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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 2 mai 2006

202e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

souhaits de bienvenue
à une délégation ÉTRANGÈre

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de députés camerounais, conduite par le président du groupe d’amitié M. Jean-Bernard Ndongo Essomba. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

questions au gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

politique sociale du gouvernement

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, votre politique à marche forcée, guidée par les intérêts financiers des grands groupes (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) se heurte de plus en plus au rejet. En témoigne la mobilisation populaire et de la jeunesse qui a eu raison de votre fameux CPE.

La guerre ouverte à la tête de l’exécutif gangrène un peu plus chaque jour l’État républicain et provoque dans le pays un sentiment d’écœurement.

L’actualité de cette pitoyable affaire Clearstream ajoute au climat délétère à tous les niveaux de nos institutions, déjà rongées par une crise profonde.

L’image de la France dans le monde en est ternie, notre démocratie durement malmenée.

Derrière ce rideau de fumée nauséabond et des règlements de comptes au sommet de l’État UMP, la question sociale frappe plus que jamais à la porte.

Refus de la précarité et du chômage, exigence d’en finir avec le CNE – qu’un conseil de prud’hommes vient de remettre en cause –, protestation contre l’augmentation insoutenable des carburants et du gaz, quand vous vous obstinez à privatiser GDF pour le livrer aux appétits de la Bourse, loi d’immigration profondément inhumaine et contraire à toute notre tradition française.

Notre peuple étouffe sous le poids de votre politique ultralibérale, dictée par les choix du MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. C’est vrai !

M. Alain Bocquet. Les député-e-s communistes et républicains continueront de s’opposer fermement à tout recul de civilisation et d’agir pour une alternative de progrès, que portait il y a un an le « non » au référendum.

La question, en effet, n’est pas de savoir qui d’un tel ou d’une telle va obtenir le pouvoir pour le pouvoir. La question, c’est plus que jamais de rendre le pouvoir au peuple. Il est temps que ça change vraiment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président Bocquet, cela fait trente ans…

Un député du groupe socialiste. Qu’il est là !

M. le Premier ministre. …que je sers mon pays.

M. Arnaud Montebourg. Bien mal

M. le Premier ministre. J’ai été la victime, au cours des derniers jours, d’une campagne de calomnies et de mensonges ignobles…

M. Henri Emmanuelli. De la part de qui ?

M. Bruno Le Roux. Un concours de victimisation !

M. le Premier ministre. …qui m’a profondément choqué et blessé. Trop, c’est trop ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comment accepter que, dans notre pays, on puisse être mis en cause personnellement,…

M. François Lamy. Par qui ?

M. le Premier ministre. …sur la base d’informations tronquées ? Comment accepter que des personnalités, de droite comme de gauche, puissent être injustement citées dans une affaire ?

M. François Lamy. Par qui ?

Un député du groupe socialiste. Il est où ?

M. le Premier ministre. Comment accepter que le débat politique dans notre pays soit pris en otage par des accusations mensongères et des manipulations ?

Un député du groupe socialiste. Qui manipule qui ?

M. Henri Emmanuelli. Qui a porté plainte ?

M. le Premier ministre. Je veux le dire solennellement devant vous, monsieur Bocquet : rien ne me détournera de mon devoir comme Premier ministre au service des Français.

Nos compatriotes ont des attentes en matière de pouvoir d’achat, en matière de chômage (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.), en matière d’éducation (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.), et nous y répondrons. (« Oh non ! » sur les mêmes bancs.)

Un député du groupe des député-e-s communistes et républicains. Il serait temps !

M. le Premier ministre. Nous avons des résultats qui sont le fruit, sur le terrain, de notre travail (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) et des efforts des Français.

Le chômage baisse (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste), la croissance repart, l’innovation se développe. (« Oh non ! » sur les mêmes bancs.)

Nous continuerons dans cette voie tout au long des prochains mois,…

M. Maxime Gremetz. Les profits explosent !

M. le Premier ministre. …et les Français peuvent compter sur nous.

Quant à moi, je ne me laisserai à aucun moment écarter de la mission qui est la mienne (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et que j’assume au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Un député socialiste. Ça sent le sapin !

baisse du chômage

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, depuis un an, vous avez mobilisé l’ensemble de votre gouvernement dans la lutte contre le chômage qui est le problème numéro un des Français depuis plus de vingt ans. Alors que le climat politique actuel, alimenté de rumeurs en tout genre, est difficile, on oublie que ce combat, qui n’est certes pas encore gagné, a permis d’enregistrer une baisse quasi continue du chômage.

M. Augustin Bonrepaux. Et une augmentation du nombre de RMIstes !

M. Marc Laffineur. Nous avons depuis un an obtenu une diminution de 200 000 chômeurs grâce à une croissance – à laquelle l’ensemble de vos ministres a contribué, qui sera comprise entre 2 et 2,5 %, alors que tous les analystes tablaient sur une croissance inférieure à 2 % –, mais aussi grâce à toutes les mesures que la majorité a votées sans faille depuis le mois juin 2005, et notamment le CNE.

Un député socialiste. N’oubliez pas le CPE !

M. Marc Laffineur. Pour le mois de mars, nous enregistrons une baisse de plus de 30 000 demandeurs d’emplois.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, si cette baisse concerne l’ensemble des Français et si les perspectives sont encourageantes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Oui, le chômage baisse enfin en France. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Liberti. C’est faux ! (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le Premier ministre. Nous venons de connaître au mois de mars la baisse du chômage la plus forte depuis cinq ans. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Un député du groupe socialiste. Et les RMIstes ?

M. le Premier ministre. Il y a près de 200 000 chômeurs en moins dans notre pays depuis un an.

M. François Liberti. Personne n’y croit, même pas vous !

M. le Premier ministre. Cette baisse du chômage, c’est la preuve que la mobilisation sans précédent de notre majorité et du Gouvernement porte ses fruits.

Je pense aux outils que nous avons mis à la disposition des petites entreprises, comme le contrat nouvelles embauches.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. le Premier ministre. Plus d’un demi-million de contrats signés créant des emplois nouveaux qui n’auraient jamais été créés sans cela ! (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. –Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je pense aux contrats d’apprentissage et de professionnalisation, aux contrats aidés qui ont contribué à mettre le pied à l’étrier à des milliers de jeunes en difficulté. Je pense à l’accompagnement personnalisé des chômeurs par le service public de l’emploi.

Désormais, nous avons mis à la disposition des jeunes, des demandeurs d’emploi un entretien mensuel avec un suivi permanent ! C’est un changement fondamental dans la société française.

M. Maxime Gremetz. Allons, allons !

M. le Premier ministre. Cette baisse du chômage, c’est aussi la preuve que notre politique de croissance donne des résultats.

M. Henri Emmanuelli. Comme en Allemagne !

M. le Premier ministre. La croissance, l’investissement, le moral des entreprises, la consommation repartent,…

M. Gilbert Biessy. Et le CAC 40 !

M. le Premier ministre.…et de cela je me demande parfois pourquoi l’on en parle si peu aujourd’hui, alors que c’est la vraie nouveauté pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Notre politique industrielle est mobilisée sans relâche à travers les pôles de compétitivité. Le Président de la République vient d’annoncer les différents dossiers qui seront traités par l’Agence de l’innovation industrielle. Tout indique que la croissance sera supérieure, contrairement à toutes les prédictions, à 2 % cette année. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste.)

Les Français constatent aujourd’hui que le chômage, contrairement à ce que vous aviez prétendu, n’est pas une fatalité et que tout n’a pas été essayé ! La détermination de notre gouvernement et de notre majorité paie. Ce que vous n’avez pas su faire, nous le faisons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

affaire Clearstream

M. le président. La parole est à M. François Hollande, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations et protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Hollande. Monsieur le Premier ministre, le pays traverse une crise politique d’une exceptionnelle gravité. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Chacun doit ici en prendre la mesure. Après les émeutes des banlieues au mois de novembre (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), la crise du CPE depuis plusieurs semaines (Mêmes mouvements), voilà maintenant l’affaire Clearstream. (Mêmes mouvements.)

Au-delà des dénouements judiciaires que nous espérons tous rapides pour que la vérité soit faite, cette affaire révèle d’ores et déjà, monsieur le Premier ministre, un climat détestable au sommet de l’État. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Manœuvres, manipulations, suspicions, règlements de compte, tout y est !

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Amalgame !

M. François Hollande. Monsieur le Premier ministre, vous êtes obligé aujourd’hui de nier avoir diligenté une enquête contre le numéro deux de votre propre gouvernement ! (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Et une procédure engagée par le numéro deux du Gouvernement aboutit à mettre en cause le chef du Gouvernement ! Voilà où nous en sommes.

Il y a plus grave encore. Les services de renseignements sont aujourd’hui utilisés, que dis-je instrumentalisés à des fins qui n’ont que peu à voir avec leurs missions. (Protestations sur les mêmes bancs.)

Plus grave encore, le bureau de la ministre de la défense est perquisitionné. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plus grave encore, de hauts commis de l’État sont interrogés au risque de perdre leur crédibilité. (Mêmes mouvements.)

Pis encore, vous allez être bientôt, monsieur le Premier ministre, auditionné par la justice. (Mêmes mouvements.)

Quelle image, convenons-en, pour la France ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Quelle autorité pour l’État ! (Protestations sur les mêmes bancs. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Comment l’État a-t-il pu tomber aussi bas à cause de vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La responsabilité de tout cela est collective. Elle appartient d’abord au Président de la République et nul ne peut comprendre ici son silence ! Elle vous appartient aussi, monsieur le Premier ministre, car vous êtes le chef du gouvernement qui a conduit la France à cette situation ! Elle appartient aussi au président de l’UMP ainsi qu’à toute la majorité car vous soutenez, messieurs de la droite, ce gouvernement et ces pratiques !

Monsieur le Premier ministre, je n’ai qu’une question à vous poser : quand allez-vous tirer les conséquences de cette situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Décidément, monsieur Hollande, vous n’avez pas beaucoup d’expérience. (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Si vous nous parliez plutôt de votre expérience des électeurs, monsieur le Premier ministre !

M. le Premier ministre. Vous n’avez jamais exercé de responsabilités, à quelque niveau de l’État que ce soit : cela se voit et cela s’entend ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. − Exclamations prolongées sur les bancs du groupe socialiste.) Dans toute démocratie, il y a des épreuves. Faut-il vous rafraîchir la mémoire, monsieur Hollande ? Cela fait plusieurs décennies que notre pays est régulièrement affecté par les affaires, tout particulièrement dans l’année précédant une élection présidentielle.

J’accepte les critiques. J’accepte les désaccords.

M. Jean Glavany. Tu parles !

M. le Premier ministre. J’accepte les différends. Mais il y a une chose que je n’accepterai jamais…

M. Jean Glavany. C’est d’aller devant les électeurs !

M. le Premier ministre. …ni aujourd’hui ni demain, ni pour moi ni pour personne : c’est que la calomnie (« De qui ? » sur les bancs du groupe socialiste), la dissimulation, le mensonge l’emportent sur la vérité, parce que c’est tout simplement ignoble, monsieur Hollande, parce que cela fragilise l’État de droit et la démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Face à cela − faut-il le rappeler ? −, il n’y a qu’une seule réponse.

Plusieurs députés du groupe socialiste. La démission !

M. le Premier ministre. C’est la vérité et la transparence. Pour ma part, je l’ai déjà dit : je suis prêt à apporter tout mon concours à la justice, afin de lui fournir les éclaircissements qu’elle jugerait utiles.

M. Christian Bataille. Démission !

M. le Premier ministre. J’appelle chacun à prendre ses responsabilités. Ce n’est pas en entrant − comme vous, monsieur Hollande, ce qui ne vous grandit pas − dans la logique des boucs émissaires, que nous ferons progresser notre démocratie.

Faut-il vous rappeler − et je regrette de devoir le faire dans cet hémicycle − que votre famille politique a eu son lot d’affaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. − Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) N’en avez-vous tiré aucune leçon ? Faut-il, comme je l’ai entendu ces derniers jours, monsieur Hollande, multiplier les déclarations accusatrices et indignes, qui, vous le savez, ne peuvent faire que le jeu des extrêmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Hollande. Mais non !

M. le Premier ministre. C’est au contraire − car c’est cela, la maturité démocratique − en respectant les institutions et les règles qui s’imposent à tous…

M. Henri Emmanuelli. Alors respectez-les !

M. le Premier ministre. …en laissant la justice faire sereinement son travail, en privilégiant l’action et en apportant aux Français des résultats concrets, que notre pays sera fidèle à lui-même.

Monsieur Hollande, vous vous laissez emporter. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Oh non !

M. le Premier ministre. Avez-vous perdu votre sang-froid ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Est-ce le fait de votre inexpérience ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous vous laissez abuser. Rien ne sert de hurler avec les loups. (« Hou ! Hou ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Nos compatriotes sont las de ces faux procès. Ce que nous devons aux Français qui nous regardent, c’est la dignité…

M. Henri Emmanuelli. La dignité, cela n’existe plus ! Moi, naguère, j’ai démissionné !

M. le Premier ministre. … la vérité et la justice. En dépit de vos insinuations, tel est mon engagement. C’est celui de toute ma majorité au service des Français et de notre pays. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. − Huées sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Où est Sarkozy ?

Affaire Clearstream

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre, même si je doute qu’il m’honore d’une réponse.

Après trois mois de crise sociale qui ont abouti au retrait du CPE, la France est désormais plongée dans les méandres nauséabonds de l’affaire Clearstream. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Elle découvre avec effarement et révolte comment on peut, au sommet de l’État, fomenter des coups tordus entre membres d’un même gouvernement en se servant, comme d’un instrument de luttes personnelles, des services de l’État les plus secrets et des militaires et fonctionnaires les plus dévoués à la défense du pays, à l’intérêt national.

Cette nouvelle affaire vient s’ajouter à bien d’autres que la Ve République a fait subir à notre pays. On se souvient des écoutes téléphoniques commandées par l’Élysée sous François Mitterrand (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ou de l’affaire des dossiers fiscaux. À l’époque, ceux qui vous applaudissent aujourd’hui criaient au scandale. Et certains de ceux qui donnent désormais de royales leçons de morale étaient conseillers techniques à l’Élysée.

Monsieur le Premier ministre, peu importent vos dénégations d’aujourd’hui, qui seront peut-être contredites la semaine prochaine. Vous l’avez dit vous-même il y a quelque temps, il ne s’agit pas de votre personne, mais il ne s’agit pas non plus, comme vous l’affirmez, d’une question de déontologie, et pas seulement des travers d’une fin de règne qui n’en finit pas de finir. C’est le pouvoir absolu et sans véritable contrôle, que la Ve République confère au Président et au gouvernement, qui a mécaniquement entraîné ce type d’affaires sous toutes les majorités.

Dans le cas présent, les services secrets sont soumis au risque d’instrumentalisation politique, car ils ne connaissent aucun autre contrôle que celui du gouvernement. Contrairement à ce qui se passe chez tous nos voisins, il n’existe, sur ces services, aucun contrôle parlementaire. Aucun pays occidental n’est à ce point privé des institutions d’une démocratie moderne.

Oui, monsieur le Premier ministre, c’est bien d’une crise de régime qu’il s’agit, car nos institutions n’empêchent pas les gouvernants successifs de céder à la tentation trop naturelle d’abuser de leurs fonctions. Oui, c’est bien d’une crise de régime qu’il s’agit, quand, depuis des décennies, la succession des affaires ruine la confiance que les Français devraient avoir dans ceux qui les dirigent.

De cette crise de régime, il faudra bien sortir. À défaut du grand changement de nos institutions dont notre pays a besoin et que vous avez récusé ce matin, nous voulons vous demander si vous envisagez au moins, comme tout le monde vous le demande, de mettre en place un vrai contrôle parlementaire sur nos services secrets. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député Lagarde, j’avoue que je suis un peu surpris : comment vous, membre du groupe UDF, pouvez-vous bâtir tout un raisonnement et toute une question sur des indiscrétions, sur des informations tronquées, sur une instruction qui, jusqu’à preuve du contraire, doit être tenue secrète, et comment vous permettez-vous ensuite d’attaquer le Gouvernement en vous fondant sur des éléments aussi faibles ? De votre part, c’est choquant. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ça l’est d’autant plus que, vous l’aurez noté, il n’a pas fallu attendre longtemps après la révélation de ces indiscrétions pour que deux démentis soient publiés par la personne concernée. C’est dire la solidité des bases sur lesquelles vous vous appuyez pour porter vos attaques contre le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Quant à votre question, je vous remercie de l’avoir posée, car la réponse est bonne. Je m’honore en effet d’appartenir au gouvernement qui, le premier, vient de déposer un projet de loi visant à créer une délégation de contrôle pour le renseignement. Cela n’a jamais existé auparavant. Merci de me donner l’occasion de le dire. C’est heureux pour nous.

Quant aux institutions, monsieur Lagarde, si vous êtes, comme vous semblez le dire, tellement intéressé par leur respect, commencez donc par respecter le secret de l’instruction et l’indépendance de la justice. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

emploi des jeunes

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mignon, pour le groupe de l’UMP.

M. Jean-Claude Mignon. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Monsieur le ministre, les étudiants ont enfin pu reprendre leurs cours, les universités ont rouvert leurs portes, mais dans des conditions difficiles, si l’on en juge par les quelques images qu’on a pu voir et par le montant des dégradations auxquelles nous allons devoir faire face. Aujourd’hui, les étudiants essaient de préparer leurs examens dans les meilleures conditions possibles et nous leur souhaitons bien sûr de réussir. Mais nous ne pouvons oublier le traumatisme des semaines qui viennent de s’écouler.

Aujourd’hui, les étudiants doutent de leur avenir et ont besoin d’être rassurés. Ils doutent aussi de leur capacité à s’insérer convenablement dans la vie professionnelle. Les entreprises ne demandent qu’une seule chose : aller au-devant des étudiants. Elles ont besoin de leur prouver qu’elles sont tout le contraire de ce que leur ont dépeint des individus qui, souvent, n’ont jamais mis les pieds dans le monde de l’entreprise.

Monsieur le ministre, nous avons, avec vous, la responsabilité de ces étudiants, nous nous devons de les rassurer, de leur donner des gages par rapport à leur avenir. Nous devons aussi leur montrer que, en France comme ailleurs dans le monde, ils ont la possibilité de rentrer dans l’entreprise, de s’insérer et de réussir. Monsieur le ministre, quelle initiative forte allez-vous prendre pour rassurer le monde étudiant ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député Jean-Claude Mignon, la rentrée universitaire se déroule dans des conditions tout à fait satisfaisantes, de même que la rentrée lycéenne. Mais nous avons le devoir de répondre aux inquiétudes que les jeunes ont manifestées.

L’une d’elles concerne la professionnalisation du parcours universitaire. Nous avons des réponses très claires à leur apporter en la matière. Ne noircissons pas le tableau : nombreuses sont les filières universitaires qui, du point de vue de la professionnalisation, sont d’une grande qualité, notamment le juridique, le médical ou les instituts universitaires de technologie qui, depuis quarante ans, préparent aux métiers d’aujourd’hui et de demain.

Ce que demandent les jeunes, c’est d’avoir une meilleure vision de la professionnalisation des filières qu’ils empruntent. C’est pourquoi François Goulard prépare, pour la prochaine rentrée universitaire, un portail internet qui décrira tous les débouchés professionnels qu’apporte chacune des filières universitaires.

Mais il faut aller plus loin, car les étudiants veulent aussi être davantage accompagnés dans leur parcours universitaire et professionnel et savoir quels sont les chemins, les voies et les moyens pour aborder ces métiers. C’est pourquoi, la semaine dernière, M. le Premier ministre a installé, en Sorbonne, la commission du débat national université-emploi, qui va travailler en deux temps : elle remettra d’abord un rapport d’étape au mois de juin, puis un rapport définitif au mois d’octobre. Ses travaux nous permettront d’apporter très rapidement, dès la rentrée universitaire, des réponses concrètes, en matière d’orientation, d’harmonisation du système LMD − que vous connaissez bien −, d’apprentissage et de formation en alternance. Cette commission va travailler en étroite concertation avec l’ensemble des acteurs universitaires et économiques, à l’échelon local et à l’échelon national. À la suite de ce dialogue et dès la rentrée prochaine, des mesures très concrètes seront mises en place. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Lutte contre le cancer

M. le président. La parole est à M. Pierre Amouroux, pour le groupe de l’ UMP.

(M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, entre dans l’hémicycle.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ah ! M. Sarkozy vient enfin s’asseoir au banc du Gouvernement !

M. Henri Emmanuelli. La partie civile est enfin arrivée !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie : M. Amouroux va croire que c’est lui qui provoque ces exclamations de joie ! (Sourires.)

M. Pierre Amouroux. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et des solidarités.

Monsieur le ministre, le Président de la République a fait de la lutte contre le cancer l’un des trois grands chantiers de son quinquennat, fixant les orientations de la politique anti-cancer, laquelle met notamment l’accent sur la prévention, la coordination de la recherche et l’humanisation des soins. Chaque année, en France, ce sont en effet près de 150 000 personnes qui meurent du cancer. Par conséquent, tout le monde peut être concerné un jour ou l’autre par cette maladie.

Lutter contre le cancer, c’est non seulement soutenir les chercheurs, mais aussi favoriser les meilleurs soins possibles et, surtout, développer la prévention. Un effort considérable a été fait pour la généralisation du dépistage du cancer du sein, qui cause 11 000 décès par an, mais aussi de celui du cancer du colon ou du col de l’utérus, de même qu’en matière de procédure d’agrément des services en cancérologie, afin que chaque Française, que chaque Français bénéficie des meilleurs soins, et que les droits des malades soient égaux sur tout le territoire.

Jeudi dernier, tirant le bilan des avancées réalisées dans la lutte contre le cancer, le Président de la République a indiqué de nouvelles priorités : pour la deuxième phase du plan, il convient, premièrement, d’améliorer les dépistages et, deuxièmement, de lutter contre les addictions. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment vous allez renforcer la lutte contre le cancer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous le savez, cela fait maintenant trois ans qu’a été lancé le grand chantier présidentiel pour faire reculer le cancer. Les premiers résultats sont là, mais, comme l’a dit le Président de la République, il n’est pas question aujourd’hui de dresser un bilan : il faut au contraire tracer de nouvelles perspectives très concrètes, autour de trois objectifs. Nous pouvons et devons nous mobiliser davantage encore.

Premièrement, nous allons lutter contre les addictions, quelles qu’elles soient, en mettant en place, dans chaque centre hospitalier universitaire régional, un service d’addictologie, en organisant également des consultations dans chacun de nos hôpitaux et donc en augmentant le nombre des praticiens hospitaliers.

Le deuxième aspect, c’est le dépistage. Il nous faut faire mieux encore en la matière. Si le dépistage du cancer du sein est un droit, il doit devenir une réalité pour toutes les femmes : nous devons veiller à ce que chaque acteur de santé puisse nous aider à progresser dans cette voie.

Il en va de même pour le cancer de l’utérus, du colon – dont le dépistage doit être généralisé – et pour celui de la prostate, comme l’a indiqué le Président de la République.

Il faut enfin, et surtout, que la vie reprenne ses droits, grâce à un soutien plus fort des malades et de leur famille sur le plan médical, mais également sur le plan psychologique et social. Nous devons changer le regard que nous portons sur cette maladie et les malades.

Plus concrètement encore, conformément aux souhaits du Premier ministre, nous devons améliorer l’accès à l’assurance et au crédit, de façon à ce que les malades qui ont survécu au cancer, qui ont combattu cette maladie et gagné, puissent, s’ils le souhaitent, acheter une maison ou une voiture comme tout un chacun.

Dès la semaine prochaine, le Gouvernement entamera des négociations avec l’ensemble des acteurs concernés – banquiers, assureurs et associations de patients. Nous sommes tous mobilisés, car il n’est pas encore question de dresser un bilan, mais au contraire de relever de nouveaux défis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

affaire clearstream

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Monsieur le Premier ministre, ni vos déclarations ni les réponses que vous venez de faire à l’instant n’ont dissipé les interrogations des Français sur votre rôle dans l’affaire Clearstream – loin s’en faut ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comme l’a justement indiqué le garde des sceaux, la justice devra établir clairement les responsabilités des uns et des autres…

Un député du groupe UMP. Démago !

M. Christophe Caresche. …et elle devra faire la lumière sur ce dossier de dénonciation calomnieuse, dans lequel toutes les manipulations semblent possibles. Votre réponse, monsieur le Premier ministre, au lieu de clarifier la situation, ne fait que la rendre plus confuse !

Mais votre responsabilité politique est aussi engagée, car vous êtes le Premier ministre du Gouvernement de la République. À ce titre, vous devez être le garant d’un État impartial, dont la seule mission est d’agir au service de l’intérêt général, et non au service d’intérêts partisans ou personnels. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce que nous exigeons, c’est que la vérité, toute la vérité, soit faite sur cette affaire qui est bien autre chose qu’un « pétard mouillé », mais sans doute une affaire d’État. C’est pourquoi vous devez à la représentation nationale des réponses aussi précises que possible.

Tout d’abord, pourquoi le ministre des affaires étrangères que vous étiez en janvier 2004 s’est-il mêlé de cette affaire, alors qu’elle ne relevait à l’évidence que des ministres de l’intérieur et de la défense ? Vos explications sont peu convaincantes, comme demeure surprenante la présence constante de ce personnage à multiples facettes qu’est votre ami Jean-Louis Gergorin.

Pouvez-vous en outre nous assurer que vous avez alerté la justice en temps et en heure alors que vous disposiez, semble-t-il, d’éléments d’information qui attestaient d’une manipulation ?

Enfin, pouvez-vous affirmer en conscience que les moyens de l’État, en particulier les services de renseignement, n’ont pas été détournés de leur objet pour évaluer l’implication de personnalités de droite et de gauche dans cette affaire ?

Monsieur le Premier ministre, alors que la situation du pays a rarement été aussi dégradée (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), cette affaire donne le sentiment que ce gouvernement n’a d’autre boussole que la rivalité qui vous oppose au ministre de l’intérieur. Le pays n’en peut plus de votre affrontement fratricide ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Je voudrais dire à M. Caresche, qui est membre de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, que ce qui inquiète le plus les juristes, c’est qu’une affaire reçoive une sanction médiatique avant d’être jugée et que l’opinion publique prenne pour la vérité des faits qui ne sont pas établis par la justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous, monsieur Caresche, qui avez réfléchi pendant près de deux cents heures, avec vos collègues de la commission d’enquête, sur les raisons de l’emballement médiatique qui a conduit, certes en première instance, à une erreur judiciaire…

M. Patrick Lemasle. Vous ne répondez pas aux questions !

M. le garde des sceaux. …vous commettez strictement la même erreur sur le plan politique, fonçant tête baissée dans une affaire dont vous ignorez tout ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Par ailleurs, monsieur Caresche, comme l’a rappelé le Premier ministre, vous avez la mémoire un peu courte. Puis-je vous rappeler l’affaire des « paillotes », dans laquelle les conseillers du Premier ministre de l’époque avaient été interrogés, ou celle d’un député trésorier, dans laquelle M. Jospin lui-même, alors Premier ministre, avait été entendu ? Faisons tous preuve de prudence dans cet hémicycle ! Aujourd’hui, c’est une affaire qui semble concerner la droite ; hier, c’était une affaire qui semblait concerner la gauche. En tout cas, n’affaiblissons pas l’État, ses services, n’affaiblissons pas la France ! Pour un petit gain politicien, ne mettez pas en péril nos institutions ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

FILIÈRE AVICOLE

M. le président. La parole est à M. Michel Voisin, pour le groupe de l’UMP.

M. Michel Voisin. Ma question s’adresse à M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche, même si elle concerne également d’autres membres du Gouvernement.

Monsieur le ministre, grâce aux mesures énergiques qui ont été prises, la propagation de l’influenza aviaire a pu être contenue à la Dombes, et le reste du territoire de migration – le territoire national – a pu être préservé.

Alors que la période de migration des oiseaux est derrière nous, le prix à payer est lourd pour la Dombes : malgré les indemnisations, la filière avicole connaît de graves difficultés. En raison de l’hypermédiatisation de cette crise et du fait qu’une certaine presse a parlé de « marais pestiféré », la Dombes est devenue un désert : restaurants, hôtels, chambres d’hôte, musées, lieux de culte ont été abandonnés, et les commerces ainsi que les activités liées au tourisme ont chuté de 70 % en mars et avril.

En outre, l’épidémie demeure. Le cygne étant, selon les experts, le principal vecteur du virus, l’interdiction d’approcher les étangs a été décidée, ce qui a fait chuter dramatiquement l’activité piscicole. Il semble pourtant nécessaire de laisser subsister, certes au prix d’une régulation sévère, une espèce qui demeure la meilleure sentinelle « naïve » contre cette épizootie.

Le Premier ministre ayant indiqué au cours de sa visite que la solidarité nationale devait jouer dans tous les domaines en faveur de la Dombes, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelles sont les dispositions que le Gouvernement compte prendre pour améliorer et adapter les compensations des pertes d’activité, et celles destinées à promouvoir ce territoire ? Quelles mesures de régulation sont ou seront prises pour les cygnes et les cormorans…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et les corbeaux ! (Rires.)

M. Michel Voisin. …compte tenu des dernières mesures annoncées, qu’il s’agisse de Natura 2000 ou du tir à base de grenaille d’acier ?

C’est toute une partie de notre territoire qui est en train de crever, et elle se moque bien des polémiques dont M. Caresche vient de se faire l’écho ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. En effet, monsieur le député, la Dombes, dont vous êtes l’élu, a été la région de France la plus touchée par l’épizootie de grippe aviaire : 64 des 65 animaux sauvages qui ont été trouvés morts dans notre pays l’ont été sur votre territoire, où se situe également le seul élevage contaminé, celui de M. et Mme Clair à Versailleux.

Je voudrais vous remercier, ainsi que l’ensemble des élus du département de l’Ain et les éleveurs de la région, pour la fantastique leçon de civisme que vous nous avez donnée : en appliquant strictement toutes les mesures de prévention et de sécurité, vous avez évité l’extension de l’épizootie, hormis un seul cas décelé en Camargue – et j’espère que nous en resterons là.

Le Premier ministre l’a rappelé, la solidarité nationale jouera à plein. Ainsi, trois millions d’euros permettront de dédommager les éleveurs de l’Ain qui n’ont pu vendre leurs volailles. Toutes les mesures sociales et fiscales nécessaires seront prises en faveur des éleveurs comme pour l’ensemble de la filière, notamment des aides à l’exportation.

Monsieur Voisin, comme l’a souhaité le Premier ministre, votre territoire, qui plus que les autres a souffert de la grippe aviaire, peut compter sur la solidarité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

risques sanitaires liés à certains régimes amaigrissants

M. le président. La parole est à Mme Françoise de Panafieu, pour le groupe de l’UMP.

Mme Françoise de Panafieu. Monsieur le ministre de la santé et des solidarités, le XVIIe arrondissement de Paris, dont je suis députée-maire, connaît une douloureuse affaire : 153 personnes ont été identifiées comme ayant en leur possession ou ayant éventuellement consommé des gélules amaigrissantes produites à base d’extraits thyroïdiens par une pharmacie. L’une d’entre elles est décédée et quatorze autres sont hospitalisées, dont cinq en réanimation.

Dès qu’ils ont eu connaissance de cette affaire, vos services, monsieur le ministre, ont aussitôt lancé l’alerte : une enquête administrative a été diligentée, les services de l’Inspection ont été saisis, ainsi que le Conseil de l’Ordre des médecins et celui des pharmaciens. Une procédure judiciaire a été ouverte : le pharmacien concerné a été mis en examen pour homicide involontaire et sa pharmacie provisoirement fermée. L’enquête judiciaire établira les responsabilités de chacun. Voilà pour les faits.

Il est plus que jamais nécessaire de réexaminer la réglementation relative aux régimes amaigrissants qui utilisent des médicaments, car ils peuvent générer des problèmes sanitaires – nous en avons la preuve douloureuse – et psychologiques. La course à la minceur peut mettre en danger la vie des adultes, mais aussi des adolescents, qui subissent une forte pression.

Monsieur le ministre, il nous faut trouver la voie médiane entre la prévention de l’obésité et la minceur extrême. Quelles mesures comptez-vous prendre après cette triste histoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Il faut établir une norme !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Madame la députée, dans cette affaire, nous avons deux priorités. Tout d’abord, retrouver tous ceux à qui l’on a prescrit ce traitement. Aujourd’hui, 153 personnes sont identifiées, mais nous devons retrouver les autres pour qu’elles cessent leur traitement et se fassent suivre par leur médecin dans les plus brefs délais. Pour cela, nous avons mis en place un numéro téléphonique et une plate-forme d’écoute, disponible sept jours sur sept. J’ai appris, en me rendant au chevet de certaines de ces patientes, qu’il y avait de longues files d’attente dans cette pharmacie. Ce sont donc peut-être plus de 153 personnes qui ont acheté ce traitement. Nous devons les retrouver.

La seconde priorité, c’est d’éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Pour cela, il nous faut renforcer encore et toujours les règles de sécurité sanitaire. J’ai ainsi demandé à l’AFSSAPS de se prononcer sur l’intérêt que présentent les extraits thyroïdiens dans les préparations magistrales. Mais je pense qu’il faut aller au-delà, peut-être même renforcer ou changer le cadre réglementaire de ces préparations magistrales.

Mais vous avez évoqué un autre sujet à l’instant. À ce propos, j’ai saisi la Haute autorité de santé aujourd’hui même pour qu’elle établisse des recommandations quant aux réponses que les professionnels de santé doivent apporter aux patients qui demandent un régime amincissant ou un amaigrissement. En effet, comme vous l’avez indiqué, c’est bien là le sujet. Ce débat, beaucoup plus large, renvoie à l’image du corps. Nous devons pouvoir dire si un traitement, qu’il soit alimentaire ou médicamenteux, est efficace ou non. Devons-nous chercher à mieux appréhender les allégations ? Pour ma part, je pense que oui, pour bien faire la différence entre la pression sociale, qui existe, et les réels besoins de santé. Nous savons qu’il ne s’agit pas du tout de la même chose et seuls les besoins de santé nous intéressent vraiment. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

augmentation du coût de l’énergie

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour le groupe socialiste.

M. François Brottes. Monsieur le Premier ministre, pendant que tout se déchire au sommet de l’État, sauf l’arrogance (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), la vie chère, elle, continue, avec son lot de dégâts collatéraux. Comme certains disent chez moi, sur le marché le dimanche matin, « qui c’est qui paie ? C’est nous ! » (Sourires.)

La hausse du prix de l’énergie est au cœur de nombreux drames qui se nouent les uns après les autres et dont on nous parle dans nos permanences parlementaires, nous sommes tous ici à même de donner de multiples exemples. Ici, cette jeune femme célibataire payée au SMIC qui doit quitter son logement et retourner chez ses parents parce que la progression des charges n’est plus compatible avec ses ressources. Là, cet homme au chômage qui ne peut pas accepter l’emploi qui lui est proposé loin de chez lui du fait du prix de l’essence aujourd’hui. Ou encore, cette papeterie qui s’apprête à fermer notamment parce que le prix de l’énergie a connu une envolée de près de 50 % ces derniers mois. Pour certaines PME, l’augmentation est de l’ordre de 80 %. Conséquence, beaucoup d’industries consacrent aujourd’hui plus d’argent à la facture énergétique qu’aux frais de personnel !

Tout cela montre bien que les solutions proposées par le Gouvernement, qui ne ciblent, avec le CNE par exemple, que la précarisation des salariés, sont « à côté de la plaque », pardonnez-moi l’expression, et qu’il devient urgent de s’attaquer aux vrais problèmes des Français et de nos entreprises.

La flambée du prix du gaz, plus 29 % depuis janvier 2005, pour préparer la mariée de la privatisation avec Suez, la flambée du prix de l’essence et votre opposition quasi psychorigide à la restauration de la TIPP flottante qui pourrait atténuer l’effet de cette flambée pour le consommateur, la flambée du prix de l’électricité au service de la seule cotation en bourse, qui désormais ne se fonde plus sur le coût de production mais sur le seul prix du marché, tout cela démontre que les questions cruciales de la désindustrialisation, de l’explosion des charges locatives et du coût de la vie ne semblent pas beaucoup vous émouvoir.

Monsieur le Premier ministre, dans un tel contexte de fragilisation de notre économie, allez-vous continuer à faire comme si de rien n’était, à jouer au Monopoly en privatisant Gaz de France alors que M. Sarkozy avait pris l’engagement que cette privatisation ne se ferait pas ?

M. Maxime Gremetz. Vive la Bolivie !

M. François Brottes. Allez-vous continuer à ne pas prendre position, alors que d’autres pays européens l’ont déjà fait, pour maintenir les tarifs réglementés au-delà de 2007 puisque l’ouverture à la concurrence se traduit par une augmentation des tarifs ?

Monsieur le Premier ministre, quelles initiatives êtes-vous en capacité de prendre dans les prochains jours pour enrayer cette hausse du coût de l’énergie qui favorise à la fois l’exclusion et la fermeture de nos entreprises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur Brottes, quel mélange ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Savez-vous quel est le Gouvernement qui a augmenté le prix du gaz de 7 % au mois de mai, de 13 % au mois de novembre et de 9 % au mois de mai l’année suivante ? C’est le Gouvernement Jospin, en 2000 ! (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Lambert. Mais le prix n’était pas aussi élevé qu’aujourd’hui !

M. le ministre délégué à l’industrie. Je vous plains de ne découvrir qu’aujourd’hui que la France est obligée d’acheter son gaz sur le marché international car n’en produisant plus elle-même.

M. Augustin Bonrepaux. Et la privatisation, vous y êtes obligés ?

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous sommes évidemment conscients des conséquences sur notre économie et pour tous les foyers. Nous avons demandé à des personnalités indépendantes de vérifier s’il existait un lien entre le prix du pétrole payé sur les marchés internationaux et le prix du gaz que doivent payer nos concitoyens et nos entreprises.

M. Henri Emmanuelli. Et le bénéfice de GDF, c’est quoi ? 1 600 millions !

M. le ministre délégué à l’industrie. Au terme de cette étude, qu’ils ont réalisée de façon totalement indépendante, ils nous ont assuré que ce lien existait.

M. Daniel Paul. Ce sont les mêmes actionnaires !

M. le ministre délégué à l’industrie. Ils ont indiqué que la hausse de 5,8 % du prix du gaz, que la Commission de régulation de l’énergie…

M. Maxime Gremetz. Très indépendante, elle aussi !

M. le ministre délégué à l’industrie. …considère comme insuffisante pour rendre compte de l’évolution des prix du marché, était juste. Enfin, ils nous ont recommandé qu’il n’y ait pas d’autres hausses avant le 1er juillet 2007. Ce sera le cas, bien évidemment.

Aujourd’hui, deux attitudes sont possibles : la responsabilité ou la démagogie. Eh bien, je regrette que l’opposition ne se montre pas plus responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

lutte contre l’immigration ILLéGALE
en guadeloupe

M. le président. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin, pour le groupe de l’UMP.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, suite à mes différentes interventions auprès des ministres de l’outre-mer, Mme Girardin, puis M. Baroin, et de vous-même, je voudrais rappeler, quelques minutes avant que ne commence le débat sur l’immigration, la perméabilité des côtes de l’archipel guadeloupéen. Fuyant leur terre d’origine où perdurent l’instabilité politique et la misère, des hommes, des femmes et des enfants entrent illégalement en Guadeloupe sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie.

Par pure démagogie, certains élus affirment à mes compatriotes que l’État se désengage et que leur collectivité peut financer vedettes et radars. Puisqu’il est de la compétence de l’État de mettre en œuvre une politique de régulation efficace des flux migratoires, je souhaite, monsieur le ministre, que vous précisiez, devant la représentation nationale, si vous disposez des moyens nécessaires à une meilleure protection des côtes de mon archipel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Madame la députée, l’immigration non maîtrisée, grave problème pour la métropole, est un drame pour l’outre-mer, où le pacte social est plus fragile qu’ailleurs et où le sentiment d’exaspération devant une immigration non maîtrisée ne cesse de grandir. Je me permets à ce propos de souligner l’irresponsabilité d’hommes politiques qui prônent la régularisation de tous les clandestins. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Fabius !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ils font courir à notre pays le risque d’attirer des femmes et des hommes à qui nous n’avons à offrir ni logement, ni travail.

Deuxième remarque : je m’apprête à présenter avec François Baroin un texte sur l’immigration. Le ministre des départements et territoires d’outre-mer présentera lui-même le volet de lutte contre l’immigration clandestine spécifique à l’outre-mer. Chacun comprend bien qu’on ne lutte pas de la même façon contre les réseaux criminels qui exploitent la misère du monde en Guadeloupe et dans l’ensemble de nos départements et territoires, et en métropole.

Troisième remarque : dès le mois de juillet, une deuxième vedette surmotorisée, avec un équipage formé spécialement, viendra renforcer les moyens de lutte contre l’immigration clandestine en Guadeloupe. Quant aux radars, une étude technique a été demandée, et l’État est prêt à les financer.

Enfin, le préfet de la Guadeloupe a reçu pour objectif d’augmenter de 40 % le nombre des reconduites à la frontière.

M. Maxime Gremetz. Ah ! là ! là !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Que les choses soient très claires : sans papiers, on n’a pas vocation à demeurer en France, que ce soit en Guadeloupe ou en métropole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) On ne peut pas demander à l’État de considérer que quelqu’un qui n’a pas de papiers a vocation à rester en métropole ou dans les départements et territoires d’outre-mer. Il faut choisir. C’est l’application de la loi pour tous qui est la politique du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

recherche

M. le président. La parole est à M. Pierre-Louis Fagniez, pour le groupe de l’UMP.

M. Pierre-Louis Fagniez. Monsieur le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, en écho aux états généraux de la recherche de 2004, la loi que nous avons votée et qui a été promulguée le 18 avril dernier a eu pour but de profondément revoir le paysage de la recherche française et de permettre à tous nos laboratoires ainsi qu’à nos entreprises d’avoir la place qui leur revient, c'est-à-dire la meilleure.

Cette loi comporte deux volets : un volet de programmation et un volet d’orientation.

Pour le volet de programmation, l’État a consenti un engagement financier sans précédent. et nous avons tous pris acte, lors d’un débat où les uns et les autres ont utilisé des arguments à la fois de qualité et dignes et où chacun a fait preuve d’une grande écoute, y compris vous, monsieur le ministre, que ces engagements financiers devaient s’entendre en euros constants, que l’allocation de recherche devait vite atteindre 1,5 SMIC, et que des mesures spécifiques devaient être prises en faveur des jeunes chercheurs et pour accentuer l’attractivité de la recherche chez les jeunes.

Quant au second volet, le volet d’orientation, il est important car il remanie la façon de faire en remettant l’Université au centre des dispositifs notamment au travers des programmes de recherche et d’enseignement supérieur.

M. Maxime Gremetz. Vous avez raison, il faut bien expliquer la loi au ministre, des fois qu’il ne la connaîtrait pas !

M. Pierre-Louis Fagniez. Plusieurs éléments nouveaux ont été introduits, mais je voudrais en évoquer plus particulièrement deux : le Haut conseil de la science et de la technique, qui est très important est un élément des élections présidentielles car, placé auprès du Président de la République, il sera chargé de définir les grands axes de la recherche, et l’Agence d’évaluation, qui permettra enfin, notamment grâce aux contrôles a posteriori, d’obtenir la lisibilité et la qualité.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser le calendrier d’application de cette loi en ce qui concerne tous ces éléments ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le député, le pacte pour la recherche que nous avons présenté en novembre dernier avec Gilles de Robien, et la loi de programmation et d’orientation que vous avez examinée et que vous avez votée au début de cette année sont en effet d’une importance considérable pour l’avenir de notre pays. Vous l’avez rappelé, la loi comporte un aspect programmation, pour donner des moyens à la recherche, et un aspect orientation, pour lui donner de l’efficacité.

Les moyens sont, vous le savez, monsieur le député, inscrits dans le budget pour 2006. Les crédits sont d’ores et déjà alloués aux organismes de recherche et aux universités, et les emplois créés, au service de la recherche française. Naturellement, cette loi de programmation s’appliquera jusqu’en 2010.

En ce qui concerne l’orientation, des dispositifs nouveaux donnent plus d’efficacité à notre recherche. Je peux vous confirmer que le Haut conseil de la science et de la technologie, qui permettra aux pouvoirs publics de mieux affirmer les priorités de la recherche, sera mis en place avant l’été prochain.

M. Yves Nicolin. Très bien !

M. le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, si importante pour bien affecter les moyens, sera quant à elle opérationnelle à l’automne prochain. Les outils nouveaux de coopération scientifique, que vous avez aussi évoqués, seront eux aussi mis en œuvre dans les prochains mois.

Enfin, concernant la carrière des chercheurs et l’attractivité pour les jeunes chercheurs, des mesures statutaires ont d’ores et déjà été prises au 1er janvier ; elles seront reconduites au 1er janvier prochain.

Oui, cet ensemble de mesures a un objectif et un seul : faire en sorte que la France se situe dans le premier cercle des grands pays de recherche dans le monde, parce que notre avenir en dépend. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Immigration et intégration

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration (nos 2986, 3058).

La parole est à M. le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, depuis cinq semaines, le projet de loi relatif à l'immigration et l'intégration est entre vos mains. Je voudrais vous dire dans quel état d'esprit j'aborde la discussion qui s'ouvre aujourd'hui devant la représentation nationale.

Ma conviction est que, dans une démocratie moderne, l'immigration n’est pas un sujet tabou. Dans tous les pays d'Europe, l'immigration est considérée pour ce qu'elle est : un sujet de société, une question politique majeure, engageant l'avenir d'une nation. Dans toutes les démocraties, il est permis d'en débattre, sans avoir à s'excuser d’un débat extrêmement nécessaire. Et, par-dessus tout, dans toutes les démocraties d’Europe, il est permis d'agir, en ne craignant pas, s'il le faut, de remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier.

Ainsi, le gouvernement socialiste de Tony Blair a réformé à quatre reprises la législation britannique sur l'asile et l'immigration, sans qu’on ait dit pour autant que la Grande-Bretagne n’était plus une démocratie. L'Espagne a changé trois fois sa loi sur l’asile et sur l’immigration depuis 2000, et il ne serait venu à l’idée de personne de dire que l’Espagne n’était plus une démocratie. Une profonde réforme du système allemand, conçue par le gouvernement socialiste et vert de M. Schröder, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

Dans ces grands pays européens, la réforme de l'immigration a donné lieu à une confrontation de projets, à un vrai débat d'idées, à la fois passionné et rationnel : un débat pleinement démocratique et politique. Ce débat sur l’immigration, je veux qu'il ait aussi lieu dans notre pays, car les Français l'attendent, ils l’exigent.

Et quand les partis républicains n’ont pas le courage, à gauche comme à droite, de s’occuper d’un sujet qui est au cœur des préoccupations des Français, il ne faut pas se plaindre que les extrêmes prennent la place qu’ils ont désertée. Voilà la réalité politique de notre pays depuis des décennies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Les Français nous demandent de regarder cette réalité en face. Jamais le fossé n'a été aussi grand entre le discours de certaines élites et la réalité, telle qu’elle est perçue par nos compatriotes.

Selon un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005, 63 % des Français estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de Français, 50 % sont des électeurs de gauche. Plutôt que de leur reprocher de penser ce qu’ils pensent, il me semble plus utile d’essayer de comprendre pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des réponses.

Je suis convaincu que l'immense majorité de nos compatriotes n’est ni raciste ni xénophobe, qu’ils exècrent le racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu’elles sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source d'inquiétude qu’il nous faut prendre en compte. Ils y voient une menace pour leur sécurité, leur emploi, leur mode de vie. Les Français qui pensent de la sorte sont aussi respectables que les autres. Il faut comprendre les attentes de cette majorité silencieuse, pour qui l'immigration est d'abord une réalité quotidienne.

Nos compatriotes savent que l'immigration présente d'immenses avantages pour la vie de la cité. Dans l'échange avec le migrant, il y a l'apprentissage de la diversité, le goût de la différence, le sens de la tolérance.

M. Jean-Pierre Brard. Comme à Neuilly !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il y a le meilleur. Mais il y a aussi le pire, produit par trente années d'une immigration non gérée : les cités ghettos, les squats qui brûlent, les phénomènes de bandes et les violences urbaines. Ne pas tenir compte de cette réalité, c’est accepter que l’extrême droite soit dans notre pays depuis vingt-cinq ans à un niveau qu’aucun autre pays démocratique ne connaît. C’est une question posée à toute la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Augustin Bonrepaux. Vous voulez remplacer Le Pen !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Les Français savent que les violences qui ont éclaté dans nos banlieues à l'automne dernier ne sont pas sans rapport avec l'échec consternant de la politique d'immigration et d'intégration.

M. Jérôme Lambert. C’est l’échec d’une politique sociale !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Cet échec se traduit par une réalité douloureuse : des enfants nés en France se sentent moins français que leurs grands-parents qui étaient pourtant étrangers.

M. Jérôme Lambert. Mais ils avaient du travail !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Cette réalité, nous devons la regarder en face et en tirer toutes les conséquences. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Notre système d’intégration ne fonctionne plus !

La vérité, c’est que les vingt-sept nuits d’émeutes, que nous avons subies en octobre et novembre, sont directement le produit de la panne de notre système d’intégration, qui n’intègre plus personne ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. D’intégration sociale ! Ce n’est pas l’immigration !

M. Patrick Roy. C’est le produit du chômage !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. La vérité, c’est que les étrangers les plus récemment arrivés dans notre pays sont les premières victimes de notre incapacité collective à maîtriser l’immigration. Je pense, bien sûr, aux incendies dramatiques des 25 et 29 août 2005, à Paris, qui ont causé la mort de vingt-quatre personnes originaires d’Afrique. Je garde en mémoire, alors que j’étais aux côtés du maire et des élus de Paris, ces enfants allongés sur des civières, que nous pensions endormis alors qu’ils étaient morts, asphyxiés, tués par la misère.

Personne, sur aucun banc de cette assemblée, ne peut considérer que ces squats, où s’entassent des malheureux sans avenir à qui l’on a fait croire qu’ils auraient un logement et un travail, témoignent d’un système d’intégration qui fonctionne. Nous refusons des gens pour qui nous avons un travail, mais nous acceptons des malheureux pour lesquels nous n’avons ni logement ni travail et qui terminent dans des squats qui prennent feu au mois d’août dans la capitale de la France. Voilà la réalité et elle n’est glorieuse pour personne !

La vérité, c’est que des familles entières d’immigrés sont hébergées dans des taudis et que leurs enfants, qui ne peuvent faire leurs devoirs scolaires dans des logements trop exigus, sont bien souvent laissés à eux-mêmes dans la rue.

M. Jean-Pierre Brard. Que faites-vous contre les négriers ?

Mme Sylvia Bassot. Taisez-vous !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Face à cette réalité, les Français ne supportent plus les oppositions politiques frontales qui n’ont aucun sens sur un sujet de cette importance et de cette complexité.

M. Jean-Pierre Brard. Pourtant, vous n’hésitez pas à en faire commerce ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Propos scandaleux !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Les Français refusent d’être prisonniers de deux extrémismes : l’immigration zéro d’un côté, l’immigration totale de l’autre.

L’immigration zéro est un mythe dangereux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je rejette de la manière la plus nette le poncif habituel des mouvements d’extrême droite selon lesquels il existerait des cultures "impossibles à intégrer" et qui prêchent le concept totalement mensonger de l’immigration zéro qui est contraire à l’histoire de la France, à son identité, à ses traditions. D’ailleurs, au cours l’histoire, si certaines sociétés se sont effondrées, c’est davantage en raison de la consanguinité, du repliement et de la fermeture que de l’ouverture et de la politique de la main tendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) L’immigration zéro n’est en aucune manière et d’aucune façon la politique que je vous propose au nom du gouvernement de la France. La France n’a pas vocation à être repliée sur elle-même, derrière on ne sait quelle ligne Maginot ! La consanguinité serait synonyme de déclin national.

Mais pas plus que l’intolérance des partisans de l’immigration zéro, je n’accepte l’autre extrémisme. Je ne crois pas que les hommes soient interchangeables, que les frontières soient illégitimes, et que l’on puisse faire table rase de son passé et de sa culture.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je refuse, avec la plus grande fermeté, les opérations globales de régularisations d’étrangers sans papiers, comme les gouvernements de François Mitterrand et Lionel Jospin les ont pratiquées en 1981, 1990 et 1997. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.) En dix ans, nous avons connu trois opérations de régularisations qui ont abouti au désastre que nous connaissons aujourd’hui. Ce n’était donc pas la solution au problème de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. C’est vous qui avez fabriqué des illégaux !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ces opérations de régularisations massives sont très dangereuses, car elles ont un effet d’appel d’air. Le migrant régularisé fait venir sa famille. Il indique à ses amis, dans son village, que l’émigration vers la France est possible. Des filières se créent. Et, dans les pays d’origine, le signal est bien reçu : la frontière est ouverte ! L’incarnation de cette absence de conviction et de politique a été Sangatte, qui a abouti à un déferlement de misère dans le Calaisis, misère à laquelle nous avons dû mettre un terme.

M. Noël Mamère. Ne faites pas croire que vous avez réglé le problème !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Les Espagnols le savent bien, qui ont régularisé 570 000 clandestins au premier semestre 2005. Cela n’a fait qu’encourager les milliers de malheureux migrants africains qui traversent le Sahara dans l’espoir d’obtenir des papiers en Espagne, avant de se heurter aux barbelés scandaleux de Ceuta et Mellila. La régularisation générale suscite la migration clandestine. Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les Italiens le savent, eux aussi, qui régularisent tous les deux ou trois ans des centaines de milliers de personnes. Mais il en entre toujours plus. Et il faut donc régulariser davantage !

Ne nous y trompons pas : les régularisations décidées en France ont beaucoup contribué à la confusion et au désordre. Renouer avec ces pratiques fragiliserait considérablement notre pacte social. J’ai été heureux d’entendre un homme de la qualité de M. Strauss-Kahn répondre à l’irresponsabilité de M. Fabius qui appelait à la régularisation générale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

La France est trop fragile pour subir cette épreuve. Cela ne signifie pas que je sois hostile à toute régularisation, et j’y reviendrai au cours de nos débats. Mais je refuse, avec une totale détermination, les fausses solutions dictées par le simplisme et par l’aveuglement.

Pour la première fois sous la Ve République, un ministre est responsable de l’ensemble des questions de l’immigration. Chargé de coordonner les différentes administrations compétentes dans ce domaine – intérieur, affaires étrangères, affaires sociales –, j’ai pu préparer, depuis juin dernier, le texte qui vous est soumis aujourd’hui.

J’ai la conviction que c’est un texte équilibré. Il est ferme à l’endroit de ceux qui ne respecteront pas les règles. Il est juste à l’égard des personnes qui demandent à venir en France en suivant les règles d’admission que nous fixons pour tous.

Mme Muguette Jacquaint. C’est un texte inhumain !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous devons avoir l’exigence de justice.

Par ailleurs, les dispositions concernant le séjour des étrangers malades ne doivent pas être remises en cause. Je n’accepterai aucun amendement qui modifierait sur ce point la législation équilibrée qui est aujourd’hui la nôtre, même si j’aurai l’occasion d’expliquer qu’il nous appartient, sans changer la loi, de lutter contre certaines fraudes particulièrement choquantes.

La meilleure preuve de l’équilibre du projet de loi, me semble-t-il, est qu’il fait l’objet d’attaques virulentes aussi bien de la part de l’extrême droite, qui m’accuse de laxisme, que de certaines franges de la gauche, qui m’accusent de xénophobie.

M. René Dosière. Et des églises !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. D’une certaine manière, je me félicite de ces critiques.

M. Jean-Pierre Brard. Parlez-nous donc de Mgr de Béranger !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Elles indiquent, à n’en point douter, que la voie médiane a été trouvée.

Depuis quatre ans, le Gouvernement s’est efforcé de redresser la barre d’un navire à la dérive.

En mai 2002, la situation que j’ai trouvée était dramatique. La gestion hasardeuse de l’immigration faisait des ravages. Les demandes d’asile avaient quadruplé en cinq ans : 20 000 en 1997, 82 000 en 2002. La zone d’attente de Roissy débordait de tous les côtés. Le hangar de Sangatte se présentait, dans toute l’Europe, comme le symbole honteux du chaos migratoire français. Et aucun ministre des gouvernements socialistes n’avait jugé utile de rendre visite aux malheureux de Sangatte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Quant aux flux d’immigration régulière, ils s’étaient accrus d’un tiers en cinq ans : 120 000 en 1997, 160 000 en 2002.

En votant la loi du 26 novembre 2003, vous avez donné au Gouvernement de nouveaux outils de lutte contre l’immigration irrégulière. Je n’en ferai pas aujourd’hui le bilan,…

M. Jean-Pierre Brard. Eh non ! C’est bien le problème !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …car vous le connaissez. L’évaluation de la loi a été conduite par Thierry Mariani, qui a fait un travail remarquable.

Je rappellerai seulement que le nombre des reconduites à la frontière exécutées a doublé en trois ans : 10 000 en 2002, 20 000 en 2005.

M. Bernard Roman. Dont la moitié outre-mer !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous n’hésitons pas, contrairement à nos prédécesseurs, à faire respecter le droit. Un étranger en situation irrégulière n’a pas vocation à séjourner en France. Il a vocation à retourner dans son pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

L’augmentation du nombre des éloignements a été rendue possible par la construction de centres de rétention administrative et par l’allongement de la durée de rétention, qui est passée de douze à trente-deux jours.

Je n’ai pas craint de fixer des objectifs quantitatifs d’éloignement. Mois après mois, préfecture par préfecture, je suis ces indicateurs.

Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je veille à ce que l’administration de l’immigration obéisse, sur le terrain, à la volonté politique exprimée par le législateur.

M. Richard Mallié. Enfin !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas à l’administration d’appliquer une politique de l’immigration qui n’est pas celle voulue par le Gouvernement et par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

La généralisation du système des visas biométriques est l’autre mesure clef mise en œuvre depuis 2003.

Dans les pays d’origine, nos consuls délivrent, chaque année, 1 900 000 visas de court séjour. Il est évident qu’une part de ces visas est détournée par des personnes qui, introduites régulièrement en France, s’y maintiennent irrégulièrement. Le système de visas biométriques permet de connaître l’identité et la nationalité de ceux qui, comme par hasard, ont perdu leurs papiers et la mémoire. Ne sachant pas d’où ils viennent, n’ayant pas d’autres papiers d’origine, il est difficile d’obtenir des pays d’origine l’autorisation consulaire pour les ramener chez eux.

Étendu à l’ensemble des consulats d’ici à la fin 2007, ce système facilite les mesures d’éloignement en identifiant les étrangers clandestins et leur nationalité. J’ajoute que des actions diplomatiques vigoureuses nous permettent aujourd’hui de faire un lien entre les visas que nous délivrons pour entrer chez nous et les laissez-passer consulaires que nous exigeons pour raccompagner chez eux les clandestins.

Autre résultat encourageant : le flux global de l’immigration régulière est stabilisé, pour la première fois depuis dix ans. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés, hors ressortissants communautaires, a même légèrement baissé en 2005, pour atteindre 164 234 titres.

J’ajoute que la réforme du droit d’asile, que vous avez votée, a eu des effets très positifs.

Nous restons fidèles à notre tradition d’accueil des réfugiés, mais nous luttons contre les détournements de procédure.

La réforme a permis de réduire très fortement les délais d’examen des demandes d’asile et, par conséquent, l’attractivité de cette procédure pour les candidats à l’immigration illégale.

Les délais sont passés de plus de deux ans en 2002 à huit mois aujourd’hui. Par conséquent, le nombre total des demandeurs d’asile a chuté : 82 000 en 2002, 65 000 en 2004, 60 000 en 2005. Il continue à diminuer en 2006. Si la tendance observée sur les deux premiers mois de l’année 2006 se confirme, nous enregistrerons cette année 15 000 demandes d’asile en moins que l’année dernière. L’asile, c’est fait pour les réfugiés politiques ; ce n’est pas fait pour les déboutés de toutes les autres procédures d’immigration !

Ces quelques chiffres démontrent que notre action, depuis 2002, a permis de remettre de l’ordre dans un système migratoire qui était devenu chaotique.

Mais, bien sûr, il ne faut afficher aucun triomphalisme, car la situation de l’immigration en France est loin d’être satisfaisante. Les flux restent à un niveau élevé et, surtout, ils sont extrêmement déséquilibrés.

L’immigration « pour motif familial » occupe une place très importante dans les flux migratoires.

M. Jean-Christophe Lagarde. Une place essentielle !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Près de la moitié des cartes de séjour sont délivrées à ce titre – 82 000 en 2005. Chez nos partenaires européens, le niveau de l’immigration familiale est bien inférieur : 66 000 en Allemagne, qui compte 20 millions d’habitants de plus que nous, et 35 000 en Grande-Bretagne, qui a le même nombre d’habitants que nous.

Que l’on me comprenne bien : je ne dis pas qu’un immigré ne doit pas avoir le droit de faire venir sa famille en France.

M. Bernard Roman et M. Philippe Vuilque. Encore heureux !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je suis trop attaché à notre tradition humaniste.

M. Jean-Pierre Brard. Tu parles ! Quel culot !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Votre vulgarité n’a pas de limites, monsieur Brard. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Je suis trop attaché au principe constitutionnel de protection de la vie familiale. Je suis trop respectueux de nos engagements européens. D’ailleurs, l’idée ne viendrait à personne de contester à un père le droit de vivre avec sa femme et ses enfants. (« Encore heureux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous le lui interdisez !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mais je voudrais que les choses soient claires : c’est au pouvoir politique, au Gouvernement et au législateur, de définir dans quelles conditions s’applique en France le droit à la vie privée et familiale. Il ne saurait y avoir, pour toutes les familles de par le monde, un droit absolu et inconditionnel à s’installer en France sans aucun projet d’intégration, sans aucun travail, sans logement digne et sans perspective.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. La répartition des flux migratoires est d’autant plus illogique en France que l’immigration pour motif de travail reste à un niveau marginal : 11 500 cartes de séjour ont été délivrées à ce titre en 2005, ce qui signifie que nous ne sommes pas capables d’accueillir des migrants pourvus d’un emploi et contribuant à la croissance.

Nous sommes en réalité plongés dans un système totalement paradoxal depuis trente ans. Au prétexte de protéger l’emploi national, on a verrouillé, par un système de contrôles a priori, effectués par l’administration du travail, l’introduction en France d’étrangers pourvus d’un emploi. Et, dans le même temps, contre toute logique, on laisse entrer dans notre pays un flux croissant d’immigration familiale qui déséquilibre fortement le marché du travail en faisant venir des étrangers, la plupart du temps très peu qualifiés et peu intégrés. C’est le contraire de ce qu’il convient de faire : on ferme la porte à ceux qui ont un travail, alors qu’on l’ouvre à ceux qui n’ont ni travail ni formation ni perspective.

M. Richard Mallié. Cherchez l’erreur !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ce système est absurde. C’est là, je crois, une source essentielle du malaise français. Toute notre ambition doit être d’en sortir au plus vite. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il faut donc transformer profondément la politique d’immigration. Je n’ai pas peur de le dire à ceux qui me font le reproche de venir une deuxième fois devant le Parlement pour présenter un projet de loi : j’ai bien conscience que la loi de 2003 n’a été que la première étape de la transformation de notre politique d’immigration.

En 2003, comme ministre de l’intérieur, je vous ai demandé de voter de nouveaux instruments de lutte contre l’immigration clandestine. J’en ai fait depuis lors un usage déterminé.

Aujourd’hui, ministre chargé de toutes les composantes de l’immigration, je vous propose de fonder une nouvelle politique.

Celle-ci s’inspire de quelques exemples étrangers. Au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, des idées innovantes ont été expérimentées et mises en œuvre. J’ai souhaité en tenir compte, non pas pour copier tel ou tel système étranger, mais pour retenir les idées qui me semblent pouvoir être adaptées à notre pays. L’histoire et la géographie ont façonné notre rapport à l’immigration. Nous ne sommes pas un État-continent comme le Canada, ni une île comme l’Angleterre. Nous sommes un État méditerranéen, qui a des liens particuliers avec l’Afrique et qui regarde au loin, vers l’outre-mer et les terres francophones.

Il ne s’agit donc pas pour nous de transposer en France un exemple étranger, mais de définir ensemble un nouveau modèle français de l’immigration. Je vous propose de le faire en partant de trois principes fondamentaux : l’immigration choisie, l’affirmation d’un lien entre intégration et immigration, et le co-développement.

M. Jean-Pierre Brard. Où est-il dans votre texte, le co-développement ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le premier principe est celui de l’immigration choisie.

Je revendique cette expression qui n’est pas la mienne, mais celle qu’a retenue la Commission européenne de Bruxelles, qui recommande à tous les États membres d’adopter une même politique de l’immigration fondée sur l’immigration choisie.

M. Richard Mallié. Oui !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ceux qui combattent ce terme ne peuvent pas se prétendre européens puisque c’est précisément cette politique que préconise la Commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Arnaud Montebourg. C’est à nous de faire l’Europe, et non à Bruxelles de nous dicter ses consignes ! Politicien, misérable politicien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ma conviction est que, comme toutes les grandes démocraties du monde, la France doit pouvoir choisir non seulement le nombre des migrants qu’elle accueille, mais aussi les objectifs et les conditions dans lesquels elle le fait.

L’immigration choisie est le contraire de l’absence d’immigration. C’est aussi le contraire de l’immigration subie – subie par les Français et par des migrants qui ne trouvent en France que l’échec. Elle crée d’abord la possibilité pour l’État de fixer des objectifs quantifiés d’immigration afin de déterminer la composition des flux migratoires, dans l’intérêt de la France comme dans celui des pays d’origine.

Mme Maryse Joissains-Masini. Évidemment !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mais l’immigration choisie, c’est aussi le refus de la fatalité et la volonté déterminée de lier l’immigration aux capacités d’accueil de notre pays.

C’est un système dont les règles sont claires et prévisibles, pour les Français comme pour les migrants. C’est un système où le candidat à l’immigration en France doit être autorisé à venir s’y installer avant son entrée sur notre territoire. Rien de plus logique à cela : pour venir s’installer en France, pour venir y étudier, y travailler ou rejoindre sa famille, il faut que la République soit d’accord et qu’elle signifie clairement au migrant, dans son pays, qu’elle est prête à l’accueillir.

Il ne s’agit donc pas d’un système élitiste qui n’accepterait en France que des étrangers extrêmement qualifiés. C’est une immigration régulée, d’autant mieux acceptée par nos compatriotes qu’ils auront conscience de sa contribution positive à la vie de notre nation.

Et cette immigration ne sera réussie, en vérité, que si les immigrés parviennent à s’intégrer à la société qui les accueille.

D’où le deuxième principe de cette réforme : l’affirmation d’un lien étroit entre l’intégration et l’immigration.

Je veux rompre, à cet égard, avec des décennies de faux-semblants.

Des experts, ou prétendus tels, osent encore affirmer que les questions d’immigration et d’intégration doivent être dissociées. Pour ne pas stigmatiser les nouveaux arrivants, nous dit-on, il importerait de ne pas les considérer comme des migrants et de les prendre en compte, au mieux, dans le cadre de la politique de la ville.

Cela n’a aucun sens. Et cela explique d’ailleurs pourquoi la politique de la ville a connu son lot d’échecs. Ma philosophie est tout autre : pour moi, il ne fait aucun doute que l’immigration et l’intégration sont deux enjeux étroitement imbriqués. Et cela, pour une raison évidente : faire entrer en France un grand nombre de migrants sans se donner les moyens de les accueillir et d’organiser leur insertion dans la société française conduit à des situations explosives.

L’intégration est un processus long, complexe et coûteux, qui met en jeu les équilibres de notre pacte social. Ce que nous voulons, c’est obliger les étrangers qui veulent s’installer durablement ou définitivement en France à faire les efforts indispensables pour s’intégrer.

Il n’y a pas que la société qui accueille, qui doive faire des efforts. Celui qui veut être intégré doit aussi se donner du mal pour être accepté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je pose la question : comment pourrait-on espérer s’intégrer en France sans parler un mot de français ? Comment, dans de telles conditions, trouver un travail, organiser une vie sociale ou élever ses enfants ? C’est impossible, bien entendu.

Désormais, pour obtenir un droit au séjour durable, il faudra manifester sa volonté de s’intégrer en faisant l’effort nécessaire pour apprendre notre langue. Si l’on n’apprend pas le français, on n’a pas vocation à rester durablement sur le territoire de la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Il faudra aussi – c’est bien le moins – s’engager à respecter les lois et les valeurs de la République. Si on ne le veut pas, on n’a pas vocation à être accueilli et à demeurer en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Et il faudra respecter cet engagement, car, si les étrangers ont des droits, ils ont aussi des devoirs.

Le premier d’entre eux est d’aimer le pays qui les accueille et de respecter ses valeurs et ses lois. Sinon, rien n’oblige celui qui n’aime pas notre pays, qui ne respecte pas ses lois et qui n’apprécie pas ses valeurs à y demeurer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Qui donc a dit qu’il se sentait étranger en son pays ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le moins qu’on puisse demander à quelqu’un qui veut être accueilli en France, c’est d’aimer la France et de la respecter.

Mme Maryse Joissains-Masini. Bravo !

M. Jérôme Lambert. Quel est le critère de l’amour ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le troisième principe de la réforme est que la politique d’immigration de la France doit s’inscrire dans une vraie stratégie de co-développement. Pour choisir l’immigration et pour réussir l’intégration, la France doit construire de véritables partenariats avec les pays d’origine.

M. Jean-Pierre Brard. Comme elle l’a fait avec le Tchad ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ce serait une erreur stratégique majeure que de définir la politique d’immigration de manière isolée sans considération pour les besoins et les problèmes des pays d’origine.

M. Jean-Pierre Brard. Quel cynisme !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. À l’évidence, les migrants sont poussés vers notre pays parce qu’ils ont l’espoir d’une vie meilleure et qu’ils sont convaincus que leur avenir ne peut se construire dans le pays où ils sont nés. J’en ai pleinement conscience : on n’émigre pas par plaisir, mais souvent par nécessité.

M. Pierre-Christophe Baguet. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Bernard Roman. Quand même !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Et je veux répondre par avance à quelques objections. J’ai lu ou entendu des critiques selon lesquelles le projet de loi aurait pour effet d’encourager la fuite des cerveaux des pays les plus démunis. Il n’en est rien. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Tu parles !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Regardez ce qui se passe aujourd’hui : les migrants les plus compétents ou les plus talentueux partent vers le continent américain, tandis que les moins formés sont accueillis en Europe.

M. Claude Goasguen. Eh oui !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Permettez-moi de citer des chiffres passionnants qui émanent de la Commission européenne : « 54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, titulaires d’un diplôme universitaire, résident au Canada et aux États-Unis, tandis que 87 % de ceux qui n’ont pas achevé leurs études primaires ou secondaires se retrouvent en Europe. »

M. Jean-Yves Chamard. Oui !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Garder le système actuel, c’est envoyer les mieux formés aux États-Unis et au Canada, et garder ceux qui n’ont aucune formation. Voilà une stratégie irresponsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Roubaud. Les députés de l’opposition ne sont pas au courant !

Mme Muguette Jacquaint. Et les médecins étrangers qui exercent en France ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je ne me résous pas à cette situation.

La France a longtemps entretenu une tradition d’accueil des élites des pays du Sud. Je souhaite renouer avec cette tradition fondée sur le dialogue et l’intérêt mutuel entre le pays d’origine et le pays d’accueil.

Je vous propose donc de faciliter la venue en France d’étudiants et de personnalités qui pourront apporter leurs talents à notre pays et acquérir en retour une expérience utile à leur pays d’origine.

M. Jean-Pierre Brard. Allez-vous envoyer des rabatteurs ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mon ambition est de développer la mobilité et la circulation des compétences, dans l’intérêt même des pays en développement.

Il faut, pour cela, faire des choix d’immigration différents selon les zones géographiques. Il faut donc se doter d’outils permettant d’agir de manière souple, intelligente, réactive, adaptée aux réalités de la France et des différents pays d’origine.

Pour le dire autrement : accueillir en France quelques ingénieurs chinois ou même des milliers d’informaticiens indiens ne risque certainement pas de ralentir la croissance phénoménale de ces deux pays, les plus peuplés de la planète. Je ne vois donc pas au nom de quoi il faudrait s’interdire de les recruter en France.

M. Patrick Braouezec. Et pourquoi ne recrutez-vous pas des ingénieurs sénégalais ?

M. Jean-Pierre Brard. M. le ministre va faire son marché !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Et il n’est nullement besoin de conditionner ce recrutement à un retour des ingénieurs en Chine ou des informaticiens en Inde après quelques années de séjour en France.

En revanche, je suis résolument hostile à toute forme d’immigration définitive des médecins et professionnels médicaux en provenance des pays les plus pauvres d’Afrique, qui ont tant besoin d’eux. Mon objectif est donc bien de contribuer à former les élites des pays en développement dans la perspective d’un retour, et ceux qui viendront faire leurs études en France devront s’engager à retourner dans leur pays pour satisfaire les besoins de développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le projet de loi que je vous propose s’efforce d’organiser cette circulation des compétences. Mais j’ai pleinement conscience qu’il ne dote pas la France, à lui seul, de tous les outils nécessaires à une politique de co-développement ambitieuse.

Il faut en cette matière agir de façon pragmatique, par la voie législative pour une part, mais aussi en mobilisant des instruments diplomatiques et financiers.

Les expériences qui ont été lancées au Mali en 2003 ont permis à plusieurs centaines d’immigrés revenus dans leur pays de lancer une activité et de créer des emplois. Nous devons, j’en suis convaincu, nous doter de nouveaux outils de co-développement.

M. Bernard Roman. Il n’y a rien à ce sujet dans le projet de loi !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. La mobilisation de l’épargne des migrants à des fins d’investissement me semble être un enjeu absolument essentiel. Aujourd’hui, l’épargne que les migrants installés en France transfèrent vers leurs pays atteint chaque année la somme de 2,6 milliards d’euros. Nous devons réfléchir aux moyens de transformer cette épargne pour la diriger vers un investissement productif dans les pays d’origine.

Nous devons faire œuvre d'imagination en construisant de véritables partenariats avec les pays d'origine, sans craindre d'aborder avec eux, de manière directe et franche, la question des migrations.

Nous avons besoin des nouveaux instruments juridiques définis par le projet de loi. Nous avons été très attentifs à ce que le projet de loi respecte les exigences constitutionnelles, car c'est le devoir de tout républicain. Tel qu'il vous est présenté, ce projet a été approuvé par l'assemblée générale du Conseil d'État. Il ne méconnaît donc ni les droits fondamentaux ni les libertés publiques.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas ce que dit Monseigneur de Berranger ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. Ah ! Les apôtres du goulag !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le projet de loi poursuit cinq objectifs.

Notre premier objectif est de maîtriser quantitativement l'immigration. De nouveaux instruments nous permettront de réguler les flux migratoires. Pour y voir clair, il faut d'abord prévoir. C'est pourquoi, dorénavant, le Gouvernement définira chaque année, dans un rapport au Parlement, des objectifs chiffrés concernant le nombre des migrants que la France souhaite accueillir, en distinguant les grandes catégories de titres de séjour par motifs : travail, études, séjour familial.

La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel ne nous permet pas d'inscrire expressément dans la loi que le rapport au Parlement comprendra de tels objectifs, dès lors que ceux-ci ne sont pas normatifs mais seulement prévisionnels. Aussi, au nom du Gouvernement, je prends devant la représentation nationale un engagement solennel : le prochain rapport au Parlement comprendra pour la première fois ces objectifs quantitatifs prévisionnels. Il est d’ailleurs parfaitement anormal que le Parlement ait été soigneusement tenu écarté de la politique d’immigration de notre pays depuis des décennies. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il ne s'agit pas de définir des plafonds qui s'imposeraient à chaque consul ou à chaque préfet sans pouvoir être dépassés. Cette rigidité n'aurait guère de sens. En revanche, définis en fonction de la situation démographique de la France, de ses perspectives de croissance, des besoins du marché de l'emploi et de ses capacités d'accueil, les objectifs quantitatifs constitueront un « tableau de bord » utile qui permettra aux administrations de disposer de références opérationnelles. Les ambassadeurs en feront l'un des éléments de leur dialogue avec les gouvernements des pays d'origine.

Dans le même esprit, le projet de loi affirme que la délivrance d'un visa de long séjour par un consulat devient la condition préalable à l'immigration en France. C'est un principe fondamental : sans visa de long séjour délivré par un consul, il ne peut y avoir, sauf exception, de carte de séjour délivrée par un préfet. Par conséquent, j'entends réformer les conditions dans lesquelles un étranger qui n'a pas obtenu de visa et qui se maintient illégalement en France peut, exceptionnellement, obtenir un titre de séjour. Je vous propose ainsi d'abroger le système des régularisations automatiques après dix ans de séjour illégal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Lemasle. Vous allez créer des sans-papiers !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Cette « prime à la clandestinité », introduite par les lois de 1997 et 1998, revient à récompenser une violation prolongée de la loi de la République. Elle est d'autant plus absurde que la durée de dix ans n'est pas, en elle-même, un critère de régularisation pertinent.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est une honte !

M. Noël Mamère. C’est scandaleux !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. J'aurai l'occasion d'expliquer que la suppression des régularisations automatiques n'interdit pas, bien au contraire, de pratiquer des régularisations au cas par cas, pour tenir compte des situations humanitaires et des intérêts de notre pays.

M. Jean-Pierre Brard. Vive l’arbitraire de Nicolas III !

M. Francis Delattre. C’est mieux que les bulldozers à Vitry !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ou Staline !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Notre deuxième objectif – et c’est capital – consiste à redéfinir les conditions de l'immigration familiale. Je vous invite à réformer les règles du rapprochement familial,…

M. Jean-Pierre Brard. C’est la condamnation au célibat ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …au service d'un objectif précis : s'assurer que toutes les conditions sont réunies pour que la famille puisse s'intégrer dans notre société.

Cette réforme s'applique d'abord à la procédure du regroupement familial. Le migrant qui souhaite faire venir sa famille devra séjourner régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, durée indispensable pour préparer l'arrivée de son conjoint et de ses enfants. Il devra prouver qu'il se conforme aux principes qui régissent la République française et, ce faisant, il devra faire la preuve de sa volonté d'intégration à la société qui l'accueille.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Comment ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il devra également être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail et non des prestations sociales, notamment des allocations familiales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Jean-Pierre Brard. Comment allez-vous faire avec les mafieux russes installés à Nice ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il devra aussi disposer d'un logement décent, dans les mêmes conditions qu'une famille française comparable.

Mais la réforme du regroupement familial n'aurait pas de sens si, dans le même temps, nous ne changions pas les autres voies d'immigration familiale.

Les conditions de délivrance des cartes de séjour pour motifs de « vie privée et familiale » seront donc précisées. L'étranger présent dans notre pays devra justifier de l'ancienneté, de la stabilité et de l'intensité de ses liens en France, de la nature de ses liens avec la famille restée dans son pays, de ses conditions d'existence en France, ainsi que de son insertion dans notre société.

De même, je vous propose de mieux lutter contre les mariages de complaisance, dont le seul objet est de procurer un titre de séjour et, à terme, la nationalité au conjoint d'un Français. Il ne s'agit évidemment pas d'interdire à un ressortissant français d'épouser un étranger, ni même de se marier avec un étranger en situation irrégulière,…

M. Noël Mamère. Si, c’est ce que vous faites !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …mais il faut supprimer le lien automatique entre le mariage et le droit au séjour, pour décourager les mariages de complaisance.

M. Patrick Lemasle. Vous savez bien que le mariage n’est pas toujours durable !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Trois mesures principales nous permettront de le faire. Tout d’abord, l'exigence d'un visa de long séjour pour le conjoint de Français qui demande à obtenir une carte de séjour ; ainsi le mariage ne donnera plus systématiquement droit à une carte de séjour puisqu'il faudra avoir obtenu préalablement un visa dans son pays d'origine. Ensuite, l'allongement à trois ans de la durée de vie commune à partir de laquelle le conjoint de Français pourra obtenir une carte de résident de dix ans s'il fait la preuve de son intégration. Enfin, l'allongement à quatre ans de la durée de vie commune requise avant de devenir français.

De la sorte, nous redéfinirons le parcours qui conduit du mariage mixte à l'acquisition de la nationalité.

M. Noël Mamère. Le parcours du combattant !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous ne découragerons pas les vrais mariages, mais nous écarterons ceux qui n'ont d'autre objectif que d'obtenir des papiers.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle conception radicale du mariage !

M. Jérôme Lambert. Même le vrai mariage mixte devient impossible !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Notre troisième objectif est de mieux accueillir les étudiants, les talents et les actifs qui désirent venir en France. La logique de l'immigration choisie et celle du co-développement se rejoignent ici. Pour chaque mesure, nous devons nous efforcer de trouver le bon équilibre entre l'intérêt de la France – qu’il est de notre devoir de défendre – et celui des pays d'origine.

Je propose tout d'abord la création d'une carte de séjour « compétences et talents », d'une durée de trois ans. Elle sera délivrée à des personnes dont la présence est une chance pour la France mais n'est pas vitale pour leur pays d'origine. Par exemple, elle sera accordée à des informaticiens indiens, mais pas à des médecins béninois, car leur pays a besoin d’eux.

M. Jean-Pierre Brard. On va devoir fermer nos services d’urgence !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je vous propose ensuite de simplifier l'accueil en France des étudiants ayant été choisis dans leurs pays d'origine. Les jeunes diplômés étrangers pourront en outre bénéficier d'une autorisation de séjour pour chercher un travail. Pour ceux qui viennent d'un pays en voie de développement, ce sera une première expérience professionnelle utile avant le retour dans leur pays, qu'ils pourront faire bénéficier de la formation et de l'expérience acquises en France.

Je vous propose enfin un assouplissement des conditions de recrutement à l'étranger dans des secteurs et des bassins d'emploi qui souffrent de pénuries de main-d'œuvre, comme l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Les organisations professionnelles et les syndicats, dans chaque région, devront être associés à la définition et à la mise en œuvre du nouveau dispositif. C’est la meilleure façon de lutter contre ceux qui emploient des travailleurs au noir.

Notre quatrième objectif est de réussir l'intégration des immigrés.

M. Noël Mamère. Après ce que vous avez dit, ce sera difficile !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il s'agit de définir de manière cohérente un vrai parcours d'intégration, de l'arrivée en France jusqu'à l'installation durable.

M. Jean-Pierre Brard. Pour gagner les élections !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Pour cela, la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration sera rendue obligatoire pour toutes les personnes qui entrent en France légalement afin d'immigrer de manière durable. Ce contrat ne doit pas être un papier que l'on signe et que l'on oublie. L'étranger prendra des engagements à l'égard de la société qui l'accueille : il devra apprendre la langue française et respecter les lois et les valeurs de la République. En contrepartie, le contrat comportera des engagements de l'État à l'égard de l'étranger : formation linguistique et civique et première orientation dans les démarches pour s'adapter à la société française.

Lorsque l'étranger demandera, après plusieurs années en France, à bénéficier d'une carte de résident de dix ans, il devra prouver qu'il s'est bien intégré. Cette condition d'intégration, vérifiée par les préfets après avis des maires, comprendra trois éléments : l'engagement personnel de l'étranger à respecter nos principes, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de notre langue.

Le parcours d'intégration comprendra donc plusieurs rendez-vous : le contrat d'accueil et d'intégration à l'arrivée en France et la vérification de l'intégration effective avant la délivrance de la carte de dix ans. J’ajoute que ces mesures permettront de sauver des femmes scandaleusement cloîtrées dans leur appartement ou leur communauté par des maris qui les empêchent d’apprendre le français. Si l’épouse n’est pas intégrée à la société française, le mari se verra retirer ses papiers. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Le projet de loi comporte un cinquième objectif : la maîtrise de l'immigration outre-mer, que François Baroin vous présentera.

Mesdames et messieurs les députés, les 84 articles du projet de loi nous donneront des instruments pour mettre en œuvre concrètement la transformation de notre politique d'immigration.

M. Jean-Pierre Brard. Et pour gagner les élections présidentielles ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est Monseigneur de Berranger et le pasteur de Clermont qui le disent : c’est l’œcuménisme contre Sarkozy !

M. Richard Mallié. Ce n’est pas en donnant le droit de vote aux immigrés et en procédant à des régularisations que l’opposition gagnera !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Toutefois, dans mon esprit, ces 84 articles ne sont pas figés. Je souhaite que le texte soit enrichi, pour tenir compte des idées exprimées par les acteurs de terrain que j'ai rencontrés.

J'ai écouté les propositions qui m'ont été faites. J'ai entendu certaines critiques. Les églises chrétiennes sont dans leur rôle quand elles insistent sur l'exigence du respect de la dignité des personnes. J'en suis, bien sûr, totalement d'accord.

M. Jean-Pierre Brard. Alors, là !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. En dialoguant avec les représentants des églises, je me suis efforcé de lever des malentendus.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas une grande réussite !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Néanmoins, je veux dire à certains d’entre eux que la France a le droit de choisir ceux qu’elle accepte sur son territoire comme l’Église a le droit de saisir le ministre de l’intérieur pour expulser les sans-papiers qui s’installent dans ses bâtiments ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

J'ai d'ores et déjà accepté d'amender le projet de loi pour tenir compte de certaines remarques. L'allongement de quinze jours à un mois du délai de recours des étrangers contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français me semble nécessaire. De même, je tiens à ce que le texte précise de manière expresse que la carte de séjour délivrée aux salariés ne leur sera pas retirée en cas de rupture du contrat de travail. Je ne me sens pas propriétaire de chacun des articles du projet de loi : je le soumets à la discussion parlementaire en ayant la conviction qu'il peut être amélioré.

Par ailleurs, je veux marquer mon ouverture à deux idées qui me paraissent très pertinentes.

M. Jean-Pierre Brard. Ouvert comme une huître !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Des rapports de travail confiants entre les pouvoirs publics et la société civile – chacun restant à sa place – me paraissent essentiels pour réussir le nouveau modèle français d'immigration. Dans cet esprit, je crois utile de créer un Conseil national de l'immigration et de l'intégration, qui réunira des responsables publics et des représentants de la société civile.

M. Noël Mamère. Encore un comité Théodule !

M. Jean-Pierre Brard. C’est du plagiat !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je souhaite lui confier deux missions. Il lui reviendra d'établir en toute impartialité – c’est un point capital – les statistiques de l'immigration. Nous avons beaucoup progressé depuis la création du Haut conseil à l'intégration, dont l'observatoire statistique apporte une contribution utile aux travaux sur l'immigration. Il faut sortir définitivement des controverses sur les chiffres, évaluer de manière objective l'immigration illégale et fixer de la manière la plus précise possible les chiffres de l'immigration légale. Il appartiendra aussi à la nouvelle instance de suivre la mise en œuvre de la politique d’immigration en faisant des propositions au Gouvernement.

J’ajoute que je n’ai toujours pas compris pourquoi certains sont choqués que l’on puisse répertorier les catégories de population en fonction de leurs origines. Ce n’est pas faire preuve de racisme ou de discrimination.

M. Jean-Pierre Brard. Si, c’est de la discrimination !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Si l’on veut réguler l’immigration, il faut la comprendre et, pour la comprendre, il faut la connaître. Si l’on refuse de connaître la composition de la société française, comment pourra-t-on intégrer ceux dont on nie la spécificité et l’identité ? Cela n’a aucun sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Le racisme n’est pas dans l’établissement d’un diagnostic, mais dans les idées nauséabondes que l’on met derrière ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. En l’occurrence, le diagnostic nourrit le racisme !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Notre idée, c’est « immigration et intégration ». Et pour que les gens soient intégrés, il faut connaître la réalité de la société française actuelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Deuxièmement, l’idée de créer une commission dont l’objectif sera de veiller à l’harmonisation des pratiques préfectorales en matière de régularisation me paraît excellente.

M. Jean-Pierre Brard. Il y a du boulot !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je souhaite, en effet, que les régularisations au cas par cas soient pratiquées en fonction de critères homogènes sur la totalité du territoire de la République française. Il s’agit de tenir compte d’exigences humanitaires, mais aussi d’autoriser des régularisations ponctuelles d’étrangers dont la présence en France peut être une chance pour notre pays.

Je fais pleinement confiance à la représentation nationale pour être imaginative et constructive. J’ai lu avec grand intérêt les différents travaux que l’Assemblée nationale a récemment réalisés. Je veux saluer ce travail et surtout rendre hommage à votre rapporteur, Thierry Mariani, qui a su, sous l’autorité du président de la commission des lois, M. Houillon, préparer le débat sur ce projet de loi de manière très approfondie.

D’emblée, je tiens à souligner que le Gouvernement est favorable aux quatre-vingt-dix amendements adoptés la semaine dernière par la commission des lois, qu’il s’agisse de renforcer le droit au séjour des travailleurs étrangers licenciés, de mieux prendre en compte la situation des femmes victimes de violences conjugales, de créer une facilité de séjour pour des étrangers volontaires pour participer à des missions humanitaires, ou encore d’allonger le délai de recours offert aux étrangers contestant les décisions d’obligation de quitter le territoire.

Je suis, de même, convaincu que la définition de la carte « compétences et talents » pourra être affinée. Je voudrais marquer mon plein accord avec trois amendements importants présentés par votre rapporteur.

Outre sa proposition d’un meilleur contrôle du respect du contrat d'accueil et d'intégration, je veux saluer son apport à la réforme du regroupement familial et, en particulier, des exigences de logement, qui doivent être les mêmes que celles d'une famille française comparable vivant dans la même région. Enfin, je partage totalement sa suggestion d'instituer des « cérémonies d'accueil dans la citoyenneté », en préfecture ou en mairie, pour les personnes venant d'acquérir la nationalité française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je me réjouis également que la commission ait adopté un amendement présenté par le rapporteur et par Jean-Christophe Lagarde, visant à préciser que le montant des ressources de la personne qui demande le regroupement familial doit tenir compte de la taille de sa famille.

Enfin, une fois n’est pas coutume, je voudrais remercier M. Patrick Braouzec et les membres du groupe des députés communistes et républicains d’avoir présenté un amendement qui conforte le choix du Gouvernement de proposer une aide au retour volontaire aux étrangers ayant fait l’objet d’un refus de séjour.

Mon seul regret est que sur un sujet aussi essentiel que la politique d’immigration, le parti socialiste ait été dans l’incapacité de proposer des mesures positives…

M. Jean Dionis du Séjour. Il a été très discret !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …se bornant à présenter des amendements de suppression. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Certes, j’ai noté que quelques voix raisonnables avaient fait des propositions au sein du parti socialiste. J’ai pris connaissance avec grand intérêt des travaux inventifs de M. Malek Boutih, membre de la direction du parti socialiste et partisan d’une régulation quantitative de l’immigration. J’ai entendu également des propos très raisonnables de la part de M. Manuel Valls et de M. Bruno Le Roux, mais je regrette que leurs voix n’aient guère porté jusqu’à la rue de Solferino et qu’elles n’aient pu trouver de traduction sous la forme d’amendements.

M. Arnaud Lepercq. La censure règne !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mesdames et messieurs, le débat qui commence sera déterminant pour façonner le visage que la France aura dans les trente ans qui viennent.

M. Jean-Pierre Brard. Elle ne vous ressemblera pas !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le moment est venu d’assumer, sans tabou, un véritable choix de société.

Je vous propose de définir un nouveau modèle, celui de l’immigration choisie, afin de réussir l’intégration et de renforcer la cohésion de notre pays. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire ; plusieurs députés de ce groupe se lèvent pour acclamer le ministre d’État).

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’outre-mer.

M. François Baroin, ministre de l’outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, l’immigration clandestine en outre-mer est à l’évidence un sujet complexe et délicat, notamment en raison des caractéristiques des territoires concernés.

Le soleil lointain d’outre-mer aveugle parfois et peut voiler des réalités humaines tragiques. D’un côté, il existe une situation inacceptable : une immigration irrégulière, alimentée par les filières clandestines, qui déstabilise des territoires fragiles, qui bouleverse et met en péril les équilibres sociaux et économiques ultramarins. De l’autre, notre devoir et notre responsabilité nous imposent d’accueillir des populations sur des territoires très exigus tout en garantissant le respect de la dignité humaine. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre l’exigence d’humanisme et une fermeté renforcée lorsque cela s’impose.

Bien souvent, l’insularité de ces territoires – à l’exception de la Guyane –, l’exiguïté provoquée par une forte densité de population, mais aussi un taux de chômage deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, exacerbent les tensions. La pression migratoire est de plus en plus mal acceptée.

Si l’on prend l’exemple de Mayotte, sur une population de 160 000 habitants, on estime à 45 000 le nombre de personnes en situation irrégulière. Transposée en métropole, cette proportion se traduirait par la présence de 18 millions d’étrangers en situation irrégulière ! Tel est le défi auquel nous sommes confrontés en outre-mer.

Aujourd’hui, de misérables embarcations se transforment en tombeaux pour des Comoriens qui voyaient notre pays comme un Eldorado, et des femmes mahoraises refusent la scolarisation de petits anjouanais. Que reste-t-il alors de notre pacte social ? Que reste-t-il des fondements de notre République et du vouloir-vivre ensemble ?

Au-delà du fonctionnement de notre société, par son ampleur, l’immigration clandestine à Mayotte doit être regardée comme posant la question de notre souveraineté nationale.

L’immigration clandestine affaiblit notre pacte républicain outre-mer, elle affaiblit l’image de la France, sa générosité, son ouverture, sa solidarité, sa tolérance. C’est au nom de cet idéal humaniste que nous avons le droit et le devoir d’adresser des messages forts et clairs.

Si la liberté est la règle au sein de la République française, il n’y a pas de liberté sans règles : c’est ce que nous disons à toutes celles et tous ceux qui souhaitent vivre sur nos territoires. Ces règles, qui servent à préserver notre cohésion sociale, sont celles que je vous présente aujourd’hui avec le ministre d’État, ministre de l’intérieur, sous forme de mesures législatives, qui s’imposent au regard de la situation que nous vivons outre-mer.

Ces mesures sont le fruit du travail mené par le comité interministériel de contrôle de l’immigration présidé par le Premier ministre, des suggestions de vos collègues Louis-Carabin et Beaugendre, qui avaient déposé il y a quelque temps une proposition de loi adaptée à la situation dramatiquement évolutive que nous connaissons en Guadeloupe, et des propositions de la mission d’information sur l’immigration à Mayotte, dont je salue le président René Dosière et le rapporteur Didier Quentin. Au terme d’un travail d’une grande précision, cette mission, qui s’est rendue sur place à ma demande, a abouti au constat objectif que nous devions mieux encadrer la situation afin de mieux la maîtriser dans le respect de nos valeurs.

Pour les départements et régions d’outre-mer, ces mesures législatives s’inscrivent dans le cadre constitutionnel qui permet, au titre de l’article 73 de la Constitution, d’adapter notre législation aux « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Pour Mayotte, l’article 74 exige l’élaboration d’une législation conforme à ses intérêts propres au sein de la République.

Bien évidemment, au nom du principe d’identité législative, l’intégralité du projet de loi pour ses titres I à V s’appliquera aux départements d’outre-mer ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Enfin, il vous est proposé, conformément à l’article 38 de la Constitution, d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à l’application des dispositions de ce projet de loi dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Bien évidemment, pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie Française et les îles Wallis-et-Futuna, il sera procédé à une consultation préalable des assemblées délibérantes, dans le souci constant du consensus nécessaire à la vie politique et sociale outre-mer.

Dans le même esprit, le Gouvernement vous demandera de ratifier un certain nombre d’ordonnances relatives aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers et au droit d’asile.

Mesdames et messieurs les députés, la France n’a pas assez anticipé la proportion des flux migratoires auxquels elle a à faire face aujourd’hui en outre-mer, et n’a donc pas réagi à temps. Il faut être conscient de la situation à laquelle nous sommes désormais confrontés : ni l’armée française ni la police ne suffiront à surveiller l’ensemble si vaste que forment les côtes et les fleuves de Guyane ; on ne pourra jamais ériger des barrières autour de la Guadeloupe ou de la Martinique. Il en va de même pour Mayotte.

La tentation de venir en France, pour tant de Comoriens ou de Haïtiens, sera toujours aussi forte, précisément parce que c’est la France. Nous ne pourrons pas lutter efficacement contre l’immigration irrégulière sans réévaluer les outils de coopération avec les pays situés à un niveau de développement inférieur au nôtre. C’est une condition absolument nécessaire pour atteindre des objectifs maîtrisés et responsables. Mais parce qu’il reste encore beaucoup à faire en ce domaine, ces actions prendront du temps. Il faudra bien des années, par exemple, avant que disparaisse l’écart de produit intérieur brut par habitant entre Mayotte et les Comores, actuellement de un à neuf. Ne nous étonnons donc pas que les demandes d’accès au territoire français soient en augmentation constante à Mayotte depuis vingt-cinq ans, et qu’une reconduite à la frontière sur quatre y soit prononcée !

Nous devons veiller à mieux coordonner nos différents instruments d’intervention. Il s’agit là d’un chantier majeur pour les années à venir, à mener de pair avec une action diplomatique vigoureuse. C’est l’honneur de notre pays que de conduire des politiques de développement qui ne peuvent se résumer à « abonder des fonds dans un puits qui n’en a pas ».

Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de vous indiquer les grandes lignes des mesures que comporte notre projet de loi.

Il s’agit en premier lieu de faciliter la recherche et l’interpellation des clandestins par les forces de l’ordre, en luttant contre les filières organisées.

Des contrôles d’identité en vue de lutter contre l’arrivée de clandestins seront désormais permis dans une bande terrestre bien déterminée en Guadeloupe et à Mayotte. Cette mesure sera expérimentée pour une durée de cinq ans, au terme de laquelle un bilan sera effectué. Nous examinerons si cette politique publique a été adaptée – c’est-à-dire si ses effets sont suffisamment dissuasifs pour adresser un message ferme – ou s’il convient de la renforcer. De même, des contrôles sommaires des véhicules pourront être effectués dans des conditions similaires.

Le combat contre les filières sera intensifié : les forces de l’ordre disposeront d’un fondement juridique pour détruire, en Guyane, les embarcations fluviales non immatriculées et immobiliser les véhicules terrestres autres que particuliers servant à transporter illégalement des clandestins en Guyane, ainsi qu’en Guadeloupe et à Mayotte.

Par ailleurs, pour tenir compte des particularités géographiques de Mayotte, le projet de loi vise à porter de quatre à huit heures le délai dont disposent les forces de l’ordre pour procéder aux placements en centre de rétention administrative.

En second lieu, ce projet de loi modernise notre droit pour rendre nos procédures administratives plus efficaces. Il s’agit notamment de se donner les moyens de faire face à la pression migratoire, de gérer avec plus de cohérence les mesures d’interdiction du territoire et d’expulsion, ainsi que d’adopter une démarche volontariste de lutte contre le travail clandestin.

Ainsi, le projet de loi vise à étendre le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière à l’ensemble des communes de la Guadeloupe. Cette mesure attendue – déjà expérimentée en Guyane – sera expérimentée sur une durée de cinq ans et permettra d’éloigner rapidement les étrangers en situation irrégulière.

Ce texte prévoit, de plus, d’étendre à l’ensemble du territoire de la République les mesures d’interdiction du territoire et les mesures de reconduite à la frontière et d’expulsion prononcées en outre-mer, et de limiter l’autorisation de travail accordée à l’étranger sur le fondement d’un titre de séjour au seul département pour lequel elle a été délivrée.

Enfin, j’ai souhaité prendre des mesures efficaces contre le travail clandestin qui mine les fondements de l’économie ultramarine et renforce les filières clandestines. L’emploi non déclaré de personnels de maison, pratique tolérée jusqu’à maintenant à Mayotte et qui s’est banalisée, doit cesser.

M. René Dosière. Elle était en effet plus que tolérée !

M. le ministre de l’outre-mer. Vous avez pu, comme moi, le constater sur place, cher président Dosière.

On ne peut se plaindre de l’immigration clandestine – jugée insupportable dans les discours – et dans le même temps y avoir recours pour son usage privé.

M. Didier Quentin. Très juste !

M. le ministre de l’outre-mer. Parfois même, les ouvriers clandestins sont dénoncés une fois que le travail a été effectué au noir.

M. Jérôme Lambert. Cela évite de les payer !

M. le ministre de l’outre-mer. Mais cela n’empêche pas de porter en bandoulière un discours politique vertueux où il est question à la fois de prôner l’accueil et de dénoncer l’immigration clandestine.

Par conséquent, ce projet de loi rend applicable les mesures de contrôle contre le travail dissimulé prévues par le code du travail de la collectivité départementale de Mayotte aux employés de maison, qui s’en trouvaient jusqu’à présent exclues. Sous le contrôle du juge, les officiers de police judiciaire seront autorisés à procéder à des visites domiciliaires, à perquisitionner et à saisir des pièces à conviction dans les lieux de travail, même lorsqu’il s’agit de locaux habités.

M. Didier Quentin. Très bien !

M. le ministre de l’outre-mer. Enfin, après un débat vigoureux et utile, nous vous proposons, pour Mayotte précisément, de modifier les règles de reconnaissance de paternité.

M. Didier Quentin. C’est très important !

M. le ministre de l’outre-mer. Je tiens à vous rassurer sur un point : pour ce qui concerne l’état civil à Mayotte, j’ai décidé de reconduire pour cinq ans les travaux de la commission de révision de l’état civil. Je reprends d’ailleurs là les souhaits formulés dans leur rapport par les membres de la commission Mayotte. Mon département ministériel prend par ailleurs en charge, dans les communes mahoraises, la mise aux normes de sécurité des locaux, la formation du personnel ainsi que la maintenance du matériel informatique en versant une dotation annuelle de 300 000 euros jusqu’en 2008.

M. Didier Quentin. Très bien !

M. le ministre de l’outre-mer. Afin de lutter contre ces reconnaissances de complaisance accordées moyennant finances – quel trafic ! –, le projet de loi propose de mettre à la charge personnelle du père ayant reconnu un enfant les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le ministre de l’outre-mer. Le nombre de reconnaissance de paternité est en effet passé de 882 en 2000 à 3 752 en 2002 !

M. Richard Mallié. C’est le fruit du hasard, nous dira la gauche !

M. le ministre de l’outre-mer. Il est également prévu une réforme de la procédure dite de « dation de nom » qui emporte les mêmes effets que la reconnaissance d’un enfant et qui connaît également une augmentation exponentielle – une multiplication par quatre entre 2000 et 2005.

Le projet de loi renforce par ailleurs les pouvoirs du procureur, qui pourra s’opposer à l’enregistrement de la reconnaissance de paternité ou demander une enquête lorsque des indices sérieux laissent présumer une reconnaissance frauduleuse. Enfin, est prévu un renforcement des sanctions pénales à l’encontre des tentatives et des reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte. Ce débat, qui avait soulevé certaines polémiques, est aujourd’hui encadré dans des propositions qui pourront, naturellement, être enrichies par la représentation nationale. L’objectif est de réduire ces filières de reconnaissance de paternité fictive qui, sur le plan tant de la cohésion sociale que du bien-vivre ensemble, sont plus que choquantes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il y a encore quelques mois en métropole, on ne parlait pas ou l’on parlait peu de l’immigration irrégulière outre-mer. On n’en connaissait ni l’ampleur ni les conséquences sur son tissu social, sur son système éducatif ou sur l’insécurité.

Ce débat, je l’ai souhaité et je l’ai lancé en conscience et en responsabilité. Je me réjouis de l’intérêt que portent désormais à ce petit bout de France qu’est Mayotte l’ensemble de la représentation nationale et de beaucoup de nos compatriotes. Je me réjouis que l’on parle enfin des difficultés de la Guyane et de la Guadeloupe, en prenant ainsi le relais des représentants de la nation de ces territoires qui n’ont cessé d’appeler notre attention sur la réalité de situations évolutives et, chaque jour, de plus en plus tendues. Je me réjouis que, seulement quelques mois après, nous prenions des mesures législatives qui viendront compléter les actions déjà entreprises avec le ministre d’État, sous l’autorité du Premier ministre, pour renforcer les moyens humains et matériels de lutte contre l’immigration clandestine.

Aujourd’hui, c’est à la représentation nationale de prendre à bras-le-corps ce problème. Mesdames et messieurs les députés, je serai tout au long de cette discussion très attentif à vos observations et propositions. Merci, monsieur le rapporteur Mariani, pour votre rapport précis, cartographié, sincère et objectif. Les collectivités concernées ont également donné, pour la plupart d’entre elles, un avis favorable à ces mesures. Je souhaite que vous puissiez aboutir à ce consensus que nos concitoyens ultramarins attendent. Et je ne doute pas que pour y arriver, la diversité de l’outre-mer, réunie au sein de l’Assemblée nationale, prendra une part prépondérante afin d’enrichir un texte devenu absolument nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, chers collègues, dans les quatre jours qui viennent, nous allons construire ensemble la première étape d’une véritable politique migratoire. En effet, en cette matière, comme dans d’autres, la rupture s’imposait.

Dans un premier temps, nous devions nous donner les moyens de lutter efficacement contre l’immigration clandestine. Tel était l’objectif de la loi du 26 novembre 2003. À cet égard, en tant que rapporteur de cette loi et pour en avoir suivi effectivement l’application, je peux vous dire que les résultats sont au rendez-vous : 10 000 reconduites en 2002, 20 000 en 2005, 25 000 attendues cette année. Ces seuls chiffres, et on pourrait en citer bien d’autres, montrent que notre Assemblée a eu raison de voter la loi du 26 novembre 2003.

La maîtrise de l’immigration clandestine était la condition sine qua non du lancement d’un véritable projet d’immigration. En effet, nos capacités d’accueil ne sont pas infinies, et ce n’est pas rendre service aux immigrés de les laisser venir sans être en mesure de leur proposer des perspectives d’avenir.

Certes, nous pourrions continuer à faire croire aux Français qu’il est possible de se protéger derrière nos frontières.

M. Richard Mallié. Quel angélisme !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Mais ce serait à la fois vain et dangereux pour la vitalité de notre pays.

Nous pourrions également faire croire, comme certains socialistes, que la France peut accueillir tout le monde, régulariser tout le monde. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais ce serait tout simplement irresponsable.

M. Bernard Roman. Vous caricaturez !

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est la seule de vos propositions, jusqu’à présent ! J’espère, monsieur Roman, que, pendant ce débat, nous allons enfin savoir ce que vos proposez en la matière !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Thierry Mariani, rapporteur. La plupart de nos partenaires l’ont compris. Ils se sont donné les moyens de définir stratégiquement leur politique migratoire en fonction de leurs besoins et de leurs capacités d’accueil. Alors, pourquoi pas nous ?

En 2005, la France a délivré environ 160 000 premiers titres de séjour. La quasi-totalité était une immigration « de droit », c’est-à-dire ne relevant d’aucune stratégie d’ensemble, d’aucune politique volontariste.

M. Richard Mallié. C’est scandaleux !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Dire cela, c’est non pas remettre en cause le droit au séjour des personnes ayant un lien fort avec la France, mais seulement faire un constat : celui d’une absence de politique migratoire, celui d’une immigration subie et non choisie.

Il est temps que l’immigration devienne en France un véritable sujet de débat politique au sens noble du terme. Et je tiens à vous remercier, monsieur le ministre d’État, de permettre que le Parlement soit le lieu de ce débat.

Mais il faudra aller plus loin et permettre un débat annuel sur les orientations de cette politique. Comme vous l’avez rappelé, les contraintes constitutionnelles actuelles empêchent le Parlement de rendre ce débat obligatoire et de fixer lui-même, par la loi, les objectifs que nous souhaitons atteindre par catégorie de titre de séjour.

Pour autant, vous vous êtes engagé devant nous à présenter, dans le rapport que le Gouvernement rend chaque année sur les orientations de la politique de l’immigration, des objectifs quantitatifs pluriannuels concernant les différentes catégories de titres de séjour en fonction du motif de leur délivrance. Ainsi, un cap clair sera fixé : c’est ce que nous attendions.

Alors, quelles seront ces orientations ? Tout d’abord, nous avons besoin de réformer profondément l’immigration de travail. Aujourd’hui, la France cumule un très fort taux de chômage avec des besoins de main-d’œuvre non satisfaits dans de très nombreux secteurs. Pour autant, en 2005, l’immigration pour motif de travail a concerné seulement 11 400 personnes, soit à peine 7 % des flux migratoires accueillis par la France. Il est donc devenu urgent de réagir et de permettre à l’économie française de pouvoir accueillir ceux dont nous avons besoin.

Par ailleurs, notre absence de politique migratoire pèse aussi sur la compétitivité de notre économie. En effet, les entraves mises en place pour « protéger » la France de l’immigration n’ont nullement permis de freiner quantitativement les entrées. Par contre, elles ont parfaitement réussi à fortement dissuader la venue des migrants les plus qualifiés.

Rappelons qu’en ce qui concerne l’immigration hautement qualifiée, la Commission européenne souligne que 54 % des immigrés originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et titulaires d’un diplôme universitaire résident au Canada et aux États-Unis, tandis que 87 % de ceux qui n’ont pas achevé leurs études primaires ou qui n’ont qu’un niveau d’éducation primaire ou secondaire résident en Europe.

Il est donc essentiel d’agir et de permettre à notre pays d’accueillir aussi des cadres dirigeants, des chercheurs, ainsi que les étudiants les plus brillants, venant du monde entier. Oui, la France a le droit aussi de choisir les meilleurs étudiants et chercheurs !

Par ailleurs, nous devrons mener une véritable politique de co-développement afin qu’une part importante des « cerveaux » que nous aurons formée puisse retourner dans leur pays d’origine et faire bénéficier celui-ci des connaissances et de l’expérience acquises en France. Autrement dit, notre politique migratoire, même en choisissant les meilleurs, continuera à tenir compte des intérêts des pays de départ, c’est d’ailleurs l’une des conditions de délivrance de notre nouvelle carte de séjour « compétences et talents ».

Le projet de loi que je vous rapporte aujourd’hui est relatif à l’immigration, mais aussi à l’intégration. En effet, définir une politique ambitieuse d’immigration repose sur une exigence véritablement impérieuse : nous devons nous donner les moyens d’intégrer les personnes qui viennent s’installer durablement et en toute légalité en France.

Les faiblesses de la politique d’accueil et d’intégration de notre pays sont aujourd’hui évidentes. À tel point que – et les événements de novembre 2005 nous l’ont encore montré – des jeunes Français se sentent parfois plus étrangers que leurs parents ayant conservé leur nationalité d’origine. Pourtant, il s’agit de bon sens : l’immigration conduit à l’échec si des efforts ne sont pas faits pour favoriser l’intégration.

Jusqu’à la création du contrat d’accueil et d’intégration en 2003, la France ne disposait ainsi d’aucun outil spécifique en direction des primo-arrivants, contrairement à l’immense majorité de nos partenaires européens. Nous devons donc, là aussi, pratiquer une politique de rupture et changer de perspective. En effet, la signature d’un CAI doit non plus être un engagement sympathique mais devenir une ardente obligation. C’est ce que ce projet de loi nous propose.

De plus, nous réserverons la délivrance de la carte de résident, et donc l’installation durable en France, à ceux qui ont choisi de respecter les valeurs de notre pays et d’en apprendre la langue.

Ce sont tous ces objectifs que le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration que vous nous présentez aujourd’hui remplira. Ce texte rénove entièrement notre politique migratoire en proposant cinq principaux axes d’action.

Le premier axe est la promotion d’une immigration « choisie », pour reprendre le terme employé par la Commission européenne. Ce concept est critiqué, mais il ne fait l’objet d’aucune réelle proposition alternative. À la différence de l’opposition, le Gouvernement a choisi d’agir sur l’immigration.

Des dispositions sont donc prévues pour rendre l’enseignement supérieur français plus attractif pour les meilleurs étudiants étrangers. En effet, si leur nombre est important en valeur absolue – 255 000 en 2004-2005, soit 11,3 % des effectifs de l’enseignement supérieur –, les caractéristiques de la population étudiante étrangère permettent de douter de l’attractivité du système français d’enseignement supérieur : fort taux d’échec aux examens, concentration sur le premier cycle et sur certaines disciplines, évaporation très importante avant les examens.

Certaines dispositions ont ainsi pour objectif de réduire les formalités administratives pesant sur les meilleurs étudiants.

Le projet de loi propose également de lever le principal obstacle à l’immigration de travail. Dans des régions et des secteurs handicapés par une grave pénurie structurelle de main d’œuvre – je pense à l’agriculture, au bâtiment ou encore à l’hôtellerie-restauration –, il sera désormais possible de recruter un travailleur étranger sans se voir opposer la situation de l’emploi. En pratique, les employeurs des métiers dits en tension n’auront plus à démontrer qu’ils n’ont pas réussi à recruter via l’ANPE avant de pouvoir embaucher un étranger qui veut travailler.

Toutefois, dans les autres secteurs qui ne seront pas considérés « en tension », le système de l’évaluation au cas par cas de la situation de l’emploi sera maintenu. De plus, les règles de renouvellement de la carte de séjour « salarié » ne feront l’objet d’aucune modification. Il est donc particulièrement malhonnête d’affirmer que la réforme privilégie une « immigration jetable ». La commission des lois a voté sur ce point deux amendements permettant de lever définitivement les doutes qui pourraient subsister sur ce point.

Par ailleurs, pour répondre aux problèmes spécifiques du recrutement dans l’agriculture ou dans la restauration, un effort particulier est consenti en faveur des travailleurs saisonniers avec la création d’une nouvelle carte de séjour temporaire de trois ans qui permet à son titulaire de séjourner et de travailler en France six mois par an.

Pour accueillir des migrants qui contribueront au dynamisme et au rayonnement de notre pays ainsi qu’au développement du leur, le projet de loi crée une carte de séjour « compétences et talents » d’une durée de trois ans, renouvelable. Cette carte sera attribuée en fonction de la personnalité des demandeurs, ce qui permettra d’identifier, dans leur pays, les meilleurs profils dont il serait judicieux de favoriser la venue en France.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Les conditions de délivrance de la carte « compétences et talents » seront vitales dans la réussite du dispositif. Un amendement proposera ainsi la mise en place d’un guichet unique en la matière.

Deuxième axe important du projet : redonner à la France les moyens de définir sa politique migratoire. À cet effet, la délivrance d’un visa de long séjour devient la condition nécessaire de l’immigration en France. Il sera dorénavant exigé, sauf exceptions, préalablement à la délivrance d’un premier titre de séjour.

En matière de lutte contre l’immigration clandestine, nous devons affirmer avec force notre volonté de faire appliquer les règles que la France s’est donnée en matière d’entrée et de séjour des étrangers. C’est pourquoi il était nécessaire de mettre fin à la « prime à l’illégalité » donnant un droit au séjour à toute personne ayant réussi à se maintenir irrégulièrement sur le territoire pendant plus de dix ans.

M. Richard Mallié. Un scandale !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Ce système était injustifiable. En effet, s’il faut laisser aux préfets la possibilité de régulariser des personnes dans un but humanitaire, ce que permet toujours le projet de loi, il est inconcevable de récompenser une violation pendant dix ans des lois de la République.

Toujours dans le domaine de l’immigration clandestine, les procédures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière sont simplifiées. Le droit des étrangers est devenu, mes chers collègues, le premier contentieux devant les tribunaux administratifs, passant de 16 % à 24 % des affaires enregistrées entre 2000 et 2005.

Le texte propose une réforme de bon sens pour répondre à cette situation. Aujourd’hui, nous informons l’étranger du refus de son titre de séjour et « l’invitons » à quitter le territoire dans le délai d’un mois, puis nous lui envoyons par la poste un arrêté de reconduite à la frontière valable un an. Dorénavant, le refus d’un titre de séjour sera couplé avec une obligation de quitter le territoire dans le délai d’un mois, cette OQTF valant arrêté de reconduite à la frontière pendant un an.

Dans le souci d’aller jusqu’au bout de la philosophie de cette réforme, la commission vous proposera d’ailleurs de supprimer définitivement les arrêtés de reconduite à la frontière par voie postale.

En matière d’asile, le projet de loi propose essentiellement deux modifications qui ne diminuent en rien le droit d’asile. Il s’agit de réduire l’attente des demandeurs d’asile, en confortant l’existence de la liste nationale des pays d’origine sûrs, et, parallèlement, d’améliorer les conditions d’hébergement – actuellement difficiles – de ces personnes, en donnant un fondement législatif spécifique aux centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les fameux CADA.

Enfin, pour tenir compte des engagements européens de la France, le projet consacre la liberté de circulation des personnes au sein de l’Union européenne en transposant deux directives : l’une, du 29 avril 2004, qui oblige les États membres à laisser les ressortissants communautaires et leur famille circuler et séjourner librement sur leur territoire ; l’autre, du 25 novembre 2003, qui accorde aux étrangers non européens un droit au séjour privilégié dans l’Union européenne lorsqu’ils ont séjourné plus de cinq ans dans un État membre.

Permettez-moi, sur ce point, mes chers collègues, de vous informer que le dernier rapport de la délégation pour l’Union européenne comporte pour la première fois en annexe, à la demande de son président, Pierre Lequiller, toutes les directives européennes sur l’immigration, sujet dont nous discutons aujourd’hui.

Troisième axe du projet de loi, l’encadrement de l’immigration familiale. La Constitution de 1958 reconnaît, certes, le droit de chacun de mener une vie familiale normale, mais le Conseil constitutionnel a reconnu que le législateur pouvait subordonner l’exercice de ce droit à des conditions. Le texte fait ainsi passer de douze à dix-huit mois la durée de présence en France nécessaire pour pouvoir bénéficier du regroupement familial. En outre, le demandeur devra être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille par les ressources de son seul travail.

En revanche, le projet ne modifie pas les conditions de logement fixées par décret et qui permettent aujourd’hui à une famille de sept personnes de vivre dans un logement de soixante et un mètres carrés. La commission a voté un amendement, inspiré de la directive communautaire, précisant que ces normes seront dorénavant fixées au plus près du terrain par les préfets.

Enfin, une nouvelle condition est ajoutée : le demandeur du regroupement familial devra se conformer aux principes qui régissent la République française, ce qui semble le minimum exigible !

Alors que le regroupement familial est stable, le nombre de cartes de séjour délivrées sur le fondement des liens personnels et familiaux est en hausse très rapide, puisqu’il est passé de 2 800 cartes délivrées en 1998 à 13 200 en 2005. Cette catégorie avait vocation à être subsidiaire. Il s’avère qu’elle est, au contraire, devenue un moyen d’obtenir un titre de séjour sur des critères pour le moins flous. Il était donc indispensable de fixer les critères permettant d’apprécier cette condition. Désormais, l’étranger devra justifier de l’ancienneté, de la stabilité, de l’intensité de ses liens en France, de ses conditions d’existence dans notre pays ainsi que de son insertion dans notre société.

Le quatrième axe de cette importante réforme est l’amélioration des dispositifs d’intégration. Le contrat d’accueil et d’intégration, créé en 2003 sur la base du volontariat, devient, je le répète, obligatoire pour tous les migrants qui entrent en France afin de s’y installer durablement. Il comporte des engagements de l’État à l’égard du migrant – formation linguistique et civique, bilan de compétences professionnelles, entre autres – en contrepartie desquels le migrant s’engagera à suivre les formations qui lui sont prescrites. Le respect du contrat sera le critère décisif d’évaluation de l’intégration effective et donc de l’obtention de la carte de résident.

Pour autant, la mise en œuvre de ce contrat d’accueil et d’intégration rénové exigera un effort tout particulier de suivi du respect de ses obligations par l’étranger. En effet, la signature de ce contrat ne doit plus se réduire à un engagement sympathique, mais devenir une ardente obligation. Je vous présenterai au nom de la commission de nombreux amendements répondant à cette préoccupation.

Alors que le droit de résider durablement en France appelle de la part des étrangers un effort d’intégration, le bénéfice de la nationalité doit venir couronner un processus d’assimilation de l’immigré à la société française. C’est pourquoi, mes chers collègues, le projet de loi propose d’étendre à quatre ans, au lieu de deux, la durée de vie commune dans le mariage exigée des époux pour que le conjoint étranger puisse devenir français. Cette prolongation du délai permettra de lutter contre les nombreux détournements auxquels donne lieu ce volet du droit de la nationalité – on ne peut expliquer autrement le fait que le nombre de mariages mixtes ait plus que triplé depuis 1997.

De plus, il est souhaitable de marquer solennellement l’appartenance de tous les nouveaux Français à la nation. Plusieurs amendements vous seront donc proposés pour généraliser la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, qui est actuellement facultative et ne concerne que les personnes ayant acquis la nationalité française par naturalisation.

Dernier volet du projet de loi, une série de mesures nous sont soumises pour adapter les modalités de la lutte contre l’immigration clandestine aux spécificités de l’outre-mer. La situation de l’immigration est en effet particulièrement inquiétante – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre de l’outre-mer –, puisque la population clandestine était estimée, en 2004, à environ 45 000 personnes à Mayotte, soit près de 30 % de la population insulaire, à près de 35 000 en Guyane et à environ 5 000 en Guadeloupe.

Conformément aux articles 73 et 74 de la Constitution, le projet de loi prévoit d’adapter à la situation particulière de ces collectivités diverses dispositions législatives, qui concernent essentiellement les conditions de recherche et d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, les modalités des contrôles et vérifications d’identité, la lutte contre les reconnaissances de paternité de complaisance et le travail illégal à Mayotte. Nous devons, mes chers collègues, adapter notre arsenal législatif pour tenir compte des difficultés de l’outre-mer.

Sur tous ces aspects, le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre d’État, prend bien en compte la problématique migratoire dans toute sa diversité et apporte de nombreuses réponses concrètes.

Je ne peux donc que vous inviter, mes chers collègues, à adopter, comme l’a fait notre commission, ce texte qui pose les bases d’une politique migratoire rénovée pour la France de demain, une politique ferme mais juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité,...

M. Charles Cova. Quelle surprise !

M. le président. ...déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

M. Jérôme Lambert. C’est un scandale !

M. le président. C’est la décision de la conférence des présidents, monsieur Lambert, et nous la respecterons.

La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Monsieur le ministre d’État, six mois presque jour pour jour après les graves événements qui ont secoué nos banlieues, et au lendemain des manifestations étudiantes qui vous ont conduit à retirer le CPE,...

M. Claude Goasguen. Cela commence bien !

M. Bernard Roman. ...voici que vous soumettez à la représentation nationale un nouveau texte qui, sous couvert d’intégration, tend à durcir encore les conditions de vie des immigrés dans notre pays. Il s’agit du second texte en trois ans sur le même sujet, d’un deuxième tour de vis, comme si vous souhaitiez rythmer ainsi votre parcours ministériel.

Une nouvelle fois, vous prétendez répondre à une urgence. Mais quelle urgence ? Par ce mélange de propos radicaux et de modernisme bravache que vous affectionnez, vous cherchez à susciter un nouveau réflexe de défiance vis-à-vis d’une population qui, certes, présente des difficultés propres, mais qui enrichit aussi la France de sa diversité, comme l’ont fait depuis des décennies les immigrations italienne, espagnole ou polonaise.

Cette nouvelle loi précarise un peu plus une population qui ne souhaite pourtant que s’intégrer. Poussés hors de chez eux par la force des événements ou des circonstances économiques, ces hommes et ces femmes ont choisi notre pays, et vous seriez surpris, monsieur le ministre d’État, si vous dialoguiez avec eux sans cordon de CRS et hors du champ des caméras, de les entendre exprimer leur attachement à la France. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Ils votent pour nous, pas pour vous !

M. Bernard Roman. À cela, vous ne voulez répondre que par une nouvelle accumulation d’interdits.

M. Éric Raoult. Roman n’est pas meilleur qu’Aubry !

M. Bernard Roman. Je veux vous dire, par-delà la ligne de clivage politique qui nous oppose, ma conviction que vous présentez aujourd’hui le texte de trop.

M. Serge Blisko. Eh oui !

M. Bernard Roman. Un texte qui, sans convaincre l’électorat réactionnaire que vous visez,...

M. Thierry Mariani, rapporteur. Oh !

M. Bernard Roman. ...suscite l’inquiétude d’une majorité de la population...

M. Jean-Charles Taugourdeau. Démago !

M. Bernard Roman. ...et provoque des réactions dont vous ne percevez sans doute pas encore toute l’acuité, des réactions que vous minimisez, mais qui montrent combien la France est sans doute plus généreuse, plus fraternelle et plus républicaine que vous semblez le penser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Françaix et M. Christophe Caresche. Très bien !

M. Bernard Roman. Monsieur le ministre d’État, renoncez à ce projet, le plus destructeur du pacte républicain depuis la Libération ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. Quel mélodrame !

M. Marcel Bonnot. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Bernard Roman. Il est une honte pour la République française,...

M. Thierry Mariani, rapporteur. Voilà qui est mesuré !

M. Bernard Roman. ...une injure à notre histoire et à nos traditions, une blessure pour les valeurs de la France que nous aimons.

Vous êtes le seul ministre de l’intérieur à légiférer deux fois en trois ans sur cette question de l’immigration.

M. René Couanau. C’est que le ministre a de la suite dans les idées !

M. Bernard Roman. Pourquoi une deuxième loi, déjà ? Pourquoi une loi sur l’immigration, encore ? Faut-il voir dans cette compulsion l’aveu de l’échec de la loi de 2003 ? L’évaluation de cette dernière est difficile : certains décrets d’application viennent juste d’être publiés, d’autres ne le sont pas encore.

M. René Dosière. Parmi les plus importants !

M. Bernard Roman. Vous voulez combattre l’immigration clandestine, dites-vous. Devons-nous en déduire que sous ce quinquennat, au cours duquel vous aurez été deux fois ministre de l’intérieur, elle aurait augmenté de manière alarmante en dépit de vos discours et de vos consignes de fermeté ?

La commission d’enquête du Sénat a souligné l’impossibilité de chiffrer l’immigration clandestine…

M. Claude Goasguen. Alors, n’en parlez pas !

M. Bernard Roman. …et reconnu que le problème concerne principalement l’outre-mer. Lors de son audition le 20 décembre dernier, Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, avec qui vous entretenez, semble-t-il, des rapports courtois et réguliers, a expliqué non sans humour à nos collègues sénateurs : « L’immigration irrégulière est un phénomène très difficile à évaluer, puisque nous avons déjà du mal à produire des statistiques fiables sur l’immigration légale. »

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

M. Bernard Roman. Je poursuis la citation : « Il est évident que les chiffres qui sont diffusés sur les étrangers en situation irrégulière ne sont que des estimations, et, comme je viens de jurer de dire toute la vérité, je me garderai bien d’en donner aucun, pour ne pas m’exposer, monsieur le président, aux sanctions que vous évoquiez. »

S’agit-il alors, comme vous le dites, d’ouvrir davantage l’immigration de travail ? Certes, elle a diminué depuis que vous êtes en fonction, monsieur le ministre, malgré les objectifs que vous avez affichés en 2003 : selon le Haut conseil à l’intégration, elle est passée de 8 800 en 2001 à 6 700 en 2004. Si c’est là votre objectif, un nouveau texte n’est nullement nécessaire. Le Gouvernement peut, et vous le savez, par simple instruction ou circulaire,…

M. Thierry Mariani, rapporteur. Et le Parlement ?

M. Bernard Roman. …organiser l’arrivée de travailleurs étrangers. Nous l’avions fait en 1998 pour permettre aux entreprises françaises de recruter des informaticiens étrangers afin de prévenir le bug de l’an 2000.

M. Claude Goasguen. Et l’Assemblée ?

M. Bernard Roman. Depuis le 16 juin dernier, c’est même vous, en tant que ministre de l’intérieur, qui avez autorité sur les services qui délivrent ces autorisations de travail.

Non, votre intention est ailleurs. Il s’agit pour vous de faire une nouvelle offre électorale aux électeurs d’extrême droite (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),

M. Serge Blisko. Tout à fait !

M. Bernard Roman. …sous forme de restrictions sans précédent du droit au regroupement familial et du droit d’asile des étrangers.

M. Éric Raoult. Allez vivre à Clichy, vous verrez !

M. Bernard Roman. Nous dénonçons cette confusion des genres : vous utilisez vos responsabilités ministérielles pour vous tracer des perspectives électorales.

M. Serge Blisko. Eh oui !

M. Bernard Roman. Cela ne facilitera pas, l’année prochaine, votre argumentation sur la rupture. Vous aurez du mal à convaincre l’opinion…

M. Marcel Bonnot. Et vous ?

M. Bernard Roman. …que vous êtes vierge du bilan de ce gouvernement, après avoir autant contribué à sa boulimie législative !

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas une exception d’irrecevabilité !

M. Bernard Roman. Nous sommes là dans un domaine nauséabond, mais aussi dans l’inflation des lois d’affichage, dénoncée récemment par le président du Conseil constitutionnel.

« Oui, je cherche à séduire les électeurs du Front national, j’irai même les chercher un à un, cela ne me gêne pas », annonciez-vous dans Le Parisien du 29 mars. Et vous avez ouvertement repris devant vos admirateurs, le 22 avril dernier à Paris, ces slogans de l’extrême droite et de son leader, eux-mêmes transposition d’anathèmes venant tout droit des États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Pour un homme qui se veut l’incarnation de la rupture, vous n’innovez pas !

M. Claude Goasguen. Vous non plus !

M. Bernard Roman. Vous vous inscrivez dans une remarquable continuité. Il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua affirmait que les valeurs de la droite étaient les mêmes que celles de l’extrême droite.

M. Serge Blisko. Hélas !

M. Bernard Roman. Quelques années plus tard, les commentaires sur « les bruits et les odeurs » ont placé l’immigration au cœur du débat politique de l’élection présidentielle de 2002. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques-Alain Bénisti. Démagogie !

M. Bernard Roman. Et puisque cela plaît, pourquoi se gêner, comme vous le dites si souvent ? Vous ne faites rien d’autre que marcher dans les pas de vos pères spirituels et creuser profondément leur sillon.

M. Claude Goasguen. Et Fabius ?

M. Bernard Roman. Cessez donc de vous présenter comme un homme nouveau : vos idées sont éculées !

M. Claude Goasguen. Où est l’exception d’irrecevabilité ?

M. Bernard Roman. Ce sont celles de la droite française la plus conservatrice. Dans ce domaine comme dans les autres, votre bilan est un échec.

M. René Couanau. Parlez-nous un peu du fond !

M. Jacques-Alain Bénisti. Allez sur le terrain, monsieur Roman !

M. Bernard Roman. Vous présentez un texte non seulement qui ne s’imposait pas, mais – et c’est pire – que beaucoup regrettent. Vous le sauriez si vous aviez conduit les concertations nécessaires avant son élaboration. Vous le savez, d’ailleurs, puisque les critiques émanent même de vos rangs.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est rassurant !

M. Bernard Roman. Le président de l’Assemblée nationale s’est montré circonspect, soulignant la nécessité « de ne pas courir après l’électorat le plus extrémiste » et appelant à un devoir « d’humanité » envers « des gens qui souffrent et sont hélas obligés de quitter leur pays alors qu’ils voudraient y rester ».

M. Serge Blisko. Il a raison !

M. Bernard Roman. Notre collègue Etienne Pinte, qui a présenté plusieurs amendements, laisse entendre que ce projet n’était pas nécessaire,…

M. Claude Goasguen. C’est faux !

M. Bernard Roman. …à moins de vouloir, dit-il, instrumentaliser le thème de l’immigration à des fins électoralistes.

Plus de 500 organisations se sont regroupées, au sein d’un « Collectif contre l’immigration jetable », pour défendre les droits fondamentaux menacés par votre texte, combattre votre volonté de réduire l’étranger à sa force de travail et insister sur la nécessité de sécuriser les populations fragilisées.

M. Claude Goasguen. C’est bien de défendre les évêques !

M. Alain Marsaud. Il a parlé des évêques ?

M. Bernard Roman. Pas encore, j’y viens, cher collègue.

La plupart des syndicats dénoncent votre approche utilitaire et sécuritaire de l’immigration. Le Conseil des églises chrétiennes,…

M. Claude Goasguen. Enfin !

M. Alain Marsaud. Les évêques et le PS !

M. Bernard Roman. …ému par l’inhumanité de ce texte, regrette « la perspective utilitariste de cette réforme ».

M. Alain Marsaud. Et les amis de la laïcité, que disent-ils ?

M. Bernard Roman. Vous pouvez railler ces prises de position,…

M. Claude Goasguen. C’est la gauche que nous raillons !

M. Alain Marsaud. Rendons à César ce qui appartient à César !

M. Bernard Roman. …mais rappeler que certaines forces hors de cet hémicycle montrent que, derrière l’immigration, il y a des hommes, des femmes et des enfants peut être utile !

Pour quelqu’un qui prétend rassembler la France en 2007, monsieur le ministre, cela fait beaucoup !

La société s’inquiète à juste titre de la perspective d’un nouveau durcissement de la législation et de la philosophie qui le sous-tend. Ce projet est dangereux, car il est anti-républicain. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Serge Blisko. Oui !

M. Bernard Roman. La France s’honore d’incarner, depuis le Siècle des Lumières, des valeurs morales et politiques. Elle est historiquement une terre d’immigration et d’asile. Elle s’est construite sur ce principe. Dans un monde ouvert, au sein d’une Europe vivante, elle risque d’apparaître anachronique et décalée en envisageant la question de l’immigration sous l’angle franco-français, en dehors d’une réflexion globale et internationale.

M. Alain Marsaud. Dans quel monde vivez-vous ?

M. Claude Goasguen. Regardez les législations européennes !

M. Bernard Roman. J’en dirai deux mots.

À cet égard, le concept d’« immigration choisie » est très choquant.

M. Claude Goasguen. Il est canadien, australien !

M. Alain Marsaud. Et européen !

M. Bernard Roman. Il est choquant du point de vue de la France, mais aussi d’un certain nombre d’observateurs. Permettez-moi d’en citer un, qui a partagé les bancs de l’École normale supérieure avec Georges Pompidou,…

M. Alain Marsaud. Encore un énarque !

M. Bernard Roman. …et qui est pourtant Sénégalais : Abdou Diouf.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Vous confondez avec Senghor !

M. Bernard Roman. Je me trompe, en effet. M. Diouf s’est dit « heurté par un projet politiquement et moralement inacceptable ». Il a ajouté : « Je ne peux accepter que la France dise unilatéralement : je choisis les immigrés diplômés de telle catégorie, et tous les autres, je n’en veux pas ». Une immigration « régulée », a-t-il souligné, serait préférable à une immigration « choisie ».

Vous avez renoncé à faire figurer dans la loi l’expression d’immigration « subie », sans doute délicate à manier même dans vos rangs ! Mais si cette malheureuse formule a disparu du projet de loi,…

M. Charles Cova. L’avez-vous lu, au moins ?

M. Bernard Roman. …elle n’a pas disparu de vos commentaires. Vous l’avez revendiquée dans la presse récemment, en affirmant : « Nous ne voulons plus d’une immigration subie, nous voulons une immigration choisie, voilà le principe fondateur de la nouvelle politique de l’immigration que je préconise ». À l’appui de cette assertion, vous avez renvoyé dos à dos, comme vous l’avez fait tout à l’heure, deux intégrismes : celui du Front national et celui des « laxistes ».

Nous ne tomberons pas dans ce piège, pas plus que nous ne réagirons aux bons points et aux mauvais points que vous distribuez aux socialistes ! Je note simplement que vous assumez fièrement cette classification des immigrés et que vous vous présentez, une fois de plus, comme l’unique détenteur de solutions et de la vérité. Je suis extrêmement choqué que des deux intégrismes que vous dénoncez, le plus choquant à vos yeux ne soit pas celui du Front national. Je vous accuse enfin de dénaturer la position de vos opposants : personne ne refuse que l’immigration soit contrôlée…

M. Gabriel Biancheri. Si, vous !

M. Bernard Roman. …ni ne prétend que la France doit accueillir tout le monde, tout simplement parce qu’elle ne le pourrait pas.

M. Claude Goasguen. Et la loi Chevènement ?

M. Bernard Roman. En revanche, nous disons que la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit pas conduire à l’injustice et à la répression, qu’elle peut se faire dans le respect des valeurs qui fondent notre République. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Si vous avez gommé de votre discours les mots les plus choquants, leur sens demeure et vos déclarations les explicitent sans aucune ambiguïté : il s’agit bien de faire souffler un vent xénophobe.

M. Claude Goasguen. C’est inadmissible !

M. Bernard Roman. Dès l’exposé des motifs, le ton est donné. Je sais bien que vous subissez la pression de certains de vos amis, qui flirtent avec le nationalisme le plus obtus et une obscure xénophobie.

M. Michel Herbillon. Quelle caricature !

M. René Couanau. C’est du mauvais Roman !

M. Éric Raoult. C’est du Roman feuilleton !

M. Bernard Roman. Voici ce que déclarait récemment un député UMP dans la presse : « Trente ans d’immigration massive, à flot continu, encouragée par la complaisance de la gauche (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et la tétanisation de la droite, ont fait sauter les digues de notre identité nationale. Un peuple qui ne sait plus ce qu’il est, d’où il vient, n’a plus de destin ».

M. Roland Chassain. Je suis d’accord !

M. Bernard Roman. Voilà comment ceux qui ont inspiré ce texte considèrent l’immigration !

M. Claude Goasguen. C’est Chevènement !

M. Bernard Roman. Sans doute ce parlementaire aura-t-il bu du petit-lait en vous entendant regretter d’avoir « à s’excuser d’être Français ».

Cette logique nationaliste et xénophobe n’est pas celle de la France que nous aimons, fière de son histoire et de sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Nous ne l’acceptons pas, car nous refusons de renier notre identité, nos principes, nos valeurs, qui sont ceux de la République. Car ce que vous proposez, c’est bien un tri, sur des critères élitistes, entre « bons » et « mauvais » immigrés, et des quotas, quand bien même ils sont rebaptisés « objectifs quantitatifs pluriannuels ».

M. Claude Goasguen. Les quotas, c’est vous !

M. Bernard Roman. Ce que vous proposez, c’est de privilégier les « bons étrangers », capables d’apporter des « compétences, un rayonnement à la France ». La carte de séjour « compétences et talents » s’adressera à cette catégorie d’immigrés « haut de gamme », une sorte d’immigration people répondant à des critères utilitaristes. Quant au concept d’immigration « subie », il est humainement inacceptable. Il conduit à considérer comme « subis » tous ceux qui sont différents, confortant le communautarisme et l’individualisme.

Nous refusons d’entrer dans un débat dont les termes sont ainsi posés. C’est le sens de nos motions de procédure, et ce sera notre fil conducteur tout au long de la discussion.

M. Claude Goasguen. Tout cela n’a rien à voir avec la Constitution !

M. Bernard Roman. Avec votre texte, vous combattez le droit de vivre en famille. Certes, les migrations pour motif familial ont proportionnellement augmenté depuis l’arrêt de l’immigration de main-d’œuvre en 1974. Pour autant, elles n’ont aucun caractère excessif. Selon le rapport annuel de la Direction de la population et des migrations, rendu public mercredi dernier, si l’immigration pour motif familial est en hausse, concernant un peu plus de 100 000 personnes en 2004, le regroupement familial stricto sensu décroît : 25 400 personnes en ont bénéficié, contre 26 700 en 2003. À titre de comparaison, on en comptait chaque année plus de 80 000 dans les années quatre-vingt.

Entre une politique angélique et une politique de la peur, il y a place pour une politique respectueuse des valeurs de la France et néanmoins responsable. C’est celle que nous défendons. Nous rejetons votre approche abstraite, technique, déshumanisée de l’immigration. Plutôt que de la présenter comme un problème, de cristalliser – à des fins purement politiciennes – autour de cette question les difficultés de la société française, parlez donc aux Français des hommes, des femmes et des enfants désireux de venir travailler et vivre ici, de l’exigence de solidarité que nous avons à leur égard, de nos engagements internationaux en matière de développement ! Arrêtez de jeter la suspicion sur eux !

Le titre II du projet de loi constitue une remise en cause inacceptable de nombre de droits fondamentaux : respect de la vie privée, droit à mener une vie familiale normale, dignité, droit d’asile, intérêt supérieur de l’enfant. Il bafoue les droits essentiels sur un ensemble de domaines que nous évoquerons au cours du débat.

J’en retiendrai trois, qui me semblent les plus frappants.

Le premier est la liberté de se marier. C’est une liberté fondamentale et le véritable parcours du combattant que vous voulez imposer aux futurs conjoints est scandaleux.

Le mariage est parfois un moyen de contourner la réglementation du séjour en France, nous ne le nions pas, mais il n’existe pas une fraude massive comme vous le sous-entendez. On retrouvait déjà cette suspicion dans le rapport de M. Mariani qui constatait en mars dernier « une progression apparemment irrésistible des mariages mixtes ». Ne peut-on dire tout simplement que, dans nos sociétés modernes, les mariages mixtes ont tendance à se développer ? De plus, nous devons considérer que de nombreux enfants d’immigrés nés en France ou arrivés par le biais du regroupement familial dans les années 70-80 choisissent de se marier dans leur pays d’origine pour des raisons simplement culturelles ou religieuses. Il ne s’agit pas de leur dire : « Si vous n’aimez pas la France, quittez-la ! », mais d’admettre que chacun peut avoir des racines multiculturelles.

Avec votre loi, monsieur le ministre, un étranger marié à un conjoint français ne sera plus certain d’obtenir un titre de séjour au bout de trois ans. Ce n’est pas seulement l’étranger qui sera précarisé, mais aussi – ce que vous semblez ignorer – son conjoint français.

Quant à l’exigence de visa long séjour pour les conjoints étrangers, aucun autre pays européen ne l’impose. La France va donc constituer une exception en Europe, alors que rien ne justifie ce régime particulier.

Deuxième illustration de droits bafoués : celui au regroupement familial. Les restrictions que vous introduisez en ce domaine montrent que suspicion et précarisation sont les piliers de votre projet de loi.

La remise en cause de ce droit n’est en rien justifiée, puisque le nombre de personnes concernées est en baisse. Il est surtout inadmissible d’imposer des conditions de ressources calculées hors prestations familiales et sociales. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Pourquoi ?

M. Bernard Roman. Ce durcissement risque de grossir l’immigration illégale car on ne peut pas imposer la séparation d’une famille, d’autant que les personnes qui entreront illégalement pour retrouver un conjoint ne pourront jamais être renvoyées dans leur pays, puisque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme vous l’interdira.

M. Claude Goasguen. C’est déjà le cas !

M. Bernard Roman. Votre politique n’aboutira finalement qu’à fabriquer des ni-ni : ni régularisables, ni expulsables, et ce sont des dizaines de milliers de personnes qui se retrouveront dans cette situation année après année.

M. Philippe Vitel. C’est un raisonnement par l’absurde !

M. Bernard Roman. En outre, la condition d’intégration exigée pour le regroupement familial reste très imprécise tant en ce qui concerne son contenu que les modalités de sa vérification.

Troisième atteinte aux droits fondamentaux par votre projet : la suppression du dispositif de régularisation individuelle permanente. C’est une des régressions les plus graves du texte. Là encore, ce qui frappe, c’est la disproportion entre le « problème » et le traitement proposé car le nombre de personnes régularisées chaque année en France après dix ans de séjour n’a jamais dépassé 2 500 ou 3 000. Étant donné que la population étrangère en France correspond à 2 ou 2,5 % de la population totale, ce chiffre vous permet de prendre la mesure du moyen utilisé pour régler un problème qui, en réalité, n’en est pas un.

M. Claude Goasguen. C’est une drôle d’exception d’irrecevabilité que vous défendez là !

M. Bernard Roman. Vous parlez, monsieur le ministre, de « prime à la clandestinité », alors qu’il ne s’agit que d’appliquer le principe de la prescription reconnu par le droit français. Cette intransigeance aura pour résultat d’aggraver la précarité des personnes, avec toutes les conséquences qui en découlent en matière de santé, de logement – que vous dénonciez tout à l’heure – et de droits sociaux.

En effet, fût-il entré de manière illégale en France, un immigré qui a réussi à s’y maintenir pendant dix ans a, d’une certaine manière, fait la preuve de son intégration, en acceptant cette période d’épreuve. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Quel argument !

M. René Couanau. Vous prônez la fraude à la loi !

M. Bernard Roman. Mes chers collègues, il n’est pas possible de rester dix ans dans un pays sans travailler ni sans en apprendre la langue et nouer des liens. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. Quel drôle d’argument pour un juriste !

M. Michel Herbillon. Bref, il faut accorder une prime à ceux qui ne respectent pas la loi !

M. Nicolas Perruchot. Il faut ouvrir les yeux au PS !

M. Bernard Roman. Pourquoi revenir aujourd’hui sur un dispositif que vous aviez maintenu dans la loi de 2003 ? La loi et la morale du ministre Sarkozy de 2003 ne seraient-elles plus les mêmes que celles du ministre Sarkozy de 2006 ?

Et ne nous dites pas que les autres pays européens ne le font pas, car tous ont un mécanisme de ce type. Au Royaume Uni, la régularisation est possible après quatorze années de séjour illégal, et après sept ans s’il existe des relations familiales. En Allemagne, la loi votée en 2004 prévoit un titre de séjour pour des raisons humanitaires.

M. Claude Goasguen. Un titre de séjour, pas autre chose !

M. Bernard Roman. En Espagne, sous certaines conditions, tout étranger ayant travaillé un an peut être régularisé.

Le refus de régularisation progressive crée des « stocks » comme la France en a connu après le passage de Charles Pasqua au ministère de l’intérieur,…

M. Claude Goasguen. Et avec Chevènement, ils sont devenus encore plus importants !

M. Bernard Roman. …comme l’Espagne et l’Italie en ont aussi fait l’expérience. Et l’on sait bien que la seule solution est alors de procéder à des régularisations massives.

M. Richard Mallié. Quel angélisme !

M. Bernard Roman. Agiter l’épouvantail d’une régularisation sans aucun critère est un procédé un peu vain car il est clair qu’aucun socialiste ne pense que l’on peut régulariser sans imposer un minimum de conditions.

M. Éric Raoult. Si Fabius !

M. Bernard Roman. Fabius a parlé de régularisation massive.

M. Richard Mallié. Et le nombre des sans-papiers, il n’est pas massif ?

M. Bernard Roman. Écoutez, tous ceux à qui vous aurez, bien qu’ils aient des enfants ou une famille en France, refusé des papiers alors qu’ils seront inexpulsables du fait de la Convention européenne des droits de l’homme se verront condamnés à une situation d’illégalité à perpétuité. L’intérêt de la France n’est-il pas de leur proposer un statut ?

M. Claude Goasguen. L’intérêt de la France, c’est de faire respecter ses lois !

M. Bernard Roman. Si les Français nous accordent leur confiance en 2007, nous procéderons, après définition d’un certain nombre de critères, à cette régularisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce texte n’était pas nécessaire.

M. Marcel Bonnot. Il n’est pas interdit de rêver !

M. Bernard Roman. Il est dangereux et il sera inefficace. Tous les spécialistes de l’immigration s’accordent sur le fait que la nouvelle législation grossira le flot des étrangers en situation de précarité ou d’irrégularité et créera une quantité croissante de personnes ni expulsables ni régularisables, condamnées à l’illégalité à perpétuité, à moins qu’ils fassent un jour l’objet d’une régularisation leur permettant de retrouver leur dignité que vous leur refusez aujourd’hui.

M. Claude Goasguen. Quel bel avenir !

M. Bernard Roman. En durcissant les conditions de vie des couples mixtes et des familles étrangères, que cherchez-vous ? Vous savez que l’on n’empêche pas durablement un homme ou une femme de vivre avec son conjoint et ses enfants. Les familles qui, jusqu’à présent, arrivaient légalement en France continueront à venir, mais dans l’illégalité.

En prétendant lutter contre les fraudes, vous les rendrez inévitables. Pire, le dispositif que vous prévoyez sera juridiquement inopérant puisque, lorsque ces conjoints et ces enfants auront gagné la France, la Convention européenne des droits de l’homme les protégera contre l’expulsion.

M. Claude Goasguen. C’est l’exception d’irrecevabilité qui est irrecevable !

M. Bernard Roman. Catherine Vihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, explique qu’« en durcissant les règles, on développe la clandestinité. Ce n’est pas une politique trop laxiste, mais une politique trop restrictive qui crée de l’illégalité. Quand les frontières sont ouvertes, les gens circulent, font des allers-retours. Quand les frontières sont fermées, ils se stabilisent ».

M. Éric Raoult. Ce raisonnement est stupide !

M. Bernard Roman. Monsieur le ministre, vous évoquiez les lignes Maginot. Elles sont impuissantes. Votre bilan est là pour le rappeler : vous avez échoué.

M. René Dosière. M. Sarkozy a d’ailleurs quitté l’hémicycle !

M. Bernard Roman. La loi de 2003, pourtant très restrictive, n’a pas eu les effets que vous escomptiez. Pour autant, le traitement de l’immigration n’appelle pas à cette politisation permanente et à cette polémique que vous entretenez à dessein.

M. Claude Goasguen. Nous sommes heureux de l’entendre !

M. Bernard Roman. Nous nous demandons quel problème vous voulez régler. L’immigration se situe aujourd’hui, en proportion de la population française, au même niveau qu’en 1960.

M. Éric Raoult. Ce n’est pas la même !

M. Nicolas Perruchot. À l’époque, c’était une immigration de travail !

M. Bernard Roman. Au lieu d’une nouvelle loi, qui n’est pas justifiée, ce qui serait utile, ce serait de se préoccuper de l’administration de l’immigration. Voilà ce que devrait être le rôle d’un ministre de l’intérieur.

Ce ne sont pas les méthodes musclées, au demeurant guère efficaces, qui vont régler les problèmes. J’en veux pour preuve le fiasco de la fermeture de Sangatte. Le ministre de l’intérieur avait prétendu régler le problème des réfugiés. Or, si les conditions de vie dans le centre étaient déplorables, hors de celui-ci, elles sont catastrophiques. Les errances des clandestins ont même suscité un mouvement de solidarité de la population calaisienne. Certains de nos concitoyens ont d’ailleurs fait l’objet de poursuites pénales pour délit d’humanité, c’est-à-dire pour avoir porté assistance aux réfugiés qui mendient dans les rues de Calais.

Il y a quelques jours encore, la presse locale a relayé les réflexions des employés de la ville de Calais qui venaient de déménager plusieurs centaines de personnes d’origine étrangère qui campaient dans un petit bois à côté de l’ancien centre de Sangatte et qui vivaient, aux dires de ces employés « au milieu des rats, des puces et des détritus, sous des abris de fortune ». Ils poursuivaient : « la vie dans les ordures, voilà en quelques mots comment peut se résumer le quotidien des migrants en situation irrégulière ». (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. Et vous, que faites-vous pour empêcher ça ?

M. Michel Herbillon. Que proposez-vous, de votre part ?

M. Bernard Roman. Vous osez me demander ce que nous faisons, alors que le ministre de l’intérieur s’était engagé à faire en sorte que ces immigrés ne se retrouvent pas dehors et soient pris en charge par des structures sociales. Ils sont plusieurs centaines à mourir et à véhiculer des maladies parmi les rats et les ordures du secteur de Calais. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Ce n’est pas moi qui le dis ; ce sont les témoins et les acteurs de cette situation.

M. René Couanau. Avec vous, ils seraient des milliers !

M. Bernard Roman. Ce que vous ne voulez pas voir, c’est qu’un homme ou une femme qui veut fuir son pays est prêt à payer n’importe quel prix, fût-ce celui de sa vie. Aucun mur n’arrête le désespoir et la misère.

L’opinion s’est émue de ces « nouveaux barbelés aux portes de l’Europe » sur lesquels viennent se déchirer et parfois mourir des milliers de migrants subsahariens.

Cette impuissance à faire barrage à l’immigration par la contrainte, c’est aussi le constat que font bien d’autres pays aujourd’hui, comme les États-Unis.

M. Jérôme Rivière. Aux États-Unis, les immigrés et les sans-papiers défilent en brandissant le drapeau américain !

M. Bernard Roman. Les églises se mobilisent – et pas seulement en France –, pour s’opposer à des lois de cette nature.

Nous n’en sommes pas, en France, à nous retrancher derrière des murs ou des clôtures, et pourtant, c’est une sorte de mur juridique que vous essayez d’édifier aujourd’hui. Il sera inutile et même contre-productif, non seulement parce qu’il créera trop d’injustices, mais surtout parce que l’abus de répression aboutit à des effets exactement inverses aux objectifs affichés.

La répression en aval de l’immigration est forcément inefficace et surtout inhumaine. Elle signe l’échec de la nécessaire maîtrise du phénomène, qui doit surtout se concevoir en amont par des politiques concertées et des coopérations renforcées.

M. Claude Goasguen. Le problème de l’immigration ne vous intéresse pas, en définitive !

M. Bernard Roman. Il ne sert à rien de fermer les yeux ni de multiplier les obstacles. Le monde s’ouvre à la circulation des personnes…

M. Claude Goasguen. En tout cas, le vôtre ne s’ouvre pas à la circulation des idées !

M. Bernard Roman. …et, devenu de plus en plus interdépendant, il se prête moins que jamais à des barrières. Seules des politiques concertées apporteront des solutions adaptées : en traitant la question du partage des richesses à l’échelle mondiale, en renforçant l’aide publique au développement, en augmentant les investissements directs, en instaurant des règles commerciales justes. Les instruments existent, à l’échelle de l’Union européenne et au plan international, afin de construire un monde plus équitable et plus démocratique.

Le reste est question de volonté politique.

Ce sera long mais plus utile que de recourir à la loi du plus fort pour renvoyer à leur misère des êtres humains dont le seul tort est d’être nés du mauvais côté de la planète.

M. Jean-Marc Roubaud. Démago !

M. Claude Goasguen. Décidemment, nous sommes bien loin d’une exception d’irrecevabilité !

M. Bernard Roman. Avec ce texte, la question de l’exigence d’accueil et d’intégration des étrangers qui choisissent la France est mal posée et posée au mauvais moment.

Pire, votre loi va diviser, fragiliser là où il faudrait rassembler, sécuriser.

Vous mettez la République en danger. Or ce n’est pas le rôle d’une ministre de l’intérieur. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marc Roubaud. De tels propos sont scandaleux !

M. Bernard Roman. C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j’invite mes collègues à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Roman, je ne répondrai bien sûr pas à l’outrance de vos affirmations totalement gratuites, voire indécentes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Derosier. Où est Sarkozy ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous ne pouvez pas nous accuser de xénophobie, alors qu’au contraire tout le projet du Gouvernement consiste précisément à mieux choisir l’immigration et à mieux réussir l’intégration.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais je comprends, monsieur le député, que vous soyez déçu, alors que vous avez encouragé, pendant des années, cette immigration subie qui alimente dans notre pays un sentiment de xénophobie,…

M. Bernard Derosier. C’est le plus réactionnaire des ministres qui répond !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …qu’un ministre de l’intérieur,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Où est-il ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …se soucie d’apporter des réponses équilibrées et justes.

Nous saurons entretenir cette déception pour que reviennent dans la famille républicaine un certain nombre de ceux qui s’en étaient éloignés.

M. Jérôme Lambert. Vous jouez avec le feu !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous aurons l’occasion, article après article, de démentir vos critiques abusives et de démontrer que vous ne faites aucune proposition.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Rien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous n’avez à aucun moment abordé le problème d’une prétendue anticonstitutionnalité du texte. J’appelle donc la représentation nationale à voter contre votre exception d’irrecevabilité.

Voyez-vous, monsieur Roman, avec l’extrême droite, ce sont les fils barbelés ; avec vous, c’est un terrain ouvert à tous les vents (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ; avec nous, c’est tout simplement un portique de sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. J’ai vraiment eu l’impression d’être retourné trois ans en arrière lors d’un précédent débat, où l’on avait entendu proférer les mêmes accusations de xénophobie, prétendre que les mesures adoptées étaient excessives, voire totalement injustifiées.

M. Bernard Derosier. C’est toujours fondé !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je voudrais reprendre ces trois points.

Nous serions xénophobes parce que nous proposerions des quotas ou des plafonds.

Monsieur Roman, je vais vous poser une devinette, à laquelle, vous allez, j’en suis sûr, répondre. Qui a dit : « Les quotas seront établis par une cellule d’analyse et de prévision des flux migratoires qui publiera régulièrement un rapport déterminant le nombre d’immigrés… » ?

M. Alain Marsaud. Ségolène Royal !

M. Éric Raoult. Malek Boutih !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Bravo, monsieur Raoult ! Il s’agit en effet, de M. Malek Boutih, secrétaire national du Parti socialiste.

Je n’aurai pas la cruauté de poursuivre, d’autant que nous aurons l’occasion de revenir sur ces points au cours du débat.

Monsieur Roman, l’honnêteté exigerait de ne pas considérer la fixation de quotas ou de plafonds comme une expression de xénophobie quand c’est nous qui la proposons et comme une mesure démocratique et généreuse quand elle émane de M. Malek Boutih.

Vous avez vous-même failli adopter une telle mesure à une certaine époque. Aujourd’hui, comme l’a rappelé M. Christian Estrosi, vous n’avez plus de politique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Où est la xénophobie ? Où sont les mesures excessives ? Il y a trois ans, la durée de séjour en centre de rétention était de douze jours. Nicolas Sarkozy proposait de la porter à trente-deux jours. On nous disait : « C’est odieux ! C’est excessif ! C’est une atteinte à la liberté individuelle ! »

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas la bonne réponse !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Or, dans la directive européenne E 2948, l’Europe propose de porter la durée de rétention à six mois, alors que nous l’avions simplement fait passer de douze à trente-deux jours. On constate ainsi que la politique que nous proposons n’a rien d’exagéré. Elle est au contraire ferme, humaine et tout à fait modérée.

Enfin, monsieur Roman, vous prétendez que les mesures proposées seraient injustifiées. Les mariages ne sont pas des chimères ! Chacun doit se souvenir des propos tenus par M. Pascal Clément dans cet hémicycle : « Un mariage sur trois en France est un mariage d’un couple mixte : français et étranger. Un enfant sur dix naît d’un couple mixte. » Il y a un problème. À certains moments, on peut logiquement se poser des questions. En effet, si un mariage sur trois est mixte, un enfant sur trois ou sur quatre devrait être issu d’un couple mixte. Or, il n’en est rien. Les chiffres eux-mêmes apportent la preuve qu’il existe bel et bien des détournements de procédure.

Monsieur Roman, ce projet de loi n’est ni xénophobe, ni excessif, ni injustifié. Il est simplement ferme et humain. C’est pour cela que nous le défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à Mme Françoise de Panafieu, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Françoise de Panafieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi marque un tournant dans la politique d'immigration suivie depuis de nombreuses années.

C'est la première fois que nous est offerte la possibilité de donner un sens à la politique de l’immigration. Au-delà de la question du nombre, nous voulons nous poser la question : « Avec qui avons-nous envie de vivre et comment ? »

Celles et ceux qui, comme moi, exercent des responsabilités locales savent que la réalité du terrain vécue quotidiennement par nos compatriotes s'oppose souvent aux discours de salon que tel ou tel peut tenir sur l'immigration.

Monsieur le ministre, vous voulez que ce projet de loi réponde concrètement aux difficultés rencontrées. En ce sens, le concept d' « immigration choisie » veut allier à la fois fermeté et humanité, sans renier pour autant l'universalisme qui a toujours été l'un des principes de notre modèle républicain ; cet universalisme qui exige le respect : le respect de la personne, le respect de l'égalité des droits et aussi des devoirs – trois conditions du consentement à la règle commune.

Mes chers collègues, notre pays ne peut plus accueillir toute la misère du monde, comme le disait justement un ancien Premier ministre socialiste au début des années 90.

M. René Dosière. Citez la totalité de la phrase, ne la dénaturez pas !

Mme Françoise de Panafieu. Il n'y a d'ailleurs pas de fatalité à subir des flux migratoires incontrôlés.

La politique que vous avez menée depuis 2002, monsieur le ministre,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il n’est pas là !

Mme Françoise de Panafieu. …le prouve et elle tranche singulièrement avec celle de vos prédécesseurs. Elle tranche également avec les vagues promesses émises ici ou là par l'opposition.

Permettez-moi de dire un mot sur la régularisation des « sans papiers », une erreur déjà commise à deux reprises ! Cela provoque un appel d'air, sans pour autant donner à celles et ceux qui en bénéficient de bonnes conditions de subsistance sur notre territoire national.

M. René Dosière. Vous avez fabriqué des sans- papiers.

Mme Françoise de Panafieu. Nous ne saurions trop rappeler que devenir Français doit être un engagement fort, une promesse de respecter les valeurs qui fondent notre histoire. Acquérir la nationalité est un acte majeur politique et affectif.

Vous recommandez, monsieur le ministre, que des cérémonies soient organisées pour saluer ces nouveaux Français. J’en parle en toute connaissance de cause. J’ai été le premier élu national à organiser, comme maire de mon arrondissement, ces cérémonies, depuis maintenant quatre ans. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous accueillons les nouveaux Français dans notre mairie, devant la police en grande tenue, devant les magistrats du tribunal d’instance et les avocats en grande tenue également, devant tous les présidents d’association.

M. René Dosière. Et les curés en soutane !

Mme Françoise de Panafieu. Je ne saurais trop inviter les uns et les autres à organiser les mêmes manifestations. Elles représentent l’avantage de saluer officiellement ces nouveaux Français, de leur rappeler la chance que nous avons d’habiter dans un pays libre, évolué, qui donne des droits et aussi des devoirs à ses citoyens, un pays de grande culture, un pays enfin qui, par la citoyenneté française, confère également la citoyenneté européenne. De tels avantages ne sont pas minces.

Acquérir la nationalité est un acte majeur, politique et affectif.

Mais surtout, nous devons être en mesure d'accueillir et d'intégrer les étrangers qui arrivent sur notre territoire national dans des conditions dignes et humaines. C'est d'ailleurs tout le sens qu'il convient de donner à ce projet de loi.

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas une explication de vote, mais une intervention de discussion générale !

Mme Françoise de Panafieu. J'ai encore, comme vous, en mémoire – cela a été rappelé par le ministre de l’intérieur – les images de ces incendies meurtriers qui ont eu lieu l'été dernier, à Paris, au cœur même de notre capitale, qui a pourtant une forte tradition d’accueil, d’ouverture et de tolérance.

Quelle image donnons-nous de notre pays ? Celle d'un territoire, d'une nation qui n'est plus en mesure d'intégrer dans des conditions décentes celles et ceux qui viennent, parce que nous avons trop cédé par le passé à la tyrannie des bons sentiments.

Notre groupe le dit clairement : la diversité est une chance pour notre pays à condition que nous soyons en mesure de la faire accepter grâce à des conditions de séjour qui garantissent un épanouissement de la personne humaine.

Contrairement à ceux qui prônent l’immigration zéro, ce qui est d’une démagogie folle, contrairement aussi à ceux qui font fi des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens, nous croyons, nous, à une immigration maîtrisée, une immigration choisie, gage d’une intégration réussie et d’une diversité enrichissante.

Au nom de cette conviction profonde, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir repousser cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Rudy Salles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois encore nous allons débattre d'un projet de loi sur l'immigration. Pour les uns, il s'agit d'un texte qui va permettre de régler tous les problèmes. Pour les autres, il s'agit d'un projet de loi inacceptable.

Pour ma part, vous me voyez navré de voir s'ouvrir ce débat dans un tel contexte, et ce n'est hélas pas la première fois. Voilà un sujet qui, depuis une trentaine d'années, empoisonne le climat politique et oppose les uns aux autres. Pour les uns, il faut ouvrir toutes grandes les portes de notre pays et régulariser à tout-va les clandestins.

M. René Dosière. Qui dit cela ?

M. Rudy Salles. Pour les autres, il faut, afin d’empêcher toute nouvelle immigration, créer une ligne infranchissable, qui se révèle souvent être « une ligne Maginot. »

Pour ma part, je regrette que l’on ne cherche pas à rassembler les Français sur ce sujet. Car l'immigration n'est pas un petit sujet : c'est un défi majeur pour la France et pour l'Europe. C'est un phénomène à dimension mondiale. D'un côté, les pays riches, certes avec leurs difficultés, mais attractifs pour ceux qui ne le sont pas. De l'autre, les pays pauvres, qui cumulent les handicaps : la pauvreté extrême, les pandémies, l'absence de démocratie ou encore la corruption.

Y a-t-il réellement dans notre pays place pour un débat opposant la droite et la gauche sur un sujet aussi grave et qui va dessiner l'avenir du monde ? Je ne le crois pas, et j'en veux pour preuve l'exemple donné par d'autres pays, l'Allemagne notamment, qui essaient dans ce domaine de trouver des solutions consensuelles au lieu de creuser des lignes de fracture dans l'opinion publique. Tel n'est pas le cas chez nous, et je le déplore car nous connaissons les faiblesses de notre système.

Une politique d'immigration a besoin de clarté et de long terme. Or, en France, la politique d'immigration est remise en question à chaque alternance. De ce fait, la position de notre pays se trouve fragilisée. De plus, l’échelon national ne semble pas le bon niveau pour régler ces questions. Face aux pays pauvres, il faut une action qui se situe au moins à l'échelle de l'Europe. Je regrette donc que nous continuions à envisager cette question comme si elle était seulement franco- française.

En matière d'intégration, chacun sait bien que le problème est survenu avec la dégradation de la situation économique et sociale de notre pays depuis une trentaine d'années. La fameuse fracture sociale qui sous-tendait la campagne de Jacques Chirac en 1995 s'est accentuée depuis lors, jusqu'à nous amener à la crise des banlieues du mois de novembre dernier.

Il est heureux que l'on insiste aujourd'hui sur la nécessité de donner une formation renforcée de langue française aux immigrés qui souhaitent s'installer chez nous. Mais il faut le faire également et d'abord à l'école, dans les quartiers sensibles. Les moyens des ZEP ne suffisent pas dans ce domaine, et les enfants qui ne maîtrisent ni notre langue ni nos us et coutumes se retrouvent très vite en situation d'échec. Combien de générations sacrifiées ne peuvent s'intégrer parce que leur formation de base fait défaut !

Il est heureux aussi que l'on donne de la solennité à l'acquisition de la nationalité française. J'avais fait cette proposition, en vain, à Mme Guigou lorsqu'elle était garde des sceaux. Je disais alors que l'entrée dans la société française devait être un moment fort dans la vie d'une femme ou d'un homme et je proposais une cérémonie d'accueil officielle à l'instar du mariage civil. Je fus qualifié d'affreux nationaliste, alors que ma proposition était généreuse !

En revanche, je regrette que l’on parle seulement d'immigration et d'intégration, sans évoquer les questions de la coopération et du développement. On nous propose de régler les conséquences sans traiter les causes. C'est une aventure vouée à l'échec comme l’ont été toutes les politiques de l'immigration depuis trente ans. En effet, le meilleur moyen de dissuader les candidats à l'immigration à quitter leurs pays d'origine, c'est de leur donner les moyens de vivre dans de bonnes conditions chez eux.

M. René Couanau. Oui !

M. Rudy Salles. Il faut encourager l'instauration de régimes démocratiques dans les pays d'origine afin que les citoyens puissent se faire entendre. Il faut lutter contre la corruption et faire en sorte que l'aide internationale arrive à la bonne destination. Il faut engager des efforts gigantesques pour enrayer les pandémies. C'est là un pari énorme sur l'avenir, mais il est moins payant sur les plans médiatique et politique que ladite lutte contre l'immigration : aussi n'est-il pas à l'ordre du jour ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les problèmes d'immigration et d'intégration s’ajoutent aux problèmes que notre pays connaît depuis vingt-cinq ans. Et dans ce domaine, la responsabilité droite-gauche est largement partagée. La société française se délite depuis trop longtemps. Les événements récents viennent encore donner le sentiment que notre pays ne marche plus sur ses deux pieds. Les Français de souche, eux-mêmes, doutent. Dans un tel contexte, la mission d'accueil et d'intégration devient pratiquement une mission impossible. Mais ce n'est pas l'immigration qui en est la cause : elle n'est que le miroir grossissant des carences de notre société.

Au terme de cette explication de vote sur l'exception d'irrecevabilité, j'en reviens au début de mon propos : il faut à tout prix ouvrir le débat droite-gauche pour que chacun puisse étaler ses fondamentaux idéologiques. Mais ce n'est pas d'idéologie dont ce débat a besoin, mais de pragmatisme, de réalisme, d'humanisme et d'efficacité. Nous allons, une fois encore, passer à côté de ces valeurs en privilégiant un débat de politique politicienne. (Exclamations plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Alors, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe UDF ne cherchera pas à adopter une posture d'opposant (Exclamations plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), ni à jouer un rôle de béni-oui-oui, de complaisance. (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous aurons une attitude constructive (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et nous déposerons une série d'amendements allant dans le sens de propositions justes et équilibrées. C'est pourquoi, nous commencerons par nous opposer à cette exception d'irrecevabilité…

M. Claude Goasguen. Ah !

M. Rudy Salles. …dont le but est de dresser une frontière entre la droite et la gauche pour empêcher tout dialogue positif. C'est là une posture bien connue dans cet hémicycle,…

M. Claude Goasguen. Surtout chez les centristes !

M. Rudy Salles. …dont les Français sont lassés et que, par notre vote, nous voulons condamner. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Nicolas Perruchot. Excellent !

M. le président. La parole est M. Jérôme Lambert, pour le groupe socialiste.

M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la semaine dernière en commission des lois, je tiens à rappeler que je fais partie des nombreux Français, et d’un certain nombre de collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier avec une personne d’origine étrangère, puisque j’ai épousé une Algérienne. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n’est pas une MST !

M. le président. Je vous en prie !

Mme Nadine Morano. Nous sommes tous d’origine étrangère !

M. Jérôme Lambert. C’est dire que je connais bien les problèmes de l’immigration pour y être confronté depuis une quinzaine d’années dans ma vie familiale au contact de ma belle-famille et des amis de ma femme. Lorsqu’un un texte sur l’immigration vient en discussion à l’Assemblée nationale, permettez-moi d’y attacher une attention toute particulière, avec une vision qui m’est propre et qui est le fruit d’une expérience concrète et quotidienne…

Mme Sylvia Bassot. On se fiche de votre vie personnelle !

M. Jérôme Lambert. …des difficultés que rencontrent les personnes d’origine étrangère que je connais très bien.

Mme Sylvia Bassot. Ridicule !

M. Jérôme Lambert. Par ailleurs, j’ai été le président du groupe d’amitié France-Algérie, présidé maintenant par Bernard Derosier et dont je suis désormais le vice-président.

Mme Nadine Morano. Et moi, je suis la vice-présidente du groupe d’amitié avec le Tchad !

M. Jérôme Lambert. C’est dire que je continue à m’occuper au quotidien de problèmes généraux concernant l’immigration. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez beau vociférer, chers collègues de la majorité, mais je ne vois dans ce projet de loi aucun véritable progrès pour l’intégration de nos compatriotes, allais-je dire, car en fait ils partagent la même patrie que nous puisqu’ils y vivent. Je n’y décèle donc aucun progrès pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origines étrangères qui vivent parmi nous. À l’évidence, et notre collègue Bernard Roman l’a démontré, ce texte créera de nombreux problèmes en prétendant apporter des solutions.

Personne au sein du parti socialiste, mes chers collègues, ne dit qu’il faut régulariser par principe tous les clandestins !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Si : Fabius !

M. Jérôme Lambert. Non, vous avez mal compris !

M. Bruno Gilles. C’est votre débat interne !

M. Jérôme Lambert. Nous pensons que la régularisation peut être nécessaire pour régler des problèmes insurmontables. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Maryse Joissains-Masini. Ben voyons !

M. Jérôme Lambert. J’ai été surpris de découvrir en commission des lois que certains députés de la majorité ignoraient qu’il existe en France des dizaines de milliers de personnes en situation irrégulière et que l’on ne peut ni expulser ni régulariser. C’est une réalité qu’il faut prendre en compte en régularisant ces personnes.

Rudy Salles vient de nous dire qu’une approche européenne de ces questions est nécessaire : je suis d’accord avec lui. En revanche, je ne suis pas d’accord avec le ministre de l’intérieur quand il dit que, comme la Commission européenne nous demande de régler ces problèmes, nous devons, par principe, obéir à la Commission européenne. C’est en fonction de nos règles républicaines – dont je ne rappellerai pas les grands principes que nous partageons tous – que nous devons agir et élaborer des règles en France. Il ne s’agit pas d’obéir à une injonction de la Commission européenne.

Pour ma part, je ne vois pas, dans ce texte, de nouvelles et bonnes idées. Il ne comporte que de vieilles idées, contraires à certains de nos principes républicains d’intégration, notamment en ce qui concerne les conjoints. Figurez-vous, chers collègues, que si ces règles avaient été en application il y a quelques années, je n’aurais pas pu épouser ma femme. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est une réalité concrète que je vous livre !

Mme Sylvia Bassot. Qu’est-ce que cela peut bien nous faire !

M. le président. Je vous en prie, chers collègues.

M. Jérôme Lambert. Ce projet de loi est également contraire au principe d’égalité, car ce sont des critères subjectifs qui sont retenus. Cela n’est pas fraternel.

Je crains que, loin de convaincre l’extrême droite, vous ne légitimiez une fois de plus ses thèses et ne concouriez au développement de son influence dans la population française. J’en appelle donc à plus de raison de votre part et je vous invite à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Muguette Jacquaint. Alors que les décrets de la loi de 2003 ne sont pas encore parus, vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, un nouveau texte sur l’immigration ! Faut-il, qu’à un an des élections présidentielles,…

M. Jean-Marc Roubaud. Il faudrait attendre et ne plus rien faire ?

Mme Muguette Jacquaint. …on agite à nouveau la peur ?

M. Jean-Marc Roubaud. On n’agite rien du tout !

Mme Muguette Jacquaint. J’ai entendu le ministre de l’intérieur parler de délinquance, des mouvements qui ont eu lieu dans les banlieues. Qu’on le veuille ou non, c’est suggérer que les immigrés en sont responsables comme ils seraient responsables du chômage.

M. Philippe Vitel. Mais non !

Mme Muguette Jacquaint. C’est pourtant ce qui a été dit !

La précarité, les difficultés sociales, ce serait encore la faute des immigrés. Faut-il rappeler que des milliers, voire des millions, de familles vivent mal et connaissent des difficultés ? Or voilà que M. Balkany a osé prétendre qu’il n’y a pas de pauvreté dans notre pays. Mais où vit-il ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. À Levallois !

Mme Muguette Jacquaint. Le chômage, les difficultés sociales, la précarité sont le résultat de votre politique libérale, en France comme en Europe ! Ce n’est pas la faute des immigrés qui ne servent que de bouc émissaire.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Le grand capital aussi !

Mme Muguette Jacquaint. Pendant que l’on s’en prend à eux, vous pouvez poursuivre votre politique. C’est si vrai, que les Français ne s’y trompent plus : rappelons le mouvement contre le CPE, il y a quelques semaines, qui a mis des millions de jeunes, de femmes, d’hommes, français ou immigrés dans la rue.

M. Philippe Vitel. Ils étaient peu nombreux hier pour les défilés du 1er mai !

Mme Muguette Jacquaint. Cette mobilisation a montré que quelque chose qui doit changer dans ce pays…

M. Philippe Vitel. C’est pour cette raison que nous faisons une loi !

Mme Muguette Jacquaint. …pour en finir avec cette politique libérale qui sacrifie l’être humain.

M. Guy Geoffroy. Et Staline !

Mme Muguette Jacquaint. Vous parlez beaucoup « d’humanisation », mais nous y reviendrons au cours de la discussion.

Votre texte, monsieur le ministre, aggravera la précarité, le chômage et la clandestinité et, surtout, il ne respecte pas les droits humains. Il ne faut pas le voter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Roman au nom du groupe socialiste.

M. Bernard Derosier. Brillamment défendue par M. Roman !

M. le président. Il n’y a pas de demande de scrutin public.

Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique :

Discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2986, relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3058, de M. Thierry Mariani au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures.)