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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 22 novembre 2006

61e séance de la session ordinaire 2006-2007


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

prévention de la délinquance

Suite de la discussion d’un projet de loi
adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la prévention de la délinquance (nos 3338, 3436).

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Julien Dray

M. Julien Dray. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, mes chers collègues, je ne suis pas ici pour avoir le plaisir d’accabler le Gouvernement et la majorité à propos de leur bilan, même si l’envie ne m’en manque pas. Les faits et les chiffres parlent d’eux-mêmes, il ne m'en faut pas davantage.

Je suis ici pour discuter de votre texte sur la prévention. Or la vraie prévention, c’est bien autre chose que ce que vous nous proposez, monsieur le ministre. D’ailleurs, l’intervention de Nicolas Sarkozy est révélatrice de la difficulté dans laquelle il se trouve puisqu’il a lui-même concédé avoir du mal à définir la prévention.

M. Pierre Cohen. Eh oui !

M. Julien Dray. La prévention, la vraie, est un concept dont il n'est malheureusement pas question dans ce projet. Ce concept, c'est la précocité de la réponse éducative, et la précocité de la sanction.

Tant que notre société attendra qu’un individu commette une première grave faute, un acte impardonnable pour être pris en charge, il sera encore et toujours trop tard. Les signes de violence, les prémices de comportements dangereux, doivent être traités dès le plus jeune âge, avant de relever du droit pénal. Agir en amont de la délinquance, agir le plus tôt possible, à la première alerte, en apportant tout de suite une réponse, telle est la vraie politique de prévention. Nous pouvons inventer tous les dispositifs, renforcer toutes les peines, proclamer tous les slogans, la précocité de la réponse est le socle sans lequel aucune action en profondeur ne peut être érigée pour cadenasser les comportements violents.

La précocité de l'action n’a de valeur que si elle est intense et continue. L’intensité revient à mobiliser tous les moyens en même temps, tous les acteurs pour qu’ils gèrent ensemble chaque situation dans un esprit de coordination et d’échange afin d’évaluer à chaque étape l’efficacité des solutions apportées. Quant à la continuité, elle signifie qu’il faut agir dans la durée, prendre en charge chaque situation sur des trajets de vie, pour éviter échec et récidive.

Au-delà des mots et des principes, comment cela peut-il se traduire en pratique ? Un jeune délinquant ne verrait plus son cas soldé par le prononcé d'une peine. Un jeune sur le chemin de la délinquance se verrait au contraire immédiatement entouré, au quotidien, par un collectif de personnes qui le connaissent : ses parents, ses enseignants, ses amis réunis autour d'un éducateur professionnel nommé par le juge des enfants. Ces personnes seraient associées au parcours de ce jeune jusqu'à ce qu'il soit définitivement tiré d'affaire. C’est cela, la continuité de l’action. Cela revient à dire que les procédures expéditives n'ont jamais permis de prévenir quoi que ce soit. Au contraire, l'iniquité mécanique des décisions qu'elles engendrent détruit le lien qu'il s'agit de reconstruire entre ces individus et la société. Puisque nous abordons la question de la justice, affirmons qu’il existe un problème en la matière et tout particulièrement avec les mineurs. Chacun sait que la priorité de la justice des mineurs, c'est de remédier à la faible exécution des décisions prononcées par manque de moyens. Combien de témoignages quotidiens recueillons-nous en ce sens ? Des travaux d'intérêt général qui ne sont pas exécutés faute d'encadrants, des suivis socio-judiciaires qui ne sont pas assurés faute d'éducateurs, des séjours en centres éducatifs fermés ou renforcés qui ne sont pas effectués faute de structures d'accueil – celles, d’ailleurs, que vous nous aviez promis de construire et que vous n’avez pas réalisées ces dernières années.

Mme Nadine Morano. Ce n’est pas vrai !

M. Julien Dray. Avant d'inventer de nouvelles infractions, de procéder à des comparutions immédiates ou de « remonter les bretelles » aux juges, tâchons de faire en sorte que les décisions de justice soient exécutées et avec rapidité.

S’agissant de l’enfermement, il faut, là aussi, le dire : c’est toujours un échec. C’est pourquoi les alternatives à la prison doivent être massivement développées. Elles existent déjà – peines de réparation, travaux d'intérêt général, séjours en centres éducatifs fermés ou renforcés –, mais ces dispositifs sont aujourd'hui confidentiels ou moribonds. Il faut les multiplier, les diversifier, tout en mettant en place, aussi, ces fameux chantiers d'apprentissage qui permettraient de réinsérer dans la vie sociale un certain nombre de jeunes aujourd’hui en situation de rupture avec la société.

M. Jacques-Alain Bénisti. C’est dans le texte !

M. Julien Dray. Assumer pleinement le traitement précoce de la violence et de la délinquance, c'est se donner les moyens de sauver un jeune avant qu'il ne soit livré, une fois devenu majeur, en pâture aux caïds dans une maison d'arrêt. Assumer pleinement le traitement précoce de la violence et de la délinquance, c'est résister à la tentation de croire qu'un traitement individualisé se limite au prononcé d'une peine, qui n'a jamais été et ne sera jamais qu'un début. Lorsque nous nous lavons les mains de ce qui peut advenir d'un jeune après le prononcé d'une peine, nous n'offrons pas le visage d'une société responsable, c’est-à-dire d’une société qui pense que la sanction est déjà un premier acte de réinsertion et d’éducation.

Voilà pourquoi ce projet n’est pas un texte de prévention de la délinquance ; il tourne le dos au contraire à la prévention. Il ne sert à rien parce qu’il n’apportera aucune réponse aux questions qui se posent.

La vérité, c’est que vous avez échoué. Vous avez échoué dans le principal mandat issu des élections de 2002 : rétablir les conditions d’une sécurité de proximité. Vous avez en fait multiplié, depuis lors, les mesures législatives pour faire illusion…

M. Michel Herbillon. Non ! Pour obtenir des résultats !

M. Pierre Cohen. Le Gouvernement n’a obtenu aucun résultat !

M. Julien Dray. …et masquer la réalité de votre échec.

Mme Nadine Morano. Au contraire ! On constate une baisse de la délinquance globale entre 2002 et 2005 !

M. Julien Dray. Votre erreur se résume en fin de compte dans l’explication que nous a donnée le ministre d’État tout à l’heure. Il nous a dit n’être intéressé que par le combat contre le mal sans en chercher l’explication puisque, selon lui, expliquer le mal est déjà une faiblesse.

M. François Grosdidier. Caricature !

M. Julien Dray. Là est l’erreur et s’il fallait chercher une différence entre la droite et la gauche dans la lutte contre la délinquance, c’est bien là qu’elle résiderait.

M. Michel Herbillon. Les Français ont vu la réalité de cette différence !

M. Julien Dray. C’est que nous, nous voulons combattre le mal avec intransigeance et c’est parce que nous souhaitons éradiquer le mal que nous cherchons à en comprendre les causes, pour pouvoir apporter des réponses. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Est-ce M. Jospin qui vous a édifié, monsieur Dray, pour être ainsi redevenu naïf ?

M. Julien Dray. Là est le travail de la prévention, celui que vous n’avez pas su mener. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas voter ce texte.

Et le chahut que vous êtes en train d’organiser ne masque pas la réalité de la situation. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Herbillon. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas d’accord avec ce que vous dites qu’il s’agit de chahut !

M. Julien Dray. La réalité réside pourtant dans ce que vous avez essayé de présenter comme un succès. Écoutez ce que disent l’ensemble des organisations syndicales policières. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) À l’unanimité, elles affirment aujourd’hui ne plus pouvoir soutenir un ministre qu’elles ont pourtant adulé au moment de sa prise de fonctions.

M. François Grosdidier. L’UNSA, courroie de transmission !

M. Jean-Marie Le Guen. Le système prend l’eau de toutes parts, tout le monde vote contre cette majorité !

M. Julien Dray. Si même ceux dont vous vous revendiquiez ne vous soutiennent plus, il ne reste plus qu’à attendre les mois qui viennent – la sanction viendra du peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite témoigner que l'action du Gouvernement et en particulier celle du ministre de l'intérieur s'est traduite dans de nombreux territoires par une baisse significative de la délinquance de voie publique.

M. Georges Fenech. Tout à fait !

M. Yves Bur. Ainsi, dans ma commune de 17 000 habitants, située dans la banlieue de Strasbourg, le nombre d'actes délinquants de voie publique est passé de 930 en 2001 à 563 fin octobre 2006, soit une diminution de 30 %.

Mme Nadine Morano. Voilà ! ça, ce sont des résultats !

M. Yves Bur. Voilà en effet un résultat apprécié à sa juste valeur par les habitants, même s'il reste fragile à cause d’épisodes de recrudescence liés le plus souvent à l'activisme de quelques mineurs, délinquants multirécidivistes, qui profitent de l'impuissance publique…

M. Julien Dray. Il s’agit de votre impuissance !

M. Yves Bur. …pour troubler une évolution fondamentalement positive.

Alors que nous partageons le sentiment que la délinquance est une violence faite à des innocents, mais aussi un immense gâchis pour les jeunes mineurs eux-mêmes, nous ne pouvons nous y résigner avant d’explorer de nouvelles voies pour, dans le cadre d’une approche plus globale, prévenir ces dérives.

Confrontés à la délinquance de voie publique, les maires font état trop souvent de leur impuissance face à la multiplicité des interventions de nature policière, judiciaire ou sociale – et j’en passe –, pour ne pas tenter de mieux organiser et de mieux coordonner les actions de prévention autour des jeunes en danger et de leur famille.

Oui, face à l’impuissance publique liée au cloisonnement des interventions, il faut oser briser les tabous et agir autrement pour redonner une efficacité à une prévention accaparée par quelques soi-disant spécialistes, qui aimeraient bien continuer à s’autogérer sans rendre des comptes sur l’efficacité de leur intervention. Ce sont les mêmes qui s’étaient déjà élevés contre les centres éducatifs fermés (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), dont tout le monde reconnaît à présent l’utilité…

M. Julien Dray. C’est nous qui les avons créés !

M. Yves Bur. …dans les démarches de rupture nécessaires pour ces jeunes en déshérence.

Au cours de mon expérience de maire, combien de fois ai-je dû subir les refus de dialoguer, de se concerter autour de la situation d’un jeune en dérive délinquante : le refus d’un juge pour enfant, celui d’un service d’action éducative en milieu ouvert, ou encore celui d’un responsable de la police ou de services sociaux.

Pourtant, dans ces situations, mon seul objectif était de répondre d’abord à la crainte qu’un adolescent en rupture de ban ne poursuive son parcours destructeur pour lui-même et dangereux pour la communauté, puis au désarroi des acteurs de terrain, eux-mêmes impuissants face à l’hermétisme institutionnel.

Heureusement, à force de volonté et de persévérance, j’ai pu obtenir que même le centre médico-social départemental participe aux cellules de veille, aux côtés d’acteurs de terrain comme les principaux de collège, le directeur du centre socioculturel ou des logeurs sociaux. Et, alors que nous étions confrontés dernièrement à l’activisme de mineurs multirécidivistes ayant chacun plus de quarante interpellations à leur actif, heureusement que j’ai pu obtenir, lors d’un CLSPD, qu’une juge pour enfants accepte enfin de dialoguer avec un référent communal, en l’occurrence la directrice générale des services communaux, pour comprendre l’action de la justice et mieux articuler le travail de prévention que nous menons avec l’intervention de la justice pour mineurs. Ces expériences locales montrent que le travail en partenariat reste trop dépendant du bon vouloir des personnes, qui s’abritent encore souvent derrière le paravent institutionnel.

Aussi, je suis persuadé que nous devons aller plus loin pour mettre un terme à ce cloisonnement des démarches de prévention, qui est contre-productif. Nous devons explorer, comme nous le propose le ministre de l’intérieur, une voie nouvelle, qui est celle du bon sens, pour mettre un terme à ce gâchis. Un travail de prévention global et coordonné ne peut réussir que si tous les acteurs sont tenus d’y apporter leur connaissance des situations difficiles, dans l’intérêt même des jeunes et des familles.

Les démarches de soutien aux familles et d’encadrement des jeunes ne réussiront qu’au travers d’un véritable travail en commun, dans le respect d’un secret professionnel bien compris. Aux professionnels qui s’interrogent, je tiens à dire que le maire n’est pas un risque pour leur intervention, mais plutôt un soutien et un facteur d’efficacité à leurs côtés.

Ce qui doit nous rassembler, mes chers collègues, est certes le constat d’une évolution préoccupante de la délinquance juvénile, mais ce sont aussi les difficultés croissantes des familles à assumer leur parentalité, et le constat que, dans un département comme le Bas-Rhin, le nombre d’enfants et de jeunes placés sous la protection départementale est passé en six ans de 4 000 à 6 000.

Au regard de ces difficultés et de cette souffrance sociale, il est temps de bousculer des pratiques à bout de souffle et d’innover, pour tenter de mieux réussir, après avoir si longtemps échoué. Nous le devons d’abord à ces jeunes délinquants, que nous ne pouvons pas laisser s’enfermer dans l’impasse de la violence. Nous le devons aussi aux honnêtes gens, qui ont le droit de vivre dans une société paisible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Nadine Morano. C’est vrai !

M. François Grosdidier. Merci pour eux !

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la baisse de la délinquance dans notre pays est sans conteste l’un des points forts de l’action gouvernementale depuis 2002.

Mme Nadine Morano. Très bien !

M. Michel Herbillon. Alors que, sous le gouvernement Jospin, le nombre de crimes et délits n’a cessé de croître…

M. Pierre Cohen. Vous avez rencontré les mêmes problèmes que nous !

M. Michel Herbillon. …et que la délinquance a progressé de 14 %, les mesures législatives adoptées à l’initiative du ministre de l’intérieur, ainsi que sa détermination à obtenir des résultats concrets sur le terrain ont porté leur fruit.

M. Pierre Cohen. Demandez son avis au président : il connaît le sujet, lui !

M. Michel Herbillon. La délinquance a baissé de 9 % entre 2002 et 2006. En matière de délinquance de voie publique, la baisse atteint même près de 25 %. Le taux d’élucidation est passé de 25 à 33 %. Le bilan est donc très positif.

M. Yves Bur. C’est bien ce qui gêne l’opposition !

M. Pierre Cohen. Ce qui nous gêne, c’est plutôt que vous n’ayez pas réussi !

M. Michel Herbillon. Bien sûr, tous les problèmes ne sont pas pour autant réglés. Chacun mesure que la violence s’est diffusée sous différentes formes dans notre société et qu’elle se radicalise. La multiplication des actes de violence gratuits envers les personnes, souvent exercés par des individus de plus en plus jeunes, est un phénomène qui inquiète et révolte légitimement nos compatriotes.

C’est pourquoi, vous pouvez être certain, monsieur le ministre, que les nouvelles mesures inscrites dans votre projet de loi rencontrent un écho très favorable auprès de la majorité des Français, au-delà des clivages politiques habituels.

Ce texte a deux mérites principaux.

D’abord, il met les pendules à l’heure d’aujourd’hui. En effet, dans bien des domaines, notre arsenal juridique n’est plus adapté, face à la réalité de la société actuelle et à l’évolution des formes de délinquance. C’est particulièrement vrai quand il s’agit des mineurs. Chacun comprend que les adolescents d’aujourd’hui ne sont en rien comparables à ceux d’il y a soixante ans, et constate, hélas, le rajeunissement des primodélinquants.

Face à cette réalité, l’ordonnance de 1945 n’apporte plus de réponse adaptée et efficace. D’où l’émergence, chez certains mineurs, d’un sentiment d’impunité, dangereux tant pour notre société que pour ces jeunes eux-mêmes et leur avenir.

Le projet de loi fait preuve non seulement de la fermeté nécessaire, mais aussi d’un pragmatisme qui permettra de mettre fin à ce sentiment d’impunité, que ce soit en accélérant, dans des conditions encadrées, les procédures judiciaires pour les mineurs de plus de seize ans, en développant les alternatives aux poursuites afin d’éviter les classements secs ou encore en créant de nouvelles sanctions éducatives.

Il cherche également à faciliter la réinsertion sociale de ces jeunes – en particulier de ceux qui sont déscolarisés – notamment par le travail et l’insertion professionnelle.

La volonté du Gouvernement d’adapter notre législation aux formes de violence qui menacent aujourd’hui notre société se retrouve utilement dans la réforme qu’il propose de la loi de 1970 sur l’usage et le trafic des stupéfiants, et dans les mesures qu’il propose pour prévenir la délinquance sur Internet, qui progresse aujourd’hui à un rythme exponentiel.

Le second mérite important de ce projet de loi est qu’il définit une méthode de bon sens pour prévenir la délinquance. Vers qui se tournent les habitants quand il y a des problèmes de délinquance ?

M. Éric Raoult. Vers le maire !

M. Michel Herbillon. À qui demande-t-on quotidiennement de régler les phénomènes de violence, de troubles du voisinage et de non-respect de l’ordre public ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Au maire !

M. Michel Herbillon. Au maire, naturellement, acteur de terrain par excellence ! C’est donc une bonne chose que ce projet de loi fasse de lui le pivot de l’action de prévention de la délinquance, qu’il sera désormais chargé d’animer et de coordonner.

Le maire n’a pas vocation à se substituer à la police ou à la justice. Ce n’est pas et ce ne doit pas être son rôle. En revanche, il faut lui donner les moyens d’agir et de répondre aux préoccupations exprimées par ses concitoyens, alors que j’ai eu tant de fois, en tant que maire d’une ville de 55 000 habitants proche de Paris, le sentiment d’être démuni pour répondre aux préoccupations de mes compatriotes.

M. Yves Bur. La fameuse solitude du maire !

M. Michel Herbillon. En instaurant un conseil des droits et devoirs des familles, en conférant au maire le droit à un rappel à l’ordre, en lui permettant de proposer aux parents un accompagnement parental ou de saisir, avec le directeur de la CAF, le juge des enfants pour mettre sous tutelle des allocations familiales, le texte fournit au maire une palette très large d’instruments juridiques pour exercer sa mission.

Il renforce également son droit à l’information, en instaurant, dans un cadre légal précis et sécurisé, le partage, avec les professionnels de l’action sociale, d’informations confidentielles sur des familles ou des personnes, lorsque la situation l’exige.

Toutes ces évolutions prévues par l’actuel projet de loi sont indispensables, parce que notre pays a besoin d’une véritable politique de prévention de la délinquance, et que nos concitoyens demandent qu’on les protège mieux de la violence.

Monsieur le ministre, la sécurité est la première des libertés.

M. Éric Raoult. Oui !

M. Michel Herbillon. Elle conditionne toutes les autres. C’est aussi la première préoccupation des Français.

À travers ce projet de loi sur la prévention de la délinquance, mais plus largement par l’action et les réformes que vous avez entreprises depuis plusieurs années, vous avez apporté la démonstration de votre volonté d’agir concrètement et efficacement en faveur de la sécurité de nos compatriotes. Vous avez obtenu des résultats. Vous pouvez donc compter sans aucun doute sur notre soutien actif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Éric Raoult.

M. Éric Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière de délinquance, le département de la Seine-Saint-Denis pourrait figurer au livre des records. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy. C’est bien ce qu’a écrit le préfet Cordet !

M. Éric Raoult. Inutile de réagir, mes chers collègues : je n’ai encore rien dit !

M. François Grosdidier. Laissez parler l’orateur !

M. Éric Raoult. Merci, monsieur Grosdidier !

Il détient en effet le record des lieux concernés, où les chiffres 9.3…

M. Patrick Braouezec. Neuf au cube !

M. Éric Raoult. …brossent la caricature de villes ou de quartiers où certains préfèrent inviter Joey Starr plutôt que Maurice Thorez – je parle pour vous, monsieur Braouezec – ou Louise Michel…

M. Jean-Marie Le Guen. Nous vous laissons Doc Gynéco !

M. Éric Raoult. …et s’étonnent ensuite de voir des révoltés incendier leurs lieux de vie.

M. Jean-Marie Le Guen. Chantez-nous donc une chanson, monsieur Raoult !

M. Éric Raoult. Aucune des quarante communes de ce département n’échappe à la propagation de la violence. Être maire en Seine-Saint-Denis…

M. Patrick Braouezec. Surtout au Raincy !

M. Éric Raoult. …ou député de Clichy fait mesurer que la sécurité nous concerne tous dans notre diversité. Chaque commune est une réalité : du cambriolage à l’attroupement, du deal à l’agression, chaque ville réclame une efficacité différente en fonction de sa superficie, de sa démographie et de sa géographie.

S’il n’y avait qu’une raison d’agir, de faire évoluer les esprits et les méthodes, ce serait bien cette note du préfet de la Seine-Saint-Denis alertant le pays sur ce qui se passe à Bobigny et à Bondy. Pour que la France ne connaisse jamais les difficultés de ce département, il fallait le nouveau texte de Nicolas Sarkozy.

Dans ce département populaire, aux couleurs du monde, vivent des gens pauvres mais fiers. La Seine-Saint-Denis est cet échantillon vivant des années Mitterrand, qui ont été la voie royale des échecs du socialisme urbain et du communisme municipal.

M. Pierre Cohen. Tout dans la légèreté !

M. Jean-Marie Le Guen. L’analyse est un peu courte !

M. Éric Raoult. La Seine-Saint-Denis incarne la difficulté de la gauche gestionnaire, qui affronte les situations en oubliant la sanction.

M. Patrick Braouezec. Caricature ! Vous gérez Strasbourg, Marseille ou Toulouse, et la situation n’y est pas meilleure !

M. Éric Raoult. Beaucoup de mes collègues de Seine-Saint-Denis ont oublié que notre ancien collègue Gilbert Bonnemaison avait justement intitulé son rapport : Prévention, répression, solidarité.

M. Pierre Cohen. C’est ce que nous défendons depuis vingt ans !

M. Éric Raoult. Les trois vont ensemble, monsieur Cohen et ils ont inspiré le texte du Gouvernement.

Monsieur le ministre, vous qui connaissez bien les problèmes de sécurité, pour avoir présidé le groupe d’études sur la sécurité intérieure, où toutes les tendances de cette assemblée étaient représentées, vous l’avez compris.

Votre projet de loi…

M. Jean-Pierre Blazy. De quel ministre parle-t-on ?

M. Éric Raoult. …a été remarquablement travaillé et concerté. Il a été négocié depuis trois ans sous la férule intelligente et pertinente d’un ancien préfet de la Seine-Saint-Denis, M. Hagelsteen, de Mme Rachida Dati, qui allie charme et compétence,…

Mme Élisabeth Guigou. C’est exact !

M. Éric Raoult. …et de Jacques-Alain Bénisti, collègue bien sous tous rapports, qui en a rédigé un lui-même. La méthode a été la bonne, monsieur le ministre, et, aux côtés de Nicolas Sarkozy, vous y avez largement contribué.

M. Patrick Braouezec. C’est la distribution des prix ?

M. Éric Raoult. Ce texte ne fait pas du maire un shérif, quoique, face aux nouveaux Dalton, je préfère être du côté de Lucky Luke que de Calamity Jane. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Marie Le Guen. Et qui est Rantanplan ?

M. Éric Raoult. Calmez-vous, chers collègues : je ne vise personne en particulier.

M. Jean-Marie Le Guen. Bien entendu !

M. Éric Raoult. Oui, ce texte répond à l’attente des maires. Dire le contraire, c’est oublier la réalité et le fait que, lorsqu’un drame se produit, on respecte davantage une écharpe tricolore qu’un cordon de CRS.

En novembre 2005, les maires et leurs adjoints utilisaient les extincteurs de l'apaisement. Certains d’entre eux ne doivent pas, aujourd’hui, souffler sur les braises d'un nouveau corporatisme, mais choisir l'efficacité que vous leur proposez, monsieur le ministre, en faisant passer leur responsabilité d'autorité avant leur engagement médiatisé. Dans leur majorité, les maires réclament d'abord l'efficacité.

Nicolas Sarkozy a rappelé avec raison que quand on excuse la violence, il faut, hélas ! s'attendre à de la barbarie. On commence par un tag, une insulte, une pierre,…

M. Jean-Marie Le Guen. Et on finit par tuer sa grand-mère ?

M. Éric Raoult. …et on finit par torturer et tuer Ilan Halimi. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ça ne vous plaît pas, mais c’est la vérité ! On commence par brûler une poubelle et on finit par incendier un bus, avec une jeune femme à l'intérieur.

M. Jean-Marie Le Guen. Et si on se met les doigts dans le nez, qu’est-ce qui arrive ?

M. Éric Raoult. Le préalable « sécurité » que le Président de la République avait présenté en 2002 a été mis en œuvre. Ce texte concret, qui instaure une véritable prévention de la violence, s'attaque enfin au sentiment d'impunité car, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'éducation n'interdit en rien la fermeté.

M. Patrick Braouezec. Ça, c’est vrai !

M. Éric Raoult. Avec ce texte de prévention, vous apportez une réponse ferme, rapide et diverse à la délinquance des mineurs et vous conférez un rôle pivot à celui qui porte la légitimité de proximité : le maire, qui a toujours préféré être acteur que spectateur. En lui donnant des instruments gradués que, pour la première fois, vous détaillez, vous choisissez la responsabilité partagée pour écarter la violence et vous continuez à faire le pari de l'intelligence…

M. Patrick Braouezec. Affirmation gratuite !

M. Éric Raoult. …contre ceux qui n'ont à la bouche que la clémence, car ils ne comprennent plus les débordements de la délinquance. Depuis le début de cette discussion, on commente, sur certains bancs, non pas un texte de loi, mais un fantasme idéologico-angéliste, tout en donnant l'impression de ne pas avoir lu le texte.

M. Yves Bur. Eh oui, les laxistes sont de retour !

M. Éric Raoult. Vous faites le choix du courage populaire plutôt que celui du double langage spectaculaire, qui sous-entend que, entre l'uniforme des militaires et l'approche des travailleurs sociaux, il n'y aurait rien. En fait, entre la facilité du laxisme et le risque de l'extrémisme, il y a le pragmatisme de votre projet.

« Allez-y et défendez-nous ! » : ils étaient huit jeunes policiers à me lancer cet appel, hier soir, quand j’ai quitté ma ville du Raincy, avec mes collègues Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, Raymond Coenne, maire de Coubron, Michel Duhau, maire de Vaujours, et Ludovic Toro, conseiller général de Clichy-sous-Bois.

M. Jean-Marie Le Guen. On dirait qu’ils n’ont guère confiance en leur ministre ! C’est la panique à bord !

M. Éric Raoult. « Allez-y et défendez-nous ! », c'est aussi ce que pense la population avec laquelle nous avons tous beaucoup débattu de ce projet de loi.

Monsieur le ministre, cela fait trois ans que ce projet est en gestation…

M. Jean-Pierre Blazy. Pour arriver à ça !

M. Éric Raoult. …et qu'un dialogue s'est établi pour parvenir à un texte très attendu. On vous avait légué l'impunité des cités et vous avez affronté les émeutes, alors que, face à la prévention de la délinquance, les adorateurs de Rousseau deviennent les contemplateurs de « Ségo ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous aussi, nous voulons une société apaisée dans une France rassurée. Nous voulons une société qui rende le pouvoir aux pères et qui garde ses repères. Nous aussi, nous vous disons : « Défendez-nous ! » et, depuis quatre ans, les habitants de Seine-Saint-Denis vous disent merci.

Encadrement militaire, mise des familles au carré : ce n'est pas avec des mots forts que l'on fait une politique ferme. Pour la sécurité, la voie royale, ce n'est pas être martiale. On est vraiment loyal avec la population quand on connaît mieux la lutte contre les voyous que la défense du chabichou. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Le Guen. Oh là là !

M. Éric Raoult. Avec ce texte sur la prévention, les maires ne seront plus seuls dans leur combat contre la délinquance des mineurs. Quand le maire de Montfermeil est confronté aux bandes et aux attroupements dans la rue commerçante, quand son domicile est caillassé et ses enfants menacés, quand les maires de Coubron et de Vaujours doivent lutter contre les cambriolages et les agressions de gamins de quinze ans,…

M. Patrick Braouezec. Ce ne sont pas des villes communistes, monsieur Raoult : vous ne faites rien !

M. Éric Raoult. …quand le conseiller général de Clichy, monsieur le président de Plaine commune, doit prouver que la destruction n'est pas une solution contre l'exclusion et que rien ne peut justifier de brûler un gymnase et de lancer des pierres contre les policiers (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),…

M. Patrick Braouezec. On dirait que c’est plus calme à Saint-Denis !

M. Éric Raoult. …ce texte permettra, comme l'a rappelé le Président de la République, de faire respecter la loi et tout un chacun. Il affirmera des règles, en permettant de tendre la main. Alors, oui, monsieur le ministre, votre texte est le bienvenu pour guérir ce pays de la délinquance des mineurs et ramener ces jeunes à leurs chères études. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais centrer mon propos sur la question essentielle de la délinquance des mineurs, qui est sous-jacente à l’ensemble du projet de loi. Il faut en effet se rappeler que, dans notre pays, environ un crime ou délit sur cinq est commis par un mineur. C’est donc un véritable problème et il n’est toujours pas réglé.

Pour que nous comprenions bien la manière dont les choses se passent concrètement, je propose que nous entrions ensemble dans un tribunal pour enfants. Les audiences s’y déroulant à huis clos, je pense en effet que la plupart d’entre vous n’ont pas eu l’occasion d’y assister.

Prenons le cas d’un mineur de treize ans, qui a commis un vol d’autoradio. Il comparaît devant un tribunal, composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs, généralement choisis parmi les magistrats qui ont manifesté leur intérêt pour les questions relatives à l’enfance. Le président du tribunal explique à ce jeune que ce qu’il a fait est contraire à la loi mais, comme il s’agit d’une première infraction, il ne prononce évidemment pas de peine d’emprisonnement mais lui adresse une admonestation. Le mineur ne comprend pas de quoi il s’agit et reste à la barre. Le président lui dit qu’il peut partir. Le gamin rentre alors dans son quartier et, quand ses copains lui demandent ce qui s’est passé, il répond : « Rien. »

Quelques mois plus tard, il comparaît devant le même tribunal pour enfants pour un vol de voiture. Le président lui dit : « Nous t’avons déjà adressé une admonestation. Tu n’as pas tenu compte de cet avertissement. C’est grave. Le tribunal te condamne à une remise à parents. » L’adolescent retourne dans son quartier. « Et alors ? », lui demande-t-on, et il répond : « Rien. » On peut donc continuer !

Quand, après un bilan coût-avantages, l’adolescent s’aperçoit que sa délinquance lui rapporte, il se lance dans le petit trafic de drogue. Il comparaît une troisième fois devant le tribunal pour enfants, dont le président lui explique : « C’est la troisième fois que nous avons affaire à toi. Tu t’en prends à la santé publique. Le trafic de drogue, c’est grave. Cette fois-ci, dit le juge qui perd patience, le tribunal te condamne à une liberté surveillée préjudicielle. » Vous imaginez ce que cela veut dire pour un mineur ! Il sera donc suivi par un éducateur jusqu’à sa majorité. Il retourne dans son quartier, où on lui demande : « Et alors ? ». « Alors, rien ! », répond-il une nouvelle fois.

De fil en aiguille, lors de sa trentième présentation, il est passé à une délinquance plus grave. Je ne raconte pas une histoire, mais ce que j’ai vécu pendant des années en tant que substitut des mineurs…

M. Patrick Braouezec. Si, vous racontez une histoire !

M. Georges Fenech. Non, c’est une réalité judiciaire,…

M. François Grosdidier. C’est la réalité du pays !

M. Georges Fenech. …car on est passé du primat de l’éducatif au tout-éducatif, en oubliant la sanction.

M. Jean-Marie Le Guen. Pourquoi attaquez-vous ainsi vos anciens collègues ?

M. Georges Fenech. Lors de sa trentième présentation, disais-je, le tribunal le condamne à huit jours d’emprisonnement, avec sursis. Le jeune délinquant retourne dans son quartier, récidive à nouveau…

M. Patrick Braouezec. Il aurait en effet fallu prononcer une sanction éducative plus tôt !

M. Georges Fenech. …revient devant le tribunal qui, en guise de sanction, prononce une peine d’un mois d’emprisonnement assortie d’un sursis, cette fois-ci avec mise à l’épreuve.

Un jour, cet enfant a dix-huit ans – il est donc majeur – et il commet un vol à main armée. Cette fois-ci, il ne comparaît plus devant le tribunal pour enfants, mais devant une cour d’assises, où siègent des jurés qui ne sont pas passés par l’École nationale de la magistrature et qui n’ont pas été imprégnés de cette idéologie selon laquelle il faut s’attaquer d’abord aux causes du crime, etc. Les jurés estiment qu’un vol à main armée, c’est grave, et le condamnent à dix ans de réclusion criminelle. Vous voyez alors le gamin s’enfoncer dans le box des accusés, en se disant : « Dix ans, ce n’est pas du jeu. »

Si l’on en est arrivé là, c’est parce que, dès les premières infractions, la sanction manquait de lisibilité. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Cohen. Qu’est-ce que le projet de loi va changer à cette situation ?

M. Georges Fenech. Parce que nous aimons notre jeunesse, parce que nous considérons les jeunes comme des individus à part entière, parce que les mineurs ont une capacité de raisonnement et savent ce qui est bien et mal, nous souhaitons que soit prononcés au maximum une admonestation par an, comme cela est prévu dans le projet de loi, et un sursis avec mise à l’épreuve, comme nous l’avons voté en 2004.

M. Jean-Pierre Blazy. Si la loi existe, appliquons-la !

M. Georges Fenech. À un moment, il faut appliquer la loi, dans toute sa rigueur, parce que la sanction a un sens.

Ce projet est un bon projet. J’ai peut-être été un peu long, et je m’en excuse,…

M. Yves Bur. C’était passionnant !

M. Georges Fenech. …mais il est important de comprendre ce qui se passe dans les tribunaux pour enfants. Avec les lois que nous avons votées et avec celle que nous allons voter, nous allons, maison par maison, quartier par quartier, pâté de maisons par pâté de maisons, rétablir l’ordre dans nos banlieues et dans nos villes, et nous triompherons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an, des émeutes urbaines ont éclaté, d'abord en Seine-Saint-Denis, puis dans trois cents villes de France : dix mille voitures brûlées, des autobus incendiés avec des passagers à l'intérieur, une femme handicapée qui a failli être brûlée vive, des écoles et des gymnases de communes détruits. Personne, monsieur le ministre, personne sur ces bancs n'a excusé ces violences. Et pourtant, trois mois après, nous avons eu la barbarie : Ilan Halimi a été torturé et assassiné. À Épinay, un père de famille a été tué en plein jour sous les yeux de sa femme et de sa fille, alors qu'il photographiait un Abribus. Dans la même ville, le mois dernier, des policiers agressés ont sorti leur arme, ce qui ne s’était jamais vu, y compris lors des émeutes urbaines.

M. Éric Raoult. Bravo ! Elle va adhérer à l’UMP !

Mme Élisabeth Guigou. À Marseille, une jeune fille brûlée vive dans un bus lutte encore pour survivre.

Insurrections des cités, faits divers atroces, oui, il faut agir et obtenir des résultats, rompre avec l'inexorable montée de la délinquance et avec l’impuissance des politiques de sécurité. Il est de notre responsabilité à tous, élus de la nation, de trouver les moyens d'enrayer la montée de l'insécurité qui frappe durement les plus démunis et qui mine les valeurs de la République.

La sécurité de nos concitoyens mérite mieux que des caricatures grossières et des critiques outrancières. Personne n’excuse les violences. Personne ne prône l’impunité, contrairement à ce que M. Sarkozy répète sans arrêt depuis près de quatre ans.

M. François Grosdidier. Vous ne vous contentiez pas de la prôner, vous l’organisiez !

Mme Élisabeth Guigou. Tous, nous voulons des résultats. Nous ne voulons plus que les violences sur les personnes augmentent dans notre pays de près de 7 % par an – de 27 % depuis quatre ans.

M. Yves Bur. Vous vous réveillez enfin !

Mme Élisabeth Guigou. S’il est vrai que la délinquance générale a globalement diminué en France, ce n’est, hélas, pas le cas en Seine-Saint-Denis où, selon une note adressée par le préfet au ministre, la délinquance a augmenté de 13,7 % pour le seul mois de mai 2006.

M. Éric Raoult. Faut-il donc ne rien faire ?

Mme Élisabeth Guigou. Ce texte produira-t-il des résultats ? Constatons d’abord qu’il s’agit du sixième texte sur la délinquance depuis le début de la législature, et de la quatrième révision depuis 2002 de l’ordonnance de 1945 – ce qui en fait une par an. Aucun des cinq textes précédents n’a empêché la délinquance de se développer.

M. Serge Blisko. On patauge !

Mme Élisabeth Guigou. Aucun de ces textes n’a d’ailleurs fait l’objet d’une évaluation.

M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !

Mme Élisabeth Guigou. Ce texte, qui mobilise cinq ministres et traite de multiples sujets, du rôle du maire aux chiens dangereux en passant par les gens du voyage, va-t-il enfin, six mois avant la fin de la législature – cela fait quatre ans et demi que vous êtes au pouvoir – apporter les réponses que nos concitoyens attendent ?

M. Serge Blisko. C’est long !

Mme Élisabeth Guigou. Hélas, je crains que votre texte ne fasse fausse route sur au moins deux sujets majeurs : la nécessaire coordination des acteurs de la lutte contre la délinquance et la justice des mineurs. Je redoute surtout qu’il ne passe à côté de l’essentiel, c’est-à-dire les moyens de lutte contre la délinquance et ses causes.

En ce qui concerne les maires, votre projet de loi affiche un objectif qui est celui de tous les gouvernements depuis le colloque de Villepinte en 1997 : mettre le maire au centre du dispositif de prévention. C’est ce qu’avaient organisé les contrats locaux de sécurité créés en 1998, devenus les contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui sont en effet des lieux utiles d’échanges et de rencontres des représentants du parquet et de la police, ainsi que tous les acteurs de la prévention, sous l’égide du maire. Ce dernier est en effet le mieux à même de coordonner les échanges d’informations – je dis bien d’informations – entre tous ces acteurs sur un territoire. Mais à nos yeux, il n’a pas vocation à devenir un acteur de la chaîne pénale et à se transformer en délégué du procureur pour imposer des sanctions.

M. Éric Raoult. Ce n’est pas le cas !

Mme Élisabeth Guigou. Non seulement parce qu’il est important de respecter la séparation des pouvoirs politique et judiciaire, mais aussi et surtout parce que si le maire devenait un acteur de la chaîne pénale, il serait privé de son rôle et de son atout principal : celui d’être un médiateur. Or, notre société a besoin de ses maires, comme on l’a vu lors des violences urbaines de l’an dernier.

Ce qui serait en revanche absolument nécessaire, c’est de donner aux maires les moyens nécessaires à leur action. Il faudrait pour cela qu’ils puissent disposer de moyens de prévention, notamment de moyens sociaux, et rétablir la police de proximité.

M. Yves Bur. C’est vraiment n’importe quoi !

M. Pierre Cardo. C’est un leurre !

Mme Élisabeth Guigou. Malheureusement, il sera extrêmement difficile de rétablir ce qui a été supprimé.

M. Yves Bur. Le temps de la nostalgie est passé ! Venez chez moi, je vous montrerai une police de proximité efficace !

Mme Élisabeth Guigou. Les maires ont également besoin de maisons de la justice et du droit afin de pouvoir agir précocement contre la délinquance. Il n’y en a que six en Seine-Saint-Denis…

M. Éric Raoult. Sept !

Mme Élisabeth Guigou. Vous avez peut-être raison !

…alors que chacune des quarante villes devrait en être dotée.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

Mme Élisabeth Guigou. Les maires devraient aussi pouvoir compter sur des forces de police suffisamment présentes. Or, nous savons très bien que des quartiers entiers sont complètement abandonnés. Ainsi, une antenne de police qui avait été ouverte au sud de la ville de Bondy en 2002 a dû être fermée moins d’un an plus tard pour cause d’effectifs insuffisants.

M. Julien Dray. Et c’est la région Île-de-France qui en avait financé l’ouverture !

Mme Élisabeth Guigou. En Seine-Saint-Denis, le nombre de policiers par habitant est trois à quatre fois moins élevé qu’à Paris, alors même que la sécurité du Stade de France impose des contraintes considérables…

M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai !

Mme Élisabeth Guigou. …et que ce département est celui qui reçoit le plus de visites de ministres, tant il est gratifiant pour eux de s’y faire photographier.

Si l’on voulait être efficace et permettre au maire d’être un véritable coordonnateur, ce sont ces moyens-là qu’il faudrait leur fournir.

Quant à la police, elle effectue sa mission dans les quartiers difficiles dans des conditions très préoccupantes. Mais c’est justement en Seine-Saint-Denis que l’on affecte les policiers les plus jeunes ; ceux-ci restent très peu de temps dans ce département du fait des conditions insuffisamment attractives qui leur sont offertes.

Pour rétablir des relations de confiance entre la police et la population, il faudra un travail de longue haleine. Un résultat ne peut être espéré que si plusieurs conditions sont remplies : augmenter les moyens et les effectifs de police, et inciter les fonctionnaires à rester plus longtemps dans ces quartiers.

M. Éric Raoult. Il faut du respect, aussi !

Mme Élisabeth Guigou. Il faudrait rétablir la police de proximité – mais pas au détriment de la police judiciaire si on veut améliorer le taux d’élucidation. Nous avons besoin de toutes les formes de police.

M. Éric Raoult. Il fallait voter la LOPSI, qui prévoyait une augmentation du nombre de policiers !

M. Jean-Pierre Brard. Mais c’est vous qui avez réduit les effectifs ! Moins 20 % à Montreuil !

Mme Élisabeth Guigou. Il est très important d’organiser le travail de la police en partenariat avec les principaux acteurs de la prévention. C’est ce que m’ont demandé les policiers que j’ai rencontrés. À opposer police et justice, on n’obtiendra aucun résultat.

En ce qui concerne la justice, le ministre de l’intérieur s’insurge contre l’impunité des actes commis par les mineurs. Mais contrairement à ce que prétend M. Sarkozy, personne ne veut l’impunité : aucun élu, aucun magistrat, aucun enseignant, aucun responsable d’association.

M. François Grosdidier. Pourquoi la pratiquent-ils, alors ?

Mme Élisabeth Guigou. Si beaucoup d’actes de délinquance restent impunis, c’est d’abord parce que le taux d’élucidation reste trop bas…

M. François Grosdidier. Ce n’est pas vrai !

Mme Élisabeth Guigou. …même s’il s’est amélioré – je ne stigmatise pas les policiers, je pense qu’ils n’ont pas les moyens de faire mieux.

M. Yves Bur. C’est toujours mieux que du temps de Jospin !

M. François Grosdidier. Il fallait voter la loi de programmation !

Mme Élisabeth Guigou. Je pense également que la justice ne dispose pas des moyens suffisants pour faire appliquer ses décisions. À Bobigny, le poste de chef de greffe du tribunal est resté vacant pendant 18 mois ! Les jugements prononcés, n’étant pas notifiés, ne sont donc pas exécutés.

Quant aux structures destinées à accueillir les jeunes délinquants, notamment les multiréitérants, il n’y a pas un seul centre fermé en Seine-Saint-Denis, mais seulement deux centres éducatifs renforcés.

M. Yves Bur. On envoie les jeunes ailleurs : c’est le séjour de rupture !

M. François Grosdidier. On pourrait vous envoyer les nôtres !

Mme Élisabeth Guigou. En effet, mais nous aurions besoin de beaucoup plus de structures. Les magistrats se plaignent de passer des heures à chercher des établissements où placer les jeunes.

Je veux souligner que, malgré ces carences, le tribunal de Bobigny fait bien son travail dans des conditions difficiles : le taux de réponse pénal pour les mineurs délinquants y était en juin 2006 de 88 % et le taux de réponse global pour le premier semestre 2006 de 76 %.

M. Yves Bur. Reste à savoir ce que recouvrent les termes « taux de réponse global » !

Mme Élisabeth Guigou. J’ai donc été choquée par les propos du ministre de l’intérieur au sujet des magistrats.

Sur la justice des mineurs, ne perdons pas de vue les principes des conventions internationales ratifiées par la France, ni ceux de notre droit. Le mineur délinquant n’est pas un adulte délinquant en miniature. Nous savons tous qu’un enfant ou un adolescent évolue, qu’il peut se transformer.

M. François Grosdidier. Un adulte aussi peut changer !

Mme Élisabeth Guigou. C’est pourquoi il convient de toujours privilégier le principe d’éducation – qui n’exclut nullement la sanction – et la prévention. Ces principes retenus par l’ordonnance de 1945 sont d’ordre constitutionnel. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, « les mineurs doivent relever d’un traitement pénal différent de celui des majeurs, dont l’objectif principal doit être éducatif et moral. Les enfants délinquants doivent bénéficier de mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. » Ces principes ont été constamment reconnus par les lois de la République depuis le début du xxe siècle. Cela ne veut pas dire que l’ordonnance de 1945 soit intouchable – elle a d’ailleurs fait l’objet d’une trentaine de révisions depuis l’origine.

M. François Grosdidier. C’est Jack Lang qui voulait la majorité à seize ans !

M. Julien Dray. Allons ! Faites-nous plutôt un beau youyou, monsieur Grosdidier !

M. François Grosdidier. Les propos de Mme Guigou ne me rendent pas assez joyeux pour cela !

Mme Élisabeth Guigou. Pour conclure, je voudrais dire que les instruments juridiques de lutte contre la délinquance existent dans notre droit. Ce dont nous avons besoin, c’est de créer un partenariat entre les services publics chargés de la prévention, de faire revenir les services publics dans les cités pour ne plus opposer de façon stérile prévention et répression, mais au contraire pour articuler la prévention, la sanction et la réinsertion – dont nous avons trop peu entendu parler jusqu’à présent.

Au total, nous récusons un texte qui n’est qu’un leurre, une fuite en avant législative pour masquer le grave échec du Gouvernement en matière de lutte contre la délinquance, spécialement celle des mineurs, et d’esquiver le vrai problème : celui des moyens de la police, de la justice et des moyens d’action pour en finir avec les ghettos et l’apartheid social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Bur. Jamais les moyens n’ont autant augmenté que depuis 2002. Vous n’avez rien fait quand vous étiez aux affaires, madame !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. La lutte contre la délinquance est un sujet majeur pour l’ensemble des Français. La prévention et la sanction sont complémentaires. En tant que femme, je préfère la prévention, mais la sanction doit être renforcée lorsque la prévention n’obtient pas de résultat.

M. Jean-Pierre Brard. En quoi la qualité de femme joue-t-elle un rôle ?

Mme Chantal Brunel. Le ministre d’État a mené une politique active en matière de sécurité et les résultats chiffrés sont là. Je puis témoigner, pour m’être souvent trouvée aux côtés des policiers de ma circonscription lors de situations délicates, que ceux-ci adhèrent à la politique menée par le ministre, qu’ils font leur métier avec cœur et que c’est grâce à eux aussi si le taux d’élucidation s’est nettement amélioré.

M. Éric Raoult. Très bien !

Mme Chantal Brunel. Malheureusement, notre pays connaît depuis quelques mois une recrudescence des violences contre les personnes. Les violences intrafamiliales, aujourd’hui mieux connues, en constituent une part, mais nous avons aussi affaire à une violence de plus en plus barbare, qui nous laisse désemparés car elle est souvent le fait de mineurs.

En dix ans, de 1995 à 2005, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de plus de 53 %. Ces mineurs sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents. N’ayant bien souvent plus aucun repère, ils cherchent à faire la « une » de l’actualité. La violence devient une véritable mode dans certains quartiers où plus un mineur commet d’infractions, mieux il est considéré.

Face à une telle situation où la prévention n’a plus de prise, l’État doit donner un signe fort pour se protéger, pour essayer de stopper le sentiment d’impunité. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement qui précise que les juges pour enfants pourront écarter l’excuse de minorité entre 16 et 18 ans, pour des faits constituant des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique des personnes, lorsque ces actes sont commis en récidive légale.

Cette disposition, si elle est votée, complétera le dispositif prévu dans la loi du 9 septembre 2002, à savoir la possibilité de prononcer des sanctions éducatives à l’encontre des mineurs âgés de plus de 10 ans, la création de centres éducatifs fermés, la procédure de jugement à délai rapproché afin que l’enfant comparaisse dans un délai de 10 jours à un mois après l’infraction, la responsabilisation des parents en prévoyant des amendes civiles en cas de non-réponse aux convocations des magistrats.

Certes, il n’y a pas que la sanction, et l’on peut se féliciter du développement des alternatives aux poursuites contenues dans ce texte, et de la coordination plus efficace entre les services compétents qu’elle prévoit. L’une des causes des violences étant trop souvent la peur de l’avenir, la peur de ne pouvoir trouver sa place dans la société, il est nécessaire de proposer parmi ces alternatives des sanctions éducatives et des formations professionnalisantes. Il conviendrait à cet égard de prévoir une formation à dominante civique qui permette de rappeler à ces jeunes les principes de base de notre société. J’ai également déposé un amendement en ce sens.

En matière de prévention de la délinquance, il me semble évident que la vidéosurveillance a un effet dissuasif. Ne faudrait-il pas que le ministère de l’intérieur labellise des matériels et référence des prestataires, ce qui permettrait de réduire les coûts et d’assurer la qualité du dispositif ?

M. Julien Dray. Tout à fait !

Mme Chantal Brunel. Ne faudrait-il pas aussi prévoir une aide de l’État aux communes pour l’équipement en vidéosurveillance, un dispositif qui s’avère efficace pour calmer les ardeurs de certains jeunes ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Cela dépend des endroits !

Mme Élisabeth Guigou. Dans les gares !

Mme Chantal Brunel. La vidéosurveillance a donné des résultats.

M. Éric Raoult. À Épinay !

M. Julien Dray. Bien sûr, je l’utilise chez moi !

M. Éric Raoult. Julien se voit place Beauvau quand Ségo sera élue ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Préparez-vous à revenir dans l’opposition, chers collègues !

M. le président. Seule Mme Brunel a la parole !

Mme Chantal Brunel. Pour moi, ce texte qui vient du Sénat apporte une avancée significative dans ses articles 12 ter et 12 quater concernant la possibilité de faire partir de terrains publics ou privés les gens du voyage. La procédure pour les communes de moins de 5 000 habitants sera moins coûteuse et plus rapide. Je remercie d’ailleurs le ministère de l'intérieur d'avoir enfin, par circulaire, allégé les normes de construction des aires d'accueil.

M. Yves Bur. C’est très bien, en effet !

Mme Chantal Brunel. Permettez au rapporteure de la délégation aux droits des femmes sur le texte relatif aux violences conjugales de se féliciter des nouvelles avancées du présent texte dans ce domaine. Je n’ai pas le temps d’évoquer ici toutes les mesures prévues. J’apporterai simplement mon témoignage. En ma qualité de femme députée, je rencontre en effet beaucoup d’autres femmes qui me racontent, souvent en pleurant, les drames qu’elles ont vécus, les mains qui ne se sont pas toujours tendues, la solitude et la honte qu’elles ont connues.

Ce texte s'attaque aussi à une autre évolution préoccupante de notre société, à savoir la banalisation de la consommation de drogues. Ce phénomène a tellement de conséquences néfastes, tels l'échec scolaire, la perte de repères, la montée de l'agressivité, les risques d'accident, qu'un gouvernement responsable doit absolument s'y attaquer. Vous le faites et je vous apporte mon soutien car, là aussi, il y a urgence.

Ce projet de loi répond à une réelle nécessité et à l'attente de beaucoup de nos concitoyens. Je le voterai donc avec le sentiment qu'il constitue un progrès pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Vernaudon.

Mme Béatrice Vernaudon. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, en raison de la spécificité législative qui régit la Polynésie française, pays d'outre-mer autonome au sein de la République, ne lui seront étendus que les articles modifiant le code de procédure pénale, le code pénal, le code de l’éducation et la loi pour la sécurité intérieure de 2003 qui créent le service volontaire citoyen de la police nationale.

Seront également étendues à la Polynésie les modifications de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante qui permettront de diversifier les sanctions, de les adapter à l'âge des mineurs et de lutter contre la récidive des mineurs par des mesures plus rapides et effectives.

M. Jean-Pierre Brard. Même en Polynésie française ?

Mme Béatrice Vernaudon. Enfin, l'article 49 modifie le code des communes applicable en Polynésie afin que, comme partout ailleurs dans la République, le maire anime sur le territoire de sa commune la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en œuvre.

Dans les communes de plus de 10 000 habitants, soit 8 des 48 communes de Polynésie, essentiellement les communes de l'agglomération de Papeete, le maire présidera le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance dont les conditions de mise en œuvre seront fixées par décret. De même, les maires polynésiens pourront dorénavant procéder verbalement au rappel à l'ordre à l'endroit des auteurs de faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre y compris lorsqu'il s'agit de mineurs.

En revanche les dispositions de ce texte relatives au code de la santé publique, au code de l'action sociale et des familles, au code rural, ou au code de l'urbanisme, ne nous sont pas étendues puisqu’il s’agit de compétences de la collectivité.

L'extension de ces textes va intervenir en Polynésie dans un contexte en pleine évolution. Je souhaite ardemment qu'elle soit l'occasion de susciter un renouvellement du partenariat nécessaire entre les services de l'État, responsables de la sécurité et de la justice, les services du pays compétents pour l'éducation, la jeunesse, l'action sociale et sanitaire et, enfin, les communes qui, compte tenu de l'étendue de nos collectivités sur une surface aussi grande que l'Europe sont souvent les seules autorités présentes au milieu des populations.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

Mme Béatrice Vernaudon. Ce partenariat est d'autant plus nécessaire que seule une approche globale, concertée, coordonnée alliant prévention et répression tant à échelon local que territorial permettra, sur la durée, d'inverser l'augmentation du phénomène de la délinquance en Polynésie.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez des îles, ce sont des centres fermés !

Mme Béatrice Vernaudon. Entre 2004 et 2005, le nombre de mineurs mis en cause dans les procédures pénales a augmenté de 14, 67 %. Les mineurs représentent 19 % du total des personnes mises en cause.

En Polynésie, la délinquance trouve ses origines dans une consommation importante d'alcool et de stupéfiants, principalement de cannabis, objet d'une véritable économie parallèle – le fameux paka’lolo. L'inadaptation du cursus scolaire conduit à un taux important d'échecs scolaires. Seul un tiers d'une classe d'âge parvient au baccalauréat, contre deux tiers en métropole. L'urbanisation rapide de l'agglomération de Papeete pour les besoins des essais nucléaires a créé de véritables favelas où règnent délinquance et insécurité.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Brard. C’est tout de même moins dangereux que la bombe !

Mme Béatrice Vernaudon. Certains quartiers sont de véritables foyers de délinquance où les jeunes et les adultes vivent hors la loi, contraignant certaines familles à retirer ponctuellement de l'école, un des enfants pour garder la maison lorsque les deux parents s'absentent, afin de ne pas être dépouillés du peu que la famille possède.

Enfin, la violence intrafamiliale est un phénomène plus important qu'en métropole. Destructrice des destins de la génération montante, elle trouve son origine dans l'insuffisance vertigineuse de logements sociaux,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui !

Mme Béatrice Vernaudon. …dans le chômage pour absence de qualification, dans le bouleversement des modèles familiaux traditionnels et dans l'envahissement de la société de consommation et des pièges du crédit.

M. Jean-Pierre Blazy. Mais que fait le Gouvernement ?

M. Éric Raoult et M. François Grosdidier. Demandez-le à M. Temaru, monsieur Blazy ! C’est un de vos amis !

M. Jean-Pierre Blazy. Parlez-nous de Gaston !

Mme Béatrice Vernaudon. Le suivi des mineurs est redevenu compétence de l'État en 2004. Un service de protection judiciaire de la jeunesse a été créé en 2005 mais il n'a commencé à fonctionner qu'en mars 2006 après le recrutement de travailleurs sociaux polynésiens. Malheureusement, l'efficacité de ce service qui doit assurer le suivi de 300 mineurs, est limitée par la faiblesse de son budget de fonctionnement. On a créé le service mais on ne lui a pas donné les moyens de fonctionner.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !

Mme Béatrice Vernaudon. Les travailleurs sociaux ne peuvent se rendre dans les autres îles et les juges des enfants ne peuvent envisager de placement de rupture, seule alternative pour éviter, à terme, une incarcération.

M. Jean-Pierre Blazy. Cela prouve que le problème vient des moyens et pas de la loi !

Mme Béatrice Vernaudon. Or nous fondions beaucoup d'espoir sur la mise en place du service de la PJJ pour prendre en charge notre jeunesse délinquante dans de meilleures conditions. Je souhaitais donc appeler ce soir l’attention du garde des sceaux sur cette situation …

M. Jean-Pierre Blazy. Il n’est pas là !

Mme Béatrice Vernaudon. …afin qu’il donne à ce service les moyens de remplir sa mission.

L'agglomération de Papeete a fait des progrès grâce au contrat de ville qui a permis d'expérimenter des actions de prévention. Mais il arrive à échéance le 31 décembre 2006. Nous espérons qu'il sera renouvelé en intégrant deux nouvelles communes et en étendant les nouveaux programmes proposés par l'Agence nationale de rénovation urbaine et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances dont les actions n’ont pas été étendues dans nos collectivités.

Par ailleurs, un contrat local de sécurité est en cours de définition pour l'agglomération de Papeete.

Pour terminer, je ne peux passer sous silence la question qui me préoccupe le plus : le désengagement de l'État en matière de logement en Polynésie. Le contrat de développement qui finançait la construction du logement social n'a pas été renouvelé.

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui !

Mme Béatrice Vernaudon. Même les programmes de résorption de l'habitat insalubre de l'agglomération sont arrêtés. Aujourd'hui, nous devrions nous tourner vers le régime de défiscalisation, mais ce dispositif ne permet pas de sortir des loyers en adéquation avec les capacités financières des familles modestes.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous avez raison, il ne s’agit pas de logement social !

Mme Béatrice Vernaudon. Je le dis ici comme je l'ai dit au ministre de l'outre-mer lors de l'examen du budget, cette situation n'est pas acceptable. La loi de cohésion sociale qui a permis un gros effort dans ce secteur, en métropole comme dans les DOM, n'a pas été étendue aux collectivités du Pacifique.

Or chacun sait que le logement est la pierre d'angle de toute politique sociale. Sortir de l'insalubrité, de la promiscuité, c'est permettre l'amélioration des relations familiales, rendre possible la réussite scolaire des enfants et prévenir la délinquance.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

Mme Béatrice Vernaudon. En conclusion, cette loi va étendre des dispositions adaptées à la situation de la métropole mais pas à la Polynésie. En tout cas, sans les moyens nécessaires, nous ne verrons aucun progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Lilian Zanchi. Ce n’est pas mieux en Seine-Saint-Denis ! Il n’y a pas que la Polynésie qui a besoin de moyens !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur – cher Philippe Houillon – mesdames et messieurs les députés, je tiens d’abord à remercier chacune et chacun d’entre vous, sur tous ces bancs, pour la qualité des interventions. Elles témoignent en tout cas de l’intérêt que vous portez à ce sujet, même si vous l’avez exprimé parfois avec du tempérament. Il est clair que l’approche du Gouvernement sur cette question de la prévention de la délinquance ne laisse personne insensible.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes bien modéré dans vos propos !

M. Julien Dray. Policé !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Sachez que, comme pour tous les textes dont nous avons débattu à l’initiative de Nicolas Sarkozy, notamment depuis dix-huit mois, il sera laissé tout son temps au débat parlementaire. Le Gouvernement, le ministre d’État et moi-même souhaitons qu’il soit ouvert le plus largement possible. Les contributions émanant de tous les bancs seront les bienvenues…

M. Julien Dray. Cela veut dire qu’on n’est pas d’accord dans la majorité !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. … pour peu qu’elles ne se complaisent pas dans des postures idéologiques. Nous accepterons de débattre de tout amendement dès lors qu’il se montrera pragmatique et inspiré par la recherche de l’efficacité.

Je vais m’efforcer ici de répondre aux nombreux orateurs qui se sont exprimés. Pour commencer, je veux saluer à nouveau le travail des rapporteurs, les présidents Philippe Houillon et Jean-Michel Dubernard. Je veux ensuite dire un mot sur les contrevérités proférées par l’opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Raoult. Surtout par M. Dray !

M. Julien Dray. Je croyais que c’était par le Premier ministre ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Les propos des députés de la majorité ont d’autant plus de poids qu’ils font contraste avec les contrevérités assénées, et je le regrette, par nombre de parlementaires de l’opposition qui n’ont manifestement pas tous lu le texte.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Eh oui !

M. Xavier de Roux. Aucun ne l’a lu !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Blazy, ce texte vise bien à apporter une réponse globale à la délinquance, et en particulier à celle des jeunes. Non, monsieur Le Bouillonnec, monsieur Ayrault, ce texte ne remet en aucun cas en cause les fondements de l’ordonnance de 1945. Ce n’est pas uniquement le texte « répressif » que vous dénoncez. Je le répète, et en dépit de ce qu’un certain nombre d’entre vous ont prétendu, et notamment M. Cohen, il ne comporte aucune mesure privative de liberté supplémentaire à l’encontre des mineurs.

M. Pierre Cohen. Le ministre en a parlé pendant une demi-heure !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il présente au contraire un ensemble de réponses pénales nouvelles adaptées, madame Guigou, à chaque tranche d’âge et fondé sur une démarche éducative.

J’invite donc celles et ceux qui voudraient s’exprimer sur la motion de renvoi en commission à réfléchir à deux fois avant de le faire, et à relire le texte. Il semblerait que tout le monde ne l’ait pas lu dans le détail. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Non, madame Fraysse, monsieur Zanchi, ce texte n’est pas le texte de stigmatisation que vous dénoncez. Ce n’est pas dans ce texte que vous trouverez une quelconque confusion entre les populations en difficulté et la délinquance. Un certain nombre d’entre vous n’ont cessé de faire l’amalgame entre délinquance et jeunesse. Telle n’est pas la vision des députés qui siègent dans les rangs de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Quelle est la vision de Mme Alliot-Marie ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Comme dit Mme Fraysse, on ne naît pas délinquant, on le devient.

M. Éric Raoult. On ne naît pas non plus socialiste ! (Sourires.)

M. Julien Dray. Profitez bien du temps qui vous reste !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est pour cela que nous souhaitons agir en amont, avant le passage à la délinquance. C’est pourquoi nous proposons de faciliter le dialogue entre travailleurs sociaux et de permettre au maire de désigner un coordonnateur. Si nous proposons d’instituer un conseil des droits et devoirs des familles, ce n’est pas parce que certaines familles ou certaines personnes seraient délinquantes par nature, bien au contraire, c’est parce que nous savons que la délinquance est souvent le produit d’une dérive. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Comme Georges Frêche ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Notre devoir, c’est d’y mettre un terme avant que les choses ne deviennent graves : telle est la logique de la prévention.

Je vais maintenant m’adresser en particulier à Mme Adam et à Mme Lebranchu. Selon vous, madame Adam, deux conceptions de la société s’opposent : l’une fondée sur le défi et la violence, l’autre sur l’humanisme et le droit. Vous avez raison, et l’heure de vérité a sonné il y a un an : lors de l’embrasement des banlieues, la loi des bandes a défié la loi de la République, et nous avons rétabli l’ordre sans qu’il y ait la moindre victime.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas vous qui l’avez rétabli !

M. Julien Dray. C’est vous qui avez créé le désordre !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Aucune autre démocratie ne peut en dire autant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Aujourd’hui, nous vous présentons ce projet de loi. Lisez-le en conscience, madame, vous y trouverez un vrai souci d’humanisme, un vrai respect du droit, mais avec une différence par rapport à vous : la volonté de pragmatisme et d’efficacité qui nous anime.

Madame Lebranchu, vous refusez l’angélisme : j’en suis heureux, mais je n’ai pas oublié que le premier ministre dont vous avez été le garde des sceaux s’était lui-même déclaré « naïf » face à l’insécurité galopante que sa gestion calamiteuse avait engendrée. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. C’est scandaleux !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous avez toujours dit que la sanction était indispensable pour les mineurs, je vous en donne acte. C’est vous-même, lorsque vous étiez au gouvernement, qui aviez créé les centres de placement immédiat pour les mineurs de treize à dix-huit ans, voire parfois à partir de dix ans.

Mais vous avez énoncé certaines contrevérités. Vous nous faites le reproche classique du manque de moyens. Or, si le Gouvernement compte bien sûr renforcer les moyens mis à la disposition des maires pour animer la prévention de la délinquance, comme il s’y était engagé, il ne veut surtout pas se cacher derrière ce leitmotiv lancinant. La prévention de la délinquance est moins une question de moyens que de méthode : c’est tout l’enjeu de la coordination des interventions. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons persévéré dans la voie que vous aviez tracée en créant des centres éducatifs fermés. Vous nous reprochez d’avoir manqué du dynamisme et de l’élan nécessaire pour en créer un plus grand nombre…

M. Jean-Pierre Blazy. C’est vrai !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il en existe déjà dix-huit…

M. Julien Dray. Ce qui fait soixante-trois places !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et nous nous donnons les moyens d’en avoir 47 à la fin 2007, ce qui portera la capacité d’accueil à 500 places.

M. Julien Dray. Tu parles !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Les mesures d’éloignement que nous proposons pour sortir les mineurs de leur contexte de vie habituelle devraient donc rencontrer votre assentiment ! Quant au nombre de places d’internat, vous dites qu’il n’y en a pas, mais l’éducation nationale, elle, estime que 41 % du parc est inoccupé dans les collèges et 35 % dans les lycées.

Mme Patricia Adam. C’est faux !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il est donc possible de développer ces mesures.

Notre méthode pour élaborer ce texte, mesdames et messieurs les députés, a été le pragmatisme. Nous sommes allés sur le terrain pour comprendre ce qui se passe et recenser les meilleures initiatives. Le texte reprend par ailleurs quatorze des vingt-quatre propositions faites par M. Bénisti – et nous discuterons des autres, même si toutes ne relèvent pas de la loi.

Mme Grosskost a évoqué le plan « 25 quartiers », et M. Grouard les expériences qu’il a menées à Orléans. Certes, les orateurs de l’opposition ont dénoncé le temps qu’a nécessité l’élaboration de ce projet de loi, ou ont fait mention de discordances au sein du Gouvernement… Mais tout le monde sait que la prévention de la délinquance est un sujet complexe ! Tellement complexe qu’aucune majorité avant la nôtre n’avait osé s’y attaquer !

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Georges Fenech. Il est important de le dire !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cela méritait bien que les huit ministères concernés prennent le temps de la concertation. Allez-vous nous reprocher de proposer à la représentation nationale un projet mûri dans la concertation et l’expérimentation ?

Vous avez été nombreux, mesdames et messieurs, à vous arrêter sur le rôle confié aux maires. Je vous précise que parmi les députés qui se sont succédé à la tribune, quinze exercent un mandat de maire…

M. Richard Mallié. Ils savent de quoi ils parlent !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …mais deux seulement appartiennent au groupe socialiste, un seul au groupe communiste. Doit-on y voir la preuve que les maires de gauche approuvent ce texte et, pour cette raison, n’ont pas voulu se trouver ce soir dans l’hémicycle ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça, c’est de l’argumentation !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. L’intervention du président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, tout comme les amendements émanant de cette association montrent que la grande majorité des maires adhèrent au projet et veulent participer à cette démarche, en responsabilité et en confiance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. C’est faux !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous avez souhaité que les maires se voient reconnaître une capacité d’appréciation pour désigner le coordonnateur qui assurera la circulation de l’information entre les professionnels, et que le conseil municipal puisse débattre de la création du conseil des droits et devoirs des familles pour que les élus s’investissent dans cette démarche.

Vous avez enfin souhaité que les rôles respectifs du maire et de l’autorité judiciaire soient plus clairement délimités, notamment par rapport au juge des enfants. Le Gouvernement, mesdames et messieurs les maires, soutiendra ces propositions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je remercie tous ceux – Mme Louis-Carabin, Mme Martinez, MM. Luca, Schneider, Decocq, Mme Morano et M. Delnatte – qui, sans êtres maires, ont également manifesté leur approbation au projet de loi.

Je voudrais maintenant m’adresser aux élus de l’outre-mer, dont les représentants ont rappelé que les maires, sur tout le territoire de la République, sont confrontés aux mêmes enjeux, et ont partout les mêmes besoins car ils sont toujours en première ligne. Ils peuvent être confrontés à des difficultés spécifiques, comme les problèmes liés à l’alcool et aux stupéfiants, comme l’ont indiqué Mme Louis-Carabin et Mme Vernaudon.

J’observe également que M. Grouard, maire d’Orléans, a rappelé en leur nom que les maires des grandes villes de France, toutes tendances confondues, s’étaient réunis pour réfléchir, travailler sur le sujet et faire des propositions, qui ont été, pour la plupart d’entre elles, reprises dans ce texte.

M. Julien Dray. Il a rêvé !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous me permettrez de regretter que le maire de Nantes, M. Ayrault, soit le seul à ne pas avoir participé à cette réunion.

M. Éric Raoult. Il est trop occupé !

M. François Grosdidier. Il est au four et au moulin ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. MM. Vitel, Martin, Bur et Herbillon ont souligné la nécessité d’organiser le rôle des maires et celui des présidents de conseils généraux, dont la qualité de chef de file en matière sociale n’est nullement remise en cause dans ce texte : nous avons mis en place toutes les articulations nécessaires.

J’en viens à la réforme de l’ordonnance de 1945 et à la délinquance des mineurs.

M. Jean-Pierre Blazy. La quatrième réforme !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. M. Thomas et M. Fenech ont très clairement indiqué qu’aucune prévention ne peut porter ses fruits sans des sanctions adaptées. Ma question est simple : peut-on parler de sanction adaptée quand elle survient plusieurs mois après les actes délictueux ?

M. Julien Dray. La question n’est pas bien posée !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Peut-on parler de sanction adaptée quand les admonestations se succèdent ? Qui gagne à ces pratiques dilatoires ? Ni les mineurs, qui s’enfoncent dans un sentiment d’impunité, ni la justice, qui perd en crédibilité et en autorité ! M. Mignon l’a dit, les mineurs ont besoin de repères. Et les mineurs de 2006, beaucoup l’ont souligné, ne sont pas ceux de 1945.

M. Jean-Marie Le Guen. Bravo !

M. Jean-Pierre Brard. La Palisse aurait pu être ministre !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Les repères d’aujourd’hui ne peuvent être les mêmes qu’en 1945. Nous aurons l’occasion de débattre plus longuement de la réforme nécessaire de l’ordonnance de 1945, des mesures éducatives et de l’excuse de minorité, que nos concitoyens ne comprennent plus. Mais ce qui est sûr, c’est que ceux qui accusent ce texte de rompre avec les principes fondateurs de l’ordonnance de 1945 ou de vouloir enfermer les mineurs délinquants au mieux se trompent…

M. Julien Dray. Ils ont raison !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …au pire, ils veulent tromper ceux qui les écoutent.

M. Diefenbacher a souligné, avec l’humour qu’on lui connaît…

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes le seul à l’avoir remarqué !

M. Julien Dray. Je ne sais pas si c’est un compliment.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …que ce texte avait au moins le mérite d’exister. J’espère que la discussion permettra à chacun de s’apercevoir, en toute honnêteté intellectuelle… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Mallié. Ils ne savent pas ce que c’est !

M. Jean-Pierre Brard. Vous vous engagez sur un terrain scabreux, monsieur le ministre !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …qu’il comporte – et certains membres de l’opposition l’ont reconnu – des avancées réelles, ainsi que des mesures pragmatiques. Mais surtout, il existe, et personne ne peut contester à Nicolas Sarkozy d’avoir été le premier à préparer un texte d’une telle ambition sur un sujet aussi difficile. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Cela sent le ralliement !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. M. Marie-Jeanne, qui n’est pas parmi nous ce soir, a prononcé hier une allocution remarquable.

M. Éric Raoult. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il a évoqué bien sûr la situation spécifique de la Martinique. Il sait que le Gouvernement lutte pour que nos compatriotes de l’outre-mer puissent vivre en paix parce que la sécurité est la première des libertés, à Paris comme en Martinique, en Guyane et en Polynésie française. En Martinique, au cours des neuf premiers mois de 2006, la délinquance générale s’est stabilisée : 1 825 faits constatés, contre 1 811 en 2005.

M. Philippe Edmond-Mariette. C’est faux !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ce chiffre est encore beaucoup trop élevé ! La délinquance de voie publique, dans le même temps, a significativement baissé de 10 %...

M. Julien Dray. Demandez donc à nos concitoyens !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et la mobilisation des forces de l’ordre a permis d’augmenter fortement le taux d’élucidation, qui est passé de 33 % en 2005 à 45 % en 2006.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. De quelles infractions parlez-vous ? D’où viennent ces statistiques ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. La présence sans relâche des policiers et des gendarmes sur le terrain fait sentir ses effets puisque le nombre des personnes placées en garde à vue a augmenté de 22 %.

M. Julien Dray. Ce n’est pas la vérité !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais je veux surtout retenir de l’intervention de M. Marie-Alfred Marie-Jeanne (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) …Sincèrement, c’est la parole de M. Marie-Jeanne que je vous demande de respecter, pas la mienne ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je veux surtout retenir de son intervention qu’il souhaite voir la représentation nationale s’inscrire « aux frontières de l’humanité et de l’autorité ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Xavier de Roux. Très bien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je m’adresse maintenant à un certain nombre d’orateurs, dont Éric Raoult, auquel je veux rendre hommage (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marie Le Guen. Un grand penseur !

M. Jean-Pierre Blazy. Et un grand poète ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Attention, il va vous faire perdre des voix !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …pour le combat quotidien qu’il mène avec courage et détermination pour dénoncer des faits inacceptables en Seine-Saint-Denis, département dont nous avons beaucoup parlé dans cet hémicycle.

Julien Dray. Il attend généralement la dernière minute !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Oui, madame Guigou, nous consacrons à ce département un effort particulier et nécessaire.

M. Jean-Pierre Brard. Les effectifs de police ont baissé de 20 % à Montreuil !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Faites attention parce que si vous faites un peu trop de remarques contradictoires sur les éléments que je vais indiquer, je serai obligé de faire un rappel fâcheux sur la situation de la Seine-Saint-Denis entre 1997 et 2002 ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Ils ne s’en souviennent plus !

M. Jean-Marie Le Guen. Il y avait des émeutes à cette époque-là ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il est vrai qu’en 2002 Mme Guigou se préoccupait beaucoup plus du département du Vaucluse que de celui de la Seine-Saint-Denis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

En Seine-Saint-Denis, en 2001, les services de police avaient constaté 143 000 crimes et délits ; en 2005, ils en ont dénombré 136 000, soit une baisse de 5 %.

M. Julien Dray. C’est normal, les services de police n’y vont plus, ils ont déserté ! C’est Raoult qui le dit !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Dans ce département, la délinquance a baissé de 1,05 % en 2002, de 1,95 % en 2003, de 2,33 % en 2004  pour se stabiliser à 0,31 % en 2005. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non, le préfet Cordet a été clair : 7,64 % de hausse en Seine-Saint-Denis !

M. Julien Dray. Le ministre n’a pas lu le rapport, il ne lit que certaines notes

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Depuis quelques mois, nous observons cependant une dégradation de la situation et avons décidé d’agir sans attendre.

Il est nécessaire d’adapter en permanence notre dispositif aux évolutions de la délinquance. La coordination de l’activité des services a prouvé toute son efficacité lors des violences de novembre 2005. Nous souhaitons que l’on en tire tous les enseignements. Trois compagnies de CRS quadrillent le département en appui des effectifs de la sécurité publique. Depuis le 1er janvier 2006, ils ont permis l’interpellation de 3 536 individus. De façon ponctuelle, des renforts supplémentaires en CRS ou en gendarmes mobiles sont employés lors des grandes manifestations, notamment au Stade de France. Depuis le mois d’août 2006, des expérimentations sont conduites afin d’améliorer encore le dispositif.

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-nous nos effectifs !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Le ministre d’État a décidé d’affecter dans ce département 300 policiers supplémentaires en renfort des effectifs locaux.

M. Jean-Pierre Blazy. Et combien dans le Val-d’Oise ?

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-nous ce que vous nous avez pris !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je tiens d’ailleurs à dire que l’encadrement intermédiaire a été renforcé. En sécurité publique, par exemple, le nombre de gradés est passé de 413 en 2004 à 873 en 2006. Le nouveau directeur départemental de la sécurité publique a pour mission de poursuivre les efforts entrepris. Un travail de fond est mené dans la lutte contre les violences aux personnes grâce à l’action de la brigade de répression des agressions violentes. Un service départemental spécialement chargé du traitement de la délinquance nocturne va être créé. Je veux rendre hommage au remarquable travail effectué quotidiennement par tous les policiers du département de la Seine-Saint-Denis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Cela veut dire qu’avant, on ne s’occupait pas de la délinquance nocturne ! Quel aveu !

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-nous nos effectifs !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cet effort, monsieur Raoult, nous allons le redoubler…

M. Julien Dray. Au Raincy parce que Raoult a peur !

M. Jean-Pierre Brard. Protégez les coffres-forts !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …grâce aux outils offerts par ce projet de loi qui permettra de renforcer la chaîne de la prévention de la délinquance.

M. Jean-Pierre Brard. Après la séance, une tournée en Seine-Saint-Denis !

M. Julien Dray. À La Courneuve !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Avec plaisir !

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues, M. le ministre a la parole et lui seul !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Raoult, je vous remercie d’avoir aussi réaffirmé un certain nombre de réalités sur le rôle du maire.

Nous avons proposé une meilleure coordination du maire en tenant compte d’une réalité : il est au carrefour des interventions de l’État, dont il est le représentant dans un certain nombre de domaines, et de la population.

M. Éric Raoult. Tout à fait !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il est le représentant de l’État comme le représentant de la population.

M. Éric Raoult. Absolument !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Quel meilleur pivot que le maire en termes de coordination ? Il doit être le pivot du dispositif, mais, je le confirme à tous ceux qui ont fait un certain nombre de sous-entendus : il ne sera en rien un maire shérif ou un maire éducateur. Son rôle s’arrête là où commence celui des travailleurs sociaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Alors qu’est-ce qui change par rapport à avant ? Votre loi ne change rien ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Aucun pouvoir de sanction ou de coercition n’est confié au maire dans ce texte. Je le réaffirme pour apporter une contradiction aux contrevérités !

M. François Grosdidier. Cette suspicion à l’égard maires est scandaleuse !

M. Pierre Cohen. Qu’est-ce qui change alors ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mme Brunel, grâce au projet de loi, les intercommunalités pourront financer la vidéosurveillance.

M. Jean-Pierre Blazy et M. Jean-Marie Le Guen. Et l’État ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Par circulaire, le ministre a rappelé aux préfets que les dépenses des communes pour la vidéosurveillance sont éligibles au FCTVA. Pour les communes de moins de 20 000 habitants, les subventions se feront à partir de la DGE.

Madame Guigou, votre diagnostic vous honore. Je le dis avec humilité et modestie : nous le partageons.

M. Jean-Pierre Brard. L’humilité, la modestie… ce n’est pas crédible !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Loin de l’aveuglement des années où vous occupiez la place Vendôme, vos yeux se sont ouverts et vous découvrez – ce n’est pas trop tard – la réalité des violences urbaines.

Mme Élisabeth Guigou. Qu’est-ce que vous racontez ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Mais passé cet instant de lucidité, vous en revenez aux souvenirs nostalgiques des années 1997-2002. Alors je vous le dis très clairement : dans ce texte, le maire n’est pas un acteur de la chaîne pénale, contrairement à ce que vous avez affirmé à cette tribune.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Si, il peut établir des rapports à l’attention du procureur de la République !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il est en amont, dans son rôle : l’aide aux familles. Le texte consacre juridiquement son rôle au quotidien, en particulier de médiation, comme vous l’avez souligné.

Vous voulez plus de maisons de la justice et du droit.

M. Pierre Cohen. Oui !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous avez raison, c’est un lieu de conciliation,….

Mme Élisabeth Guigou. Pourquoi n’en avez-vous pas créé depuis cinq ans ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …et le maire peut faire un rappel à l’ordre. Selon vous, il y aurait aussi une remise en cause de l’ordonnance de 1945. C’est faux : avec ce projet de loi, les mesures qui sont prononcées le seront toujours par les juridictions pour mineurs et seront adaptées, contrairement à ce que vous affirmez, à chaque tranche d’âge. Nous respectons les tranches d’âge : dix–treize ans, treize–seize ans et seize–dix-huit ans, comme le prévoit l’ordonnance de 1945. Rien n’est changé dans ce domaine.

Vous saluez le travail du tribunal de Bobigny où, selon vous, le taux de réponse pénale serait de 88 %.

Mme Élisabeth Guigou. Ce sont les chiffres du parquet !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous oubliez de préciser que ce taux englobe en réalité l’ensemble des classements sans suite. C’est aussi une précision importante.

Madame Guigou, je voudrais faire un petit rappel sur le tribunal de Bobigny. Selon vous, il ne dispose pas de moyens suffisants, mais depuis 2002, il y a connu 34 créations nettes de postes de magistrat. Je veux bien concevoir que les moyens, dans quelque juridiction que ce soit, ne sont jamais suffisants pour faire face aux difficultés, mais le Gouvernement porte une attention particulière au tribunal de Bobigny pour renforcer sans cesse ses moyens. Depuis 2002, en plus de ces 34 créations nettes de postes de magistrat, il y a eu 35 créations nettes de postes de fonctionnaire et, à la suite du rapport de l’inspection des services judiciaires demandé par M. Perben en 2005, 6 substituts de plus en septembre 2006.

Mme Élisabeth Guigou. Tout va bien ! Alors pourquoi le ministre de l’intérieur stigmatise-t-il ce tribunal ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Madame Guigou, Madame Lebranchu, vous qui avez été garde des sceaux, voilà les efforts que le Gouvernement a été obligé de faire depuis 2002 face à la situation calamiteuse du tribunal de Bobigny que vous nous avez laissée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Éric Raoult. Tout à fait !

M. Lilian Zanchi. Alors pourquoi le ministre de l’intérieur le critique-t-il ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Madame Guigou, vous réclamez plus de moyens pour la justice, j’y ai répondu. Il faut aussi plus de moyens pour la police, et vous demandez plus de policiers judiciaires : j’ai répondu sur la situation de la Seine-Saint-Denis et les renforts que nous avons apportés. Permettez-moi de vous dire, madame, que je ne peux pas vous comprendre : comment pouvez-vous, en même temps, réclamer plus de moyens pour la police nationale, dénoncer ce texte en disant qu’il est le sixième depuis 2002 en matière de sécurité publique et systématiquement voter contre tous les textes qui nous ont permis depuis 2002 de renforcer l’organisation de la police et les moyens mis à sa disposition ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Élisabeth Guigou. Parce que ce sont des textes sans moyens !

M. Jean-Pierre Brard. Vous réduisez les effectifs !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous ne pouvez pas, d’un côté, réclamer plus de moyens et, de l’autre, systématiquement vous opposer aux propositions que nous faisons pour renforcer les moyens de la police ! Madame Guigou, avec la mise en œuvre des trente-cinq heures, notre pays s’est retrouvé avec 9 000 policiers en moins ! Ce n’est pas nous qui avons laissé une telle situation s’installer ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Richard Mallié. Comme les infirmières !

M. François Grosdidier. Même Ségolène est d’accord !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est grâce à la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure que, depuis 2002, nous avons, loi de finances après loi de finances, réussi à compenser la situation déficitaire de la police nationale que vous nous aviez laissée ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. C’est long et verbeux !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ce n’est pas nous, madame Guigou qui avons systématiquement déposé des recours devant le Conseil constitutionnel, alors que nous voulions utiliser au mieux la police scientifique dans notre pays grâce, notamment, au développement de l’utilisation du fichier des empreintes génétiques.

M. Julien Dray. N’importe quoi !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. S’agissant du texte de lutte contre le terrorisme, ce n’est pas nous qui avons déposé un recours devant le Conseil constitutionnel pour empêcher que l’on puisse imposer aux opérateurs électroniques la conservation des données électroniques ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez fait référence au drame d’Ilan Halimi, madame Guigou. Sachez qu’à l’époque, nous venions de voter le texte sur la lutte contre le terrorisme…

M. Jacques-Alain Bénisti. Eh oui !

M. Julien Dray. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …qui prévoyait d’assurer la transparence dans les lieux publics pour la conservation des données électroniques pendant deux ans au moins.

M. Julien Dray. Ce n’est pas le problème pour Ilan Halimi !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. On sait que ceux qui ont sauvagement torturé Ilan Halimi ont utilisé des lieux publics et des cybercafés pour s’adresser à la police nationale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) C’est parce que vous avez déposé un recours devant le Conseil constitutionnel que nous n’avons pas pu prendre les décrets d’application dans les délais nécessaires. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Le Guen. C’est grâce à la loi antiterroriste que vous auriez pu agir ? Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Vous risquez de mettre l’enquête en cause ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Grosdidier. Le Guen – MNEF !

M. Julien Dray. Le ministre n’y connaît rien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. En vous opposant sans cesse à tous nos textes depuis 2002, vous avez privé un certain nombre de territoires en France des moyens nécessaires, alors que nous voulions les renforcer !

Pour terminer, monsieur Dray, vous et moi, au moins, connaissons un peu ces sujets-là. C’est votre mérite, je le reconnais. Je vous remercie d’avoir esquissé un diagnostic qui s’apparente à celui du Gouvernement. Oui, il faut agir en amont en matière de délinquance des mineurs.

M. Julien Dray. Ce n’est pas ce que vous faites !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Oui, le traitement individualisé de la situation d’un mineur ne se limite pas au prononcer d’une peine. Mais là où nous divergeons, cher Julien Dray, c’est lorsque vous refusez de voir les avancées concrètes qu’offre ce texte. Je vous les rappelle.

La coordination du travail social pour détecter les problèmes en amont de la délinquance. Pourtant, un certain nombre d’entre vous sur ces bancs ont reconnu l’importance de détecter en amont les difficultés.

M. Julien Dray. Ce n’est pas ce que vous faites !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. La diversification de la réponse apportée aux mineurs délinquants : composition pénale, solution éducative, contrôle judiciaire, activités de jour, centres éducatifs fermés, présentation immédiate devant la juridiction des mineurs.

Monsieur Dray, madame Guigou, vous avez fait référence, à la police de proximité.

M. Yves Bur. Fantasme !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je veux en dire un mot. Le ministre d’État a rappelé un chiffre qui, lui, est incontestable : le taux d’élucidation de la police de proximité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est un critère bidon, complètement obsolète !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ce taux était de 24 %, c’est-à-dire qu’un fait de criminalité sur quatre était élucidé.

Aujourd’hui, nous sommes passés à 34 %. Monsieur Dray, on peut toujours contester les pourcentages. Ce matin, d’ailleurs, devant la commission des lois du Sénat, certains sénateurs socialistes contestaient le taux d’élucidation en m’indiquant qu’il ne portait que sur les faits constatés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Oui, exactement !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Parce qu’il y a moins de faits constatés, ce qui est tout à l’honneur de l’action du ministre de l’intérieur aujourd’hui, le taux d’élucidation serait faussé selon eux !

M. Julien Dray. Vous avez fait passer des plaintes en main courante !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il est indéniable que, aujourd’hui, les faits constatés sont en baisse de 8 %. Sans doute allez-vous dire que, avec une telle diminution, les 34 % de taux d’élucidation en plus ne représentent pas un nombre d’élucidations plus important.

M. Julien Dray. Vous avez transformé des plaintes en main courante !

M. François Grosdidier. C’est ce que vous faisiez, vous ! C’était votre technique !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Combien d’élucidations ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je vais vous donner le chiffre : cela représente exactement 175 000 élucidations supplémentaires.

M. Julien Dray. Dans les plaintes, vous ne comptabilisez plus celles pour les vols de voiture ! Vous expliquez que cela ne sert à rien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On ne vole plus les voitures, on les brûle !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Ce n’est pas un pourcentage ; c’est un chiffre, c’est la réalité.

Monsieur Dray, madame Guigou, pour vous, la police de proximité était une police de politesse : elle longeait des territoires de non-droit en faisant semblant de ne pas savoir ce qui s’y passait.

M. Éric Raoult. Voilà !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est bien parce que nous avons cherché à investir ces cités…

M. Julien Dray. Il y a un délinquant dans l’hémicycle ! Il vient d’avouer qu’il brûlait les voitures ! Le Journal officiel en fera foi !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …pour démanteler l’ensemble des réseaux, des trafics, de ce petit caïdat qui perturbe la vie de centaines et de milliers de citoyens honnêtes qui se lèvent tôt le matin pour aller travailler et nourrir leur famille ;…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous y revoici : chômeurs et délinquants !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …c’est bien parce que 5 % des délinquants commettent 50 % des actes de délinquance que nous devons les mettre hors d’état de nuire…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et vous laissez courir les 95 % restants ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …pour assurer la paix et la sérénité de nos concitoyens qui aspirent à une vraie politique de sécurité de proximité, celle que nous conduisons grâce aux réponses que nous apportons dans nos différents textes.

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Dray, vous faisiez référence à l’avis des syndicats de policiers. Je vais les citer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Citez ce qu’a dit M. Beschizza !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Pour Synergie, « Nicolas Sarkozy a tenu tous ses engagements dans la LOPSI. C’est la première fois qu’un gouvernement respecte ce contrat qui garantit des moyens matériels et humains aux policiers. »

M. Julien Dray. Vous allez voir les résultats des élections, malgré tous les cadeaux que vous leur avez faits ces derniers mois !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. « Il a mis le doigt où cela fait mal, en demandant aux flics de rentrer dans certains quartiers. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Avant de parler de police de proximité, il faut reconquérir les territoires. »

M. Julien Dray. Vous leur rendez service ! Pourquoi ne l’avez-vous pas fait plus tôt ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Pour Alliance, « le bilan de Nicolas Sarkozy est extrêmement positif. Il a marqué son attachement au travail de la police et l’a soutenu. Si nous sommes agressés, c’est parce que nous sommes présents partout dans les quartiers. » (« Oui ! Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quant au syndicat des commissaires…

M. Julien Dray. Vous avez viré son secrétaire général et, à sa place, vous avez mis un homme à vous !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …il considère qu’« il faut mettre au crédit de Nicolas Sarkozy la reconquête des territoires par la police. »

Voilà toute la différence entre votre police de proximité et notre politique de sécurité et de proximité. Ce texte, monsieur Dray, exprime tout simplement notre volonté…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est un constat d’échec !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …de mettre en œuvre une politique plus juste, plus équitable, mais ferme, pour que, demain, nos concitoyens puissent vivre en paix, parce que la sécurité est la première des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Au revoir ! Plus que quatre mois ! C’était un beau texte posthume !

M. Éric Raoult. Et si on parlait de M. Frêche ?

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Richard Mallié. Il s’est déjà chauffé la voix !

M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comprends parfaitement que M. Nicolas Sarkozy ne soit pas en permanence présent dans l’hémicycle,…

M. Richard Mallié. Mais il devrait être là quand M. Le Guen parle !

M. Julien Dray. Il s’occupe de Villepin, un grand délinquant !

M. Jean-Marie Le Guen. …mais j’imagine qu’il va nous rejoindre bientôt, lorsque nous commencerons la discussion des articles. Je regrette cependant qu’il ne soit pas là pour donner une bonne note au modeste débutant que je suis.

M. Richard Mallié. Ce n’est pourtant pas la modestie qui vous étouffe !

M. Jean-Marie Le Guen. J’ai été tellement émerveillé par les cadeaux qu’il distribuait dans l’hémicycle que j’aurais voulu en mériter un aussi, pour l’accrocher dans mon bureau : ça fait toujours plaisir.

Monsieur le ministre, avant d’en venir à la motion de renvoi en commission, je voulais vous dire, au nom du groupe socialiste, que nous sommes tout à fait disposés à ce que vous retiriez du compte rendu de la séance ce que vous avez dit sur l’enquête concernant la mort du jeune Ilan Halimi. Répondant à Mme Guigou, vous avez en effet laissé entendre que, pour effectuer des écoutes, la police aurait utilisé le cadre d’une loi antiterroriste, ce qui n’avait sans doute pas lieu d’être. Comme nous souhaitons tous ici que les enquêtes ne soient pas fragilisées au plan juridique, nous sommes tout à fait disposés à ce que vous retiriez ces propos du compte rendu de notre séance.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Puis-je vous interrompre, monsieur Le Guen ?

M. Jean-Marie Le Guen. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Le Guen, je vous remercie de m’offrir cette occasion supplémentaire de m’expliquer.

Au lendemain du 11 septembre 2001, M. Vaillant est venu présenter à celles et à ceux qui siégeaient sur ces bancs une loi relative à la sécurité quotidienne. Comme aujourd’hui, la France connaissait diverses menaces et l’opposition avait estimé que certaines propositions du gouvernement de M. Jospin, qui pouvaient paraître attentatoires aux libertés individuelles, comme l’autorisation donnée aux policiers de fouiller les coffres de voiture, étaient des mesures importantes pour assurer la sécurité des Françaises, des Français et de tous ceux qui séjournent sur le territoire national face aux menaces terroristes. Nous n’avons pas polémiqué un seul instant.

M. Éric Raoult. C’est ça, être responsable !

Mme Henriette Martinez. Il y avait un intérêt supérieur !

M. Julien Dray. Vous l’avez fait pendant la campagne présidentielle !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Nous avons été unis − M. Dray s’en souvient, lui qui a également pris part à ce débat −, parce que nous avons considéré qu’il en allait de l’intérêt supérieur de la nation.

Après les événements qui se sont déroulés à Londres, nous avons proposé à notre tour un texte de loi de lutte contre le terrorisme. Certains considèrent que l’on légifère trop souvent sur les mêmes sujets : ils verront, dans les prochaines années, que, quels que soient les gouvernements, nous aurons encore à en traiter, car les technologies évoluent très vite et la délinquance, la criminalité, le terrorisme s’y adaptent tout aussi rapidement.

M. Yves Bur. Évidemment !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Notre texte devait faciliter notre propre adaptation à ces évolutions. Ainsi il proposait d’imposer aux opérateurs de conserver pendant deux ans au moins l’ensemble des données électroniques permettant de connaître la date, l’heure, la localisation d’un appel. En aucun cas il ne s’agissait d’écouter les conversations ; vous le savez parfaitement puisque vous avez participé à ces débats.

Lors de réunions européennes à Bruxelles, j’ai défendu, aux côtés et quelquefois même au nom du ministre d’État, le dispositif que nous avions introduit dans la loi française en demandant qu’il soit validé par le Conseil des ministres, par la Commission européenne et par le Parlement européen : nous y sommes d’ailleurs parvenus.

Lorsque nous avons fait adopter ces dispositions au mois de janvier, contrairement à l’attitude responsable qui avait été la nôtre à l’automne 2001, l’opposition s’est empressée d’introduire un recours devant le Conseil constitutionnel.

M. Éric Raoult. Quelle honte ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Le Guen. Ne soyez pas désobligeant avec le Conseil constitutionnel, cher collègue !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Cela m’a paru totalement irresponsable. Je ne dis pas, monsieur Le Guen, que nous aurions réussi à sauver Ilan Halimi et à éviter ce drame.

Mme Élisabeth Guigou. Quel rapport ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je dis simplement que, lorsque l’on sait que c’est justement de lieux publics tels que les cybercafés que ses ravisseurs n’ont cessé d’envoyer des informations, sans ce recours devant le Conseil constitutionnel, nous aurions pu prendre les décrets d’application dans des délais qui, peut-être, auraient permis à la police d’utiliser les dispositions qu’avait votées le Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Éric Raoult. Eh oui !

Mme Christiane Taubira. C’est de la science-fiction !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Voilà ce que je voulais répondre calmement, sereinement, à vos observations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Le Guen, vous pouvez poursuivre.

M. Jean-Marie Le Guen. Nous n’avons eu aucun problème à discuter d’une législation antiterroriste efficace, et vous avez d’ailleurs souligné que le gouvernement de Lionel Jospin en avait pris l’initiative. Vous avez raison de souligner, monsieur le ministre, que nous aurons besoin − nous aurions d’ailleurs déjà besoin − de revenir sur la législation en cause, notamment en matière d’écoutes. Nous savons bien, en effet, que le dispositif ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait face à une menace de ce niveau.

Cela dit, la pire des choses qui puisse arriver à une démocratie, c’est qu’on y applique les cadres particuliers de la lutte contre le terrorisme à l’ensemble des problèmes de la société.

M. Lilian Zanchi. C’est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. Autant nous avons toutes les raisons de vous accompagner lorsqu’il s’agit de durcir les législations concernant le terrorisme, autant il ne faut pas qu’elles deviennent la règle dans le fonctionnement de la société. Sinon nous aurions toutes chances d’effrayer nos concitoyens qui ne nous suivraient plus dans le durcissement nécessaire des techniques et des législations. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons donc tout intérêt à traiter ces questions de sécurité avec précaution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En vous remerciant de votre mansuétude, monsieur le président, j’en viens à présent à la motion de renvoi en commission.

J’aurais préféré commencer mon intervention en félicitant le président Dubernard d’avoir soustrait de notre discussion les articles 18 à 24 étendant à la santé mentale un texte qui prétend traiter de la prévention de la délinquance. Au lieu de cela, malgré ces bonnes intentions, malgré le malaise perceptible sur tous les bancs − je l’ai, en tout cas, constaté en commission −, nous allons, avec ce texte, nous enfoncer dans un imbroglio parlementaire grotesque et sans précédent.

La matière est complexe et il faut l’expliciter. Notre assemblée va en effet discuter, amender et voter des articles de loi qu’elle préférerait refuser et dont, au final, elle se dessaisira pour confier la rédaction de la future législation au Gouvernement au travers d’ordonnances. Comble du ridicule, ces ordonnances sont autorisées par une loi d’initiative parlementaire. Il aurait été plus simple de ne pas commettre cette grave faute en n’imposant pas à ce texte des chapitres qui n’avaient rien à y faire. Il eût été plus simple encore d’écouter l’opposition au Sénat qui vous demandait de les retirer ; plus simple toujours de voter les amendements de suppression que nous allons vous proposer. Mais, apparemment, vous souhaitez vous obstiner.

Dès lors, le mal sera fait doublement : d’une part, on aura discuté et voté, sans le sérieux nécessaire, à contre-emploi, un texte fondamental ; d’autre part, pour la première fois, la législation sur ces sujets éminemment sensibles touchant aux libertés publiques échappera au Parlement et s’écrira sous la dictée du ministère de l’ordre intérieur.

Si vous n’avez pas renoncé à ce processus, c’est que votre intention est d’écrire un texte d’inspiration d’ordre publique sous la caution du ministre de la santé. Il s’agit en quelque sorte d’obliger des acteurs de la santé mentale à accepter sous contrainte une hospitalisation d’office à la demande d’un tiers. Le ridicule dans lequel le Parlement est plongé n’est pourtant rien à côté de la honte d’avoir introduit des questions de santé mentale dans un texte de répression.

Faire l’amalgame entre délinquant et malade mental n’est pas seulement une insulte envers ces derniers et leurs familles, c’est aussi une offense faite à la déontologie des professionnels de santé, une atteinte aux libertés fondamentales – caractéristique jusqu’à présent réservée aux régimes totalitaires –, mais également une stupidité, au regard de la santé publique et de la prévention des troubles.

Si l’Organisation mondiale de la santé a mis la lutte contre la stigmatisation des malades atteints de pathologies mentales au premier rang de ses priorités de santé publique, ce n’est pas, comme vous semblez le penser, par faiblesse, mais parce que la stigmatisation, outre les dégâts qu’elle provoque chez la victime de la maladie, éloigne du soin et accroît de fait la dangerosité du sujet, pour lui-même comme pour son entourage.

Pis encore, par cette politique, loin de créer de la coordination, vous allez renforcer la distance et les préventions existantes entre les différents acteurs sociaux, lesquels ne pourront qu’à raison vous soupçonner d’asservir leur travail à une finalité qui ignore le patient, alors que leur déontologie leur commande d’abord d’alléger sa souffrance.

Vous allez légitimer – comme vous l’avez du reste déjà fait par certains propos, tenus en d’autres occasions – la révolte de la souffrance contre l’ordre, ce qui revient à introduire encore plus de désordre.

Votre projet témoigne d’une vision incroyablement obscurantiste et délétère de notre société. Non seulement vous tournez le dos, au-delà du clivage entre la gauche et la droite, à la vision humaniste qui, depuis 1945, a fait la grandeur de nos systèmes sociaux, mais vous niez aussi – de façon déraisonnable – l’apport des sciences sociales.

Vous avez encore répété tout à l'heure que « comprendre, chercher des explications, c'est déjà faiblir ». Quelle désolation ! Comprendre, ce n'est pas excuser ; c'est donner plus de force à une stratégie qui ne se borne pas à réagir, mais, justement, veut prévenir pour éviter le trouble.

M. Frédéric Dutoit. Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen. La compassion est certes un beau sentiment, mais éviter que les violences ne se produisent est préférable, d’abord pour les victimes.

M. Frédéric Dutoit. C’est cela, la prévention !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous prétendez protéger ces dernières, en oubliant que les malades sont aussi et d'abord des victimes, et que ce peut être chacun de nous ; que les toxicomanes, ce peut être chacun de nos enfants. Par ignorance et par goût du simplisme, vous développez une vision de la médecine et de la psychiatrie bien éloignée de leur réalité et de leurs valeurs.

Au risque de vous décevoir, il faut que vous sachiez qu'il n'existe pas de diagnostic médical – encore moins en psychiatrie que dans d’autres pathologies – qui puisse prédire, pour chacun de nous, que nous serons ou non malade, que nous serons ou non dangereux pour nous-mêmes ou pour autrui,...

M. Éric Raoult. Frêche ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marie Le Guen. ...pas plus qu'il n'existe de traitement d'injonction – ou d'injection, comme pourrait laisser le suggérer un certain glissement sémantique, d’un remède miracle – qui nous libère de nos pulsions ou de nos addictions.

M. Pierre Cardo. Il en va de même dans tout travail social.

M. Jean-Marie Le Guen. Si le ministère de la santé avait été à l'origine de la réflexion sur cette loi, si l'on avait seulement entendu les médecins, les psychiatres, les associations de malades, peut-être auriez vous compris le non-sens de nombre de vos propositions.

M. Frédéric Dutoit. Bien sûr !

M. Jean-Marie Le Guen. N’en déplaise à notre collègue M… Batisti (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…

M. Eric Raoult. Non ! Bénisti ! Batisti était un terroriste !

M. Jacques-Alain Bénisti. Ne confondez pas !

M. Jean-Marie Le Guen. Pardonnez-moi !

N’en déplaise à notre collègue M. Bénisti, ce n'est pas en enfermant préventivement cinquante malades que vous éviterez que, pour un autre, le drame se réalise. En revanche, en créant des procédures qui conduisent au renforcement de l'enfermement de ces malades, vous recréez un monde asilaire, dont nous avons mis deux siècles à nous libérer pour mettre fin à la honte et à la souffrance des victimes abusivement retenues.

M. Frédéric Dutoit. C’est une véritable régression de la République !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous voulez séparer le mal du bien, en reprenant, sans le dire, une rhétorique simpliste et terriblement dangereuse venue d'ailleurs. Vous voulez séparer, au risque de déchirer.

J'ai parlé, à l'instant, des jeunes consommateurs de drogues illicites. Aujourd'hui, un jeune sur deux a fumé du cannabis ; plus de 18 % des garçons et 8 % des filles sont des consommateurs réguliers, c’est-à-dire qu’ils ont touché à la drogue plus de dix fois dans les trente derniers jours. Cette réalité signe la faillite des dispositifs que nous avons adoptés depuis plus de trente ans.

M. Pierre Cardo. C’est vrai.

M. Jean-Marie Le Guen. Elle témoigne de l'échec de la voie répressive au détriment de la santé publique.

La loi de 1970, vous l'avez d'ailleurs vous-même reconnu, monsieur le ministre, est un fiasco : sur-répressive, elle n'est, en général, pas appliquée, sauf quand, localement, les services de police ont besoin de faire du chiffre.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est toujours bon pour le taux d’élucidation !

M. Jean-Marie Le Guen. Elle est donc inefficace pour enrayer le phénomène ; elle installe le non-respect de la loi comme culture de la jeunesse ; elle favorise les trafics illicites ; elle fragilise parfois des personnes qui sont seulement des consommateurs occasionnels et qui n’ont besoin que de soins.

Surtout, cette loi a failli en se montrant incapable de lutter contre ce fléau. On aurait pu penser, puisque vous partagez cette analyse, que vous auriez donc la volonté d'agir. Or vous avez renoncé. Aussi, n’est-il pas étonnant que vous vous attachiez à renforcer les sanctions applicables à des délits que vos services n'ont même plus ordre de poursuivre.

J'ai parlé des problèmes en matière de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie. Malheureusement, votre approche est identique pour ce qui concerne l'action sociale.

Alors que la loi sur la protection de l'enfance a réuni un certain consensus et constitue, de l’avis de tous, la base de toute politique de prévention de la délinquance, la plupart des jeunes délinquants ayant subi des violences dans l’enfance,…

Mme Henriette Martinez. Eh oui !

M. Jean-Marie Le Guen. …vous la repoussez, et vous la bafouez même, dans l'article 7. Vous renoncez en effet à la coordination des acteurs telle qu’elle avait été obtenue dans la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.

Comme l’action sanitaire, comme l’action sociale, vous cherchez une fois encore à soumettre la protection de l'enfance à l'appareil répressif. Vous vous occupez moins de la protection des personnes que de celle l'ordre public, et moins de celui-ci que du spectacle de sa mise en œuvre.

Là est bien le problème : le projet de loi que vous nous présentez est moins un texte de prévention que de renforcement des sanctions et de l'exécution des peines. Son caractère fourre-tout le fait ressembler – sans doute est-ce l’effet recherché – à une compilation des succès de l'audimat des journaux télévisés.

M. Frédéric Dutoit. Campagne électorale oblige !

M. Jean-Marie Le Guen. Pour vous, la prévention repose sur deux piliers : la sanction et la prévention et cette dernière repose elle-même sur deux principes : la sanction et la sanction !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !

M. Jean-Marie Le Guen. Pourtant, vous le savez –ce texte en est l’aveu –, la sanction ne peut pas tout. Votre bilan, depuis quatre ans, en apporte la preuve. Cependant, vous conservez la même philosophie que celle qui a été la vôtre depuis quatre ans, fondée sur la sanction, sur le refus de la compréhension et sur l’action de la police.

Certes, nous pouvons nous retrouver sur le constat que si la justice avait plus de moyens, non seulement légaux mais également matériels, permettant une exécution plus rapide et bien réelle des sanctions, le système serait plus réactif, plus compréhensible et, sans doute, plus efficace. Aujourd’hui cependant, les solutions que vous nous proposez sont les mêmes que celles que vous avez mises en œuvre depuis quatre ans, sans aucun moyen supplémentaire.

C’est en fait pour échapper à la médiocrité de votre bilan que vous vous défaussez, comme hier, sur les juges et les éducateurs sociaux, et, demain, sans doute, sur les maires et les psychiatres qui ne feront pas le travail que vous attendez d’eux.

Ce texte, y compris dans ses mesures les plus inacceptables – c’est-à-dire celles relatives à la santé ou au social – traduit aussi votre inquiétude.

Il faut, pensez-vous, dépister pour exclure les malades et les cas sociaux, pourvoyeurs, selon vous, de délinquance, quitte à reprendre paradoxalement à votre compte le déterminisme social, que vous condamnez par ailleurs.

M. Pierre Cardo. N’êtes-vous pas un peu excessif ?

M. Jean-Marie Le Guen. Vous oubliez surtout que la montée de la délinquance n'est qu'un aspect d'un phénomène largement répandu, beaucoup plus inquiétant et plus nouveau : la montée de la violence. L'accroissement de cette violence ne peut, comme on le voudrait souvent, se réduire à la seule question de la délinquance. Il y a une erreur de diagnostic et de stratégie du ministre d’État, qui est aux responsabilités depuis quatre ans, pour peu que nous convenions – encore que nous en doutions – que son objectif est la recherche de la paix civile et de la sécurité des biens et des personnes.

Le terreau de la délinquance, c’est la diffusion de la violence dans la société. La violence est, certes, une dimension naturelle de l'être humain. Cependant, ce qui est aujourd'hui en cause dans les transformations de notre mode de vie, c'est le défaut d'apprentissage de sa maîtrise et la banalisation de son expression, y compris dans ses formes les plus extrêmes.

La montée de cette violence est encore trop peu étudiée dans notre pays, à la différence de ce qui se fait en Grande-Bretagne, en Europe du Nord ou encore aux États-Unis. Le jeune violent a été le plus souvent, lui-même, victime de maltraitances dans son enfance.

Mme Henriette Martinez. C’est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. Cette violence s'exprime, en effet, d'abord dans les relations quotidiennes, que ce soit à l'école, dans les cités, ou dans les familles, en particulier en direction des femmes. La violence n'est pas une forme d'expression face à une injustice, car ce sont toujours les plus fragiles qui en sont les premières victimes. Avant même la délinquance, c'est la violence comme forme de relations humaines qui doit être combattue.

Mme Henriette Martinez. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen. Par ce texte, vous reconnaissez vous-même, au moins implicitement, les insuffisances de la logique policière et judiciaire. Vous prétendez prendre en compte les troubles du comportement, mais uniquement pour en rechercher le caractère pseudo-prédictif et pour embrigader soignants et professionnels de l'enfance dans une logique répressive.

Mme Henriette Martinez. C’est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. Vous avez refusé d'inclure les dispositions consensuelles du projet de loi réformant la protection de l'enfance, alors qu’elles auraient pu constituer la première pierre d'une politique de lutte contre la violence. Il est temps de passer à une autre stratégie, de mobilisation de la société contre la diffusion et l'aggravation de la violence.

Cette orientation doit être conçue comme une priorité de politique sociale. C'est une stratégie à mener à tous les niveaux, par tous les moyens : dès le plus jeune âge, par la prise en compte des problématiques de la santé mentale juvénile, non pour la mettre sous la coupe répressive, mais pour lui donner les moyens de dépister – de prévenir – et d'agir dès que les premières souffrances s'expriment ; par la relance de la politique de protection de l'enfance ; par une politique efficace de lutte contre les addictions qui dépasse largement le seul volet répressif ; par l'éducation et le soutien familial et scolaire que plusieurs de mes collègues ont appelé de leurs vœux, mais le présent texte n’apporte rien de nouveau à cet égard ; par l'apprentissage, via le sport, du contrôle de sa propre violence ; une stratégie, enfin, qui inclue des campagnes contre la violence faite aux femmes, question toujours aussi alarmante et décisive ; une stratégie qui devrait aussi tenir compte de l’impact des images violentes ou pornographiques que diffuse notre société.

Vous avez, du fait de vos responsabilités, monsieur le ministre, une grande partie du contrôle de ces images, mais les dispositifs dont dispose votre ministère sont très largement insuffisants.

Pour le cinéma, la fameuse commission du CNC fonctionne et donne globalement des résultats satisfaisants. Pour la télévision et les médias en général, le CSA assure un contrôle a posteriori globalement satisfaisant. En revanche, pour Internet, les dispositifs qui ont été adoptés et ceux que vous proposez sont très largement insuffisants parce que vous n’allez pas assez loin dans la mise en place de plateformes opérationnelles, notamment sur les fournitures d’accès à Internet.

Toutefois le plus préoccupant concerne les jeux vidéos, qui relèvent directement de la responsabilité du ministère de l’intérieur ; cette fois-ci, je ne parle ni des juges ni des acteurs sociaux. Or vous ne vous êtes pas donné les moyens d’être opérationnel par rapport à cette nouvelle forme de communication qui explose aujourd’hui et qui laisse les jeunes, y compris les plus jeunes, avoir accès à des images classées X. La presse a même fait état aujourd’hui de la réaction des distributeurs d’un film, que je ne citerai pas pour ne pas lui faire de la publicité, qui allait être classé X en raison de son caractère violent : ils se flattaient de pouvoir le distribuer par le biais non pas du cinéma mais des plateformes internet.

Vous nous parlez de prévention de la délinquance et de modernité, mais que dit le projet de loi sur ces sujets ? Où est le ministre de l’intérieur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Comment voit-il la réalité de ce que vivent les jeunes aujourd’hui ?

Nous déposerons des amendements sur ces sujets car nous ne sommes pas simplement dans la critique de la politique que vous mettez en œuvre ; nous sommes aussi dans la proposition. Nous croyons, nous, que la prévention de la délinquance exige non seulement des mesures sociales, nous en avons parlé, non seulement des mesures éducatives et familiales, mais également une action sur les déterminants de la vie.

Sur les problèmes des violences faites aux femmes et, plus généralement, sur la condition des femmes et le respect des femmes dans les cités, vous faites certes quelques propositions mais celles-ci sont très en retrait par rapport à d’autres législations.

Pour ce qui est de la diffusion des images pornographiques ou hyperviolentes, qui, à l’évidence, créent un climat, vous proposez peu de choses.

Il en est de même pour la lutte contre le cannabis. Pourtant, outre les aspects sanitaires, la consommation de ce produit représente un véritable fléau social, notamment dans les milieux défavorisés sur des jeunes déjà fragiles.

Sur toutes ces questions, nous ne trouvons pas de réponses dans ce projet de loi.

C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter cette motion de renvoi en commission. Nous pourrions ainsi préparer une vraie politique de prévention de la délinquance.

M. Lilian Zanchi. Très bien !

M. Jean-Marie Le Guen. Une véritable politique de prévention de la délinquance passe par une politique volontaire, par la création d’un véritable service public de lutte contre la violence, mais je doute que vous y souscriviez alors même que vous êtes à l’heure de votre bilan.

M. Julien Dray. Du dépôt de bilan !

M. Jean-Marie Le Guen. Peut-être, me direz-vous, est-il surtout temps de retourner devant les urnes et devant le seul juge qui compte pour nous en la matière, celui qui n’écoute pas forcément les commentaires facétieux et les contes plus ou moins merveilleux des comptabilités mais qui vit concrètement la réalité sociale de cette violence, de cette délinquance que nous voulons combattre les uns et les autres.

M. Serge Blisko. Les victimes !

M. Jean-Marie Le Guen. Quand vous serez confronté à ce juge-là,…

M. Julien Dray. Au peuple !

M. Serge Blisko. Tremblez !

M. Jean-Marie Le Guen. …à l’heure du bilan de votre action, il ne sera plus temps, monsieur le ministre, de mettre en avant des principes qui tournent en boucle autour de l’idée de répression…

M. Frédéric Dutoit. C’est vrai !

M. Jean-Marie Le Guen. …sans penser que les problèmes de la violence et de la prévention de la délinquance sont au coeur d’un autre projet de société, d’une société plus juste et qui donne les moyens d’une véritable égalité sociale dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Rouault. Il ne faut rien faire ?

M. Éric Raoult. Et Frêche, qu’en pense-t-il ?

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur Le Guen, je vous ai écouté attentivement et, puisque vous avez commencé votre intervention en évoquant l’incertitude du diagnostic en matière médicale, je vous indique que, en matière juridique, le diagnostic est sans doute beaucoup plus sûr : aucun de vos propos ne se rapportait, ni de près ni de loin, à une motion de renvoi en commission, telle que la définit l’article 91 de notre règlement.

Mme Christiane Taubira. Mais si !

M. Philippe Houillon, rapporteur. C’était totalement hors sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christiane Taubira. Mais non !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je comprends que vous ayez utilisé ce moyen pour disposer d’une tribune mais, pour reprendre votre propre expression, comprendre n’est pas excuser, et je crois que nous aurions pu faire l’économie de cette fausse motion de renvoi en commission. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Lilian Zanchi. C’est le texte qui est hors sujet !

M. Pierre Cohen. Il a prouvé que le débat était nécessaire !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Rejoignez-nous en commission des lois de notre assemblée, monsieur Le Guen, et vous verrez le travail accompli. Nous avons consacré beaucoup de temps à ce texte, en auditions et en travail législatif.

M. Julien Dray. Cela n’a pas été fructueux !

M. Philippe Houillon, rapporteur. Le travail a été fait.

M. Julien Dray. C’est pire alors !

M. Serge Blisko. Le résultat est très mauvais !

M. Philippe Houillon, rapporteur. J’invite donc l’Assemblée à rejeter cette motion de renvoi en commission.

M. Philippe Rouault. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et sur le fond du problème ?

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Patrick Delnatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Delnatte. Je pense en effet que M. Le Guen s’est livré à son exercice habituel, qui consiste à exposer ses opinions personnelles sur un certain nombre de sujets qu’il connaît peut-être bien mais qui, souvent, ne sont pas tout à fait en rapport avec le texte en discussion.

M. Jean-Marie Le Guen. Je le regrette, mais les dispositions dont j’ai parlé sont dans le projet de loi !

M. Patrick Delnatte. Le travail préparatif a été important, à la fois au Sénat et ici, en commission. Cela nous a permis d’avoir un débat approfondi, non seulement au sein de nos institutions mais également dans la société.

M. Pierre Cohen. Il n’y a eu aucune concertation avec les professionnels. Et les syndicats ont hurlé !

M. Patrick Delnatte. Il y a tout de même eu pas mal de préparation. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. C’était un débat interne !

M. Serge Blisko. C’est vrai qu’il y a eu un débat au sein du Gouvernement !

M. Patrick Delnatte. Par ailleurs, monsieur Le Guen, vous semblez regretter l’absence d’un volet sur la protection de l’enfance, mais vous savez très bien qu’un texte est en préparation sur ce sujet, car le Gouvernement et la majorité ont une vue globale des problèmes. Cependant tout ne peut pas être fait en même temps. En tout cas, sur tous ces sujets, notre mandature pourra être très fière du travail qu’elle aura accompli.

M. Serge Blisko. Non !

M. Patrick Delnatte. Le groupe UMP votera évidemment contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Nous voterons bien évidemment cette motion de renvoi pour quelques-unes des raisons avancées par notre collègue M. Le Guen, sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Permettez-moi cependant de profiter de cette explication de vote pour évoquer les dispositions du chapitre V relatives aux personnes atteintes de souffrance psychologique nécessitant l'hospitalisation en service de psychiatrie.

Était-il réellement nécessaire, était-il même acceptable, de traiter de ces questions dans un texte relatif à la prévention de la délinquance ? Chacun doit comprendre que l'insertion du régime d'hospitalisation dans une loi de prévention de la délinquance remet en cause le long processus de déstigmatisation de la maladie mentale.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Frédéric Dutoit. À l'évidence, vous l'avez bien tardivement réalisé, chers collègues de la majorité, puisque vous allez vous livrer à un tour de passe-passe législatif pour sortir de ce projet de loi les articles 18 à 24 consacrés au volet relatif à la santé mentale, et tenter, du même coup, de sortir le Gouvernement d'une impasse. Ce tour de passe-passe reste cependant bien compliqué ; il est le reflet de la difficulté dans laquelle vous vous trouvez. Si j'ai bien compris vos intentions, nous discuterions de ces articles dans le cadre de ce projet de loi mais, dans le même temps, vous feriez adopter un amendement habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur ces articles.

Cette manœuvre ne peut tromper que ses auteurs : l'amalgame entre troubles mentaux et délinquance demeurera puisque c'est lui qui justifie le contenu des dispositions.

M. Serge Blisko. C’est une très mauvaise ordonnance !

M. Frédéric Dutoit. Simplement, et c'est essentiel, cette habilitation à légiférer par ordonnances privera la représentation nationale de la possibilité de discuter sur le fond de ces dispositions.

M. Lilian Zanchi. Tout à fait !

M. Frédéric Dutoit. Dans un article du Monde, le psychiatre Denis Leguay dénonçait l'utopie d'une médicalisation de la violence, tout en avançant des propositions sérieuses. Ces propositions, ainsi que celles, très nombreuses, formulées par l'ensemble des professionnels, mériteraient d'être examinées avec le plus grand sérieux.

Les psychiatres, par la voix de leurs syndicats, n'ont cessé de demander, depuis le dépôt de ce texte, un véritable débat avec les partenaires concernés par la loi de 1990 sous l'égide du ministère de la santé. Ils n'ont pas été entendus. Dénonçant l'amalgame réalisé entre troubles mentaux, dangerosité et délinquance, ils nous alertent sur l'aura redoutable jetée ainsi sur leurs patients et leur discipline. Ce texte menace de ruiner tous les efforts de déstigmatisation qu'ils ont entrepris depuis des années. Selon eux, cette instrumentalisation de la psychiatrie lui assignant avant tout un rôle de contrôle des libertés et de régulation des conflits sociaux d'un autre âge est en rupture brutale avec le dernier demi-siècle d'une pratique sanitaire d'ouverture, fondée sur la clinique, le partenariat et la confiance.

Leur demande pressante d'ouverture de discussions sur un projet sanitaire global de réforme de la loi du 27 juin 1990 est parfaitement légitime. En attendant, nous ne pouvons discuter utilement des dispositions proposées par ce texte.

Le renvoi en commission de ce texte s'impose donc afin que la commission puisse rédiger un nouveau rapport prenant en compte ces discussions avec les professionnels concernés. En dépit de la manœuvre législative à laquelle vous allez vous livrer, ce renvoi s'impose pour que nous puissions nous prononcer sur ces articles qui, je le rappelle, seront, malgré tout, discutés et votés dans le cadre de ce projet de loi.

J'emprunterai ma conclusion au docteur Leguay. « On mesure bien ce qui est confusément espéré d’elle [l'intervention de la psychiatrie dans ce texte] : un traitement médical de la violence, de la délinquance de la barbarie. Un dépistage, un diagnostic, un traitement. Il faut dire à nos concitoyens, et il faut que nos responsables politiques l'entendent : c'est une utopie. » Et permettez-moi d’ajouter : c'est une demande dangereuse, l'histoire l'a à maintes reprises dramatiquement illustré. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira, pour le groupe socialiste et apparentés.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le ministre, comme Jean-Marie Le Guen vient d’en faire la démonstration, avec des arguments irréfutables, nous devons approfondir en commission le travail parlementaire sur ce projet de loi gouvernemental.

Cela est rendu nécessaire par le fait que ce texte est composite, formule élégante pour dire à quel point il est hétéroclite et incohérent. En effet, mêler dans une même foulée la comparution immédiate des mineurs avec la sanction infligée à des propriétaires de chiens dangereux, brasser avec cette équanimité des problématiques à caractère social, éducatif, culturel, médical, judiciaire et même territorial, pour les préempter et confondre tout cela dans une seule considération sécuritaire, c’est certainement une audace philosophique plutôt déroutante ; c’est surtout la manifestation d’une frénésie législative très inquiétante.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Richard Mallié. Nous sommes contents de travailler, nous !

Mme Christiane Taubira. Même les maires que vous voulez placer au coeur de votre dispositif de surveillance et de répression, ces maires que vous chargez de surveiller – au secours, Michel Foucault ! – sont nombreux à être réticents au partage nominatif du secret professionnel qui les conduira à cerner et à encercler leurs administrés.

M. Richard Mallié. Pas du tout !

Mme Christiane Taubira. Contrairement à ce que vous avez déclaré à la tribune, monsieur le ministre, certaines dispositions de ce texte donnent aux maires ces pouvoirs-là, en tout cas ces missions-là ; je pense notamment à l’article 8.

Vous savez que dans ces territoires, où vous essayez de pister des délinquants dits multiréitérants, les circuits et les mécanismes d’inclusion et d’insertion sont rares et inopérants. Comme l’indiquent les magistrats mais également les statistiques, 80 % des personnes interpellées, y compris l’année dernière lors de la révolte des banlieues, ne sont pas connues des services de police.

M. Pierre Cardo. C’est bien le problème : il n’y a pas de détection.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas l’ignorer.

Même s’ils représentent infiniment peu par rapport au nombre de reportages, émissions et interviews dédiés au ministre d’État, quelques reportages en ont fait état, suffisamment en tout cas pour remettre en cause cette vision simpliste qui consiste à croire qu’on peut bunkériser la société, avec des honnêtes gens claquemurés derrière des grilles, équipés de systèmes d’alarme, de vidéosurveillance, et, de l’autre côté, des délinquants potentiels ou réels, qui seraient enfermés, internés en internat, en centre fermé, en prison ou en unité psychiatrique.

Il faut avoir singulièrement renoncé au pacte républicain, c'est-à-dire à l’effort de faire société ensemble, et avoir pris l’habitude de se méfier de la jeunesse de ce pays pour raisonner de cette façon !(Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Bur. Ne généralisez pas !

M. Richard Mallié. Caricature !

M. Christian Ménard. Démagogie ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christiane Taubira. Encore ne s’agit-il pas de la jeunesse dorée, qui a pourtant, elle aussi, son lot de transgressions et de défiance : bizutages interdits, tapage nocturne, consommation de stupéfiant… La jeunesse dorée est aussi la jeunesse de France et nous ne voudrions pas que vous la preniez en chasse ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Bur. N’importe quoi !

M. Philippe Rouault. Ce que nous voulons, c’est protéger la jeunesse !

Mme Christiane Taubira. Qu’en est-il des personnes qui rencontrent des difficultés sociales, éducatives et financières ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Est-ce une coïncidence si, là où il y a exclusion sociale, le taux de chômage est multiplié par dix et les chances, à diplôme égal, d’obtenir un entretien d’embauche divisées par cent ? (Mêmes mouvements.)

M. Yves Bur. Encore une qui n’a pas lu le texte !

M. François Grosdidier. Affabulation !

Mme Christiane Taubira. La ségrégation urbaine est-elle un phénomène fortuit, ou faut-il pousser plus loin le raisonnement et considérer que nous avons des ennemis intérieurs ? (Rires et vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Ménard. Quel théâtre ! C’est même du guignol !

Mme Christiane Taubira. La démonstration de Jean-Marie Le Guen est irréfutable. Les arguments pour renvoyer le texte en commission, c’est vous-mêmes qui nous les donnez. L’autorité de l’État que vous prétendez restaurer est tributaire de l’exemplarité de l’État. Or celui-ci est loin d’être irréprochable. Il jouit d’une totale impunité pour ses carences en matière d’égalité d’accès à l’éducation, à la santé, au logement, aux services publics. (Interruptions continues sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Ménard. C’est du mauvais guignol !

Mme Christiane Taubira. Il croit pouvoir s’en tirer par des arrestations « western », des démonstrations de force et des textes de circonstance. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Remiller. Ça suffit !

M. Julien Dray. Vous n’êtes pas restés pour rien, mes chers collègues de la majorité ! Et quelle leçon de français !

Mme Christiane Taubira. Il faut revenir en commission ! N’avez-vous pas, mesdames et messieurs de l’UMP, cédé votre niche parlementaire de demain matin au Gouvernement pour que nous discutions de la ratification de l’ordonnance relative à certaines professions de santé, sous prétexte de concertation avec celles-ci ?

M. Philippe Rouault. Et alors ? C’est une bonne chose !

Mme Christiane Taubira. Il est pourtant clair que la concertation aurait dû avoir lieu avant l’examen de ce texte-ci. On aura rarement vu une telle allégeance du législatif à l’exécutif, pour ne pas dire une telle collusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Remiller. C’en est assez, monsieur le président !

M. Serge Blisko. Quel abaissement du Parlement en effet !

M. Jean-Marie Le Guen. À la niche le groupe UMP !

M. Yves Bur. Un peu de respect, monsieur Le Guen !

Mme Christiane Taubira. L’activité législative est importante et lourde de conséquences. Pour nous éviter, dans quelques mois, de défaire pour la parfaire cette loi que vous faites si mal, nous voterons le renvoi en commission. Nous vous invitons à faire de même en conscience ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Aujourd’hui, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion du projet de loi, n° 2674 rectifié, ratifiant l’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l’organisation de certaines professions de santé et à la répression de l’usurpation de titres et de l’exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique :

Rapport, n° 3453, de M. Pascal Ménage, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 3338, adopté par le Sénat, relatif à la prévention de la délinquance :

Rapport, n° 3436, de M. Philippe Houillon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;

Avis, n° 3434, de M. Jean-Michel Dubernard, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 23 novembre 2006, à zéro heure cinq.)