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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 13 décembre 2005

98e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. YVES BUR,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

prévention et répression
des violences au sein du couple

Discussion d’une proposition de loi
adoptée par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple (nos 2219, 2726).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente et madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, une femme sur dix est victime de violences conjugales ; tous les quatre jours, une femme meurt de ces violences : ces chiffres sont inadmissibles. Conscient de ces drames, le ministère de la justice a fait de la lutte contre les violences au sein du couple une de ses priorités.

Je ne peux donc que me féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi sénatoriale renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple. Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat le 29 mars 2005, fait suite aux « dix mesures pour l’autonomie » des femmes présentées en conseil des ministres le 24 novembre dernier.

Avant d’examiner le contenu de ce texte, ainsi que les principaux amendements que votre commission des lois vous proposera d’adopter, je voudrais rappeler en quelques mots la mobilisation et la sensibilisation des juridictions en cette matière.

Le ministère de la justice, en liaison avec les autres départements ministériels concernés et avec les associations, est intervenu à plusieurs reprises, ces dernières années, pour améliorer l’efficacité de la réponse judiciaire aux violences conjugales.

L’importance du contentieux des violences au sein du couple ne doit pas conduire les parquets à automatiser la réponse pénale. Derrière chaque violence, il y a des femmes, des hommes et des enfants qui souffrent. C’est la raison pour laquelle le ministère de la justice a élaboré et diffusé l’année dernière un guide de l’action publique en matière de lutte contre les violences au sein du couple

Ce guide, consultable sur le site Internet du ministère de la justice, formule de nombreuses préconisations. Elles portent sur la révélation des faits, puisque ce guide comprend notamment un protocole de recueil de la plainte. Elles portent également sur l’élaboration des procédures, en précisant par exemple les protocoles de rédaction des certificats médicaux et les conditions de prise en compte de la situation des enfants du couple. Elles précisent aussi les réponses pénales, en rappelant la possibilité d’éviction du conjoint ou concubin violent du domicile familial à tous les stades de la procédure ainsi qu’un protocole de recours à la médiation pénale.

La direction des affaires criminelles et des grâces participe ainsi à l’élaboration par le ministère de la parité et de l’égalité professionnelle d’un précis sur les droits des femmes, récapitulant l’ensemble des dispositions législatives existantes en la matière.

Le ministère de la justice a été à l’initiative de la diffusion sur les chaînes hertziennes, le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée de la femme, du spot télévisé « Plus d’une femme par jour », contenant des « images choc » et un message engagé : « Réagissons avant qu’il ne soit trop tard. »

Enfin, dans le souci de protéger les victimes comme de responsabiliser les auteurs de violences conjugales, de nombreuses pratiques innovantes sont mises en œuvre par les parquets, tels un projet de centre de traitement des auteurs de violences conjugales, ou l’obligation pour ceux qui ont commis de tels actes de participer à des groupes de parole autour d’un sociologue et d’un psychologue.

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi que vous devez examiner aujourd’hui : elle présente le très grand mérite d’améliorer sur de nombreux points les dispositions législatives existantes, afin de mieux prévenir et de mieux réprimer les violences au sein du couple ou les atteintes dont peuvent être victimes les femmes. J’examinerai donc les dispositions de ce texte en distinguant ces deux objectifs de prévention et de répression.

Participe évidemment de l’objectif de prévention l’élévation de l’âge légal au mariage des femmes de quinze à dix-huit ans. Ce relèvement fait l’objet d’un débat ancien, qui a longtemps opposé les partisans de l’égalité à ceux qui pensaient nécessaire que la loi reconnaisse une certaine précocité féminine, ou à tout le moins la réalité sociologique qui fait que les femmes se marient en général plus jeunes que les hommes. Il s’agit d’une question importante puisqu’elle met en jeu le principe fondamental de la liberté du mariage.

Le moment est venu de mettre un terme à ces débats, les motifs historiques par lesquels on justifiait la différence d’âge du mariage entre hommes et femmes étant aujourd’hui dépassés. Dans la perspective de la lutte contre les mariages forcés, qui rassemble aujourd’hui le Gouvernement et la représentation nationale, la fixation à dix-huit ans de l’âge légal du mariage permettra de protéger certaines jeunes filles du risque d’être mariées contre leur consentement.

C’est pourquoi je me félicite de la modification de l’article 144 du code civil, qui permettra à la France de rejoindre sur ce point la quasi-totalité de ses partenaires européens.

Désormais la célébration du mariage d’une mineure ne sera plus subordonnée au seul accord des parents. Elle supposera que le procureur de la République accorde une dispense pour motifs graves.

Mme Marie-Jo Zimmermann. présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes Très bien !

M. le garde des sceaux. Nous aurons l’occasion de revenir au cours de la discussion sur le problème des mariages forcés et sur les excellentes propositions formulées par la mission d’information sur la famille et reprises par votre commission pour lutter contre ce phénomène,…

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Ce sont les propositions de la délégation !

M. le garde des sceaux. …à la lumière des travaux de la délégation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. le garde des sceaux. Ce même objectif de prévention justifie le renforcement des mesures tendant à l’éloignement du domicile familial du conjoint ou du concubin violent.

Depuis la loi du 26 mai 2004, l’article 220-1 du code civil prévoit une telle éviction dans le cadre ou en vue d’une procédure de divorce. Cet objectif avait conduit le Sénat à compléter le code pénal et le code de procédure pénale afin de faciliter cet éloignement à tous les stades d’une procédure devant les juridictions répressives.

Du fait de son importance, cette disposition, a été reprise, à l’initiative de l’Assemblée nationale, dans la loi du 24 novembre 2005, relative au traitement de la récidive en matière pénale. Elle n’a donc plus de raisons de demeurer dans la présente proposition de loi.

Votre commission propose donc d’y substituer une disposition permettant la révocation du contrôle judiciaire des conjoints ou concubins qui n’ont pas respecté l’obligation d’éloignement, ou de faire en sorte qu’après leur condamnation à un sursis avec mise à l’épreuve, le service chargé de contrôler l’exécution de cette peine soit le même que celui qui est intervenu dans le cadre du contrôle judiciaire. Je suis évidemment tout à fait favorable à ces améliorations.

J’en viens aux dispositions de nature répressive. Le renforcement de la répression réalisé par les articles 1er, 2 et 3 de la proposition de la loi résulte d’une amélioration notable des dispositions prévoyant des circonstances aggravantes en cas de violences au sein du couple.

Est ainsi aggravée la répression, non seulement des violences commises contre le conjoint ou le concubin, comme c’est le cas depuis la réforme du code pénal, mais également de celles commises par d’anciens conjoints ou anciens concubins, qui sont malheureusement fréquentes en cas de séparation conflictuelle.

Par ailleurs, la situation des personnes liées ou ayant été liées par un pacte civil de solidarité sera aussi prise en compte.

Il est en outre prévu d’inscrire dans un nouvel article 132-80 du code pénal l’existence de cette circonstance aggravante de commission d’une infraction par le conjoint ou le concubin, ou l’ex-conjoint ou ex-concubin de la victime, comme c’est le cas pour de nombreuses autres circonstances aggravantes.

Votre commission propose de préciser que lorsque l’infraction est commise par un ancien conjoint ou concubin, la circonstance aggravante ne jouera que si l’infraction a été commise en raison de ses anciennes relations. Cet ajout permet d’éviter de limiter de façon arbitraire la durée écoulée depuis la séparation.

Enfin, cette circonstance aggravante ainsi définie sera étendue aux crimes d’atteinte volontaire à la vie, notamment de meurtre, ce qui n’est pas actuellement le cas.

La question des violences de nature sexuelle au sein d’un couple, et notamment du viol entre époux, a donné lieu, vous le savez, à des interrogations et à des évolutions jurisprudentielles. Il est maintenant clairement établi par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’il peut y avoir viol entre époux. Le Sénat a souhaité consacrer cette jurisprudence dans la loi. Votre commission propose, ce qui me paraît préférable, de prévoir que la circonstance aggravante prévue par le nouvel article 132-80 sera également applicable en cas de viol ou d’agression sexuelle.

La volonté de renforcer la répression des violences au sein du couple a également conduit le Sénat à réprimer de façon spécifique la privation des pièces d’identité d’une personne par son conjoint ou son concubin. L’objectif est certes louable, mais ces faits sont déjà réprimés, car ils constituent des vols. La seule difficulté résidant dans l’impossibilité de poursuivre pénalement le vol entre époux, votre commission propose – et j’y suis favorable – de lever cette interdiction dans une telle hypothèse.

Votre commission propose enfin de compléter la proposition de loi par plusieurs dispositions qui me semblent toutes particulièrement opportunes et sur lesquelles nous reviendrons au cours de la discussion.

Je tiens toutefois à citer les dispositions renforçant la lutte contre le tourisme sexuel, qui créent la peine d’interdiction de quitter le territoire en matière de viol ou d’agression sexuelle sur mineur. Elles permettent l’inscription au fichier des empreintes génétiques des Français ou des personnes résidant habituellement en France condamnés à l’étranger pour des infractions sexuelles.

En guise de conclusion, je voudrais remercier votre commission et son rapporteur M. Guy Geoffroy pour l’excellent travail qu’ils ont accompli – chacun en est conscient.

Cette proposition de loi répond en effet à une indéniable nécessité juridique, et elle présente en outre un caractère symbolique fort. Dans l’intérêt des enfants, nous nous devons de mettre en place un arsenal législatif plus cohérent et plus efficace.

Je demande en conséquence à l’Assemblée nationale d’adopter cette proposition de loi avec les amendements de votre commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il est des sujets qui font d’emblée consensus, des sujets sur lesquels nous sommes tous d’accord, car ils touchent à une question de civilisation : tel est le cas des violences au sein du couple.

Cette proposition de loi des groupes socialiste et communiste du Sénat, votée à l’unanimité par la Haute assemblée, est aujourd’hui reprise par le groupe UMP de l’Assemblée nationale à la faveur d’une niche parlementaire.

La prise de conscience publique de ces violences est indispensable. Peu de victimes, malheureusement, portent plainte. Ce sont deux enquêtes approfondies qui ont permis de mettre au jour l’ampleur et la gravité de la situation. La première, menée en 2000, a montré qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales dans notre pays. La seconde, que nous avons rendue publique voici quelques jours, a révélé une information insoutenable : une femme meurt tous les quatre jours des suites de violences au sein du couple. Les hommes aussi en sont victimes puisque près d’un quart des violences ayant entraîné la mort sont commises par des femmes.

Une situation aussi dramatique appelle une mobilisation de toute la société pour mettre un terme à ces actes insupportables, pour ne pas dire barbares.

J’ai donc donné une impulsion nouvelle à l’action du Gouvernement pour prévenir et lutter contre ces violences et pour mieux accompagner les femmes, et parfois les hommes, qui en sont victimes. Cette action s’oriente dans trois directions : vers les victimes, vers le grand public et les professionnels, et vers les auteurs de violences eux-mêmes.

Le premier besoin qu’éprouvent les femmes victimes de violences est de se mettre à l’abri. Toutes les places disponibles dans les logements d’urgence sont désormais répertoriées au jour le jour et les femmes victimes de violences bénéficient d’une priorité pour y accéder. Ces logements étant cependant très sollicités et le nombre de places libres très limité, nous allons rendre possible l’hébergement de ces femmes, avec leurs enfants, dans des familles d’accueil.

Les victimes ont également besoin d’un accompagnement continu et attentif. Nous avons donc augmenté de plus de 20 % les subventions aux associations en charge des violences et renforcé le partenariat entre les différents acteurs, en relançant les commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes. En 2006, tous les départements seront couverts par des protocoles de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette action de proximité est une réponse indispensable.

L’accompagnement médical, sur le plan physique et psychologique, est particulièrement déterminant. Nous travaillons avec le ministre de la santé à de nouveaux protocoles de prise en charge. Il faut, bien sûr, soigner les blessures physiques, mais il faut surtout apporter un suivi moral et un accompagnement à ces femmes, tant à l’hôpital que chez les praticiens de ville. Des parcours de soins vont ainsi être organisés, en coopération avec le ministère de la santé, par la mise en place de réseaux d’accueil.

La formation des acteurs institutionnels et la sensibilisation du public sont tout aussi indispensables. En 2005 ont été engagées quelques actions, comme « Stop violences, agir c’est le dire » ou la publication par le ministère de la justice du guide de l’action publique relative à la lutte contre les violences au sein du couple. Nous venons de réaliser un document pour les professionnels, qui sera distribué dans les prochains jours. En 2006, j’entends mener une campagne de communication destinée au grand public, car il faut parler de ce phénomène si nous voulons l’éradiquer.

Il nous faut, enfin, nous mobiliser autour des auteurs de violences. Pour cela, deux types d’actions sont prévus. Il faut d’abord renforcer les sanctions, mais aussi favoriser les soins, c’est-à-dire mettre en place une politique de prévention. J’ai confié une mission en ce sens au docteur Roland Coutanceau. Selon les experts, 20 % des hommes violents changent profondément de comportement lorsqu’ils s’engagent dans un processus de soins.

Le volet répressif doit être renforcé : c’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui. Il n’y a pas de fatalité irrémédiable à la répétition de la violence. C’est en maniant ces deux notions de répression et de prévention que nous pourrons apporter des réponses constructives et concrètes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Cette proposition de loi apporte de nouvelles mesures essentielles, qui contribuent à la mise en œuvre des actions que je viens de vous présenter. La commission des lois de votre assemblée les a très sensiblement enrichies et je tiens à l’en remercier, ainsi que, tout particulièrement le rapporteur, Guy Geoffroy.

La première priorité est de renforcer la possibilité d’éloignement du conjoint auteur de violences. C’est à la fois un signal fort donné aux agresseurs et une manière d’aider les victimes à se sentir mieux armées pour prendre au plus vite les décisions qui s’imposent pour leur bien et celui de leurs enfants. Je tiens donc à saluer l’initiative que vous avez prise dans la proposition de loi sur la récidive. Cet éloignement est une mesure de justice indispensable : c’est l’auteur des violences qui doit déménager, et non la victime !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Vous allez aujourd’hui plus loin en autorisant le procureur de la République à prononcer lui-même l’éloignement. C’est un gage de rapidité indispensable : l’éloignement pourra ainsi être décidé immédiatement, dès que les officiers de police judiciaire auront informé le procureur des violences commises.

Les violences, ne l’oublions pas, ne s’arrêtent pas avec la fin de la vie en couple : 31 % des décès surviennent au moment de la rupture ou postérieurement à celle-ci.

En outre, la violence n’est pas cantonnée aux couples mariés ou aux concubins ; elle peut également concerner les signataires d’un pacs.

Nous devons donc encore étendre la mesure d’éloignement et d’obligation de soins que vous avez adoptée dans le cadre de la proposition de loi sur la récidive.

Ce texte n’ayant pas encore été promulgué, c’est lors de la deuxième lecture au Sénat que je proposerai cette extension de la mesure aux pacsés, aux anciens conjoints, aux anciens concubins et aux anciens pacsés : c’est là une question dont nous devons prendre en compte tous les aspects.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Très, très bien !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. La jurisprudence a depuis longtemps reconnu la notion de viol entre époux. Dans l’esprit de ce texte, il me semble important de retenir qu’une violence sexuelle est avant tout une violence.

Le texte sanctionne aussi les mutilations sexuelles commises à rencontre des jeunes filles issues de l’immigration. Il est en effet indispensable de réprimer la mutilation commise hors de France sur une victime mineure étrangère résidant habituellement dans notre pays. Il est donc indispensable, comme l’a justement souligné la délégation aux droits des femmes, présidée par Mme Zimmermann, de prendre des mesures pour protéger ces petites filles qui, lorsqu’elles quittent notre pays, sont en danger de subir ces violences.

Comme le dit fort bien votre rapporteur, lutter contre les mariages forcés, c’est lutter contre l’une des pires – sinon la première – formes de violence conjugale. Je me réjouis donc que nous supprimions l’une des dernières discriminations fondées sur le sexe encore présentes dans le code civil, en harmonisant l’âge nubile à 18 ans et en renforçant le contrôle de la liberté d’expression du consentement matrimonial. C’est là un point clé de la lutte contre les mariages forcés.

Je me félicite également des mesures que votre assemblée propose pour renforcer la lutte contre les mariages forcés, qui concerneraient 70 000 jeunes femmes sur notre territoire. La liberté de se marier ou non et de choisir son conjoint est pourtant consacrée par les lois, la Constitution et les conventions internationales. Elle impose de refuser toute justification liée à la tradition ou à la coutume. Toutes les femmes et toutes les jeunes filles qui vivent sur notre sol doivent bénéficier des mêmes garanties institutionnelles.

Je tiens à saluer la qualité des travaux menés sur ce sujet par la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, présidée par Valérie Pecresse. Le rapport que vous venez de rendre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, est également un outil important, car il nous encourage encore à travailler pour renforcer la répression de ces pratiques inacceptables. Je partage votre volonté de sensibiliser les jeunes et les familles. C’est pourquoi j’ai souhaité que l’interdiction de ces pratiques soit explicitée dans un guide général sur les droits des femmes de l’immigration, tout comme j’ai souhaité la présence du CIDF sur les plates-formes d’accueil et d’intégration, qui sont le premier contact – et parfois le seul – avec ces femmes qui arrivent dans notre pays. J’ai donc exigé que des entretiens personnalisés leur permettent de s’exprimer seule à seul, avec l’aide d’un interprète.

Mon ministère apporte aussi un soutien appuyé aux associations de terrain qui accompagnent ces jeunes femmes et ces jeunes hommes dans leur parcours vers l’autonomie.

Il nous faut également travailler avec le ministère de l’éducation nationale.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est très important !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. C’est fondamental !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Je vais donc prendre l’attache de mon collègue Gilles de Robien, afin de renforcer l’information des adolescents dans le cadre scolaire. Les dispositifs existent : il convient aujourd’hui de les appliquer. La liberté matrimoniale est une liberté fondamentale. Nous devons aider les jeunes à comprendre qu’ils ont toutes et tous le droit de l’exercer.

Je souhaite, comme le garde des sceaux, que l’ensemble des mesures dont nous allons discuter soient adoptées le plus rapidement possible.

Mesdames et messieurs les députés, la France, pays des droits de l’homme, ne peut accepter l’idée même de violences au sein du couple. Avec ce texte, nous réaffirmons ensemble notre détermination à les éradiquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, il serait injuste de dire que ce n’est qu’aujourd’hui que la nation, en la personne de ses représentants, se saisit de la question gravissime des violences au sein du couple.

Nous savons que, sur tous les terrains où nous exerçons nos activités, le secteur associatif – dont le travail de qualité, efficace et plein d’humanité doit être salué – mène depuis longtemps, un combat qui est sorti lentement de l’ombre et du silence, à mesure qu’apparaissait, crue et scandaleuse, sur le devant de la scène de notre société dite moderne, la réalité des violences conjugales.

On réduisait jadis les violences conjugales au stéréotype de l’ivrogne battant son épouse…

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’était pas que chez les ivrognes ! Cela se produisait aussi dans les beaux quartiers !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. …et on évoquait même parfois en souriant ce phénomène que l’on tenait pour ordinaire.

Ces violences physiques, certes dramatiques, ne sauraient, en elles-mêmes, résumer l’ensemble de la question.

Monsieur le ministre, madame la ministre, vous l’avez rappelé, les chiffres des dernières enquêtes sont malheureusement éloquents : c’est un total de 164 femmes qui ont été, en 2003 et 2004, victimes jusqu’à en mourir des violences de leur conjoint, soit un décès tous les quatre jours.

Mais cette face émergée de l’iceberg ne saurait cacher une réalité plus profonde, et à certains égards encore plus dramatique : celle de ces presque 1,4 million de femmes qui aujourd’hui, dans notre pays, au quotidien, sont l’objet et donc la victime de violences au sein de leur couple. Parce qu’il faut bien avoir conscience, et les associations que nous connaissons bien nous le disent inlassablement, que les violences, au-delà des coups, s’exercent dans tous les domaines de la vie quotidienne chaque fois qu’un conjoint violent souhaite manifester sa volonté de dominer, de rendre et de maintenir l’autre dépendant, dans des conditions qui vont jusqu’à l’acharnement, au-delà même de la séparation. Celle-ci est d’ailleurs une étape particulièrement dangereuse puisque, selon l’enquête récente dont vous parliez, madame la ministre, ce sont pratiquement un tiers des meurtres liés aux violences conjugales qui se déroulent à ce moment-là.

Nous aurions d’ailleurs tort de nous arrêter à la séparation et le texte que nous proposons à l’Assemblée intègre tout le parcours martyr de trop nombreuses femmes puisqu’il va au-delà de la date de la séparation. Les chiffres, là aussi, sont terribles : un dixième des décès de femmes et d’hommes victimes de violences conjugales sont le fait de l’ex-conjoint, donc après la séparation. Ce pourcentage augmente dans des proportions dramatiques lorsqu’il s’agit du secteur rural, allant jusqu’à 30 %.

Pour les parlementaires, il n’y avait donc rien de surprenant, c’était même, au contraire, répondre à une attente formidable que de se saisir de cette question pour faire bouger le droit, pour lever encore un peu plus cette chape de plomb qui pesait – et qui pèse encore un peu – sur ce chapitre dramatique des violences conjugales, afin que nous essayions tous ensemble, par une véritable approche commune – comme l’a demandé à fort juste titre Alain Vidalies –, de faire bouger notre société. Il faut que cette prise de conscience, accompagnée de véritables mesures de prévention et de répression plus adaptées, permette à notre société d’éradiquer progressivement ce mal profond. Tel est l’objet de cette proposition de loi issue, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de deux propositions de loi sénatoriales de nos collègues socialistes et communistes, qui ont été reprises, fondues et enrichies au Sénat, au point que le texte qui est arrivé sur la table de la commission des lois de l’Assemblée avait été au préalable voté à l’unanimité par la Haute assemblée.

Le travail de la commission des lois a consisté bien évidemment à analyser le texte dans son esprit, dans sa nature originelle, en fonction des améliorations que lui avait apportées la Haute assemblée, et d’y apporter, à son tour, un certain nombre d’améliorations et d’enrichissements qui nous semblaient indispensables, tant la matière nécessite que l’on progresse certes pas à pas, mais sans s’écarter des aspects peut-être collatéraux, mais essentiels, du problème des violences conjugales.

C’est dans ces conditions que nous avons retenu, sans envisager d’y toucher, l’ensemble des dispositions adoptées par nos collègues sénateurs, à commencer par la première d’entre elles, qui est le passage de l’âge légal du mariage des jeunes filles de quinze à dix-huit ans. C’est un signe fort, attendu depuis longtemps, qui nous permet de rappeler que cette disposition était présente dans notre droit depuis deux siècles puisqu’elle date de 1804.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Exactement ! C’est un des derniers archaïsmes de notre code civil !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. En outre, nous avons bien sûr fortement apprécié tout ce qui a permis de donner du corps à un droit certes existant, mais qui était encore un droit généraliste puisque, avec cette proposition de loi, c’est désormais le fait même de commettre des violences au sein du couple qui est en soi – pour peu évidemment que la loi le décline ensuite – une circonstance aggravante.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nous avons tous souhaité que cette circonstance aggravante soit également élargie à d’autres cas où, curieusement, elle n’était pas prévue jusqu’à maintenant,…

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Excellente initiative !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. …le meurtre notamment. La circonstance aggravante valait pour une incapacité totale de travail de plus de huit jours ou pour des violences ayant entraîné la mort, mais pas en cas de meurtre.

Nous avons voulu enrichir ce texte, mais aussi le durcir parce que, dans ce domaine plus que dans tout autre, il y a un lien indissociable entre la prévention et la répression.

Votre commission des lois a souhaité donner une dimension supplémentaire à ce texte en apportant son soutien à des initiatives qui relèvent du travail de notre assemblée. Je voudrais, à ce niveau, évoquer les très importants travaux menés, depuis ses débuts, par la délégation aux droits des femmes, dont je salue ici la présidente et la rapporteure, et depuis plus d’une année par la mission d’information sur la famille – exemple de ce que l’Assemblée sait faire dans l’union des esprits et des volontés –, présidée par notre collègue Patrick Bloche et dont la rapporteure Valérie Pecresse, avec ses collègues, a mené un travail remarquable qui a permis à la commission de proposer l’intégration de plusieurs éléments nouveaux dans la proposition de loi.

C’est sur ces éléments que je voudrais revenir puisque nous aurons l’occasion, dans l’examen des articles, de parler du reste du texte beaucoup plus dans le détail.

Il y avait une logique profonde à ce que la commission adoptât…

M. Jean-Pierre Brard. Très bien pour l’imparfait du subjonctif ! (Sourires.)

M. Guy Geoffroy, rapporteur. …des dispositions encore plus fortes de lutte contre les mariages forcés. C’était déjà un premier pas en ce sens que de dire que les jeunes filles ne pourront dorénavant être mariées qu’à partir du moment où elles auront légalement la possibilité d’en manifester le consentement, c’est-à-dire à l’âge de la majorité. Mais il est également important de lutter – et nous le ferons, si notre assemblée en est d’accord, au travers des amendements issus du travail de la mission – pour permettre, par des mesures d’audition et de transcription, le contrôle de l’ensemble des mariages sur lesquels il y a un doute évident quant à la nature et à la réalité du consentement. Tout cela, intégré demain dans notre loi, donnera un corps supplémentaire à cette lutte en amont, à cette véritable prévention contre les violences conjugales.

La commission, à mon initiative – je savais rejoindre ainsi des préoccupations qui sont celles du Parlement mais aussi du Gouvernement –, a souhaité ajouter une dimension supplémentaire au texte en direction de celles et ceux, souvent des enfants, qui sont victimes de comportements inacceptables dans notre société. À cet égard, j’ai été fort satisfait de proposer et de voir accepter par la commission les amendements que nous allons étudier tout à l’heure. Ils portent sur la lutte contre le tourisme sexuel et, au travers de la transposition dans notre droit d’une décision-cadre de l’Union européenne, contre un ensemble de pratiques relevant de la pédo-pornographie.

La commission a également exprimé la volonté, même si elle n’a pas formellement accepté les amendements afférents, de voir plusieurs sujets, notamment ceux évoqués par la délégation aux droits des femmes, relayés vigoureusement par les parlementaires en direction du Gouvernement pour que celui-ci s’en saisisse – vous en avez déjà parlé, madame la ministre – et propose, au travers des actions qu’il peut impulser et par des directives, des modifications dans les comportements et dans la prise en charge des problèmes. À ce propos, deux sujets – parmi tant d’autres que nous étudierons au cours de l’examen des amendements – me semblent importants.

Le premier, qui nous a beaucoup préoccupés, est celui de la médiation pénale. Il faut incontestablement engager une réflexion en la matière. On entend dire par certains – et nous ne saurions affirmer qu’ils ont tort – que la médiation pénale en cas de violence conjugale, c’est mieux que rien. Mais je serais tenté de dire, au risque de la bonne formule, que trop souvent la médiation pénale, c’est pire que tout, parce que c’est tout simplement demander à une victime de commencer à partager la responsabilité de ce qui lui arrive.

M. Yvan Lachaud. Très juste !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Absolument ! Très bonne analyse !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Lorsque l’on prend conscience de cette réalité, on ne peut qu’inviter les pouvoirs publics à réfléchir sur la capacité de la médiation pénale à répondre valablement, de manière conséquente et respectueuse de la victime, à la problématique de la violence conjugale. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

Mme Patricia Adam. Absolument !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est la raison pour laquelle, bien que nous n’ayons pas eu la possibilité de l’étudier ce matin en commission, je donnerai tout à l’heure, monsieur le ministre, un avis personnel – mais que je sais partagé par beaucoup – plutôt favorable à l’amendement proposé en ce domaine par la délégation aux droits des femmes. Et j’espère que les explications que vous nous donnerez et les assurances qui en découleront nous permettront de progresser sur ce chapitre.

Le second est celui des questions matérielles. Celles-ci sont très importantes en matière de violences conjugales. Je rappelle que, dans 62 % des couples concernés, au moins un des membres n’exerce pas d’activité professionnelle, ce qui en dit long.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Et voilà ! C’est là le nœud du problème !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Il est essentiel que nous soyons aux côtés de ces femmes qui sont obligées de quitter leur emploi pour fuir ces violences et qui, la plupart du temps, ne sont pas considérées comme ce qu’elles sont, c’est-à-dire des femmes victimes de cette forme de double peine : la violence d’un côté, et l’abandon « volontaire », de l’autre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela les prive une fois de plus, une fois de trop, de la capacité à réagir et à disposer des moyens de conserver un minimum de lucidité et de dignité dans le combat qu’elles ont engagé. Cela aussi, c’est une question importante. La délégation aux droits des femmes avait décidé de déposer un amendement, mais celui-ci n’a pas pu aller au bout de son chemin pour des raisons de recevabilité financière. Mme Ameline, lors de l’examen du texte au Sénat, avait donné des informations précises sur les travaux dont s’était saisie l’UNEDIC. Il serait utile, madame la ministre, que des informations encore plus précises, et actualisées, nous soient données afin que nous puissions impulser, dans ce secteur également, l’ensemble des actions qui sont attendues et qui permettront d’améliorer la situation et d’éradiquer à terme toutes ces violences.

Je termine en disant que le travail de la commission des lois, dont je salue tous les membres, a été de grande qualité, fondé non pas sur le désir d’un consensus vague, mou et réducteur, mais sur la volonté, en partant du bon texte du Sénat, d’aller encore plus loin, d’aller encore plus fort et de proposer, en plus du signal important qu’est celui de la loi, un ensemble de dispositions et d’invitations à la réflexion et à l’action qui, j’en suis persuadé, monsieur le ministre, madame la ministre, feront, après l’adoption, que j’appelle de mes vœux, par tous les groupes de notre assemblée, la fierté du travail parlementaire, et la fierté d’une société qui aura décidé de regarder la vérité en face, de combattre dans la dignité et dans l’efficacité le fléau des violences au sein du couple. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Chantal Brunel, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente à la délégation aux droits des femmes, chers collègues, débattre d’un texte concernant la prévention et la répression des violences au sein du couple est un moment fort pour notre assemblée, pour la délégation aux droits des femmes qui a beaucoup travaillé sur ce sujet et qui a fait des propositions, et, bien sûr, pour son rapporteure.

Moment fort pour un sujet qui a été trop souvent tabou, pour un sujet souvent enfoui au plus profond du non-dit des femmes. Elles préfèrent alors se murer dans le silence de la douleur et de la détresse plutôt que d’entamer un chemin difficile de dénonciation, puis de reconstruction.

Moment fort pour un sujet dont on connaît mal l’étendue. Cela a été dit : les statistiques ne peuvent, hélas, que comptabiliser les morts. Six femmes meurent chaque mois à cause des agressions masculines domestiques.

Il semble qu’une femme sur dix vive dans un climat de violences survenues au sein du couple. Chiffres terribles, dans notre pays où l’égalité des hommes et des femmes est reconnue depuis longtemps. Or il faut aujourd’hui avoir le courage de dire que l’on trouve des situations de dépendance totale, d’asservissement et de violences incompatibles avec notre droit.

Bien sûr, il faut d’abord informer, prévenir, et cela à plusieurs niveaux.

En premier lieu, il est nécessaire de mettre en œuvre des actions de prévention en milieu scolaire, afin d’obtenir une évolution en profondeur des mentalités.

La formation des médecins doit être améliorée, afin d’aider ceux-ci à mieux déceler ces situations de violences conjugales.

La formation des policiers et des gendarmes doit également être revue. Ces derniers sont souvent désarmés par l’incohérence des dépositions de ces femmes violentées, par leurs revirements. Ils ne les orientent pas assez vers le dépôt de plainte, préférant éviter un sujet délicat.

La formation des magistrats doit elle aussi être complétée. Il convient de développer le recours aux mesures alternatives aux poursuites.

La médiation pénale, comme l’a très bien dit le rapporteur de la commission, Guy Geoffroy, semble la plupart du temps inappropriée et singulièrement inadéquate en cas de violence conjugale. Comment ne pas comprendre que les deux membres du couple ne sont pas sur le même pied ? En fait, il se passe dans le cadre de la médiation exactement ce qui se passait dans la sphère privée : l’agresseur promet de changer de comportement, la victime croit que les choses vont s’arranger, la femme abandonne la procédure et rien ne change ! C’est pourquoi la délégation préconise qu’elle ne puisse être utilisée qu’une fois dans les cas de violence au sein des couples.

En revanche, l’injonction de soins apparaît comme une mesure beaucoup plus efficace dans ce domaine. Il conviendrait de rendre son recours plus systématique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Très bien !

Mme Chantal Brunel, rapporteure. Il faut aussi, comme l’a souligné Mme la ministre, développer les capacités d’accueil en urgence et prévoir pour les femmes sans ressources le versement anticipé d’une somme permettant de faire face au quotidien après le départ du domicile.

Pour aider les femmes à se reconstruire, la délégation aux droits des femmes vous propose de favoriser la mobilité géographique des femmes qui, ayant un emploi, ne peuvent quitter leur région pour refaire leur vie ailleurs. Il convient donc de rattacher aux cas de démissions considérées comme légitimes, celles qui résultent de violences avérées au sein du couple, ce qui permettrait aux femmes qui en sont victimes de toucher des allocations chômage.

De même, un droit prioritaire à la mobilité géographique pourrait être reconnu aux fonctionnaires.

La délégation se félicite de l’adoption de mesures visant à relever l’âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles, et à créer une nouvelle infraction concernant la privation des pièces d’identité ou des pièces relatives au titre de séjour ou de résidence.

Enfin, la délégation estime indispensable de mettre sous tutelle les prestations à caractère familial dans le cas de familles pratiquant la polygamie. Celle-ci est incontestablement une violence faite aux femmes : elle relève du mariage forcé. À l’heure actuelle, la captation des allocations familiales par le père polygame se fait au détriment des enfants et de la mère : c’est là une violence économique et psychologique exercée contre les épouses. Il est nécessaire que ces allocations soient versées, à la demande du juge, à un tuteur extérieur à la famille. En instituant un tuteur pour les prestations familiales, le juge pourra s’assurer de la préservation des intérêts des enfants et aider à la décohabitation des mères.

Cette mesure ne devrait pas susciter de controverses : il ne s’agit pas, en effet, de prôner telle ou telle morale, ni de stigmatiser telle ou telle religion, telle ou telle origine, mais de poursuivre un combat pour la dignité de la femme.

L’état de polygamie est inacceptable. C’est un asservissement de la femme, qui renvoie aux enfants une image dégradée de leur mère.

Notre pays ne peut pas avoir un discours et une politique en faveur de l’égalité entre hommes et femmes et fermer les yeux sur des pratiques qui sont une insulte faite aux femmes. Nous devons aider les femmes issues de l’immigration qui vivent sur notre sol à sortir de cette terrible dépendance que constitue l’état de polygamie.

La violence conjugale, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. Nous nous devons d’aider toutes les victimes à s’en sortir et les agresseurs à se soigner et à répondre de leurs actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Delnatte, premier orateur inscrit.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famille, le couple et l’enfant sont des sujets qui nous tiennent tous particulièrement à cœur, et la très grande majorité de nos concitoyens les considèrent comme les fondements du lien social et de l’organisation de notre société. Parce qu’hommes et femmes sont égaux, et qu’ils doivent se respecter mutuellement, la société se doit d’intervenir pour lutter contre les violences conjugales.

Parce qu’elles relèvent de la sphère privée, et souvent vécues comme une honte, il est très difficile de parler des violences conjugales. Seules des études récentes nous éclairent sur l’importance des faits que, pourtant, beaucoup de témoignages révèlent. Il est aussi difficile d’intervenir. Pourtant, 9 % des femmes disent avoir subi des violences conjugales, qu’elles soient physiques, psychologiques, verbales ou sexuelles. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont touchées : 10 % des femmes battues sont des cadres supérieurs ; 10,2 % des femmes au foyer, 9 % des employées et près de 9 % des ouvrières. Les causes sont multiples : alcoolisme, chômage – qui constitue un facteur aggravant des violences – ou encore séparation.

Ce qui est atroce, c’est qu’une femme meurt tous les quatre jours des suites des violences au sein du couple, et un homme tous les seize jours. Dans la moitié des cas, la femme auteur de l’acte subissait des violences de sa part.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. En effet, il fallait le préciser !

M. Patrick Delnatte. C’est hélas le Nord – mon département d’origine – qui a connu le plus de crimes conjugaux pour la période 2003-2004.

La proposition de loi sur la lutte contre les violences conjugales que nous examinons aujourd’hui, initiée par les sénateurs Roland Courteau et Nicole Borvo Cohen-Seat, a été adoptée le 29 mars dernier au terme d’un débat qui a dépassé tous les clivages politiques. Nous souhaitons compléter le travail de nos collègues sénateurs en introduisant dans la loi la lutte contre les mariages forcés, autre forme de violence au sein des couples tout aussi condamnable.

Depuis longtemps alertés par l’ONU et le Conseil de l’Europe, les pays européens commencent à prendre conscience de la problématique spécifique des violences conjugales. Ils le font selon des approches différentes, en tenant compte de leurs traditions.

L’Autriche a été pionnière dans la mise en place de la politique globale. Elle considérait que seule une action globale aiderait à lutter efficacement contre ce fléau. Parallèlement aux mesures de répression, elle a mis en place des centres de soutien pour les victimes et des programmes spéciaux pour les auteurs de violences, afin qu’ils prennent conscience de leurs actes.

En Espagne, le gouvernement de M. Zapatero veut mettre en place une « loi intégrale contre la violence de genre ». L’objectif est de lutter globalement contre la violence envers les femmes à tous les niveaux.

II est intéressant de relever que la plupart de nos voisins européens envisagent ou s’acheminent vers une politique globale, à savoir : punir, protéger et prévenir.

En France, le travail des associations, qui ont permis notamment aux victimes de parler, a contribué à faire évoluer notre législation. Un arsenal répressif est mis en place, et continue à évoluer notamment grâce à cette proposition de loi. Que ce soit à l’occasion de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 2004, ou dans le cadre de la proposition de loi, récemment adoptée, relative à la récidive des infractions pénales, les auteurs de violences conjugales sont lourdement condamnés, pour délits ou crimes, selon la gravité des faits. La qualité de conjoint ou concubin comme circonstance aggravante est particulièrement significative de la volonté de la société.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui vient compléter les dispositions pénales pour apporter une réponse cohérente et efficace. Les violences conjugales sont abordées dans un champ très large. Il faut prendre conscience que les violences ne s’arrêtent pas aux seules violences physiques : elles peuvent aussi être psychologiques, sexuelles, ou encore verbales, perverses, tout aussi répréhensibles et destructrices de la personnalité, parce qu’insidieuses. Ce sont des violences qu’il est difficile d’appréhender, car elles relèvent à la fois de la subjectivité et de l’intimité du couple. La difficulté de la définition est particulièrement aiguë sur le plan pénal.

La proposition de loi prévoit d’étendre la qualité de victime aux personnes liées par un pacte civil de solidarité. Cette démarche n’est pas dénuée de signification, puisqu’elle tend à reconnaître aux pacsés des devoirs de conjugalité.

S’appuyant sur des chiffres selon lesquels les risques de violences conjugales augmentent en cas de séparation – 31 % des affaires – et 10 % des actes homicides sont le fait des anciens partenaires, le texte étend la notion de circonstance aggravante aux violences exercées sur un ancien conjoint, un ancien concubin ou un ancien pacsé.

Au delà de la réponse pénale, la violence au sein du couple appelle à l’évidence une réponse de tous les acteurs institutionnels, qui permette de guérir une blessure dans sa globalité. Sous l’impulsion des ministères successifs chargés des droits des femmes, la France se dote peu à peu d’outils tendant à punir les auteurs de violences conjugales, tout en s’engageant dans une démarche globale. Votre programme d’action, madame la ministre, va très utilement accompagner notre travail législatif.

En matière d’éloignement, la loi du 26 mai 2004 relative à la réforme du divorce, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, autorise l’éviction du conjoint violent par le juge aux affaires familiales. Ainsi, si les violences exercées par l’un des époux mettent en danger son conjoint ou un ou plusieurs enfants, le juge peut, après débat contradictoire, attribuer la jouissance du domicile conjugal au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences. Cette mesure montre combien les mentalités doivent évoluer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Très bien !

M. Patrick Delnatte. La victime n’a plus à fuir le domicile, pour se retrouver dans une situation d’extrême précarité matérielle qui s’ajoute à la fragilité psychologique.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. En effet !

M. Patrick Delnatte. Les enfants sont mieux pris en compte. Ils pourront rester dans leur environnement. L’article 5 de la proposition de loi étend la disposition aux concubins et aux pacsés.

Récemment, le texte sur la récidive des infractions pénales a prolongé une initiative du parquet de Douai qui a mis en place une thérapie fondée sur la prise de conscience des actes commis. Les auteurs de violences pourront être astreints à une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique. L’idée est de protéger la victime et les enfants, mais aussi de faire prendre conscience de la gravité des actes.

Aujourd’hui, on peut se féliciter que le cadre existe –répression, prévention et traitement – mais celui-ci doit être sans cesse complété et amélioré. Le travail des associations, l’analyse comparée des méthodes de nos voisins nous permettent d’avancer.

Deux dispositions adoptées par le Sénat engagent la lutte contre les mariages forcés : le relèvement de l’âge du mariage de 15 à 18 ans pour les filles – sauf dispense – et de la définition d’une nouvelle infraction réprimant la privation des titres d’identité ou du titre de séjour ou de résidence par le compagnon ou l’ex-compagnon. Ces dispositions sont extrêmement importantes, car elles protègent mieux la jeune fille et s’inscrivent dans une démarche globale de la société concernant l’égalité entre hommes et femmes, la dignité de la personne, sa responsabilité et sa maturité.

Le relèvement de l’âge du mariage peut être un rempart contre les mariages forcés, puisque, par hypothèse, les futurs époux seront majeurs, et donc capables de prendre cet engagement. Si l’Allemagne et la Norvège ont introduit le mariage forcé dans leur code pénal, la France, quant à elle, préfère la voie civile.

Il nous est proposé aujourd’hui d’examiner des amendements – fruits des travaux de la mission parlementaire sur la famille, à partir des témoignages des acteurs de terrain – qui visent à maîtriser et à empêcher les quelque 70 000 mariages forcés en France.

Les dispositions proposées se situent à la fois en amont et en aval du mariage. Elles visent à prévenir la célébration du mariage forcé en renforçant les formalités et à faciliter l’action en nullité d’un tel mariage.

Qu’il soit célébré en France ou à l’étranger, ou fasse l’objet d’une transcription, la célébration du mariage sera précédée d’une audition obligatoire des futurs époux quand il existera un doute sur la liberté du consentement. À l’issue de l’audition, l’agent pourra surseoir à la célébration du mariage, ou à la transcription de l’acte en cas de mariage célébré à l’étranger selon les règles d’un autre pays.

En ce qui concerne les demandes de nullité du mariage pour vice de consentement, le procureur de la République pourra, en se fondant sur le principe que les mariages forcés sont une atteinte à l’ordre public, attaquer un mariage contracté sans le consentement libre des deux – ou de l’un de deux – époux.

Les délais d’action sont aussi allongés et harmonisés. Le délai prévu à l’article 181 du code civil pendant lequel un époux peut demander l’annulation du mariage pour vice de consentement a été allongé de six mois à deux ans de vie commune en cas de cohabitation, et reste maintenu à 5 ans en l’absence de cohabitation.

Il a également été prévu de rendre illégitime la contrainte de la crainte révérencielle envers les parents. Cet amendement prend en compte le fait – devenu un véritable phénomène de société – que, lors des mariages forcés, ce sont les parents qui « arrangent » le mariage de leurs enfants.

Le thème du mariage forcé reste largement tabou. On parle plus de mariage arrangé que de mariage forcé. Mais dans les faits, et à notre époque, c’est la même chose. Les filles concernées acceptent le mariage parce qu’elles sont très jeunes et redoutent la rupture avec la famille, et parce qu’elles subissent le poids de traditions archaïques. Après l’union, elles en ont assez et se rebellent. Les mariages forcés aboutissent souvent à des violences conjugales, avec tous les drames qui s’ensuivent.

Un arsenal juridique est mis en place, il tend à protéger au maximum la victime. Au-delà de ces réponses judiciaires, la lutte contre les mariages forcés nécessite des mesures d’information, de sensibilisation, d’éducation et de formation à destination tant des autorités confrontées que des femmes et des hommes concernés.

La lutte contre les mariages forcés doit aussi s’accompagner de mesure d’assistance sociale – aides au logement, formation, démarches administratives, etc. – qui interviennent après l’annulation du mariage ou au moment de celle-ci.

La France s’est dotée, et continuera à se doter, d’outils concrets répondant à des situations concrètes. Ces outils doivent être envisagés dans leur globalité, et avec pragmatisme, en prenant en compte aussi bien l’auteur, que la victime et leur entourage. Je pense notamment aux enfants qu’il faut aider à se reconstruire après de tels drames.

Avec cette proposition de loi, le Parlement veut adresser à la société française et, bien au-delà, à tous les peuples qui veulent tisser des liens avec nous, un message fort sur l’égale dignité des hommes et des femmes, ainsi qu’une condamnation sans équivoque de l’inacceptable : les violences au sein des couples et les mariages forcés.

Aussi, le groupe UMP soutiendra cette proposition de loi, avec la plus grande confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, diligentée en 2002, à l’initiative de Nicole Péry, a révélé que parmi les femmes de vingt à cinquante-neuf ans vivant en couple, une sur dix a été victime de violences de la part de son conjoint ou concubin, dans les douze mois précédant l’enquête.

Dans les douze derniers mois encore, 0,3 % des femmes ont déclaré avoir subi un viol, soit sur une année, 48 000 femmes victimes de viol alors que, pour la même année, 3 490 plaintes seulement ont été enregistrées sur l’ensemble du territoire national.

Tous les quatre jours, dans notre pays, en 2005, une femme meurt des suites des violences qu’elle a subies au sein de son couple.

Aujourd’hui encore, la plupart des femmes gardent le silence sur les violences que leur inflige leur compagnon : 13 % seulement des victimes effectuent une démarche auprès de la police et 8 % portent plainte.

Pourtant les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs, même s’il a fallu attendre 1989 pour que Michèle André, secrétaire d’État aux droits des femmes, lance la première campagne contre les violences conjugales, et 1994 pour que le nouveau code pénal reconnaisse un délit spécifique de violence lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin. Il est vrai qu’il avait fallu attendre 1970 pour voir la disparition de la notion du mari « chef de famille », inscrite dans notre droit civil depuis le code napoléonien.

Aujourd’hui, nous connaissons mieux ce fléau qu’est la violence contre les femmes dans la sphère conjugale. Nous savons que tous les milieux sociaux sont concernés, et malgré l’horreur des chiffres cités par tous les intervenants, persiste ce sentiment diffus que nos concitoyens ne mesurent pas la gravité de la situation.

À l’heure où l’insécurité est souvent au premier rang de nos débats démocratiques, la société continue de traiter à part la violence contre les femmes au sein du couple. C’est, pour beaucoup, une affaire privée, une sorte d’histoire de couple. L’agresseur, il est vrai, ne dérange personne puisqu’il est rarement violent dans la sphère publique. Le pire est que les victimes peuvent ainsi se trouver socialement isolées et plongées dans le silence et la honte.

Dès lors, le message principal de notre message de ce matin doit être clair : il n’y a pas de violence privée, il n’existe que des violences qui constituent des délits et des crimes. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Les sénateurs socialistes, au premier rang desquels M. Roland Courteau, ont pris l’initiative d’une proposition de loi, objet d’une discussion commune avec une proposition du groupe communiste. Ce texte voté à l’unanimité est inscrit à l’ordre du jour de nos travaux, ce matin, dans la niche réservée au groupe UMP. Nous aurions préféré que le Gouvernement prenne conscience de la volonté commune de tous les groupes de l’Assemblée, et nous propose une véritable loi-cadre, comme celle votée par le parlement espagnol, à l’initiative du premier ministre, Jose Luis Zapatero.

Nos travaux et les initiatives du rapporteur ont permis d’élargir le champ de la réflexion, notamment en prenant en compte les propositions issues de la mission d’information sur le droit de la famille.

Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend la proposition de nos collègues du Sénat d’introduire dans la partie générale du code pénal une définition de la circonstance aggravante d’une infraction commise par un des membres au sein du couple. L’innovation majeure – et justifiée – est d’appliquer cette circonstance aggravante à l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ex-partenaire d’un pacs. Il est également tout à fait opportun d’inscrire dans la loi la répression du viol au sein du couple, déjà reconnu par la jurisprudence.

Le texte voté par le Sénat, et complété par les amendements de notre commission, va aussi permettre de procéder à l’éloignement du domicile conjugal de l’auteur de ces violences.

Ces mesures importantes méritent, aujourd’hui, de recevoir notre approbation. Mais, si les dispositions pénales doivent, naturellement, permettre de réprimer et de dissuader, encore faut-il que cette situation de violence soit connue et dénoncée par la victime. C’est par la connaissance de leurs droits que les femmes victimes trouveront les moyens de sortir de l’isolement. À cet égard, le rôle des associations est primordial et il est dommage que le texte que nous examinons, ce matin, ne traite pas de cette question, comme de celle de la formation de tous les intervenants, policiers, magistrats, avocats et médecins. Le volet de la prévention à l’école par des journées d’information mais aussi auprès du grand public aurait mérité d’être inscrit dans une loi-cadre.

Les recommandations de la délégation aux droits des femmes reprennent ces mesures sous la forme de propositions concrètes, particulièrement pertinentes, s’agissant notamment de l’ouverture du droit au versement des ASSEDIC aux femmes démissionnant de leur emploi pour s’éloigner d’un compagnon ou ex-compagnon violent, et de la reconnaissance aux femmes fonctionnaires victimes de ces violences d’un droit prioritaire à la mobilité géographique.

J’ajoute que les observations de la délégation sur le caractère inapproprié de la procédure de médiation pénale dans les circonstances de violences contre les femmes mériteraient de nourrir notre débat, même si l’amendement qui prévoit, malgré tout, l’utilisation de cette procédure paraît en retrait par rapport aux principes rapportés par M. Geoffroy.

Le texte issu de la commission reprend les propositions de la mission pour lutter contre les mariages forcés. Déjà, le Sénat avait, à l’unanimité, modifié l’article 144 du code civil, afin que l’âge légal du mariage des femmes soit porté à dix-huit ans. La table ronde organisée par la mission d’information sur le droit de la famille, le 19 octobre 2005, est directement à l’origine des amendements communs destinés à permettre l’intervention du procureur de la République en cas de vice du consentement, et non plus seulement d’absence de consentement. En effet, jusqu’à présent, la poursuite en annulation du mariage en cas de vice du consentement, ne peut être engagée que par les époux ou par l’un d’eux, puisque, en application de l’article 180 du code civil, le ministère public n’est pas fondé à agir d’office.

Nous avons aussi, ensemble, organisé, dans des conditions maintenant satisfaisantes, l’audition des futurs époux par l’officier d’état-civil, l’agent diplomatique ou leurs délégataires, et porté de six mois à deux ans après la fin de la cohabitation, le délai pour engager une action en nullité du mariage pour vice du consentement.

Cependant, il subsiste une vraie difficulté qui concerne les conditions de transcription d’un mariage célébré à l’étranger. La majorité de la commission a, en effet, adopté un amendement modifiant l’article 170-1 du code civil, en précisant que s’il n’a pas été procédé à l’audition des futurs époux, l’agent diplomatique ou consulaire ne transcrit pas l’acte de mariage, à charge pour les intéressés de saisir le président du tribunal de grande instance pour obtenir cette transcription. Je rappelle qu’aujourd’hui, le mécanisme est inverse et prévoit la transcription automatique si le parquet ne s’est pas prononcé dans un délai de six mois.

Cette mesure vise-t-elle prioritairement les mariages forcés ?

Mme Valérie Pecresse. Oui !

M. Alain Vidalies. J’en doute car elle a été, en fait, évoquée par le comité interministériel de contrôle de l’immigration du 29 novembre 2005, ainsi qu’il ressort d’une réponse du Premier ministre à une question d’actualité posée le même jour. La lutte contre les mariages forcés relève de la défense des droits de l’homme et mérite, à ce titre, d’être distinguée de l’action contre les mariages de complaisance, laquelle s’inscrit dans une politique de lutte contre l’immigration irrégulière.

Nous sommes donc opposés à cet amendement qui, au surplus, pose, à notre avis, un problème de constitutionnalité au regard des principes posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2003, reconnaissant « le principe constitutionnel de la liberté du mariage ».

Sous cette réserve – importante –, le groupe socialiste entend poursuivre sa contribution au travail lancé par son homologue du Sénat. La lutte contre les violences au sein du couple suppose une volonté déterminée des pouvoirs publics. Elle ne se limite pas à des dispositions répressives mais exige aussi des actions de prévention et de formation et, par conséquent, des moyens pour les associations.

Aujourd’hui, nous franchissons une étape importante, mais ce n’est qu’une étape dans un long combat qui doit rassembler toutes les énergies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Parlement se saisit d’un problème devenu, malheureusement, trop courant dans les relations entre les hommes et les femmes : les violences conjugales. C’est un moment très fort pour notre société.

Dans le pays où a été rédigée la Déclaration des droits de l’homme, les droits des femmes ne sont pas toujours respectés. Chaque année, 48 000 femmes sont violées, 10 % d’entre elles subissent des violences physiques et psychologiques au sein de leur couple et quatre cents meurent, chaque année, à la suite des violences subies. Et si 42 000 hommes exercent des violences sur leur compagne, 300 d’entre eux seulement sont accueillis dans des centres spécialisés.

Dans un pays où la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est inscrite au fronton de tous les édifices publics, comment pouvons-nous tolérer la violence contre les femmes, qui constitue l’un des plus grands scandales de notre époque ? Ce n’est pas une affaire privée, c’est l’affaire de tous, et en premier lieu des services publics et du législateur. En tant que députés, il nous faut agir contre la banalisation ou la minimisation des situations de violences conjugales, trop souvent passées sous silence, comme un tabou.

La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui va dans le bon sens, mais elle appelle de notre part quelques remarques.

Comme l’a souligné M. Geoffroy, la médiation ne paraît pas la méthode la meilleure pour résoudre les conflits. D’abord, elle suspend la pénalisation, ce que les victimes ressentent très mal. En outre, elle ne peut s’exercer qu’entre deux protagonistes qui sont à égalité de situation devant la loi. Or, l’agresseur n’est pas dans la même position que la victime ! La médiation pénale tend à rendre interactive la responsabilité de l’acte violent, et donc à donner à la victime une part de responsabilité dans cet acte. Cette démarche nous paraît donc contre-indiquée.

Par ailleurs, nous sommes favorables à ce qu’un fondement législatif soit donné au viol entre époux, car certaines interdictions méritent d’être mieux mises en évidence dans notre droit pénal pour renforcer leur effet dissuasif. Aujourd’hui, en effet, la loi reste muette sur le viol entre époux, qui, en revanche, a été reconnu par la jurisprudence de la Cour de cassation. Il est donc important que la loi en reconnaisse l’existence.

Mais l’UDF souhaite aller plus loin, et je voudrais vous présenter ici nos propositions, qui figuraient déjà dans la proposition de loi que j’avais déposée en novembre 2004.

Nous souhaitons sensibiliser les élèves aux violences conjugales et au sexisme, en ajoutant au programme d’éducation civique une formation « au respect de l’égalité de l’homme et de la femme, ainsi qu’une sensibilisation aux violences conjugales et aux actes et propos sexistes ». Mme la ministre vient d’ailleurs de reprendre cette proposition. Il conviendrait également de dispenser une formation spécifique, à la fois initiale et continue, pour les personnels médicaux et paramédicaux, les magistrats, les agents et officiers de police judiciaire, le personnel de la gendarmerie et les travailleurs sociaux, et de mettre en place une coopération entre les différents acteurs de la lutte contre les violences conjugales, acteurs institutionnels ou non – magistrats, fonctionnaires de police et de gendarmerie, services pénitentiaires, personnel médical et paramédical, travailleurs sociaux. L’interdiction du domicile conjugal à l’auteur de violences conjugales doit être étendue aux couples non mariés ayant un enfant mineur. Il faut aussi durcir les modalités du contrôle judiciaire appliqué à un auteur de violences conjugales en lui interdisant de se rendre au domicile de la victime ou dans les lieux fréquentés par celle-ci, mettre en place une obligation de soin pour les auteurs de violences conjugales, recenser les carences en services et établissements assurant l’accueil, l’hébergement et le soin aux victimes de violences conjugales. Il s’agit, enfin, de demander à l’État un rapport dévaluation des structures existantes, qui sont le plus souvent en nombre insuffisant, s’agissant notamment des établissements accueillant des femmes – le cas échéant avec leurs enfants –, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale et des établissements assurant le soin des auteurs de violences conjugales.

En conséquence, nous demandons à l’État de mettre en œuvre un plan d’action pluriannuel, par une contractualisation entre l’État et les collectivités locales afin de résorber ces carences, d’inscrire dans la loi le délit de diffamation sexiste, le délit d’incitation au sexisme et le délit d’injure sexiste et de permettre à une association d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits d’incitation au sexisme, d’injure sexiste et de diffamation sexiste.

Notre pays doit en particulier mettre en œuvre une mobilisation de la justice, dans la mesure où un trop grand nombre de plaintes relatives à des faits de violence conjugales demeurent sans suite. Cette situation anormale entraîne une impunité de l’auteur de la violence. Or la spirale ne peut être stoppée s’il n’y a pas de sanction judiciaire, car la victime, découragée et ne voyant aucune réaction des autorités judiciaires, risque de perdre confiance en la justice. La réflexion sur les violences conjugales doit également prendre en compte la détresse des victimes au sein des couples non mariés.

Fondamentalement, les violences conjugales appellent des réponses autres que juridiques. Les associations font aujourd’hui un travail remarquable…

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Tout à fait !

M. Yvan Lachaud. …afin d’apporter aux victimes tout le réconfort et la compréhension nécessaires. Elles doivent être reconnues et insérées dans des réseaux reliant tous les acteurs.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un véritable changement des mentalités, indispensable pour mettre fin à ces actes de violences et aux souffrances des femmes.

Le groupe UDF votera donc sans ambiguïté cette proposition de loi.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité et M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence envers les femmes dans le couple ou ailleurs, quel que soit le lien unissant les individus, est aujourd’hui un véritable fléau social. Ces comportements sont inacceptables et l’on ne peut supporter qu’ils soient banalisés. Cette domination est contraire au principe de l’égalité des femmes et à leur dignité.

C’est souvent au sein de la famille que la violence conjugale s’exerce. Ce n’est pas pour autant une affaire privée. Le législateur se doit donc d’appréhender ce phénomène comme faisant partie intégrante de la santé publique et, bien entendu, de la sécurité publique.

En effet, toutes les enquêtes l’attestent : en France, au moins 10 % des femmes interrogées auraient subi des violences conjugales au cours des douze derniers mois. Selon la Commission européenne, dans près de 99 % des cas, la violence est le fait de l’homme. Aussi, nous pouvons sans crainte cibler notre population victime comme étant féminine.

Pis, pour les femmes de seize à quarante-quatre ans, cette violence serait la principale cause de décès et d’invalidité, avant le cancer et les accidents de la route, selon les statistiques citées par un rapport du Conseil de l’Europe. Une femme sur cinq est victime de violence conjugale au cours de sa vie et six femmes meurent chaque mois des suites d’actes violents émanant de leur conjoint. Qu’elle soit physique, psychologique, verbale, émotionnelle, sexuelle ou économique, cette violence est toujours préjudiciable à l’intégrité et à la dignité de la personne. Et ce sont toutes ces dimensions que le législateur doit appréhender.

Les violences se manifestent sous des aspects divers et se développent selon des cycles dont l’intensité et la fréquence augmentent avec le temps. Elles s’exercent au cours d’incidents répétés et, souvent, de plus en plus sévères, entraînant des blessures, des symptômes et des séquelles affectives et psychologiques graves.

Malgré les idées reçues, il n’y a pas de profil particulier et rien ne prédestine une femme à devenir victime de son conjoint.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. C’est vrai !

Mme Muguette Jacquaint. On la trouve dans tous les groupes sociaux, économiques et culturels, dans toutes les classes d’âge, en milieu urbain comme en milieu rural. La majorité des victimes ont même une activité professionnelle et perçoivent un revenu personnel.

La violence dont l’enfant est témoin a les mêmes effets sur lui que s’il en était victime. Dans une étude récente portant sur 138 femmes victimes de violences conjugales et consultant dans une unité médico-judiciaire, 68 % des enfants ont été témoins de scènes de violence. Et dans 10 % des cas, la violence s’exerce aussi contre les enfants.

Lors des scènes de violence, les enfants adoptent différentes attitudes : la fuite, l’observation silencieuse ou l’intervention. Ils développent un fort sentiment de culpabilité, d’autant que le père les utilise comme moyen de pression et de chantage. Ils ont parfois un comportement d’adulte et peuvent se sentir investis d’un rôle de protection vis-à-vis de leur mère. Ils prennent parfois partie pour l’un des deux parents. Comme pour leur mère, la violence conjugale a de nombreux impacts sur leur santé. Ces enfants sont susceptibles de reproduire la violence, seul modèle de communication qu’ils connaissent, soit dans les lieux publics, à l’école, dans la rue, soit en privé, à la maison ou dans une future relation de couple. Il est donc plus que jamais urgent de réfléchir à toutes les mesures de protection de ces enfants.

Venons-en à présent à notre texte et saluons l’adoption de certaines mesures émanant de notre proposition de loi. Mais gardons bien en tête ce principe : avant de punir les violences, il faut les prévenir.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

Mme Muguette Jacquaint. Pour ce faire, nous demandons que l’État et les collectivités locales mettent sur pied des politiques de formation obligatoire initiale et continue de tous les personnels susceptibles d’intervenir en cas de violences faites aux femmes – y compris les mariages forcés – ces formations devant être assurées par des personnels eux-mêmes dûment formés par les associations de solidarité aux victimes. C’est ce que nous avons mis en place en Seine-Saint-Denis en créant un observatoire départemental contre les violences envers les femmes.

En amont, il faudrait que soit déclarée illégale toute image ou texte publicitaire et pornographique utilisant l’image des femmes avec un caractère humiliant ou discriminatoire, et que les associations puissent se porter partie civile contre ces représentations sexistes

Dans cet esprit, il conviendrait aussi que l’État mette sur pied, en direction de tous les publics et par tous les moyens médiatiques modernes, des campagnes de sensibilisation, répétées régulièrement, contre les violences faites aux femmes,

Nous souhaitons également porter une attention toute particulière à l’assistance, à la protection et à l’aide financière aux victimes. Il faut former tous les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires afin d’améliorer l’accueil, la protection et le suivi des femmes victimes de violences conjugales. Nous devons inciter ces acteurs, en fonction de leurs missions respectives et dans le souci de promouvoir un esprit de coopération, à s’impliquer activement dans la prévention, le dépistage et la protection des femmes victimes de violences conjugales. Ce sujet devrait être impérativement inscrit dans les programmes de formation initiale et continue et la constitution de réseaux devrait être encouragée.

Il conviendrait, par exemple, que soient créées dans les commissariats des cellules spécifiques d’accueil des femmes victimes de violences, avec un personnel formé par les associations de solidarité aux victimes. Madame la ministre, je m’interroge sur la mise en place de familles d’accueil alors que celles-ci font terriblement défaut pour les enfants. L’État et les collectivités locales devraient multiplier les structures d’accueil et d’hébergement pour les femmes victimes de violences, avec un accompagnement social adéquat. Ces mêmes structures doivent cesser de voir leurs subventions diminuées et être dotées de tous les moyens leur permettant de fonctionner correctement. Il conviendrait aussi que les femmes victimes de violences soient prioritaires pour l’accès au logement, d’où l’importance de réaliser plus de logements sociaux.

D’une façon plus globale, toutes les femmes victimes devraient bénéficier, indépendamment de leur position sociale, d’un droit à l’assistance sociale intégrale. Ce droit comporterait l’information, le soutien psychologique, le soutien social, le suivi des réclamations des droits, l’encadrement éducatif des enfants, tous les soins médicaux et l’appui pour l’insertion professionnelle.

Au-delà de ces principes de prévention et d’aide aux victimes, quelques mesures plus spécifiques permettraient de lutter efficacement contre ces violences. À cet égard, nous approuvons les travaux de la commission des lois ayant introduit des dispositions telles que la lutte contre l’excision et les autres mutilations sexuelles, la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et contre le tourisme sexuel.

D’autres dispositions sont néanmoins indispensables. Nous demandons que soit supprimée la possibilité de recours à la médiation pénale dans les situations de violences conjugales et de toute autre violence faite aux femmes. En effet, la médiation pénale, en imposant une confrontation de la victime avec son agresseur, n’est pas adaptée à la résolution de ce type de problème, car la victime ne peut se trouver sur un pied d’égalité avec son agresseur.

De même, nous demandons depuis longtemps que soit modifié le délit de dénonciation calomnieuse, qui menace le droit de dénoncer les violences sexuelles : la loi devrait rendre impossible la condamnation quasi automatique pour dénonciation calomnieuse des femmes qui n’ont pas pu rassembler assez de preuves pour faire condamner au pénal l’agresseur. Dans ce sens, l’obtention d’une relaxe ou d’un non-lieu en cas de plainte pour violences faites aux femmes ne doit être plus un critère suffisant pour faire condamner une plaignante dont la mauvaise foi n’a pu être prouvée.

Nous demandons aussi que les mariages forcés soient reconnus comme une violence faite aux femmes et aux jeunes filles…

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est le cas.

Mme Muguette Jacquaint. …qu’ils aient un traitement juridique adéquat et qu’un dispositif d’hébergement adapté et sécurisé soit prévu pour venir en aide aux jeunes filles menacées d’un mariage forcé. Je tiens à féliciter la délégation aux droits des femmes du travail réalisé en ce sens.

Cette longue liste de revendications n’est pas seulement le signe d’une législation défaillante. Nous devons surtout l’interpréter comme un appel sans équivoque à élaborer, à l’instar de nos amis espagnols, une loi-cadre contre toutes les violences faites aux femmes, contre les formes les plus diverses et les plus insidieuses de la violence de genre.

Avant de terminer, je souhaite rendre hommage à toutes les associations dont les luttes ont abouti à l’examen de ce texte.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

Mme Muguette Jacquaint. Je souhaite que des mesures efficaces soient rapidement prises pour leur venir en aide. Ce sont en effet leurs cris qui ont percé le silence et permis de lever les tabous. Nous devons répondre à leurs exigences. Je me félicite donc que certains amendements aient été adoptés en leur faveur. C’est pourquoi, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers amis, notre assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi sur les violences conjugales adoptée par le Sénat. Cette proposition nécessaire et attendue a fait l’unanimité à la Haute assemblée. Je souhaite qu’il en soit de même sur nos bancs.

Mais je voudrais surtout évoquer ici, en tant que rapporteur de la mission sur la famille et les droits de l’enfant, les amendements issus de nos travaux et visant à combattre la pratique des mariages forcés.

En effet, la première des violences n’est-elle pas celle exercée sur ses enfants lorsqu’on les prive de la liberté de se marier en les contraignant à une union non désirée ? Le Sénat l’a compris, puisqu’il a décidé, sur la proposition judicieuse de Joëlle Garriaud-Maylam, sénateur des Français de l’étranger, de relever de quinze à dix-huit ans, pour protéger les adolescentes, l’âge minimum au mariage.

Alertés par la défenseure des enfants, Claire Brisset, les trente députés réunis au sein de la mission parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant, issus de toutes les familles politiques, se sont mobilisés pour aller plus loin. Car la liberté d’aimer et de se marier est un droit fondamental de l’homme qui doit être affirmé sur le territoire de la République. C’est une liberté que les couples, et particulièrement les femmes, ont su arracher à la tradition, celle d’une culture patriarcale, où les parents décidaient « dans l’intérêt » de leurs enfants.

Cette liberté n’est pourtant pas garantie à chacun. Selon les associations qui ont décidé de lever l’omerta, des milliers de jeunes filles seraient chaque année données en mariage à des hommes qu’elles n’ont pas choisis. Des jeunes hommes seraient aussi concernés. Ces chiffres ne peuvent nous laisser indifférents, d’autant qu’ils contrastent violemment avec la petite vingtaine d’annulations de mariage prononcées l’an dernier par les tribunaux français.

La frontière entre mariages arrangés et mariages forcés est ténue mais elle existe : c’est celle du libre consentement. Lorsqu’il y a violence psychologique ou physique, le mariage doit pouvoir être dénoncé car il devient, selon les termes mêmes des Nations unies, une forme d’esclavage moderne.

Parce que nous travaillons depuis neuf mois sur la protection de l’enfance, parce que nous réfléchissons aux évolutions souhaitables du droit de la famille, nous devions nous saisir de cette atteinte à la liberté d’aimer et aux droits des femmes pour y apporter des réponses concrètes autour d’un tryptique : prévenir, éduquer, protéger.

Prévenir les mariages forcés, c’est évidemment d’abord relever l’âge minimal au mariage, car les mineures sont particulièrement vulnérables en raison de leur immaturité, de leur grande dépendance à l’égard de leur famille et de leur incapacité juridique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Absolument !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est un préalable !

Mme Valérie Pecresse. Mais au-delà, il est vraiment paradoxal de constater que la société française a instauré, à travers de nouvelles règles d’immigration posées en 2003, un contrôle de la réalité du consentement des époux beaucoup plus efficace pour lutter contre les mariages de complaisance – c’est-à-dire limiter l’immigration clandestine – que pour éviter les mariages forcés – c’est-à-dire garantir une liberté publique. Et nous nous targuons de vivre dans le pays des droits de l’homme !

Je tiens ici à saluer le travail remarquable fourni par la délégation aux droits des femmes, et tout particulièrement par sa présidente Marie-Jo Zimmermann, …

M. Pierre-Louis Fagniez. Bravo !

Mme Valérie Pecresse. …au sujet de la situation des femmes issues de l’immigration. Nous sommes en parfait accord avec ses conclusions.

C’est pourquoi nous proposons de donner désormais au ministère public, comme c’est le cas pour les mariages blancs, la possibilité de surseoir à la célébration d’un mariage, ou à la transcription de celui-ci en droit français s’il a été conclu à l’étranger, dès lors qu’il y a un doute sérieux sur la réalité du consentement d’un des époux. En effet, souvent, les situations sont dénoncées par des proches – le vrai « petit ami », les camarades de classe – et non par la victime elle-même, parfois envoyée dans le pays d’origine de sa famille où sera conclu le mariage. Il faut que la justice puisse agir.

Préalablement au mariage ou à sa transcription en droit français, une audition des futurs époux est aujourd’hui obligatoire, sauf lorsqu’elle n’apparaît pas nécessaire. Mais bien souvent, les officiers d’état civil ou les agents consulaires français sont débordés. Ils invoquent aussi l’impossibilité matérielle de procéder à l’audition conjointe des époux lorsque l’un des deux réside à l’étranger. Nous proposons de donner toute son efficacité à cette formalité : en permettant l’audition séparée des époux lorsqu’ils vivent dans deux pays différents et ne seront réunis que pour la célébration ; en déléguant la responsabilité de la première audition à des fonctionnaires, les officiers d’état civil n’intervenant que si les soupçons sont confirmés ; en permettant au procureur de refuser la célébration ou la transcription si les auditions n’ont pas été réalisées malgré la demande qui en a été faite.

Mais ces dispositifs de prévention seront inutiles s’ils ne sont pas complétés par des mesures d’éducation et de protection.

L’éducation doit concerner les jeunes, mais aussi leurs familles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. En effet !

Mme Valérie Pecresse. Ainsi une sensibilisation aux règles républicaines du consentement au mariage devrait être assurée dans le cadre des cours d’instruction civique, car la loi, sur ce point, est parfois mal connue. Les jeunes filles savent qu’elles doivent dire « oui », mais ignorent qu’un « oui » extorqué sous la contrainte n’est pas un véritable « oui » au regard de la loi, et qu’elles peuvent le contester devant le juge. C’est pourquoi nous voulons, à titre pédagogique, que la loi indique clairement que toute personne victime de pressions pour se marier peut demander la nullité de son union.

Ajoutons qu’il subsiste dans notre code civil une disposition révélatrice de l’évolution des mœurs françaises à travers les siècles, selon laquelle « la crainte révérencielle des parents » n’est pas une cause de nullité d’un contrat. Il nous paraîtrait approprié qu’elle ne s’applique plus, à tout le moins, à l’institution du mariage.

Nous sommes en revanche opposés à la création d’une sanction pénale spécifique pour les mariages forcés, parce que notre objectif est de libérer la parole et les actes des jeunes femmes concernées. Elles risquent d’être conduites à couper les ponts avec leurs familles, voire à se dresser contre elles, ce qui représente une décision suffisamment dramatique pour que ne s’y ajoute pas, comme le relève l’association « Ni putes, ni soumises », la culpabilité de voir leurs parents condamnés par la justice. Bien souvent, les parents croient faire le bien de leurs enfants, ce dont ces derniers sont d’ailleurs conscients. C’est un vrai dilemme : les enfants sont déchirés entre leurs désirs et le respect des traditions familiales. Ne faisons donc pas peser sur leurs épaules d’avantage de responsabilités. La formulation claire, dans le code civil, de la nullité de tout mariage conclu sous la contrainte aura valeur d’interdit. Et il existe un arsenal de sanctions bien suffisantes en cas de violences graves, d’enlèvement ou de séquestration.

La loi ne pourra cependant pas tout faire. Nous demandons au Gouvernement de mieux assurer la protection des jeunes qui auront le courage de dire « non », …

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. C’est nécessaire, en effet !

Mme Valérie Pecresse…grâce aux centres d’information sur les droits des femmes ou aux centres d’hébergement, et par des mesures d’accompagnement personnalisées leur permettant la poursuite de leurs études ou la recherche d’un travail.

Les comportements évolueront à leur rythme, lentement. Mais la République ne sera plus tacitement complice, faute d’avoir clairement posé les règles garantissant, sur son sol, la liberté d’aimer. (Applaudissements.)

M. le garde des sceaux. Très beau !

M. le président. La parole est à Mme Danielle Bousquet.

Mme Danielle Bousquet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, quel étonnement de notre part de voir un débat sur les violences conjugales, phénomène universel s’il en est, organisé dans le cadre d’une niche parlementaire, alors même qu’un texte a été voté au Sénat !

Point n’est besoin de développer à nouveau une situation bien connue, celle des violences récurrentes commises au sein des couples en direction des femmes, ni de rappeler la banalisation et l’acceptation sociale de ce phénomène universel, présent dans toutes les sociétés et dans toutes les classes sociales.

Les enquêtes qui se sont succédé démontrent l’ampleur du phénomène, mais en France, les pouvoirs publics agissent peu. L’enquête ENVEFF déjà citée, menée en 2000, montrait une réalité totalement méconnue jusque-là, puisque près d’une femme sur dix déclarait alors avoir subi des violences verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles de la part de son conjoint ou ex-conjoint. Ces femmes sont victimes de ce que l’on dénomme les « brutalités sexistes dans le cercle familial ». La dénonciation de cette situation s’est souvent heurtée à des préjugés farouches, considérant que les violences conjugales relevaient de pathologies individuelles fondées sur des relations sadomasochistes dans lesquelles les femmes exprimaient une forme de consentement, voire de satisfaction.

À partir de quelques cas exceptionnels, une règle s’est donc progressivement construite, rendant très difficile l’appréciation du poids de l’histoire et de l’impact des inégalités dans les rapports sociaux de sexe sur les violences faites aux femmes, sur leurs causes et leurs origines, mais également sur le fait que ces violences perdurent, voire s’amplifient.

Tant mieux donc si les tabous commencent à tomber, même si la tentation de considérer que le droit et la justice ne doivent pas pénétrer la sphère privée est encore grande.

Comment expliquer cette indifférence, cette loi du silence ? Serait-ce parce que la victime dérange ? Il est vrai que l’agresseur, lui, ne dérange personne, puisqu’il est rarement violent dans la sphère publique. Au contraire, la victime, elle, porte son problème de l’espace privé à l’espace public. C’est donc bien elle qui dérange, et qui dérange surtout tous ceux qui, prudemment, se refusent à affronter le partenaire violent.

Ces violences, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, ne régressent pas. Nous avons malheureusement le sentiment, bien au contraire, qu’elles gagnent du terrain.

Mais nous constatons aussi que les législations des pays voisins abordent de manière différente ce mal universel. Certains, telle l’Espagne, ont été capables de traiter ce problème dans le cadre d’une politique globale.

En effet, les causes de la violence de genre doivent être recherchées dans un modèle de société qui situe la femme victime de violences, ainsi que ses enfants, dans une position d’infériorité et de soumission à l’homme, situation qui trouve son origine dans l’inégalité et se manifeste par l’agression en direction des femmes.

Ce syndrome inclut toutes les agressions – d’ordre physique, psychique, économique – subies par les femmes ; il est la conséquence des conditionnements sociaux et culturels qui agissent sur les genres masculin et féminin, et touche tous les domaines : la famille, la société, le travail.

Nous avons donc besoin d’une loi globale qui aborde ce phénomène dans sa totalité et sa complexité, parce que ces actes de maltraitance constituent une véritable violation des droits fondamentaux de la personne.

Devant cette nécessité d’aborder les multiples aspects qui concourent à ces violences, le texte proposé paraît sans aucune commune mesure avec la complexité des problèmes posés. Nous devons proposer des modèles nouveaux de relation entre filles et garçons, hommes et femmes, basés sur une culture systémique de l’égalité.

Il apparaît donc comme une urgence absolue d’intégrer cette culture de l’égalité dans la formation initiale et continue des différents professionnels concernés par cette problématique.

Pouvons-nous imaginer que ce texte, qui aggrave les sanctions en direction des hommes violents, empêchera des hommes d’être violents ? Acceptons de dire que cette proposition de loi ne règle rien, et qu’il faut dès aujourd’hui nous mettre au travail avec les associations qui, depuis des années, œuvrent en direction des victimes de violence. C’est une vraie loi globale qu’il nous faut élaborer, ce qui est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen par le Parlement français d’un texte portant sur les violences faites aux femmes représente une avancée notable. C’est en effet la première fois que la représentation nationale en fait un thème central et n’aborde pas cette question de manière périphérique, à l’occasion de telle ou telle loi. Ce progrès, qu’il convient de saluer, nous oblige à une grande exigence.

Les violences faites aux femmes, véritable fléau social, sont reconnues depuis déjà plusieurs années, tant au niveau des institutions internationales et européennes qu’au niveau national dans un certain nombre de pays, comme l’ont récemment illustré la tenue de la conférence « Pékin + 10 » en août dernier, et le vote, par le Parlement espagnol en 2004, d’une loi organique contre la violence de genre.

Parmi ces violences, les violences conjugales – dont les femmes, faut-il le préciser, forment l’immense majorité des victimes – sont les plus répandues. Elles sont l’une des causes principales de blessure ou de décès chez les femmes.

Depuis la publication de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes et du rapport du professeur Henrion, nous savons que la France n’échappe pas à cette triste réalité.

Les violences conjugales, qui ne doivent pas être confondues avec les conflits entre conjoints, se caractérisent non seulement par leur fréquence, par le fait qu’elles sévissent dans tous les milieux sociaux et culturels, et par le silence et le secret qui les entourent. Si elles font de plus en plus l’objet d’une réelle prise de conscience, elles ont été considérées jusqu’à récemment, comme relevant exclusivement de la sphère privée, les cas les plus graves se trouvant renvoyés à la rubrique des faits divers. Pour de nombreuses raisons qui tiennent aussi bien à une certaine tolérance collective qu’au sentiment de honte et de culpabilité éprouvé par les victimes, ce phénomène n’a pas été abordé sous l’angle social et politique.

La proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat, prévoit des sanctions à l’encontre des coupables et de nouvelles possibilités d’action en justice en faveur des victimes. Si la répression est nécessaire, elle ne suffit évidemment pas. Il est indispensable de protéger et de soutenir les femmes lorsqu’elles décident de rompre avec le processus de violence qui détruit leur couple. C’est la première leçon que je tire des innombrables situations que j’ai connues en vingt ans en tant que présidente de l’Union des femmes réunionnaises. Certes, il existe, depuis un an, un plan gouvernemental de lutte contre les violences conjugales, mais, sur le terrain, nous sommes toujours contraintes à l’à-peu-près. Quand on sait que la période de séparation constitue pour la victime un temps de vulnérabilité et une épreuve à risque, on devine que cet à-peu-près peut vite tourner au drame.

Parmi les moyens d’aider la victime, l’hébergement. À la Réunion comme ailleurs, les structures d’accueil ne proposent pas suffisamment de places. La pénurie de logements sociaux ne permet pas d’envisager de solutions rapides. Quant à la possibilité pour le juge aux affaires familiales, depuis le 1er janvier 2005, d’ordonner au conjoint violent de quitter le domicile, elle demeure l’exception. Vous venez d’annoncer, madame la ministre, l’expérimentation prochaine à la Réunion de la formule des familles d’accueil. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Les moyens financiers sont un autre élément important, surtout si la victime a dû démissionner de son emploi en raison de la séparation. La négociation en cours à l’UNEDIC a-t-elle débouché sur la possibilité de percevoir, dans cette hypothèse, des allocations de chômage ?

Le point capital est celui des enfants. Selon qu’elles souhaitent les protéger d’une violence dont ils peuvent avoir à pâtir directement ou indirectement, selon qu’elles craignent d’en perdre la garde, les mères décident ou non de quitter leur conjoint violent. C’est souvent en fonction du sort qui leur sera réservé qu’elles prennent leur décision. Au reste, les enfants peuvent, après la séparation, devenir les enjeux d’une nouvelle phase du conflit. Il m’est impossible, alors que je m’exprime aujourd’hui, de ne pas songer à ces deux jeunes enfants réunionnais qui, depuis plusieurs semaines, se rendent à l’école dans un climat de grande tension à cause des menaces que leur père fait peser sur eux et sur leur mère.

Une telle violence ne doit pas être prise à la légère, surtout lorsqu’on garde en mémoire le souvenir de ces femmes assassinées, alors même qu’elles avaient essayé, en vain, d’alerter les autorités judiciaires, les services de police et de gendarmerie sur le comportement violent de leur concubin ou de leur ex-conjoint. Pour éviter que chaque marche blanche, chaque 25 novembre ne soit l’occasion de pleurer les victimes d’un drame annoncé, les mesures destinées à améliorer l’accueil des plaignantes et à les protéger doivent être renforcées, et surtout appliquées. Il est incontestable que de nombreux dispositifs existent pour lutter contre les violences conjugales. Mais, de l’avis de tous et notamment des associations dont il faut souligner le rôle, leur dispersion leur fait perdre de la cohérence et n’est pas sans conséquences sur leur application. La prochaine étape serait donc de regrouper dans un même texte les multiples dimensions de cette situation.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

Mme Huguette Bello. Si, comme l’ont demandé les parlementaires européens, l’année 2006 était déclarée année européenne contre les violences envers les femmes, l’adoption d’une loi-cadre pourrait être la contribution française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mesdames, messieurs les députés, le texte qui nous est aujourd’hui présenté, témoigne – tous les orateurs l’ont souligné – de la volonté commune de l’ensemble des familles politiques de hisser la lutte contre les violences conjugales au rang des grandes priorités de l’action politique. Nous ne pouvons tous que nous en féliciter.

Ce texte s’inspire de plusieurs autres propositions de loi déposées par des parlementaires de tous bords, dont ceux participant aujourd’hui aux travaux de la mission d’information sur la famille et de la délégation aux droits des femmes. Cependant, la majorité sénatoriale, a modifié certains points importants, tels que la prévention des violences conjugales,…

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

Mme Patricia Adam. …qui doivent, c’est indispensable, figurer dans cette proposition de loi. Je le regrette, tout en retenant que mes collègues sénateurs socialistes ont, malgré tout, voté ce texte. Nous les rejoindrons sur ce point dans un souci d’efficacité et de clarté.

Malgré les nuances pouvant distinguer les approches des uns et des autres, nous souscrivons tous à l’objectif de faire reculer le nombre alarmant, parfois insoupçonné de prime abord, des cas de violences perpétrées au sein des couples. Prenons donc acte de ce qui nous rassemble, tout en continuant d’examiner ce texte avec beaucoup de vigilance.

Nos collègues sénateurs de la majorité ont choisi de limiter ce texte à un dispositif aggravant les sanctions pénales en vigueur et créant de nouvelles circonstances aggravantes pour les violences perpétrées par un conjoint, quel que soit son statut. C’est la principale innovation par rapport au texte initial. Ont été supprimées les dispositions relatives à la prévention des violences et à l’aide aux victimes, au prétexte, souvent avancé, qu’elles relèveraient du décret. J’avoue personnellement avoir du mal à saisir l’objet d’une telle justification lorsqu’il est admis que la loi, contrairement au règlement, peut déborder de son domaine, en particulier lorsqu’il s’agit pour la représentation politique de marquer une volonté affirmée sur un tel sujet ! Quitte à limiter la loi à son domaine, ne pouvait-on pas, d’ores et déjà, dessiner le cadre adéquat en renvoyant la mise en application de ces dispositions au décret ?

Si l’on veut éviter la récidive, la prévention, l’éducation et les soins sont primordiaux. L’aggravation de la répression, bien que nécessaire, n’est pas suffisante. Pourquoi toujours opposer prévention et répression ? Comment ne pas prendre conscience de l’importance de ces deux aspects complémentaires ? Patrick Delnatte le soulignait en évoquant la médiation pénale.

Les violences conjugales s’exercent dans la sphère privée encore souvent considérée comme espace de vie où les règles du droit s’appliquent difficilement et où le secret demeure. La violence exprimée au sein du couple a de lourdes conséquences pour la victime et ses enfants, comme l’a rappelé Muguette Jacquaint. Leurs souffrances et leurs peurs provoquent souvent des comportements de repli sur soi, voire de violence. Des études, qui demanderaient à être affinées, montrent que, dans plus de la moitié des placements effectués, les violences conjugales existent. Les conséquences sociales sont encore insuffisamment maîtrisées et connues, d’où l’importance de la prévention.

Sensibiliser les enfants dès l’école, comme le public par le biais de campagnes télévisuelles ou d’affichage, est une nécessité. Former les médecins, les policiers, les praticiens, les travailleurs sociaux est un gage d’efficacité du dispositif de prise en charge des victimes. Donner surtout aux associations la capacité d’agir en justice en vue d’assister les victimes, les conforter dans le travail remarquable qu’elles accomplissent, serait une arme supplémentaire à leur disposition. Enfin, améliorer les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, notamment pour les mineurs, leur redonnerait la confiance indispensable en la justice et le courage de la saisir.

L’ensemble de ces points démontre la part de chemin qui reste à parcourir, malgré l’acquis obtenu à travers ce texte. Sachons, chers collègues, dépasser nos clivages afin de libérer les victimes de violences conjugales. Elles attendent de nous justice et efficacité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après Mme la rapporteure de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, Valérie Pecresse, je souhaiterais revenir sur les propositions de la mission concernant les mariages forcés. Je me réjouis qu’après l’adoption à l’unanimité, cet été, des cinquante-deux propositions tendant à réformer notre dispositif de protection de l’enfance…

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Pour une fois que cela arrive, il faut tout de même le souligner !

M. Patrick Bloche. …nous soyons une nouvelle fois rassemblés pour proposer à notre assemblée un dispositif cohérent de lutte contre les mariages forcés.

Lorsque nous avons adopté ce dispositif, nous n’imaginions pas obtenir aussi rapidement un support législatif.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Comme quoi ! Mais je vous remercie de le souligner !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Tout arrive !

M. Patrick Bloche. Nous sommes satisfaits que force de loi soit donnée, avant que même que ne s’achèvent les travaux de la mission, aux propositions collectivement formulées pour lutter contre cette pratique dont sont victimes sur notre territoire des jeunes filles, parfois, des jeunes hommes mariés de force à des personnes inconnues ou à des membres de leur famille élargie, souvent à l’occasion de vacances dans le pays d’où leurs parents sont originaires. Dans sa sagesse, le Sénat a donc souhaité relever l’âge du mariage à dix-huit ans.

Je ne reviendrai pas longuement sur le dispositif proposé.

Les deux axes majeurs de cette proposition tendent, d’une part, à renforcer les formalités relatives à la célébration et à la transcription du mariage et, d’autre part, à faciliter les demandes de nullité du mariage pour vice de consentement.

Il s’agit, tout d’abord, de contrôler le vice du consentement qui n’est pas visé explicitement par le code civil, contrairement à l’absence de consentement. En tant qu’officiers d’état civil, nous savons ce qu’est une absence de consentement. Si, à la question : « Consentez-vous à prendre pour époux ou pour épouse telle ou telle personne… » la réponse est « non », il y a absence de consentement ; l’officier constate alors que le mariage ne peut être prononcé.

Nous avons également souhaité assouplir la réalisation des auditions, donc élargir le champ des délégations. Cela a fait l’objet d’un débat utile au sein de la commission des lois qui a qui a conduit à la rectification de l’amendement proposé par Valérie Pecresse.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’amendement a bien été rectifié !

M. Patrick Bloche. Je vous en remercie, monsieur le rapporteur, je connais votre contribution en ce domaine ! Le groupe socialiste votera, par conséquent, cet amendement.

Il s’agit, enfin, de tirer les conséquences de la demande de sursis à la transcription. Sur ce point, le groupe socialiste est plus réticent. Alain Vidalies s’est d’ailleurs exprimé sur ce sujet. Nous aurions souhaité partir du refus d’une audition par les futurs époux plutôt que de l’absence d’audition. Cette différence est essentielle. La discussion des amendements nous permettra, peut-être grâce à l’adoption d’un sous-amendement, d’apporter une clarification.

Pour faciliter les demandes de nullité du mariage pour vice de consentement, au-delà de l’élargissement des possibilités d’action du procureur de la République pour attaquer un mariage contracté sans le consentement libre des deux époux, il est essentiel d’allonger de six mois à deux ans le délai pendant lequel l’un des conjoints peut présenter sa demande, dans le cadre d’une cohabitation continue.

Par ailleurs, nous avons souhaité rendre illégitime la contrainte résultant de la crainte révérencielle envers les parents que prévoit l’article 1114 du code civil, nous souhaitons que cet article ne s’applique plus au mariage.

Cela étant, même si elles sont adoptées, de telles dispositions ne sont pas suffisantes. Il faut des mesures d’accompagnement et les représentants des associations que nous avons auditionnés au sein de la mission d’information nous ont parlé notamment de l’accueil et de la création de lieux d’écoute et de solutions d’hébergement adaptées aux personnes menacées ou victimes de mariages forcés. Il est également indispensable d’accomplir tout un travail de sensibilisation, qui pourrait assez légitimement commencer à l’école.

Enfin, la mission d’information n’a pas souhaité que le mariage forcé soit pénalisé. Nous avons estimé, après avoir entendu les représentants des associations les plus pertinentes sur la question, que nous risquions un effet contre-productif, de jeunes femmes contraintes de se marier pouvant avoir quelque réticence à traîner leurs parents ou certains membres de leur famille devant les tribunaux. Nous avons fait le choix de la responsabilité mais aussi de l’efficacité. (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Article 1er A

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er A.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat que nous avons ce matin conduit à aborder la question de la polygamie, car elle constitue une forme de violence à l’égard des femmes qui la subissent.

Il ne s’agit bien évidemment pas de donner un quelconque écho à la fable selon laquelle la polygamie serait une cause majeure des incidents du mois dernier. Je ne veux pas aller plus loin sur ce sujet, parce que ce pourrait être facteur de polémique, encore que, venant de votre part, monsieur le garde des sceaux, cela m’étonnerait. (Sourires.) Heureusement, le point de vue a été rectifié par le Président de la République, parce qu’il faut vraiment être totalement en dehors du réel pour affirmer que la polygamie serait responsable des violences que nous avons connues.

Les violences urbaines renvoient à une crise sociale profonde mais certainement pas à la polygamie, qui, si elle est un problème en soi, n’a rien à voir avec ce que nous avons connu. Il faut habiter des villes comme Rambouillet pour être à ce point dans le fantasme. Peut-être d’ailleurs est-ce un fantasme qui habitait l’esprit de la personne que je viens d’évoquer en filigrane. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En abordant la question de la polygamie, nous sommes pleinement dans le sujet qui nous occupe ce matin car elle constitue une manifestation forte de l’inégalité et de la domination masculine, en complet décalage avec l’état de la société française. C’est donc un frein très fort à l’insertion des femmes concernées.

Mme Valérie Pecresse. Merci de le reconnaître !

M. Jean-Pierre Brard. Parfois combinée avec les mécanismes de répudiation, elle place les femmes dans une situation de sujétion et de précarité intolérable.

Aussi positives soient-elles, les avancées que nous réalisons vont encore creuser le fossé entre les femmes en situation de bénéficier de tous leurs droits et les épouses de polygames, de plus en plus marginalisées. Il est d’ailleurs nécessaire et urgent que soit conduite, comme le recommande dans son rapport paru la semaine dernière notre délégation aux droits des femmes, une enquête conjointe de la caisse nationale d’allocations familiales et de la mutualité sociale agricole pour permettre de mener une politique beaucoup plus dynamique de soutien aux femmes victimes de la polygamie ; nous y reviendrons certainement dans le débat.

Il faut aussi développer les actions concertées avec les pays d’origine, ce qui permettra d’agir conjointement afin de mieux informer les femmes bénéficiant d’une mesure de regroupement familial et de réduire la pression des familles sur les migrants pour qu’ils prennent une nouvelle épouse, pression exercée pour des raisons économiques.

Le phénomène de la polygamie est mal connu dans notre pays ou, du moins, connu d’une façon souvent très superficielle. Dans ma ville, vivent entre 100 et 200 familles polygames. C’est donc un problème auquel nous sommes confrontés quotidiennement. La polygamie engendre une souffrance très dure pour les femmes, mais aussi pour les enfants, souffrance qu’on mesure mal quand on n’y est pas concrètement confronté.

Le rapport polygamique ne se noue pas nécessairement par la volonté du mari qui devient polygame. Il est souvent imposé au migrant par les familles restées au pays qui considèrent qu’il a des moyens et que, à ce titre, il doit faire vivre d’autres membres de la communauté villageoise. Je n’ai pas déposé d’amendement sur ce point, parce qu’on ne peut pas régler ce sujet très délicat à la va-vite, mais, personnellement, je suis pour qu’on retire le titre de séjour aux maris polygames et qu’on le donne aux femmes victimes de la polygamie, auxquelles seraient reconnus tous les droits afférents. Je pense que cela donnerait un coup d’arrêt à de telles pratiques.

Compte tenu de la situation que connaît à cet égard la ville de Montreuil, ce n’est pas sans connaissances particulières que j’interviens sur ce sujet. Ainsi je pense qu’il conviendrait, au préalable, de discuter avec les gouvernements des États d’où proviennent les migrants qui peuvent nouer ces rapports polygamiques. Une nouvelle règle ne s’appliquerait, évidemment, qu’aux nouveaux migrants et ne serait pas rétroactive.

Cette voie de la coopération interétatique est l’un des moyens d’attaquer efficacement le problème à sa racine, même si elle est beaucoup moins spectaculaire et médiatique que les incantations et les anathèmes de ceux dont le fonds de commerce est la diabolisation de l’autre,…

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et la lutte des classes, ce n’est pas la diabolisation de l’autre ?

M. Jean-Pierre Brard. …qui ne fait qu’aggraver les déchirures du tissu social et les tensions de notre société.

Enfin, madame la ministre, il faut aider les associations de femmes qui viennent de ces pays, qui accomplissent un travail remarquable, qui agissent dans la discrétion mais qui font ce qu’il faut pour que la polygamie recule, tout comme les autres atteintes aux droits des femmes ; je pense, entre autres, à l’excision. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Patricia Adam. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je salue cet article. Nous avons tous trop tardé à rétablir l’égalité entre femmes et hommes quant à l’âge du mariage, et une telle différence dans notre code paraît aujourd’hui totalement bizarre. Je vous signale que c’était l’objet d’un article d’une proposition de loi sur le mariage qui avait été déposée par les députés Verts en juin 2004.

Cela dit, j’ai un peu peur que cette loi qui, au départ, aura été élaborée pour lutter contre les violences faites aux femmes finisse par se transformer en une loi faite principalement pour lutter contre les mariages forcés…

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité et M. Guy Geoffroy, rapporteur. Pas du tout !

Mme Martine Billard. …et contrôler l’immigration des femmes.

Mme Valérie Pecresse. Rien à voir !

Mme Martine Billard. En effet, si le mariage forcé concerne effectivement des jeunes femmes…

Mme Valérie Pecresse. Et des hommes !

Mme Martine Billard. …de familles venant d’autres pays, il concerne aussi parfois des jeunes femmes de milieux assez pauvres pour lesquelles se marier très jeune est une manière d’acquérir une certaine autonomie sociale voire financière. Ce n’est pas forcément une bonne chose de se marier si jeune dans de telles conditions lorsqu’on n’a pas construit sa vie, et je salue aussi cet article de ce point de vue. Les jeunes filles seront un peu plus matures pour décider de la suite de leur vie ; elles ne seront pas tentées de se précipiter dans le mariage juste pour avoir de l’autonomie, ce qui, parfois, est une impasse et se termine en tragédie car elles obèrent ainsi un futur qui aurait pu être plus positif.

Je voulais insister sur cette réalité parce que je suis un petit peu gênée que l’on n’insiste que sur l’un des aspects de la question. En effet des millions de femmes, dans ce pays, bien que n’ayant pas été astreintes à un mariage forcé sont tout de même soumises à des violences, dont celle de se marier trop jeunes et de sacrifier ainsi la suite de leur vie de femme.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. À mon tour, je me félicite que l’on porte ainsi l’âge minimal du mariage à dix-huit ans pour les femmes, comme nous l’avions d’ailleurs demandé, puisque c’était l’objet de l’une de nos propositions de loi.

Le mariage forcé ne se présente pas comme un phénomène marginal. Il ne concerne pas uniquement les régions du monde touchées par la pauvreté. En Europe, et en France plus particulièrement, il constitue un drame pour des milliers de jeunes filles contraintes de se soumettre à la volonté familiale.

En France, c’est dès 1992 que la commission nationale consultative des droits de l’homme s’est prononcée sur la pratique des mariages forcés, considérant que tout manquement à la protection de l’enfant en danger constitue une atteinte à l’ordre public français. C’est une réalité devant laquelle le législateur ne pouvait rester inactif.

D’après le groupe « Femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles », on évalue à 70 000 le nombre d’adolescentes de dix à dix-huit ans potentiellement menacées par un mariage forcé, toutes communautés confondues. Les conséquences de telles pratiques peuvent être désastreuses. Un mariage précoce a en effet de profondes conséquences physiques, intellectuelles, psychologiques et émotives. En outre, le mariage précoce est presque toujours synonyme de grossesse, cause d’un haut taux de mortalité maternelle et d’accouchements prématurés, ainsi que d’une existence d’asservissement domestique et sexuel sur laquelle elles n’ont aucun pouvoir.

L’immense majorité des jeunes filles acceptent le mariage parce qu’elles sont jeunes et redoutent la rupture avec la famille. Il convenait donc d’instaurer cette mesure essentielle.

Cela étant les mariages forcés ne sont pas seulement le fait d’une catégorie de femmes. Prenons garde à ne pas stigmatiser les jeunes filles issues de l’immigration, faute de quoi on pourrait aboutir à l’effet inverse de celui recherché qui est de protéger l’ensemble des jeunes filles contre les mariages forcés.

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.

(L’article 1er A est adopté.)

Après l’article 1er A

M. le président. Nous en venons à une série d’amendements portant articles additionnels après l’article 1er A.

Je suis d’abord saisi de trois amendements identiques nos 1, 7 et 11.

La parole est à Mme Valérie Pecresse, pour soutenir l’amendement n° 1.

Mme Valérie Pecresse. Il s’agit de préciser que l’audition des futurs époux par l’officier de l’état civil avant la publication des bans – ou, en cas de dispense de publication, avant la célébration du mariage – est obligatoire non seulement quand il existe un doute sur l’existence du consentement au mariage, – article 146 du code civil – mais aussi en cas de doute sur la liberté du consentement selon l’article 180 du même code.

De la même manière, il s’agit de préciser que, dans le cas d’un mariage célébré à l’étranger, l’audition des futurs époux par les agents diplomatiques ou consulaires avant la publication des bans, avant la délivrance du certificat de mariage ou avant la transcription du mariage est obligatoire qu’il existe un doute sur l’existence du consentement au mariage ou sur la liberté du consentement.

Dans le cas d’un mariage célébré à l’étranger selon les règles d’un autre pays, il s’agit de permettre à l’agent diplomatique ou consulaire chargé de transcrire l’acte de mariage d’informer le parquet de ses doutes et de surseoir à la transcription lorsque le mariage encourt la nullité pour vice du consentement.

Dans le cas d’un mariage célébré en France, il s’agit de permettre à l’officier de l’état civil de saisir le procureur de la République et de surseoir à la célébration du mariage lorsqu’il suspecte que le mariage encourt la nullité pour vice du consentement, alors qu’il ne peut aujourd’hui le faire que dans le cas où le mariage encourt la nullité pour absence de consentement. C’est la différence entre mariage forcé et mariage blanc.

L’audition permettra ainsi, que les mariages soient célébrés en France ou à l’étranger, de lutter plus efficacement contre les mariages forcés, qui sont conclus par le consentement contraint de l’un des époux.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour présenter l’amendement n° 7.

M. Patrick Bloche. J’ai peu de chose à ajouter puisque l’amendement n° 7 est identique. Je précise qu’il s’agit bien entendu de garder à cette proposition de loi sur la prévention et la répression des violences au sein du couple toute sa force. Nous traitons ici de la question des mariages forcés et non de celle des mariages blancs pour lesquels il n’y a pas de vice de consentement.

Il a été fait référence à de nombreuses reprises au véritable débat de société qui a eu lieu en Espagne sur la question des violences conjugales. Les membres de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant se sont d’ailleurs rendus à Madrid et ont pu constater l’importance de ce débat.

Ce qui est vérité au-delà des Pyrénées devrait être vérité en deçà, sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, mais c’est une autre question.

M. le président. L’amendement n° 11 est défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ces amendements portent tous sur la question fort importante des mariages forcés.

En m’associant, au nom de la commission, à l’ensemble des propositions de la mission d’information sur la famille, j’ai souhaité, non sortir le texte de son axe qui est bien celui des violences au sein du couple, mais, au contraire, en renforcer la portée en faisant valoir que la première des violences au sein du couple est bien le mariage forcé.

Je précise que nous avons proposé en commission que ces amendements, déposés à la fois par les élus socialistes, par nos collègues de l’UDF et par le groupe UMP, soient présentés alternativement par un représentant de l’un des groupes signataires, ce que, monsieur le président, je me permets de vous suggérer.

Enfin, sur cet amendement comme sur les autres, la commission a émis, sans aucune hésitation, un avis favorable souhaitant par la même occasion, que l’Assemblée en fît autant.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Ces amendements rejoignent les réflexions actuelles du Gouvernement sur la nécessité de mieux contrôler les mariages, en particulier de s’assurer de la liberté de l’intention matrimoniale pour protéger les jeunes femmes, mais aussi parfois les jeunes gens, contraints par leur famille de se marier.

L’article 63 du code civil, pour le mariage en France, et l’article 170 du code civil, pour ceux célébrés à l’étranger, sont des instruments efficaces de lutte contre les mariages forcés. Avis favorable.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Je suis bien sûr favorable à ces amendements, mais je souhaite insister sur la nécessité de la prévention. Je pense tout particulièrement aux jeunes filles qui sont violées et contraintes de se marier faute de quoi elles sont rejetées de tous. Ces situations dramatiques sont malheureusement très nombreuses en France.

La prévention doit commencer dès le plus jeune âge et se poursuivre dans les collèges, dans les lycées. Or elle n’est pas prévue dans ce texte.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 1, 7 et 11.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

J’appelle deux amendements identiques nos 2 rectifié et 12 rectifié.

La parole est à Mme Valérie Pecresse, pour défendre ces amendements.

Mme Valérie Pecresse. Lorsque le mariage est célébré en France, il revient à l’officier de l’état civil chargé de la célébration de réaliser les auditions des futurs époux. Or il arrive qu’il manque de temps pour le faire. Aussi serait-il pertinent de lui permettre, comme il peut le faire pour de nombreuses autres fonctions, de déléguer la réalisation des auditions à des fonctionnaires titulaires de sa commune.

Il arrive aussi que les futurs époux ne puissent être entendus avant la célébration de leur mariage en France, alors même que des doutes existent sur la réalité de leur consentement, parce que l’un d’eux réside à l’étranger et doit obtenir un visa pour se rendre en France préalablement au mariage.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

Mme Valérie Pecresse. Pour éviter ce type de difficulté, il serait utile que l’officier de l’état civil chargé de célébrer le mariage puisse demander à un agent diplomatique ou consulaire français en poste dans le pays de résidence du futur époux de procéder à son audition.

De même, dans le cas d’un mariage célébré à l’étranger, il revient aux agents diplomatiques et consulaires chargés de la publication des bans, de la délivrance du certificat de mariage ou de la transcription du mariage, de réaliser les auditions des futurs époux ou des époux. Pour éviter qu’ils ne procèdent pas à ces auditions faute de temps, il serait pertinent de leur permettre aussi de déléguer la réalisation des auditions à des fonctionnaires titulaires placés sous leur autorité.

Par ailleurs, il arrive que les futurs époux ou les époux ne puissent être entendus par les agents diplomatiques et consulaires, alors même que des doutes existent sur la réalité de leur consentement, parce que l’un d’eux, voire les deux, réside en France. Pour éviter ce type de difficulté, il serait utile que l’agent diplomatique ou consulaire compétent puisse demander à un officier de l’état civil de la commune où réside l’époux ou le futur époux de procéder à son audition.

Toutes ces mesures visent à rendre plus effective la réalisation des auditions des futurs époux ou des époux, en assouplissant les conditions de leur mise en œuvre et en les confiant à ces personnes de confiance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Ces amendements avaient été initialement retirés parce qu’ils manquaient de précision et n’offraient pas une sécurité juridique suffisante. Ainsi rectifiés, ils reçoivent l’avis favorable de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. J’avoue être assez réservé. L’audition des futurs époux n’est pas une simple formalité. C’est même une étape essentielle, comparable à la réception de l’échange des consentements. Or il n’a jamais été envisagé de déléguer celui-ci à un fonctionnaire municipal. Pourtant c’est un peu ce que vous êtes en train de faire avec cette délégation par l’élu de sa capacité à recevoir l’échange du consentement.

Le droit de se marier est une liberté fondamentale qui doit être strictement encadrée. Au motif des contraintes qui pèsent sur les maires et leurs adjoints, vous préférez simplifier la procédure. Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée, tout en exprimant mes réticences.

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Il nous est apparu que cette audition des futurs époux, dont le principe est prévu dans le code civil, n’a souvent pas lieu faute de moyens, l’officier d’état civil ou l’agent consulaire ayant les plus grandes difficultés à y procéder personnellement.

Mme Patricia Adam. Absolument !

M. Alain Vidalies. Le groupe socialiste n’avait pas voté une première série d’amendements, qui prévoyait que la délégation pouvait se faire à tout fonctionnaire municipal ou éventuellement à tout employé du consulat, estimant que cela ouvrait trop largement la possibilité de délégation. Je remercie à cet égard le rapporteur d’avoir entendu nos observations et de présenter aujourd’hui une rédaction qui limite cette possibilité.

Néanmoins, je ne crois pas que l’on puisse aller dans la réticence jusqu’à l’observation de M. le garde des sceaux : il s’agit d’une audition et non de la réception du consentement. En effet, si l’on veut que cette audition soit une garantie, notamment s’agissant de vérifier la liberté du consentement et non pas seulement son existence – ce que nous avons voté précédemment c’est la possibilité, y compris pour le parquet, d’attaquer en nullité pour vice du consentement et pas simplement pour absence de consentement – et que le parquet puisse intervenir sur le fondement de l’article 180 du code civil, encore faut-il que les auditions aient pu avoir lieu dans tous les cas. Ces amendements, qui visent seulement à surmonter une difficulté matérielle, doivent être votés par tous les groupes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Mme Pecresse a parlé de « personnes de confiance ». Ce n’est pas le terme qui convient. Il fallait entendre « personnes compétentes » au sens légal du terme.

Cela étant je partage totalement l’avis de M. Vidalies. Si nous ne votions pas ces amendements, tout le reste ne serait que sable de bois. L’audition des futurs époux ne peut être confondue avec l’échange des consentements.

Je sais que comparaison n’est pas raison, mais, lors des travaux de la mission d’information sur les signes religieux à l’école, présidée par Jean-Louis Debré, nous avions auditionné la proviseure du lycée Turgot à Paris dont l’une des élèves devait être soustraite au lycée sous prétexte de mariage. Cette excellente proviseure à l’esprit républicain, très engagée dans le combat pour la protection des femmes, a fait venir l’élève concerné avec sa maman et les a entendues séparément après avoir prévu un dispositif destiné pour garantir la protection de la jeune fille.

L’audition de la jeune fille ayant montré que le mariage n’était pas librement consenti, celle-ci a été immédiatement soustraite à sa famille et la mère a ensuite été informée qu’elle ne la ramènerait pas à la maison avec elle.

Si je raisonne par analogie, nous allons vraiment garantir, grâce aux trois amendements proposés, le droit des jeunes filles à ne pas être mariées de force.

Monsieur le garde des sceaux, vous vous en remettez à la sagesse de l’Assemblée, ce qui, pour vous, est une façon de reconnaître qu’elle peut être plus sage que le Gouvernement. (Rires.)

M. le garde des sceaux. C’est votre interprétation !

M. Jean-Pierre Brard. Dans ces conditions, il n’y a pas à balancer.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Je remercie M. Brard de me donner l’occasion de préciser ma pensée. En parlant de « fonctionnaires de confiance », je pensais à des fonctionnaires à la compétence desquels on peut se fier. Nos collègues socialistes ont raison : il faut que ces auditions soient conduites par des professionnels de l’état civil totalement dignes de confiance.

Mme Muguette Jacquaint. Bien sûr !

Mme Valérie Pecresse. Je voulais aussi rassurer le garde des sceaux : pour nous, l’audition est préalable à l’échange des consentements et ne le remplace pas.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est bien l’objet de la rectification !

Mme Valérie Pecresse. Il s’agit d’une une formalité − substantielle, je vous l’accorde − qui permet de vérifier au préalable la réalité du consentement et son existence, dans le cas des mariages blancs ; mais ce n’est pas du tout le sujet du jour.

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le garde des sceaux, pour dissiper toute confusion, je répéte ce qu’ont déjà dit plusieurs de mes collègues : si c’est évidemment l’officier d’état civil qui recueille l’échange du consentement, en l’occurrence il est question des auditions préalables des futurs époux, procédure prévue par le code civil et que nous voulons renforcer par ces amendements. Dans bien des cas, ces auditions ne peuvent avoir lieu en raison de difficultés matérielles ou par manque de fonctionnaires. Ces amendements sont de qualité et nous les voterons.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 2 rectifié et 12 rectifié.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. J’en viens à deux autres amendements identiques, nos 3 et 13.

La parole est à M. Yvan Lachaud, pour les soutenir.

M. Yvan Lachaud. Dans le cas où un agent diplomatique ou consulaire a sursis à la transcription d’un mariage célébré à l’étranger dans le cadre des dispositions de l’article 170-1 du code civil, la transcription est de droit si le procureur de la République ne s’est pas prononcé dans un délai de six mois à compter de sa saisine.

Il conviendrait que, une fois ce délai écoulé, la transcription ne soit plus automatique lorsque les époux n’auront pas été entendus par un agent diplomatique ou consulaire, comme cela est prévu à l’article 170 du code civil. En effet, cette audition est obligatoire, sauf en cas d’impossibilité ou si elle n’est pas jugée nécessaire par l’agent. En cas de saisine du procureur de la République, cette audition est indispensable et le refus des époux de s’y soumettre doit entraîner la non-transcription de leur mariage, en l’absence de réponse du procureur de la République.

Dans le cas où il n’y aura pas transcription, l’un ou l’autre des époux pourra saisir le tribunal de grande instance pour qu’il se prononce sur la transcription.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Il n’est pas possible de placer les époux qui n’ont pas été auditionnés au moment du mariage dans une situation plus défavorable que ceux qui ont été auditionnés. En l’état du droit, l’audition préalable n’est pas une obligation systématique et c’est l’administration consulaire qui décide s’il convient d’y procéder. Si ces amendements étaient adoptés, il suffirait que, pour une raison ou pour une autre, l’administration consulaire ne procède plus aux auditions pour que les mariages célébrés à l’étranger ne soient plus reconnus. Cela heurte le principe d’égalité constitutionnelle des citoyens devant la loi.

Vous savez que j’ai proposé, en comité interministériel de contrôle de l’immigration, de rétablir l’obligation de délivrance du certificat de capacité matrimoniale qui a tendance à être oubliée. Ainsi, lorsqu’un étranger voudra épouser un citoyen français, sur notre territoire ou au-dehors, la demande du certificat de capacité matrimoniale, comportant les mentions courantes d’état civil − sexe, âge, mariage ou divorce antérieur −, sera obligatoire. Cela permettra d’éviter les mariages de complaisance.

Il est donc nécessaire d’envisager la question des mariages célébrés à l’étranger dans une perspective globale. Il ne s’agit d’ailleurs pas simplement des mariages forcés, mais aussi des mariages de complaisance. Le Gouvernement vous proposera très prochainement un dispositif complet et cohérent pour éviter de s’exposer à la censure constitutionnelle. C’est pourquoi je demande aux auteurs des amendements de bien vouloir les retirer.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Ces sujets sont en effet très délicats et des problèmes constitutionnels peuvent se poser. Je suis donc prête à retirer mon amendement si le garde des sceaux l’estime nécessaire pour une meilleure expertise.

Je tiens toutefois à préciser que son interprétation de l’amendement n’est pas la bonne. En réalité, il ne s’agit pas de savoir si les consulats réalisent ou non les auditions ; nous sommes dans le cas où le procureur de la République a été saisi par les officiers d’état civil ou les agents consulaires, après que l’audition a été refusée : il y a donc présomption que le mariage est forcé. Voilà pourquoi nous proposions d’inverser la procédure actuelle.

Toutefois, je m’en remets au garde des sceaux et je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.

Faites-vous de même, monsieur Lachaud ?

M. Yvan Lachaud. Oui, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 13 est également retiré.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Très bien !

M. le président. J’appelle donc trois amendements identiques, nos 4, 8 et 14.

La parole est à M. Patrick Bloche pour les défendre.

M. Patrick Bloche. Je tiens à remercier Valérie Pecresse et Yvan Lachaud d’avoir retiré leurs amendements. Le groupe socialiste n’avait pas souhaité en déposer un identique, pour des raisons que le garde des sceaux a reprises au nom du Gouvernement. Je m’en réjouis, car nous suivons ainsi une logique qui va nous amener unanimement, et en cohérence avec les travaux de la mission d’information, à voter cinq séries d’amendements identiques visant à lutter contre les mariages forcés.

L’objet de l’amendement n° 8 et des amendements identiques est de permettre au ministère public d’attaquer un mariage forcé, c’est-à-dire entaché d’un vice du consentement, alors que cette possibilité n’est aujourd’hui ouverte qu’aux époux ou à l’un d’eux.

Dans les cas de mariage forcé, l’époux qui n’y a pas librement consenti n’est pas toujours dans une situation qui lui permet de demander la nullité de son mariage. Il serait donc très utile que le ministère public puisse attaquer le mariage sur le fondement de l’absence de libre consentement, comme il peut déjà le faire, sur le fondement de l’article 184 du code civil, en cas d’absence de consentement.

Il convient en outre d’expliciter l’interdiction de toute contrainte au mariage, celle-ci étant constitutive d’un vice du consentement, et justifiant, à ce titre, la nullité du mariage.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Si vous le permettez, monsieur le président, je donnerai également, pour gagner du temps, l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 5, 9 et 15 rectifié, qui portent sur le même sujet.

Le Gouvernement est favorable à ces amendements, qui ont pour effet, d’une part, de permettre au ministère public de poursuivre l’annulation des mariages forcés et, d’autre part, d’allonger à deux ans le délai ouvert pour cette action lorsque les époux ont continué à cohabiter. Cette proposition rejoint les préoccupations du Gouvernement, qui a engagé une réflexion sur les moyens de lutter plus efficacement contre les mariages forcés, comme le prouve la circulaire du 2 mai dernier qui recommande la plus grande vigilance aux procureurs généraux.

Toutefois, je tiens à vous informer que le Gouvernement réfléchit à une réforme plus ambitieuse, tendant à faire du mariage forcé une cause de nullité absolue du mariage. Ainsi, tout comme les amendements, la réforme permettra au ministère public de poursuivre l’annulation de tels mariages. En outre, le délai ouvert pour cette action sera porté à trente ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Très bien ! C’est impeccable !

M. Jean-Pierre Brard. Trente ans ! C’est presque les noces d’or ! (Sourires.)

M. le garde des sceaux. La nullité ne sera pas susceptible d’être couverte, et les tiers intéressés pourront agir aux fins d’annulation. Cette disposition englobe l’ensemble des amendements, étend considérablement la période de contestation et prévoit la nullité du mariage en cas de mariage forcé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. C’est une excellente chose !

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le garde des sceaux, vous nous annoncez un texte futur, mais pourquoi n’avez-vous pas saisi l’occasion offerte par celui dont nous débattons aujourd’hui ? Pourquoi n’avez-vous pas déposé un amendement afin de le compléter ? Nous serons donc obligés de revenir bientôt sur ces problèmes, ce qui prouve que nous avions raison de souhaiter une loi cadre, car, en vérité, votre proposition ne nous sera soumise que dans un futur hypothétique.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur Brunhes, ne prenez pas pour un engagement ce que je vais vous dire : nous devons mesurer toutes les conséquences juridiques de nos propositions, mais peut-être le temps de la navette parlementaire suffira-t-il à régler ce problème. Toutefois, je ne m’y engage pas, sachant combien ces questions de droit civil sont délicates.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Combien de fois, depuis trois ans, avons-nous examiné un projet de loi sur un sujet dont nous avons été appelés à rediscuter l’année suivante, et une fois encore l’année d’après ? Il est usant de travailler dans ces conditions. Nous avions considéré que la question des violences aux femmes méritait une loi cadre : voilà bien la preuve que nous avions raison. La mission d’information sur la famille et les droits des enfants n’a pas terminé ses travaux, qui ont également porté sur la question des mariages forcés. La même question s’est posée lors de l’examen de la loi sur l’adoption, alors que la mission famille travaillait déjà.

M. le garde des sceaux. C’est normal !

Mme Martine Billard. Nous passons notre temps à siéger dans des organes de l’Assemblée nationale pour tâcher d’approfondir certains sujets ; nous travaillons au fond pour aboutir à des propositions construites.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est ainsi que l’on avance !

Mme Martine Billard. La proposition de loi présentée au Sénat avait un objectif bien précis. Je suis favorable à la lutte contre les mariages forcés, car il s’agit d’une violence faite aux femmes, mais, plutôt que de voter des articles qui ne tiennent pas la route, je préférerais qu’on attende un mois de plus.

M. le garde des sceaux. C’est bien ce que je demande !

Mme Martine Billard. Monsieur le garde des sceaux, vous dites qu’on pourrait annuler le mariage au bout de trente ans, mais avez-vous songé aux conséquences ? Annuler un mariage, cela revient par exemple à supprimer tous les droits de la femme mariée, comme les droits à la retraite ou à une pension de réversion. On ne peut pas décider cela à la va-vite.

Trente ans, c’est énorme. On peut penser que, au bout d’un délai aussi long, une femme a trouvé le moyen de s’opposer et de rompre une relation qu’elle ne voulait pas subir. Il faut prendre en compte tout ce qui fait violence à la femme, et pas seulement la violence physique, mais aussi la violence psychologique. Évitons, par nos inventions, de provoquer d’autres conséquences désastreuses pour les femmes.

Enfin, si je suis convaincue qu’il faut prendre toutes les dispositions pour lutter contre les mariages forcés, je n’en éprouve pas moins un certain malaise. Compte tenu du racisme qui − osons le dire − augmente dans notre société, j’ai peur qu’on en vienne à stigmatiser des jeunes femmes originaires de certains pays, ou supposées telles − car elles sont parfois la deuxième génération en France −, qu’on mette tous les dispositifs en place, qu’on les applique quelle que soit la situation et qu’on crée ainsi des différences entre les femmes. Ne valait-il pas mieux approfondir la réflexion et attendre la fin des travaux de la mission famille, plutôt que de légiférer à toute vitesse ?

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Je veux rappeler l’esprit dans lequel la mission famille a travaillé.

Madame Billard, nous avons terminé notre réflexion sur les mariages forcés et avons rendu nos conclusions. Nous ne reviendrons donc pas sur cette question dans le cadre de la mission famille.

En revanche, la mission a voulu légiférer « en tremblant ».

M. Jean-Pierre Brard. Confer Montesquieu !

Mme Valérie Pecresse. Il s’agit en effet du code civil et nous pensons que certains équilibres sociaux sont très fragiles. Nous avons refusé la pénalisation au profit de la prévention. Par la pédagogie et le droit, nous voulons empêcher la conclusion de ces mariages forcés, lever l’omerta, libérer la parole et les actes des jeunes filles, leur conférer l’autonomie. Nous préférons donc prévenir, et le plus vite possible.

Je ne souhaite donc pas retirer mon amendement, qui me paraît nécessaire en cela qu’il est pédagogique. Si le garde des sceaux voulait aller plus loin en deuxième lecture, s’il nous confirmait que la nullité absolue est possible, je m’en réjouirais. Mais qui peut le plus peut le moins.

M. Yvan Lachaud. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Nous maintiendrons pour notre part notre amendement et l’amendement n° 9 suivant – identique au n° 5 de l’UMP et au n° 15 rectifié du groupe UDF – puisqu’il tend à harmoniser les délais des actions en nullité et à prévoir, pour la recevabilité de la demande d’annulation d’un mariage forcé, un délai de deux ans en cas de cohabitation, celui de cinq ans étant maintenu en l’absence de cohabitation.

Pour faire suite au débat qui s’est engagé après l’intervention du garde des sceaux, qui nous offre des perspectives à trente ans – proposition que je me garde de repousser d’emblée au seul motif que je serais un député de l’opposition –, je tiens à rassurer ma collègue et amie Martine Billard car je sens en elle une réticence à vouloir légiférer sur ces sujets sensibles.

La mission d’information sur la famille et les droits des enfants, qui a organisé une table ronde et au moins trois réunions de travail, a refusé, comme l’a rappelé Valérie Pecresse, la rapporteure de la mission, le choix de la pénalisation pour rester dans une démarche de prévention et de contrôle.

Muguette Jacquaint a également eu raison de souligner que ce ne sont pas seulement les jeunes filles étrangères ou d’origine étrangère qui sont visées. Il s’agit de défendre des victimes,...

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bien sûr !

M. Patrick Bloche. ...des femmes pour la plupart. C’est le droit de ces victimes qu’il s’agit par ces amendements d’inscrire dans le code civil, qui ne spécifie rien en la matière.

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. J’ajoute simplement aux propos de M. Patrick Bloche que je fais miens, que ces propositions en matière de mariage forcé découlent naturellement du relèvement à dix-huit ans de l’âge légal du mariage. Il n’est pas question de stigmatiser quiconque. Elles s’adressent à tous et je suis convaincu que la société française le comprendra ainsi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation. Tout à fait !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 4, 8 et 14.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. Nous en arrivons à l’examen de trois amendements identiques nos 5 de Mme Valérie Pecresse, 9 de M. Patrick Bloche et 15 rectifié de M. Pierre-Christophe Baguet.

Puis-je considérer qu’ils ont été défendus ? (Assentiment.)

La commission et le Gouvernement ont un avis favorable.

Je mets donc aux voix par un seul vote les amendements nos 5, 9 et 15 rectifié.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis à nouveau saisi de trois amendements identiques, nos 6, 10 et 16.

La parole est à Mme Valérie Pecresse, pour présenter ces amendements.

Mme Valérie Pecresse. En application de l’article 114 du code civil, la crainte révérencielle envers un ascendant sans exercice de la violence n’est pas un motif suffisant d’annulation d’un contrat. Cette disposition apparaît particulièrement malvenue dans le cas du mariage. En effet, dans nombre de mariages forcés, les jeunes gens n’osent pas résister à la pression morale voire affective exercée par leurs parents et c’est elle qui vicie leur consentement.

Il convient d’écarter l’application de cette disposition, qui relève du droit commun des contrats, pour le mariage.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Je comprends l’objectif poursuivi par ces amendements communs aux groupes de l’UMP et de l’UDF.

M. Jean-Pierre Brard. Discrimination !

M. Patrick Bloche. Et au groupe socialiste, monsieur le garde des sceaux !

M. le garde des sceaux. Et au groupe socialiste puisque les trois groupes déposent leurs amendements systématiquement ensemble.

Cependant, la notion de crainte révérencielle qui figure dans le droit des contrats n’a jamais servi à empêcher l’annulation d’un mariage forcé. Heureusement, le régime de nullité du mariage n’est pas l’application pure et simple de la théorie des vices du consentement en matière contractuelle.

Pour autant, si l’Assemblée estime qu’un risque juridique existe, il est préférable de l’éviter. C’est pourquoi je m’en remets à sa sagesse.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 6, 10 et 16.

(Ces amendements sont adoptés.)

M. le président. Je constate que le vote a été acquis à l’unanimité.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je ne peux que saluer les initiatives parlementaires qui nous permettent aujourd’hui de discuter de cette proposition de loi, mais je dois avouer que la différence entre les premiers textes déposés au Sénat et les dispositions que nous allons voter me déçoit quelque peu. Il aurait été souhaitable d’avoir une loi-cadre, à l’image de la loi espagnole, qui permette de traiter de tous les enjeux liés aux violences faites aux femmes, qu’il s’agisse des aspects préventifs, éducatifs, sociaux, d’assistance et d’attention aux victimes, ou de l’aspect répressif. Or le texte de loi adopté par le Sénat se limite principalement à renforcer la partie répressive, l’essentiel de la partie préventive ayant été occulté au nom de la séparation de la loi et du règlement, principe dont on peut parfois regretter, en France, notamment dans notre Assemblée, une application drastique.

Il est indispensable de dénoncer et de lutter – c’est une évidence pour moi en tant que femme – contre les mariages forcés, les mutilations sexuelles et la polygamie, tous éléments de violence contre les femmes. Néanmoins il faut veiller à ne pas laisser tout doucement s’insinuer l’idée que les violences dont sont victimes les femmes seraient uniquement liées à des pratiques culturelles ou religieuses venues d’ailleurs. S’il faut combattre celles-ci au nom du droit des femmes, ne sous-estimons pas le nombre des femmes battues, qui sont des milliers, et le fait que les violences, y compris psychologiques, touchent tous les milieux sociaux.

Près d’une centaine de femmes meurent chaque année de violences subies au sein du couple, chiffre qui est énorme rapporté à celui des homicides, qui approche les 150 par an en France. Mais n’y aurait-il qu’une femme tuée dans ces conditions, ce serait déjà trop.

Heureusement, notre société, lentement mais sûrement, prend conscience que la violence au sein du couple ne relève pas de la sphère privée et que lorsqu’un homme bat une femme, cela ne regarde pas que lui. Non, la femme victime de violences n’est pas responsable ! Il faut le répéter inlassablement afin que les femmes osent rompre le silence et la barrière de la honte qui, malheureusement, les empêchent trop souvent de déposer plainte.

Si la répression est donc nécessaire, elle ne peut cependant pas tout résoudre. Je regrette donc l’absence dans ce texte d’un volet consacré à la formation et à l’éducation, la prévention passant aussi par le refus de toute publicité à caractère sexiste. La peur de la répression n’a en effet jamais arrêté les auteurs de violences. Elle peut au mieux diminuer celles-ci, mais elle ne les arrêtera pas. Le problème de l’éducation est donc fondamental.

Il faut éduquer les enfants dès le plus jeune âge en les prévenant contre les représentations stéréotypées des rôles des femmes et des hommes, en combattant ce que l’on pourrait appeler la culture hyper viriliste en vigueur dans certains de nos quartiers, en convainquant que l’on peut être un homme sans utiliser ses poings, notamment sur sa femme et sur ses enfants, bref en généralisant l’éducation à la non-violence. Je ne peux donc que regretter l’absence de toutes dispositions en ce sens dans la loi que nous allons voter.

De même, je crains que, faute de volonté en ce domaine, les moyens financiers ne soient pas dégagés pour permettre aux femmes d’échapper aux violences. Il en va ainsi de la réalisation de structures d’accueil spécifiques : le dispositif des familles d’accueil me semble très éloigné de la réponse qu’il faudrait apporter, et il accrédite l’idée que les femmes victimes ont besoin d’être mises sous tutelle. Une telle solution peut-être valable dans quelques cas précis, mais elle ne peut être généralisée. Nous avons vraiment besoin de structures d’accueil spécifiques.

De même, il nous faut protéger l’emploi de ces femmes, lorsqu’elles en ont un, de façon que les absences liées aux violences subies ne puissent constituer un motif de licenciement. J’ai déposé un amendement en ce sens et j’espère qu’il recevra un accueil favorable.

Je regrette qu’il ne soit pas non plus possible, compte tenu de l’application de l’article 40 de la Constitution, d’assurer à ces femmes le droit aux ASSEDIC en cas de perte de leur emploi. Nous allons ainsi laisser la commission paritaire de l’ASSEDIC décider, ce qui suppose des démarches longues.

Des dispositifs rapides à mettre en œuvre seraient pourtant nécessaires aux femmes victimes de violences afin qu’elles osent franchir le pas du dépôt de plainte, de la rupture avec le mari, le concubin, le pacsé ou l’ex violent, en ayant l’assurance de pouvoir reconstruire leur vie. Pour quitter l’homme qu’une femme a aimé et que, parfois, elle aime encore malgré les violences, il faut qu’un environnement favorable existe.

Aussi est-il également nécessaire de donner des moyens aux associations qui aident ces femmes en menant une action de prévention et de formation.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. La loi n° 92-683 du 22 juillet 1992, entrée en application en mars 1994 et portant réforme des dispositions générales du code pénal, dispose que la qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne. Même s’il n’y a aucune incapacité totale de travail, cette violence constitue un délit qui est donc passible du tribunal correctionnel.

Il nous paraît juste, comme l’avait proposé dans sa proposition de loi le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, d’étendre cette circonstance aggravante au couple pacsé, dans la mesure où ce lien juridique a été reconnu dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je partage assez largement les préoccupations de notre collègue Martine Billard. Le présent texte est très utile et nous le voterons. Il appelle cependant une loi plus ambitieuse qui ne se borne pas à lutter contre un phénomène gravissime, mais qui ouvre des droits afin de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes dont notre pays est encore bien éloigné.

La proposition de loi qui nous est soumise comporte des dispositions concrètes qui constituent un signal politique et pédagogique très fort, mais elle n’agit pas assez sur l’environnement des victimes, au risque de rester virtuelle. Je tiens à cet égard, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, à appeler votre attention sur le nécessaire accès en urgence de l’aide juridictionnelle.

Selon les statistiques disponibles, en effet, celle-ci profite trois fois plus à l’agresseur qu’à la victime. Nous sommes donc encore très loin de donner aux femmes, qui sont infiniment plus victimes des violences des hommes que l’inverse, les moyens de se défendre et d’ester en justice. Or la rapidité de la procédure est une condition essentielle pour que la femme ne doute pas de l’utilité de saisir la juridiction.

Il faut par ailleurs renforcer les hébergements d’urgence de longue durée, sur plusieurs mois. Le 115 pour un jour est utile, mais il faut des lieux d’accompagnement tant thérapeutiques, pour le conjoint violent qu’il est indispensable d’obliger à se soigner, que psychologiques pour la femme victime.

Madame la ministre, les moyens accordés à la prévention et au soutien aux associations sont très insuffisants. Or ces dernières connaissent bien le sujet. Elles connaissent la démarche pédagogique à entreprendre pour convaincre les femmes de ne pas continuer à subir, faute d’avoir confiance dans les institutions.

Un énorme effort doit être consenti en faveur de ces associations, sans d’ailleurs que nous ayons nécessairement à légiférer.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Cela relève en effet du règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Vous donneriez ainsi notamment satisfaction à la Maison des femmes de ma bonne ville de Montreuil qui, là comme ailleurs, joue un rôle extraordinaire en ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Je voudrais poser le problème général de la distinction entre la loi et le règlement.

Toutes les dispositions relatives à la prévention, Mme Billard vient de l’indiquer, ont été repoussées au Sénat au prétexte qu’elles relèvent du domaine réglementaire. Certes la loi est cadrée par la Constitution mais, et M. le garde des sceaux, ancien président de la commission des lois, a peut-être une idée sur la question, ce cadrage est vague et général. On oppose souvent aux parlementaires le fait que certaines dispositions relèvent du domaine réglementaire pour les empêcher d’en discuter.

Un ancien président de la commission des lois, M. Mazeaud, disait que les textes discutés tenaient parfois plus du réglementaire que du législatif. C’est vrai, mais il ne faudrait pas que nous nous censurions nous-mêmes, ou que d’autres nous censurent en nous opposant le domaine réglementaire, alors que l’article 40 nous censure déjà sur le plan financier. Cela finit par poser un problème de démocratie parlementaire.

J’invite le président de l’Assemblée, le bureau et la conférence des présidents à se saisir de ce problème d’ordre général.

M. le président. Le bureau avisera, le moment venu, monsieur Brunhes.

Sur l’article 1er, je ne suis saisi que d’un amendement, n° 17.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’article 1er tel qu’il a été adopté par le Sénat établit comme règle que les violences commises au sein du couple constituent une circonstance aggravante, celle-ci étant également applicable lorsque les faits sont commis par l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ancien partenaire.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cette précision n’est pas négligeable quand on connaît le pourcentage considérable de délits et de crimes commis après la séparation : ceux-ci représentent en effet 10 % du total des homicides.

Mme Muguette Jacquaint. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Nos collègues sénateurs n’ont toutefois pas tranché la question de l’opportunité ou non d’une limitation dans le temps de cette circonstance aggravante pour l’ex-époux, l’ex-conjoint ou l’ex-partenaire. L’amendement n° 17 a donc pour objet de tenter, avec succès je crois, de résoudre cette difficulté, sans pour autant fixer dans la loi un délai, qui serait probablement arbitraire.

Il propose que l’application de la circonstance aggravante pour l’ex-conjoint, concubin ou partenaire, ne soit possible que si l’infraction a été commise « en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime ».

Cette rédaction permet de répondre à l’interrogation des sénateurs tout en restant conforme à l’esprit de ce texte. La commission a adopté cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié par l’amendement n° 17.

(L’article 1er, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

Article 2

M. le président. L’article 2 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je le mets aux voix.

(L’article 2 est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est encore acquis à l’unanimité.

Article 2 bis

M. le président. Sur l’article 2 bis, la commission a déposé l’amendement n° 18.

La parole est à M. le rapporteur, pour le présenter.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’article 2 bis est le fruit d’un amendement proposé au Sénat par Mme Voynet. Il avait pour objectif de créer un nouveau délit de privation de pièce d’identité, de titre de séjour ou de résidence d’un étranger, par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte de solidarité.

En fait, la commission a considéré qu’une nouvelle incrimination non seulement n’était probablement pas nécessaire mais encore qu’elle privait la loi d’une force indispensable en la matière puisque la privation des pièces est apparentée à un vol. Il est donc proposé de considérer que le prélèvement de pièce d’identité et de titre de séjour s’apparente au vol. Cela permettrait d’ailleurs de sanctionner beaucoup plus durement le délit. En effet, alors que le nouveau délit créé par l’article 2 bis serait punissable d’une peine d’emprisonnement d’un an, la qualification de vol permettrait une punition de trois ans, ce qui me paraît beaucoup plus approprié.

Cet amendement propose également de compléter la rédaction de l’article 1er en ajoutant à la liste des éléments pouvant faire l’objet d’un vol par le conjoint les moyens de paiement. Mme Voynet n’y avait pas songé, mais nul ne songerait à l’en blâmer. La domination de l’un par l’autre au sein du couple à travers la privation des moyens de paiement est en effet l’un des aspects les plus douloureux de la dépendance, donc de la violence faite aux femmes.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le garde des sceaux. Favorable.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Je suis bien sûr d’accord avec cet amendement. Nombreuses sont les femmes à nous dire s’être fait dérober passeports ou cartes bleues. Malheureusement, ce vol les contraint bien souvent à rester au domicile puisqu’elles ne disposent plus alors ni de statut ni de moyens financiers pour vivre.

Je tiens cependant à faire une remarque : les femmes contraintes de quitter le domicile conjugal et dont les papiers ont été dérobés éprouvent les plus grandes difficultés à les récupérer parce qu’il leur faut à nouveau rentrer dans le domicile. En y allant seules, elles craignent d’avoir à subir à nouveau des violences. Il faudrait réfléchir, peut-être à l’occasion de l’élaboration d’une loi-cadre, à un accompagnement de la femme par la police ou par une autre personne pour aller récupérer les papiers au domicile ou bien sommer l’homme violent de rendre les affaires volées. Actuellement, des femmes se retrouvent à retourner vivre avec le concubin ou le mari. Il faut résoudre ce problème.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je suis tout à fait d’accord avec la philosophie du rapporteur. Simplement je m’interroge car l’amendement de la commission complète un article du code qui ne fait mention que du conjoint, en excluant les pacsés et concubins. La nouvelle rédaction de l’article, après l’adoption de l’amendement, englobera-t-elle bien tous les cas de cohabitation ?

Par ailleurs, l’amendement parle de la « victime ». Le cas du père qui vole les papiers de l’enfant pour faire pression sur la femme est-il également couvert par cet amendement ?

Il vaudrait mieux apporter ces précisions maintenant pour que nous ne nous retrouvions pas, après, confrontés à des situations non prévues.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Mme Billard a raison de poser la question mais la réponse est tout à fait aisée : le vol entre concubins et partenaires d’un pacs pouvait d’ores et déjà être réprimé par la loi, alors que ce n’était pas le cas, jusqu’à cet article, du vol entre époux. La remarque de Mme Billard est donc tout à fait satisfaite par les dispositions légales.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. J’entends bien l’argumentation du rapporteur concernant l’amendement de notre collègue, Mme Voynet, au Sénat. Pour ma part, j’opterais plutôt pour la formule « fromage et dessert » car il y a vol et vol. Le vol est certes puni d’une peine de trois ans, mais nous savons bien que, dans les faits, cette peine n’est pas appliquée. Or voler à quelqu’un ses papiers d’identité ou sa carte Vitale, plus encore que les clés de l’appartement ou les moyens de paiement, c’est lui arracher son identité : c’est beaucoup plus qu’un vol.

Ce que j’exprime là n’est pas formulé en des termes juridiques et législatifs, j’en conviens, mais je voulais attirer l’attention sur le fait que nous avons un problème spécifique. S’en tenir à la qualification de vol revient à banaliser cet acte, qui, en fin de compte, a quelque chose d’un crime. Arracher l’identité à une femme, c’est vouloir la tenir en état de sujétion, voire d’esclavage. Mais je ne sais comment traduire cela dans la loi.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 2 bis est ainsi rédigé.

Article 3

M. le président. Sur l’article 3 je ne suis saisi d’aucun amendement. Je le mets aux voix.

(L’article 3 est adopté.)

Article 4

M. le président. Sur l’article 4, je suis saisi de l’amendement n° 19 de la commission.

La parole est à M. le rapporteur, pour le présenter.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cet amendement a fait l’objet d’un débat extrêmement intéressant en commission des lois. Sa portée n’échappe à personne.

L’article 4 introduit la notion de viol entre époux. Certes, cela a été rappelé dans la discussion générale, la notion de viol entre époux a été reconnue par la jurisprudence de la Cour de cassation à plusieurs reprises.

Mme Muguette Jacquaint. Absolument. !

M. Yvan Lachaud. Tout à fait !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Cela a été fait pour la première fois il y a une quinzaine d’années, en 1990. Il n’est pas inutile de le rappeler parce que, dans l’esprit de beaucoup, le viol entre époux n’existe pas.

L’un des premiers objectifs de cette proposition de loi est de donner un fondement légal à la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, comme les magistrats eux-mêmes l’ont fait remarquer, l’utilisation de cette jurisprudence n’était pas systématique. En adoptant cet article, nous offrons une véritable garantie juridique à la reconnaissance de la notion de viol entre époux.

Avec l’amendement n° 19, je vous propose donc à la fois de faire preuve de cohérence et de prendre une disposition symbolique forte.

Nous avons décidé, dans les articles précédents, que les circonstances aggravantes deviendraient désormais la règle – la loi les déclinerait les unes après les autres – et non pas l’exception dans le cadre d’une application générale de la loi sur les violences en termes généraux. De ce fait, certaines infractions, certes graves mais peut-être moins graves à la fois dans la forme et dans l’esprit que le viol, seraient d’emblée considérées comme des circonstances aggravantes.

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Exactement !

M. Guy Geoffroy, rapporteur. L’article 3 que nous venons de voter rétablit déjà les choses puisque, à l’origine, la mort donnée sans intention de la donner était une circonstance aggravante alors que le meurtre ne l’était pas. Le viol est dorénavant considéré par la loi comme pouvant exister au sein du couple, mais, si nous ne votions pas cet amendement, il ne serait pas considéré comme circonstance aggravante alors que des coups et blessures entraînant une incapacité totale de travail de huit jours le seraient.

Par simple cohérence et pour montrer le poids important qu’il faut donner à l’acte législatif qui fixe désormais dans la loi la notion de viol entre époux, j’ai pensé qu’il était utile et nécessaire d’adopter cet amendement. La commission, au terme d’un débat fort intéressant, a bien voulu l’accepter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le Gouvernement partage l’analyse de votre rapporteur. Il est important de donner un fondement légal à la jurisprudence de la Cour de cassation. Chacun reconnaît ici qu’une violence sexuelle est avant tout un phénomène de violence. Un mari ivre qui ne respecte pas sa femme au point de la frapper encourt les peines prévues pour violence conjugale. Ne serait-il pas paradoxal d’accepter que s’il la viole après l’avoir battue, aucune aggravation ne soit prévue ? Tout comme une dispute ne rend pas les violences entre conjoints admissibles, l’existence de relations sexuelles passées et régulières ne rend pas le viol admissible.

Dans les deux cas violences et viols doivent être qualifiés d’aggravés, et ce pour deux raisons : d’abord, et au-delà de l’atteinte portée à la victime, ces faits constituent une rupture de la confiance et du respect mutuel qui doivent exister entre deux personnes liées par une communauté de vie ; ensuite, ces faits sont commis le plus souvent de façon répétée, sur une victime que sa proximité avec l’auteur des faits rend particulièrement vulnérable, parce qu’elle est souvent dans l’incapacité de révéler le calvaire qu’elle subit, et qui est dissimulé derrière le mur du domicile conjugal.

Mesdames et messieurs les députés, je crois que si l’on reconnaît qu’il puisse exister un viol entre époux – ce que fait la jurisprudence depuis que la question lui a été posée –, on ne peut que reconnaître qu’il doit s’agir d’un viol aggravé, comme pour les violences.

La proposition de votre commission va dans ce sens. Elle montre bien qu’il peut y avoir viol et que la circonstance aggravante est liée à la qualité de la victime. C’est pour cela que je suis favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Madame la ministre, je suis vraiment d’accord avec cet amendement : il est important que la loi reconnaisse qu’il peut y avoir viol entre époux.

Je tiens néanmoins à ajouter qu’il y a beaucoup à faire concernant les lieux – les commissariats notamment – où vont être accueillies les femmes victimes de ces viols, pour qu’elles puissent porter plainte.

Il a déjà été très difficile de faire reconnaître le viol comme un crime, mais faire admettre aujourd’hui qu’il existe un viol entre époux va nécessiter qu’il y ait dans les commissariats des gens aptes et formés pour accueillir les victimes autrement que par un sourire dubitatif, comme cela est souvent le cas quand une femme vient porter plainte parce qu’elle a subi des violences ou a été victime d’un viol commis par son époux.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. L’article 4 est ainsi rédigé.

Mes chers collègues, compte tenu de l’heure, il me semble préférable d’interrompre nos débats, la conférence des présidents ayant décidé que l’examen de la présente proposition de loi se poursuivrait au début de la première séance du jeudi 15 décembre.

ordre du jour de L’assemblée

M. le président. L’ordre du jour des séances que l’Assemblée tiendra jusqu’au jeudi 19 janvier 2006 inclus a été fixé ce matin en conférence des présidents.

Par ailleurs, la conférence des présidents propose d’inscrire à l’ordre du jour complémentaire, le mercredi 14 décembre, après les questions au Gouvernement, la proposition de résolution de M. Michel Bouvard, tendant à exprimer le soutien de l’Assemblée au Gouvernement dans la négociation européenne sur les taux de TVA.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures deuxième séance publique :

Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 et débat sur cette déclaration ;

Discussion du projet de loi, no 2626, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières :

Rapport, no 2711, de M. François Rochebloine, au nom de la commission des affaires étrangères ;

Discussion du projet de loi, no 2630, autorisant l’approbation de l’accord sur l’Office franco-allemand pour la jeunesse :

Rapport, no 2712, de M. François Rochebloine, au nom de la commission des affaires étrangères ;

(Ces deux textes faisant l’objet d’une procédure d’examen simplifiée : article 107 du règlement.)

Discussion du projet de loi, no 2604, adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence, relatif à la sécurité et au développement des transports :

Rapport, no 2723, de M. Dominique Le Mèner, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,

Avis, no 2733, de M. Hervé Mariton, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)