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Première séance du mardi 10 mai 2005

214e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

    1

PROTECTION DES LOCATAIRES VICTIMES
DE VENTES À LA DÉCOUPE

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues renforçant les protections des locataires victimes de ventes à la découpe (nos 2125, 2290).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué au logement et à la ville, mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur d'ouvrir les débats consacrés à l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les protections des locataires victimes des ventes à la découpe. Ce texte, rédigé sous la direction de notre collègue Patrick Bloche, est le résultat de la réflexion collective du groupe socialiste et de rencontres avec les différentes organisations représentant les locataires.

La vente à 1a découpe est l'une des manifestations de la crise du logement dans notre pays. Elle ne la résume malheureusement pas. Désormais, la crise du logement, véritable phénomène de société, ne touche plus seulement les plus modestes, mais elle frappe également les classes moyennes. Si trois millions de nos concitoyens souffrent du « mal-logement », c'est en effet l'ensemble des Français qui subissent la hausse vertigineuse des prix à la location et à l'acquisition.

Parmi toutes les manifestations dramatiques de cette crise, le problème de la vente à la découpe retient l'attention de l'opinion publique. Depuis plusieurs mois, la presse fait régulièrement état des nombreux cas de résistance de locataires, qui refusent les projets de vente, appartement par appartement, des immeubles qu'ils habitent. L'ampleur du phénomène révèle aussi bien la gravité de leur situation que la généralisation de la crise du logement.

Selon les termes de l'accord collectif du 9 juin 1998, une vente à la découpe est constituée lorsqu'un bailleur décide : « de mettre en vente par lots plus de dix logements dans un même immeuble ». Ces opérations sont faites - et c'est bien là le cœur du problème - dans le seul but de réaliser d'énormes plus-values.

Les dérives spéculatives des ventes à la découpe ont donné lieu à une première série de mesures d'encadrement dans l'accord collectif du 9 juin 1998 étendu par le décret du 23 juillet 1999. Mais celles-ci ne suffisent plus.

Pour faire face à la recrudescence des ventes à la découpe, en augmentation de 50 % à Paris depuis 2001, des parlementaires issus de diverses formations politiques ont suggéré l'intervention du législateur. Le texte que nous examinons ce matin est manifestement le plus abouti. Il offre des garanties efficaces contre les dérives des ventes à la découpe.

M. Christophe Caresche. Excellent !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avant de vous présenter les dispositions de cette proposition de loi, je voudrais rappeler l'étendue des problèmes posés par les ventes à la découpe et les limites des règles actuellement en vigueur.

Les premières victimes des ventes à la découpe sont naturellement les locataires habitant les immeubles concernés. La vente par appartements s'accompagne presque systématiquement d'un congé donné aux locataires, afin de valoriser le bien vendu. Le locataire est confronté à un choix délicat : acheter l'appartement qu'il occupe ou être dans l'obligation de le quitter à l'issue de son bail. Dans les deux cas, le locataire rencontre de sérieuses difficultés, surtout lorsqu'il n'a pas les moyens d'acheter son logement. Dans une période de prix élevés et alors même que les ventes à la découpe alimentent les tendances spéculatives du marché, les locataires sont pour la plupart incapables d'acheter et doivent renoncer à rester dans les lieux. Leur projet de vie s'en trouve alors bouleversé.

La perte du logement emporte, en effet, avec elle tout le tissu social que chaque habitant crée dans son quartier : les familles, les enfants, les personnes âgées doivent reconstituer leur cadre de vie et de relations. Dans les cas les plus graves l'éloignement du relogement peut compromettre l'emploi.

Dans ces conditions, la résistance de certains locataires, dont la presse se fait régulièrement l'écho, n'est pas étonnante. Au sein de diverses associations, ils mènent une lutte pour faire valoir leurs droits et attendent avec une anxiété mêlée d'impatience, la réaction des pouvoirs publics.

Les locataires mis en demeure de quitter les lieux ne sont pourtant pas les seules victimes des ventes à la découpe. Ceux qui décident de racheter leur logement peuvent également s'exposer à de graves problèmes.

Dans un contexte de pénurie de logements, le prix de vente s'avère toujours très élevé, malgré le bénéfice théorique d'une décote au profit du locataire. Outre le prix de vente, des éléments comme l'âge ou l'état de santé de la personne sont incompatibles avec l'obtention d'un prêt et rendent l'acquisition impossible.

Dans l'improvisation de cette acquisition, le locataire prend difficilement la mesure du coût des charges de copropriété qu'il devra assumer une fois devenu propriétaire. Elles sont plus élevées que les simples charges locatives et peuvent inclure des dépenses afférentes à certains travaux rendus obligatoires : mise aux normes des ascenseurs, suppression des canalisations en plomb, obligation de ravalement.

La gravité des problèmes posés à chacun des locataires « découpés » - c'est une expression terrible, mais vraie - devrait à elle seule justifier l'intervention de la puissance publique. Mais celle-ci a, par ailleurs, des raisons propres d'agir pour faire face aux dérives des ventes à la découpe, qui menacent l'intérêt collectif, lorsqu'elles déséquilibrent le marché immobilier et nuisent à la mixité sociale de nos villes.

La stratégie des vendeurs à la découpe bouleverse d'abord l'équilibre d'un marché locatif déjà fragilisé par la pénurie de logements. Les marchands de biens et les fonds d'investissement internationaux ne sont pas intéressés par la fonction locative des immeubles qu'ils acquièrent. La valeur patrimoniale compte seule pour eux. Cette stratégie purement spéculative contribue à faire du parc locatif un simple « actif circulant », au même titre qu'une valeur boursière ou un titre de créances. Les « découpeurs » misent sur les immeubles comme les golden boys sur les cours de la bourse. Cela contribue ainsi fortement à alimenter l'envolée des prix de l'immobilier, pour la location comme pour l'acquisition.

Contrairement à un cliché parfois sciemment répandu, cette formidable partie de Monopoly ne se joue pas seulement sur les célèbres avenues parisiennes. À Paris, le XIXe arrondissement a été le plus touché en 2004. Le phénomène est aussi apparu dans l'ensemble de l'agglomération parisienne. Je cite volontiers l'exemple d'une commune du Val-de-Marne, où sur 950 logements construits dans la première ZAC de rénovation du centre-ville, 220 ont fait l'objet d'une vente à la découpe.

Enfin, en réduisant l'étendue du parc locatif privé, les ventes à la découpe accentuent la tension sur le marché locatif social et augmentent la liste des demandeurs de logements sociaux.

La puissance publique devrait d'autant moins admettre les ventes à la découpe que cette spéculation nuit également à la mixité sociale dans nos villes. Le locataire ayant reçu son congé pour vente et se trouvant dans l'impossibilité d'acheter l'appartement doit se reloger. Or, l'évolution actuelle du niveau des loyers l'oblige souvent à changer de quartier, et parfois même de commune.

Cette conséquence est particulièrement manifeste pour les locataires du parc des investisseurs institutionnels. Le montant des loyers pratiqués, souvent inférieur au prix du marché, permet le maintien d'habitants aux revenus plus modestes que la moyenne de ceux du quartier concerné.

Cette dérive est particulièrement inadmissible dans la mesure où les pouvoirs publics s'efforcent, depuis des années, au sein des PLU et des PLH, comme par la loi, de maintenir et promouvoir la mixité sociale. Rien ne saurait légitimer le fait que cette volonté publique soit tenue en échec pour satisfaire la spéculation financière.

L'insuffisance des règles en vigueur est patente. Les dispositifs législatifs ont été dépassés. L'accord réglementaire et conventionnel n'a plus d'efficacité. L'explosion des cours de l'immobilier, l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché de la vente à la découpe, les protections initiées sont devenues largement inopérantes. Il suffit aux bailleurs des secteurs II et III de revendre un appartement occupé à un intermédiaire pour que celui-ci ne soit plus tenu par les mêmes obligations. Alors que ces dispositions en vigueur révélaient leur limite, l'amendement du sénateur Marini a eu un effet incitatif pour les spéculateurs et désastreux pour les locataires.

Dans cette situation, il est regrettable que l'Assemblée ait rejeté, lors des débats sur le projet de loi de cohésion sociale, l'amendement du groupe socialiste permettant une décote sur le prix de vente au profit du locataire.

Enfin, l'accord du 16 mars 2005 qui ne constituait en fait qu'un toilettage du précédent et n'offrait aucune garantie sérieuse, a été, de ce fait, refusé par une majorité d'associations représentatives de ces locataires. Il serait peu élégant de tenter de leur imputer la responsabilité d'un échec, alors que la solution législative s'impose à l'évidence.

L'intérêt de la proposition de loi de Mme Martine Aurillac demeure limité, puisqu'elle porte essentiellement sur un dispositif concernant les seuls locataires qui souhaitent acquérir.


La proposition de loi, que je vous présente tend, au contraire, à apporter une solution globale aux différents problèmes provoqués par les ventes à la découpe.

Une première série de dispositions permet d'apporter des solutions à l'ensemble des problèmes posés aux locataires. Contrairement à la proposition de loi de Mme Martine Aurillac, celle de Patrick Bloche et du groupe socialiste prend en compte les locataires qui ne sont pas en mesure de racheter leur logement. Afin de protéger au mieux les droits de ces locataires, elle garantit le maintien dans les lieux en limitant, sans l'interdire, le droit d'exercice du congé pour vente.

Dans la droite ligne de l'accord collectif de juin 1998, l'article 1er instaure des obligations de renouvellement du contrat de bail pour les locataires les plus fragiles. En outre, il garantit un délai de trois ans à tout locataire dont le logement fait l'objet d'une vente par lots de plus de dix appartements.

L'article 5 incite fiscalement l'acquéreur d'un logement vendu à la découpe à ne pas utiliser le droit de congé dont il dispose pendant six ans.

L'article 6 interdit la transmission du congé pour vente déclenché par le vendeur au profit de l'acheteur.

L'article 7 garantit au locataire le maintien d'un bail de six ans une fois l'appartement acquis par une personne physique.

Enfin, les articles 13 et 14 étendent le champ de validité des accords collectifs de location.

Une seconde série de mesures permet aux locataires d'accéder à la propriété dans les conditions de lisibilité et sérénité qu'exige toujours un tel projet.

Les articles 2 et 3 allongent les délais d'exercice du droit de préemption prévu par les lois de décembre 1975 et de juillet 1989. Ces délais plus longs doivent permettre au locataire de se décider après avoir examiné toutes les possibilités financières permettant l'acquisition.

L'article 4 instaure l'obligation pour certains bailleurs de faire précéder l'offre de vente d'un audit contradictoire. Cet article met également à la charge du bailleur les dépenses de travaux de mise aux normes et de sécurité.

Enfin, l'article 8 prévoit une décote lorsqu'un appartement vendu par un bailleur des secteurs locatifs II ou III est acquis par le locataire. Cette décote est d'au minimum 10 % du prix de l'appartement vendu libre d'occupation, auxquels s'ajoutent 2 % par année d'occupation, dans la limite de 30 % du prix du bien. Cet article reprend une proposition qui avait déjà été défendue par votre rapporteur lors de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi ne prend pas seulement en considération les problèmes posés aux locataires ; elle veut également relever les défis lancés à la puissance publique.

Plusieurs dispositions sont prévues pour permettre à la puissance publique de protéger l'équilibre du marché immobilier en encadrant ses tendances spéculatives. À cette fin, un statut juridique de la profession de marchand de biens est pour la première fois fermement établi.

L'article 9 qualifie ainsi de marchand de biens toute personne pratiquant l'achat de biens immobiliers affectés à l'habitation en vue de leur revente dans un délai de moins de six ans, dès lors que la personne pratique plus de deux reventes par an.

L'article 10 renvoie à un décret en Conseil d'État les règles encadrant l'exercice de cette profession dans le domaine du logement. Il prévoit également la sanction du non-respect de certaines obligations.

Sur la base de ce statut, il deviendrait désormais possible de construire un véritable code de conduite pour cet acteur du marché immobilier.

Ainsi, l'article 11 vise à supprimer le droit de recourir au congé pour vente dont disposent les marchands de biens. En effet, les marchands de biens n'exercent pas leur activité en vue de remplir la fonction de bailleur. Il est donc normal de ne pas leur accorder les mêmes droits qu'aux « propriétaires bailleurs ». L'article prévoit cependant que les marchands de biens puissent retrouver l'usage de ce droit dès lors qu'ils agissent avec les locataires comme des bailleurs.

Enfin, l'article 12 réduit de deux à un an le délai de revente permettant à un marchand de biens de bénéficier de l'exonération des droits de mutation lorsque le marchand de biens procède à une vente par lots. Toutefois, il ajoute à ce principe des cas dérogatoires : lorsque le marchand de biens s'engage à vendre sans utiliser le congé pour vente, il bénéficie du délai originel de quatre ans ; et lorsque la vente est faite par un organisme à vocation sociale ayant pour but le redressement des copropriétés en difficulté, le délai est porté à six ans.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Oui, il a doublé la mise !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je termine, monsieur le président.

En adoptant ces dispositions, le législateur donnerait à l'État les moyens de protéger le marché immobilier. D'autres mesures du texte donnent par ailleurs aux maires les moyens de protéger la mixité sociale de leurs villes.

L'article 17 prévoit en effet qu'un bailleur des secteurs II ou III qui procède à une vente par lots d'un ensemble de plus de dix logements avec utilisation du congé pour vente doit en informer le maire et les locataires trois mois à l'avance.

Si un tiers de l'ensemble des locataires concernés le décide, ils peuvent demander au maire une enquête d'utilité publique. En garantissant le maintien d'une part suffisante d'appartements locatifs dans les immeubles découpés, la proposition de loi permet aux maires d'enrayer le phénomène d'éviction sociale trop souvent constaté lors des ventes à la découpe pratiquées au cœur des grandes agglomérations.

Vous le constatez, cette proposition de loi appréhende l'ensemble des problèmes que soulève la vente à la découpe, en répondant le plus efficacement aux impératifs techniques et juridiques qu'il est nécessaire de prendre en compte.

Vous le savez, mes chers collègues, la commission des lois a décidé de ne pas examiner les articles de ce texte. Au terme de la présentation de ce rapport, il m'appartient d'informer notre assemblée de cette décision.

Mais je suis trop attaché à voir apporter à nos concitoyens les réponses qu'impose la vraie prise en compte de leurs difficultés de logement pour ne pas exprimer ma déception et mes regrets que la commission n'ait pas cru devoir prendre en compte, la gravité de la situation et l'urgence de mettre en place un dispositif remédiant aux effets désastreux des ventes à la découpe.

Je remercie les administrateurs de la commission des lois qui m'ont apporté un précieux concours pour l'établissement de ce rapport. Je vous propose néanmoins, mes chers collègues, de vous saisir effectivement de cette proposition de loi. En reprenant son contenu dans le cadre de l'examen des articles, je vous invite à répondre aux légitimes exigences de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le rapporteur, que vous étiez inscrit pour dix minutes. Or vous avez doublé votre temps de parole.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je disposais de quinze minutes pour m'exprimer, monsieur le président !

M. le président. Non, monsieur le rapporteur.

Mme Françoise de Panafieu. Il a même parlé vingt-cinq minutes !

M. le président. J'invite les orateurs suivants à respecter leur temps de parole !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Lepetit, pour quinze minutes, je le précise d'emblée !

Mme Annick Lepetit. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aujourd'hui, mardi 10 mai, utilisant sa niche parlementaire, le groupe socialiste a décidé de faire examiner par la représentation nationale sa proposition de loi, déposée le 3 mars 2005, dont l'objectif est de renforcer les protections des locataires victimes des ventes à la découpe. Et ce, pour plusieurs raisons.

D'abord, parce que le phénomène spéculatif des ventes à la découpe s'amplifie depuis environ un an, au détriment de nombreux locataires, bouleversant du même coup l'équilibre de nos villes.

Ensuite, parce que le Gouvernement n'agit pas, laissant prospérer cette scandaleuse spéculation immobilière.

Enfin, parce que notre proposition de loi, que je présenterai dans un second temps, apporte des solutions immédiates et efficaces, en traitant le problème dans son ensemble.

Oui, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, la situation actuelle est extrêmement préoccupante et nous devons l'examiner de toute urgence.

De quoi s'agit-il ? Des immeubles entiers sont achetés le plus souvent par des marchands de biens, puis revendus appartement par appartement dans le but de réaliser d'énormes plus-values. Une telle spéculation est à combattre fermement et rapidement. Ses conséquences sont lourdes pour les locataires concernés et néfastes pour l'équilibre de nos villes.

S'agissant des locataires, dont certains se sont baptisés les « découpés », on comprend aisément leur inquiétude, leur désarroi et leur révolte. Ils apprennent un jour que leur appartement, celui qu'ils occupent depuis des années, va être vendu. Cela signifie qu'ils doivent décider en très peu de temps - deux mois - s'ils achètent ou non leur logement, souvent pour un montant prohibitif. Ces locataires se retrouvent donc face à une alternative brutale : acheter ou partir. Acheter leur logement au prix fort ou partir lorsque le bail expire. Ils décident souvent de partir car, contrairement à ce qui a été dit, ces locataires sont majoritairement issus des classes moyennes et populaires. Ils ne sont pas tous assujettis à l'ISF comme je l'ai entendu dire. Ils ne veulent ou ne peuvent pas racheter leur logement au prix demandé et s'ils le peuvent, les conditions d'achat sont loin d'être acceptables.

On peut distinguer deux cas de figure. Le premier cas concerne ceux qui ne peuvent pas acheter, c'est-à-dire le plus grand nombre d'entre eux. Ceux-là doivent quitter les lieux à l'expiration de leur bail, parfois en quelques mois. Ils sont contraints de chercher précipitamment un nouveau logement répondant à leurs besoins. Beaucoup sont obligés de quitter leur quartier ou même leur ville compte tenu de la pénurie de logements locatifs et de la cherté des loyers, qui ne cessent d'augmenter.

Le second cas de figure concerne ceux qui achètent, c'est-à-dire à peine 30 % des locataires. La situation n'est pas non plus aisée pour eux. En effet, ils ont dû décider d'acheter en deux mois maximum, car tels sont les délais actuels d'exercice du droit de préemption pour les locataires. Ces délais sont très courts, notamment pour monter un dossier de prêt bancaire. Les futurs propriétaires doivent se décider vite, payer le prix fort et s'endetter pendant de longues années. Bref, ils sont contraints d'acheter cet appartement pour être sûr d'avoir un toit.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais ils ont la chance de devenir propriétaire !

Mme Annick Lepetit. Ceux qui parviennent à respecter ces délais et ces conditions ne sont pas pour autant à l'abri en achetant aussi rapidement. Beaucoup ne prennent pas en compte dans leur calcul financier des charges de copropriété incompressibles qu'ils devront ensuite payer comme copropriétaires. Ils devront désormais assumer la mise aux normes des ascenseurs ou la suppression des canalisations en plomb. Le risque de ces ventes à la va-vite, c'est aussi de créer de futures copropriétés dégradées.

Bref, la situation des locataires obligés, soit de quitter leur logement, soit de l'acheter rapidement selon leurs possibilités, leurs moyens, sans protections particulières a des conséquences graves. D'abord pour eux-mêmes, leur vie, leur avenir, leur famille, leurs proches ; ensuite, sur l'évolution des villes où les classes moyennes et populaires sont petit à petit remplacées par les plus aisées ; enfin, sur l'offre et la demande du marché immobilier.

Ainsi, les ventes par appartement pratiquées massivement accentuent les dérives actuelles du marché de l'immobilier locatif, nuisent à la mixité sociale au cœur de nos villes et de nos quartiers, et vont à l'encontre du droit au logement.

Dans son excellent rapport, Jean-Yves Le Bouillonnec montre que le phénomène des ventes à la découpe contribue à alimenter la crise du logement en accentuant la flambée des prix, en remettant en cause la mixité sociale, et en allongeant les listes des demandeurs de logements sociaux.

À Paris, les ventes à la découpe ont, en 2003 et 2004, représenté 15 % des transactions. Et pour 2005, la tendance sera certainement à la hausse. Cela représente des milliers de locataires qui ont été obligés de partir. En outre, ces ventes retirent du marché locatif, déjà insuffisant, plusieurs milliers de logements. Cela a pour effet d'alimenter la hausse des loyers. Cet exemple parisien se décline dans toutes les villes françaises où se pratique ce phénomène. Car s'il est vrai que cette spéculation immobilière a d'abord touché les quartiers bourgeois de Paris et de quelques grandes villes, depuis plusieurs mois, des quartiers parisiens populaires et de plus en plus de villes grandes et moyennes sont concernés. Je pense à Marseille, Strasbourg, Lille, Montreuil pour ne citer que celles-ci.

M. Bernard Debré. C'est aussi le cas de Lyon !

Mme Annick Lepetit. En effet !

Ce problème s'accentue et s'étend. Aussi, la mixité sociale, loin d'être atteinte aujourd'hui, est menacée et les centres des villes s'embourgeoisent, les moins riches sont rejetés à la périphérie ou ailleurs et viennent enfin s'ajouter au nombre des demandeurs de logements.

Cette spirale est loin d'être achevée car les ventes à la découpe prospèrent avec la crise du logement tout en l'accentuant.

Il est donc nécessaire et urgent d'agir. Le Gouvernement en a les moyens. Pourtant, il donne le sentiment inverse ; il prend son temps, alors qu'il a eu ces derniers mois, à maintes reprises, l'occasion de se saisir sérieusement de ce dossier.

Dès octobre dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances, les députés socialistes ont pris leurs responsabilités en proposant plusieurs amendements tendant à freiner cette spéculation. Tous, à l'exception d'un, ont été rejetés par le Gouvernement. Celui qui a été adopté, à l'unanimité, permet de diminuer les avantages fiscaux dont bénéficient les marchands de biens, principaux opérateurs des ventes à la découpe. Il réduit à deux ans - au lieu de quatre - le délai leur permettant d'être exonérés des droits de mutation. En décembre, lors de l'examen du projet de loi dit de cohésion sociale, deux amendements, à peu près identiques, instituant une décote au profit des locataires se portant acquéreur de leur logement ont été déposés, l'un par un député de l'opposition, l'autre par une députée de la majorité.


Cependant, en pleine séance publique, l'amendement UMP a été retiré avec la bénédiction de M. Borloo et de vous-même, monsieur Daubresse. Sans doute pour vous justifier, vous avez déclaré que vous aviez « pour objectif de présenter au conseil des ministres le projet de loi " Habitat pour tous " début février, c'est-à-dire dans un délai raisonnable » et que vous vouliez « laisser les associations de locataires et les bailleurs s'exprimer dans le cadre de la Commission nationale de concertation, tout en recherchant des pistes d'action à partir des propositions des parlementaires. Si un chemin est trouvé, avez-vous ajouté, je promets de m'y engager dans le cadre du projet de loi "Habitat pour tous" ». Plus de six mois après cette déclaration, le bilan est, on peut le dire, nul.

La virtuelle loi « Habitat pour tous », que M. de Robien alors en charge du logement nous avait déjà fait miroiter, n'a toujours pas été présentée en conseil des ministres. Quant à la fameuse concertation que le ministre a menée avec les bailleurs et les associations de locataires, elle se solde par un véritable échec. L'accord au rabais qui a été conclu n'a pas été signé par la majorité des associations, ce qui le rend inapplicable. Le ministre a donc perdu beaucoup de temps en imposant une concertation alors que la plupart des associations de locataires réclament depuis le mois d'octobre une législation dans ce domaine. Or pendant ce temps, il n'est pas inutile de le rappeler, notamment à M. le président de la commission des lois, les spéculateurs continuent de prospérer.

D'autres épisodes illustrent l'inaction remarquable et remarquée du Gouvernement. Je ne ferai pas ici de catalogue et me contenterai de prendre deux exemples.

Il s'agit d'abord du cadeau fiscal, qui a été consenti à l'initiative du sénateur UMP Marini dont l'amendement adopté en novembre 2002 allège la fiscalité des sociétés foncières. Il n'est pas neutre, à mon avis, dans l'expansion des ventes à la découpe. Une information judiciaire étant ouverte à ce sujet, je n'en dirai pas plus.

Il s'agit ensuite de l'attitude du ministre chargé du logement lorsque Patrick Bloche et Tony Dreyfus et moi-même l'avons interrogé à l'occasion des séances de questions au Gouvernement. À trois reprises, ses réponses furent infondées et mensongères, voire méprisantes.

À Patrick Bloche, le 26 janvier dernier, il a répondu : « Si les propositions avancées ne sont pas suffisantes, je vous indique d'ores et déjà que le Gouvernement a élaboré un dispositif et qu'il prévoit d'aller plus loin, par voie réglementaire et législative, pour protéger les locataires. Sachez que je vous associerai, ainsi que les autres parlementaires parisiens, à la mise en place de ce dispositif, qui sera annoncé dans la première semaine de février. »

À Tony Dreyfus, le 5 avril, il a dit : « Nous avons établi un accord contractuel. Il peut être étendu par un décret, notamment aux marchands de biens. Je comprends qu'on puisse ne pas signer un accord. Mais ceux qui s'y opposeront choisiront la politique du pire, car on ne pourra pas l'étendre aux marchands de biens alors même que cette extension est nécessaire. »

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Je le confirme. En quoi est-ce mensonger ?

Mme Annick Lepetit. À moi-même, le 23 mars, vous avez rétorqué : « Pour ma part, j'ai dit ce que je ferai et je fais ce que j'ai dit. La réunion de la commission nationale de concertation entre les locataires et les propriétaires a débouché la semaine dernière sur la signature d'un accord visant à protéger les personnes âgées de plus de soixante-dix ans ainsi que les catégories intermédiaires. Cet accord étant conclu, nous signerons le décret dès la semaine prochaine. La loi " Habitat pour tous " comportera également des dispositifs pour lutter contre les abus et la spéculation. »

Monsieur le ministre, le décret dont vous parlez ne peut pas être publié et vous le savez bien, vous le saviez même lorsque vous m'avez répondu !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Mais non, je n'ignorais !

Mme Annick Lepetit. Seule une loi peut endiguer cette spéculation immobilière que sont les ventes à la découpe.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. À cause de qui ? De vos amis, madame !

Mme Annick Lepetit. Et, d'ailleurs sur cette question-là au moins, j'ai compris qu'une grande majorité des députés, bien au-delà des rangs de la gauche, est d'accord. Le président de la commission des lois, Pascal Clément, a déclaré mercredi dernier en commission, après avoir entendu les propos du rapporteur, qu'il était acquis à l'idée de légiférer. Il a même ajouté que les Français attendaient une décision législative.

M. Christophe Masse. Absolument !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Moi aussi !

Mme Annick Lepetit. Depuis, le groupe UMP a découvert la proposition de loi de Martine Aurillac (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)...

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Mais elle a été déposée au mois de mars !

Mme Annick Lepetit. ...et a décidé de l'examiner le 16 juin prochain. D'autres parlementaires, en l'occurrence des sénateurs communistes, ont aussi déposé une proposition de loi. S'il y a une telle convergence en faveur d'une législation, c'est aussi parce que les premiers concernés, c'est-à-dire les locataires et les associations les représentant, bien souvent soutenus par leurs maires, demandent depuis plusieurs mois une loi pour les protéger.

Jugeant aussi que la voie législative est le seul outil capable d'endiguer les ventes à la découpe, le groupe socialiste a élaboré une proposition de loi pour mieux informer et protéger les locataires, pour réglementer l'activité des marchands de biens, pour organiser aussi le rôle des maires. Le Gouvernement ayant refusé d'inscrire ce texte à l'ordre du jour prioritaire, comme l'avait demandé Jean-Marc Ayrault, notre président de groupe, nous avons décidé de l'inscrire dans l'une de nos deux niches parlementaires du mois de mai. Ainsi, notre proposition de loi sur les ventes à la découpe est la première à être débattue ici.

Mieux informer et mieux protéger les locataires, c'est bien sûr leur offrir davantage de droits, leur permettre aussi de connaître les pratiques, les règles pour mieux se défendre. Encadrer les activités des marchands de biens dès lors qu'elles sont uniquement spéculatives, c'est proposer un statut juridique de la profession et permettre de construire une déontologie appliquée à ces acteurs de l'immobilier. C'est en agissant sur tous, c'est-à-dire les locataires, les bailleurs et les spéculateurs, que nous parviendrons à régler cette question des ventes à la découpe qui contribuent à la crise actuelle du logement.

S'agissant des locataires, notre objectif est de leur garantir la possibilité de demeurer dans les lieux pour un temps compatible avec leur situation ou bien celle d'acheter leur logement.

Pour les locataires qui ne rachètent pas leur logement, nous augmentons la durée du maintien dans les lieux quel que soit le bailleur. Ainsi, nous proposons que dans tous les cas, une personne concernée par une vente à la découpe soit assurée de conserver son logement pendant une durée minimale de trois ans pour lui permettre de rechercher dans des conditions plus favorables une autre solution de logement. Quant aux personnes particulièrement fragiles, elles seront assurées de conserver leur logement. Nous prévoyons également diverses dispositions qui restreignent le droit d'exercice du congé pour vente.

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Annick Lepetit. Je ne vais pas détailler les articles puisque le rapporteur l'a fort bien fait. Mais je veux souligner que notre proposition de loi, si elle est votée, sera applicable à toute opération de vente à la découpe en cours.

Tel est le contenu de nos propositions pour juguler les ventes à la découpe. Elles sont, me semble-t-il, équilibrées, puisqu'elles concernent à la fois les locataires, les bailleurs, les marchands de bien et les collectivités locales.

Je regrette que la commission des lois ait donné un avis défavorable et que nous ne puissions pas examiner les articles de notre proposition de loi. C'est bien dommage car nous aurions aimé avoir un débat de fond, qui est nécessaire et urgent. Au lieu de cela, vous avez choisi d'attendre encore afin que soit débattue une proposition de loi UMP, qui est bien plus restrictive que la nôtre.

Ainsi, il aura fallu des mois pour convaincre les députés de l'UMP de la nécessité de légiférer. Aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés de la majorité, il faut vous convaincre de la nécessité d'une loi qui protège tous les locataires et pas seulement ceux qui peuvent acheter. Cependant, il est maintenant urgent d'agir. Trop de temps a déjà été perdu. Aussi vous demanderai-je solennellement, au nom des députés socialistes, de limiter dès aujourd'hui ces spéculations immobilières aux terribles conséquences en votant notre proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Martine Billard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré.

M. Bernard Debré. Monsieur le président, monsieur le ministre, nous sommes amenés à discuter aujourd'hui, dans le cadre d'une niche parlementaire, de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault qui dit vouloir renforcer les protections des locataires victimes de ventes à la découpe.

J'aimerais d'abord rappeler que Mme Martine Aurillac a déposé bien avant M. Ayrault une proposition de loi sur ce sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Bloche. Seulement quinze jours avant !

M. Christophe Caresche. Et elle a été enterrée ! Vous vous faites l'avocat de l'UMP, dont pourtant les membres ne vous ménagent pas !

M. Bernard Debré. Vous voudriez peut-être que je sois l'avocat des socialistes ?

Mme Martine Aurillac a donc déposé le 9 février dernier une proposition de loi et il a été convenu avec le Gouvernement que celui-ci poursuivrait lui-même la concertation en cours entre les organisations syndicales représentatives des locataires et des bailleurs.

Certes, pour l'instant, cette concertation n'a pas abouti car les bailleurs demandent que ce problème soit réglé par voie législative et non par décret. C'est pour cette raison que la proposition de loi de Martine Aurillac sera examinée en juin prochain. Un rapporteur a déjà été désigné et a commencé à travailler.

Mais, mesdames, messieurs les députés du groupe socialiste, l'urgence dont vous parlez est d'une grande ambiguïté.

M. Christophe Masse. Pour les locataires concernés, l'urgence n'a rien d'ambigu !

M. Bernard Debré. Alors que majorité et Gouvernement travaillent sereinement sur ce problème (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), vous voulez subrepticement, profitant de l'occasion qui vous est donnée par cette niche parlementaire, pour laquelle, initialement, cette proposition de loi n'était pas prévue...

M. Christophe Caresche. Notre groupe a encore le droit de faire ce qu'il veut des niches qui lui sont réservées !

M. Bernard Debré. Vraisemblablement par démagogie - nous en avons l'habitude -, vous voulez aborder ce problème qui ne vous tient à cœur que depuis peu.

Le problème des ventes à la découpe est important et mérite toute notre attention, mais la proposition de loi de M. Ayrault ne me convient pas : d'abord, elle limite fortement, et de façon inacceptable, le droit de propriété, qui est inscrit de notre constitution ; ensuite, elle ne règle pas tous les problèmes actuels et risque même de bloquer toutes les ventes ; enfin, elle conjugue démagogie et excès.

Rappelons un certain nombre de faits. Une société française a vendu en bloc un certain nombre d'appartements à un intermédiaire qui lui-même a décidé de vendre à la découpe, en effectuant une plus-value qui me semble disproportionnée par rapport au prix de vente initial. La simultanéité d'un amendement, dit amendement Marini, peut-être justifié sur le fond, et cette vente a ensuite fait naître une ambiguïté. Cette simultanéité peut choquer et l'affaire fait l'objet d'une procédure judiciaire dont il ne nous appartient évidemment pas de débattre. La justice tranchera.

M. Patrick Bloche. Heureusement !

M. Bernard Debré. Il n'en demeure pas moins que l'idée même de la vente a la découpe peut déstabiliser un grand nombre de locataires et pose un véritable problème social, dans certaines grandes villes. Je pense en particulier à Paris et à Lyon.

Rappelons cependant que les ventes à la découpe ne sont pas récentes et qu'elles n'ont jamais été aussi nombreuses que lorsque les socialistes étaient au gouvernement.

M. Christophe Caresche. Peut-être, mais elles n'étaient pas de nature spéculative !

M. Bernard Debré. Aucun de ceux qui aujourd'hui prennent la parole avec emphase ne s'en sont émus à l'époque.

J'ajouterai qu'à Paris, le maire, M. Delanoë, utilise cette procédure et qu'à Lyon, M. Collomb est un champion de ce type de ventes (« Faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Ainsi, la proposition de loi de M. Ayrault ne me semble ni opportune ni acceptable.

Elle est inopportune car M. Daubresse a pris l'engagement solennel de tenter de résoudre ce problème dans la future loi « Habitat pour tous », qu'il est en train d'élaborer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. C'est l'Arlésienne !

M. Bernard Debré. C'est un procès d'intention inacceptable !

Mme Annick Lepetit. Il n'y a pas de calendrier !

M. Patrick Bloche. Provocateur !

M. Bernard Debré. Je ne suis pas un provocateur, monsieur Bloche. Simplement, la vérité peut parfois blesser.


Cette loi annoncée devra, tout en préservant le droit de propriété, aider les locataires à rester dans les lieux le temps suffisant, soit pour leur permettre d'acheter leur appartement, soit de trouver avec le propriétaire une solution pour ne pas être mis à la porte.

La proposition de loi qui nous est soumise est également inacceptable, car elle met fortement en cause le droit de propriété et entraîne un immobilisme complet, tant pour les propriétaires que pour les locataires. Elle donne aux maires des pouvoirs exorbitants par rapport aux propriétaires, risquant d'entraîner des dérives autoritaires et le gel de toute transaction.

Mais, je le répète, dans nombre de cas la vente à la découpe provoque des problèmes sociaux que le Gouvernement devra pendre en charge et tenter de résoudre, et je lui fais confiance.

Je ne voterai donc pas ce texte trop coercitif et démagogique, déposé dans la précipitation. Pour autant, je demande instamment au Gouvernement de trouver une solution acceptable pour tous protégeant le faible contre le fort, sans pour autant stigmatiser les propriétaires.

En tant que député de Paris, je reste vigilant sur ces questions. J'ai reçu et je continuerai à recevoir les associations de bailleurs, comme les propriétaires. S'il s'avérait que certaines sociétés ont réalisé des profits illégaux ou qu'il y a eu ne serait-ce que l'ébauche d'un délit d'initié, je demanderais alors à l'Assemblée de créer une commission d'enquête pour faire la lumière sur tous ces problèmes.

Monsieur le ministre, je compte sur vous pour prendre ce problème à bras-le-corps et je ne suivrai pas la précipitation des socialistes qui n'ont pas mis en œuvre, quand ils étaient au pouvoir, ce qu'ils proposent aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Christophe Caresche. Hors sujet !

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu.

Mme Janine Jambu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du récent débat sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale en décembre dernier, nombre de voix s'étaient élevées pour demander au Gouvernement de soumettre au Parlement un dispositif législatif de lutte contre les ventes à la découpe.

Nous avions, ainsi que certains de nos collègues, déposé des amendements visant à suspendre les opérations de vente à la découpe ou à les soumettre à un « permis de diviser », conçu sur le modèle des permis de construire.

Malgré notre insistance et celle de nos collègues socialistes et verts, malgré la mobilisation des élus locaux et des acteurs associatifs, malgré l'ampleur de la protestation qui n'a cessé depuis de grandir, le Gouvernement s'est contenté de prendre quelques mesures marginales et de se complaire dans des effets d'annonce, renvoyant à la future loi Habitat pour tous les mesures de toilettage législatif qu'il envisage. Nul n'ignore pourtant la gravité et l'urgence de la situation, même dans les rangs de la majorité.

Selon une étude récente des notaires, plus de 6 300 logements ont été vendus à la découpe à Paris en 2004, soit 15 % du marché parisien des ventes d'appartements anciens. Selon les associations, 198 opérations de ce type en France, dont 124 à Paris, seraient actuellement en cours.

Nous avons tous en mémoire l'opération conduite il y a quelques mois par le fonds de pension américain Westbrook qui a acquis 98 immeubles, soit 3 200 logements, dans des conditions pour le moins choquantes. Mme de Panafieu elle-même s'en était émue, estimant que ces personnes s'étaient « comportées comme des cow-boys ».

Mais nous aurions tort de croire qu'il ne s'agit là que d'abus, de cas isolés. Le phénomène se développe et s'étend désormais aussi bien aux quartiers populaires de l'est et du nord de la capitale qu'aux quartiers cossus du xvie ou xviie arrondissements, sans compter les agglomérations de Lyon, Marseille ou Strasbourg, etc.

M. Jean-Louis Dumont. La gangrène arrive même dans les villes moyennes !

Mme Janine Jambu. Tout à fait !

Il a pour effet d'imposer aux locataires un véritable diktat : acheter au prix fort, à supposer que le prix du bien ne soit pas purement et simplement prohibitif, ou bien partir. Ce phénomène menace donc directement un nombre croissant de locataires.

Des couches de plus en plus larges de la population sont de fait exclues du droit au logement, tandis que, s'engouffrant dans les brèches de notre législation en matière de rapports locatifs, certains investisseurs réalisent des opérations dont la brutalité des procédures le dispute à la rentabilité de court terme. Or aucun dispositif n'est aujourd'hui en mesure d'enrayer cette épidémie, au contraire. Les institutionnels et marchands de biens sont incités fiscalement à vendre leur bien.

Rappelons qu'un amendement, inspiré au sénateur Philippe Marini par la Fédération des sociétés immobilières et foncières et adopté en novembre 2002 avec la bénédiction de Bercy, a permis d'alléger considérablement la fiscalité des sociétés foncières, en remplaçant le traditionnel impôt sur les bénéfices par une simple taxe de 16,5 % sur les plus-values latentes.

Jusqu'alors, les gains issus des transactions étaient considérés comme du bénéfice imposable à 34 %, ce qui constituait un frein à la spéculation. Cet amendement a donné le véritable coup d'envoi des ventes à la découpe. Après l'adoption de cet amendement, l'un des principaux acteurs du dépeçage des immeubles locatifs, le groupe Gecina, a vu ses ventes à la découpe tripler : 1,5 milliard d'euros en 2003, contre 500 millions en 2002.

Le Gouvernement et la majorité portent, on le voit, de lourdes responsabilités dans la frénésie spéculative actuelle, véritable machine à produire de l'exclusion.

Dans ce contexte, nous ne pouvons qu'approuver la démarche engagée par nos collègues socialistes de proposer dès à présent l'adoption d'un dispositif de lutte contre les pratiques de vente à la découpe, devenues l'un des symboles des scandaleuses dérives auxquelles conduit la spéculation immobilière.

Devant le constat de l'insuffisance des moyens de protection contenus dans l'accord collectif du 9 juin 1998, nous ne pouvons, là encore, qu'approuver les orientations générales du texte.

La mise en place d'un régime spécifique pour les bailleurs ou marchands de biens qui mettent en vente des immeubles par lots, proposant le renforcement des droits de tous les locataires, soit en interdisant le congé motivé par la spéculation immobilière dans un nombre accru de cas soit, pour les autres, en allongeant le délai de congé, constituerait une incontestable avancée.

En revanche, nous sommes plus réservés sur les effets réels des mesures fiscales incitatives proposées dans ce texte, bien qu'elles replacent clairement le locataire au cœur du dispositif. En effet, il est proposé, par exemple, de conditionner la réduction des droits de mutation à l'engagement de ne pas délivrer de congé au locataire.

Nous retrouvons donc dans ce texte l'esprit de la loi de 1989, que le développement de la spéculation immobilière doit nous inciter à renforcer.

Nous l'avons souvent répété ici, nous sommes, pour notre part, favorables à la mise en place d'un « permis de diviser » comme il existe un permis de construire. Un tel dispositif serait utile dans les villes où s'effectuent les opérations portant le plus atteinte à la mixité sociale et singulièrement les opérations dites de vente à la découpe. Le renforcement des prérogatives du maire, tel que l'organise la proposition de loi, ne va pas jusque-là. Nous le regrettons, car nous pensons que seules des mesures spécifiques fortes, de salut public, peuvent mettre un terme aux pratiques spéculatives et ouvrir véritablement la voie à l'affirmation d'un droit au logement.

Il est, en effet, de la responsabilité de l'État et des collectivités locales d'agir, de façon à prévenir les conséquences de la déréglementation du marché immobilier dont les ventes à la découpe ne sont qu'un aspect, même s'il n'a évidemment rien de marginal. De ce point de vue, il conviendrait sans doute de revenir sur le dispositif de Robien qui n'a permis que d'assurer la rentabilité de l'investissement locatif privé au détriment de la réponse aux besoins sociaux, équilibre trouvé dans le dispositif Besson.

Non seulement cette mesure d'incitation fiscale est coûteuse pour le budget de l'État, mais elle accompagne la flambée du prix des loyers dans le secteur privé, lesquels ont doublé en six ans, pour prendre une nouvelle fois l'exemple de Paris. Il en va de même de l'exonération des droits de mutation sur les opérations de vente par lots, opérations hautement spéculatives qui contribuent également à priver l'État et les collectivités locales des moyens financiers d'une véritable politique de maîtrise foncière, d'aménagement urbain et de reconstruction de logements.

La poussée spéculative immobilière demeure donc, on le voit, largement encouragée par un Gouvernement qui a introduit dans la loi de fortes incitations fiscales à l'investissement locatif et qui a, encore récemment, réduit la portée de l'impôt de solidarité sur la fortune, arguant précisément de cette poussée des prix immobiliers. La vente à la découpe des logements, illustration la plus brutale du libéralisme sauvage en cette matière, comme l'ensemble des dispositions en vigueur en matière de vente de logements appellent d'autres réponses que celles appliquées aujourd'hui.

Et si tous les acteurs s'accordent pour dénoncer une crise du logement profonde qui concerne désormais des couches de plus en plus importantes de la population, il est nécessaire de reconsidérer en profondeur le rôle de la puissance publique pour en faire le levier du respect du droit au logement.

Affirmé par la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1948, par les préambules de la Constitution de 1946 et de 1958 et les lois du 22 juin 1982, 6 juillet 1989 et 31 mai 1990, le droit au logement, qui, comme le droit à l'éducation et à la santé est fondamental et structurant pour les individus, les citoyens et l'avenir de la société, est largement bafoué dans les faits.

Le droit à un logement accessible et confortable, dans un environnement agréable, dans la commune et le quartier de son choix est, de fait, un rêve inaccessible pour la majorité de nos concitoyens.

Aujourd'hui, nous le savons, la demande de logements vient en tête des sollicitations et des préoccupations de nombre de nos concitoyens, de ceux que nous rencontrons dans nos circonscriptions. En France, trois millions de personnes sont mal logées et des centaines de milliers de familles habitent dans des logements inconfortables ou insalubres, où elles vivent dans des conditions inhumaines.

L'incendie de l'hôtel Paris-Opéra, le 15 avril dernier, est une terrible illustration de la gravité de la situation. Vous allez dire que je mélange tout, mais cet exemple est très évocateur de ce que je viens de dire.

M. le président. Madame Jambu !

Mme Janine Jambu. J'ai presque terminé, monsieur le président !

M. le président. C'est le mot « presque » qui est gênant ! (Sourires.)

Mme Janine Jambu. Ce drame met en exergue la nécessité de garantir une véritable sécurité sociale du logement.

L'ampleur et la profondeur de la crise actuelle appellent à desserrer l'emprise des critères marchands sur l'activité de logement par une politique volontariste d'investissement et d'intervention publique qui suppose un engagement national et solidaire en faveur du droit au logement.

La récente loi de décentralisation, passée en force au Parlement, prend, là encore, exactement le chemin inverse. Elle conduit à faire supporter aux seules collectivités, celles qui auront fait le choix solidaire du logement social, le poids du financement, de la réalisation, de la gestion du logement social. Elle contribuera demain à aggraver les phénomènes de relégation et de concentration des populations les plus fragiles et les plus en difficulté déjà alimentées par la spéculation immobilière, au moins dans les grandes agglomérations.

La logique selon laquelle tout doit être soumis à la loi du marché nous conduit donc visiblement à une impasse. Favoriser la libre concurrence d'un côté, priver la collectivité publique des moyens d'agir de l'autre : tels sont les deux axes de cette politique catastrophique qui nourrit chaque jour l'aggravation des inégalités et de la pauvreté.

Si l'on veut promouvoir des droits, il n'est donc d'autre issue que de refuser cette réduction de la société au « tout marché », ce qui, en matière de logement, nous conduit pour notre part à affirmer la nécessité de mettre en place un véritable service public national du logement garantissant l'égalité d'accès au logement partout et pour tous.

Par conséquent, nous voterons la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)


M. le président.
Par souci de correction vis-à-vis du rapporteur, je précise que les informations qui nous ont été respectivement transmises nous ont conduits à une interprétation divergente. Et s'il a bel et bien dépassé son temps de parole, c'était dans des proportions moindres que ce qui a été dit.

La parole est à M. Christian Decocq.

M. Christian Decocq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission des lois a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi que M. Le Bouillonnec vient de rapporter devant nous. Afin que chacun d'entre vous puisse pleinement apprécier les raisons qui ont conduit la commission à prendre cette décision, je reviendrai rapidement, avec objectivité et impartialité, sur le phénomène des ventes par appartement, communément appelé ventes « à la découpe ».

Selon une étude effectuée par la chambre des notaires d'Île-de-France sur ces pratiques à Paris de 1992 à 2004, étude que vous avez citée dans votre rapport, monsieur Le Bouillonnec, le nombre de logements vendus par appartements a augmenté entre 2001 et 2004, passant de 4 389 logements « découpés » en 2001 à 6 378 en 2002, mais cette évolution survient après une période d'étiage. Il faut rappeler, comme l'a fait à juste titre un de mes collègues, qu'en 1998, les ventes à la découpe concernaient plus 7 000 logements et, en 1999, encore plus de 6 500.

Si l'ampleur du phénomène n'est pas sans précédent, en revanche, le mouvement de contestation mené par certains collectifs de locataires, lui, est nouveau, et il donne une dimension conflictuelle à des opérations immobilières qui peuvent pourtant constituer une chance pour les locataires concernés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. Christian Decocq. En effet, lorsqu'un propriétaire vend par appartements un immeuble qu'il possédait en bloc, chaque locataire bénéficie en vertu de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 d'un droit de préemption sur le logement qu'il occupe.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Et les prix sont moins élevés !

M. Christian Decocq. Autrement dit, quelle que soit la cession conclue, le locataire pourra toujours se porter acquéreur, de préférence à tout autre, au meilleur prix.

Mme Martine Billard. Au meilleur prix ?

M. Claude Goasguen. C'est la loi !

M. Christian Decocq. Je sais que ce rappel est politiquement incorrect...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est pourtant la vérité ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Decocq. L'étude indique même que, pour la ville de Paris, « si l'on compare strictement le prix au mètre carré, les appartements vendus à la découpe sont en moyenne moins chers que les autres ». Cela veut tout simplement dire que cette pratique n'est pas si défavorable aux locataires qui souhaitent acheter leur logement. (Mêmes mouvements)

M. Patrick Bloche. Alors, pourquoi des milliers de locataires ne peuvent-ils pas acheter ?

M. Claude Goasguen. Parce que les banques verrouillent ! C'est sur le crédit qu'il faut travailler !

M. le président. S'il vous plaît ! On n'entend plus M. Decocq.

M. Christian Decocq. La hausse des prix concerne en fait l'ensemble des appartements mis sur le marché. Et ce n'est pas en se limitant à une seule catégorie d'acheteurs que l'on évitera l'emballement du prix de l'immobilier !

Si la pratique spéculative a un rôle certain dans la flambée des prix, son véritable fondement réside dans la grave crise du logement qui sévit dans notre pays. Ce n'est pas la vente par appartements qui entraîne la spéculation immobilière, mais la carence de logements disponibles sur le marché. Remédier à la pénurie de logements, voilà la clef de tout ! Cela permettrait d'atteindre l'objectif de l'article 1er de la loi de 1989, à savoir « l'exercice du droit au logement implique la liberté de choisir son mode d'habitation grâce au maintien d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ». Nous devons donc agir prioritairement sur l'offre de logements pour lutter contre la spéculation immobilière.

Depuis 2002, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont fait preuve de pragmatisme pour résoudre cette crise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Le plan de cohésion sociale voté en début d'année prévoit une relance sans précédent de la construction de logements locatifs sociaux : 500 000 logements en cinq ans. Nous avons aussi agi sur la mobilisation du parc privé grâce à l'aide accrue à l'ANAH. Notre action a porté non seulement sur l'offre, mais aussi sur la demande. Ainsi, le prêt à taux zéro a été amélioré dans un sens plus social, plus familial et il a été étendu à l'ancien.

Ces mesures n'empêchent pourtant pas dans certains quartiers des situations extravagantes, je le reconnais, et nombre de locataires ne peuvent exercer leur droit à l'acquisition. Pour eux, des accords collectifs de location ont été conclus entre des organisations de bailleurs et des associations de locataires, d'abord en 1998 et dernièrement en avril 2005, leur apportant des garanties supplémentaires quant à l'occupation de leur logement et à leur protection.

Certes, d'autres pistes, sans doute plus audacieuses, doivent être explorées, afin de permettre aux locataires d'exercer leurs droits même quand les prix montent. Aussi Mme Aurillac avait-elle, au nom de mon groupe, déposé sur le sujet une proposition de loi dès le mois de février, soit un mois avant celle du groupe socialiste.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Merci de le rappeler !

M. Patrick Bloche. Quinze jours avant !

M. Christian Decocq. Nommé rapporteur à la fin du mois de mars, j'ai déjà procédé à des auditions et je continue, afin d'aboutir à un texte réaliste et équilibré entre bailleurs et locataires.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Christian Decocq. Le légitime débat politique qui s'est instauré tout à l'heure aurait pu s'engager autour de la proposition antérieure à la vôtre. Vous avez préféré, chers collègues de l'opposition, hâter le mouvement. Disons-le franchement, vous avez voulu nous « griller » la politesse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Claude Goasguen. En faisant preuve d'une rare inélégance !

M. Christian Decocq. Vous avez ainsi pris le risque de légiférer dans l'urgence et de proposer un remède pire que le mal ! (Mêmes mouvements.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Absolument !

M. Claude Goasguen. Un remède purement démagogique !

M. Christian Decocq. En surprotégeant le créneau des ventes par appartements, on risque de renforcer les tensions sur le marché dans toutes les grandes villes de France.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Et de faire encore monter les prix !

M. Christian Decocq. La commission des lois, éclairée de la situation, ne pouvait que repousser votre proposition de loi. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à faire de même en ne votant pas le passage à la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Annick Lepetit. Vous n'avez aucun argument de fond !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si la crise actuelle du logement touche prioritairement nos concitoyens les plus modestes, elle frappe également les classes moyennes. Parmi toutes les causes régulièrement évoquées, le phénomène de la vente à la découpe, apparu au cours des années quatre-vingt-dix, a pris depuis quelque temps une ampleur inquiétante.

Les conséquences de la vente à la découpe sont brutales et dramatiques pour les locataires qui sont le plus souvent placés dans l'impossibilité de conserver leur logement. Sont ainsi évincées des personnes qui ne peuvent racheter leur habitation ou faire face à l'augmentation inévitable du loyer qui suit la vente. Ces opérations spéculatives alimentent la crise du logement en accentuant la flambée du prix de l'immobilier et celle des loyers.

M. Claude Goasguen. C'est l'inverse !

M. Patrick Bloche. Pas du tout, cher collègue !

Ce phénomène frappe désormais partout et il a pris une telle ampleur en si peu de temps que la mixité sociale est aujourd'hui menacée dans de nombreuses villes, et dans plus d'un quartier des plus importantes d'entre elles. Vous avez vous-même, monsieur le ministre, cité à titre d'illustration la ville de Villeneuve-d'Ascq située dans un département qui vous est cher. Parler de mixité sociale, mes chers collègues, c'est refuser une logique inexorable qui conduirait à ce que nos cités ne puissent être habitées à terme que par les plus aisés ou les plus aidés.

Selon une étude de la chambre des notaires d'Île-de-France citée par notre rapporteur, en 2004, 6 378 logements ont été vendus à la découpe à Paris, soit 15 % de l'ensemble des ventes dans l'ancien. En trois ans, les ventes à la découpe ont augmenté de près de 50 % et les premières données pour 2005 indiquent que le mouvement continue à s'amplifier. Il est également significatif de noter que, l'année dernière, l'arrondissement parisien le plus touché a été le xixe, loin de l'idée fausse, largement véhiculée, que les classes aisées des beaux quartiers, personnalités people en tête, seraient principalement touchées.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Les people sont de gauche, d'ailleurs !

M. Claude Goasguen. Il y a aussi des bourgeois dans le xix!

M. Patrick Bloche. Il y a donc une urgence sociale que traduit la mobilisation croissante des associations de locataires « découpés », mobilisation que le groupe socialiste a souhaité relayer au sein même de l'hémicycle dès l'automne dernier.

Ainsi, le 22 octobre et le 19 novembre derniers, dans le cadre de la discussion budgétaire, nous prenions l'initiative de déposer un amendement visant à réduire de quatre à un an - deux ans, finalement, après la réunion de la commission mixte paritaire - le délai de revente permettant à un marchand de biens de bénéficier de l'exonération des droits de mutation lorsqu'il procède à une vente par lots. L'adoption à l'unanimité, par notre assemblée, d'un amendement présenté par l'opposition, comme les propos tenus alors par notre collègue Gilles Carrez et par Dominique Bussereau, au nom du Gouvernement, étaient à la fois un signe politique fort et un encouragement à aller plus loin dans la protection des locataires victimes de ventes à la découpe.

Las ! six mois plus tard, force est de constater qu'il ne s'est strictement rien passé !

M. Claude Goasguen. Si, cela a fait augmenter les prix !

M. Patrick Bloche. Vous avez, monsieur le ministre, manifestement fait le choix funeste de vous cantonner dans le registre des intentions et des effets d'annonce répétés pour gagner du temps.

C'est apparemment une tactique habituelle de votre gouvernement, à laquelle il recourt dans bien des domaines, en particulier pour les intermittents du spectacle. Près de deux ans après le début du conflit, rien n'est encore réglé !

M. Claude Goasguen. Quel est le rapport ?

M. Patrick Bloche. Encore faut-il, pour être juste, porter au crédit du ministre de la culture les mesures transitoires qu'il a prises pour limiter les conséquences d'un accord légitimement contesté. Or, s'agissant des ventes à la découpe, même le minimum, sous la forme d'un moratoire demandé par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, dès le 16 janvier dernier, n'a pas été fait. Aurai-je la cruauté, monsieur le ministre, de rapporter ici la réponse de votre collègue Gérard Larcher à une question qui a été posée au Sénat le 27 janvier par Roger Madec : « Si nous n'avons pas choisi la voie du moratoire, c'est que ce gouvernement n'entend pas différer les problèmes mais les régler. Voilà pourquoi, dans les semaines qui viennent, nous réglerons ce dossier. » ? Les semaines ont passé et le dossier n'est pas réglé.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Cela prouve que c'est plus compliqué que prévu !

M. Patrick Bloche. Plus inacceptable à notre point de vue, vous n'avez pas commencé à le régler !

Au prétexte d'agir plus rapidement qu'en légiférant, vous avez, depuis le début de l'année, donné la priorité à la voie conventionnelle. Pourtant, l'échec était prévisible dès le départ.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. L'accord s'applique entre les signataires ! Ne mentez pas par omission.

M. Patrick Bloche. Dès le début du mois de février, monsieur le ministre, vous mettiez sur le devant de la scène médiatique un accord qui n'en était pas un, puisqu'une majorité d'associations de locataires siégeant à la Commission nationale de concertation refusait de le signer. Le texte, il est vrai, se contentait de faire du neuf avec du vieux en toilettant des dispositions déjà prévues dans l'accord collectif de 1998, ou par la jurisprudence. La montagne a accouché d'une souris et, il y a quinze jours, vous avez dû tirer vous-même les leçons de votre échec annoncé en indiquant que l'accord du 16 mars ne serait pas étendu par décret.

Vous évoquez aussi régulièrement le serpent de mer de la loi « habitat pour tous », notamment dans les réponses aux questions qu'Annick Lepetit, Tony Dreyfus et moi-même vous avons posées, au nom du groupe socialiste, le 26 janvier, le 23 mars et le 5 avril.


Dans un premier temps, à l'occasion de la présentation des vœux pour 2005, vous avez annoncé que le projet de loi serait présenté au conseil des ministres du 19 janvier puis, lors d'une conférence de presse le 3 février, au mois d'avril. Le 26 de ce mois vous avez repoussé l'échéance à la mi-juin et le 4 mai, vous indiquiez enfin que le projet de loi serait transmis incessamment au Conseil d'État.

Alors que personne aujourd'hui ne conteste que les dispositions légales et conventionnelles existantes ne permettent pas de résoudre le problème des ventes à la découpe, vous comprendrez aisément, monsieur le ministre, chers collègues de l'UMP, que les associations de locataires « découpés » et, avec elles, les parlementaires de l'opposition puissent légitimement perdre patience ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre délégué au logement et à la ville. La faute à qui ?

M. Patrick Bloche. D'où l'initiative, que vous ne pouvez pas contester, prise par le parti socialiste d'inscrire cette proposition de loi, présentée dès le 16 février dernier, dans la première niche parlementaire dont il dispose au cours du premier semestre 2005.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est faux ! Il y en a qui n'ont aucune conscience morale !

M. Patrick Bloche. La réaction de la majorité de notre assemblée est malheureusement identique à celle que nous avons connue lors de l'examen du projet de loi de cohésion sociale en décembre dernier. Deux amendements identiques, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition, introduisant une décote au bénéfice du locataire « découpé » souhaitant acheter son logement, avaient été adoptés à l'unanimité en commission des affaires sociales sur la proposition de Mme de Panafieu, rapporteure du volet logement de ce projet de loi - vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues. Mais, en séance, volte-face : Mme de Panafieu retire son amendement, je suis désolé de le rappeler, pour mieux faire repousser celui du groupe socialiste.

Quand l'intérêt général est en jeu, on ne peut agir avec une telle légèreté...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Arrêtez ce numéro ! Un peu de dignité ! Quelle mauvaise foi !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Comediante !

M. Patrick Bloche. ...et demander une nouvelle fois d'attendre ! Jusqu'à quand ?

Le 16 juin, dans sa sixième niche parlementaire depuis le début de l'année, le groupe UMP, si l'on en croit son président, présentera la proposition de loi de Martine Aurillac, dont l'intitulé, sociologiquement représentatif des deux arrondissements qui l'ont élue - « Droit de préemption des locataires en cas de vente d'un immeuble » - révèle que n'y est traité qu'un des aspects du problème, que notre proposition de loi aborde dans son article 8.

M. Christophe Caresche. Une législation cosmétique !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Vous parlez en expert !

M. Patrick Bloche. Pourquoi ce nouveau retard ? Faut-il chercher une autre raison qu'un refus politicien - je pèse mes mots - de la majorité de notre assemblée de discuter des articles d'une proposition de loi, pour le seul motif qu'elle émane de l'opposition ?

M. Claude Goasguen. Votre proposition de loi est absurde ! Lisez donc son article 17 !

M. Patrick Bloche. Ce manque de volonté, affiché par le Gouvernement et le groupe UMP, de légiférer ne révèle-t-il pas une contradiction plus profonde ?

M. Claude Goasguen. C'est faux !

M. Patrick Bloche. Laissez-moi terminer mon intervention, monsieur Goasguen !

Afin d'illustrer ma perplexité - je serai bref, monsieur le président - je prendrai un cas exemplaire : c'est celui, que je connais particulièrement bien et que notre rapporteur a cité, de la résidence du 39 bis rue de Montreuil, dans le 11e arrondissement de Paris.

Construite en 1987 et gérée, jusqu'à sa vente, par la Caisse des dépôts et consignations, elle a été financée par les fonds du 1 % logement : elle avait donc pour vocation de fournir du logement locatif intermédiaire aux classes moyennes. Or, cette résidence, rachetée au prix de 3 127 euros le mètre carré en 2004 et découpée par une filiale du Crédit foncier, a été revendue neuf mois plus tard à 4 557 euros le mètre carré, soit une plus-value de près de 50 % ! Cette opération, malheureusement classique dans sa dimension spéculative, l'est moins en ce qui concerne ses acteurs principaux, à savoir la Caisse de dépôts et consignations et le Crédit foncier, qui contribuent ainsi au développement des ventes à la découpe, alors qu'ils sont censés prêter leur concours aux pouvoirs publics dans leur politique du logement.

On est alors en droit de se demander si les ventes à la découpe ne seraient pas le nouveau modèle de financement du logement social. Celui-ci ne serait plus financé par des apports annuels de fonds publics, qui font d'ailleurs aujourd'hui cruellement défaut (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ...

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Arrêtez !

M. Patrick Bloche. ...mais par les locataires eux-mêmes, en pratiquant la vente à la découpe du parc de logements à vocation sociale arrivé à maturité !

Pour lever toute ambiguïté, la seule solution est de nous reporter à ce que, monsieur le ministre, vous m'aviez répondu le 26 janvier dernier dans cet hémicycle : le dossier des ventes à la découpe est « une grande cause qui nous rassemble ».

Cette « grande cause » nous incite à ne pas suivre la commission des lois et à passer à la discussion des articles de notre proposition de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Craignez, sinon, que le mot d'ordre des dizaines de milliers de locataires concernés ne soit, demain, « la découpe est pleine » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen. C'est, plutôt, « coupez la tête » ! Votre projet de loi, c'est 93 !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Vous croyez à ce racket ?

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, le Parlement tout entier - Assemblée nationale et Sénat - est préoccupé par le phénomène des ventes en bloc, appelées par antiphrase « vente à la découpe » et pratiquées par les investisseurs institutionnels : compagnies d'assurances, banques - dont la Banque de France -, voire municipalités !

Cette politique n'est pas nouvelle, mais elle s'est considérablement développée sur certains sites. Elle consiste à vendre un immeuble en bloc, souvent après appel d'offres, à un intermédiaire qui, agissant en marchand de biens, revend à un autre intermédiaire qui fait de même, jusqu'à la phase finale de revente au détail - ou « à la découpe ». En l'état du droit, les locataires « vendus » avec l'immeuble ne disposent ni du droit de préemption, prévu par la loi du 31 décembre 1975 modifiée en 2000, sauf dans la phase ultime, et au prix exorbitant qui est alors atteint, ni même d'un droit d'information. Nombreux sont ceux qui doivent évidemment renoncer à acheter.

Devant un tel fléau, qui sévit surtout dans les grandes villes, et frappe de façon générale les classes moyennes - les familles et les personnes âgées étant les plus touchées -, deux réactions sont possibles.

La première étend l'information et le droit de préemption dès la première vente, en organisant, naturellement au prix de cette vente, une sorte de copropriété préventive. Cette mesure supprime la plus-value purement spéculative et sans aucune valeur ajoutée, que réalisent aujourd'hui les intermédiaires marchands de bien. Elle respecte le droit de propriété. C'est l'objet de la proposition de loi, datée de février 2005, que j'ai déposée avec plus de 150 collègues représentant toutes les régions de France.

La seconde réaction, tout à fait complémentaire, est une réponse immédiate de protection sociale. Les mesures qu'elle prévoit visent à atténuer la rigueur de la vente, sans faire disparaître l'essentiel de la plus-value : maintien dans les lieux des personnes âgées de plus de soixante-dix ans, protection des familles par un délai supplémentaire de trente mois, prolongé jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours, évaluation de l'ancienneté ou encore proposition de relogement aux locataires dont les revenus sont inférieurs à 6 300 euros par mois. Elles ont fait l'objet d'un projet de convention fort utile, négocié entre les organisations de bailleurs et de locataires avec l'appui du Gouvernement. Mais l'accord du 16 mars dernier a, malheureusement, été finalement dénoncé.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Par qui ?

Mme Martine Aurillac. Il faut donc en passer par la loi pour instaurer le principe de la suppression des plus-values spéculatives ainsi que les mesures sociales envisagées dans la convention. C'est évidemment dans cette direction que la commission des lois poursuivra son travail,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Martine Aurillac. ...et je ne doute pas que vous aurez à cœur, mes chers collègues, de présenter de nombreux amendements.

Vous nous soumettez aujourd'hui une proposition déposée en mars 2005, un mois après la mienne - je n'insiste pas sur l'élégance du procédé ! - et alors que le rapporteur désigné avait déjà largement entamé son travail.

Mme Françoise de Panafieu. Cela ne s'appelle pas de la récupération, peut-être ?

Mme Martine Aurillac. Votre texte tente de reprendre un peu des deux formules. Mais une lecture même rapide montre qu'elle les noie dans un magma de dispositions aussi compliquées que perverses, qui sont de nature à bloquer le marché de l'immobilier et à soumettre les bailleurs à des contraintes générales et permanentes nuisant gravement à leur mission. Que dire, par exemple, de la proposition visant à permettre au maire de suspendre la mise en copropriété jusqu'à ce que le bailleur démontre, après enquête publique, qu'il maintient un nombre suffisant de logements locatifs ?

M. Claude Goasguen. C'est 93 ! L'article 17 est inadmissible !

Mme Martine Aurillac. Outre une atteinte évidente au droit de propriété qui est, je vous le rappelle, garanti par la Constitution,...

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous avez une méconnaissance totale du droit locatif ! Et la loi de 1948 ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'était en 1948 ! Il est vrai que c'est votre référence !

M. Claude Goasguen. C'est de la folie !

Mme Martine Aurillac. ...le résultat d'une telle disposition serait clair : blocage du marché, alors que c'est sa fluidité qui doit être recherchée, et paralysie de la politique, unanimement souhaitée par nos concitoyens, d'accès des ménages à la propriété de leur logement. On créerait, comme en 1939 et en 1948, des rentes de situation sans contribuer de manière équilibrée à résoudre la crise du logement, alors qu'en la matière tout est une question d'équilibre.

Mais il n'est pas nécessaire d'aller plus avant au fond. La forme suffit. Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, nous ne pourrons ni examiner votre proposition de loi ni y souscrire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la crise du logement en France est de plus en plus aiguë. Elle est certainement, avec le chômage et le travail précaire, l'un des principaux défis à la cohésion sociale. Elle renforce la ségrégation sociale et territoriale et enracine l'existence de ghettos de riches et de ghettos de pauvres. La question posée est donc bien celle du modèle de villes que nous souhaitons.

La crise du logement a des aspects multiples. Elle se traduit tout d'abord par la pénurie de logements HLM accessibles aux familles les plus modestes et par des listes d'attente d'autant plus interminables que de nombreux maires refusent encore d'appliquer la règle des 20 % de logements sociaux fixée par la loi.

Cette crise tient également à la dérégulation totale du parc locatif privé : les loyers flambent depuis plusieurs années, du fait, notamment, de la spéculation entretenue par des marchands de biens. Ceux-ci font payer au prix fort le maintien d'une offre de logements alors que les bureaux apparaissent comme plus rentables. Les loyers pratiqués par les particuliers tendent alors à s'aligner sur ceux pratiqués par les sociétés d'investissement si bien que trouver un logement locatif abordable devient « mission impossible ».

Paris, sa couronne et les centres de nombreuses grandes villes - Lyon et Marseille notamment - connaissent un phénomène d'éviction des classes populaires et des classes moyennes. Les ventes à la découpe se sont accélérées avec le désengagement du marché locatif des investisseurs institutionnels qui géraient les immeubles en monopropriété, souvent dans le cadre du 1 % logement. Les logements sont vendus à des marchands de biens qui cherchent les meilleurs placements et revendent par lot en faisant d'énormes plus-values, sans même avoir effectué les plus minimes travaux - c'est nouveau - et sans égard pour les drames humains ainsi créés. C'est ainsi que le groupe américain Westbrook ou le groupe Jessina ont mis des quartiers de Paris littéralement en coupe réglée.

C'est notamment le cas de l'îlot des Arquebusiers dans le 3e arrondissement de Paris - opération du groupe Wesbrook - : les prix pratiqués défient toute concurrence et interdisent naturellement aux locataires d'acheter leur logement.

Un tel phénomène ruine toute politique de mixité sociale et aiguise la crise générale du secteur locatif. Les loyers du privé devenant inabordables au plus grand nombre, le parc social ne désengorge pas. Ainsi la rupture de la fluidité de ce que l'on appelle le « parcours résidentiel » augmente, en bout de chaîne, les difficultés d'accès à un toit pour les plus démunis. Derrière ce mécanisme économique, ce sont des familles entières qui se retrouvent précarisées et chassées du centre des villes. Le principe du « droit au logement » est réduit à bien peu.

Mais alors que la loi « Habitat pour tous » nous est promise depuis des mois, on ne sait toujours pas si elle sera discutée à l'Assemblée avant la fin de la session parlementaire. Pourtant, les collectifs de locataires victimes des ventes à la découpe, collectifs qui se constituent à Paris et dans les autres grandes villes, disent unanimement la nécessité et l'urgence qu'il y a à légiférer. C'est pourquoi je salue la démarche du groupe socialiste qui, face à l'immobilisme du Gouvernement, a déposé cette proposition de loi en profitant de sa niche parlementaire. Elle a pour objet de renforcer la protection des locataires victimes de ventes à la découpe, dans le cadre de la nécessaire régulation de l'ensemble du parc locatif.

Mme Annick Lepetit. Très bien !

Mme Martine Billard. En décembre dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de cohésion sociale, on nous avait promis des décisions rapides. J'avais déposé au nom des députés Verts plusieurs amendements visant à empêcher les ventes à la découpe à visée spéculative, en distinguant le principe général des congés-ventes, qui constituent une garantie pour les petits propriétaires sur leurs biens, et les congés-ventes massifs, à visée spéculative, pratiqués à grande échelle par des marchands de biens. Il s'agissait de remettre en cause non pas le droit de propriété...

M. Claude Goasguen. Et l'article 17 ?

Mme Martine Billard. ...mais le droit de spéculation, ce qui n'est pas la même chose ! Ainsi, mon premier amendement visait à modifier la loi de 1989 sur les rapports locatifs, afin de rendre nuls les congés pour vente dans les opérations d'achat et de revente à la découpe spéculative. Quant à mon deuxième amendement, il visait à instituer un « permis de diviser » afin de donner aux maires un outil d'intervention visant à garantir le maintien d'un parc locatif privé dans les villes, ou les zones, dont le marché est tendu.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas vrai !


Mme Martine Billard
.
À l'époque, le Gouvernement et la majorité avaient refusé tous les amendements de l'opposition, prétextant que des négociations allaient venir. Or l'accord minoritaire conclu le 16 mars dernier ne permet pas de protéger de façon générale les locataires victimes : au mieux, il améliore à la marge la situation de quelques catégories ciblées comme les personnes âgées - mais uniquement celles qui ont plus de soixante-dix ans - et, au cas par cas, celle de personnes particulièrement fragiles. De telles dispositions engendrent automatiquement des effets de seuil : une personne qui n'aura pas atteint soixante-dix ans à quelques mois près ne sera pas protégée, alors que l'on sait bien que, passé un certain âge - et ce bien avant soixante-dix ans -, il devient presque impossible d'obtenir des prêts si l'on ne dispose pas d'un capital considérable, auquel cas la question de la protection des locataires ne se pose plus vraiment.

On nous a accusés à plusieurs reprises de prendre la défense de locataires assujettis à l'ISF. Ce n'est pas sérieux ! S'il en existe quelques-uns,...

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Il y en a plus que quelques-uns !

Mme Martine Billard. ...et certains sont célèbres, dans les catégories concernées, ils ne représentent qu'une infime minorité par rapport aux locataires modestes ou issus des couches moyennes qui sont massivement touchés par la spéculation.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Ils sont surtout massivement protégés par l'accord...

Mme Martine Billard. Pas du tout : en dessous de soixante-dix ans, on ne l'est pas !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Vous n'avez manifestement pas lu la loi, madame.

Mme Martine Billard. La proposition de Mme Aurillac oublie les locataires qui n'ont pas les moyens d'acheter ou qui ne peuvent obtenir un prêt en raison de leur âge ou de leur état de santé. Aussi doit-on absolument revenir sur l'amendement fiscal Marini, dont l'adoption a dopé la spéculation, et empêcher les travaux abusifs visant à harceler les locataires pour les pousser dehors plus rapidement, car il est particulièrement difficile de retrouver un logement dans certaines agglomérations.

M. Claude Goasguen. C'est bien pourquoi il faut relancer la construction !

Mme Martine Billard. Cette proposition de loi du groupe socialiste offre le moyen de commencer à avancer et de répondre à l'urgence. Alors que le sujet est en discussion depuis des mois, les locataires victimes de telles pratiques attendent toujours. Et l'on nous répond une fois de plus que ce n'est pas le moment et qu'il faut attendre une autre proposition de loi ! Lorsqu'il s'est agi d'« assouplir » les 35 heures, le Gouvernement a montré sa capacité à répondre rapidement à une proposition de loi de l'UMP. Je constate qu'il n'en va pas de même pour les locataires victimes de la spéculation.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Mais si !

Mme Martine Billard. Des centaines d'entre eux attendent avec impatience et angoisse que le Gouvernement tienne ses promesses. C'est pourquoi je voterai pour la proposition du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on pourrait penser, en écoutant certains, que le thème de ce matin n'intéresse que quelques arrondissements parisiens, ou tout au plus des départements franciliens. Or il faut se rendre à l'évidence : la vente à la découpe concerne aussi les grandes agglomérations, voire les villes moyennes.

Faut-il pour autant la condamner alors qu'il a été prouvé, dans un passé encore récent, qu'elle contribuait à l'accession à la propriété et pouvait avoir des effets sur la fluidité du marché ? En vérité, c'est la spéculation qui est en cause aujourd'hui, la brutalité d'intervention des intermédiaires, et pas seulement des fonds de pension anglo-saxons.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Ils ne viennent en effet pas toujours d'Outre-Atlantique. D'ailleurs, vous connaissez bien ceux qui sévissent ici, monsieur Dumont...

M. Jean-Louis Dumont. Oui : on peut mentionner les investisseurs institutionnels, dont la Caisse des dépôts et consignations. Je ne reviendrai pas sur l'exemple donné par M. Bloche, sauf pour en tirer un enseignement. Les ventes à la découpe, assorties de spéculation, d'immeubles construits il y a vingt ans avec le 1 % logement peuvent apparaître aujourd'hui, dans le cadre du marché libre du logement, comme un laboratoire du financement à venir du logement locatif.

Que la Caisse des dépôts et consignations veuille valoriser son patrimoine pour financer d'autres opérations, quoi de plus normal ? Mais pourquoi ne s'est-elle pas adressée à la Foncière, qui doit précisément, de par la loi, constituer dans les quinze ou vingt prochaines années un patrimoine immobilier locatif, généralement intermédiaire, pour le financement des retraites ? Celle-ci, autant que je sache, n'est pas intervenue. Par contre, la Caisse a vendu à une société appartenant à la nébuleuse que constituent ses propres filiales, celles de la Caisse d'épargne et celles du Crédit foncier. Toute l'opération de la rue de Montreuil est menée par un même groupe qui réalise une plus-value de 50 % ! La Caisse peut toujours faire valoir ces résultats dans le rapport préliminaire qu'elle vient de nous communiquer, mais je vous signale, monsieur le ministre, qu'elle est en train de déconventionner son parc au travers de ses filiales. Certes, le locataire, aujourd'hui, ne voit pas son loyer actuel augmenter, mais lorsque dans dix ans le déconventionnement laissera toute liberté au propriétaire, il deviendra possible de vendre, d'augmenter les loyers, bref, de faire ce que l'on veut. Voilà le travail de la SNI et d'ICADE, et ils s'en vantent ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué au logement et à la ville. C'est faux ! La convention est appliquée !

M. Jean-Louis Dumont. Non, monsieur le ministre : il y a bien déconventionnement. Vous verrez le résultat dans dix ans ! Le patron de la société lui-même nous l'affirmé : nous étions quelques députés à l'auditionner, mais on n'a pas daigné donner la parole, dans ce débat surtout parisien et francilien, au provincial que je suis.

Je rappelle au passage, mes chers collègues, que le conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignation est dirigé par des parlementaires : c'est même un de nos collègues qui en est le président ! Il serait bon, dès lors, que nous fassions attention aux politiques menées par ladite Caisse, car c'est le Parlement qui se trouvera mis en cause lorsque l'on s'apercevra des méthodes de travail actuelles.

Monsieur le ministre, si un préfet de l'Essonne a refusé les conditions de vente à l'une des filiales de la Caisse des dépôts et consignations, j'en connais un autre qui propose, par la voix du directeur régional de l'équipement, de sectoriser le futur patrimoine du logement locatif social - dont tous ici souhaitent qu'il soit relancé dans le cadre du renouvellement urbain - en réservant le 1 % de l'UESL à une partie du parc, tandis que les interventions publiques seront réservées à l'autre partie. Qu'en sera-t-il dans dix ans ? Vraiment, c'est préparer la découpe ! J'espère que vous vous y opposerez, monsieur le ministre : c'est un préfet de votre région qui a osé faire cela !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. La question ne m'avait pas échappé, monsieur Dumont, et je m'en suis déjà occupé.

M. Jean-Louis Dumont. Cela me rassure.

M. le président. Au risque de vous faire de la peine, monsieur Dumont, je vous signale qu'il vous faut conclure.

M. Jean-Louis Dumont. Étant très discipliné, contrairement à ce que vous pensez peut-être, monsieur le président, je conclurai par une question à M. le ministre : le patrimoine du logement aidé, que ce soit par le 1 %, par des fonds d'État ou par les collectivités locales, appartient-il toujours à la nation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Bonne intervention !

M. le président. La parole est à Mme Françoise de Panafieu.

Mme Françoise de Panafieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je ne reviendrai pas sur le mécanisme de la vente à la découpe, dite aussi vente par appartements, que mes collègues ont déjà très bien expliqué, et me contenterai de quelques rectifications et rappels.

Le phénomène des ventes à la découpe n'est pas nouveau. En 1998, 7 030 appartements ont été ainsi vendus, pour 6 378 en 2004. Il n'y a donc pas augmentation, mais légère diminution. On peut s'attendre, pour 2005, à un chiffre semblable. Si les chiffres sont stables, pourquoi le sujet est-il devenu si brûlant ? C'est qu'auparavant ces ventes ne concernaient que deux parties, le propriétaire institutionnel et le locataire, alors que depuis deux ans est arrivée une troisième partie : les « intermédiaires », que j'ai pu appeler aussi des cow-boys, ainsi que Mme Jambu l'a relevé.

M. Jean-Louis Dumont. Pourtant, vous les protégez !

Mme Françoise de Panafieu. Ces fonds de pension se sont mal comportés avec les locataires. Ce sont eux qui ont provoqué ces difficultés. S'ajoutent à cela la hausse du loyer dans toutes les villes, grandes ou moyennes, et la pénurie d'appartements qui empêchent les locataires de se retourner. Évitons donc les fantasmes et regardons les choses comme elles sont pour poser notre diagnostic. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il est vrai que, lors de l'examen du projet de loi de cohésion sociale, nous avions déposé un amendement, mais nous avons finalement préféré laisser la commission nationale de concertation faire son travail (« Quelle erreur ! » sur les bancs du groupe socialiste) et proposer un nouvel accord, qui a été signé le 16 mars dernier par les bailleurs et deux associations de locataires, trois ayant refusé.

Aux termes de cet accord, toute décision du bailleur de mettre en vente un lot de plus de dix logements dans le même immeuble doit faire l'objet d'une information en direction des locataires le plus tôt possible. L'information doit être à la fois générale et précise, présentant un diagnostic de l'état de l'immeuble et mentionnant les travaux réalisés et à venir. Elle doit également être individuelle et comporter le prix de vente de l'appartement. À ce stade, le locataire peut faire état des travaux d'amélioration qu'il a entrepris. Il peut aussi demander au bailleur une prorogation de son bail, dans la limite de trente mois, pour l'obtention d'un prêt, la vente d'un bien immobilier, un départ à la retraite ou une mutation professionnelle.

Ensuite, l'accord protège certains locataires qui ne peuvent pas acheter leur appartement. Cette situation se rencontre vraiment : ce n'est nullement un fantasme. Pour ceux dont les revenus sont inférieurs au plafond PLI, le congé doit être accompagné d'une offre de relogement. À titre d'exemple, ce plafond est de 77 902 euros, soit 6 491 euros par mois, pour une famille de trois enfants à Paris.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Précisons qu'il s'agit du revenu imposable !

Mme Françoise de Panafieu. Sont ainsi protégés plus de 85 % des ménages français.

De surcroît, l'accord impose le renouvellement de plein droit du bail pour les personnes souffrant de graves problèmes de santé, pour celles qui sont âgées de plus de soixante-dix ans et ne sont pas assujetties à l'ISF, et pour celles qui sont titulaires d'une rente d'invalide du travail.

Le non-respect de ces dispositions entraîne de plein droit la nullité du congé de vente.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Mais cet accord n'existe pas !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Mais bien sûr que si ! Et il s'applique !

M. Christophe Caresche. Il n'a pas été signé !

Mme Françoise de Panafieu. Cet accord existe bien. M. le ministre tentera de l'expliquer à ceux qui ont choisi d'être sourds !

Cependant, au-delà de cet accord, il faut s'attaquer aux causes de la crise immobilière, comprendre pourquoi les investisseurs institutionnels se désengagent et lancer un véritable plan Marshall du logement. C'est une cause d'intérêt national. Des mesures doivent être prises pour faire revenir les investisseurs sur le marché locatif. Il faut mobiliser l'ensemble des opérateurs économiques et publics. Le Gouvernement y travaille : le plan de cohésion sociale a programmé la construction de 500 000 logements en cinq ans, ce que les gouvernements socialistes n'ont jamais fait : on en était à 39 000 logements par an lorsque M. Jospin était Premier ministre. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

De nombreux partenariats voient le jour et des conventions sont signées entre les acteurs sociaux et les politiques. Plusieurs outils ont été créés ou modernisés : le prêt à taux zéro, qui favorise l'accession sociale à la propriété, le dispositif Robien, qui encourage l'investissement locatif - n'oublions pas que, sur 5,5 millions environ de logements locatifs, 93 % sont loués par des personnes privées.


Enfin, l'attitude des collectivités publiques est déterminante en la matière. Que dire de villes comme celle de Lyon, qui a vendu un ensemble immobilier à la société Cargill pour 87 millions d'euros, soit 2 000 euros le mètre carré, laquelle société a revendu, un an plus tard, les mêmes appartements à 3 200 euros le mètre carré ? Je n'aurai pas l'outrecuidance de rappeler qui est le maire de Lyon. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant à la ville de Paris, elle baisse son coefficient d'occupation des sols de 3,25 à 3. Dans ces conditions, comment construire davantage d'appartements pour desserrer l'étau ? Comment faire lorsque aucun appartement neuf n'est proposé à la location des classes moyennes par une municipalité, comme c'est encore le cas actuellement à Paris ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Bloche. C'est faux ! Scandaleux !

M. Claude Goasguen. Ce sont les Verts qui bloquent les projets !

Mme Françoise de Panafieu. Les maires sont évidemment responsables quand ils créent la pénurie en raison d'une politique du logement inadaptée.

Monsieur le ministre, la présente proposition de loi n'est pas crédible. Qu'est-ce que cette référence au prêt locatif intermédiaire que la mairie de Paris, comme d'autres mairies socialistes, ne pratique plus du tout ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Il vous faut conclure, madame !

Mme Françoise de Panafieu. On y retrouve un peu des idées de Mme Aurillac, que je salue au passage et qui fait un travail remarquable sur la question. On retrouve aussi un peu de vos idées, monsieur le ministre, au détour de ce texte. Mais on y retrouve surtout, à l'article 17, un beau saccage du droit de propriété !

Dans ces conditions, vous comprendrez que nous refusions de voter cette proposition de loi et que nous attendions l'examen de celle de Martine Aurillac, le 16 juin. (Applaudissements sur les bancs sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme Annick Lepetit. En somme, il est urgent d'attendre !

M. le président. La parole est à M. Christophe Masse.

M. Christophe Masse. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat qui se déroule aujourd'hui, à l'initiative du groupe socialiste, porte sur le renforcement de la protection des locataires victimes de ventes à la découpe. Nous espérons qu'il permettra enfin de mieux réguler un tel procédé, longuement décrit par les orateurs précédents.

Madame Aurillac, dont je ne remets pas en cause la bonne volonté, vous avez pu constater vous-même depuis des mois l'apathie, l'inertie du Gouvernement. Souffrez que nous jouions ici le rôle d'accélérateurs, pour faire avancer ce dossier.

Problème de société maintenant récurrent à Paris, la vente à la découpe s'est étendue dans de nombreuses autres villes. Poser le débat, c'est revenir sur des questions de mixité sociale bien connues, mais auxquelles les réponses apportées jusqu'à ce jour sont très insuffisantes.

En effet, seule une loi peut aujourd'hui garantir aux locataires victimes de ces ventes à la découpe des protections suffisantes - maintien dans leur logement ou relogement dans des conditions équivalentes, respect des populations les plus fragiles.

Il est indispensable d'adopter une attitude qui renforce la protection des locataires et qui règle plus strictement la profession des marchands de biens.

Pour illustrer le fait que ce procédé se développe dans de nombreuses grandes villes, je vous apporterai mon témoignage concernant les nombreux projets de ventes à la découpe à Marseille.

Ces projets sont pratiquement tous localisés sur la rue de la République, au cœur même de l'opération nationale de réhabilitation baptisée « Euroméditerranée ». Sur cette grande artère marseillaise, composée de vieux immeubles de cachet, de type haussmannien, deux opérateurs évoluent : le premier est Lone Star, fonds de pension américain, qui gère 128 immeubles dont 1 311 logements et 331 commerces ; le second est Eurazeo, filiale du groupe bancaire Lazard, qui gère 1 350 logements.

Certes, tous les appartements ne sont pas occupés et certains locataires ont les moyens d'acquérir leur appartement mais, comme à Paris, de nombreuses associations de locataires, de commerçants et de riverains se sont élevées contre le cynisme et la mauvaise foi des propriétaires gestionnaires : envoi de lettres de congé sans proposition de relogement, augmentation des loyers de plus de 20 %, relogement dans des conditions inacceptables, pressions diverses pour faciliter des départs qualifiés de « volontaires ». Bref, une vraie politique d'intimidation où le respect de la personne humaine ne semble plus avoir sa place face aux enjeux financiers. Et nous savons très bien, madame de Panafieu, qui est le maire de Marseille ...

Les catégories les plus touchées dans ces quartiers sont évidemment les gens aux revenus les plus modestes, les personnes âgées, souvent très perméables aux pressions et aux intimidations. Que faire pour ces populations qui ne pourront certainement pas se permettre ni d'acquitter les loyers des appartements réhabilités, ni les racheter ?

Tout cela démontre bien que les opérations qui peuvent se révéler indispensables à la requalification d'un quartier, comme c'est le cas à Marseille, ou indispensables à l'accession à la propriété, ne peuvent se tenir sans le respect des principes de mixité sociale afin d'éviter de repousser encore plus vers les zones périphériques une certaine catégorie de population, la plus fragile, déjà pénalisée par l'explosion de l'immobilier.

Si Marseille gagne, paraît-il, des milliers d'habitants chaque année, elle en perd au moins tout autant, et si des familles entières venant de nombreuses régions de France viennent goûter au climat méditerranéen, ce sont « les enfants de Marseille » qui sont obligés de quitter leur ville !

Le « mal logement » est un constat régulier et l'on s'aperçoit que nous sommes toujours en situation de crise et que l'on s'y enfonce sournoisement.

Marseille concentre près de 30 000 sans logis. Tout le monde est désormais concerné, puisque le travail ne garantit plus un toit, que l'on voit des salariés, des fonctionnaires grossir les rangs des sans domicile permanent à cause des pratiques immobilières qui les excluent.

Pour mettre un terme à ce désastre humain, il faut bien sûr développer la politique de construction des logements de demain, mais il faut aussi, pour aujourd'hui, faire en sorte de contenir le dispositif existant de vente à la découpe - ce qui, de par le droit de propriété actuel et en l'absence de législation, ne peut être le cas - et de le réguler par un outil législatif.

Dans ce projet, le rôle de la puissance publique, qui a déjà été soulevé, est central et pourtant ignoré par les mesures conventionnelles gouvernementales, largement insuffisantes et toujours incantatoires.

Si quelques « mesurettes » adaptées aux populations les plus âgés ont été prises, rien n'est encore perceptible pour les classes moyennes, qui se trouvent une nouvelle fois sanctionnées. Il conviendrait, pour elles, de faciliter la recherche de délais supplémentaires pour trouver une autre solution de logement ou les financements nécessaires pour pouvoir acheter.

En conclusion, les mesures concrètes énoncées dans cette proposition de loi vont permettre de faciliter l'accès à la propriété de ceux qui le souhaitent, de maintenir dans les lieux les autres locataires et de réglementer la profession de marchands de biens, l'ensemble garantissant réellement la mixité sociale et ralentissant les tendances spéculatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Tony Dreyfus, dernier orateur inscrit dans la discussion générale, pour cinq minutes.

M. Tony Dreyfus. Monsieur le ministre, je vous ai posé une question d'actualité, lors de nos séances traditionnelles, et vous m'avez traité de « pompier pyromane ». Il s'agissait là d'un procès d'intention non fondé : car pompier je suis, mais pyromane je ne l'ai jamais été ! J'ajoute que j'ai gardé de ma profession d'avocat, que je continue d'exercer, mon goût de convaincre, et je reste persuadé que j'y parviendrai, tout comme mes amis socialistes - peut-être pas aujourd'hui, mais demain ou après-demain. Car la proposition rapportée par M. le Bouillonnec est un texte de bon sens qui mérite d'être discuté.

M. Claude Goasguen. Mais enfin, lisez l'article 17 ! Il n'est pas acceptable !

M. Christophe Caresche. Il ne s'agit pas du traité constitutionnel. Inutile de débattre à coups d'articles !

M. Tony Dreyfus. Comme vous le savez, monsieur le ministre, je suis élu de Paris, maire d'un arrondissement de l'Est parisien. Et comme vous-même et la totalité de mes collègues, nous sommes conscients que la pénurie de logements constitue un danger.

Quand nous mettons en avant la nécessité de mixité sociale, ce n'est pas par idéologie, mais parce que nous souhaitons éviter les ghettos, que ce soient des ghettos de riches ou de pauvres. Ce qui se passe aujourd'hui quand nous rencontrons des difficultés à maintenir l'ordre public ne peut que nous convaincre que la constitution de tels ghettos est à l'origine d'excès et de situations abominables. Quant à la pénurie, nous savons très bien qu'elle entraîne des pratiques insupportables.

Je n'entends pas donner de leçons, mais j'ai remarqué quelques petites inexactitudes. Qu'est-ce qui est à l'origine du développement de ces ventes à la découpe ? Avant tout, un statut fiscal assez favorable - c'est l'amendement Marini.

Mme de Panafieu nous a dit qu'auparavant, il y avait davantage de ventes à la découpe. Mais ce n'étaient pas les mêmes !

M. Jean-Louis Dumont. Exactement !

M. Tony Dreyfus. Celles-ci étaient réalisées par des institutionnels, comme l'Assistance publique. Mais elles s'accompagnaient d'une discussion bilatérale avec les locataires ; et il n'y avait pas d'expulsions sanglantes !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. C'est bien pour cela qu'il fallait étendre l'accord !

M. Tony Dreyfus. Je n'ai pas perdu l'espoir de vous convaincre. La politique des petits pas existe, même à l'Assemblée nationale.

Dans ces conditions, nous avons mis l'accent sur les limites que devaient connaître les marchands de biens. Car je crois que ceux-ci ne peuvent pas être les organisateurs de notre société.

Nous avons raison de demander qu'il y ait taxation à partir du moment où la vente intervient avant deux ans ; une telle mesure fiscale me semble nécessaire.

Nous avons raison de demander qu'il y ait une réglementation de la profession de marchand de biens, comme l'a fait Mme Lepetit qui souhaitait s'étendre sur ce point.

Monsieur le ministre, comme vous l'a très bien dit tout à l'heure le rapporteur, nous souhaitons, par l'examen de cette proposition de loi, éviter les transactions sur les biens immobiliers touchant à la vie des familles. Car elles n'ont pas la même nature que les transactions sur les valeurs mobilières.

Cette proposition de loi ne touche pas aux agissements et à l'activité des personnes physiques, mais uniquement à l'activité de personnes morales, c'est-à-dire de fonds. Le ministre comme la majorité de cette assemblée devraient pouvoir comprendre qu'il n'est pas possible de laisser faire plus longtemps certains fonds américains ou anglo-saxons, qui ne considèrent que la valeur marchande des biens pour s'assurer des acquéreurs, au risque de traumatiser une grande partie des personnes concernées.

Monsieur le ministre, la proposition déposée par le groupe socialiste mérite une discussion. On ne peut pas la rejeter globalement en s'appuyant sur des arguments déontologiques.

M. Claude Goasguen. Vous ne l'avez pas lue, monsieur Dreyfus !

M. Tony Dreyfus. J'ai participé à sa rédaction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

(M. Éric Raoult remplace M. François Baroin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.


M. Pascal Clément
,
président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de dire un mot avant que le ministre ne réponde aux orateurs et aux auteurs de la proposition de loi.

Je voudrais dire la gêne que j'ai éprouvée en lisant un journal du matin parisien. Les élus socialistes parisiens répondraient enfin à un problème qui laisserait sans réaction la majorité, en particulier les élus UMP de Paris. Or cette information est fausse. Ce n'est pas honnête de charger la presse de la diffuser.

Généralement, le travail de notre commission des lois nous permet d'écouter toutes les sensibilités et d'avoir une relative compréhension mutuelle. Jamais nous n'avions assisté à cette petite course à l'échalote, qui permet au PS, grâce à la date de sa niche parlementaire, de passer avant nous. Vous avez dit, monsieur Bloche, que vous vouliez déposer cette proposition de loi dès votre première niche parlementaire. Cela est faux puisque votre groupe avait inscrit - et le président Ayrault, ici présent, ne me contredira pas - un débat sur la politique étrangère.

M. Patrick Bloche. Quelle importance ? C'est un détail !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Le président Debré en ayant décidé autrement, cette proposition de loi n'intervient qu'en deuxième choix, dans le seul but de doubler celle de Mme Aurillac, qui avait été déposée un mois avant.

M. Patrick Bloche. Dix jours !

M. Pascal Clément, président de la commission. Ne faites pas croire, monsieur Bloche, en particulier aux médias, que c'est le groupe socialiste à l'Assemblée nationale qui s'est manifesté le premier face à ce problème. Ce sont bien les élus UMP de Paris !

Je dois faire part de mon effarement devant les propositions économiques figurant dans la proposition de loi. Je sais bien que le 10 mai est pour vous une date anniversaire, mais je constate que depuis le 10 mai 1981, le parti socialiste n'a rien appris en économie. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Marylise Lebranchu. Combien la France compte-t-elle de chômeurs ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vos protestations confirment la conscience que vous avez d'avoir été franchement ignares il y a vingt-quatre ans, puisque vous prétendez avoir appris quelque chose ! Je vous laisse la responsabilité de reconnaître qu'il était urgent d'apprendre. (Mêmes mouvements.)

M. Patrick Bloche. C'est une provocation !

M. Philippe Briand. Laissez M. Clément s'exprimer !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il n'est ni sain ni pédagogique de laisser croire aux Français qu'un décret ou la loi peuvent plafonner le prix du mètre carré ou permettre aux locataires de rester pendant des années dans un appartement.

M. Bernard Derosier. Vous n'y croyez pas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Or c'est ce type de proposition que vous leur faites. C'est autant de la démagogie que de l'ignorance du fonctionnement du marché.

Mme Annick Lepetit. Ce n'est pas vrai, nos propositions sont équilibrées !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous avez tenté un coup politique. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Vos propositions sont indignes de gens qui réfléchissent à l'économie. Ce sont les mêmes qu'il y a vingt-cinq ans. Vous aviez alors au moins l'excuse de n'avoir jamais été au pouvoir !

Mme Annick Lepetit. Quel mépris !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Nous avons une proposition de loi prête pour demain. M. le ministre démontrera comment vous avez usé de votre influence pour qu'il n'y ait pas d'accord et pour que votre proposition de loi puisse venir en discussion aujourd'hui, afin de faire croire aux Français que vous aviez la solution.

M. Patrick Bloche. C'est insultant !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. De solution, vous n'en avez pas. Le coup politique a raté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. C'est très mauvais !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au logement et à la ville.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ce débat me donne l'occasion de rétablir certaines vérités sur les ventes par lots.

Sur le fond, monsieur le rapporteur, le Gouvernement partage avec tous les parlementaires qui se sont exprimés l'analyse selon laquelle les ventes à la découpe posent des problèmes sociaux et économiques et qu'elles appellent des réponses politiques. Si votre rapport est intéressant, il est incomplet. Quant à votre proposition de loi, elle est déséquilibrée et donc pas acceptable en l'état. Le Gouvernement, pour sa part, propose une méthode qui permettra d'aboutir avant l'été.

Sur la forme, votre proposition de loi, en privilégiant le passionnel plutôt que le rationnel et en faisant une mauvaise manière à la commission des lois, n'adopte pas un schéma idéal pour trouver la bonne mesure sur ce problème difficile.

M. Jean Glavany. Si ce n'est pas une bonne méthode, supprimez les niches parlementaires !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Monsieur Glavany, vous venez d'arriver et vous n'avez pas suivi le débat.

M. Jean Glavany. J'ai pris le même train que vous hier soir !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Certes, mais vous n'êtes pas arrivé ce matin ! (Sourires.) Surtout, vous n'avez pas entendu ce qu'a dit Mme Aurillac tout à l'heure. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Écoutez le ministre !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Puis-je vous expliquer la position gouvernementale sans que vous vocifériez ?

M. François Loncle. Vous n'avez pas de leçons à donner !

M. Jean Glavany. Pour qui vous prenez-vous ? Pourquoi êtes-vous si méprisant ?

M. le président. Personne n'est méprisant, monsieur Glavany. Laissez le ministre s'exprimer.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Dans votre rapport, monsieur Le Bouillonnec, vous présentez la problématique des ventes à la découpe et posez le diagnostic. Comme Mme Jambu et d'autres, vous parlez de la dramatique crise du logement, due à la rareté et à la cherté du logement. Tenir ces propos alors que nous avons porté le nombre de logements sociaux financés de 39 000 à 74 000 à la fin de 2004, et celui des logements produits de moins de 305 000 sous l'ancien Gouvernement à 372 000 aujourd'hui, c'est méconnaître la réalité de l'action gouvernementale. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Les chiffres sur les ventes par lots que vous avez cités dans votre rapport, monsieur Le Bouillonnec, permettent de constater que, par rapport aux années 1997 à 2000, les ventes à la découpe ont baissé de 17 % entre 2001 et 2004, quand nous sommes arrivés aux affaires.

Mme Martine Billard. Et en 1996 ?

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Elles ont baissé pour deux raisons : d'une part, M. Besson a lancé une voie conventionnelle d'un accord collectif, dont je vous dirai dans un instant comment je compte l'améliorer, et, d'autre part, le marché a joué un rôle régulateur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Puis, Mme de Panafieu l'a parfaitement démontré et M. Masse également, des intermédiaires sont intervenus auprès des institutionnels qui souhaitaient trouver une rentabilité acceptable par rapport au marché. Ces intermédiaires, notamment Westbrook - dont vous connaissez bien, monsieur Le Bouillonnec, le dirigeant, qui a été membre du cabinet de M. Besson -,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ah bon ?

M. Claude Goasguen. Mais qui est-ce ? Des noms !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...ces intermédiaires, donc, ont compliqué terriblement l'affaire, avec mépris pour la personne humaine. (« Des noms ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est à cause d'eux que nous nous trouvons dans la situation d'aujourd'hui. La crise n'est donc pas, monsieur Dreyfus, quantitative, elle est qualitative et est due à des comportements inacceptables, que nous devons ensemble stigmatiser et auxquels nous devons ensemble trouver des réponses rapides. De cela, vous n'avez pas besoin de me convaincre.

Madame Lepetit, vous avez proféré - pardonnez-moi de vous le dire - des mensonges sur l'accord conventionnel qui a été passé. Depuis le début, j'ai adopté une méthode privilégiant l'accord conventionnel, suivant logiquement l'appel aux partenaires sociaux, associations de locataires et représentants des institutionnels, lancé en 1989 par un gouvernement socialiste. Mais j'ai aussi indiqué que je pensais que ce ne serait pas suffisant. Je prévoyais de compléter l'accord conventionnel par des mesures législatives. Je n'avais donc nullement l'intention de me cantonner à des mesures réglementaires. J'ai associé M. Patrick Bloche à la réflexion sur cet accord à la fin du mois de janvier.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il ne l'a pas dit !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Je l'ai convié à constater la réalité de cet accord. Je me suis également engagé - et je tiendrai cet engagement - à examiner avec tous les parlementaires des propositions permettant d'avancer sur les ventes à la découpe, y compris certaines figurant dans la proposition de loi de MM. Ayrault et Le Bouillonnec.

Mme Annick Lepetit. Quand ?

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Je souhaite maintenant rétablir la vérité s'agissant de l'accord collectif, car j'ai entendu des propos sidérants. Cet accord a été signé par toutes les associations foncières et immobilières de bailleurs et par deux associations de locataires, la CLCV et l'Association Force Ouvrière, - que vous n'avez pas jugé utile d'auditionner. Il aurait pourtant été intéressant de savoir pourquoi elles avaient signé l'accord, après avoir refusé, pour la CLCV, de le faire jusqu'à la fin du mois de janvier. Vous auriez ainsi pu entendre l'ensemble des parties, monsieur Le Bouillonnec. C'est en cela que vous faites une mauvaise manière à la commission des lois. Quand on veut légiférer sur un sujet de cette nature de manière rationnelle, sans passion, il faut prendre le temps de procéder aux auditions objectives de toutes les parties,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...trouver le chemin équilibré et essayer de saisir la manière de permettre aux parlementaires de trouver une réponse adaptée et pérenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est à la commission des lois que revient cette tâche et c'est la raison pour laquelle son président avait désigné, dès le mois de mars, comme rapporteur M. Decocq.

L'accord collectif s'applique...

M. Patrick Bloche. Il n'est pas étendu par décret !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...pour l'ensemble des locataires soumis à une vente par lots organisée par des associations foncières. Monsieur Dreyfus, en parlant de pompier pyromane, ce n'est pas l'homme de qualité que vous êtes que je vise. Je m'adresse à tous ceux qui ont pris le risque de pratiquer la politique du pire. On peut comprendre - et cela se fait dans toutes les négociations sociales - qu'on refuse de signer un accord parce qu'on le considère incomplet. Mais qu'on bloque son extension de manière délibérée...

M. Christophe Caresche. Qui cela « on » ?

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...pour faire un coup médiatique en faisant débattre d'une proposition de loi au Parlement parce que l'accord n'a pas été signé, je n'ose l'imaginer ! On est un pompier pyromane parce qu'on empêche d'étendre cet accord (« C'est qui " on" ? » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) à l'ensemble des intermédiaires, ce que dénonce M. Le Bouillonnec.

M. Claude Goasguen. C'est la vérité !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Je rétablis la vérité : l'accord aujourd'hui s'applique à plus de la moitié des locataires concernés par les ventes par blocs, puisqu'il est signé par la totalité des propriétaires institutionnels. En revanche, il ne s'applique pas aux appartements vendus par des intermédiaires, précisément parce que trois organisations de locataires ont choisi la politique du pire et ont préféré laisser sans protection les veuves, les personnes handicapées et l'ensemble des classes intermédiaires.

Mme Annick Lepetit. Et voilà, c'est la faute des locataires !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. J'ai apprécié que M. Bloche demande, pour Paris, de mieux protéger et développer le logement intermédiaire, entre les classes aisées et les personnes aidées. C'est précisément ce que j'ai demandé avec force dans la délégation de compétences que je viens de signer avec le maire de Paris, précisément aussi ce que vous ne faites pas suffisamment à Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Françoise de Panafieu. Exactement !

M. Claude Goasguen. Oui, vous ne faites pas de logement intermédiaire !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Nous disposons d'outils pour créer du logement intermédiaire, avec le 1 % logement et bientôt - c'est une des raisons pour lesquelles la loi « Habitat pour tous » a pris un peu plus de temps - un amortissement qui s'adressera directement aux classes moyennes et intermédiaires, puisque vous ne disposez pas, à Paris, d'un COS suffisant pour construire pour celles-ci. Vous ne pouvez pas tenir un raisonnement à cette tribune et faire le contraire dans vos actes quotidiens à Paris ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


Cet accord collectif, Mme de Panafieu l'a souligné, s'applique aux ménages appartenant aux classes moyennes avec trois enfants dont le revenu annuel n'excède pas 65 000 euros. Ne pas avoir étendu des dispositions aussi protectrices, c'est, je n'hésite pas à le dire, pratiquer la politique du pire.

J'en viens à la proposition de loi de M. Le Bouillonnec.

Mme Annick Lepetit. Elle est excellente !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Elle contient des éléments intéressants.

M. Debré a insisté sur l'importance de trouver des mesures équilibrées et non coercitives.

Mme Jambu propose, dans sa logique habituelle, des mesures dirigistes, planificatrices, le permis de diviser et une sécurité sociale du logement. C'est votre vision, madame Jambu. Elle est cohérente avec ce que vous dites depuis de départ. Ce n'est pas la nôtre, vous le savez.

Mme Janine Jambu. Libre à vous de vouloir faire la part belle aux fonds de pension !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. L'interdiction du congé pour vente figurant à l'article 1er du titre I de la proposition de loi de M. Le Bouillonnec met en cause l'équilibre des dispositions législatives actuelles sur les rapports locatifs. Or il est essentiel de trouver une solution qui préserve cet équilibre. On la trouve dans le titre I de la proposition de loi de Mme Aurillac, sur laquelle nous reviendrons.

Dans les articles 6, 7 et 8 de votre proposition de loi, monsieur Le Bouillonnec, les mesures qui touchent au droit de propriété créent des inégalités entre les différentes catégories de propriétaires et de locataires. J'attire votre attention sur le fait - et c'est là où l'intervention de la commission des lois est essentielle - que, si vous mettez en place un régime qui, pour ce qui concerne la vente par lots, a tendance à surprotéger certains locataires par rapport aux autres, cela entraînera des problèmes constitutionnels et des difficultés avec la Commission européenne des droits de l'homme. Il faut trouver le dispositif équilibré adapté.

Je note d'ailleurs que, dans son rapport, M. Le Bouillonnec pèche par omission ou, plus exactement, qu'il travaille par sincérités successives : il ne parle pas, en effet, de ce qui se passe à Lyon ou à Marseille, avenue de la République.

Je n'ai pas non plus entendu parler M. Masse des faux baux de la loi de 1948 et de ces associations de locataires qui viennent se plaindre des ventes à la découpe, alors que cela fait des années qu'elles ont signé des baux falsifiés !

Personne ne parle de tout cela, pas plus que des personnes qui bénéficient d'un loyer de 6 euros le mètre carré dans les beaux quartiers de Paris et qui viennent se plaindre aujourd'hui alors qu'elles payent l'impôt sur la fortune !

M. Patrick Bloche. Cela n'a rien à voir !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. La réalité étant très diverses, il est nécessaire, je le répète, de trouver un chemin équilibré qui puisse préserver, d'un côté, le droit de propriété, et de l'autre, la nécessaire protection des locataires. Seule la commission des lois est capable de tracer ce chemin dans le cadre d'un examen donnant lieu à un rapport de la proposition de loi de Mme Aurillac.

Monsieur Le Bouillonnec, certaines propositions que vous faites - et je vous recevrai à ce sujet - me semblent mériter attention.

M. Claude Goasguen. Non !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. D'autres, au contraire, sont inacceptables, en particulier l'article 17 qui, de fait, va supprimer l'investissement pour toute personne physique qui voudrait investir un peu d'argent dans des sociétés immobilières. Beaucoup de petits épargnants français le font. Il faut donc être très prudent sur ce point.

Le projet de loi « Habitat pour tous » a été un peu retardé,...

Mme Janine Jambu. Beaucoup retardé !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...mais il sera présenté avant l'été.

M. Patrick Bloche. Et examiné quand ?

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Cela ne dépend pas de moi. Cela dépend de l'ordre du jour des assemblées !

M. Jean Glavany. C'est le Gouvernement qui en est le maître !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Il ne vous aura pas échappé que le référendum sur la Constitution européenne l'a quelque peu décalé !

Si le projet de loi « Habitat pour tous » a été retardé, c'est parce que, à l'Assemblée nationale, M. Patrick Ollier m'a demandé qu'un groupe de travail soit constitué sur une partie de ce projet de loi et que la même demande m'a été faite au Sénat par MM. Dominique Braye et M. Thierry Repentin. Pour avoir été au perchoir de l'Assemblée nationale avant d'être au Gouvernement, j'ai un profond respect pour les parlementaires et ai donc souhaité qu'il y ait une concertation approfondie avec les deux assemblées.

C'est la seule raison pour laquelle le projet de loi « Habitat pour tous » a été différé de trois mois, et je trouve un peu fort que vous refusiez à un ministre de prendre le temps de consulter les parlementaires sur cette question. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Annick Lepetit. Nous sommes là pour ça ce matin !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Extension de l'accord collectif du 16 mars, article 1er de la proposition de loi de Mme Aurillac qui me semble permettre d'avancer sérieusement sur le sujet, renforcement des sanctions en cas de non-respect des obligations pas seulement, monsieur Le Bouillonnec, pour les marchands de biens mais pour l'ensemble des personnes concernées, mesures anti-spéculatives, obligation de ventes partielles à un organisme de logement social et incitations fiscales, tel est le canevas sur lequel le Gouvernement, sur la base de la proposition de loi de Mme Aurillac, est prêt à discuter, non pas aux calendes grecques mais avant un mois, c'est-à-dire au milieu du mois de juin ! Nous pourrons avancer de manière résolue sur le problème des ventes à la découpe.

Pour conclure, votre proposition de loi, monsieur Le Bouillonnec, pose un problème de méthode et surtout d'équilibre. Vous avez, semble-t-il, cherché à faire une proposition de loi parfaite mais mieux vaut tendre à l'équilibre qu'à la perfection parce que c'est déjà une perfection que de trouver l'équilibre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La commission n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Sur le passage à la discussion des articles de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Je veux, à la fin de ce débat, exprimer au nom du groupe socialiste notre déception. Nous étions venus ce matin avec l'espoir de contribuer à trouver des solutions concrètes à un problème qui aurait dû nous rassembler. Or nous n'avons trouvé en face de nous qu'embarras et frilosité.

M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Christophe Caresche. Embarras parce que le Gouvernement et la majorité, à coup d'arguties juridiques, ont essayé péniblement et de façon même un peu pathétique de nous expliquer pourquoi ils ne souhaitaient pas en réalité légiférer.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Mais si !

M. Christophe Caresche. Le Gouvernement a, en effet, décidé de ne pas légiférer, et ce depuis le début !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. C'est faux ! Nous allons légiférer !

M. Christophe Caresche. Il a essayé de conclure un accord conventionnel. Celui-ci a été un échec. Le Gouvernement n'a pas été capable de rassembler la majorité des associations de locataires sur cet accord, et, aujourd'hui, il n'est pas capable de proposer des solutions viables à un problème reconnu pourtant par tous comme nécessitant des réponses urgentes.

C'est pour essayer de sortir de cette impasse dans laquelle vous vous êtes mis, monsieur le ministre, que nous avons décidé d'inscrire cette proposition de loi.

Ce que vous lui reprochez, ce n'est pas tant son contenu puisque vous venez de reconnaître qu'elle contenait des dispositions intéressantes, mais le fait d'être déposée par le groupe socialiste ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Mais non ! Elle est absurde !

M. Christophe Caresche. Voilà pourquoi vous nous opposez aujourd'hui un refus. Celui-ci est incompréhensible autrement - et il ne sera pas compris par les victimes des ventes à la découpe.

Le débat d'aujourd'hui aura également mis en évidence la frilosité avec laquelle vous abordez cette question.

M. Decocq nous a expliqué que, finalement, les ventes à la découpe ce n'était pas si mal.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas vrai ! C'est une caricature !

M. Christophe Caresche. Pour M. Debré, il importe surtout de préserver les droits des propriétaires.

M. Claude Goasguen. Avec votre article 17, ils n'en auraient plus aucun !

M. Christophe Caresche. En réalité, vous ne comprenez pas ce qui est en train de se passer aujourd'hui avec les ventes à la découpe : le logement est devenu un bien spéculatif. Des fonds de pension investissent dans ce secteur pour réaliser le maximum de profit et c'est ce que nous dénonçons à travers cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Vous n'avez qu'à construire !

M. Christophe Caresche. Dans la ville de New York, dont la gestion n'est pas, reconnaissons-le, un modèle de collectivisme, il existe des dispositions protectrices qui permettent à des locataires de s'opposer à la vente de leurs logements.

M. Claude Goasguen. Mais pas au maire, comme le propose votre article 17 !

M. Christophe Caresche. Pourquoi ne serions-nous pas capables, en France, de mettre en place de telles dispositions ?

Pour nous, le logement n'est pas un bien comme les autres. En tout cas, il ne doit pas être un bien de spéculation.

Le droit au logement est inscrit dans notre Constitution. C'est ce que nous voulons faire respecter avec cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 254

                    Nombre de suffrages exprimés 254

                    Majorité absolue 128

        Pour l'adoption 108

        Contre 146

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

    2

ORDRE DU JOUR DE L'ASSEMBLÉE

M. le président. L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 12 mai inclus, puis du mardi 31 mai au jeudi 9 juin 2005 inclus a été fixé ce matin en Conférence des Présidents.

Ce document sera annexé au compte rendu.

    3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Discussion du projet de loi, n° 2214, relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes :

Rapport, n° 2282, de M. Édouard Courtial, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Rapport d'information, n° 2243, de Mme Marie-Jo Zimmermann, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot