiques du moment. Du reste, vous avez vous-même reconnu, monsieur le ministre, que M. Derosier avait utilisé des termes similaires, voire identiques, aux vôtres.

Mais s'il a partagé votre constat sur la nécessité de réformer l'État et la fonction publique, il a également attiré votre attention sur le fait que le projet proposé ne recueille pas l'assentiment des représentants de plusieurs millions de fonctionnaires. Or il serait plus prudent de faire évoluer les trois fonctions publiques en concertation avec eux.

À M. Tron, qui a rappelé que ces dispositions ne s'appliquaient pas seulement à la fonction publique, mais aussi à l'ensemble du droit du travail, je rappelle que, depuis quelques années, le nombre des contrats à durée déterminée, comme le recours aux sociétés d'intérim, se multiplie, notamment dans le privé. (« Et alors ? » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Or, au lieu de mener une réflexion sur la précarité dans le secteur privé, vous étendez celle-ci au secteur public.

Certes, de nombreux cas doivent être réglés. Vous avez évoqué ces 250 000 contractuels qui appellent, dites-vous, cette réforme de leurs vœux. Mais quid des vacataires, qui nous disent ne pas voir en quoi ce projet de loi améliorera leur situation ? La résorption des emplois précaires dans la fonction publique est un vrai problème, et ce n'est certainement pas ce projet de loi qui apportera une réponse satisfaisante.

Pour en revenir au débat que nous avons eu tout à l'heure sur Descartes et Pascal, je dirai que le propos de M. Derosier alliait l'esprit de géométrie cartésien et l'esprit de finesse pascalien. Nous voterons donc l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Georges Tron. Quelle indulgence !

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)


Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Lambert, premier orateur inscrit.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'est pas courant que notre assemblée examine des directives européennes ayant trait à la fonction publique. Nous pourrions même nous étonner de cet examen, car nous sommes nombreux à penser que la gestion de la fonction publique relève des prérogatives exclusives de chaque État, l'Europe n'ayant a priori pas compétence dans ce domaine. Le projet de Constitution prévoit uniquement que la politique de l'Union pourrait soutenir les actions des États membres en faveur de la collaboration des administrations nationales entre elles. Quant à ce projet de loi ayant pour objet la ratification de directives européennes, il va bien plus loin que ce qui figure dans les textes actuels de l'Union, et même plus loin que ce qui peut être envisagé.

L'Union européenne a en effet édicté des règles qui s'imposent à tous en application du principe de la primauté du droit de l'Union. Ces règles ont parfois été prises il y a de nombreuses années - la première l'a été en 1976 - et n'avaient à l'époque pas fait l'objet de commentaires particuliers concernant leur application dans la fonction publique, cet aspect du problème n'ayant sans doute même pas été examiné.

C'est pourtant au nom de ces directives que le Gouvernement veut aujourd'hui nous imposer une certaine gestion politique - pour ne pas dire idéologique - de la fonction publique. En s'appuyant sur ces dispositions dans le chapitre III de son projet, le Gouvernement va permettre l'instauration d'une nouvelle catégorie de travailleurs dans la fonction publique.

Il existait jusqu'à présent deux catégories : d'une part les contractuels, engagés pour une période plus ou moins longue, mais sur la base de contrats à durée déterminée, d'autre part les fonctionnaires bénéficiant du statut de la fonction publique. Dans la mesure des besoins, les contractuels étaient invités à intégrer, s'ils le souhaitaient, la fonction publique en tant que fonctionnaires, selon des modalités faisant l'objet de dispositions particulières à la fonction publique. Ils ont été intégrés en masse sous la législature précédente afin de mettre fin à la précarité de leur situation. Si cette disposition est adoptée malgré notre opposition, il existera désormais au sein des fonctions publiques nationale, territoriale et hospitalière, une nouvelle catégorie de personnel, celle des agents contractuels permanents, non protégés par le statut et recrutés au choix de l'autorité de gestion de l'administration concernée.

Il sera donc loisible, pour répondre aux besoins, soit de recruter par voie de concours - où chacun est choisi en fonction de ses qualités, selon les règles déterminées par l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme - soit de créer de toutes pièces un nouveau corps d'agents contractuels permanents dont les critères de recrutement seront laissés à la discrétion de l'autorité administrative, après le passage par un contrat à durée déterminée. Telle est bien, sous couvert d'une simple transposition de directives, la volonté du Gouvernement. Les organisations de fonctionnaires et le groupe socialiste y sont évidemment opposés.

Et que le Gouvernement ne vienne pas dire que c'est la faute à l'Europe ! Ce serait là un argument particulièrement malvenu dans le cadre de la campagne en faveur du « oui » lors du prochain référendum. Il faut assumer ses responsabilités : l'Europe n'imposait en rien de créer un nouveau type d'agents publics, permanents mais non fonctionnaires. Ce que nous imposent les directives, c'est de mettre fin à la précarité des contractuels. La solution que nous aurions dû retenir était de faciliter leur intégration dans les différents corps de fonctionnaires, comme le permet la loi Sapin...

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Jérôme Lambert. ...ce qui présentait l'avantage d'éviter toutes les dérives que votre projet va entraîner.

Ce n'est pas un progrès social que de faire des agents publics des salariés comme les autres, privés de toute garantie statutaire. Certains en rêvaient : vous le faites ! Si vous vous engagez dans cette voie au nom de l'Europe, il ne faut pas vous étonner que nos compatriotes soient de plus en plus sceptiques quant aux bienfaits du projet communautaire. Vous le dénaturez, en présentant comme un progrès social un dispositif qui ne tend qu'à diffuser la précarité dans l'ensemble du corps social.

M. Jean-Pierre Dufau. Très juste !

M. Jérôme Lambert. À la vérité, pour reprendre une expression récemment utilisée par le chef de l'État, vous vous tirez une balle dans le pied en agissant ainsi ! Vous risquez de le regretter bientôt car nos compatriotes ne seront pas dupes. S'ils ont soif de progrès social, ils ne veulent pas d'une fonction publique où le recrutement au choix serait généralisé et où les nouveaux agents ne bénéficieraient d'aucune des garanties statutaires traditionnelles.

Si vous voulez défendre la politique européenne à travers un tel texte, monsieur le ministre, vous prenez le risque d'être sanctionné prochainement par les Français.

M. François Rochebloine. C'est la France qui serait sanctionnée !

M. Jérôme Lambert. Quant au groupe socialiste, il s'opposera à ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'aborder le corps de la discussion qui sera l'objet de nos débats, je souhaite attirer l'attention de notre assemblée sur le constant retard de la France dans la transposition des actes communautaires. Certes, des efforts considérables ont été entrepris, et les retards tendent à s'amenuiser, mais il convient d'œuvrer sans relâche à ne plus être le mauvais élève de l'Europe.

J'en viens au présent texte, qui s'articule autour de trois principes essentiels.

Le premier consiste à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes au sein de la fonction publique. Dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de discrimination, il s'agit de placer les hommes et les femmes sur un pied d'égalité en matière de recrutement dans la fonction publique. Ce principe permet également à toute personne de bénéficier des régimes relatifs aux congés de maternité, de paternité et d'adoption. À l'heure actuelle, la famille se décline au pluriel. Il était urgent de s'adapter aux évolutions récentes des schémas familiaux, les responsabilités au sein de la cellule familiale étant de plus en plus partagées. Une véritable égalité de traitement des fonctionnaires ne peut donc que recueillir notre assentiment.

Le deuxième grand principe contenu dans ce projet de loi est l'ouverture de la fonction publique aux ressortissants européens. À l'heure où l'Europe occupe la majeure partie de notre actualité, cette disposition doit nous permettre de montrer la voie. Nous l'appuyons sans réserve, car elle représente une nouvelle possibilité d'enrichissement mutuel et de promotion de la libre circulation des personnes. Nous nous demandons d'ailleurs pourquoi ce principe n'a pas été appliqué plus tôt. Mes collègues de l'UDF ont insisté sur la nécessaire réciprocité du principe d'ouverture dans l'ensemble des pays de l'Union si l'on veut rendre effective cette belle idée.

Enfin, le texte vise à concourir à la réduction du nombre d'emplois à durée déterminée. Destiné à lutter contre la précarité des agents non titulaires, le projet de loi tend à mettre fin aux renouvellements abusifs des CDD, en les transformant en contrats à durée indéterminée passé un délai de six ans. Nous ne croyons pas que l'application de ce principe puisse remettre en cause les fondements du statut de la fonction publique. Cela permettra en revanche aux contractuels de sortir de la précarité qui les prive de tout projet à long terme.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Très bien !

M. François Rochebloine. La commission des lois du Sénat a rappelé que le recours à des agents non titulaires devait demeurer une exception. À ce sujet, je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'amendement déposé par Francis Vercamer, sur lequel nous souhaiterions recueillir votre éclairage, monsieur le ministre. L'article 7 du projet fixe une durée maximale pour les CDD : au bout de six ans, la seule reconduction possible se fera sous forme d'un contrat à durée indéterminée. Cependant, ces dispositions excluent les personnels enseignants recrutés dans le cadre de conventions de formation, d'insertion, de reconversion professionnelle ou d'apprentissage. Si la directive permet aux États de prévoir ce type d'exclusions, ses critères ne sont pas suffisamment explicites. Il nous semble important que la politique de résorption de la précarité s'applique également à ces catégories d'enseignants et nous espérons, monsieur le ministre, que vous pourrez répondre à nos interrogations sur ce point et combler ce manque.

Dans l'attente d'une réforme globale de la fonction publique, du reste souhaitée par le Gouvernement, le groupe UDF votera ce texte.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui est soumis à notre assemblée renferme des mesures louables et nécessaires en matière de détachement et d'accès des ressortissants communautaires aux emplois de la fonction publique, ou encore d'instauration de la parité en matière d'accès au concours et de congés.

Je me félicite également des avancées dans le domaine de la lutte contre les discriminations et les harcèlements de toute forme, même si l'ajout de la notion de « bonne foi » n'encouragera pas les salariés à dénoncer les harcèlements ou discriminations dont ils ont été témoins ou victimes, tant les craintes de pressions de la direction ou de perte d'emploi sont fortes. Mais là n'est pas le fond du texte.

Celui-ci nous est présenté comme la transposition de la directive du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée qui pose notamment le principe selon lequel la forme normale de travail est la relation de travail à durée indéterminée. Cette directive demande aux États membres de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

Après le cours de droit communautaire dont nous ont gratifiés les rapporteurs des deux assemblées, présentant la France comme un mauvais élève en matière de transposition en droit français des directives communautaires, les rapports écrits vont à l'essentiel de ce projet de loi : la réforme de la fonction publique.

Dans sa communication du 11 décembre 2002 relative à la libre circulation des travailleurs, la Commission européenne a rappelé que « les fonctionnaires et les agents du secteur public sont des travailleurs au sens de l'article 39 ». Il apparaît donc, du point de vue communautaire, que les agents publics sont des travailleurs comme les autres.

Mais que dit le projet de loi de ces « autres », de ses salariés du privé soumis à la précarité de l'emploi ? Rien. On compte pourtant plus de 13 % d'emplois précaires dans le secteur privé, soit plus de deux millions d'intérimaires, de contrats aidés, de CDD, et la majorité des emplois créés aujourd'hui sont des emplois précaires.

Le secteur du travail temporaire est un marché juteux qui permet aux entreprises telles que Manpower, Adecco ou encore VediorBis de dégager toujours plus de profits. Quant aux entreprises qui ont recours au travail temporaire, outre le bénéfice de la flexibilité et les économies en formation et recrutement, elles y trouvent surtout l'avantage de ne régler ni congés payés, ni ancienneté aux salariés, pas plus qu'elles ne reconnaissent d'évolution dans leur qualification.

Conçu à l'origine pour remplacer un travailleur temporairement indisponible, l'intérim est devenu l'outil préféré des entreprises pour adapter leur production. Les postes proposés sont essentiellement des emplois à faible qualification, ce qui permet aux entreprises de disposer d'une vaste réserve de travailleurs potentiels.

Pour le travailleur, la réalité est tout autre : les missions de courte durée le plongent dans une fragilité qui l'oblige à accepter toutes les missions. Il lui est impossible de prévoir quelle sera la durée de son contrat et de quoi demain sera fait.

Pour reprendre les termes du rapport de la sénatrice Jacqueline Gourault : « ces derniers sont engagés par des contrats à durée déterminée qui peuvent ne pas être reconduits à chaque fois qu'ils arrivent à leur terme. De ce fait, certains agents peuvent connaître d'importantes difficultés dans leur vie quotidienne, notamment pour réunir les garanties suffisantes pour l'obtention d'un prêt ou pour la location d'un logement. »

Mais pourquoi cette attention portée à celles et ceux qui sont employés par l'État ou une collectivité territoriale, ne s'exprime-t-elle pas également à l'égard de tous les salariés précaires du privé ? La réponse est simple : sous couvert de transposition d'un texte communautaire et de lutte contre la précarité, le Gouvernement s'attaque au statut de la fonction publique hérité de la Libération. Vous introduisez de plein droit une nouvelle catégorie juridique à côté des agents titulaires, celle des contractuels à durée indéterminée, dont nul n'a pour l'instant la moindre idée de ce que vont être leurs droits et leurs garanties.

Les zones d'ombre sont trop nombreuses dans ce texte pour ne pas susciter de vives inquiétudes. D'un côté, il y aura les fonctionnaires soumis au statut général de la fonction publique avec leurs droits et leurs obligations ; de l'autre, il y aura ces nouveaux agents contractuels. Quels seront leurs droits et leurs obligations ? Qu'en sera-t-il de leur déroulement de carrière, de leur mobilité, des conditions de leur détachement, des conditions éventuelles d'une rupture de contrat d'un côté ou de l'autre, de leur droit à la retraite ?

Ces derniers, non soumis à une grille indiciaire, vont pouvoir négocier leur salaire. Y aura-t-il, dès lors, des rémunérations différentes pour les mêmes emplois ?

En outre, la création de contractuels à durée indéterminée dans le secteur public n'est ni neutre ni anodine.

Lorsque le rapport annuel de la fonction publique dénombre, au 31 décembre 2002, quelque 331 000 contractuels dans la fonction publique d'État, 294 000 dans la fonction publique territoriale et 110 000 dans la fonction publique hospitalière, on peut légitimement se demander si tant d'agents ont vocation à devenir des contractuels permanents de l'État sans risquer de compromettre gravement le statut des agents titulaires.

Vous instaurez un double statut qui n'a comme précédent que l'exemple de France Télécom. Et l'on sait à terme ce qu'il advient de l'emploi statutaire par le jeu de la suppression des postes et l'extinction naturelle d'une catégorie si telle est la volonté politique.

Personne ne pourra contester que votre transposition ouvre la voie à une transformation en profondeur de l'organisation des services publics dans le sens de la flexibilité maximale pour l'État.

Avec cette loi, tout sera prêt pour que les agents contractuels deviennent, en termes budgétaires, une variable d'ajustement très flexible des effectifs et donc très utile pour l'État. Puisque vos orientations depuis trois ans en matière de service public se résument à une baisse de l'emploi public, les agents dans les ministères, les collectivités et les hôpitaux ont tout à craindre de cette réforme qui peut se révéler une véritable bombe à retardement en mesure de faire disparaître progressivement les statuts.

Cette loi ne dit pas un mot sur les agents arrivés à l'échéance de leurs six années de contrat à durée déterminée. Même s'ils ont donné pleinement satisfaction six années durant, la maîtrise des grands équilibres budgétaires peut contraindre les administrations à les écarter sans autre forme de procès. Nul recours et nul appel possible car la reconduction d'un contrat à durée indéterminée ne constitue en aucun cas une obligation pour l'employeur public, sauf pour les salariés de plus de cinquante ans.

Cette loi qui prétend lutter contre la précarité, risque de contribuer au contraire à en fabriquer une nouvelle. Qui nous garantit que l'employeur public ne va pas continuer d'user et d'abuser des contractuels à durée déterminée pour ne pas s'engager sur l'emploi public à long terme avec les CDI, pas plus qu'il ne veut le faire sur les emplois statutaires ? Nous risquons de voir apparaître une nouvelle catégorie de contractuels remerciés systématiquement au terme de six années de service.

Ce texte ne prévoit même pas de durée minimale de CDD. Ceux-ci peuvent en effet avoir une durée très brève au point de permettre, si tel est le souhait de l'employeur, 36 contrats de deux mois ou 72 d'un mois. J'exagère à peine... Peut-on vraiment parler de lutte contre la précarité dans de telles conditions ?

Une vraie volonté de lutter contre la précarité dans la fonction publique serait d'abord passée par une application plus vigoureuse de la loi du 3 janvier 2001, dite loi Sapin, relative à la résorption de l'emploi précaire dans le secteur public. D'autres moyens existaient.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. M. Sapin n'a pas transposé la directive !

M. François Asensi. Le Gouvernement cherche aujourd'hui à introduire le CDI dans la fonction publique alors qu'il n'a pour objectif que de démanteler les garanties que le code du travail confère à ce type de contrat dans le secteur privé.

Dans le cadre du débat budgétaire, j'avais déjà dénoncé le rapport de Virville qui suggérait le contrat de projet, véritable bible du cadre jetable, ainsi que le rapport Camdessus qui en rajoutait dans son ambition de briser la rigidité que représente à son avis le CDI.

C'est pourquoi le Gouvernement au moment où il introduit le CDI dans la fonction publique aura du mal à nous faire croire qu'il le fait par souci de réduire les CDD et la précarité de la fonction publique.

Il y a en réalité une offensive sans précédent contre les statuts, contre les droits et les garanties en général dont ce texte est l'une des émanations.

Au nom de la lutte contre la précarité dans la fonction publique, c'est l'ensemble du secteur public que vous fragilisez en créant, au mépris de tous les acquis statutaires, deux grands corps d'emplois disparates pour le même service du public et de l'intérêt général. Et l'intention non avouée du Gouvernement de faire absorber l'un par l'autre n'est probablement pas la moindre. En l'occurrence cette loi est un texte de combat contre le statut de la fonction publique, ce qui n'était pas l'objet de la directive communautaire.

Plus qu'il n'a transposé, le Gouvernement a littéralement transfiguré dans un sens libéral un texte dont il aurait pu faire un bien meilleur usage, notamment à l'égard de l'augmentation continue de la précarité dans le monde du travail. C'est pourquoi le groupe communiste condamne ce texte et votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Georges Tron.

M. Georges Tron. Monsieur le ministre, par le présent texte, nous transposons dans notre droit interne six directives prises entre 1976 et 2002. La directive sur la résorption de l'emploi précaire date de 1999 mais, ainsi que vous l'avez souligné, nous ne discutons qu'aujourd'hui de sa transposition, alors même que plusieurs occasions avaient été offertes au gouvernement soutenu par la précédente majorité de le faire. Je déplore donc que les socialistes utilisent l'Europe au gré des dispositions qu'ils souhaitent prendre pour la fonction publique. S'ils avaient eu une conception plus rigoureuse de l'Europe, nous n'aurions pas à procéder à cette transposition. De plus, il est assez paradoxal de les entendre critiquer aujourd'hui une directive acceptée par le gouvernement Jospin.

Une fois ce texte adopté, il n'y aura plus de directive à transposer dans votre domaine de compétence.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Tout à fait !

M. Georges Tron. Vous avez donc en quelque sorte remis les pendules à l'heure et je vous en félicite. Cela étant, je trouve inconvenant que la France se fasse régulièrement rappeler à l'ordre dans le domaine de la transposition des directives. Si les chiffres dont je dispose sont exacts et en dépit de la présente transposition, nous nous situions en effet à la onzième ou à la dixième place sur les quinze pays qui constituaient l'Union européenne avant l'élargissement, et nous sommes aujourd'hui quinzième sur vingt-cinq.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Nous progressons !

M. Georges Tron. Certes. Mais en restant en queue de peloton, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. S'agissant en tout cas de votre département ministériel, je me félicite qu'il n'y ait plus de directive à transposer.

Je ferai deux ou trois observations à propos des dispositions du présent texte. Avant d'en venir à l'article 7 et au contrat à durée indéterminée, je tiens à souligner les approches différentes de la France et de l'Europe en matière de lutte contre les discriminations liées au sexe. Il est évident que tout ce qui pourrait relever d'une « discrimination positive » - je reprends avec précaution ce terme qui a été utilisé au Sénat - sera dorénavant banni de notre droit interne, l'Europe appliquant un principe d'égalité. Il faudra donc avoir à l'esprit cet élément lorsque nous élaborerons nos textes. Cette modification n'est pas négligeable.

Concernant le contrat à durée indéterminée, les articles 7 et suivants nous amènent à nous interroger sur les succès ou les échecs des différents plans de titularisation examinés et votés ici depuis 1984. Qu'il s'agisse du plan présenté par Anicet Le Pors, de celui de Dominique Perben, en 1996, ou de celui de Michel Sapin, en 2001, force est de reconnaître qu'aucun n'a permis de régler le problème de la précarité.

Monsieur Dufau, alors que nous avons tous, à un moment ou à un autre, mené une réflexion ouverte sur la résorption de la précarité, nous nous retrouvons aujourd'hui confrontés au même constat. Vous avez fait allusion tout à l'heure au secteur privé mais la situation est la même dans la fonction publique.

C'est la raison pour laquelle je m'étonne que certains membres de l'opposition sénatoriale évoquent à nouveau la perspective de rester sur les dispositifs antérieurs. Le fait qu'il ait été nécessaire de prévoir tous les cinq ou dix ans un nouveau plan montre en effet les limites de l'exercice.

J'insisterai plus particulièrement sur deux points qui seront vraisemblablement repris dans la motion de renvoi en commission. Je rappellerai tout d'abord que la transposition n'autorisera pas un recrutement direct par un contrat à durée indéterminée dans la fonction publique.

Je vous assure que si tel avait le cas, certains députés de la majorité, au rang desquels j'aurais été - le ministre le sait -, auraient fait savoir qu'ils ne pouvaient s'associer à un dispositif de cette nature.

Ce texte, je le répète, n'a pas pour objectif de remettre en cause le statut de la fonction publique, auquel les fonctionnaires sont, tout autant que nous, fort justement attachés. Il vise à faire passer les agents de la fonction publique sous contrat à durée déterminée, et donc en situation de précarité, à un contrat à durée indéterminée.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. C'est tout à fait ça !

M. Georges Tron. Sans vouloir polémiquer, je m'étonne par conséquent que des représentants du groupe socialiste...

M. Bernard Derosier. Occupez-vous donc de l'UMP !

M. Georges Tron. Calme, douceur, nuance, sourire : voilà ce qui vous caractérise, monsieur Derosier ! (Sourires.)

Je m'étonne donc que des représentants du groupe socialiste ne comprennent pas que passer d'un statut de titulaire de contrat à durée déterminée à un statut de titulaire de contrat à durée indéterminée est un progrès. Il serait juste de s'inquiéter si l'instauration du contrat à durée indéterminée constituait une nouvelle filière de la fonction publique, parallèle à celle des concours. L'argument serait alors recevable.

Répétons-le une fois encore, avec ce texte, des agents sous contrat à durée déterminée vont passer sous contrat à durée indéterminée, ce qui constituera une aubaine pour eux. M. le ministre nous a indiqué que 250 000 personnes pourraient être concernées : je ne doute pas que tous porteront la même appréciation.

Monsieur Dufau, j'aurais partagé vos inquiétudes - et je l'aurais dit de cette tribune - si j'avais eu le sentiment que, par ce dispositif, le Gouvernement mettait en place une filière parallèle.

M. Jean-Pierre Dufau. Tel est bel et bien le cas !

M. Georges Tron. Mais nul ne peut contester que l'agent aujourd'hui sous CDD, et donc en situation de précarité, et qui sera demain sous CDI va bénéficier d'une sorte de garantie. Je ne doute pas qu'il mesurera les efforts que nous faisons en sa faveur.

Certes, me direz-vous, l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. Il n'en reste pas moins que cette transposition ne vise qu'à faire sortir des agents de la précarité, et donc de l'inquiétude qui l'accompagne. Et ce faisant, elle répond aux souhaits de ces personnes car, que ce soit dans le privé ou dans la fonction publique, la préoccupation est la même.

En ce qui concerne les articles 7 et suivants de ce projet de loi, je voudrais dire à M. Derosier qu'aucune modification ne sera apportée au dispositif de fin de carrière de ces agents en CDI par rapport à celui des agents qui sont en CDI dans des régimes dérogatoires du statut actuel. Cette question ne me paraît pas non plus susceptible de remettre en cause notre adhésion au texte.

Enfin, nul ne peut être insensible à l'effort substantiel fait en direction des agents de plus de 50 ans sous contrat à durée déterminée : ils bénéficieront automatiquement d'un contrat à durée indéterminée, dès lors qu'ils ont effectué la durée nécessaire dans la fonction publique. Cette disposition en faveur de l'une des catégories socioprofessionnelles les plus fragiles est une garantie essentielle. Si donc on interprète avec objectivité l'article 7, on ne peut qu'être sensible aux avancées qu'il comporte.

Monsieur le ministre, la transposition de ces directives doit s'inscrire dans le périmètre plus large de la réflexion que nous menons sur la fonction publique. Si vous me le permettez, je vous ferai quelques remarques sur la politique de la fonction publique. Je regrette que M. Derosier ne soit pas parmi nous pour les entendre car il a tout à l'heure évoqué certains aspects de la politique de la fonction publique, notamment la question des salaires. Je tenterai pour ma part de ne pas prendre le problème par le mauvais bout de la lorgnette, préférant poser la question de l'attractivité de la fonction publique.

Lorsqu'on voit comment évolue le nombre des entrées dans la fonction publique, par le biais des concours, du fait de la concurrence qu'exerce le secteur privé pour les étudiants sortant des universités ou des grandes écoles, on comprend à quel point il est impératif de rendre la fonction publique attractive. Si nous ne le faisons pas, nous assisterons dans quelques années à une fuite inéluctable vers le secteur privé, due à l'attractivité des rémunérations et à la plus grande souplesse des statuts. La fonction publique, qui dispose aujourd'hui d'agents de grande qualité, risque d'en être appauvrie. Notre objectif doit donc être de maintenir l'attractivité de la fonction publique. Réfléchissons à la façon dont nous pouvons nous en donner les moyens.

C'est dans ce cadre plus objectif et avec plus de recul que doit être abordée la question des rémunérations dans la fonction publique. Sur ce plan le Gouvernement n'a pas à rougir de ses récentes décisions. Je vous rappelle, mes chers collègues, que durant trois années, qui furent pourtant des années de croissance, le gouvernement précédent n'a pas fait le moindre geste pour la fonction publique ! Le mois dernier, les organisations syndicales ont demandé au Gouvernement de faire un geste en direction des fonctionnaires, et elles ont été entendues ! À cette occasion, elles n'ont pas manqué de nous rappeler que trois années durant, il n'y a pas eu de relèvement indiciaire. Elles sont d'autant plus sensibles à l'effort qui vient d'être consenti.

La question salariale qu'a évoquée M. Derosier mérite donc de s'inscrire dans le cadre d'une réflexion sur l'attractivité de la fonction publique. Elle est directement liée à la réflexion que mène le Gouvernement sur la refonte des corps et des grilles indiciaires, qui intéresse particulièrement les organisations syndicales ; elle est également au cœur de la réflexion menée par la commission des finances et le Gouvernement sur les dispositifs permettant - de façon collective et pas forcément individuelle - de rémunérer les fonctionnaires en fonction des résultats, tout ce qui contribuera à rendre la fonction publique plus attractive.

Enfin, au-delà de la question des rémunérations, se posent celles de la mobilité et de la souplesse des dispositifs, qui évoluent aussi grâce à l'Europe. Les dispositions de ce projet de loi, qui permettront d'ouvrir notre fonction publique à des ressortissants européens, vont naturellement dans le bon sens, d'une part parce qu'elles sont cohérentes avec notre vision de l'Europe et, d'autre part, parce qu'elles contraignent notre fonction publique à adopter des règles internes plus souples. C'est la raison pour laquelle je me réjouis de la généralisation du détachement, qui est, me semble-t-il, la meilleure façon d'introduire la souplesse dont nous avons besoin. Celui-ci sera possible entre les fonctionnaires des trois fonctions publiques et, à l'intérieur de chacune d'elles, entre les corps et les cadres ; plus largement, pourquoi ne pas envisager la possibilité pour un agent de quitter la fonction publique pour passer quelque temps dans le secteur privé et inversement la possibilité pour des compétences issues du privé de s'exercer pour un temps dans le secteur public ? Ce serait un enrichissement réciproque.

Ce projet de loi nous permet de montrer notre ouverture d'esprit face aux évolutions de la fonction publique. Il est cohérent avec notre conception de l'Europe et va dans le sens de l'intérêt des fonctionnaires. Pour toutes ces raisons, je lui apporte mon entière approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette première intervention, de courte durée, sera « généraliste ». La motion de renvoi en commission me permettra de faire une intervention plus « urgentiste ».

Le projet de loi, sous prétexte de transposer des directives européennes, amorce une réforme libérale de la fonction publique, dont il remet en cause la spécificité statutaire.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur. Cela commence bien !

M. Jean-Pierre Dufau. Il est significatif d'une méthode de gouvernement. Il met en lumière une transposition nécessaire, globalement partagée par tous, mais introduit insidieusement un bouleversement des acquis de la fonction publique.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Mais non !

M. Jean-Pierre Dufau. La transposition des directives n'est qu'un prétexte. En évoquant l'urgence due au retard des transpositions, ce sont elles que l'on met en exergue dans l'intitulé de ce projet de loi « portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique », en taisant hypocritement la remise en cause de l'accès unique à la fonction publique.

La transposition des directives du 11 février 1976 et du 23 septembre 2002 relatives à la mise en œuvre des principes d'égalité de traitement entre hommes et femmes et du 15 décembre 1977 sur les possibilités de travail à temps partiel ainsi que l'ouverture de la fonction publique aux ressortissants des États européens font l'objet d'un large accord, à quelques amendements près, destinés à aligner la parité par le haut et non par le bas.

Devant cette approche partagée, j'espère, chers collègues de la majorité, que vous aurez à cœur de montrer la même ouverture d'esprit lorsqu'il s'agira d'adopter des amendements socialistes. Cela n'a pas été le cas en commission, mais la séance vous offrira une session de rattrapage pour témoigner de votre bonne - ou de votre mauvaise volonté.

En fait, vous procédez méthodiquement à une réforme libérale de la fonction publique, que vous entendez démanteler. Ce texte, soumis aux trois conseils supérieurs de la fonction publique, a fait l'objet d'un vote négatif. Les organisations syndicales vous ont rappelé la règle, à savoir que les emplois permanents de la fonction publique devaient être occupés par des agents titulaires. De plus, avec la mise en place de la LOLF et la fongibilité des emplois dite asymétrique, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser des crédits d'emplois en crédits de fonctionnement et non l'inverse, la gestion des ressources humaines de la fonction publique sera considérablement flexibilisée.

Comme M. Tron l'a rappelé, le CDI n'est pas d'accès immédiat. Il ne peut être que consécutif à un ou plusieurs CDD : dont acte. Mais il faut aller au bout du raisonnement : les deux CDD successifs dans un maximum de six ans ne seront pas automatiquement suivis par un CDI pour l'agent concerné. Il a oublié de le dire, il faut que cela soit précisé : cet agent n'obtiendra pas forcément un CDI ! Ce n'est pas un tel dispositif qui résorbera l'emploi précaire, d'autant que ce gouvernement avait introduit, si ma mémoire est bonne, une disposition dont on ne parle plus : le fameux CDI de cinq ans. Vous souvenez-vous de la remise en cause de cet élément important du droit du travail ? Il faut donc être extrêmement prudent.

Pour convaincre du bien fondé de cette réforme, vous sous-évaluez systématiquement le nombre de non titulaires au sein de la fonction publique. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer les chiffres que nous a cités M. Asensi, à savoir le nombre précis des vacataires et celui des contractuels non titulaires dans les trois fonctions publiques, et leur répartition ? Est-ce la totalité de ces personnels qui se verra offrir un CDI ? Est-ce l'objet de cette réforme et votre grande ambition ?

M. Bernard Derosier. On se le demande en effet !

M. Jean-Pierre Dufau. Si c'est le cas, il faut nous le dire et nous soumettrons cet ambitieux projet à la commission des finances afin d'étudier le détail de ces rémunérations, car cela devra faire l'objet d'une étude approfondie.

M. Bernard Derosier. That is the question !

M. Jean-Pierre Dufau. Ce projet de réforme ne convainc pas les personnels, je l'ai dit, les employeurs non plus. M. Rossinot, qui n'est pas socialiste, monsieur Tron, mais président du Centre national de la fonction publique territoriale, s'alarme et juge que cette réforme sera, selon ses propres mots, « dévastatrice ». Que pouvez-vous lui répondre ?

M. Georges Tron. La même chose qu'à vous !

M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur le ministre, vous avez prétendu lors de la séance des questions au Gouvernement du mardi 30 mars 2005 que le droit communautaire permettait, grâce à ce texte, des avancées positives dans la voie de la modernisation de la fonction publique. J'imagine que vous ne pensiez pas, en disant cela, à la création des CDI, qui a pour effet de substituer le contrat au statut de la fonction publique. Cela me rappelle une pièce de Bertolt Brecht, intitulée L'Exception et la règle : on peut craindre qu'avec ce texte, l'exception ne devienne la règle !

Je n'ai pas, dans le cadre de la discussion générale, suffisamment de temps pour aborder le chapitre III du projet de loi, mais je le ferai en défendant la motion de renvoi en commission.

Si nous ne bordons pas sérieusement l'accès contractuel en CDI à la fonction publique pour le limiter à des fonctions spécifiques et hautement qualifiées ou à des agents âgés de plus de 50 ans, ce projet de loi entamera gravement le statut des fonctionnaires. Il contribuera à creuser le fossé entre les agents de la fonction publique et le Gouvernement, et donc leur ministre de tutelle. L'absence d'accord sur la revalorisation générale de 0,8 %, octroyée en catastrophe il y a quelques jours, en dit long - ce qui était impossible en décembre 2004 devient possible en mars 2005 - tout comme le refus des organisations syndicales de se lier les mains pour 2005 et 2006, ce qu'elles ont indiqué en quittant la table des négociations.

Monsieur le ministre, le Gouvernement n'a pas la confiance des fonctionnaires et de leurs représentants. Au moment où, hélas, le chômage poursuit sa progression, vous suscitez beaucoup de frondes à la fois, avec les risques que cela comporte...

Le débat qui s'ouvre sera significatif. Soit le Gouvernement et sa majorité réservent aux amendements du groupe socialiste un accueil constructif, soit ils persistent dans leur engagement idéologique libéral. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. J'interviens sur le projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique bien sûr en mon personnel, mais aussi au nom de mon ami Émile Zuccarelli, un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre de la fonction publique.

Mes chers collègues, l'État, les collectivités locales ou la fonction publique hospitalière ont, en tant qu'employeurs, un devoir d'exemplarité dans les relations qu'ils entretiennent avec leurs agents :...

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. C'est vrai !

M. Gérard Charasse. ...les agents du service public au service de leurs concitoyens.

Toutefois, les mauvaises pratiques, notamment le recours abusif aux CDD, ont cours - et c'est regrettable - dans la fonction publique comme ailleurs.

Le texte dont nous débattons aujourd'hui vise la transposition en droit français d'une directive européenne, dont la clause 5 propose de « prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs ».

Cette disposition constitue une avancée sociale indéniable.

Néanmoins, comme toute directive, elle laisse à la libre appréciation des États la définition des moyens permettant d'atteindre les objectifs finaux qu'elle a fixés.

Si je ne peux que me réjouir de pouvoir mettre un terme à la précarité de l'emploi dans la fonction publique, je demeure dubitatif sur le chemin que le Gouvernement nous propose d'emprunter pour y parvenir.

Dans le chapitre III du projet, sont réintroduits les contrats à durée indéterminée dans la fonction publique. Ce point appelle quelques questionnements qui, je l'espère, trouveront une réponse dans le débat parlementaire.

Certes, le recours aux contractuels dans la fonction publique reste dérogatoire et soumis à deux conditions principales : il est conditionné à l'absence de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; il est réservé aux emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l'État à l'étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient.

Hélas, nous savons tous que, dans les faits, ces préalables font parfois l'objet d'interprétations relativement larges.

Je ne vous cacherai pas que le titre d'un paragraphe du rapport de la commission des lois du Sénat - « La banalisation du recours aux contrats à durée indéterminée pour les agents non titulaires : la transposition de la directive communautaire 1999/70/CE » - m'a quelque peu troublé.

Monsieur le ministre, je voudrais être certain qu'il ne s'agit pas, par votre texte, d'instaurer une voie parallèle de recrutement.

Un dispositif transitoire avait été mis en place par la loi du 3 janvier 2001 « relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale ».

Ce plan visait un double objectif : mettre fin à la précarité des agents contractuels par la mise en œuvre de modalités adaptées - concours réservés, examens professionnels - tout en améliorant la gestion prévisionnelle des effectifs pour éviter que le phénomène ne se reconstitue. Qu'en est-il aujourd'hui ? Un bilan a-t-il été réalisé ?

Monsieur le ministre, lorsqu'un poste est suffisamment pérenne pour que soit envisagé le recours au CDI, il semblerait logique que la personne qui l'occupe ait la possibilité de valoriser son expérience par un examen professionnel lui permettant d'intégrer un poste statutaire.

M. Jean-Pierre Dufau. C'est le bon sens !

M. Gérard Charasse. Sans être totalement infaillibles, les concours ou les examens professionnels restent les meilleures voies pour endiguer l'arbitraire des décisions et garantir l'égal accès aux emplois publics.

Il est à craindre que certains agents contractuels soient engagés pendant six ans, donnent satisfaction et ne soient pas reconduits en CDI. L'institution peut préférer engager une autre personne en CDD.

M. Jean-Pierre Dufau. Eh oui !

M. Gérard Charasse. Car les employeurs publics n'ont, dans le texte du Gouvernement, aucune obligation de recrutement à l'issue de la durée maximale définie.

Je m'interroge également sur les perspectives de carrière offertes aux agents ainsi recrutés. Quel avancement, quelle mobilité peut espérer cette catégorie d'agent ? Et quelles seront les modalités de fin de contrat ? Je ne trouve pas de réponse dans votre projet, monsieur le ministre.

Vous l'aurez compris, il me semble que le mécanisme instauré par la loi du 3 janvier 2001, en prenant en considération le problème dans son ensemble et en ouvrant une possibilité de titularisation, répond plus durablement à ce problème qu'il s'agit de résoudre. Éluder l'impératif de gestion prévisionnelle en espérant que les contractuels constituent des variables d'ajustement serait une erreur.

Il me semble aussi que des garanties minima plus précises, notamment sur le caractère dérogatoire du recours aux contractuels, l'obligation de recrutement à l'issue de la durée maximale fixée et le déroulement des carrières des personnes ainsi recrutées, doivent être apportées.

Monsieur le ministre, votre projet ne saurait être approuvé en l'état par les radicaux de gauche : nous attendons des réponses aux questions que je viens de poser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier, dernier orateur inscrit.

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Nous allons savoir pourquoi la directive n'a pas été transposée !

M. Bernard Derosier. Vous lisez dans mes pensées, monsieur le ministre !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la fameuse directive du 28 juin 1999 - qui est à la base de nos divergences aujourd'hui - relative au travail à durée déterminée met en œuvre un principe qui imprègne le code du travail français, selon lequel les contrats à durée indéterminée sont la forme générale de la relation de travail. Le droit français est donc en conformité avec cette directive. D'autre part, les règles régissant le recours aux contractuels dans la fonction publique déterminent de façon limitative les cas dans lesquels un tel recours est possible.

Monsieur le ministre, ces règles qui existent aujourd'hui, qui amènent les préfets, sur instruction du gouvernement, à être très vigilants sur les contrats proposés à des collaborateurs de collectivités territoriales - pour ce qui est de l'administration de l'État, le Gouvernement est souverain -, ces règles sont-elles maintenues ou vont-elles disparaître au profit des contrats à durée indéterminée généralisés ?

La règle est que l'emploi soit occupé par un fonctionnaire titulaire qui bénéficie d'un contrat, par définition, à durée indéterminée.

Je citerai encore le Conseil d'État, puisque c'est notre référence commune, monsieur le ministre - et pour vous plus particulièrement en raison de votre cursus. Le Conseil d'État écrit : « Le droit communautaire ne fait rien d'autre qu'inciter à une plus stricte application des principes mêmes du statut général. » Il n'était donc pas nécessaire de modifier le droit. Depuis 1999, l'Europe se contente d'indiquer qu'il faut mettre fin à la précarité permanente.

En fait, le passage au CDI ne sera automatique que pour les plus de cinquante ans, ayant au moins huit ans d'ancienneté. Pour les autres, ce sera au bon vouloir de leur employeur, comme M. Charasse vient de le rappeler. Dès lors, il est à craindre que ces contrats, par essence plus flexibles que les emplois statutaires, ne deviennent des variables d'ajustement en cas de difficultés budgétaires.

Monsieur le ministre, vous avez d'ailleurs avoué votre « forfait » - je mets ce mot entre guillemets pour ne pas vous fâcher ! Vous disiez, dans Le Monde du 3 février dernier, que votre ambition était de lutter contre « une mauvaise gestion prévisionnelle de l'emploi ». Le projet de loi ne contient pas de définition précise des cas qui autoriseront à recourir à des non-titulaires.

Alors monsieur le ministre, dans votre réponse à mon exception d'irrecevabilité, après être passé de Descartes à Pascal, par une petite erreur de référence, je me suis demandé si, après Brecht, que citait mon ami Jean-Pierre Dufau, vous n'aviez pas inconsciemment cité La Fontaine : vous parliez d'un chemin tortueux qui eût été le mien - malaisé, aurait-il dit dans une de ses fables. En fait, vous avez utilisé l'argument qui l'avait déjà été en commission des lois par son président ! « Vous préférez le dogme aux hommes », m'avez-vous dit ! Monsieur le ministre, quand on n'a pas d'argument de fond, il est facile de renvoyer son interlocuteur à une opposition dogmatique !

Pourquoi, m'avez-vous demandé, monsieur le ministre, n'avons-nous pas transposé cette directive ? Mais il y en a beaucoup d'autres ! Vous êtes d'ailleurs en train de faire, pour la transposition des directives qui, quantitativement, est très importante, ce que le gouvernement Jospin avait également essayé de faire, c'est-à-dire utiliser les ordonnances. Il y a tellement de directives à transposer dans notre droit que les gouvernements sont confrontés à ce problème : ou bien ils ne consacrent les travaux législatifs qu'à la transposition ; ou bien ils utilisent une modalité plus rapide. Vous savez bien que nous avions jusqu'en juin 2001 pour transposer cette directive. Il y avait d'autres urgences, monsieur le ministre, pour le gouvernement qui vous a précédé : d'autres urgences qui nous ont conduits à mettre en œuvre les 35 heures - qui vous donnent des boutons ! -, la CMU, qui fait plaisir à beaucoup de gens, les emplois-jeunes, que vous avez supprimés...

Transposer cette directive n'était pas la priorité. Je me permets de vous la rappeler : « Les parties signataires ont souhaité conclure un accord-cadre sur le travail à durée déterminée énonçant les principes généraux et prescriptions minimales relatifs aux contrats et aux relations de travail à durée déterminée ; elles ont manifesté leur volonté d'améliorer la qualité du travail à durée déterminée en garantissant l'application du principe de non-discrimination et d'établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l'utilisation de relations de travail ou de contrats à durée déterminée successifs. Article premier : La présente directive vise à mettre en œuvre l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée. Article 2 : Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires ».

Or depuis le mois de juin 2002, vous n'avez pas beaucoup discuté avec les partenaires sociaux pour trouver une solution à ce problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 2210, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique :

Rapport, n° 2222, de M. Pierre Morel-A-L'huissier, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot