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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du vendredi 5 mai 2006

210e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Immigration et intégration

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence,
d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration (nos 2986, 3058).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Ce matin, l’Assemblée a entendu les orateurs inscrits sur l’article 24.

Article 24 (suite)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 165, 284 et 567, visant à supprimer l’article 24.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 165.

M. Noël Mamère. L’article 24 est l’un des plus importants de ce projet de loi. Il est emblématique de l’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte, à savoir refuser et précariser les étrangers sur notre territoire, en faire des indésirables et – pourquoi ne pas le dire ? – des boucs émissaires dans une société malade, victime de l’angoisse sociale. Pour éviter d’avoir à se justifier sur ses manquements politiques et ses impérities, le Gouvernement prend encore une fois l’immigré pour cible à la veille d’une élection décisive. Nous avons connu cela avant les élections de 2002 et nous savons à quoi cela nous a conduits le 21 avril. Aujourd’hui, une très importante partie de la majorité, conduite par le ministre de l’intérieur, braconne impunément sur les terres de l’extrême droite en nous proposant ce projet de loi bricolé, préparé à la va-vite pour répondre à un souci électoraliste, alors même que tous les décrets d’application de la loi de 2003 ne sont pas promulgués.

L’article 24 remet en cause un principe ancien fixé depuis 1974 : la régularisation automatique des étrangers au bout de dix ans de présence sur notre territoire. Cette remise en cause est grave du point de vue des droits universels et des droits fondamentaux. Elle est grave au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai !

M. Noël Mamère. L’article 24 remet en cause un principe universel reconnu par toutes les conventions internationales : le droit à une vie privée et familiale. En rompant avec le principe du regroupement familial, vous allez créer une immigration jetable, au seul service de l’employeur, et vous remettez en cause notre pacte démocratique et social.

Loin de sécuriser la société française, vous instillez une insécurité et une précarité générales. Nous demandons donc la suppression pure et simple de cet article. Cela serait non pas une concession de votre part, mais un retour à la raison après vous être laissés enivrer par des perspectives électorales qui vous font perdre la tête.

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman, pour soutenir l’amendement n° 284.

M. Bernard Roman. Notre assemblée mérite des rapports parlementaires sincères. Or, le vôtre, monsieur le rapporteur, ne l’est pas. Nous l’avons déjà dit hier, les chiffres de l’immigration, connus ou supposés par les ministres de l’intérieur successifs de différentes couleurs politiques, ne justifient pas qu’on légifère aujourd’hui. En outre, nous ne travaillons pas dans de bonnes conditions lorsque le constat sur lequel on s’appuie pour justifier certaines mesures est erroné et que l’on met en avant des raisons fausses, voire fallacieuses. Je serai très concret.

Pourquoi vous attaquez-vous, dans cet article 24, aux conditions d’attribution des cartes « vie privée et familiale » ? Parce que, écrivez-vous, monsieur le rapporteur, tableau à l’appui, page 136 de votre rapport, « on observe une augmentation rapide du nombre de cartes de séjour temporaire délivrées en raison des liens personnels et familiaux, révélatrice d’une interprétation extensive de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et du principe constitutionnel du droit de mener une vie familiale normale ». (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La faute serait donc une interprétation laxiste des juges, semble-t-il. Mais ce que vous ne dites pas, monsieur le rapporteur, en avançant l’explosion des chiffres depuis 2002, c’est que cette évolution est de votre fait : elle résulte de la loi de 2003 !

En effet, avant 2003, les étrangers qui arrivaient en France au titre du regroupement familial obtenaient de plein droit le même titre que la personne qui les avait fait venir. Sur 17 000 personnes entrées en France au titre du regroupement familial en 2002, 13 647 ont ainsi reçu la carte de résident de plein droit parce que l’étranger qu’elles venaient rejoindre en était titulaire.

En revanche, depuis la réforme de 2003, que vous avez initiée, les membres de la famille entrés régulièrement sur le territoire français dans le cadre du regroupement familial n’obtiennent plus qu’une carte de séjour temporaire ! Comment pouvez-vous donc affirmer que si le nombre de CST augmente c’est en raison du laxisme des juges et d’une interprétation extensive de la Convention européenne des droits de l’homme ?

Quand on compare les chiffres du regroupement familial et ceux des cartes de séjour temporaire, on constate même que le nombre d’étrangers bénéficiant de cette carte est stable, voire en légère diminution depuis 2003. Dès lors, toute l’argumentation qui vous conduit aujourd’hui à nous proposer une modification de la loi tombe. Il y a transfert d’une catégorie à l’autre et vous ne pouvez prétendre que le nombre des CST explose. J’ajoute que le nombre de personnes arrivant en France au titre du regroupement familial est lui aussi en légère baisse.

On se demande donc vraiment pourquoi vous nous faites cette proposition, sinon pour vous livrer à un pur affichage politique dans le seul but de justifier une politique d’immigration restrictive précarisant les immigrés et empêchant le regroupement familial. Ce dispositif est au cœur des restrictions qui sont apportées à la politique d’immigration par le Gouvernement. Nous ne pouvons pas accepter que vous cherchiez à nous tromper en avançant des chiffres qui sont manipulés.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 567.

M. Patrick Braouezec. Je partage l’avis de Noël Mamère et de Bernard Roman sur cet article.

Au reste, je regrette l’absence persistante du ministre de l’intérieur au banc du Gouvernement.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il était là ce matin !

M. Patrick Braouezec. Il est resté en séance trois minutes, monsieur le rapporteur. Soit dit sans polémique, nous discutons un projet de loi qu’il considère lui-même comme important et, depuis trois jours, il n’a pratiquement pas été présent. Des gens qui assistent à nos débats m’en ont fait la remarque. Ils ne comprennent pas l’attitude du ministre de l’intérieur, qui n’est venu dans l’hémicycle que pour répondre aux questions posées lors de la discussion générale, alors qu’il n’y a pas participé.

M. Yves Jego. Un seul être vous manque…

M. Christian Vanneste. …et tout est dépeuplé !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il a d’autres contraintes !

M. Charles Cova. Monsieur Braouezec, vous n’êtes pas chargé de son agenda, que je sache !

M. Patrick Braouezec. C’est lui qui a mis cette loi en débat dans l’hémicycle. Il en est donc responsable devant l’ensemble des Français.

M. Yves Jego. Nous sommes heureux qu’il vous manque à ce point !

M. Patrick Braouezec. Cela dit, loin de moi l’idée de sous-estimer le rôle des ministres qui le remplacent et dont nous apprécions la qualité d’écoute.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Patrick Braouezec. Je préfère bien souvent les réponses de M. Estrosi à celle du ministre de l’intérieur.

M. Yves Jego. Alors, ne soyez pas masochiste !

M. Patrick Braouezec. Celui-ci a une fâcheuse tendance à vouloir régler des comptes dans l’hémicycle.

M. Claude Goasguen. Disons plutôt : à s’occuper de vous !

M. Bernard Roman. Taisez-vous, monsieur Goasguen, vous allez énerver Julien Dray !

M. Patrick Braouezec. Quoi qu’il en soit, l’attitude du ministre de l’intérieur ne témoigne pas d’un grand respect pour le travail de l’Assemblée nationale. En tout et pour tout, il n’a été présent parmi nous que sept minutes. Il était bon de le rappeler.

M. Charles Cova. Il était là ce matin !

M. Patrick Braouezec. Ne dites pas cela : il est resté quatre ou cinq minutes ! Je tenais à le remarquer, car je respecte toujours l’avis du public qui assiste au débat et je le partage souvent.

Revenons-en à l’article 24, qui est au cœur du projet de loi. Je l’ai dit en fin de la matinée : puisque la majorité se targue d’avoir réalisé un projet de loi qui n’est pas dirigé contre les étrangers ou les émigrés…

M. Christian Vanneste. En effet !

M. Patrick Braouezec. …et qui prend en compte un certain nombre de situations, elle devrait, si du moins elle est un tant soit peu sincère, accepter de retirer cet article.

Je ne comprends pas ce qui a pu faire changer l’avis du ministre de l’intérieur sur le regroupement familial en moins de quatre ans – de trois ans même, si l’on songe à la loi qu’il avait fait voter en 2003.

M. Claude Goasguen. L’article 24 parle de la vie privée, pas du regroupement familial !

M. Patrick Braouezec. Quand j’ai défendu à cette tribune la motion de renvoi en commission, j’ai cité son ouvrage Libre, publié en 2001.

M. Yves Jego. Bonne lecture !

M. Patrick Braouezec. Par certains aspects, oui ; mais pas sur tous les sujets ! Il y écrivait qu’on ne pouvait pas considérer l’intégration des étrangers sans regroupement familial, parce qu’on ne pouvait pas envisager qu’un étranger vive sans sa famille sur le sol français.

M. Yves Jego. Rien n’a changé.

M. Patrick Braouezec. Je me demande donc ce qui a pu bouleverser l’opinion du ministre de l’intérieur entre 2001, voire 2003, et aujourd’hui.

M. Claude Goasguen. Le regroupement familial n’a pas été supprimé !

M. Patrick Braouezec. Nous dénonçons l’orientation du projet de loi, qui propose le passage d’une immigration de vie privée ou familiale, dont le principe était inscrit dans les textes depuis 1974, où l’on considérait que, pour que les gens puissent s’intégrer durablement dans notre pays, il était nécessaire qu’ils puissent y vivre avec leur famille, à une immigration de travail choisie non dans l’intérêt des gens ni celui du pays, mais dans notre seul intérêt.

M. Claude Goasguen. C’est-à-dire celui du pays, puisque nous représentons la majorité !

M. Patrick Braouezec. Le seul que nous reconnaissions, pour notre part, est le véritable intérêt national, celui de la France, et je considère qu’il y a une marge entre les intérêts que vous prétendez être ceux de la France et les intérêts véritables du peuple français.

Je voudrais que l’on m’explique ce qui a changé entre 2003 et aujourd’hui pour bouleverser la conception du regroupement familial et du droit à vivre en famille.

M. Claude Goasguen. Ce qui est dans le projet de loi figurait déjà dans la loi Pasqua !

M. Patrick Braouezec. Je lance un appel à toute la majorité. Je sais qu’elle est divisée sur cette question. Étienne Pinte l’a reconnu avant la levée de séance. Christine Boutin l’a montré elle aussi en déposant un amendement qu’elle viendra sûrement défendre, sans quoi je le reprendrai.

M. Jérôme Rivière. Mme Boutin a fait une plus large proposition.

M. Patrick Braouezec. Jean-Christophe Lagarde a rappelé à son tour son attachement au principe de la régularisation des étrangers qui sont sur le territoire depuis dix ans.

M. Claude Goasguen. Vous mélangez tout !

M. Patrick Braouezec. Chers collègues de la majorité, faites un effort ! D’ailleurs, à mon sens, ce ne doit pas être un effort, mais seulement un acte de justice. Reconnaissez que vous vous êtes trompés dans le projet de loi sur la question des sans-papiers présents depuis dix ans.

M. Patrick Balkany. Non, nous ne nous sommes pas trompés !

M. Patrick Braouezec. À partir du moment où quelqu’un est chez nous depuis plus de dix ans, respecte les lois de la République et n’est pas polygame, on peut oublier, comme le prévoyait la loi de 2003, le fait qu’il n’a pas toujours été dans la légalité. Préservez au moins l’engagement de 2003 ! Tout le monde en sortirait grandi et cette décision mettrait fin au désespoir dans lequel beaucoup de gens tombent aujourd’hui.

M. Lagarde a annoncé qu’il y aurait de nouveaux « Saint-Bernard ». L’un d’eux a commencé hier. Étienne Pinte a rappelé ce matin comment il avait vécu l’occupation d’une église située dans sa circonscription, à Versailles. Personnellement, j’ai assisté à l’occupation de la basilique de Saint-Denis et constaté la détresse des sans-papiers, dont on a essayé de régler la situation au cas par cas.

Les 3 000 personnes qu’a évoquées Étienne Pinte représentent une goutte d’eau par rapport aux 200 à 400 000 sans-papiers qui sont sur le territoire. Qu’est-ce qui nous empêche de régler au moins leur situation et de les faire sortir de la précarité ?

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’existence de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », prévue à l’article L. 313-11 du CESEDA, se justifie par la nécessité d’offrir pour des raisons humanitaires un titre de séjour adapté aux personnes qui ont vocation à s’installer en France en raison de l’intensité des liens personnels et familiaux qu’elles ont noués avec la France. Il s’agit notamment de permettre la mise en œuvre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment du droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale.

Ce principe n’est absolument pas remis en cause. Cependant, au fil des évolutions législatives, l’article L. 313-11 s’est éloigné de son objectif. Il est devenu aujourd’hui de moins en moins cohérent. L’article 24 du projet de loi vise donc à subordonner l’attribution de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à des critères réellement liés au respect de ces notions, de manière à mettre fin aux abus.

Pour cette raison, j’émets au nom de la commission un avis négatif sur les amendements nos 165, 284 et 567.

M. Roman a cité le rapport que j’ai rédigé au nom de la commission des lois. Je vous renvoie à la page 136, où figurent des chiffres qui peuvent être rappelés à nos collègues. En 1997, neuf cartes avaient été attribuées, mais je conviens que cette année n’est pas très représentative. Considérons plutôt l’année 1998.

M. René Dosière. Oui, quand même !

M. Thierry Mariani, rapporteur. En 1998, 2 838 cartes avaient été attribuées à ce titre, contre 13 114 en 2005, chiffre qui ne prend pas en compte le regroupement familial.

M. René Dosière. Oui, mais entre 1999 et 2002, le chiffre est resté constant.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Contrairement au regroupement familial, dont les conditions ont été décidées par le législateur, les critères de l’attribution de la CST en raison des liens personnels et familiaux ne sont pas à ce jour précisés dans la loi, mais définis au cas par cas par la jurisprudence. Certains tribunaux administratifs ont par exemple admis de la délivrer à des personnes qui relevaient du regroupement familial mais ne satisfaisaient pas aux conditions de ressources et de logement.

Je juge donc normal, dès lors que l’on redéfinit certains critères, de redonner la main aux parlementaires pour préciser les conditions d’attribution de la carte. Je rappelle que ses titulaires, qui étaient 2 000 à l’origine, sont six fois plus nombreux aujourd’hui. C’est mathématique.

M. Julien Dray. Ce chiffre ne veut rien dire.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je crois qu’il était bon de le répéter. L’article 24, actuellement en discussion, comporte beaucoup d’alinéas. En l’espèce, le regroupement familial n’est absolument pas remis en cause ; mais, quand un chiffre est multiplié par six, il y a tout de même de quoi se poser des questions. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. René Dosière. Non ! Le chiffre ne s’est pas multiplié par six !

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est pour cela que nous proposons de revoir les critères d’attribution et que je vous demande, au nom de la commission, de repousser les trois amendements de suppression de nos collègues.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire, pour donner l’avis du Gouvernement sur ces amendements.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Après les interventions qui ont été faites sur l’article en fin de matinée et la défense des trois amendements de suppression par les représentants des groupes communiste, socialiste et vert, je vais essayer de répondre de la manière la plus détaillée possible, car certaines remarques me paraissent infondées.

Au préalable, je note que, depuis le début de la discussion, M. Braouezec et M. Dray regrettent à tour de rôle l’absence du ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Patrick Braouezec. N’est-ce pas légitime ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous savez qu’il a été régulièrement présent parmi nous. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il était encore ici ce matin.

M. Julien Dray. Juste avant d’aller voir Chirac : c’était le moment !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il a tenu à répondre lui-même aux orateurs qui sont intervenus pendant la discussion générale. Il vous a d’ailleurs répondu, monsieur Dray, et, de l’avis général, vous êtes resté sur le moment béat et quasiment muet d’admiration.

M. Julien Dray. C’est un Méditerranéen qui parle ! Je n’ai pas besoin d’un maître d’école, j’ai passé l’âge.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Paradoxalement, vous regrettez son absence mais, dès qu’il est là et qu’il s’adresse directement à vous, vous restez si stupéfait que vous n’avez plus rien à dire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. C’est faux !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il n’y a que la vérité qui blesse !

M. Noël Mamère. M. Sarkozy passe en touriste à l’Assemblée.

M. Julien Dray. …qu’il considère comme la Promenade des Anglais !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mes propos n’ont pas cet effet magique. Mais, comme je l’ai rappelé ce matin en ouvrant ce débat, j’ai le sentiment, en tout état de cause, que nous n’avons cessé d’avoir un débat constructif.

M. Bernard Roman. Pas longtemps !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. J’ai d’ailleurs salué les propositions de M. Mamère et de M. Braouezec. Pour le groupe socialiste,…

M. Jérôme Rivière. Il n’en a aucune !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …il faut reconnaître qu’il est resté beaucoup plus modeste, sinon plus pauvre, puisqu’il s’en tient à de simples amendements de suppression comme ceux qui sont en actuellement discussion.

Ce matin, tandis que le ministre d’État était parmi nous, mon collègue Brice Hortefeux et moi-même avons été très sensibles au fait qu’il nous délègue entièrement sa confiance, tout en étant présent afin de continuer à défendre ce texte dont il assume seul la paternité.

M. Julien Dray. N’en faites pas trop, c’est inutile !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Venons-en au fond, sur lequel je ne reviendrai pas car je considérerai que le Gouvernement a expliqué sa position sur l’article 24.

M. Julien Dray. C’est ce que l’on appelle un débat constructif !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous abordons, avec cet article, un dispositif central du projet de loi.

M. Julien Dray. Ça, c’est vrai !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. J’en veux pour preuve que trente-sept amendements, émanant de tous les groupes, ont été déposés. La réforme que propose le Gouvernement est guidée par les deux exigences qui sont les nôtres depuis le début de notre discussion : nous entendons remettre de l’ordre dans un dispositif qui n’est pas suffisamment maîtrisé, tout en respectant la justice envers les plus faibles. Fermeté et justice, tels sont nos deux impératifs.

Nous voulons tout d’abord remettre de l’ordre.

M. Julien Dray. Au Gouvernement, ce serait utile !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cette exigence de fermeté implique trois modifications fondamentales.

La première est la suppression – que le Gouvernement assume évidemment pleinement – de la régularisation automatique des étrangers en situation irrégulière présents depuis dix ans sur notre territoire.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cette disposition avait été introduite…

M. Julien Dray. Par M. Debré !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. … par la loi Debré de 1997, en effet. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Rappelez-nous pourquoi, et dans quelles circonstances !

M. Noël Mamère. C’était après l’évacuation de l’église Saint-Bernard !

M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser le ministre s’exprimer.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cette loi fixait une condition de durée de séjour de quinze ans, durée qui a été ramenée à dix ans par la loi Chevènement de 1998.

M. Julien Dray. Nous allons prendre le temps d’en discuter !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Dray, j’ai écouté attentivement les interventions de MM. Roman, Mamère et Braouezec, et je vous conseille d’écouter mes arguments si vous souhaitez me répondre.

Cette mesure est inopportune, car elle revient à donner une véritable prime à la clandestinité. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. René Dosière. Arrêtez !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. J’entends bien que le nombre de cartes de séjour délivrées à ce titre, qui est de l’ordre de 3 000 par an, n’est pas très élevé,...

M. Noël Mamère. Nous ne vous le faisons pas dire !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …mais cela ne signifie pas pour autant que la disposition soit opportune.

M. Julien Dray. Pourquoi l’avez-vous votée alors ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je parle de la loi Chevènement.

M. Julien Dray. Cette mesure figurait dans la deuxième loi Debré !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Quel étrange signal enverrions-nous aux candidats à l’immigration illégale si, au moment où nous réformons la politique d’immigration, nous maintenions une disposition promettant de régulariser automatiquement ceux qui réussiront à se maintenir dans la clandestinité ? Ce serait absurde, et nous n’en voulons pas ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Balkany. Eh oui ! C’est le bon sens !

M. Patrick Braouezec. Ce sont les ultras de la majorité qui vous applaudissent, pas M. Pinte !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Deuxième remise en ordre : la délivrance au conjoint de Français d’une carte de séjour « vie privée et vie familiale » sera désormais subordonnée à un visa de long séjour, dans les conditions que vous avez définies à l’article 2 du projet de loi, en votant – avec l’avis favorable du Gouvernement – un amendement qui précise que le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public. Je rappelle que, de 27 000 en 2000, le nombre des cartes délivrées à ce titre est passé à 40 000 en 2004.

Troisième remise en ordre : la réforme des cartes de séjour délivrées sur le fondement du 7° de l’article L. 313-11 à des étrangers en situation irrégulière qui ont, en France, des liens familiaux et privés tels qu’ils ne pourraient pas être reconduits à la frontière. Cette carte a vu le nombre de ses bénéficiaires augmenter considérablement, puisque plus de 13 000 ont été délivrées à ce titre en 2004, soit deux fois plus qu’en 2000. C’est donc devenu une voie détournée du regroupement familial. Je le dis tout net : il n’est pas possible de la supprimer totalement, car c’est une exigence qui résulte de nos engagements européens et il n’est évidemment pas question pour le Gouvernement de ne pas respecter l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais il faut mieux l’encadrer, par une rédaction pesée au trébuchet. Avec l’avis favorable – à la virgule près – de l’assemblée générale du Conseil d’État, nous précisons les éléments à prendre en compte par les préfets pour apprécier l’intensité de la vie privée familiale en France,…

M. Noël Mamère. Cela reste arbitraire !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et donc pour décider la régularisation. Il faudra avoir des liens personnels et familiaux intenses,…

M. Patrick Braouezec. Intenses ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …anciens et stables en France, faire état de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, faire état de ses conditions d’existence et, enfin, être inséré dans notre société.

Notre deuxième exigence – qui devrait vous satisfaire –, c’est la justice à l’endroit des plus faibles.

M. Patrick Braouezec. L’injustice plutôt !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous créons en effet un cas de délivrance de titre de séjour pour vie privée et familiale à l’intention des étrangers qui sont entrés en France alors qu’ils étaient mineurs isolés et qu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance.

M. Julien Dray. Nous y reviendrons !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Par ailleurs – et je souhaite insister sur ce point, en rappelant solennellement ce qu’a indiqué le ministre d’État –, le Gouvernement n’entend aucunement remettre en cause les conditions de séjour en France des étrangers gravement malades. La loi actuelle est, sur ce point, très équilibrée. J’aurai d’ailleurs l’occasion de le montrer lorsque, en réponse à M. Rivière, j’exposerai le plan d’action que nous mettons en œuvre à législation constante.

Je veux, pour conclure, insister sur un élément fondamental. Ce que nous proposons, monsieur Roman, ne consiste évidemment pas à supprimer toute possibilité de régularisation, c’est-à-dire l’attribution d’une carte de séjour à un étranger qui en est jusqu’alors dépourvu. Nous maintenons cette soupape, mais nous sommes déterminés à mieux l’encadrer pour éviter les effets d’appel d’air et les détournements. La création, par circulaire, d’une commission nationale composée à parité de représentants de l’administration et du monde associatif…

M. Bernard Roman. Et d’élus !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. En effet, monsieur Roman. Nous avions d’ailleurs indiqué, en accord avec le rapporteur, que nous consulterions la commission des lois de l’Assemblée nationale pour qu’elle nous fasse des propositions concernant la composition de cette commission. La création de cette commission, disais-je, contribuera de manière importante à harmoniser les pratiques préfectorales et à tenir compte d’un certain nombre de situations humanitaires.

J’ajoute que cette réforme s’accompagne d’un vigoureux effort d’aide au retour volontaire. Celle-ci se limitait jusqu’alors à un pécule de 150 euros par personne. À ceux qui, ce matin, nous ont dit que nous préparions de nouveaux « Saint-Bernard » en ne laissant aucun espoir à des personnes qui ne seront jamais régularisables, je réponds que nous traitons la question en tenant compte de la dimension sociale et humaine de leur situation, avec des mesures beaucoup plus crédibles que celles qui existent actuellement. En effet, l’aide au retour passera de 150 euros par personne à 2 000 euros par personne, 3 500 euros par couple,…

M. Julien Dray. Qui dit mieux ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …1 000 euros par enfant mineur jusqu’au troisième, puis 500 euros par enfant. Les crédits budgétaires prévus concerneront 5 000 personnes en 2006.

Conciliant fermeté et justice, l’article 24 répond clairement à un certain nombre d’inquiétudes. Il y a, d’un côté, ceux qui disent : « Régularisation ! Régularisation ! » et, de l’autre, ceux qui souhaitent que l’on ne confonde pas la République avec un immense Barnum ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. J’indique dès à présent à l’Assemblée que, sur le vote de l'amendement n° 284 – et, par conséquent, des trois amendements de suppression de l’article –, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Nous allons maintenant débattre de l’article 24, notamment de la fameuse disposition relative à la délivrance automatique de la carte de séjour aux personnes présentes en France depuis dix ans.

Il convient de commencer par un historique de cette mesure. En décembre 1996, votre majorité, forte de plus de 450 députés, s’était laissée emporter par une frénésie qui avait conduit quelques-uns – je pense en particulier à Mme Sauvaigo – à des dérapages verbaux dans cet hémicycle, que nul n’a oubliés et qui ont eu les effets électoraux que l’on sait. Vous aviez alors durci l’ensemble des dispositifs relatifs à l’immigration. Vous étiez tellement déterminés et sûrs de votre légitimité que vous aviez brocardé les quelques députés de l’opposition présents en séance. Quelques semaines plus tard, débutait dans le pays une formidable mobilisation en faveur des sans-papiers. Celle-ci dépassait d’ailleurs les clivages politiques traditionnels, puisque le président de la commission des lois d’alors, Pierre Mazeaud, avait lui-même exhorté la majorité – M. Pinte s’en souvient certainement – à un peu plus d’humanité.

Cette formidable mobilisation vous avait obligés à prendre en considération des situations particulières, et notamment à décider de délivrer un titre de séjour aux étrangers présents de manière continue sur notre territoire depuis plus de quinze ans sans avoir enfreint les règles de la République, estimant qu’un tel effort méritait notre générosité. Nous avons ensuite amélioré ce dispositif, en ramenant la condition de durée de résidence à dix ans.

Aujourd’hui, vous revenez, dans l’article 24, sur cet acquis, au motif qu’il donnerait une prime à ceux qui ne respectent pas la loi et qu’il créerait un appel d’air. Comment peut-on croire à un tel argument ? Ce n’est pas rien, dix ans, 3 650 jours, de présence continue sur le territoire ! Croyez-vous vraiment que, dans les pays africains, des millions de gens sont prêts à tenter leur chance en se disant que, s’ils arrivent à vivre dix ans en situation irrégulière, avec tout ce que cela implique, ils obtiendront un titre de séjour ? Mettez-vous à la place de ces personnes qui, tous les matins, se lèvent en se demandant ce qui va leur arriver et qui restent pourtant sur le territoire français parce qu’il leur faut nourrir leur famille !

M. Yves Jego. C’est une prime à la fraude !

M. Patrick Balkany. C’est totalement irresponsable !

M. Julien Dray. Retournez à Levallois, monsieur Balkany ! Ils ont besoin de vous, là-bas. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Julien Dray. Je parle de gens qui souffrent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), qui sont souvent obligés de faire la grève de la faim ! Au reste, tout député de la majorité que vous êtes, vous ne pouvez pas, face à ces drames humanitaires, faire autrement que d’aller voir le préfet pour qu’il leur délivre une carte de séjour. Faut-il qu’ils soient prêts à se suicider pour que vous preniez en compte leur situation ?

M. Patrick Balkany. Allez-y, continuez ! Quand on n’a rien à dire, il faut le dire très fort !

M. Julien Dray. Prenons le cas de Sara Camara. Cet homme vit en France depuis treize ans, où il est employé à la Conciergerie. Il gagne 1 200 euros, sur lesquels il verse 200 euros par mois à sa famille restée au Mali. Un jour, par honnêteté, il reconnaît qu’il est en situation irrégulière. Que décide le préfet ? Licencié ! Expulsé ! Quelles que soient leurs options politiques, l’ensemble de ses collègues se sont mobilisés en sa faveur. Que leur a-t-on répondu ? Qu’il retourne dans son pays !

Je ne peux m’empêcher de penser à une phrase prononcée tout à l’heure par l’ancienne ministre de la culture du Mali, lors d’un débat auquel j’ai participé avec M. Goasguen et Mme Vautrin. « Quand vous faites des lois, nous a-t-elle dit, pensez à l’image de la France, pensez au message que vous délivrez ! » Mais comment voulez-vous que la France rayonne quand ses autorités se conduisent comme elles l’ont fait dans l’affaire que je viens de citer, quand la seule réponse que l’on trouve à faire à un homme présent depuis treize ans sur notre territoire, un homme qui, après avoir payé de sa personne, a l’honnêteté de vouloir régulariser sa situation, consiste à le licencier et à l’expulser ?

M. René Dosière. Eh oui !

M. Julien Dray. Ce n’est pas ça, la République ! Ce n’est pas ça, la France ! Sur cette question-là au moins, ne pourriez-vous pas entendre enfin les arguments de l’opposition ? Ce serait un geste d’intelligence, d’utilité, de bonne foi, de sincérité. Vous vous êtes trompés, et cela peut arriver à tout le monde, mais, au moins, reconnaissez-le ! Je rappelle qu’il ne s’agit que de 3 000 cas, des personnes à qui l’on a rien d’autre à reprocher que leur présence sur notre territoire, car elles n’ont enfreint aucune de nos règles de vie. Si vous êtes des républicains, vous ne pouvez pas les abandonner !

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

M. Patrick Balkany. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président ! J’ai été mis en cause !

M. Julien Dray. Les faits personnels, c’est en fin de séance ! Vous reviendrez ce soir !

M. le président. Monsieur Dray, vous n’avez de leçons à donner ! Mme Hoffman-Rispal a la parole.

M. Patrick Balkany. Monsieur le président, c’est inadmissible ! Je demande la parole pour un rappel au règlement ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Si vous estimez avoir été mis en cause, monsieur Balkany, c’est un fait personnel, et vous pourrez prendre la parole à ce sujet en fin de séance, comme le veut le règlement de notre assemblée.

Pour le moment, la parole est à Mme Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. J’approuve totalement ce que vient de dire M. Dray à propos des drames humains que va entraîner la suppression de la régularisation au bout de dix ans de résidence.

Par ailleurs, je vous ai écoutés attentivement, monsieur le rapporteur et monsieur le ministre, vanter les mérites des critères que retient l’article 24 pour l’attribution de la carte « vie privée et familiale ». Nous essayons, depuis des heures, de vous montrer à quel point l’ensemble de ce texte est marqué par des considérations ridiculement subjectives. Mais, là, nous touchons le fond ! La délivrance de cette carte sera subordonnée à la preuve des liens personnels et familiaux en France, « appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité ». J’aimerais que vous m’expliquiez comment vous allez mesurer l’intensité des relations d’un couple. Allez-vous créer un nouveau corps de fonctionnaires chargé de se rendre dans les chambres à coucher des personnes concernées pour mesurer l’intensité des relations ? Personnellement, je ne sais pas comment on mesure l’intensité des relations.

Je ne sais pas davantage ce qu’est la stabilité d’un couple. Quels critères retiendrez-vous pour décider que tel couple est stable et que tel autre ne l’est pas ? Chacun sait que la vie familiale et privée ne saurait se réduire à des mesures d’intensité et de stabilité. Tout cela est ridicule, mais également inquiétant, car, en s’intéressant à la vie privée des personnes, ces mesures font planer une menace sur nos libertés.

Dans un avis rendu en mai 2003, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s’interrogeait sur la notion d’intégration dans la société française. Selon la CNCDH, cette notion ouvre la porte à tous les arbitraires. Par ailleurs, on ne saurait définir l’intégration comme l’assimilation à un mode de vie défini de manière intangible par les autorités publiques. Comment sera évaluée concrètement l’insertion de l’immigré dans la société française ? Tout cela ne va-t-il pas être le prétexte à la mise en place de nouveaux carcans administratifs insupportables ? J’aimerais tout de même avoir quelques explications sur les critères qui seront retenus.

M. Claude Goasguen. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour un rappel au règlement.

M. Claude Goasguen. Je voudrais rappeler à mes collègues que, dans cet hémicycle, il n’y a pas de député de Levallois, de Saint-Denis ou du 16e arrondissement. (« Mais si ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il n’y a ici que des représentants de la souveraineté nationale. Par conséquent, vous n’avez pas à attribuer des étoiles jaunes à tel ou à tel autre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Pas de ça avec moi !

M. Claude Goasguen. Cessez donc vos invectives et vos attaques personnelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Pas de ça avec moi ! Ne me parlez pas d’étoiles jaunes, sinon ça va mal finir !

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Monsieur le président, ce que nous venons d’entendre n’est pas acceptable. Je demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures.)

M. le président. La séance est reprise.

M. Serge Blisko. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko, pour un rappel au règlement.

M. Serge Blisko. J’aurais aimé ne pas avoir à faire ce rappel au règlement, mais la tournure prise par nos débats dans les quelques minutes qui ont précédé la suspension de séance m’amène à reposer, avec gravité, la question des dérapages verbaux, et notamment de celui de Claude Goasguen.

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est reparti !

M. Serge Blisko. Il a en effet parlé d’« étoile jaune » en répondant à M. Dray.

M. Claude Goasguen. Vous n’allez pas être déçu par ma réponse !

M. Serge Blisko. J’ai assisté hier, monsieur Goasguen, à quatorze heures, à la cérémonie organisée tous les ans dans les écoles par l’Association pour la mémoire des enfants juifs déportés, que vous connaissez bien. Cette cérémonie a lieu dans toutes les écoles de Paris et d’autres villes de France, mais elle est particulièrement importante dans certains arrondissements parisiens. Il s’agit de rappeler, au moyen de stèle, devant des élèves issus de tous les milieux et de toutes les origines, la mémoire de ces enfants qui n’ont pas pu grandir parce qu’ils portaient l’étoile jaune et qu’un jour, on est venu les chercher dans leur collège, leur école ou alors même qu’ils étaient plus jeunes, pour les conduire dans les camps de la mort.

Beaucoup ici savent – je ne citerai personne, ce qui serait stupide, disons que tout le monde le sait – quel fut le passé de notre pays et quelles blessures rappellent aujourd’hui ces termes d’« étoile jaune » à ceux qui ont été témoins, les enfants, les petits-enfants, et les dizaines de milliers de citoyens français, tous les citoyens français, quelles que soient leurs origines, leur région géographique, leur histoire, leur culture.

Monsieur Goasguen, je le dis en toute sincérité, je ne m’attendais à ce que, dans cet hémicycle, et sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, ce genre de formule, extrêmement blessante pour la plupart des députés ici présents, soit utilisé.

M. Claude Goasguen. Monsieur Blisko, il ne faut pas se moquer de moi ! Vous allez vous souvenir de ma réponse !

M. Serge Blisko. Cela va au-delà de nos personnes, de notre histoire et du fait que ma famille, par exemple, a porté l’étoile jaune pendant la guerre. Mais elle a aussi été aidée, sauvée par des Français ordinaires, ceux qu’on appelle aujourd’hui les Justes, modestes et anonymes. Je pense en particulier aux cheminots qui lui ont fait franchir la ligne de démarcation. Le jour où les membres de ma famille sont arrivés en zone libre – et ces termes ont tout leur sens –, ils ont enlevé leur étoile jaune, précisément parce qu’ils étaient libres et protégés. Mon père a fini FFI-FTP, modestement, comme auraient dû le faire, comme ont pu le faire tous ceux qui ont échappé à l’arrestation et à la déportation.

Vous avez utilisé les termes « étoile jaune » – formule en l’occurrence stupide, je ne crains pas de le dire, monsieur Goasguen – à la suite d’un moment d’échauffement. Je souhaite que cela soit oublié. Je demande même que ces mots ne figurent pas dans le procès-verbal…

M. Claude Goasguen. Je demande qu’ils y figurent et que ma réponse soit enregistrée !

M. Serge Blisko. …si vous acceptez de présenter des excuses à l’ensemble de la représentation nationale et des députés qui ont été blessés.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour un rappel au règlement.

M. Claude Goasguen. L’outrance et l’arrogance ont des limites ! C’est vous qui développez la vindicte et c’est vous qui osez accuser ceux que vous avez insultés de l’insulte que vous leur avez portée !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Non !

M. Claude Goasguen. Vous avez insulté notre ami Balkany, fils de déporté, fils de résistant, et vous avez osé m’insulter moi, qui suis dans toutes les manifestations contre l’antisémitisme, où je vous vois rarement d’ailleurs.

M. Serge Blisko. C’est faux ! Vous me mettez en cause !

M. Claude Goasguen. Et c’est moi que vous accusez ! Vous avez du toupet, monsieur Blisko ! Si vous le voulez, nous pouvons faire le récapitulatif de nos participations réciproques aux manifestations contre l’antisémitisme,…

M. Jean-Marie Le Guen. Ce serait passionnant !

M. Claude Goasguen. …contre le racisme et en faveur de l’État d’Israël.

M. Julien Dray. Rien à voir !

M. Claude Goasguen. Je vous prie donc de bien vouloir vous excuser immédiatement des propos infâmes que vous avez tenus à l’égard de celui qui, dans cet hémicycle, participe en permanence, à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Votre propos est scandaleux, honteux, inadmissible !

M. Jean-Marie Le Guen. C’est aussi beau que du Villepin !

M. Claude Goasguen. Je demande que ma réponse figure au procès-verbal. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Serge Blisko. C’est un mauvais débat !

M. Claude Goasguen. Tous ces propos sont incroyables dans la bouche des défenseurs du Hamas ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Julien Dray. Et qui a soutenu tous les dictateurs ?

M. le président. Calmez-vous !

M. Claude Goasguen. Les défenseurs du Hamas et de Yasser Arafat !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Cela n’a rien à voir !

M. Julien Dray. Vous avez un toupet extraordinaire, monsieur Goasguen !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour un rappel au règlement.

M. Noël Mamère. Je pensais que, après l’intervention très digne et très forte de notre collègue Blisko, M. Goasguen serait parvenu à un peu plus de raison…

M. Claude Goasguen. Tout cela est inadmissible ! Scandaleux !

M. Julien Dray. Arrêtez cette comédie, monsieur Goasguen !

M. Noël Mamère. …et qu’il aurait adressé ses excuses à l’ensemble de la représentation nationale, en tout cas à celles et ceux qui, de ce côté de l’hémicycle, siègent au nom du peuple français…

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nous sommes tous les représentants du peuple français !

M. Noël Mamère. …et qui se sont sentis atteints, quelles que soient leurs origines, leur religion et leur culture.

M. Claude Goasguen. Je me suis senti atteint ! Vous m’avez insulté !

M. Patrick Braouezec. Quand ?

M. Noël Mamère. Comment pouvez-vous assumer une telle responsabilité, monsieur Goasguen ?

M. Claude Goasguen. C’est vous qui m’avez attaqué !

M. Noël Mamère. Comment osez-vous maintenir ce que vous avez dit, à savoir parler d’étoile jaune alors que nous savons tous ici à quoi font référence ces termes et que cette infamie appartient à l’ensemble de la collectivité, à l’histoire et que nous sommes tous responsables devant cette barbarie.

M. Claude Goasguen. Je n’ai pas de leçon sur l’antisémitisme à recevoir de vous ! Je n’ai jamais défendu le Hamas et Yasser Arafat, moi !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Cela n’a rien à voir !

M. Noël Mamère. Comment pouvez-vous, à l’occasion d’un débat parlementaire, banaliser cette période noire de notre histoire, cette barbarie ?

M. Claude Goasguen. Vous êtes sur un terrain glissant ! Vous êtes mal tombé avec moi !

M. Noël Mamère. Monsieur Goasguen, ce ne sont pas vos vociférations ou vos vagissements qui nous feront taire.

M. Claude Goasguen. Pas les vôtres non plus !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est lamentable !

M. le président. Monsieur Mamère, veuillez conclure !

M. Noël Mamère. Vos fausses colères ne nous impressionnent pas. Nous attendons de vous des excuses au nom et à la mémoire de celles et ceux qui ont été déportés et assassinés dans les camps de concentration, précisément parce qu’ils portaient une étoile jaune.

M. Claude Goasguen. C’est vous qui nous insultez, et vous voulez en plus qu’on s’excuse ! Vous n’avez pas le droit de m’insulter !

M. Jean-Marie Le Guen. Si, et nous en aurons bientôt le devoir !

M. Charles Cova. Quel triste spectacle nous donnons !

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Braouezec. Il faut ramener un peu de calme et de mesure dans ce débat.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Voilà une parole sage !

M. Patrick Braouezec. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Cela fait treize ans qu’avec M. Goasguen, nous débattons notamment de ce sujet. En 1993, nous étions déjà dans cet hémicycle pour discuter des lois Pasqua. Nous avons ensuite examiné les lois Debré et Chevènement. Nous avons aussi participé ensemble à des débats à la radio, etc.

Avec M. Goasguen, on ne sait jamais s’il est complètement sincère, ou s’il fait un peu de cinéma. En l’occurrence, je pense qu’il est sincère. Mais il faut avoir juste raison. Qu’a dit Julien Dray à Patrick Balkany ? « Retournez à Levallois ! » C’est une belle ville Levallois et ce n’est pas faire injure à quelqu’un que de lui dire de retourner à Levallois. M. Balkany peut d’ailleurs assumer ce qu’est devenu Levallois, au fil des ans. Il en est fier.

M. Patrick Balkany. D’autant que j’ai repris la ville aux communistes ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Braouezec. En tout cas, monsieur Goasguen, vous répondez à cette invitation, peut-être un peu cavalière, mais pas insultante, par une formule qui sous-entendrait qu’on mettrait de ce côté-ci de l’hémicycle des étoiles jaunes à des députés de l’opposition.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. De la majorité !

M. Patrick Braouezec. Alors avouez – je ne vous demande pas des excuses – qu’il n’y a pas de commune mesure entre les propos de Julien Dray et ce que vous avez dit ensuite.

Ce n’est pas non plus faire injure à M. Balkany que de dire que nous savons pourquoi il est là cet après-midi. Moi-même, je suis venu ici, parfois, parce qu’il fallait faire nombre. Comme l’a dit M. le rapporteur, nous sommes au cœur du débat. Il faut donc veiller au rapport de forces. De cela, nous convenons tous. Cela fait partie des règles du jeu. M. Balkany joue donc son rôle. Mais alors, qu’il ne vocifère pas ou plutôt – pardon – qu’il ne s’exprime pas sans avoir la parole et sans trop savoir d’ailleurs de quoi on parle parce qu’il vient de débarquer – j’ai déjà vécu cela – …

M. Patrick Balkany. Nous en sommes à l’article 24 !

M. Patrick Braouezec. …et qu’il ne commente pas les interventions de ceux qui débattent depuis trois jours ! J’apprécie l’attitude de ceux qui se conduisent autrement. Ainsi, M. Tiberi écoute et se contentera de voter lorsqu’il faudra le faire.

M. Patrick Balkany. Autrement dit, certains ont le droit de parler et d’autres non ! C’est extraordinaire !

M. Patrick Braouezec. En tout état de cause, monsieur Goasguen, que Julien Dray rappelle à M. Balkany qu’on sait pourquoi il est là cet après midi est de bonne guerre et ne justifie pas vos propos sur l’étoile jaune.

M. le président. La parole est à M. Julien Dray, pour un rappel au règlement.

M. Claude Goasguen. Permettez-moi de répondre, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Goasguen, M. Dray a demandé la parole et ne s’est pas encore exprimé !

Je crains que l’image de l’Assemblée ne soit pas en train de grandir depuis quelques minutes…

M.  Dray a la parole.

M. Julien Dray. Monsieur le président, je laisse, s’il le souhaite, M. Goasguen s’exprimer avant moi.

M. le président. Eh bien moi, je ne le souhaite pas ! C’est vous qui avez la parole. Je m’en tiens à la liste des demandes d’intervention.

M. Julien Dray. Chacun doit retrouver ses esprits, et moi le premier. Monsieur Goasguen, je connais la règle et les principes. Je le dis souvent, et M. le président du Conseil constitutionnel ne manquait jamais de le rappeler lorsqu’il était président de la commission des lois, nous sommes d’abord et avant tout, ici, des députés de la République,…

M. Patrick Balkany.. Merci !

M. Julien Dray. …même si, vous en conviendrez, nous sommes également les députés de nos circonscriptions et si nous tenons compte aussi des électrices et des électeurs de nos circonscriptions, pour lesquels nous avons un certain attachement. Voilà pour le premier point.

Il y a, sur tous les bancs, des députés qui ont des habitudes, car ils sont présents depuis un certain nombre d’années – ce sont les électeurs qui l’ont voulu. Ils ont appris, au-delà des confrontations politiques, à se respecter. Parfois même, ils ont tissé des liens d’amitié. Lorsque certains ont traversé des épreuves, nous avons dépassé nos divergences politiques pour témoigner de notre solidarité.

C’est ce qui m’autorise – et je suis sûr qu’il me le permettra – à faire à M. Balkany certaines remarques qui peuvent dépasser les limites de la bienséance. Il sait pourquoi. Et je suis sûr qu’il ne peut partager une seule seconde, en dépit de l’irritation qu’a pu provoquer ma réflexion, votre remarque sur l’étoile jaune, parce qu’il se souvient qu’à certaines périodes de sa vie, lorsque les limites du supportable étaient atteintes, il n’y a pas eu beaucoup d’hommes et de femmes pour lui témoigner un minimum de solidarité !

M. Patrick Balkany. Ils étaient rares en effet, et Julien Dray était de ceux-là !

M. Julien Dray. Vous aussi, monsieur Goasguen, je vous respecte. Je vais le dire ici afin que cela soit gravé dans le marbre du Journal officiel : vous avez été mon professeur à l’université, mon doyen (« Oh ! la la ! » sur divers bancs) et même mon employeur lorsque j’y étais vacataire. Mais cela ne vous autorise pas à l’outrance. Vous auriez pu faire un rappel au règlement, mais il n’était point besoin pour cela d’évoquer l’étoile jaune, compte tenu de sa portée symbolique, et de convoquer l’Histoire. En ce sens, votre parole a dépassé votre pensée. J’attends de vous que vous l’admettiez. Je ne remets pas en cause vos engagements et le courage que vous avez pu manifester, mais il y a des choses qui peuvent toucher certains d’entre nous, au-delà de leur engagement politique.

M. le président. Monsieur Le Guen, vous souhaitez prendre la parole pour un rappel au règlement ?

M. Jean-Marie Le Guen. Non, monsieur le président. Je vois venir l’apaisement, et j’y participe !

M. le président. Monsieur Lagarde, participez-vous aussi à l’apaisement ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je vais clore cet incident en remerciant M. Braouezec de son intervention, qui a apaisé les esprits.

J’aurais préféré ne pas entendre l’intervention de M. Blisko, mais je veux dire à Julien Dray que notre longue amitié, partagée dans tous les combats – dont celui contre l’antisémitisme, qui m’a toujours vu au premier rang –, devrait lui permettre de comprendre à quel point je suis conscient de la blessure que je lui ai infligée sans le vouloir. Je lui en fais toutes mes excuses.

Quant à M. Blisko, je pense que ses propos ont dépassé sa pensée, mais je ne lui demanderai pas de s’excuser. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. L’incident est clos.

M. Patrick Braouezec. Il faut toujours avoir un député communiste dans l’hémicycle ! (Rires.)

M. Jean Tiberi. C’est un merveilleux conciliateur !

Reprise de la discussion

M. le président. Nous en revenons à l’examen des amendements identiques nos 165, 284 et 567.

Je vous rappelle que ces amendements feront l’objet d’un scrutin public.

La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Comme l’ont dit mes collègues Braouezec et Mamère, cet article est essentiel. Je vous indique, monsieur le président, que, après avoir posé au Gouvernement plusieurs questions, nous solliciterons une suspension de séance pour lui permettre de nous répondre. Nous attendons qu’il nous donne des éléments chiffrés prouvant que sa démonstration, comme celle du rapporteur, n’est pas insincère.

L’insincérité est une cause d’inconstitutionnalité. Nous souhaitons avoir connaissance d’un certain nombre de chiffres. Le ministre et le rapporteur nous expliquent que la principale raison pour laquelle nous revenons sur les modalités d’attribution de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » est l’explosion du nombre de cartes attribuées. Or, cette explosion est uniquement et exclusivement due à une mesure prise par le Gouvernement en 2003 : les étrangers qui bénéficiaient du regroupement familial et qui auparavant, pour 80 ou 90 % d’entre eux, se voyaient accorder mécaniquement la carte de résident, disposent désormais, pendant une période de cinq ans, de la carte de séjour temporaire. Si cette disposition n’existait pas, le nombre de cartes de séjour temporaire « vie privée et familiale » n’aurait pas augmenté.

Je souhaite que le Gouvernement et le rapporteur nous démontrent le contraire avant que nous ne passions au vote de ces amendements de suppression. En conséquence, monsieur le président, avant la procédure de vote, je demanderai une suspension de séance pour que ces chiffres nous soient transmis.

Je vous indique que le raisonnement qui est le nôtre aujourd’hui était celui du rapporteur de la loi de 2003, qui n’était autre que M. Mariani. On peut lire dans ce rapport, à propos de la délivrance des cartes de séjour temporaire dans le cadre du regroupement familial, à la page 58 : « Jusqu’à présent, les étrangers entrés en France par la voie du regroupement familial étaient munis d’un titre de séjour de même durée de validité que celui du regroupement. Ainsi, à titre d’illustration, 1 198 cartes de séjour temporaire ont été délivrées en 2002 dans le cadre du regroupement familial, et 13 245 cartes de résident. Les articles 14 et 28 du projet de loi reviennent sur ce principe. La délivrance d’une carte de résident sera désormais subordonnée à la possession préalable, durant cinq ans, d’une carte de séjour temporaire et à une condition d’intégration dans la société française. »

Par ailleurs, le rapport établi au Sénat par l’homologue de M. Mariani prévoyait expressément une explosion à venir du nombre de cartes de séjour temporaire, explosion que nous constatons aujourd’hui.

Tout était donc prévu, et l’évolution mécanique se produit aujourd’hui. Vous ne pouvez pas, sauf à utiliser des arguments insincères, vous appuyer sur cet argument pour modifier l’ensemble du dispositif, notamment la suppression de l’automaticité de l’examen de la régularisation du séjour après dix ans de présence sur le territoire national.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. J’ai été un peu choqué, monsieur le ministre, en vous entendant parler de « barnum ». Vous avez dit que, si l’on remettait en cause, avec sagesse et raison, l’automaticité de l’examen – et non de la délivrance – de la régularisation, ce serait le barnum. Ce n’est pas bien de présenter les choses ainsi… D’ailleurs, à propos d’automaticité, Julien Dray vient de nous citer l’exemple d’une personne qui se trouve depuis treize ans sur notre territoire : il n’y a donc pas automaticité, mais examen bienveillant de la situation des personnes qui sont là depuis plus de dix ans. Si c’était le barnum, quel rôle jouerions-nous dans ce grand cirque ? M. Pinte serait équilibriste, Mme Boutin trapéziste, M. Lagarde dompteur... Mais, de ce côté de l’hémicycle, je suis sûr que vous nous prendriez pour des clowns…

M. Julien Dray. Je me verrais bien en éléphant, quant à moi. (Sourires.)

M. Patrick Braouezec. En ce qui concerne le fameux appel d’air, soyons sérieux : les chiffres ne représentent en aucune façon un appel d’air. Lorsque nous discutons entre nous, chacun admet qu’une personne qui, depuis plus de dix ans, vit en France dans une situation précaire, fait parfois vivre sa famille, crée des réseaux d’amitié et des liens sociaux, mérite de rester sur le territoire. Nous devons prendre en compte cette réalité. Nous ne vous demandons pas une prime à la clandestinité, mais la prise en considération de cas humains.

En réponse, vous nous proposez l’augmentation des primes au retour. Mais vous êtes encore dans une logique purement financière, ce qui ne m’étonne qu’à moitié. Toujours l’appât du gain ! Mais ces personnes, vous pouvez leur donner 3 000, 4 000 ou 5 000 euros, leur vie est en France, ils y ont construit quelque chose depuis dix ans. Et vous leur demandez de rompre avec tout cela contre de l’argent, et de retourner dans un pays avec lequel certains n’ont plus aucun lien ?

Pouvez-vous entendre cet argument ? J’aimerais bien avoir le ministre de l’intérieur en face de moi… Hier, il m’a dit qu’il s’occuperait de moi. J’aimerais bien m’occuper de lui, lui dire qu’il aurait intérêt à prendre en considération cet appel du cœur et de la raison.

Je sais que certains de nos collègues, à droite de cet hémicycle, partagent ce point de vue, comme quelques-uns des grands personnages de l’État. J’ai toujours en mémoire la visite de Philippe Séguin dans le quartier de la Goutte d’Or, lors de la compagne électorale de 2001 à Paris. Lorsqu’il s’est rendu compte de la réalité, de ce qu’était la vie des gens du quartier, il en a tiré les conclusions et a reconnu que, pour faire cesser le système mafieux du travail illégal, il fallait régulariser ces personnes. C’était le bon sens. Et lorsqu’il disait cela, il le pensait vraiment. Je ne suis pas certain que cette prise de conscience soit totalement étrangère à son retrait de la vie politique, parce que c’était un homme sincère. Je pense qu’il n’a pas trouvé, sur les bancs de la majorité actuelle, l’écho qu’il pouvait en attendre.

Enfin, on ne peut pas oublier qu’un grand nombre de sans-papiers sont la conséquence des lois Pasqua, dont parlait Julien Dray tout à l’heure.

Il y a quasiment dix ans, neuf années et demi – et non pas huit et demi, comme disait Fellini… (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Eh oui, nous avons tout de même un peu de culture ! (Sourires.)

Il y a neuf années et demi, dix ans, nous discutions sur ces mêmes bancs. Je ne peux pas oublier que c’est aussi à cause des lois Pasqua que nous avons aujourd’hui des sans-papiers dans ce pays !

M. Thierry Mariani, rapporteur. On ne peut pas laisser dire ça !

M. Patrick Braouezec. Mais si, et vous le savez très bien, monsieur Mariani ! Les lois Pasqua ont fabriqué des sans-papiers !

De la même façon, nous réaffirmons d’ores et déjà qu’on va fabriquer de nouveaux sans-papiers à cause de cette loi ! Nous pourrons le dire dans cinq ou dix ans si elle est votée, et vous ne pouvez ni ne pourrez le nier !

M. le président. La parole est à M. Yves Jego.

M. Yves Jego. Je ne souhaite pas rouvrir la polémique, mais, ayant été cité tout à l’heure par Julien Dray, je voudrais dire quelques mots sur ce sujet.

D’abord, je regrette que Julien Dray, dont nous avons constaté tout à l’heure à la fois l’énergie et l’engagement, n’ait pas mis autant de force à l’époque où il fallait fermer Sangatte, par exemple.

M. Bernard Roman. Il fallait fermer Sangatte pour faire quoi ? Vous allez voir sur place ce qui se passe ? C’est indigne !

M. Yves Jego. Nous aurions aimé, mon cher collègue, vous entendre défendre avec autant de force ceux qui nous ont rejoints sur notre territoire et qui vivaient dans des conditions indignes de la République, comme chacun le reconnaît aujourd’hui. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. C’est pire aujourd’hui !

M. Yves Jego. Mais comme je m’étais engagé à ne pas rouvrir la polémique, ne la rouvrons pas sur ce sujet.

À Patrick Braouezec, je dirai que je le rejoins sur la nécessité de trouver des solutions pour faire en sorte que ceux qui vivent depuis un certain temps sur notre territoire puissent – parce qu’ils se sont intégrés, parce qu’ils ont créé un réseau, parce qu’ils peuvent démontrer leurs capacités à trouver un travail et à se loger – être régularisés. Je crois que la régularisation au cas par cas, au coup par coup, ouverte, est possible, est évidemment indispensable…

M. Bernard Roman. Alors, il ne faut pas voter l’article 24 !

M. Yves Jego. …et n’est pas remise en cause par cette loi. (« Si ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mais je voudrais lui dire quel terrible message nous faisons passer au travers de ce dispositif d’automaticité. Quel terrible message de dire : « Si vous n’appliquez pas les lois de la République pendant dix ans, la République vous garantit qu’elle réexaminera votre cas et vous donnera une deuxième chance ! »

Avant cette période de dix ans, toutes sortes d’opportunités sont offertes aux personnes en situation irrégulière sur notre territoire de faire réexaminer leur cas. Les préfectures travaillent constamment, et nous recevons dans nos permanences des gens qui demandent un réexamen de leur situation.

M. Patrick Braouezec. On ne fait que ça ! Nous sommes confrontés tous les jours à de telles situations !

M. Yves Jego. Ne tombons pas dans une espèce de caricature semblable à celle, sans doute involontaire, de Julien Dray consistant à dire : « Vous êtes des monstres absolus, vous voulez écraser ceux qui sont sur notre territoire, vous n’offrez aucune deuxième chance. » Il y a des deuxièmes et des troisièmes chances données…

M. Julien Dray. Pas avec l’article 24 !

M. Yves Jego. …à ceux qui sont sur notre territoire d’obtenir leur régularisation. La régularisation au cas par cas est la seule solution pouvant à la fois assurer la dignité et permettre au juge de décider des situations. L’automaticité, elle, est un mauvais message. L’automaticité d’une disposition de cette nature-là donne le sentiment qu’il suffirait de frauder pendant dix ans pour que la République réexamine votre situation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. Qu’est-ce que ça veut dire « il suffirait » ? Qu’y a-t-il derrière ce mot ? Avez-vous une idée de ce qu’ils vivent ?

M. Yves Jego. Il faut peut-être que vous essayiez, que nous essayions collectivement avec ces messages, aussi bien vis-à-vis de l’étranger que vis-à-vis des Français, de tirer les leçons du 21 avril. Si vous, vous ne l’avez pas fait, nous nous efforçons de le faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Julien Dray. Avec Clearstream, c’est sûr !

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Au cours des dernières années et des mandats électifs qui m’ont été confiés, j’ai évolué sur cette question. Il y a encore deux ou trois ans, je pensais que la régularisation automatique était effectivement une faute parce qu’elle créait un appel d’air. Puis, j’ai eu deux occasions d’évoluer.

En siégeant dans cette assemblée et en suivant les textes présentés en 2003 et aujourd’hui, j’ai regardé les chiffres. Je m’aperçois que, si l’on a aujourd’hui des difficultés ici et là dans le domaine de l’intégration et de l’immigration, ce n’est pas pour ces 3 000 personnes, mais pour bien d’autres raisons. Ce sont les visas de tourisme délivrés n’importe comment – mais nous sommes en train d’évoluer sur le sujet. Ce sont les conditions des regroupements familiaux accordés, au niveau de l’OMI, avec des avis assez curieux aux yeux des maires. Je fais mon mea culpa : je reconnais m’être trompé sur le sujet quand je le regardais un peu trop de l’extérieur.

La seconde raison qui m’a conduit à évoluer est d’ordre humain. Dans le cadre de nos fonctions, nous recevons, les uns et les autres, dans nos permanences des gens qui sont dans cette situation. Même si nous ne le disons pas dans cet hémicycle, que faisons-nous quand il n’y a pas d’autres solutions ?

M. Patrick Braouezec. Mais si ! Nous le disons !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour ma part, je le dis, mais cela ne se dit pas la plupart du temps : nous intervenons et nous essayons de régler ces cas !

M. Patrick Braouezec. C’est tout à fait vrai !

M. Jean-Christophe Lagarde. Chers collègues, à quoi cela revient-il de voter une loi…

M. Bernard Roman. Vous n’allez pas rester sourds à tout cela, messieurs !

M. Jean-Christophe Lagarde. …et de passer notre temps, à chaque fois que nous rencontrons ces cas qui ne peuvent être résolus autrement, à intervenir auprès du préfet pour lui demander de trouver quelque chose ? Parce que ces personnes, non seulement le préfet ne les réexpulsera pas, mais, s’il les réexpulsait, ce serait la plupart du temps vers un pays auquel elles ne sont plus du tout attachées, dans lequel elles n’ont plus de famille, où rien ne les accueillera, même si on leur donne 2 000, 3 000 ou 5 000 euros ! Car ces personnes ont construit une vie ici ! En outre, il arrive que les associations – non pas les associations professionnelles de défense des étrangers en situation irrégulière, mais les associations locales les plus classiques, les plus utiles socialement à la vie d’une commune – interviennent.

Selon moi, s’arc-bouter sur ce thème est une erreur humaine et une erreur politique.

C’est une erreur politique, car cela donne à ce texte une tonalité qui n’est pas celle que le ministre d’État, ministre de l’intérieur, avait voulu lui donner lors de la discussion générale. Je disais ce matin qu’il est le seul ministre de ce gouvernement – comme, d’ailleurs, des précédents – qui accepte, en général, des évolutions en cours de discussion. Je trouve que la discussion sur ce point aurait pu évoluer. D’autant que la durée de ce débat est surdimensionnée par rapport à l’importance réelle du problème des 3 000 personnes concernées, si ce n’est à titre humain. De la même façon qu’a été surdimensionné l’incident de tout à l’heure. Sur ce thème aussi, nous pourrions revenir à la raison. S’agissant des 3 000 personnes en question, vous n’aurez guère le choix, et je vais y revenir.

Ensuite, j’ai entendu deux allégations que je voudrais réfuter. Quelqu’un a parlé de « prime à la fraude ». Non, ce n’est pas une prime à la fraude. Dans le droit pénal français, comme d’ailleurs dans la plupart des pays, il y a un moment où l’on sait bien que la poursuite de la faute initiale s’arrête – la faute initiale étant, en l’occurrence, d’être entré ou de s’être maintenu sur le territoire français en contradiction avec nos lois. Et s’il n’y a pas un moment où cela s’arrête, nous nous nuisons à nous-mêmes, bien sûr à la personne qui est là, mais aussi à la société elle-même, car on maintient des gens dans des situations intenables. Par conséquent, on risque de voir des enfants et des petits-enfants français de gens qu’on aura mis, pour prendre une comparaison avec le temps d’Athènes, dans la situation d’ilotes : ils ne sont pas esclaves, mais ils ne sont pas citoyens. Et l’on refuse de faire le choix. L’esclave, on le renvoie. Le citoyen, on le régularise.

Enfin, monsieur Jego, vous voulez que cela soit traité au cas par cas. Mais, même dans le cadre des dix ans, la situation est aussi réglée au cas par cas ! Avez-vous remarqué le nombre de fois où il faut se procurer tel ou tel papier manquant ? Je ne dis pas que ce soit anormal, je défends la règle des dix ans, mais c’est déjà du cas par cas. Le cas par cas que vous rajoutez ne sert à rien, ou, plus exactement, il sert à afficher qu’il n’y aura plus de régularisation automatique. Et vous dites que cela aura un effet en Afrique. Mais nous parlons de 3 000 personnes ! Cela aussi, ils l’entendront.

M. Jérôme Rivière. 3 000 par an !

M. Jean-Christophe Lagarde. 3 000 par an. 30 000 en dix ans. 300 000 en un siècle !...

Que va-t-il se passer derrière l’affichage ? Restent deux choix. Ou bien ce sont des clandestins – 3 000 par an – qu’on décide de maintenir dans la clandestinité, alimentant les marchands de sommeil et autres exploiteurs, à qui l’on donnera, pour le coup, de la chair corvéable à merci.

M. René Dosière. Évidemment !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est d’ailleurs pour éviter cela que nous avons voté ce matin des dispositions visant à condamner le travail illégal et les individus exploitant des réseaux de travail illégal.

Ou bien – et c’est ce qui va se faire dans nos permanences et dans les préfectures – on aura affiché qu’on ne régularise plus et on le fera au titre de la vie privée et familiale. Je ne crois pas que la loi gagne à s’afficher sans s’appliquer !

Monsieur le président, mon intervention vaudra explication de vote. Je ne voterai pas l’amendement de suppression car l’article contient des dispositions que je peux approuver. Mais je soutiendrai les amendements visant à supprimer ce point, qui constitue une erreur à la fois politique et humaine.

M. Serge Blisko. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Notre collègue Lagarde a raison sur un point : l’article 313-11 du CESEDA concerne onze cartes différentes, puisque, dans ce même article, figurent le regroupement familial, les liens personnels et familiaux, les régularisations au bout de dix ans, les étrangers malades. Et chacun de nous assène des chiffres qui, pour la plupart, sont vrais, sauf que nous nous ne parlons pas de la même chose !

Puisque l’opposition a fait son travail et a déposé des demandes d’abrogation paragraphe par paragraphe, nous aurons l’occasion d’être plus précis.

M. Bernard Roman. Donnez les chiffres !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Monsieur Roman, vous êtes sincère, mais nous ne parlons pas de la même chose.

Le tableau figurant à la page 136 du rapport que vous évoquiez, et dont j’assume la paternité sans problème, ne concerne que les cartes de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrées sur le fondement du septième paragraphe de l’article 313-11 qui concerne les liens personnels et familiaux. Je fais mon mea culpa. En réalité, j’aurais dû intituler le tableau de la page 136 non pas « liens privés et familiaux », mais peut-être « liens personnels et familiaux », ce qui a peut-être induit certains en erreur. Mais nous devons souvent travailler de façon rapide.

Les liens personnels et familiaux sont l’un des onze cas d’attribution de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ». Les bénéficiaires du regroupement familial relèvent du premier paragraphe : ce sont les membres de famille. Or ils n’ont pas été comptabilisés dans le tableau du rapport.

D’ailleurs, dans le rapport intitulé « Les orientations de la politique de l’immigration » que vous avez en séance, vous voyez très bien, à la page 42, que nous ne parlons pas de la même chose. L’« explosion » qu’on dénonce, c’est la ligne « liens personnels et familiaux » : 10 603 en 2005. Et le regroupement familial, ce sont les deux lignes au-dessus. Effectivement, je vous donne gain de cause sur un point : l’explosion de la CST n’a, dites-vous, aucun rapport avec le fait que les bénéficiaires du regroupement familial aient besoin d’une carte de séjour temporaire ; il y a une augmentation dans cette catégorie, la ligne « membre de famille », où le chiffre passe de 1 850 en 2003 à 5 362 en 2004.

Vous le voyez, nous parlons de deux sujets différents, qui sont abordés dans deux lignes distinctes. Lorsque nous étudierons cet article alinéa après alinéa, nous pourrons nous accorder sur les chiffres : pour l’instant, ceux que nous avançons sont trop dissemblables.

M. Patrick Braouezec. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Braouezec. Il faut en prendre conscience, nous nous intéressons ici à 0,008 % de la population. Or voilà bientôt deux heures que nous discutons de l’article 24 d’un point de vue général, sans avoir encore entamé l’examen des amendements. Je comprends que notre collègue Jean-Christophe Lagarde ne puisse pas voter l’amendement de suppression de l’article, mais certains articles risquent de provoquer des discussions plus vives encore. J’ai regretté l’absence du ministre de l’intérieur, sans la condamner et simplement parce qu’il me paraissait important qu’il soit là. Je m’en suis ouvert à Bernard Roman et à Noël Mamère, qui ont convenu avec moi qu’il serait bon que le ministre de l’intérieur puisse entendre tous nos arguments sur la question de la carte après dix ans − pas simplement ceux de l’opposition, mais aussi ceux de M. Lagarde, ceux de M. Pinte et, je l’espère, ceux de Mme Boutin − et qu’il ait l’occasion de répondre à nos interrogations, de nous confirmer, le cas échéant, qu’il est opposé à nos amendements. Ainsi, tout serait clair. Il me semble que, sur cette question, la majorité elle-même est perturbée, troublée, voire divisée − et c’est bien normal. Et si le Gouvernement devait faire marche arrière, je me refuserais à proclamer que c’est grâce à la gauche : ce serait simplement parce que nous aurions tous été à l’écoute.

M. Jean-Christophe Lagarde. Le Parlement aurait fait son travail !

M. Patrick Braouezec. M. Jego se demande quel message nous allons adresser à la population. Mais quel message attend-elle de nous lorsqu’un sondage publié hier dans Libération nous apprend que 76 % des sondés pensent qu’il faut régulariser les sans-papiers présents sur notre territoire depuis cinq ans ? Cinq ans, ce n’est pas dix ans. Le message qu’on adresserait aux Français serait donc en accord avec ce qu’ils pensent, et non pas avec ce que, dans nos fantasmes ou notre irrationnel, nous voulons croire qu’ils pensent.

Monsieur le président, je demande donc que si, pour des raisons d’emploi du temps, bien compréhensibles compte tenu du climat politique général,…

M. Serge Blisko. Un mauvais climat !

M. Patrick Braouezec. …le ministre de l’intérieur ne peut assister à nos débats, l’alinéa 6 de l’article 24 soit réservé jusqu’à ce que le ministre nous rejoigne et que nous puissions lui expliquer pourquoi nous souhaitons en revenir au dispositif de la loi de 2003, qui n’était pourtant pas la panacée.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. René Dosière, qui a fait preuve d’une patience exceptionnelle. (Sourires.)

M. René Dosière. Certes, les chiffres sont modestes et cela ne concerne que 3 000 personnes, mais chacune d’elles représente un cas particulier. Je voudrais évoquer celui de M. Keïta, un Malien arrivé en France en 1993. Il a bien sûr travaillé au noir, comme il a pu, soutenu en cas de besoin par un oncle qui, lui, était en situation régulière, et par d’autres de ses compatriotes. Six ans plus tard, en 1999, une jeune Malienne l’a rejoint, ils se sont mariés et ont eu un petit garçon en 2003. En 2004, comme il était présent en France depuis plus de dix ans, il a demandé un titre de séjour. Son dossier comportait une liste d’au moins deux justificatifs de présence par année, de 1993 à 2004. Il a essuyé un premier refus, ce qui montre d’ailleurs que cette délivrance n’est pas automatique après les dix ans. Ce premier refus était fondé sur le fait que les preuves de présence entre 1996 et 2004 étaient insuffisantes. Il a introduit un recours, fournissant de nouveau la liste des preuves, en particulier l’acte de naissance de son fils, qui paraissait établir de manière suffisamment probante sa présence en France en 2003, et tout en reconnaissant que, pour l’année 1996, les preuves qu’il présentait n’étaient que deux attestations sur l’honneur signées par des amis en situation régulière. Malgré tout, son recours a été rejeté et un arrêté de reconduite à la frontière a été pris, qu’a confirmé la procédure devant le tribunal administratif et la cour d’appel. Entre-temps, la vie a continué et un deuxième enfant − une petite fille − est né en octobre 2005. Quant à l’épouse de M. Keïta, malade, elle demande une autorisation provisoire de séjour pour soins, et est d’ailleurs soutenue par un praticien hospitalier.

En résumé, M. Keïta vit en France depuis treize ans, il a une femme, deux enfants, dont l’aîné est scolarisé, sa famille est bien intégrée et vit à Paris, entourée par des parents, par les services sociaux et par des responsables associatifs. Que lui manque-t-il pour être régularisé ? Pourquoi le sanctionner ? M. Keïta en a assez de travailler au noir, sans jamais aucune certitude pour le lendemain. Son épouse a récemment dû être opérée et les deux enfants grandissent en milieu français.

Monsieur Jego, vous dites qu’il suffit de vivre depuis dix ans en France pour être régularisé.

M. Patrick Braouezec. « Il suffit » !

M. René Dosière. Croyez-vous que M. Keïta ait vécu comme une partie de plaisir les treize années durant lesquelles il a été en situation irrégulière ? Au moment où il demande sa régularisation, on la repousse. Comment, monsieur le ministre, pouvez-vous qualifier de « barnum » ce type de détresse ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je ne le disais pas à propos de ce type de détresse !

M. René Dosière. Monsieur le ministre, vous avez dit qu’en maintenant cette autorisation, nous donnerions le signal d’un barnum. Je pourrais citer d’autres cas, qui vous montreraient tous que, chaque fois, nous sommes face à des situations de détresse et que ce n’est pas une partie de plaisir que de vivre et de travailler dans la clandestinité, dans la peur du lendemain. Les conditions réservées aux irréguliers − y compris en matière de prestations sociales − ne sont pas celles qu’on accorde aux réguliers ou aux Français : ne faites pas croire que l’on a droit à tout dès lors qu’on est irrégulier. C’est faux, et vous le savez. Nous demandons donc que soit maintenue la possibilité de régulariser une situation après dix ans de séjour.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je souhaiterais appuyer la demande formulée par notre collègue Patrick Braouezec à l’occasion de son rappel au règlement. C’est avec un grand intérêt que j’ai écouté, ce matin à l’ouverture de la séance, M. Estrosi nous expliquer que nous devions prendre notre temps, que les débats devaient se dérouler dans de bonnes conditions, que l’opposition devait pouvoir apporter sa contribution. Malgré nos divergences philosophiques, il a même accepté certains des amendements que nous défendons depuis trois jours et qui, certes, ne risquent pas de changer grand-chose à l’économie et à la philosophie du projet. Il a enfin reconnu que les députés de l’opposition accomplissaient leur travail de représentants du peuple et ne faisaient pas d’obstruction. Mais l’article 24 et, notamment, l’alinéa 6 sont tellement importants qu’ils doivent être défendus par celui que vous avez qualifié vous-même, monsieur Estrosi, de seul porteur de ce projet, c’est-à-dire le ministre de l’intérieur. M. Braouezec se plaignait justement de ne pas voir assez souvent M. Sarkozy dans l’hémicycle.

M. Patrick Braouezec. C’est vrai, il nous manque ! Nous aimons bien sa compagnie !

M. Noël Mamère. Il est vrai qu’il y vient un peu en touriste, sans doute plus préoccupé par d’autres affaires que par cette loi qu’il a vendue dans la presse et qui s’avère être davantage une loi de communication et d’affichage, une loi électoraliste, qu’un texte inspiré par des convictions sincères. Quoi qu’il en soit, nous ne céderons pas, monsieur le ministre, et refuserons de voter l’article 24 tant que le ministre de l’intérieur n’aura pas entendu nos arguments et ceux de nos collègues de la majorité. Fidèle à l’esprit dont vous faisiez preuve au début de la journée, vous apporteriez ainsi la preuve que le ministre de l’intérieur et ses amis sont capables d’écouter, là où d’autres membres du même gouvernement, las d’entendre les arguments de l’opposition, ont recours au 49-3.

Pour en revenir à la question qui nous préoccupe − celle de l’article 24 qui met fin à l’automaticité de la régularisation après dix ans −, je voudrais dire à M. Jego que tout le monde n’a pas applaudi à la fermeture de Sangatte. Pour prétendre, comme il le fait, que ce fut un plus pour les demandeurs d’asile, il faut n’être pas allé, depuis, dans le Nord-Pas-de-Calais et ignorer dans quel état de délabrement et d’abandon sont laissés ces malheureux. Ce que ne dit pas non plus M. Jego, c’est que M. le ministre de l’intérieur et le Gouvernement ont demandé à la justice, devenue l’auxiliaire de la police, de traîner devant les tribunaux des militants bénévoles qui aident ces malheureux à survivre, en leur fournissant de la nourriture, en les aidant à trouver un refuge. Aujourd’hui, la situation est mille fois pire qu’elle n’était à Sangatte. Il y avait d’autres possibilités que de fermer le centre : il aurait fallu dégager des moyens pour faire en sorte que ces gens puissent vivre dans des conditions décentes.

M. Yves Jego. Que ne l’avez-vous fait ?

M. Patrick Braouezec. C’est vrai !

M. Noël Mamère. Vous dites d’autre part, monsieur Jego, que l’on donne une prime à la clandestinité après dix ans passés dans le pays. Comme l’a expliqué avec force notre collègue Julien Dray, ces personnes ne sont que 3 000 : pour 3 000 personnes, vous enfoncez un coin dans notre pacte démocratique et social. Vous rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire, du virage que vous nous faites prendre, de ce déni des droits fondamentaux ? C’est non seulement une erreur politique, mais une faute morale. Pour que ces personnes restent dix ans dans la clandestinité et vivent dans des conditions très difficiles, il faut qu’elles aient vraiment les pieds enracinés dans notre terre et veuillent partager cette communauté de destin qui est la nôtre.

M. le président. Monsieur Mamère, votre temps de parole est écoulé.

M. Noël Mamère. Je n’ai pas terminé, monsieur le président, car j’ai ici la preuve que la disposition proposée par le ministre de l’intérieur et ceux qui le soutiennent est inspirée par une volonté de lancer la chasse à l’homme. Il s’agit de la circulaire du 21 février 2006, cosignée par le ministre de l’intérieur et par son adjuvant, son porte-valises, son strapontin, M. le garde des sceaux, qui incite les parquets à faire procéder à l’interpellation des étrangers en situation irrégulière jusqu’à l’intérieur des blocs opératoires.

M. le président. Merci, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère. Lorsque ces personnes sont convoquées dans une préfecture,…

M. le président. Merci !

M. Noël Mamère. …on peut les arrêter au guichet avant de les expulser de notre territoire. Et vous osez parler d’humanité…

M. le président. Merci !

M. Noël Mamère. …vous osez nous dire que cette loi va permettre aux irréguliers, aux immigrés, de mieux vivre dans notre pays ! Ce n’est qu’un mensonge et un montage politicien.

M. Charles Cova. Arrêtez votre cinéma !

M. le président. Nous allons encore entendre cinq orateurs, après quoi nous pourrons considérer que nous avons bien approfondi le débat.

La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Je reviens à mon tour sur la fin de la régularisation – faussement appelée automatique d’ailleurs puisqu’elle était bien évidemment parfois refusée – des étrangers en situation irrégulière au bout de dix ans de présence sur le territoire français.

Julien Dray a rappelé l’origine de cette disposition. Il s’agit de la loi du 24 avril 1997 par laquelle M. Debré, alors ministre de l’intérieur – ce fut l’un de ses derniers actes au sein de ce gouvernement –, rendait la régularisation possible au bout de quinze ans de présence, conscient des drames que les lois Pasqua avaient créés. Cette durée de résidence a été abaissée à dix ans en 1998. On peut toujours discuter de ce délai, encore que dix ou quinze ans, cela reste une longue peine. En tout cas, sur le plan des principes généraux du droit, point sur lequel M. Lagarde a été très clair, la faute n’est pas d’ordre criminel. Elle est d’abord administrative. On peut la considérer peut-être comme un acte délictueux, mais personne dans l’affaire n’est tué.

On pourrait donc accepter qu’elle soit prescrite dix ans après que l’on est entré en France sans les bons papiers. Une telle prescription n’existe-t-elle pas déjà – certes au bout de vingt ans – pour des actes bien plus graves, c’est-à-dire en matière criminelle ? C’est donc avec raison que le législateur avait prévu l’extinction de l’action publique au bout de quinze, puis de dix ans.

Julien Dray a décrit avec beaucoup de cœur la situation de ces personnes qui vivent chaque jour dans la crainte en prenant le métro, en marchant dans la rue, voire en se rendant à leur travail. Le paradoxe veut en effet qu’elles ne vivent pas dans les caves. Elles travaillent, elles payent des impôts, elles sont dans l’annuaire du téléphone, et leurs enfants vont à l’école – M. Dosière en a donné un exemple.

Ces sans-papiers sont des clandestins, certes, mais ce ne sont ni des proscrits ni des bandits qui ont pris le maquis. Vous en côtoyez tous, et peut-être certains travaillent-ils à l’Assemblée nationale pour une entreprise de nettoyage – ce qui est souvent leur cas. Je suis même persuadé que l’on en trouverait dans la fonction publique avec des contrats de contractuel ou de vacataire. En tout cas, je suis sûr que vous tous ici qui êtes maires ou responsables d’une collectivité locale, vous en employez, sans le savoir, par le biais d’un marché public.

Restons donc mesurés s’agissant des clandestins : ce ne sont pas des bandits d’honneur qui auraient pris le maquis pendant dix ans, mais simplement des gens qui ne sont pas en règle avec l’administration, même si c’est là, pour certains, un crime insupportable !

Qu’adviendra-il si la régularisation est à tout jamais finie ? Ces gens seront restés quinze, vingt, trente ans même sur notre territoire. Devant leur vieillesse, leurs maladies, personne, s’ils sont découverts, n’aura le cœur de les expulser, d’autant qu’ils seront parfaitement intégrés. Comme le montre le tableau que tous mes collègues ont cité et qui figure à la page 134 de votre rapport, monsieur le rapporteur, cela concerne 3 000 personnes. Comment pourrait-il ne pas exister de solution qui les empêche de rester passibles de poursuite à tout jamais ? Qu’est-ce que cette perpétuité ?

À chacune de ces personnes que je rencontre, que ce soit à Limeil-Brévannes ou, aujourd’hui, à l’église Saint- Hippolyte dans le 13e arrondissement, je demande de me décrire son parcours de vie. C’est fascinant ! Ce sont des gens comme vous et moi qui se rendent tous les jours à leur travail, mais qui vivent dans une instabilité, une précarité, une angoisse qui les détruit psychologiquement, eux et leur famille, alors qu’ils ne sont en rien dangereux.

M. Patrick Braouezec. Ce ne sont pas des bandits !

M. Serge Blisko. Je m’associe donc à la demande de mes collègues Roman, Braouezec et Mamère : le ministre de l’intérieur ne pourrait-il nous rejoindre, ne serait-ce que dix minutes, afin que nous le convainquions de ne pas montrer un tel visage de la France pour 3 000 personnes seulement ?

M. Noël Mamère. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Comprenez, monsieur le président, pourquoi nous nous focalisons sur cette mesure. Autant nous pouvons comprendre qu’un débat ait lieu sur l’immigration choisie et l’immigration partagée – que nous défendons – et que chacun fasse part de ses convictions sur ce point, autant il nous paraît que la question de l’automaticité de la carte au bout de dix ans n’a rien à voir avec ce débat.

Il s’agit de cas particuliers, souvent humanitaires, de personnes – j’en ai donné des exemples et je pourrais en citer d’autres – le plus souvent très attachées à notre territoire.

Aussi la proposition de Patrick Braouezec me semble-t-elle intéressante. Il est possible que, lors de la rédaction de cet alinéa, vos services, monsieur le ministre, vous aient poussé au-delà même de votre idéologie. Si tel est le cas, retirez-le du texte, et tenez compte des alertes de l’opposition, qui vous rend service...

M. Patrick Braouezec. Une fois de plus !

M. Julien Dray. ...en vous évitant de salir votre projet de loi !

Sinon, les mêmes causes, ainsi que nous l’avons déjà vécu, produiront les mêmes effets dans les semaines à venir : grèves de la faim, mobilisation – ce qui est tout à l’honneur de notre pays – d’associations, d’amis et de collègues. Vous serez alors obligé de céder, parce que vous ne pourrez pas laisser une telle situation s’éterniser, et donnerez ainsi à l’opinion publique le plus mauvais exemple d’application des lois de la République, puisque, bien que voté dans l’hémicycle, votre texte sera inapplicable au regard des situations humanitaires – les fonctionnaires qui siègent sur ces bancs le savent.

Voilà pourquoi la proposition de M. Braouezec me semble de bon sens. Réservez donc cet alinéa, monsieur le ministre, afin de permettre au ministre de l’intérieur d’écouter non pas seulement les voix de l’opposition mais également celles de députés de votre majorité.

Vous connaissez certainement le secrétaire national de l’UMP pour les questions d’immigration,...

M. Serge Blisko. M. Dahmane.

M. Julien Dray. ...M. Abderrahmane Dahmane. Je n’ai pas ses opinions, mais je le connais bien pour avoir discuté avec lui. Que dit, tout en prenant la défense du ministre de l’intérieur, ce responsable politique, qui est de vos amis ? Je le cite : « Il n'y a pas lieu de changer la réglementation sur le regroupement familial et encore moins la possibilité de permettre à ceux qui ont vécu pendant dix ans dans la clandestinité de se faire régulariser. »

Mme Jacqueline Fraysse. Il a les pieds sur terre !

M. Claude Goasguen. C’est notre Malek Boutih !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait !

M. Julien Dray. Peut-être, mais M. Dahmane n’en reste pas moins votre secrétaire national, et non le mien ! (Sourires.)

M. Patrick Braouezec. Vous pourriez les échanger ! (Sourires.)

M. Julien Dray. Voilà en tout cas qui prouve, monsieur le ministre, que nous ne menons pas une polémique pour le plaisir. Notre débat dépasse les clivages et les convictions.

À ce stade du débat, la raison doit s’imposer à toutes et à tous, d’autant qu’en acceptant notre proposition, le ministre illustrerait ses propos de ce matin, lorsqu’il soulignait que notre discussion était utile.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Je serai bref, puisque je suis déjà intervenu, mais je tiens à faire deux remarques.

La première a trait au propos de M. Jego selon lequel il « suffirait » de résider en France pendant dix ans pour obtenir une carte. Ainsi que l’a souligné M. Blisko, ce terme est un peu fort. Nous connaissons tous des personnes qui sont dans notre pays depuis plus ou moins dix ans : elles n’ont pas attendu tout ce temps pour se préoccuper de leur situation administrative. Loin de vouloir travailler au noir pour un patron, elles préféreraient servir le pays, s’y insérer et être partie prenante de son devenir.

Le terme utilisé me paraît donc très péjoratif, face au parcours du combattant de ces gens, qui témoigne de leur volonté de vivre en France avec leurs proches !

Ma seconde remarque porte sur l’alinéa 6 de l’article 24. Son abandon serait un signal : il éviterait à toutes les personnes concernées de se lancer dans des aventures personnelles – grèves de la faim, multiplication d’actes qui rendront les situations encore plus difficiles et qui nous obligeront les uns et les autres à intervenir au cas par cas afin de trouver des solutions. Il ne s’agit pourtant que de 3 000 personnes par an ! Tel est en effet le nombre de celles qui, après avoir passé dix ans sur le territoire, seraient concernées par une régularisation !

La présence du ministre de l’intérieur est donc nécessaire non pas simplement pour entendre l’opposition, mais pour débattre avec nous tous de cette question. Ce n’est pas que je veuille faire à tout prix plier le Gouvernement ou la majorité. C’est le cri que pousse le pays que je veux lui faire entendre, celui des élus et des populations que nous représentons ici, celui des églises qui se sont prononcées sur cette question, celui des associations, dont plus de 500 considèrent cet alinéa comme un crime contre le droit, notamment les droits de l’Homme – sans compter les 76 % de Français qui estiment que la régularisation est un acte de solidarité et de justice. Peut-on enfin ouvrir ce débat ?

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Les différentes lois qui ont ouvert des possibilités de régularisation n’ont jamais prévu l’automaticité,...

M. Serge Blisko. Tout à fait !

M. Patrick Braouezec. C’est une faculté.

M. Étienne Pinte. ...mais seulement la faculté, au bout d’un certain nombre d’années, d’instruire une demande de régularisation.

Dans la loi qu’il nous a fait voter en 1997, jamais Jean-Louis Debré n’avait prévu d’automaticité. Au contraire, toute demande de régularisation ne pouvait être instruite qu’après un délai de quinze ans de présence. D’ailleurs, cette loi, je me permets de le rappeler, officialisait en quelque sorte une circulaire de son prédécesseur, M. Pasqua, qui prévoyait ces régularisations au cas par cas, sur la base, en particulier, d’une vie familiale reconnue. Lorsque M. Chevènement a ramené ce délai à dix ans, là encore aucune automaticité n’a été envisagée. Vous imaginez bien que si la délivrance avait été automatique, ce ne seraient pas 3 000 personnes d’origine étrangère qui seraient régularisées chaque année, sur les 200 000 à 400 000 qui seraient en situation irrégulière sur notre territoire, mais des dizaines de milliers !

Par ailleurs, je crois avoir compris que nul sur ces bancs ne souhaite une régularisation massive comme en Italie ou en Espagne.

M. Patrick Braouezec. Ça, c’est autre chose.

M. Étienne Pinte. Mais la contrepartie du refus d’une régularisation massive n’est-elle pas justement la possibilité de régulariser au cas par cas, au bout d’un certain nombre d’années, ceux qui vivent depuis longtemps sur notre territoire ? C’est dans cet esprit que doit être discuté l’article 24.

Du reste, c’est l’un des nôtres, aujourd’hui président de l'Assemblée nationale, qui a proposé cette bonne disposition. Même si son délai a été réduit à dix ans, je reste convaincu de son bien-fondé, car elle me paraît humaine et raisonnable.

M. Serge Blisko. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Jego.

M. Yves Jego. Je viens d’entendre notre collègue Étienne Pinte. L’idée de maintenir, pour ceux qui sont en situation irrégulière sur notre territoire, une possibilité de faire reconnaître des droits qu’ils n’ont pas eus a priori, de faire transformer leur situation administrative irrégulière en situation administrative régulière n’est pas choquante en soi. Mais pourquoi attendre dix ans alors ? Ce délai de dix ans n’a pas de sens.

M. Patrick Braouezec. Si vous proposez cinq ans, je suis pour.

M. Yves Jego. Il faut faire en sorte que les préfets comme les juges puissent évaluer les demandes quand ils sont saisis, et il y a des dispositifs pour cela.

Je donne acte à nos collègues de l’opposition, aussi bien Jean-Marie Le Guen que Julien Dray, d’avoir su trouver des exemples pour démontrer la difficulté de certaines situations humaines. Mais c’est bien la preuve que, malgré cette disposition, les situations difficiles n’ont pas été réglées.

M. Julien Dray. Pas malgré ! À cause de cette disposition.

M. Yves Jego. En effet, si j’ai bien compris, l’employé de la Conciergerie qui était en France depuis treize ans n’a pas obtenu satisfaction, pas plus que la personne citée par M. Le Guen qui était là depuis douze ou quatorze ans, et ce malgré cette disposition dont on voudrait nous faire croire aujourd’hui qu’elle pourrait, à elle seule, régler ces situations-là.

M. Patrick Braouezec. Nous sommes d’accord pour assouplir les critères. Cette disposition ne peut pas tout régler, même si c’est quand même une garantie.

M. Yves Jego. Il ne faut pas caricaturer les choses, utiliser à outrance l’émotion, monsieur Braouezec. Nous avons tous à connaître dans nos permanences des cas extraordinairement difficiles.

Mme Jacqueline Fraysse. Il faut y penser quand vous faites des lois !

M. Yves Jego. Nous sommes tous intervenus auprès des autorités de l’État et de la préfecture. Mais pas au bout de dix ans ! Dès que le cas nous était signalé. Et nous avons tous essayé, chaque fois que nous l’estimions nécessaire, de trouver des solutions humaines.

M. Patrick Braouezec. Vous prônez la régularisation de tous les sans-papiers ? C’est bien !

M. Yves Jego. Mais si nous voulons être honnêtes aujourd’hui dans nos débats, si nous ne voulons pas avoir une position manichéenne vis-à-vis de cette question, nous devons reconnaître que nous avons tous besoin de tenir des discours clairs vis-à-vis de ceux que nous recevons dans nos permanences et qui pensent qu’il suffit de forcer la porte pour pouvoir, un jour ou l’autre, se faire régulariser.

M. Patrick Braouezec. Ah non ! il y a bien longtemps qu’ils n’ont plus cette illusion !

M. Yves Jego. Vous avez tous entendu ce genre de propos : « Vous me dites que je suis dans l’illégalité, vous me dites que je ne respecte pas les lois de la République, mais, moi, je sais bien que je vais y arriver par un biais ou par un autre et je vais me débrouiller. »

M. Patrick Braouezec. Raison de plus ! Vous donnez vous-même des arguments !

M. Yves Jego. Eh bien, moi, je n’ai pas envie de tenir un discours qui favorise la débrouille. Je n’ai pas envie de dire à ces gens : « Débrouillez-vous pendant dix ans et, dans dix ans, vous verrez, il existera peut-être un dispositif qui vous permettra peut-être d’obtenir des papiers. »

Ici, nous votons les lois et nous ne pouvons pas adopter une disposition qui revient à récompenser en quelque sorte celui qui n’a pas respecté les lois de la République.

M. Patrick Braouezec. Arrêtez avec cette notion de récompense !

M. Yves Jego. Je crois que nous pouvons concilier la position d’Étienne Pinte, position que je partage, qui consiste à souhaiter que les situations humaines soient examinées au cas par cas par les préfectures, par les juges…

M. Patrick Braouezec. Non, ce n’est pas ce qu’il a dit.

M. Serge Blisko. On l’approuve.

M. Yves Jego. …et la suppression de ce dispositif, qui est un bien mauvais message civique, qui consiste à dire aux étrangers : « Débrouillez-vous pendant dix ans ! » Pourquoi attendre dix ans ? J’en profite pour dire à mon collègue Blisko que l’ode au travail au noir que j’ai entendue dans sa bouche tout à l’heure,…

M. Serge Blisko. Mais arrêtez de vouloir les contraindre au travail au noir ! Ils ont des fiches de paie !

M. Yves Jego. …que l’affirmation que nous aurions autour de nous, dans les collectivités locales, dans les entreprises, des travailleurs irréguliers et que nous l’accepterions, ne sont pas des messages positifs.

M. Patrick Braouezec. Vous avez encore la « positive attitude » ? C’est dépassé !

M. Yves Jego. Il faut dire et redire que, pour vivre en France, il faut respecter les lois de la République et que, pour y travailler, il faut travailler dans des conditions de légalité et de transparence. Voilà le discours que nous devons tenir, tout en mettant en place les dispositifs humains qui permettent de donner de nouvelles chances à ceux qui le méritent.

M. Julien Dray. Vous tarissez les chances !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je l’ai dit ce matin – et nous ne reviendrons pas dessus –, notre souhait est que le débat soit le plus ouvert, le plus complet et le plus dense possible.

M. le président. Il l’est, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Et il l’est.

En disant cela, je savais parfaitement qu’il y aurait des points plus difficiles que d’autres à aborder. Avant même que nous n’entamions la discussion du texte, nous savions que l’examen de l’article 24 serait l’occasion d’une discussion dense et difficile.

M. Serge Blisko. Diagnostic partagé !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. M. Braouezec l’a souligné, cet article fait l’objet de trente-quatre amendements, et voilà près de deux heures trente que nous discutons des trois premiers, qui proposent, comme sur chaque article, la suppression de l’article. Nous arrivons au terme de cette discussion, mais un certain nombre d’autres amendements, concernant chaque détail de la rédaction de cet article 24, mériteront d’être débattus au fond.

Toutefois, vous avez posé quelques questions qui me permettent d’ores et déjà d’aborder certains de ces détails, même si M. Roman a annoncé, voici à peu près cinquante-cinq minutes de cela, qu’il solliciterait une suspension de séance de cinq minutes pour me permettre de rechercher les chiffres qu’il me demande.

M. Bernard Roman. Cette demande de suspension est toujours valable.

M. Serge Blisko. C’est comme la carte de dix ans, ça court !

M. Julien Dray. Il n’y a pas prescription !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Bien évidemment ! Cela dit, j’ai largement eu le temps de trouver ces chiffres, et je vais vous répondre précisément, ce qui ne vous empêche pas, si vous le souhaitez, monsieur Roman, de maintenir votre demande de suspension.

Je prendrai pour point de départ une déclaration faite par Julien Dray lors du débat de la première loi Debré relative à l’immigration, et qui figure au Journal officiel. Cette citation démontre que Julien Dray a un mérite, que tout le monde d’ailleurs lui reconnaît ici, celui d’être constant dans son discours et dans sa démarche.

M. Julien Dray. Le cabinet a fouillé, et il a sorti les fiches ! C’est dommage qu’on en soit là, mais ce n’est pas grave !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Depuis 1996, monsieur Dray, il y a Internet.

M. Julien Dray. Il reste que le cabinet a fouillé et a sorti les fiches. J’en ai quelques-unes, moi aussi.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Écoutez-vous, monsieur Dray, c’est tout à votre honneur : « Le ministre,… » – c'est-à-dire Jean-Louis Debré – « …doit lui-même savoir que, à plusieurs reprises, on a essayé de régulariser des situations par des circulaires. Or on s’est rendu compte que les choses évoluaient d’un département à l’autre, que le plus grand arbitraire s’installait, ce qui était matière à conflits. Osons donc une règle. Cette règle, elle nous est proposée. Elle est stricte et minimum. Elle ne provoquera en rien un appel d’air. Elle sera un signe à l’adresse des personnes concernées. » C’était en 1996 !

M. Julien Dray. C’est plutôt bien. Franchement, je remercie le cabinet d’avoir trouvé cette citation. Je ne savais pas que j’étais aussi intelligent !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Bien évidemment, aujourd’hui, vous tenez le même discours.

Et puisque vous parlez de cabinet, je voudrais répondre à M. Braouezec. Certes, nos collaborateurs sont de grande qualité, mais M. Braouezec se trompe quand il affirme que c’est sans doute un de nos conseillers ou quelqu’un de l’administration qui se sera laissé emporter et qui aura mal rédigé l’aliéna 6.

M. Patrick Braouezec. Non, ce n’est pas moi qui ai dit cela !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Le ministre d’État, ministre de l’intérieur, ou moi-même, nous nous serions laissé mal conseiller ou orienter.

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas moi qui ai dit cela !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je vous le dis, en aucun cas, le ministre d’État, ministre de l’intérieur, ne s’est laissé guider par qui que ce soit.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est encore plus grave alors.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cette disposition a d’ailleurs été débattue dans nos rangs, en commission des lois. Et, bien évidement, parce que nous considérons que la situation actuelle – c’est sans doute ce qui fait notre différence ici – continue d’être un appel pour des candidats à la clandestinité…

M. Patrick Braouezec. 3 000 par an !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et qu’il ne serait pas bon pour notre pays de continuer à envoyer un tel message, nous restons sur notre position, intangible pour nous.

Pour autant, puisque vous avez réclamé des chiffres, monsieur Roman, je voudrais remonter à la date à laquelle M. Julien Dray s’exprimait pour la première fois sur cette situation.

M. Julien Dray. La première fois, c’était en 1970 !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je parle de la date à laquelle vous vous êtes exprimé sur ce sujet, c'est-à-dire en 1996.

Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Roman, l’explosion du nombre de titres « vie privée et familiale » ne s’explique pas seulement, ni même principalement, par la modification en 2003 des règles relatives aux bénéficiaires du regroupement familial.

C’est évident en ce qui concerne les régularisations automatiques au bout de dix ans de séjour, qui passent de 737 titres en 1998 à 2 883 titres en 2004.

M. Bernard Roman. C’est normal, 1996 est la première année d’application.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ce quadruplement est sans lien avec la modification intervenue en 2003. C’est bien la démonstration que vous vous trompez.

C’est évident également en ce qui concerne les étrangers malades, pour qui le nombre de titres passe de 454 en 1998 à 6 307 en 2005.

Reste la catégorie des cartes « vie privée et familiale » délivrées en raison de liens personnels et familiaux. Leur nombre est passé de 2 838 en 1998 à 13 114 en 2005. Voilà la réalité des chiffres, monsieur Roman.

M. Patrick Braouezec. C’est une invasion !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Et il est vrai qu’une partie de cette augmentation s’explique par la modification de 2003. En 2003, on délivre 9 773 CST au titre des liens personnels et familiaux, contre 5 920 en 2002, et, entre 2003 et 2004, le nombre de cartes de résident délivrées aux bénéficiaires du regroupement familial baisse de 13 676 à 9 651. Sur ce point, monsieur Roman, vous avez raison : 2003 a modifié la donne.

M. Bernard Roman. Le rapporteur a dit le contraire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais dans le sens inverse de celui que vous suggériez. Le dispositif de 2003 a enclenché non pas une hausse, mais, au contraire, une baisse.

Depuis 1998, nous sommes sur une courbe en constante progression, et ce n’est qu’à partir de 2003 que le mouvement a commencé à être endigué.

Mais, en 2004 et 2005, on constate une nouvelle hausse de la CST « liens personnels et familiaux » – 12 084 en 2004 et 13 114 en 2005 –, alors que le nombre de cartes de résident délivrées aux bénéficiaires du regroupement familial reste stable – 9 663 en 2005 contre 9 651 en 2004. L’essentiel de la hausse de la CST « liens personnels et familiaux » entre 1998 et 2002 n’a donc aucun rapport avec la modification introduite en 2003 en ce qui concerne les bénéficiaires du regroupement familial. C’est la preuve d’une dérive, que le Gouvernement veut aujourd’hui combattre.

M. Bernard Roman. Mais non !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous vouliez des chiffres, monsieur Roman, je vous les donne. Ils démontrent le contraire de ce que vous affirmiez tout à l’heure.

M. Bernard Roman. Non !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Une fois les dispositions de la loi dont nous débattons aujourd’hui adoptées, si elles sont maintenues en l’état, cette espèce d’appel que la France envoie depuis des années aux candidats à la clandestinité n’existera plus et nous n’aurons plus à gérer la situation de nouveaux migrants qui se seront placés dans l’irrégularité.

Bien sûr, je suis totalement conscient – je réponds là à MM. Roman, Braouezec, Dray et Mamère – que nous aurons à gérer un certain nombre de situations difficiles, douloureuses, des situations de détresse. Et si nous essayons, dans ce texte, de trouver un équilibre entre fermeté et justice, c’est bien parce que nous ne voulons pas pour autant que, à partir de ce nouveau point de départ, un certain nombre de situations d’injustice ne soient pas traitées au niveau où elles méritent de l’être.

C’est pourquoi une commission nationale, dont l’objectif sera de veiller à l’harmonisation des pratiques préfectorales en matière de régularisation, va être créée, par circulaire.

M. Patrick Braouezec. Bien !

M. René Dosière. Quand fonctionnera-t-elle ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous en avons débattu. Et tout le monde dans la discussion générale, notamment M. Lagarde, et vous, monsieur Roman, qui êtes intervenu sur la composition même de cette commission, a reconnu la nécessité de la mise en place de cette commission.

Je précise qu’elle sera composée à parité de représentants de l’administration et de responsables associatifs. Vous avez demandé, monsieur Roman et monsieur Lagarde, que des élus y soient associés. Des élus y seront donc associés.

Cette commission aura deux objectifs : harmoniser les pratiques préfectorales en matière de régularisation – cela correspond à un vrai besoin d’homogénéité –, en préciser les critères, notamment au regard des exigences humanitaires, mais permettre également les régularisations ponctuelles d’étrangers dont la présence en France peut être une chance pour notre pays.

Cela répond aux préoccupations émises par M. Étienne Pinte tout à l’heure, sachant que, de surcroît, le ministre de l’intérieur – il en a exprimé la volonté – pourra saisir directement la commission pour avis lorsqu’il sera lui-même saisi d’un recours hiérarchique contre une décision préfectorale apparaissant comme injuste.

Je souhaite en outre que les commissions du titre de séjour, instances locales existantes, composées de magistrats, de personnalités qualifiées et d’élus locaux, jouent localement tout leur rôle pour donner un avis sur des dossiers sensibles. Des instructions ont été données à cette fin par le ministre de l’intérieur à l’ensemble des préfets.

Voilà ma réponse, concernant les chiffres au sujet desquels vous vous inquiétiez. Vous aviez besoin de quelques assurances, ce qui est compréhensible. Vous saurez donc que notre position demeure la même que dans tous les débats portant sur la réforme des lois de l’immigration : trouver un juste équilibre entre fermeté et justice à l’égard de celles et ceux qui se trouvent aujourd’hui en situation irrégulière et difficile sur le sol national.

Par le biais de cette commission nationale et de la capacité que nous lui donnerons d’offrir une voie hiérarchique de recours, nous serons en mesure de répondre à un certain nombre de détresses.

M. le président. Monsieur Roman, retirez-vous votre demande de suspension ?

M. Bernard Roman. Non seulement je la réitère, mais j’aimerais préciser l’objet de ma demande…

M. le président. Monsieur Roman, il y a déjà eu vingt-quatre interventions et nous n’allons pas rouvrir le débat sur le fond.

M. Bernard Roman. Dans ce cas, si nous n’obtenons pas les réponses que nous demandons, nous réclamerons une nouvelle suspension.

M. le président. Je vais suspendre la séance pour quelque cinq minutes.

Dès la reprise, nous procéderons au vote par scrutin public.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix les amendements nos 165, 284 et 567, tendant à supprimer l’article 24.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L’Assemblée nationale n’a pas adopté.

Je suis saisi d’un amendement n° 568.

Je ne vois pas M. Braouezec, mais je suppose que son amendement est défendu…

Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 568.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 167 et 569, pouvant être soumis à une discussion commune.

L’amendement n° 167 est-il défendu ?

M. Julien Dray. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suppose qu’il en est de même de l’amendement n° 569…

Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 167.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 569.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 168, 570 et 571, pouvant être soumis à une discussion commune.

L’amendements n° 168 est-il défendu ?

M. Julien Dray. Oui, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 570 et 571 sont également défendus…

Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avis défavorable sur les trois amendements.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 168.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. Julien Dray. Un instant, monsieur le président…

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Les amendements qui viennent d’être appelés et qui ont été repoussés émanaient du groupe communiste et de M. Mamère. Je crains que nos collègues n’aient pas compris que la séance avait repris. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

On ne peut donc pas faire défiler leurs amendements ainsi sans qu’ils puissent les défendre, car ils y attachent une grande importance. Il serait peut-être judicieux, pour la bonne tenue du débat, et pour éviter tout incident, de suspendre à nouveau la séance, afin qu’ils puissent regagner l’hémicycle et présenter leur argumentaire.

M. le président. Cher collègue, nous avons procédé selon les règles : la durée de la suspension comme la reprise de la séance ont été annoncées. Les députés communistes et M. Mamère nous rejoindront certainement sous peu.

Je mets aux voix l’amendement n° 570.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 571.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 127.

La parole est à M. Jérôme Rivière, pour le défendre.

M. Jérôme Rivière. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 127.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 572.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. Par cet amendement, nous dénonçons la suppression des dispositions du 3° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, prévoyant la délivrance d’un titre de séjour de plein droit aux étrangers vivant en France depuis plus de dix ans.

L’opposition a souhaité que le vote de cet amendement tendant à supprimer l’alinéa 6 de l’article 24 soit réservé car nous souhaitons avoir un débat « les yeux dans les yeux » avec le ministre de l’intérieur. Nous ne doutons pas de son implication dans cette rédaction, mais nous aimerions qu’il puisse entendre, en personne, un certain nombre d’arguments qui ont été développés dans cet hémicycle.

M. Estrosi nous a du reste assuré que ce projet de loi avait été personnellement conçu par M. Sarkozy ; il est donc tout à fait légitime que nous ayons cette « exigence », entre guillemets. Et je le dis sans esprit de polémique.

Comme M. le ministre de l’intérieur a porté ce projet de loi avec force, il est dommage qu’il soit absent à des moments clés du débat. Dans ces conditions, pourquoi ne pas réserver le vote de cet amendement et le remettre à plus tard, afin que nous puissions débattre en présence de M. Sarkozy ?

M. le président. J’informe l’Assemblée que, sur le vote de l’amendement n° 572, je suis saisi, par le groupe socialiste, d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 572 ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur la suppression de la régularisation au bout de dix ans. Nous en avons déjà largement débattu. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Braouezec, nos échanges ont été très courtois depuis le début de la discussion. Permettez-moi de vous dire très clairement, au nom du ministre d’État, ministre de l’intérieur – car je ne veux pas qu’il puisse planer la moindre ambiguïté sur ce sujet – que l’alinéa 6 de l’article 24 est aussi symbolique pour vous que pour nous. Sa rédaction est l’œuvre de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur en personne. Il l’a mûrement pesée et réfléchie. Il considère que cette disposition est une exigence pour notre pays.

M. René Dosière. Alors, qu’il vienne la défendre dans cet hémicycle !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je suis parfaitement habilité à le faire en son nom.

À l’heure où nous parlons, le ministre d’État, ministre de l’intérieur se recueille devant le monument de la police nationale à l’occasion des commémorations du 8 mai. Il m’a demandé de vous dire combien il était attaché à ce que cet alinéa ne soit en aucun cas modifié.

M. René Dosière. Provocation !

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. J’entends bien que l’agenda du ministre de l’intérieur est chargé ! Mais comme nous allons poursuivre nos débats mardi et sans doute mercredi prochains au train où vont les choses – d’un bon train, du reste, et chacun apprécie la qualité du débat –, je vous demande à nouveau, monsieur Estrosi, de demander la réserve du vote sur cet amendement, afin que M. Sarkozy puisse assister à la discussion.

Nous aurons certainement, quant à nous, de la peine à convaincre M. Sarkozy, mais il serait bon qu’il puisse entendre ce que pensent M. Pinte et M. Lagarde. Je ne suis pas certain qu’ils aient eu l’occasion de s’exprimer devant lui et de lui dire ce qu’ils pensaient, l’un et l’autre, de la suppression non de l’automaticité de la délivrance du titre de séjour au bout de dix ans, mais de l’examen automatique à partir de dix ans passés en France.

Comme il l’a dit ici même, M. le ministre de l’intérieur est dans une posture d’écoute. Il est prêt à débattre et à dialoguer, voire à aboutir à un consensus. En tout cas, il s’est déclaré prêt à entendre nos arguments.

Je ne dis pas, monsieur Estrosi, que vous n’êtes pas dans votre rôle, mais, et vous l’avez dit vous-même, ce projet est celui du ministre de l’intérieur. Laissez-lui la possibilité d’entendre nos arguments. Réservez le vote sur l’alinéa 6 et nous en discuterons tranquillement dès que M. le ministre de l’intérieur aura quelques instants à nous consacrer.

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Je suis un peu triste que l’on nous dise : « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Je suis d’autant plus triste que nous venons de vivre un moment important quand nous avons entendu M. Lagarde nous expliquer qu’il était, au départ, favorable à ce dispositif. Mais, au regard des situations qu’il a été amené à connaître, il a estimé que c’était une erreur. C’est tout à son honneur de le reconnaître ici avec sincérité. À partir du moment où des députés qui ont, dans un premier temps, soutenu ce dispositif sont conduits à dire que l’expérience démontre qu’il ne fonctionne pas, il semblerait normal que le Gouvernement tienne compte de ces contributions et revoie ce dispositif. Pourquoi sommes-nous si préoccupés par cet alinéa ? C’est parce qu’il renvoie à l’image donnée par notre pays. Les conséquences de cette situation auront non seulement un retentissement national, mais encore international. Et l’image de la France en sera ternie.

C’est la raison pour laquelle je soutiens la demande de notre collègue Patrick Braouezec. Il s’est tout de même passé quelque chose dans le débat dont il faut tenir compte.

J’aimerais entendre M. Nicolas Sarkozy, et cela n’a rien de désobligeant à l’égard de M. Estrosi, nous dire dans l’hémicycle : « Oui, j’assume pleinement et totalement cette disposition. » Et nous en prendrons acte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Tout à l’heure, M. Jego nous disait qu’il ne voulait pas voter une loi dans laquelle serait prévue une disposition permettant de la contourner. Parallèlement, d’éminents collègues reconnaissaient intervenir auprès des préfectures – et nous le faisons tous – pour essayer d’obtenir la régularisation de personnes qu’ils ont reçues dans leur permanence.

Dans le même temps, M. le ministre nous a indiqué que les quelque 4 000 cartes qui ne sont plus accordées au titre du regroupement familial le sont désormais au titre de la vie privée et familiale. Ce qui est la preuve qu’il s’agit d’un transfert et qu’il n’y a pas un étranger de moins sur notre territoire.

Chers collègues de l’UMP, je ne suis pas réputé pour être particulièrement laxiste. Je ne l’ai été ni en 2003 ni en 2006. Mais il me semble que nous légiférons de manière contradictoire et je voudrais, une dernière fois, vous en convaincre.

Je fais partie de ceux qui se plaignent de la hausse constante de l’aide médicale d’État dans le budget, parce qu’ils savent que les bénéficiaires ne seront pas reconduits à la frontière. En supprimant la capacité de régularisation, nous fabriquerons des clandestins.

Nous avons voté ce matin des amendements pour sanctionner plus lourdement, et peut-être insuffisamment, les entreprises qui emploient de la main-d’œuvre clandestine. Mais en refusant la capacité de régularisation, nous maintenons des clandestins et nous les mettons, de fait, à disposition d’entreprises indélicates qui recourent à de la main-d’œuvre non déclarée.

Si nous votons cette loi en l’état, nous serons contraints, les uns et les autres, de régler ces situations humaines dans nos permanences. Très franchement, le ministre et la majorité gagneraient beaucoup tant sur le plan politique que sur le plan humain, à changer d’avis sur le sujet et à renoncer à ce dispositif.

On a entendu que l’automaticité était une prime à l’illégalité. J’ai, pour ma part, essayé d’expliquer que cette automaticité s’apparentait à une sorte de prescription pénale. Mais, en réalité, dans ma permanence, je n’ai jamais rencontré une seule personne qui soit venue en France en se disant qu’elle allait être régularisée dix ans après son arrivée. D’abord, dans les trois ou quatre premières années, ces personnes ne connaissent pas les règles et ne cherchent pas à rassembler les documents. Ensuite, lorsqu’elles sont déjà en France depuis quelques années, elles sont en fait condamnées par la loi de 2003 à dix ans de clandestinité, ce qui veut dire qu’elles n’ont aucune assurance sociale et qu’elles courent le risque d’être expulsées à tout moment. Comme elles ont choisi de prendre ce risque, cette condamnation ne me paraît pas tout à fait anormale. Certes, elle n’est pas glorieuse, mais elle vaut mieux que la perpétuité. Or, l’article 24, en supprimant la possibilité d’une régularisation au bout de dix ans, revient à appliquer la perpétuité.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. J’interviens pour soutenir la demande formulée par M. Braouezec, rejoint par mes autres collègues de l’opposition. Je veux bien comprendre que M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur soit pris par d’autres obligations, mais il savait tout de même ce qu’il faisait en proposant ce projet de loi et qu’il aurait un jour à le défendre devant la représentation nationale.

Monsieur le ministre, nous abordons l’un des articles les plus importants de la loi que M. le ministre d’État veut incarner, et auquel, dites-vous, il a personnellement travaillé…

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le président…

M. le président. Autorisez-vous M. le ministre à vous interrompre, monsieur Mamère ?

M. Noël Mamère. Pour nous dire que M. le ministre de l’intérieur est prêt à venir répondre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Tout cela fait partie du jeu parlementaire.

M. Patrick Braouezec. Non !

M. Julien Dray. Ce n’est pas un jeu !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais si, voyons !

Monsieur Dray, vous m’avez dit que vous souhaitiez que le ministre de l’intérieur vous dise lui-même tout son attachement à l’article 10.

M. Patrick Braouezec. Mais non, nous parlons de l’alinéa 6 de l’article 24 !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Or il vous l’a déjà dit ici même, droit dans les yeux.

Je vous rappelle les propos qu’il a tenus avant-hier : « Je vous propose donc d'abroger le système des régularisations automatiques après dix ans de séjour illégal. Cette prime à la clandestinité, introduite par les lois de 1997 et 1998, revient à récompenser une violation prolongée de la loi de la République. Elle est d'autant plus absurde que la durée de dix ans n'est pas, en elle-même, un critère de régularisation pertinent. » Il est vrai que vous n’étiez pas présent à ce moment-là, monsieur Dray.

M. Julien Dray. Je participais à un débat télévisé avec M. Goasguen !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je sais que le Journal officiel a de l’importance pour vous. Vous pourrez y vérifier que tout cela a été dit, droit dans les yeux, à ceux qui étaient présents dans l’hémicycle.

M. Patrick Braouezec. Oui, mais il s’agissait d’un discours à la tribune !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Dans le prolongement de ces dispositions, le ministre de l’intérieur a proposé la création d’une commission réunissant des fonctionnaires et des responsables associatifs, ainsi que des élus. Son objectif sera de veiller à l’harmonisation des pratiques préfectorales en matière de régularisation.

Et comment le ministre de l’intérieur a-t-il élaboré cette proposition ? Vous vous doutez bien qu’elle ne lui est pas venue tout d’un coup à l’esprit. Il en a débattu et il a engagé des concertations. Avec qui ?

M. Patrick Braouezec. Avec lui-même !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avec M. Patrick Peugeot de la CIMADE, avec M. le pasteur de Clermont, avec les représentants d’Emmaüs et du Secours catholique, d’Africagora, des associations de laïcs chrétiens et de Solidarité Sida. L’alinéa 6 a été discuté et a été le fruit d’une large concertation…

M. Patrick Braouezec. N’allez tout de même nous dire que ce sont ces personnes qui l’ont inspiré !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …au terme de laquelle le ministre de l’intérieur a proposé la création de cette commission, qui a donné entière satisfaction à l’ensemble de ses interlocuteurs.

Elle entend répondre aux situations de difficulté, de détresse et d’injustice que nous avons évoquées tout au long de l’après-midi. Certains d’entre vous ont d’ailleurs reconnu que cette commission serait une avancée importante.

Reste qu’un scrutin public a été annoncé et que d’autres amendements doivent encore être discutés. Le ministre de l’intérieur, qui n’a cessé de venir à la rencontre du Parlement depuis le début de nos débats, nous rejoindra d’ici à la fin de notre discussion. Sans doute aura-t-il l’occasion de vous redire ce qu’il vous a déjà dit, droit dans les yeux. Si telle doit être votre satisfaction, vous l’aurez car le ministre a bien l’intention de venir dans cet hémicycle aux alentours de dix-neuf heures.

En tout état de cause, la position du Gouvernement sur l’alinéa 6 comme sur l’ensemble de l’article 24 demeure la même. Elle a été précisée dès le début de la discussion par le ministre d’État, ministre de l’intérieur lui-même.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, je suis désolé de vous dire que vous ne nous avez pas convaincus.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais je n’ai pas cherché à vous convaincre !

M. Noël Mamère. Pour employer une expression utilisée ici même lors de la discussion d’un autre projet de loi par notre collègue Alain Marsaud, je dirai que vous essayez tout bonnement de nous enfumer. Vous voulez nous faire croire que le ministre de l’intérieur nous a regardés droit dans les yeux alors qu’il a présenté son projet comme le font tous les ministres.

M. Jérôme Rivière. Il n’a pas à vous regarder droit dans les yeux lorsqu’il parle !

M. Noël Mamère. Il n’a pas été sincère en disant à qui voulait l’entendre qu’il était prêt au dialogue et au débat et qu’il était disposé à amender son projet de loi s’il estimait que nos arguments étaient justes. D’ailleurs, comment le pourrait-il puisqu’il n’est pas là ? En cela, il ressemble en tout point au Premier ministre : il fait semblant d’écouter le peuple, les partenaires, qu’il soit associatifs ou sociaux, et la représentation nationale et, à la première occasion, il s’empresse d’enjamber cette dernière pour mieux faire passer un projet par la force.

Comme le ministre de l’intérieur va nous faire l’honneur de sa présence exceptionnelle avant la fin de cette séance, pourquoi n’acceptez-vous pas de réserver la discussion des amendements portant sur l’alinéa 6 ?

Vous savez, monsieur Estrosi, dans nos permanences, nous recevons de nombreux appels et de nombreux courriers d’étrangers, mais aussi de Français, qui s’inquiètent de ce tournant dans la tradition française et dans le pacte démocratique. Il n’y a pas que les Églises et les associations à s’être émues de ce projet !

M. le président. Monsieur Mamère, permettez-moi de vous interrompre pour vous préciser que je demande la réserve de l’amendement n° 572, ainsi que des amendements nos 166 et 262.

M. Noël Mamère. M’autorisez-vous à terminer mon intervention, monsieur le président ? Il me semble avoir été assez courtois dans ce débat.

M. le président. Mais moi aussi. J’espère que je serai payé de retour et que le débat avancera. Alors, si vous voulez bien conclure, en une phrase…

M. Noël Mamère. Je voudrais vous donner connaissance de la lettre que les avocats de l’Institut de défense des étrangers de Bordeaux ont envoyée aux sénateurs et aux députés : « Les avocats demandent que l’on ne considère pas les étrangers comme des exclus, mais comme des citoyens, en respectant leur droit de vivre libres et en les protégeant, eux et leur famille, contre les dangers qu’ils ont fuis. Les membres de l’IDE soulignent que des études sérieuses démontrent que la présence des étrangers aujourd’hui en France ne présente aucune menace qui justifierait une nouvelle réforme dans la même législature et demandent aux députés et aux sénateurs de voter contre cette loi. »

M. Yves Jego. Qu’ils deviennent parlementaires, et ils pourront faire la loi !

M. le président. Nous passons à deux amendements identiques, nos 285 et 573...

M. Serge Blisko. Monsieur le président, dois-je comprendre qu’il n’y a plus de scrutin public ?

M. le président. Je viens d’accepter la réserve du vote sur l’amendement n° 572, à la demande de l’opposition et avec l’accord du ministre.

M. Julien Dray. Mais qui demande la réserve ?

M. le président. Le règlement de notre assemblée prévoit que la réserve peut être demandée sur un amendement par la commission, le Gouvernement ou le président de séance. Je viens de la demander pour les trois amendements portant sur l’alinéa 6, ce qui satisfera sans doute tout le monde. Cette réserve entraîne celle du scrutin public.

M. Julien Dray. Avec toute la déférence qui s’impose, monsieur le président, puis-je vous demander pourquoi vous avez pris cette décision ?

M. Yves Jego. Mais pour vous faire plaisir !

M. le président. L’article 95, alinéa 5, de notre règlement prévoit que la réserve « est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond. Dans les autres cas, le président décide ». C’est donc moi qui aie pris cette décision pour vous donner satisfaction. Je ne l’ai pas fait entièrement de moi-même.

M. Julien Dray. Je comprends donc, monsieur le président, que vous avez pris la décision, amicale à notre égard, de réserver ces amendements. Devons-nous en déduire que nous allons avoir la visite de M. le ministre de l’intérieur ?

M. le président. Oui, et la réserve sera levée lorsqu’il sera là.

La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Précisons les choses à l’intention de M. Dray.

M. Patrick Braouezec. À l’intention de tout le monde : nous avons tous soif de savoir !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous souhaitez réentendre le ministre d’État après qu’il s’est déjà exprimé sur l’alinéa 6. Fort bien. Je vous ai précisé que, comme il le fait régulièrement depuis trois jours maintenant, il viendrait d’ici à la fin de la séance.

M. le président m’a indiqué qu’il avait la possibilité de réserver le vote sur l’amendement n° 572 bien qu’un scrutin public ait été annoncé. Sachant que deux autres amendements portent sur l’alinéa 6, le président m’a demandé si j’étais prêt à ce que la discussion et le vote de ces amendements soient également réservés. J’ai donné l’accord du Gouvernement. Nous pouvons donc maintenant passer à la discussion des amendements suivants.

M. le président. Les amendements nos 285 et 573 sont identiques.

La parole est à M. Bernard Roman, pour soutenir l’amendement n° 285.

M. Bernard Roman. Cet amendement porte sur un point que nous avons déjà évoqué : l’exigence nouvelle imposée au conjoint d’un couple mixte de détenir un visa de long séjour. Nous avons besoin d’une réponse de la commission et du Gouvernement qui soit – pardonnez-moi de vous le dire dans ces termes – moins confuse que celle qui nous a été faite tout à l’heure au sujet des chiffres que nous demandions.

Il semble que le visa du conjoint étranger, lorsqu’il est étudiant, soit considéré comme un visa de long séjour.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous l’avons dit !

M. Bernard Roman. Je souhaitais qu’on me le confirme afin que cela figure au Journal officiel.

L’étudiant qui aura besoin de retourner dans son pays d’origine pour solliciter ce visa de long séjour se trouvera dans une situation très ambiguë à cause de la nouvelle loi puisqu’il devra abandonner la vie commune. Or, c’est cette vie commune qui conditionne l’attribution de ce titre de séjour.

J’aimerais que le Gouvernement et le rapporteur nous rassurent sur ce point précis, ainsi que l’ensemble des couples mixtes, existants ou à venir.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 573.

M. Patrick Braouezec. On sait que les mariages mixtes sont dans le collimateur de ce gouvernement. Cela n’est pas nouveau puisqu’ils l’étaient déjà avec la loi de 2003. Mais aujourd’hui, vous en rajoutez puisqu’il s’agit de demander à un conjoint étranger de repartir dans son pays d’origine afin d’obtenir, s’il le peut, un visa de long séjour, en sachant qu’il devra attendre « un certain temps », selon l’expression de Fernand Raynaud, pour avoir un rendez-vous au consulat, puis sans doute encore un certain temps pour obtenir son visa de long séjour avant de pouvoir revenir sur le sol français.

Il y a quelques jours, Mme Boutin avait émis les plus vives réserves…

M. Serge Blisko. À juste titre !

M. Patrick Braouezec. …sur la volonté du Gouvernement de rompre la vie familiale, la vie de couple. Elle s’était interrogée sur la réelle volonté qui pouvait animer ce gouvernement, surtout quand on sait que le présent projet de loi est « relatif à l’immigration et à l’intégration ». Voilà, une fois de plus, une disposition en contradiction avec les propos tenus par M. le ministre de l’intérieur dans son fameux livre Libre, où il estimait alors qu’il était nécessaire de vivre en famille pour avoir une bonne intégration.

Je demande donc la suppression de l’alinéa 7 de l’article 24, afin de permettre que le conjoint étranger soit régularisé dans les meilleurs délais.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les deux amendements identiques ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements.

Je me permets de rappeler que cette discussion a déjà eu lieu mercredi soir. La majorité avait alors accepté un sous-amendement de l’opposition à l’amendement n° 40, que je présentais, et un amendement, qui vous donnent toutes les garanties. En effet, nous avons adopté la disposition suivante : « Lorsque la demande de visa émane d’un étranger marié avec un ressortissant de nationalité française ou d’un enfant d’un ressortissant de nationalité française, les autorités diplomatiques et consulaires délivrent un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande ». Cela signifie que l’on oblige les autorités consulaires à délivrer un récépissé et qu’ainsi, en cas de refus, les conjoints étrangers ont la garantie de pouvoir faire valoir leurs droits. En outre, à la demande de M. Braouezec, me semble-t-il, un amendement a été adopté par notre assemblée, précisant que le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public.

Vous ne pouvez donc pas dire qu’une intention maligne se cache derrière cet article.

M. Patrick Braouezec. Avouez que cela ne facilitera pas la vie des gens et engendrera des frais supplémentaires !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Le retour dans le pays d’origine pour solliciter un visa de long séjour ne peut en aucun cas être considéré comme une rupture de vie commune pour un étranger marié en France avec un Français alors qu’il était seulement détenteur d’un visa de tourisme.

Lors de l’instruction par le consulat, il ne pourra en aucun cas être considéré qu’il y a rupture de vie commune.

Mercredi dernier, au terme d’un débat quelque peu complexe, j’ai proposé un amendement visant à créer un alinéa 3 à l’article 2.

M. René Dosière. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Voilà pourquoi le Gouvernement considère que les amendements identiques nos 285 et 573 ne se justifient pas.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Au contraire, ils se justifient pleinement car l’alinéa 7 est aussi dangereux, critiquable et condamnable que l’alinéa 6. En effet, il s’agit de demander à un conjoint de Français de retourner dans son pays pour obtenir un visa de long séjour. Or, nous savons que, dans de nombreuses situations, l’exigence de retour dans le pays d’origine entraînera des difficultés insurmontables pour les couples concernés, par exemple l’obligation de quitter son emploi, des frais importants de voyage et de séjour. Sans compter le risque qu’encourent certaines personnes en retournant dans leur pays d’origine. Mais de cela, vous n’avez pas parlé.

M. Patrick Braouezec. En fait, le Gouvernement rajoute de la bureaucratie !

M. Noël Mamère. De plus, il n’est pas rare qu’il faille attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, avant d’obtenir un visa. Et l’on sait que les refus et l’absence de réponse sont monnaie courante, sans parler des situations de corruption que nous avons d’ailleurs déjà dénoncées ici.

Tout conduit donc à penser que de nombreux conjoints refuseront d’appliquer cette obligation de revenir dans le pays d’origine pour obtenir un visa de long séjour et qu’ils resteront donc en France, venant nourrir cette catégorie de « ni expulsables ni régularisables ». Sous prétexte de lutter contre les mariages blancs, vous ne faites que restreindre encore un peu plus les droits des conjoints de Français.

Monsieur le président, des chiffres ont été donnés tout à l’heure. Pour ma part, j’en rappellerai quelques-uns issus d’organismes tout à fait respectables et auxquels on peut faire confiance puisqu’il s’agit notamment de l’observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration du Haut conseil à l’intégration.

Selon lui, le nombre de visas de long séjour accordés en France est passé de 167 381 en 2001 à 157 596 en 2004, dont 64 043 à des étudiants et 35 738 au titre du regroupement familial. Après une forte augmentation de 2000 à 2002 – une hausse annuelle de 8,5 % en moyenne entre 1998 et 2004 –, leur nombre s’est stabilisé entre 2003 et 2004. Il faut comparer ces chiffres aux 2 millions de visas Schengen délivrés par la France en 2004. Plus des deux tiers de visas de long séjour, soit 45 504 en 2004, ont été délivrés dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Leur nombre, qui était en augmentation entre 1998 et 2002, a baissé depuis. Cette évolution est la même pour le continent asiatique, mais l’Amérique est, pour sa part, en constante augmentation avec 27 324 visas. On ne peut donc pas dire que ces visas de long séjour soient le prétexte à des installations irrégulières toujours en provenance des mêmes pays.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. M. Braouezec a fait référence à des propos du ministre de l’intérieur. Cela vaut la peine de rappeler ici ce qu’écrivait exactement M. Sarkozy dans Libre, page 214, livre qu’il vous a sans doute dédicacé, monsieur le ministre : …

M. Patrick Braouezec. C’est son livre de chevet !

M. Yves Jego. Très bonne lecture !

M. René Dosière. …« On ne peut vouloir une intégration réussie et penser qu’elle le sera pour un homme privé de sa femme et de ses enfants. Je veux dire que le regroupement familial est, dans ces conditions, au sens strict du terme, l’un des droits de l’homme sur lequel on ne peut transiger, sauf à se renier. »

On a le droit de changer d’avis. Mais quand on écrit des phrases aussi fortes ? Il faut donc penser que M. Sarkozy s’est renié – d’ailleurs, ce ne serait pas la première fois.

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions.

D’abord, peut-on envisager une régularisation en restant sur place, c'est-à-dire en faisant une demande de visa de long séjour par courrier ?

Ensuite, en matière de droit d’asile, on distingue des pays dits « sûrs » et d’autres qui ne le sont pas, et dans lesquels les étrangers qui sont chez nous ne peuvent pas retourner. Dans ce cas, comment procéder à la régularisation ?

Enfin, comme je l’ai dit dans la discussion générale, actuellement, lorsqu’un ressortissant de la Communauté européenne épouse en France un étranger non communautaire, ce dernier obtient de droit sa régularisation en France, car la directive européenne l’impose. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 285 et 573.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 169.

La parole est à M. Noël Mamère, pour le soutenir.

M. Noël Mamère. Il s’agit d’un amendement de repli.

Pour obtenir un titre d'un an, les étrangers mariés avec des Français devront obligatoirement retourner dans leur pays d'origine pour y attendre la délivrance hypothétique d'un visa de long séjour. Actuellement, il est requis qu'ils soient entrés de façon régulière en France, ce qui constitue pour eux un obstacle majeur.

Exiger d’eux un visa de long séjour en bloquera beaucoup dans leur pays car, en pratique, de nombreux services consulaires refusent la délivrance du visa au motif que le mariage a été contracté à des fins étrangères à la vie conjugale. Il s'agit là, selon nous, d'une atteinte essentielle au droit à mener une vie familiale normale telle qu'elle est définie par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il est donc souhaitable de maintenir le statu quo pour ne pas durcir encore les conditions de séjour des étrangers.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Défavorable.

Je rappelle à M. Mamère, à qui cela a sans doute échappé, malgré son assiduité, que nous avons voté un amendement à l’article 2, précisant qu’un visa de long séjour demandé par un étranger conjoint de Français ne peut être refusé qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public. Ses craintes auraient peut-être pu être justifiées avant le vote de cet amendement mais, aujourd’hui, elles ne sont plus fondées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable pour les mêmes raisons. L’article 24 n’empêche en rien l’obtention d’un visa de long séjour puisque, selon la jurisprudence, la rupture de la vie commune depuis le mariage ne peut être opposée à l’étranger qui rentre dans son pays pour effectuer des démarches en vue d’obtenir un visa, du moins s’il continue d’entretenir des liens avec son conjoint.

Je suis un peu surpris par les arguments qui portent sur le regroupement familial, alors qu’il s’agit des conjoints. Sur ce point, l’article 2 a été amendé de façon à obtenir toutes les garanties nécessaires.

M’adressant à M. Pinte, je dirai que la réponse à sa première et à sa troisième question est négative. Quant à la deuxième, il faut apporter la preuve que l’on vient d’un pays non sûr pour bénéficier des dispositions liées au droit d’asile.

Nous avons engagé un débat avec nos partenaires de l’Union européenne car nous voudrions arrêter une fois pour toutes une liste commune des pays sûrs. Il est des pays dans lesquels l’armée française, aux côtés d’autres forces internationales, est engagée dans des actions de paix et dont certains ressortissants viennent chez nous en invoquant le droit d’asile. On ne peut pas envoyer des soldats français, qui prennent des risques pour assurer dans certains pays l’exercice de la démocratie et du suffrage universel,...

M. Patrick Braouezec et M. René Dosière. N’en faites pas trop !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. ...et considérer que ces pays ne sont pas sûrs. Nous avons dressé notre propre liste et nous essayons de convaincre nos partenaires européens d’adopter une fois pour toutes une liste qui serait opposable aux demandeurs d’asile.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Les réponses de M. le ministre à M. Pinte ne me convainquent pas car elles relèvent de l’affichage, voire de l’hypocrisie d’État. Le ministre prétend qu’il n’est pas possible de régulariser les étrangers sur place alors que le visa de long séjour leur sera délivré de droit par le consulat français de leur pays, où ils auront dû rentrer avant de revenir en France ! Outre la perte de temps, la bureaucratie que le dispositif va créer, il y a dans cette procédure quelque chose d’injuste : l’amour ne suffira pas pour qu’un étranger épouse une Française. Il faudra de l’argent pour financer le voyage – aller et retour –, sans compter les tracasseries bureaucratiques inévitables car, même si le visa est de droit, les délais pour obtenir un rendez-vous dans certains consulats dépassent un mois, et même deux !

Vous voulez envoyer un signal ? Reconnaissez qu’il n’est pas vraiment positif ! Il vaudrait mieux, ne serait-ce que pour éviter les rancœurs, régulariser sur place, comme le proposait M. Pinte, de la manière la plus humaine possible.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, contre l’amendement.

M. Claude Goasguen. À plusieurs reprises, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme a été invoquée pour justifier le regroupement familial. Comme nous avons eu du temps, je me suis rafraîchi la mémoire en consultant attentivement la jurisprudence sur cet article 8, que vous caricaturez à l’extrême, monsieur Mamère.

L’article 8 comporte deux alinéas et, si le droit au respect de la vie privée et familiale est affirmé dans le premier alinéa, le suivant introduit des limitations dans le cadre desquelles les dispositions du projet de loi se situent. Je fais d’ailleurs confiance au Conseil d’État qui a examiné le texte avant nous. Je ne vais pas vous lire la jurisprudence – ce serait long et fastidieux –, mais il faut cesser d’invoquer cet article à tout propos, même si je ne mésestime pas son importance. Vous devez, messieurs, être plus nuancés et plus précis.

M. Jean de Gaulle et M. Yves Jego. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Pourquoi le ministre n’a-t-il par répondu à M. Pinte qu’il existait deux listes des pays sûrs : une fixée par l’Union européenne et une liste nationale dressée par l’OFPRA ? La loi du 10 décembre 2003 se référait à la liste nationale transitoire. La grande nouveauté, c’est de faire coexister les deux listes, c’est-à-dire d’étendre le champ des pays sûrs, dont certains sont pourtant devenus très dangereux. La Russie ou la Tchétchénie peuvent-elles aujourd’hui être considérées comme des pays sûrs ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Mamère, le Gouvernement répondra lors de l’examen de l’article 64. Nous aurons alors l’occasion de débattre au fond au lieu de se contenter, à ce stade, d’une discussion superficielle.

M. Serge Blisko. Nous prenons rendez-vous !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. En revanche, monsieur Braouezec, votre intervention était tout à fait justifiée s’agissant des délais. Je m’engage, au nom du Gouvernement, à ce que des instructions soient données aux consulats pour qu’ils traitent de façon prioritaire les demandes de visa de long séjour formulées par des conjoints de Français. Pour éviter ce que vous appelez des tracasseries, il suffit de demander son visa de long séjour avant de venir se marier en France – c’est tellement plus simple.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Puisque vous vous voulez rassurant, monsieur le ministre, pourquoi ne pas préciser que les visas de long séjour, qui sont de droit, seront accordés « rapidement » ? À cet article, ou ailleurs.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Sur le plan juridique, « rapidement » n’a aucun sens !

M. Patrick Braouezec. « De façon prioritaire » alors, selon l’expression qui a déjà été utilisée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Je répète, monsieur Braouezec, que c’est prévu à l’article 2. On ne va pas l’ajouter à tous les articles.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 169.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 81 rectifié.

La parole est à M. le rapporteur, pour le défendre.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 81 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 6 tombe.

Je suis saisi d’un amendement n° 82 rectifié.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 82 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 19.

La parole est à M. Jérôme Rivière, pour le soutenir.

M. Jérôme Rivière. L’amendement vise à relever la durée de contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’enfant français. Dans l’hypothèse où le parent étranger ne s’est pas occupé de son enfant depuis sa naissance, il ne faut pas que le rôle et la charge de parent soient découverts seulement à l’occasion d’un projet de régularisation. Cette responsabilité doit s’inscrire dans la durée.

M. Patrick Braouezec. Suspicion !

M. Jérôme Rivière. Le code prévoit actuellement un an. Pourquoi pas deux, trois ou quatre ?

M. Patrick Braouezec. Fantasmes !

M. Jérôme Rivière. Le délai de deux ans est fixé dans l’idée de la récurrence de l’engagement familial, qui vaut également pour la scolarité et pour les engagements culturels ou sportifs de l’enfant.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Favorable.

En 2003, le Parlement a conditionné la délivrance d’une carte de séjour à un parent d’enfant de nationalité française à « une contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis plus d’un an ». Il fallait réagir à la multiplication des reconnaissances de paternité.

Notre collègue Jérôme Rivière propose de porter le délai d’un à deux ans. En effet, contribuer à l’éducation d’un enfant pendant une seule année ne peut suffire à caractériser une mission parentale.

M. Jacques Myard. Élever un enfant, cela dure vingt ans !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Puisqu’il sera possible de continuer à contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant après une séparation, je précise que cet amendement n’a pas pour effet de réduire le droit au séjour accordé dans ce cadre.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Favorable. Le relèvement d’un à deux ans de la durée de la contribution effective aux besoins de l’enfant pour les parents qui ne peuvent justifier une prise en charge de leur enfant depuis sa naissance permettra de lutter contre le phénomène des reconnaissances de paternité de complaisance.

Je remercie M. Rivière pour cet amendement qui enrichira le texte.

M. le président. La parole est M. Serge Blisko, contre l’amendement.

M. Serge Blisko. Cet amendement visant à prolonger la durée de contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’enfant français, je vous le demande : pourquoi s’arrêter à deux ans ? Un enfant coûte cher jusqu’à dix-huit ans – puisque, au-delà, il est vrai, au regard de la loi du moins, ce n’est plus un enfant !

M. Jean-Christophe Lagarde. Que M. Blisko dépose un amendement écrit !

M. Serge Blisko. Les enfants coûtent cher à tout âge, monsieur Rivière, je puis vous l’assurer !

M. Noël Mamère. Après dix-huit ans aussi !

M. Serge Blisko. Assurément, mais cela dépasse le cadre de l’amendement.

Soyons sérieux, monsieur Rivière ! Chacun sait qu’il existe aussi des parents français – des pères le plus souvent – qui ne s’occupent pas suffisamment de leurs enfants, sur les plans financier ou éducatif, voire affectif.

Il n’y a aucune raison, dans ces conditions, que l’amendement ne propose pas de prolonger la durée jusqu’à dix-huit ans, puisque de toute façon les parents doivent payer jusque-là !

M. Jérôme Rivière. Il s’agit d’une durée, non de l’âge de l’enfant !

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Je me permets, à l’occasion de la discussion de cet amendement, d’appeler l’attention du Gouvernement sur un problème important qu’a soulevé l’amendement n° 127 de M. Marsaud, et que je n’ai malheureusement pas eu la possibilité d’évoquer : il s’agit des trafics d’enfants, dont le nombre, hélas, est en constante augmentation. Les enfants en cause sont le plus souvent originaires de pays, notamment musulmans, où c’est la tutelle qui joue le rôle de l’adoption plénière, laquelle n’existe pas : des adultes, qui ne sont pas les parents légitimes mais qui, pour des raisons diverses, sont devenus tuteurs de ces enfants, demandent, par la suite, leur entrée sur le territoire français. Il nous faut absolument adopter des précautions juridiques en la matière, car les abus de droit sont de plus en plus fréquents. J’espère que la question sera évoquée au Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 574.

La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.

M. Patrick Braouezec. J’ai déjà défendu cet amendement, qui permet la suppression de toutes les références à l’article L. 311-7 relatives à l’obtention d’un visa de long séjour, en conformité avec la demande de suppression de l’article 2.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Défavorable.

Monsieur le président, le ministre d’État venant de nous rejoindre, je me permets de vous suggérer de revenir à l’examen des trois amendements réservés.

M. le président. Nous reviendrons à l’examen de ces trois amendements après le vote sur l’amendement n° 574.

Quel est l’avis du Gouvernement sur ce dernier amendement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 574.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Nous en revenons aux trois amendements, nos 572, 166 et 262, précédemment réservés.

Je rappelle que le groupe socialiste avait demandé un scrutin public sur le vote de l’amendement n° 572.

Le scrutin est donc de nouveau annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. 

L’amendement n° 572 a déjà été défendu.

La parole est à M. Noël Mamère, qui souhaitait s’exprimer en présence de M. le ministre d’État.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, nous sommes d’autant plus ravis de votre visite qu’elle revêt un caractère exceptionnel au cours de cette discussion. Nous pouvons le regretter, parce que…

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. N’exagérez pas, car je pourrais repartir !

M. Noël Mamère. C’est précisément parce que nous savons que vous allez repartir que nous vous remercions de cette venue exceptionnelle.

M. le président. Monsieur Mamère, vos propos pourraient être interprétés comme un manque de courtoisie. Je vous rappelle que les amendements ont été réservés à votre demande.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, j’ai fait preuve de courtoisie puisque j’ai remercié M. le ministre de l’intérieur d’avoir pris sur son emploi du temps, qui est très chargé, pour venir s’expliquer devant la représentation nationale.

M. le président. Monsieur Mamère, j’ai siégé plusieurs années dans l’opposition et je n’ai pas le souvenir que la majorité de l’époque ait jamais satisfait une telle demande.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait !

M. Noël Mamère. Nous remercions M. le président de séance d’avoir pris l’initiative de réserver ces trois amendements, afin que nous puissions en discuter avec M. le ministre de l’intérieur, qui a pris soin de nous faire savoir par la voix de son ministre délégué, ce matin, qu’il était favorable au débat et qu’il était prêt à écouter les arguments constructifs que nous pourrions lui présenter.

Lors de la présentation de son projet de loi, il a insisté sur l’importance que revêtait à ses yeux la suppression d’une règle qui, adoptée depuis de longues années, autorise la régulation presque automatique – elle ne l’est pas entièrement – des étrangers ayant résidé dix ans sur le territoire français. La volonté exprimée par le ministre d’abandonner ce principe représente à nos yeux un tournant dangereux qui révèle l’esprit du projet de loi, lequel vise à précariser les étrangers, en en faisant des boucs émissaires aussi indésirables les uns que les autres.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre d’État, mes collègues de l’opposition, ceux de la majorité qui nous ont suivis sur ce point et moi-même, tenons à souligner que vous envoyez un très mauvais signal à l’ensemble du monde, et plus précisément aux pays qui connaissent une forte émigration, en raison de leur sous-développement ou de la tyrannie qu’ils subissent, voire des deux à la fois. Nous ne saurions accepter qu’un étranger qui vit depuis dix ans et dans des conditions très difficiles dans un grand pays comme le nôtre puisse être assimilé à un profiteur et que sa régularisation après un tel délai soit considérée comme une prime à la tricherie ou à la clandestinité. Il s’agit au contraire d’une prime au courage de celui ou de celle qui, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, a montré une si grande obstination à rester en France ; c’est la preuve d’une réelle volonté d’intégration.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous insistons particulièrement sur ce point et en appelons à la fois à votre sens politique, à votre humanité et – pourquoi pas ? –, bien que vous soyez, en tant que ministre de l’intérieur, en charge de l’ordre public, à votre sens de la générosité. Mais il s’agit avant tout du respect d’un droit fondamental et universel qu’aucun projet politicien ne saurait remettre en cause.

Monsieur le ministre, sur d’autres sujets, vous avez su changer d’avis – il suffit, pour en avoir la preuve, de se référer à des livres que vous avez écrits il y a quelques années déjà. Changer d’avis n’est ni condamnable ni infamant, surtout sur des sujets comme celui-ci.

La France gagnerait à la suppression de l’alinéa 6 de l’article 24. Je l’affirme avec d’autant plus de force que M. Estrosi nous a assurés que vous vous étiez à ce point impliqué dans la rédaction de l’article 24 que vous le personnifiiez. Il est dans ces conditions normal que nous attendions de vous des réponses à la hauteur de nos inquiétudes.

M. le président. Pour la clarté des débats, je tiens à préciser que je donnerai successivement la parole aux cinq orateurs qui l’ont demandée : MM. Dray, Roman, Braouezec, Pinte et Lagarde. M. le ministre d’État s’exprimera quand il le souhaitera. Nous passerons ensuite au vote par scrutin public sur l’amendement n° 572.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Je remercie d’autant plus volontiers le ministre de l’intérieur d’être venu dialoguer avec tous les parlementaires qui l’ont souhaité – MM. Braouezec, Mamère, Roman, Dosière et Lagarde – que, chacun le sait, au-delà de ces murs, les rumeurs bruissent d’événements en suspens, et qu’il est sans aucun doute en première ligne.

Monsieur le ministre, nul ne l’ignore, nous ne sommes pas du même bord idéologique. À plusieurs reprises déjà, nous nous sommes affrontés. Toutefois, je dois vous avouer que, sur ce point précis, je ne vous comprends pas – je ne suis pas le seul.

Vous connaissez l’histoire de la disposition que vous remettez aujourd’hui en cause. C’est la droite qui en est à l’origine, ce n’est pas la gauche, qui s’est contentée de raccourcir les délais. Vous-même, à l’époque, aviez été conduit à prendre position et à reconnaître que la situation était ubuesque, insupportable, indigne d’un pays comme le nôtre.

Plusieurs orateurs de la majorité, qui se sont exprimés sur le sujet, nous ont fourni des explications qui n’ont aucun rapport avec ce qui est en jeu. Car il ne s’agit pas de personnes ayant enfreint d’une manière ou d’une autre les lois de la République ou la morale publique, ou encore agressé des citoyens français. Qui, dès lors, interviendrait en leur faveur ? Non, il s’agit de bien autre chose ! Ce sont des cas particuliers dont la République porte l’entière responsabilité du fait même que la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers n’a cessé d’évoluer – chacun le sait ici –, si bien que les services de l’État eux-mêmes ne l’appliquent pas avec exactitude, faute de s’y retrouver dans le dédale des changements incessants, et que des immigrés ont été piégés comme dans les mailles d’un filet. Ils sont devenus prisonniers de la situation dans laquelle ils se trouvaient au départ et leur vie quotidienne s’en est trouvée dramatiquement fragilisée. Être en situation irrégulière six mois ou un an, c’est une chose, mais l’être plus de dix ans sans discontinuer, c’en est une autre ! Cela signifie que des liens se sont tissés. J’ai évoqué le cas de M. Sara Camara : sa présence, cet après-midi, dans les tribunes, en compagnie de quelques-uns de ses collègues. montre l’intérêt qu’il porte à nos discussions et le sérieux de son engagement.

M. Pinte l’a rappelé, la procédure actuelle n’est en rien automatique et l’administration peut toujours refuser la délivrance d’un titre de séjour en cas de problème. Ce que cette procédure impose seulement à l’administration, c’est de prendre en considération le fait qu’un séjour de plus de dix ans, sur le territoire français, a un sens. Il ne s’agit pas d’une prime à l’illégalité ! Du reste, il n’est pas vrai que les Africains, dans leurs villes, ou les ressortissants des pays de l’Est – mais, dans 90 % des cas, il s’agit d’Africains – se disent : « Accroche-toi dix ans et tu obtiendras ta carte de séjour ! » Cela ne se passe pas ainsi, et vous le savez très bien ! Ces gens ont simplement noué des relations très fortes avec le pays où ils ont vécu durant toutes ces années et ils y ont contracté des liens affectifs, voire familiaux. Souvent, aussi, ils y ont trouvé un emploi régulier. M. Blisko l’a rappelé : dans la plupart des cas, ils ne travaillent pas dans l’illégalité ! Le paradoxe de la situation, c’est précisément qu’ils travaillent en toute légalité ! C’est le cas de M. Sara Camara, qui ne travaillait pas de manière illégale, puisqu’il était employé à la Conciergerie, c’est-à-dire dans un établissement public ! Il ne vivait pas caché ! Il avait signé un contrat de travail avec un organisme public…

M. Jacques Myard. Sans doute au temps de M. Lang !

M. Julien Dray. …et son employeur n’a jamais rien eu à lui reprocher, bien au contraire ! La mobilisation de tous ses camarades le prouve ! Tels sont les cas que nous avons à traiter : ils ne relèvent pas d’un débat idéologique, ce sont autant de situations particulières, qui nous ont conduits collectivement, il y aura bientôt dix ans, à prendre la mesure que nous avions alors adoptée – je tiens à remercier M. Estrosi d’avoir évoqué mes prises de position de l’époque, qui n’étaient que l’expression de ces situations particulières.

Monsieur le ministre, je vous le dis sincèrement – du reste, je n’ai pas l’habitude de tenir des propos excessifs – : franchement, je ne comprends ni le dispositif que vous voulez nous faire adopter, ni le rapport qu’il entretient avec l’immigration choisie – qui est votre théorie –, ni ce qu’il est censé apporter. En revanche, je vois très bien là où il nous conduira dans les mois à venir. Les cas que j’ai évoqués existent : en tant que ministre de l’intérieur, vous serez inévitablement conduit à délivrer des titres de séjour.

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman.

M. Bernard Roman. Monsieur le ministre d’État, le projet de loi comporte, vous le savez, de très nombreuses dispositions que nos convictions nous poussent à combattre avec toute notre énergie – attitude ô combien légitime en démocratie. Parmi les mesures proposées, il en est une que nous combattons particulièrement. Un certain nombre de parlementaires de la majorité ont d’ailleurs fait part de leurs doutes quant à son efficacité. Aussi vous demandons-nous de réexaminer votre position.

La mesure qui permet d’examiner la demande de régularisation de séjour des immigrés présents sur le territoire national depuis plus de dix ans existe parce que M. Debré, alors place Beauvau, avait trouvé cette porte de sortie à la suite d’événements difficiles démontrant l’échec de la République en matière d’immigration – M. Dray vient d’y faire allusion.

Cette « porte », vous l’avez laissée ouverte lors de l’examen de votre projet de loi de 2003 relatif à l’immigration. Or, au-delà de notre opposition à ce texte dans sa globalité, nous avions pensé que cette mesure en particulier restait bonne. En effet, grâce à elle, un petit nombre d’immigrés sont régularisés chaque année : 3 000 à peine, sur un « stock » évalué à 200 000 voire 300 000 personnes qui seraient en situation irrégulière sur le territoire national.

Cette porte, maintenue ouverte en 2003, vous la fermez aujourd’hui. Nous pensons non seulement, comme l’ont dit M. Dray et M. Mamère, que c’est une erreur eu égard à la générosité dont nous devons faire preuve, mais encore, au-delà de l’idée de générosité, nous pensons qu’il s’agit d’une erreur globale car ce texte conduira forcément à précariser les étrangers en situation irrégulière présents dans notre pays.

Or, parmi d’autres, la mesure permettait à un certain nombre d’étrangers d’espérer échapper à la précarité et à la désespérance. N’étaient-ils pas présents depuis dix ans sur notre territoire ? N’avaient-ils pas noué des liens relevant bien souvent de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ? S’ils ne sont pas régularisés, ils ne pourront pas être expulsés et seront donc à perpétuité des étrangers sans statut.

Il y a pour eux, dans la disparition de cette mesure, une cause de désespérance qui risque non seulement de les pousser à bout, mais aussi, et ici l’exécutif est davantage concerné que le Parlement, d’entraîner une généralisation de leur combat, alors que, jusqu’à présent, chacun pouvait nourrir l’espoir individuel d’une régularisation.

Monsieur le ministre, nous avons évoqué des questions techniques, comparé les pays européens entre eux pour affirmer que cette mesure n’existe nulle part, ou au contraire pour soutenir qu’elle existe sous d’autres formes ; nous avons aussi parlé de la prescription, principe de droit français, à propos de l’impunité pour l’infraction au séjour. Je crois que tous ces arguments techniques s’effacent largement quand on considère la dimension humaine que nous vous demandons de prendre en compte en premier lieu.

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Tout d’abord, monsieur le ministre d’État, je souhaite vous remercier de nous avoir rejoints. C’est moi en effet qui ai demandé, en accord avec M. Roman et M. Mamère, qu’on réserve l’alinéa 6 de l’article 24. Je remercie aussi le président de séance qui, avec l’accord de M. Estrosi, a répondu favorablement à cette demande. Et puisqu’on doit reconnaître ce qui est juste, je reconnais, monsieur le président, que c’est la première fois que j’assiste à ce genre de procédure à la demande de l’opposition.

Je ne sais pas si vous serez, monsieur le ministre d’État, sensible à nos arguments et à ceux que vont sans doute développer, après moi, M. Pinte et M. Largarde. J’aimerais en tout cas, pour ma part, vous convaincre de deux idées portant sur un débat dont nous nous sommes félicités de la qualité sur tous les bancs, ceux des ministres compris – débat qui révèle deux visions de la société de demain, pour reprendre votre expression.

Je souhaite d’abord vous convaincre que l’abandon de cet article ne remet pas en cause la philosophie qui sous-tend votre projet de loi – l’immigration choisie – puisque nous traitons ici de la situation de 3 000 à 4 000 personnes, c’est-à-dire de 0,002 % de la population.

Ensuite, les personnes en cause ont su rester dans le pays dans des situations particulièrement difficiles, sans commettre d’infractions qui les auraient, au-delà de leur cas, rendus passibles d’expulsion. Elles ont créé des liens sociaux grâce à leur famille ou bien à leurs qualités propres. Nous demandons simplement que soit maintenue la possibilité d’étudier au cas par cas la régularisation de leur situation, possibilité maintenue par vous dans la loi de 2003. Aussi, je le répète, il ne s’agit pas de demander une régularisation systématique de tous les sans-papiers.

M. Pinte et Mme Boutin ont montré à quel point ils étaient soucieux de cette situation. Nous avons tous entendu les témoignages, sur tous les bancs de l’hémicycle, de députés ou de maires sollicités par ces personnes et qui, au bout du compte, expriment la même volonté de règlement de la situation.

Comme l’a dit Julien Dray, notre assemblée se grandirait si vous acceptiez, non pas de céder – je n’emploierai jamais ce terme – à cette exigence, à cette plainte, à ce cri émanant de l’opposition et d’une partie de la majorité, sans oublier des centaines d’associations ni toutes les Églises de France, mais de les entendre. Vous avez la possibilité de montrer qu’au-delà de votre choix d’une immigration choisie, vous restez attentif, sensible – je ne dis pas généreux – au sort de ces personnes, et, finalement, épris de justice.

Ne pas abroger la mesure en question n’est pas donner une prime à la clandestinité, mais simplement reconnaître que ces étrangers ont contribué, par leur travail, au développement de notre pays, qu’ils ont créé, j’insiste, des liens sociaux, familiaux, culturels et qu’ils ont même pu participer à la vie associative – j’en connais beaucoup qui sont complètement impliqués dans la vie associative et qui apportent leur part à l’équilibre de nos cités.

Ainsi, au-delà de ces populations, c’est l’ensemble de la société française que vous rencontrerez.

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Je remercie M. le ministre d’État de nous avoir rejoints, ce qui ne doit pas être évident si l’on considère son emploi du temps.

Vous avez bien compris que la suppression du délai de dix ans pour envisager la régularisation d’un certain nombre d’étrangers en situation irrégulière posait problème.

Différents textes – la circulaire Pasqua, les lois Debré, puis les lois Chevènement – ont institué des délais pour envisager l’instruction des dossiers de régularisation. Pour quelle raison ? Au fond, comme nous ne souhaitions pas régulariser de façon massive, à l’instar de ce qu’ont fait les Italiens ou les Espagnols il n’y a pas très longtemps, la seule manière d’envisager une régularisation éventuelle était de pouvoir, grâce à la loi, instruire les dossiers au cas par cas.

Je souhaite qu’au cours de votre intervention vous nous apportiez des précisions qui nous donneront peut-être un début de réponse aux questions que nous nous posons.

Vous avez dit vouloir donner instruction aux préfets de réactiver les commissions départementales du titre de séjour, composées d’instances locales, de magistrats, de personnalités qualifiées, d’élus locaux, commissions chargées de donner un avis sur des dossiers sensibles.

J’aimerais savoir ce qu’est, dans votre esprit, un « dossier sensible ». Lesdites commissions seront-elles saisies – et par qui ? – de tous les cas qui, au bout de dix ans, peuvent éventuellement être régularisés ? Je vais même plus loin : à partir du moment où il n’y a plus de délai, les associations pourront-elles, à tout moment, soumettre à ces commissions des cas sensibles, cas dès lors susceptibles d’être régularisés non pas au bout de dix ans, mais avant ce délai ?

Vous nous avez également affirmé que vous alliez créer, par circulaire, une commission nationale dont l’objectif sera de veiller à l’harmonisation des pratiques préfectorales en matière de régularisation. C’est d’autant plus important qu’à l’heure actuelle, dans le cadre des arrêtés ministériels et, surtout, des arrêtés préfectoraux d’expulsion, il existe dans chaque département une commission de l’expulsion qui doit donner son avis au préfet pour savoir si l’on doit expulser ou non telle ou telle personne.

Aussi, monsieur le ministre d’État, j’aimerais que vous nous indiquiez très exactement quel type d’étrangers en situation irrégulière pourra bénéficier des instances que vous envisagez de mettre en place. S’agira-t-il de tous les étrangers irréguliers ou seulement d’une catégorie d’entre eux ? S’agira-t-il de celle qui pourrait aujourd’hui bénéficier d’une régularisation au bout de dix ans ?

Dans la mesure où le délai est supprimé, on pourrait éventuellement envisager que le cas d’un certain nombre de ces personnes puisse être soumis à l’examen de ces commissions départementales au bout de cinq ans de présence, afin de bénéficier – pourquoi pas ? –d’une régularisation anticipée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. À mon tour, je vous remercie d’être présent ce soir, monsieur le ministre d’État. N’y voyez aucune flagornerie de ma part : ce n’est pas dans mon caractère et, comme vous, j’aime être un homme libre. Vous n’étiez d’ailleurs pas là lorsque je disais ce matin que vous étiez le seul ministre, dans les gouvernements qui se sont succédé, à accepter parfois – sans doute parce que vous êtes le seul à avoir l’autorité politique et l’indépendance pour le faire – des amendements de l’opposition ou de l’UDF, bref à tenir compte du débat parlementaire. Je tenais à le souligner, car je crois que la République française est en train de souffrir, voire de sombrer, du fait de l’absence de considération dont le Gouvernement, vous mis à part, fait preuve à l’égard du Parlement.

M’intéressant depuis quelques années à ces questions, je n’ai pas, au sein de l’UDF, une réputation de laxiste. Cependant, j’ai changé d’avis sur la disposition dont nous débattons. Je ne l’avais pas approuvée au moment de la loi Chevènement. Depuis, mon expérience de maire et de député m’a démontré qu’elle était en définitive utile dans un certain nombre de cas.

Je précise que l’expression « immigration choisie » ne me choque pas. Du reste, si l’on n’a pas le droit de choisir, il n’est plus besoin de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers ! Je ne suis pas naïf et sais fort bien que ce qui se passe dans l’hémicycle doit être placé dans la perspective des combats politiques de l’année prochaine.

Cependant, monsieur le ministre, en dépit des dispositions intéressantes et utiles qu’il contient, je ne pourrai pas voter l’article 24 si son sixième alinéa est maintenu, à moins que vous ne répondiez à M. Pinte qu’il s’agit de raccourcir les délais – et quand bien même ce serait le cas, cela nécessiterait encore réflexion !

La régularisation au bout de dix ans ne crée pas d’appel d’air : de tous les étrangers qui sont venus rencontrer le député que je suis pour évoquer leur possible régularisation, aucun n’a jamais mentionné cette possibilité. D’ailleurs, il faut en général plus de dix ans, car, au départ, un étranger ne connaît pas les règles et ne peut prouver sa présence sur le territoire.

Cette disposition n’est pas non plus une prime au non-respect des lois : c’est en réalité une forme de prescription, après dix ans, d’un délit qu’on devrait pouvoir plus souvent sanctionner par l’expulsion, celui de l’entrée illégale ou de la présence sur le territoire après l’expiration d’un visa touristique. Elle n’a pas de caractère automatique : sur le terrain, on peut observer qu’elle s’applique au cas par cas, d’où le faible nombre des régularisations effectuées par ce biais.

Souvent, les étrangers en situation irrégulière ne sont pas expulsables en droit, et ils ne le sont pas plus en pratique, quand on sait que, sur les 100 000 arrêtés d’expulsion pris chaque année, on peut en appliquer 20 000 – et encore, ce nombre a doublé grâce à votre détermination, monsieur le ministre.

Selon moi, nous sommes contradictoires dans notre démarche : nous nous plaignons régulièrement de l’augmentation de l’aide médicale d’État, mais nous ne nous donnons pas les moyens de régulariser, au fur et à mesure, certaines personnes pour lesquelles nous ne disposons pas d’autre solution. Ce texte sanctionne les entreprises qui, en utilisant cette main-d’œuvre, pratiquent un quasi-esclavagisme, et des amendements du rapporteur adoptés ce matin ont encore durci les sanctions, mais nous ne ferions qu’alimenter ces pratiques si nous ne régularisions pas une partie de ces personnes.

De plus, une fois ce texte voté, nous allons devoir solliciter les administrations et les commissions pour examiner les différents cas qui se présentent. En cela, nous risquons de nous substituer à l’État. Or, comme vous, je n’aime pas les lois qui ne s’appliquent pas.

Conserver la disposition du projet de loi aura pour effet de gonfler les rangs de ceux que la gauche appelle « les sans-papiers » et que j’appelle pour ma part les personnes en situation irrégulière, si bien que l’on assistera régulièrement à des crises, manifestations, grèves de la faim, etc., qui relanceront le débat. Ce ne sera pas seulement inutile : ce sera aussi humainement intenable !

On pourra bien lancer un message en direction des pays d’où provient l’immigration clandestine, mais on n’aura pas d’autre choix, pour éviter d’augmenter le nombre de clandestins, que d’utiliser discrètement la disposition « vie privée et familiale ».

La suppression proposée dans le projet de loi est donc – puissé-je vous en convaincre, monsieur le ministre – une erreur politique, car elle permet à certains de caricaturer ce texte, et une erreur humaine, car aucune loi, si élaborée soit-elle, ne peut couvrir tous les cas particuliers. Dans nos permanences, nous avons tous rencontré ces cas que la loi ne permet ni de prévoir ni de régler, tant les parcours humains peuvent être compliqués. Parfois, la régularisation au bout de dix ans est la seule porte de sortie. Ce n’est pas, je le répète, une prime à la clandestinité. De par le délit qu’elles commettent en restant sur le territoire, ces personnes sont condamnées à dix ans de clandestinité. Dix ans, cela suffit. La perpétuité, c’est trop.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, un mot de méthode tout d’abord.

Il se trouve que j’ai la chance d’être secondé par deux ministres délégués de qualité : Christian Estrosi et Brice Hortefeux.

M. Patrick Braouezec. On les apprécie.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Et vous avez raison, monsieur Braouezec ! Au ministère de l’intérieur comme à Bercy, où il y avait cinq ministres délégués, ma conception du travail gouvernemental fait que les ministres délégués sont associés à toutes les étapes de la conception et de la présentation d’un projet. Dans l’équipe que nous formons, il n’y a pas quelqu’un qui parle et les autres qui triment. J’assure bien entendu le leadership, mais je puis me reposer en toute confiance sur M. Hortefeux ou M. Estrosi pour défendre le projet de loi. Je mets d’ailleurs quiconque au défi de relever le moindre problème entre mes ministres délégués et moi – la question ne se pose même pas pour Christian Estrosi et Brice Hortefeux, avec qui j’entretiens des liens d’amitié. Cela change de ce qui se passe généralement ! J’assume donc le fait que ce texte important puisse être défendu par un ministre délégué.

Mais il est aussi parfaitement normal que le Parlement puisse m’entendre quand il le souhaite. C’est alors à moi de me débrouiller pour me rendre disponible, quels que soient le jour ou l’heure. Il est même préférable, monsieur Mamère, que je sois présent quand vous avez besoin de m’entendre, plutôt que de rester tout au long de la discussion – qui peut parfois être répétitive, nous le savons tous – des quatre-vingt-quatre articles. Il n’y a pas à me remercier pour une chose que je considère comme normale. Je suis prêt à revenir dès que vous le jugerez nécessaire.

M. René Dosière. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je crois qu’il n’est pas inutile d’évoquer ainsi la méthode, car celle-ci conditionne beaucoup de choses.

J’en viens au fond pour souligner d’emblée que je respecte la façon dont vous avez, les uns et les autres, abordé le débat. Ce n’est pas parce que nous sommes en désaccord que je trouve que vos arguments sont sans valeur. J’apprécie hautement ce débat qui n’est en rien idéologique et ne considère en aucun cas que les arguments de M. Braouezec, M. Dray, M. Roman, M. Lagarde ou M. Pinte sont faux. Il y a là une vraie question, que je me suis moi-même posée. Si la solution était si facile, j’aurais proposé dès 2003 de supprimer la mesure dont nous parlons. Mais non : j’ai hésité, j’ai réfléchi, et j’ai conclu d’une autre manière que vous.

Pourquoi ? Parce que, si la règle de régularisation automatique au bout de dix ans marchait, nous ne rencontrerions pas de problèmes.

M. Patrick Braouezec. Ce n’est pas une régularisation automatique !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Si, et ces mots ont un sens : tout étranger qui peut prouver qu’il est là depuis dix ans est automatiquement régularisable.

M. Patrick Braouezec. Non !

M. Julien Dray. Il a la possibilité d’être régularisé : c’est différent.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Cette régularisation est de plein droit.

M. Noël Mamère. Non !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Si vous pouvez prouver que vous êtes là depuis dix ans, vous avez la possibilité de demander votre régularisation.

M. Julien Dray. Oui : « de demander »…

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il n’empêche que c’est un droit et qu’il est automatique. Ne jouons pas sur les mots ! L’article L. 313-11 l’énonce clairement : « est délivrée de plein droit ». Si vous préférez l’expression « de plein droit » à l’adjectif « automatique », je vous le concède bien volontiers, car cela veut dire rigoureusement la même chose !

Mme Nadine Morano. Bien sûr !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. S’agissant maintenant de la régularisation, il me semble que nous pouvons faire un bout de chemin les uns vers les autres. Si vous me demandez, monsieur Pinte, monsieur Lagarde, si je suis d’accord, en tant que ministre de l’intérieur, avec le maintien d’une procédure de régularisation hors des circuits habituels, la réponse est oui. Je vous le dis au nom du Gouvernement : c’est oui.

M. Yves Jego. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je ne propose pas de supprimer ce type de procédure exceptionnelle. Pardonnez-moi d’être un peu scolaire dans ma présentation, mais il convient de bien distinguer les points d’accord et les points de désaccord.

Le changement que je propose, c’est la suppression de cette régularisation de plein droit au bout de dix ans, et ce pour deux raisons. Je considère tout d’abord que le critère des dix ans n’est pas pertinent : pourquoi pas cinq, ou quinze ? Cela n’a pas de sens ! Ensuite, j’ai pu observer que cette procédure ne réglait aucun des problèmes que connaît la France – au point, d’ailleurs, que M. Fabius demande une régularisation globale.

M. Julien Dray. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Les squats qui ont flambé cet été, les pauvres gens qui sont morts : voilà bien la preuve de toute la misère de la clandestinité !

La régularisation de plein droit au bout de dix ans ne résout donc rien. Au demeurant, ni M. Pinte ni M. Lagarde ne défendent le critère des dix ans. Ils veulent avant tout qu’il existe un sas, en dehors des procédures juridiques, des règlements et des circulaires, pour permettre de décompresser des situations humaines dramatiques. Je connais bien M. Pinte, je pense connaître aussi M. Lagarde, et il me semble que je ne trahis pas l’esprit de leurs interventions.

Partant de ces constats, je propose au nom du Gouvernement de solenniser le droit à la régularisation. Et me tournant vers les bancs la gauche, je demande : pourquoi attendre dix ans ?

M. Julien Dray. Je vous l’expliquerai !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Pourquoi empêcher la régularisation d’une famille ou d’une personne régularisable au bout de quatre ans ? Pourquoi les faire attendre encore six ans ? Je vais beaucoup plus loin que vous et affirme qu’il peut exister des cas où l’on a besoin d’une telle régularisation. J’ouvre donc la porte. C’est une mesure d’ouverture et non de fermeture que je propose, monsieur Lagarde.

Et il y a mieux ! L’idée n’est d’ailleurs pas venue de moi. Ce sont les associations qui ont attiré mon attention sur le risque d’arbitraire : il pourrait y avoir des départements où les régularisations se feraient à cent pour cent, et d’autre à zéro pour cent. Trouvant cet argument intéressant, je me suis mis au travail et je vous propose aujourd'hui la création d’une commission nationale composée à parité de représentants de l’administration et de représentants des associations, et d’élus.

M. Patrick Braouezec. Qui les nommera ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je suis ouvert à tous les amendements sur ce sujet et suis sûr que le digne représentant du groupe communiste me proposera la solution la plus démocratique, monsieur Braouezec ! (Sourires.) Lorsque l’on croit contrôler les associations, on s’expose, comme vous le savez, à bien des surprises !

Mme Jacqueline Fraysse. Ça, ce n’est pas faux !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je suis preneur de toutes les bonnes idées. La composition paritaire me semble intéressante en ce qu’elle assure la diversité.

Le rôle de cette commission sera en premier lieu d’harmoniser les critères de régularisation, car il n’est pas normal que ceux-ci varient d’un département à l’autre. Elle pourra donner l’alerte sur les anomalies. Nous sommes là dans le droit fil des considérations d’Étienne Pinte sur le rôle de l’État et sur l’équité qui doit régner.

Cette commission sera aussi une structure d’appel en cas de refus. Vous l’avez dit, cela ne concerne que 3 000 cas : il ne devrait pas être difficile d’imaginer un filtre.

Elle aura enfin à préciser les critères de régularisation – parce qu’il doit y en avoir, même si certaines situations humaines totalement hors critères doivent être prises en considération –,…

M. Jean-Christophe Lagarde. On ne peut pas tout prévoir !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …qui pourraient relever de deux catégories.

Première catégorie : les exigences humanitaires. J’assume cette expression volontairement vague, car plus les critères seront précis, moins la régularisation jouera le rôle de soupape humaine que vous voulez, à juste titre, lui faire jouer. Je considère en effet que la réglementation doit comporter une telle soupape, pour ne pas refaire un code de l’immigration, ce qui n’aurait aucun sens.

La seconde catégorie de critères permettrait la régularisation ponctuelle d’étrangers dont la présence peut représenter une chance, une utilité, une opportunité – ou tout autre terme que vous jugerez approprié – pour notre pays. Je ne souhaite pas, monsieur Lagarde, monsieur Pinte, que la régularisation n’ait qu’une dimension strictement sociale ou humanitaire. Elle peut avoir d’autres aspects, faire suite à des événements. Il y a quelques années, par exemple, un jeune étranger a sauvé une famille entière de la noyade dans un fleuve. Ce jeune homme entrerait dans cette catégorie, tout comme celui que j’ai décoré ce matin, dans la cour du ministère, qui avait sauvé un enfant de la noyade.

Contrairement à vous, monsieur Mamère, je ne pense pas qu’il existe un droit à la régularisation, mais une possibilité de régularisation. Je ne voudrais pas que l’on change de système et que certains puissent dire : « Je suis là depuis dix ans, j’ai le droit d’être régularisé », alors que d’autres ont respecté la règle et fait la queue aux guichets.

M. Patrick Balkany. Bien sûr !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est un point de désaccord entre nous. Pour moi, il doit y avoir une possibilité de régulariser sans critères trop précis, mais pas un droit à la régularisation.

Mme Nadine Morano. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas une simple question de sémantique. Instaurer un droit à la régularisation, c’est affaiblir toutes les procédures régulières d’acquisition de la nationalité française.

M. Noël Mamère. Non !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Quand je prévois la possibilité d’être régularisé à n’importe quel moment, en fonction de critères assez larges, j’ouvre un droit à la possibilité, pas un droit automatique.

M. Noël Mamère. Mais quand on est là depuis dix ans…

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. M. Dray m’a aimablement – c’est assez rare pour que je l’en remercie – fait remarquer que cela était contradictoire avec l’idée d’immigration choisie.

M. Patrick Braouezec. C’est moi qui vous l’ai dit !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Excusez-moi, monsieur Braouezec. Mais cela est tout à fait faux, et je vais essayer de vous le démontrer.

La régularisation de plein droit, c’est le contraire de l’immigration choisie ; la régularisation possible, quel que soit le délai, selon des critères larges, c’est l’immigration choisie. Avec le système que je propose, on pourra régulariser plus tôt et de la même façon sur tout le territoire français. D’ailleurs, il serait intéressant d’évaluer ce dispositif afin de savoir s’il permet de régulariser plus ou moins d’étrangers. Ainsi, nous sortons le problème des régularisations du débat politique national pour le traiter au niveau local, par le préfet et le mouvement associatif du département. L’immigration choisie repose donc, non pas seulement sur des critères économiques, ce qui m’a été reproché, mais aussi humanitaires, dont on me disait qu’ils manquaient. Je suis ainsi totalement en phase avec moi-même et je vais même dans le sens de la gauche ! C’est pourquoi, consterné qu’elle ne le comprenne pas spontanément, je suis venu à l’Assemblée le lui expliquer. (Sourires.)

M. Patrick Braouezec. Ne jouez pas sur ce registre, monsieur le ministre !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur Roman, vous me reprochez de manquer de générosité en fermant une porte. C’est vrai, mais c’est pour en ouvrir immédiatement une autre !

M. Bernard Roman. Laquelle ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Celle que je viens de définir.

M. Bernard Roman. Où est-elle dans le texte ?

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Vous pouvez ne pas l’accepter, mais vous ne pouvez pas dire qu’elle n’est pas généreuse.

M. Bernard Roman. Elle n’est pas dans le texte !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je suis venu –le compte rendu des débats en fera foi – la proposer, la définir et l’encadrer.

M. Bernard Roman. On peut l’inscrire dans le texte alors !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. J’en suis tout à fait d’accord et, pour être parfaitement clair, je propose : de supprimer la régularisation de plein droit ; de créer une commission d’harmonisation et de définition des critères de régularisation, en précisant, si vous le souhaitez, les critères humanitaires et de chance – ou tout autre terme à votre convenance pourvu qu’il soit suffisamment large – ; de prévoir l’évaluation du dispositif, pour rassurer M. Pinte sur l’objectif poursuivi d’ouvrir une autre porte, tout aussi large mais selon certains critères. Ce dispositif de régularisation s’inscrit totalement dans le cadre de l’immigration choisie et, plus j’y réfléchis, plus je le trouve nécessaire. (Sourires.)

Compte tenu de ces explications, j’espère que M. Pinte et M. Lagarde voudront bien m’apporter leur soutien. Et si la gauche voulait se joindre à nous, j’en serais ravi.

M. Patrick Balkany. Bienvenue !

M. Noël Mamère. Impossible ! Ne rêvez pas !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Cela signifierait qu’elle a compris que le système que je propose est plus généreux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Naturellement, si vous souhaitez écrire ou compléter ce que j’ai dit par des amendements, le Gouvernement l’acceptera bien volontiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pour clore ce débat de grande qualité et avant de procéder au scrutin public, je propose de donner la parole à un orateur par groupe, pour une rapide intervention.

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Ne cherchons pas à nous convaincre mutuellement, monsieur le ministre : nous avons nos convictions, vous avez les vôtres, acceptons-le et n’essayez pas de nous prendre sur la gauche ! (Sourires.) Nous l’avons dit à plusieurs reprises, nous ne sommes pas d’accord sur le fond de votre projet de loi. Pour ma part, je suis favorable à la régularisation des sans-papiers.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est très bien !

Mme Nadine Morano. De tous les sans-papiers ?

M. Patrick Braouezec. Or ce texte ne permet pas d’avoir ce débat.

Quel est notre état d’esprit ? Malgré nos divergences de choix de société, nous voulons améliorer ce projet de loi pour le rendre le moins nocif possible pour les intéressés et pour l’ensemble de la société française.

J’ai pu vérifier que vous aviez raison s’agissant de la régularisation de plein droit à partir de dix ans et je voudrais soumettre une proposition à votre réflexion… Encore faudrait-il que vous m’écoutiez.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je suis en train de réfléchir à un amendement !

M. Patrick Braouezec. Attendez de connaître ma proposition ! (Sourires.)

Je suggère que la commission nationale étudie systématiquement la situation des personnes présentes sur le territoire depuis dix ans. Puisque vous proposez d’ouvrir la possibilité de régularisation à cinq ans, six ans ou sept ans, vous pourriez offrir à ces personnes l’espoir, sinon d’être régularisées de droit, du moins que la commission nationale étudie leur cas de droit au bout de dix ans. Vous comprendrez qu’il s’agit d’un amendement de repli. Il permettrait d’adresser un signe que ces dix ans – que nous n’avons fait que tirer des lois précédentes – sont enfin pris en considération, et même de rassurer certains collègues sur d’autres bancs de l’hémicycle.

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. La présentation était habile, reconnaissons-le. En mettant toutes les catégories d’étrangers dans un pot commun et en faisant examiner leur situation par une commission nationale, vous vous montrez, monsieur le ministre, plus généreux que nous. « Pourquoi dix ans, pourquoi pas cinq ans ? », nous demandez-vous. Parce que c’est une population bien particulière qui est dans ce cas, une catégorie de personnes que l’évolution de notre législation a rendu « ni régularisables ni expulsables ». Ces gens ont été pris dans la complexité des dispositifs et se sont parfois vu retirer leur titre de séjour. C’était eux, les sans-papiers de Saint-Bernard en 1996. Moi aussi, je me suis procuré les textes : à l’époque, ils étaient vingt-sept, mais, avec les années et l’évolution de la législation, leur nombre a augmenté.

Pourquoi avions-nous fixé la barre à dix ans de séjour ? Parce que nous savions que, au bout de cette durée, nous étions confrontés à des gens qui avaient été pris dans les méandres administratifs et pour lesquels nous n’avions pas de solution. Vous aviez vous-même fixé la barre à quinze ans. Nous trouvions cette durée trop longue et avons voulu la réduire pour éviter que ces cas ne se reproduisent.

Par ailleurs, la régularisation n’était pas automatique au bout de dix. Cela ouvrait la voie à une étude du dossier. Ce qui était automatique, c’était l’étude, pas la régularisation.

Dans le dispositif que vous nous proposez, cette catégorie de personnes va se retrouver noyée parmi les autres et leur cas sera étudié par une commission qui aura à connaître l’ensemble des dispositions concernant les immigrés. Cela ne va pas leur permettre de s’en sortir et vous allez donc fabriquer des clandestins à vie. Vous le savez d’ailleurs. Si, à l’époque, vous avez hésité, c’est parce que vous aviez vu le problème.

M. Patrick Balkany. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. D’abord, je remercie M. Braouezec d’avoir insisté pour que le ministre de l’intérieur vienne à l’Assemblée pour s’expliquer et faire évoluer le dispositif proposé.

Je dois avouer que, personnellement, j’ai assumé l’automaticité de la régularisation : ce n’était pas glorieux, mais c’était un moyen de sortir ces personnes de la situation dans lesquelles elles se trouvaient.

M. Patrick Braouezec. Je l’ai reconnu.

M. Jean-Christophe Lagarde. M. Dray nie aujourd’hui cette automaticité. Pourtant, il est clairement écrit dans la loi actuelle que : « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée de plein droit » – les mots ont un sens : cela signifie que l’on n’a pas le droit de la refuser – à l’étranger pouvant justifier « résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant. »

Donc, la carte devait effectivement être délivrée de plein droit, et cette disposition était nécessaire pour les gens pour lesquels les complexités administratives avaient fait « sauter » toute capacité d’être régularisés sans pour autant être expulsables.

Le ministre propose de créer, en plus des cas réglementaires, deux catégories, permettant de tenir réellement compte du cas par cas. Nous avons tous rencontré des affaires tellement ubuesques que nous pouvons affirmer qu’aucune loi, aussi détaillée soit-elle, ne pourra jamais tout prévoir. Cette proposition permettra de tenir compte d’un certain nombre de situations qui étaient imprévisibles et fait donc évoluer notre position.

Ce que je vous demanderai, monsieur le ministre d’État, c’est de prendre l’engagement de formaliser cette proposition dans un amendement – et je pense pouvoir associer à cette demande M. Pinte, avec qui je me suis entretenu du sujet – afin de bien marquer que la soupape dont vous parlez va exister et qu’il sera possible – et peut-être parfois plus vite, monsieur Dray, que ce n’est le cas avec la loi actuelle – de tenir compte des cas où les personnes sont victimes de l’administration.

Les interventions les plus déterminées que j’ai menées ont été faites quand je me rendais compte que c’était l’administration qui, soit par erreur, soit du fait de la complexité des règlements, plongeait des gens dans des situations inextricables.

Si les associations interviennent – avec les réserves que j’ai émises hier soir sur certaines d’entre elles – et s’il y a une évaluation, cela me convient tout à fait.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je confirme l’analyse de M. Braouezec : dans le texte, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit – la carte, pas l’étude ! Je suis désolé, monsieur Dray, c’est écrit noir sur blanc.

M. Julien Dray. Je vais y revenir !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Ce que je vous propose, c’est que le Gouvernement dépose ce soir un amendement reprenant les deux catégories que j’ai évoquées, à savoir l’humanitaire et la chance. Je suis même prêt à en créer une troisième, selon la proposition de M. Braouezec, qui serait un droit à l’étude du cas de ceux qui pourraient prouver qu’ils sont là depuis plus de dix ans.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. La commission serait obligée de se saisir du cas – pas de dire oui.

M. Patrick Braouezec. Oui, elle serait obligée de l’étudier !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je trouve que c’est une idée intéressante et je prends l’engagement que le Gouvernement la reprendra ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. le président. Monsieur Braouezec, maintenez-vous votre amendement n° 572 ?

M. Patrick Braouezec. Bien sûr ! C’est un amendement de repli !

M. le président. Nous allons procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix l’amendement n° 572.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L’Assemblée nationale n’a pas adopté.

J’appelle maintenant les deux amendements, nos 166 et 262, qui peuvent être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 166.

M. Noël Mamère. Il s’agit d’un amendement de repli.

La possibilité d’obtenir une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » représente une perspective de régularisation pour toutes les personnes sans papiers, en leur permettant enfin de sortir de l’impasse administrative dans laquelle elles se trouvent. La durée de leur séjour sur le territoire français laisse en effet supposer que leur vie privée doit être protégée au sens des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et du citoyen.

M. le président. L’amendement n° 262 est-il défendu ?

M. Patrick Braouezec. Je le défends, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Bien que je ne sois pas complètement d’accord avec l’amendement de Mme Boutin puisqu’y figure la condition de la signature du contrat d’accueil et d’intégration, je le défends car, en prônant le retour à la situation précédente, il s’apparente à un amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements en discussion ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. M. le ministre d’État est parti mais je maintiens ce que j’ai dit. Je ne changerai pas d’opinion.

Je connais les textes comme lui. Le dispositif que nous avions mettait fin à l’arbitraire en ouvrant à l’étranger des droits face à l’administration. Toute la différence est là.

Or ce qui nous est proposé est un retour à l’arbitraire. Nous ne pouvons être d’accord car nous savons quelle conclusion sera donnée à ces situations.

M. Yves Jego. Ce n’est pas l’arbitraire, c’est le pragmatisme !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 166.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 262.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour
de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2986, relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3058, de M. Thierry Mariani, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)