S
O M M A I R E
Ouverture..
Émile BLESSIG, Député du Bas-Rhin, Président de
la Délégation de l’Assemblée nationale à l’aménagement et au
développement durable du territoire.
Les enjeux de la décentralisation
et de l’aménagement du territoire
Jean-Paul DELEVOYE, Ministre de la Fonction
publique, de la Réforme de l’Etat et de l’Aménagement du
territoire..
Table ronde n° 1 : la réforme de
la décentralisation : quelles opportunités pour les territoires ?
Présentation de la table ronde et des intervenants
A-t-on encore besoin d’aménagement du territoire ?
Nicolas JACQUET, Délégué de la DATAR
bilan et perspectives de la décentralisation
BERTRAND PANCHER, Président du Conseil général de la Meuse.
La nécessaire clarification des règles
de la décentralisation.
Hubert-Marie GHIGONIS, Membre
du Bureau du Conseil économique et social, Président de la Section
des économies régionales et de l’aménagement du territoire
Le bilan contrasté de la décentralisation en matière d'aménagement
du territoire
Jean-Pierre BALLIGAND, Député de l’Aisne
La décentralisation au service de la région comme moteur de l’aménagement
du territoire
Adrien ZELLER, Ancien ministre, Président du Conseil régional
d’Alsace
Les cinq microprocesseurs de la décentralisation
Marc-Philippe DAUBRESSE, Député du Nord, Vice-président de
l’Assemblée nationale
Débat
Synthèse : Émile blessig
table ronde n° 2 : les enjeux
financiers de la décentralisation : l’exigence de la péréquation
Introduction.
Jean FRANÇOIS-PONCET, Ancien ministre, Sénateur du
Lot-et-Garonne, Président de la Délégation du Sénat à l’aménagement
et au développement durable du territoire.
La péréquation interdépartementale : vers une nouvelle
égalité territoriale ?
Claude BELOT, Sénateur de Charente-Maritime
Les limites de la péréquation
Yves FREVILLE, Sénateur d’Ille-et-Vilaine
Les difficultés fiscales d’une réforme de la péréquation.
Michel KLOPFER, Consultant en finances locales.
La péréquation dans le cadre de la notion française de
service public et d’aménagement du territoire
Gérard LARCHER, Sénateur des Yvelines, Président de la
commission des affaires économiques du Sénat.
Trois leviers pour la réforme de la péréquation.
Pierre MÉHAIGNERIE, Ancien ministre, Député
d’Ille-et-Vilaine, Président de la Commission des finances de
l’Assemblée nationale
Débat.
Synthèse : Patrick DEVEDJIAN, Ministre délégué aux
libertés locales.
Ouverture
ÉMILE
BLESSIG
Député
du Bas-Rhin, Président de la Délégation de l’Assemblée nationale
à l’aménagement et au développement durable du territoire
Au nom des Délégations
à l’aménagement et au développement durable du territoire de
l’Assemblée nationale et du Sénat, je vous souhaite la bienvenue
à l’Assemblée nationale pour ce colloque consacré à la décentralisation
et ses conséquences sur l’aménagement du territoire. Je salue en
particulier Monsieur le ministre Jean-Paul Delevoye, qui a accepté de
participer à l’ouverture de ce colloque.
Avec cette nouvelle législature,
les deux Délégations à l’aménagement et au développement
durable du territoire du Sénat et de l’Assemblée nationale ont décidé
de partager les fruits de leurs travaux chaque fois que cela était
possible. Cette collaboration a pour but, d’une part, de mieux
couvrir le champ de compétences extrêmement vaste des Délégations,
et ainsi éviter les redondances, mais aussi d’unir leurs forces
dans un certain nombre de démarches, notamment à l’égard des
autorités européennes. C’est ainsi qu’en février 2003, les deux
Délégations se sont rendues à Bruxelles pour rencontrer le
commissaire européen Michel Barnier à propos de l’avenir des fonds
structurels européens.
Habituellement, les
colloques servent à faire avancer une idée qui n’a pas encore sa
traduction politique. Sommes-nous dans ce cas ? Je répondrai par
la négative. Notre colloque coïncide avec l’examen en première
lecture du projet de loi sur la décentralisation sur lequel nos collègues
sénateurs ont déjà accompli un travail considérable, et dont notre
Assemblée est maintenant saisie.
Tout ce que nous évoquerons
aujourd’hui a déjà été ou sera évoqué au Parlement. Mais au
risque de surprendre, c’est volontairement que nous avons souhaité
la tenue de ce colloque en pleine discussion de la loi sur la décentralisation.
Ce texte nous a été présenté comme un moyen de réformer l’Etat
en le désengorgeant, tout en rapprochant les élus et
l’administration.
du citoyen. Monsieur le
ministre chargé de l’aménagement du territoire, dont je salue
encore une fois la présence, nous rappellera les idées maîtresses
du gouvernement en la matière. Mais les deux Délégations du
Parlement sont ici réunies car elles estimaient nécessaire de lancer
un débat. Au-delà de l’objectif de la loi subsiste une incertitude :
la nouvelle étape de la décentralisation renforcera-t-elle la
politique d’aménagement du territoire ?
La question est éminemment
politique. Pourquoi vouloir renforcer l’aménagement du territoire
alors que la compétitivité induit concentration des activités,
rationalisation, localisation sur quelques axes dans des régions dont
le produit intérieur brut est supérieur à la moyenne européenne ?
Sans doute parce que nous sentons les effets négatifs d’une
concentration excessive. Au‑delà des normes comptables, nous
savons que l’aménagement du territoire est, avant tout, un combat
permanent conduit par des élus et des citoyens qui se battent pour le
dynamisme de leur région, et ne baissent pas les bras devant les
crises qui affectent les bassins d’emplois. Ils cherchent et
trouvent des idées dans tous les domaines pour que leurs territoires
soient des lieux de vie. Il s’agit d’un choix délibéré de la
société française en faveur d’un développement et d’un
peuplement de l’ensemble de l’espace national. Cependant, la décentralisation
a modifié la nature de l’aménagement du territoire. D’une
politique d’Etat pilotée de Paris, il est devenu une responsabilité
partagée entre pouvoir central et collectivités territoriales. En
effet, avec la première vague de décentralisation, les collectivités
locales ont pris en main l’économie de leurs territoires et plus généralement
se sont largement impliquées dans la vie sociale et culturelle.
Est-ce à dire que l’Etat est devenu le grand absent de cette
politique ? Certains l’affirmeraient avec, à l’esprit, la
nostalgie d’une époque où il lançait des travaux
d’infrastructures, déconcentrait puis planifiait l’installation
d’activités dans des régions reculées. Il jouait donc le rôle de
grand ordonnateur.
De nos jours, la
mondialisation et le libéralisme économique, la délocalisation
rapide des activités économiques, la compétition entre régions et
pays rendent presque obsolète toute démarche de planification à
long terme. On court le risque majeur d’être tenté de considérer
l’aménagement du territoire comme un outil dépassé. Ceci
reviendrait à miser sur nos points forts (Paris et quelques grandes métropoles),
au lieu de mettre l’accent sur le développement équilibré du
territoire.
Gardons-nous évidemment
de tout excès dans nos analyses : l’Etat existe. Monsieur le
ministre, qui a présidé l’Association des maires de France, connaît
bien le rôle moteur des collectivités locales ces dernières années,
et sait également que la crise budgétaire entrave la volonté
d’agir de l’Etat. Dès lors, la décentralisation n’est pas
uniquement une nouvelle étape dans notre mode de gestion de
l’action publique, mais elle constitue l’occasion de conduire la réforme
de l’Etat. Nous commettrions toutefois une grave erreur si nous nous
trompions d’objectif. La décentralisation participe de la réforme
de l’Etat ; qu’elle en soit à la fois l’origine et
l’aboutissement est un constat d’évidence. Que le gouvernement
s’y soit attelé avec détermination fait honneur à son
volontarisme politique. J’ai également la certitude que la majorité
et l’opposition en débattront avec dignité. Mais nous ne décentralisons
pas pour répartir des compétences, nous décentralisons car cela répond
à une demande et une attente de nos concitoyens. C’est là que nous
retrouvons la notion d’aménagement du territoire. Les citoyens
attendent des emplois, de l’éducation, de la formation
professionnelle, des modes de transports rapides, l’accès aux
nouvelles technologies et à la culture. La décentralisation est perçue
comme un moyen d’accéder plus rapidement à des services tant
publics que privés. Ainsi se pose une série de questions à
l’origine de ce colloque à propos du sens à donner à la décentralisation.
Nous vous proposons
d’animer cette journée autour de deux thèmes : le premier
analysera les conséquences du nouveau volet de la décentralisation
sur l’aménagement du territoire ; le second sera abordé cet
après-midi et nous permettra d’échanger nos idées sur la notion
de péréquation financière.
Nous essaierons ce
matin de comprendre pourquoi le projet de loi de décentralisation
peut donner une nouvelle dynamique à la politique d’aménagement du
territoire. Notre premier champ de réflexion concernera la place
respective de l’Etat et des collectivités locales : décentralisation
ne signifie pas désengagement de l’Etat, la cohésion du territoire
passe par la définition d’une politique au niveau national et au
niveau européen. La répartition des compétences entre collectivités
n’est qu’un aspect de cette décentralisation. C’est en effet
l’architecture globale de notre vie publique qui est en jeu avec la
perception qu’en aura le citoyen.
Le citoyen
n’est‑il justement pas devenu une sorte d’« usager de
la République», qui attend de celle-ci un ensemble de services
rapidement, au moindre coût, n’hésitant pas à comparer les
performances des services publics d’une ville à l’autre ? Il
ne suffit plus aux collectivités publiques d’exister pour être
admises. Elles ont, à l’instar du secteur privé, une obligation de
résultat. Dès lors, nous cherchons dans le principe de proximité
une solution aux exigences de rapidité de la décision, un mode de
gestion plus souple, plus adapté. Sommes-nous assurés qu’une
administration est plus efficace quand elle est plus proche ?
Quel est le bon niveau de proximité ? Quel est le bon usage de
l’expérimentation ? Où en est la subsidiarité ? Ces
questions feront l’objet du second thème.
Enfin, un troisième
point portera sur les relations futures entre les différents niveaux
de collectivités. La répartition des compétences pose encore de
multiples questions, comme la dévolution des pouvoirs et le transfert
des moyens et des ressources financières qui leur sont corollaires.
Cet après-midi, le président
Jean François‑Poncet présidera les débats sur la péréquation.
Sur la base des travaux du sénateur Claude Belot, le Sénat a produit
un travail approfondi qu’il convient de saluer. Je n’insisterai
pas outre mesure sur ce point, laissant à Jean François‑Poncet
le soin de présenter et de conduire le débat avec la finesse et la
compétence que nous lui connaissons. Rappelons simplement que le
choix de ce thème vient de notre conviction que l’aménagement du
territoire est inséparable de la solidarité entre les territoires.
Si nous laissons les régions et les départements à leurs seules
forces, nous ne réduirons pas les handicaps qui pèsent sur certaines
collectivités, nous les aggraverons. La péréquation est donc
politiquement un élément de l’unité nationale.
Notre colloque ne
sortira pas de son rôle de réflexion. Mais la qualité des
intervenants présents à cette table ronde, leur expérience au sein
de précédents gouvernements, leur rôle éminent au sein du
Parlement ou du Conseil économique et social, des collectivités
locales, montre que cette loi ne doit pas se limiter à des transferts
de compétences, mais qu’elle doit avoir un sens politique. Je donne
donc la parole à M. le ministre chargé de l’aménagement
du territoire, Jean‑Paul Delevoye.
Les
enjeux de la décentralisation et de l’aménagement du territoire
Jean-Paul
DELEVOYE
Ministre
de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de l’Aménagement
du territoire
M. le président,
chers élus, permettez-moi de vous dire le plaisir que j’ai de me
retrouver aux côtés du président de la Délégation de l’Assemblée
nationale mais aussi de celui du Sénat, M. Jean François‑Poncet,
sous l’autorité duquel m’a été donnée l’occasion de
travailler à l’aménagement du territoire et de saluer la compétence
qui est la sienne dans ce domaine. Permettez-moi aussi de saluer le délégué
de la DATAR, M. Nicolas Jacquet.
Je voudrais au préalable
excuser M. le Premier ministre, que vous aviez invité à votre
colloque et qui souhaitait y participer, vous réaffirmant l’intérêt
qu’il porte aux politiques d’aménagement du territoire. M. Jacquet
nous le rappellera peut-être, nous sommes à la veille d’un CIADT
sur les infrastructures ; nous réfléchissons sur un plan
d’accès au haut débit. Nous sommes donc bien dans la problématique
de l’aménagement et du développement du territoire.
Vous avez présenté
deux parties importantes : la décentralisation comme une
opportunité pour le territoire et la péréquation. Si vous m’y
autorisez, j’élargirai peut-être un peu la question car la décentralisation
en tant que telle n’a pas de sens aux yeux de nos citoyens. Elle
n’apparaît que comme un partage du pouvoir, de moyens et de compétences
entre l’Etat et les collectivités territoriales, et ne semble pas répondre
à la question politique fondamentale : aujourd’hui, par
rapport aux forces économiques et démographiques qui sont en train
de restructurer le monde, quel est le rôle du pouvoir politique,
quelle est sa capacité à en modifier les coûts ou les adapter pour
répondre aux vœux du Président de la République, à savoir
humaniser la mondialisation ? Comment peut-on mettre en place des
outils de régulation publics permettant de concilier forces économiques
et épanouissement des individus ?
Le modèle européen a
concilié la force du capitalisme et les outils de régulation
publics. Ces outils reposaient sur la capacité à réinjecter de
l’argent en cas de ralentissement de la croissance. Il s’agissait
d’un mécanisme keynésien. Les outils de régulation sociale ont
pris la forme de filets de sécurité en cas de rupture du travail.
Parallèlement, le maintien du pouvoir d’achat pour relancer la
consommation s’effectuait par le biais des prélèvements sociaux.
Or, à ces outils de régulation publics s’ajoutent aujourd’hui
des outils de régulation territoriaux. On peut, en effet,
aujourd’hui produire et consommer et décider n’importe où. L’économie
mondiale nécessite une mise en réseau des territoires : on peut
avoir une mondialisation gagnante ou une mondialisation perdante.
Ces mutations vont
poser une question forte : savoir si on les subira ou si on les
anticipera par une politique qui permettra d’apporter une autre
valeur ajoutée. Ceci est un vrai sujet qui pose trois questions
politiques en matière d’aménagement du territoire : comment
attirer la valeur ajoutée sur notre territoire ? Comment éventuellement
l’accompagner lorsque cette mutation est en marche ? Certains
diraient même : comment empêcher cette mutation ?
Pour les uns, il
s’agit d’un sentiment d’impuissance ; pour les autres,
d’un sentiment d’accusation.
Je crois que la vraie
question qui se pose aujourd’hui est la suivante : la décentralisation
accroît-elle le pouvoir politique par rapport à cette mutation
socio‑économique, ou est-ce qu’elle l’affaiblit ?
C’est à mon avis une question de fond, qui pose un double problème
politique. Nous devons développer nos potentialités pour attirer de
nouvelles activités et, sur le même territoire en même temps que ce
succès, affronter des disparitions d’emplois et les handicaps qui
apparaissent.
Souvent, dans une
politique territoriale, on s’intéresse plus au côté positif ou au
côté négatif, mais on concilie rarement les deux. Nous voyons bien
que par rapport à l’efficacité, les réponses publiques de demain
ne seront ni de droite ni de gauche, mais rapides ou non, et
pertinentes ou non. Nous devons donc avoir plusieurs niveaux
d’outils de régulation territoriale. L’espace européen tirera
toute sa capacité de répondre à l’objectif d’être la première
puissance économique mondiale si nous mettons en place des
infrastructures accélérant la mobilité des hommes, des produits et
des idées. C’est dans cette démarche que s’inscrit le
gouvernement pour que, lors du CIADT du 18 décembre, nous annoncions
les grandes infrastructures qui manquent à la France dans un grand
espace européen avec une vision mondiale, et non des routes
cantonales et des jonctions départementales.
Je salue le rapport de
Jean François‑Poncet sur l’exception française en matière
d’espace. Vous voyez donc que nous avons à réfléchir à l’échelle
internationale sur cette notion d’espace. L’explosion des échanges
en Europe s’illustre par la prochaine saturation des couloirs aériens
et des aéroports qui entourent la France. Ce n’est pas à l’échelle
régionale que peuvent être résolus ces problèmes.
Par ailleurs, le développement
des territoires nécessite aujourd’hui une masse critique. La masse
de compétences, de produits ou de services auxquels on a accès est
essentielle. La mise en réseau de territoires métropolitains est
facteur de synergies territoriales très importantes pour la France.
Toute la problématique
appréhendée par Jean François‑Poncet repose sur une volonté
politique de développer une approche de territoires, et non une
opposition entre urbanité et ruralité. Le rapport de la DATAR montre
d’ailleurs que la ruralité périurbaine était en train
d’exploser, alors que la ruralité profonde diminuait. Cet élément
pose une vraie question : l’aménagement du territoire n’est
pas seulement l’attirance de nouvelles richesses, mais il peut aussi
être la préservation des richesses actuelles du territoire, sa
culture, son terroir. Ainsi la défense du patrimoine fait aussi
partie des stratégies de développement d’un territoire.
La notion d’aménagement
du territoire est donc aujourd’hui formidablement diverse.
L’articulation entre l’Etat et les régions nécessite la
superposition d’un schéma national réfléchi à l’échelle européenne
et internationale et doit se décliner par une mise en cohérence à
l’échelle des régions, voire des départements.
La décentralisation a
pour but de permettre aux uns et aux autres de réfléchir à la
potentialité de développement de leurs territoires et aux conséquences
sociales et politiques de l’aménagement du territoire. Souvent, les
élus se sont battus entre eux pour savoir qui bénéficierait de
l’implantation de zones industrielles, non pas parce qu’ils
estimaient que ces zones étaient nécessaires pour leurs territoires,
mais parce qu’ils souhaitaient percevoir autant que possible de taxe
professionnelle. L’objectif premier était la conséquence fiscale.
Or on constate aujourd’hui que les zones industrielles s’imposent
ipso facto sur certains territoires et non sur d’autres. Nous avons
donc probablement intérêt à réfléchir à des schémas régionaux
qui, sur une thématique donnée, permettent d’assurer une forme de
complémentarité.
La régionalisation des
fonctions de développement économique, formation professionnelle et
d’organisation du territoire est ici une chose extrêmement
pertinente. Le travail du législateur, par exemple dans le cas de la loi
littoral, une loi incitative des plus normatives, a privilégié
la préservation de l’environnement sur le développement
industriel.
On peut avoir une
notion de projet territorial, dépassant les ambitions politiques sur
lesquelles les hommes se déchirent. Si chaque région, chaque pays
veut se construire contre l’autre, on risque d’avoir une
neutralisation de l’action et une fragilisation. La réflexion
politique, à l’échelle d’un territoire (région ou département)
déterminé de façon pertinente semble la meilleure solution, donnant
lieu si nécessaire à un arbitrage de l’Etat.
Sur les incidences de
la décentralisation sur l’aménagement du territoire, l’approche
du gouvernement me paraît extrêmement positive. Le débat sur la
nature des compétences et des ressources transférées a été en
partie amorcé. Si la région veut jouer un rôle en matière de développement
économique, il est important qu’elle ait des ressources de niveau
économique. Un problème bien connu est celui du transfert aux départements
des compétences à caractère social.
Vous avez évoqué la
notion d’expérimentation. Elle est particulièrement importante
pour le service public. Dans une société moderne, nous devons
concilier le paradoxe d’une simplification des démarches exigée
par le citoyen et la complexité croissante du traitement des
dossiers, d’où la réflexion que nous menons sur la nécessité de
mettre en place des pôles d’intelligence administrative. L’élément
central de cette réflexion est la proximité, qui passe par la
capacité pour chacun d’accéder à son propre dossier.
Si on effectue le
transfert de ces compétences pour plus de proximité sans les
accompagner de moyens suffisants, on risque une réelle fragilisation
du dispositif. C’est un sujet sur lequel nous devons être
attentifs, d’autant plus que l’inégalité des territoires est liée
à l’inégalité de la puissance administrative. Nous devons réfléchir
à une politique qui, grâce aux nouvelles technologies, permette l’égal
accès des citoyens au service public et la mise en réseau des
administrations par pôles de compétences ou par pôles de puissances
administratives.
Dans une optique de
simplification des démarches, nous sommes en train de réfléchir sur
la réactivité. Notre objectif est de réduire les délais entre la
prise de décision et la mise en œuvre de l’action. Les décisions
d’investissement prennent aujourd’hui des mois. Avec
l’allongement des procédures, lorsque la décision politique
arrive, le plan d’investissement a changé. La décentralisation
doit être un facteur d’accélération de la prise de décision. Je
souhaite attirer l’attention des élus sur le fait que si l’Etat
cherche à se réformer sur le plan régional, en transformant ses 25
ou 26 administrations en 6, 7 ou 9 grands pôles administratifs,
il est important de pouvoir situer les responsabilités.
Prenez garde à ce que
le centralisme de l’Etat ne soit pas remplacé par un centralisme régional
ou départemental. La superposition de ces structures ne doit pas
entraîner d’explosion des coûts de fonctionnement de ces
administrations et du temps de débat nécessaires pour la prise de décision.
Ce point relève de la responsabilité totale des élus locaux.
Je terminerai
simplement sur la péréquation. C’est un sujet qu’évoque souvent
Jean François-Poncet. Je suis de ceux qui pensent qu’avant de
parler d’inégalités, nous avons besoin de savoir quels sont les
niveaux réels de richesse et de pauvreté des territoires. Raisonner
à partir du taux de chômage et du pouvoir d’achat n’est pas
suffisant. Nous n’avons pas aujourd’hui une lecture très précise
de la richesse ou de la pauvreté d’un territoire par rapport à ses
potentialités.
Plus vous donnerez de
liberté aux régions dans un but d’efficacité, plus vous risquerez
d’aggraver les inégalités. Ce problème pose celui de l’égalité
territoriale des chances, qui passe par l’égalité des offres.
C’est ainsi qu’est formulée la problématique de la péréquation
financière. Cette dernière peut prendre la forme de dotation ou de
compensation, mais elle dépasse ce cadre quelque peu réducteur. Nous
devons nous interroger sur la péréquation européenne, et avoir la même
interrogation au niveau contractuel.
Premièrement, il faut
pouvoir s’appuyer sur les fonds européens. Vous avez rencontré à
Bruxelles M. Barnier. L’avenir des fonds structurels européens
ne peut se concevoir que si on tire un bilan positif des politiques
structurelles européennes aujourd’hui engagées. Or, si les écarts
entre pays diminuent, les écarts entre régions à l’intérieur de
ces pays ne cessent d’augmenter. C’est un réel souci.
Deuxièmement, quel est
l’effet levier de l’argent public sur la croissance ? Nous
sommes ici en rupture avec la politique de redistribution égalitaire
de l’époque du général de Gaulle. Nous avons l’obligation
urgente de mettre l’argent au service de la croissance. Le
vieillissement de la population va entraîner simultanément un
ralentissement de la croissance et une explosion des dépenses
publiques de solidarité. C’est un réel problème, et nous devons réfléchir
à l’effet levier de l’argent public sur la croissance économique
pour consolider une politique de solidarité à laquelle nous sommes
extrêmement attachés. Ceci passe par une réévaluation de
l’organisation et du fonctionnement des services publics, par
exemple, dans le cas de l’offre médicale. On peut aussi se demander
s’il faut doter les départements d’outils de régulation foncière
permettant d’acquérir un certain nombre de propriétés au nom de
l’intérêt général. Nous avons ici les éléments d’un vrai débat
sur l’outil de régulation publique à propos d’offres
territoriales qui correspondent, si on les laisse, à des distorsions
par rapport à ce que nous souhaiterions.
Enfin, les péréquations
peuvent aussi se concevoir sur le mode contractuel. Faut-il que s’établisse
entre l’Etat et les différentes collectivités territoriales le même
type de contrat ? On comprend, dès lors, la nécessité de
disposer d’indicateurs très précis sur la réalité de la richesse
ou de la pauvreté des régions. Au moment où nous sommes en train de
réfléchir à une nouvelle génération de contrats de plan, il est
important que nous introduisions cette problématique pour assurer
l’égalité des chances. Ceci pose le débat du financement des
transports, des partenariats privé‑public. L’accélération
des infrastructures pose le problème de la restabilisation du
principe d’égalité par la contractualisation avec un État stratège.
Je terminerai par une
seule observation : soyons attentifs au fait qu’un sujet qui
politiquement nous intéresse ne nous fasse pas oublier les enjeux et
le défi auxquels nous devons faire face. L’égalité des
territoires au niveau de l’Etat passe par l’accès au haut débit
et à la téléphonie mobile pour permettre la circulation des idées
(Nicolas Jacquet pourra intervenir sur ce sujet). Toutefois,
paradoxalement, il faut tenir compte du fait que les infrastructures
ne sont pas l’unique aspect de l’aménagement du territoire. Cela
signifie que si, sans infrastructures, il y a peut-être un risque de
non‑développement, avec des infrastructures, le développement
n’est pas forcément acquis. La mise en réseau des territoires
accentue la compétitivité et la concurrence entre territoires, si
bien que paradoxalement, une offre d’aménagement du territoire peut
apparaître comme une chance, alors qu’elle est en fait une exigence
supplémentaire de relever un défi supérieur. La connexion rapide
par autoroute, par exemple, met en compétition avec les autres
territoires.
L’aménagement
du territoire est donc une réflexion sur les potentialités de nos
territoires, leur organisation et la réduction de leurs handicaps.
Table
ronde
n°
1
la
réforme de la décentralisation : quelles opportunités pour les
territoires ?
PRÉSIDENT
Émile BLESSIG
Député du Bas-Rhin, Président de la Délégation de l’Assemblée
nationale
l’aménagement et au développement durable du territoire
NTERVENANTS
Jean-Pierre
BALLIGAND
Député de l’Aisne
Marc-Philippe
DAUBRESSE
Député du Nord, Vice-président de l’Assemblée nationale
Hubert-Marie GHIGONIS
Membre du Bureau du Conseil économique et social, Président de la
Section des économies régionales et de l’aménagement du
territoire
Nicolas JACQUET
Délégué de la DATAR
Bertrand PANCHER
Président du Conseil général de la Meuse
Adrien ZELLER
Ancien ministre, Président du
Conseil régional d’Alsace
Présentation
de la table ronde et des intervenants
Emile
Blessig
député du Bas-Rhin,
président de la délégation
de l’Assemblée nationale
à l’aménagement et au développement durable du territoire
Merci, M. le ministre, d’avoir accepté
de lancer le débat de manière très riche.
Nous avons souhaité
traiter deux questions à l’occasion de cette table ronde. La première
le sera sous le terme global de « réforme de la décentralisation :
quelles opportunités pour les territoires ? ». Il s’agit
d’une réflexion sur l’architecture de cette décentralisation. Le
second thème portera plutôt sur le contenu de cette décentralisation.
Permettez-moi de vous
présenter les participants à cette table ronde. Je commencerai par
Jean‑Pierre Balligand, député de l’Aisne, maire de Vervins,
conseiller général de l’Aisne, membre titulaire de la commission
de surveillance de la caisse des dépôts et consignations, co‑président
de l’Institut de la décentralisation. Vous constaterez qu’avec
Jean‑Pierre Balligand et Adrien Zeller, nous avons parmi nous
les deux co‑présidents de l’Institut.
Marc‑Philippe
Daubresse est député du Nord, vice-président de l’Assemblée
nationale, rapporteur du projet de loi sur la décentralisation, maire
de Lambersart, membre de la communauté urbaine de Lille.
Hubert‑Marie
Ghigonis est membre du Bureau du Conseil économique et social, président
de la section des économies régionales et de l’aménagement du
territoire, vice-président de la section des transports du Comité économique
et social européen.
Nicolas Jacquet, qui
nous fait l’honneur de participer à nos travaux, est le délégué
de la DATAR. Il nous quittera à 11 heures 30 pour participer à une réunion
importante.
Bertrand Pancher est président
du Conseil général de la Meuse, adjoint au maire de
Bar‑le‑Duc, membre du conseil d’administration de la Fédération
des villes moyennes.
Enfin, Adrien Zeller
est président du Conseil général d’Alsace, ancien ministre,
ancien député et ancien député européen.
Le premier sujet est
l’architecture de la décentralisation. Je souhaiterais demander à
chaque intervenant de partir des acquis de la première étape de la décentralisation,
c'est-à-dire les lois Deferre et celles qui ont suivi, pour savoir
comment organiser désormais cette compétence partagée qu’est
l’aménagement du territoire entre l’État et les différents
niveaux de collectivités. Quelles nouvelles responsabilités doivent
être accordées aux territoires ? Quel est le nouveau rôle de
l’État ? Quel serait, d’après chacun des intervenants, le
bon usage des trois outils suivants que sont le principe de proximité,
l’expérimentation et le principe de subsidiarité ? Vous êtes
bien sûr invités à apporter des opinions dissidentes, afin que le débat
soit le plus riche possible.
Je vais d’abord
donner la parole à Nicolas Jacquet.
A-t-on
encore besoin d’aménagement du territoire ?
Nicolas
JACQUET
Délégué de la DATAR
En introduction, nous
devons nous poser deux questions : Avec la décentralisation,
avons-nous encore besoin d’aménagement du territoire ? Et si
oui, quelle politique renouvelée d’aménagement du territoire doit
être construite pour accompagner l’acte II de la décentralisation ?
Nous avons encore
besoin d’aménagement du territoire pour quatre raisons. Tout
d’abord, nous sommes entrés, avec le XXIe siècle, dans
une grande période de turbulences, qui résultent à la fois de
l’internationalisation des économies et de chocs technologiques
majeurs qui vont se produire. Ensuite, l’élargissement de
l’Europe entraîne une donne nouvelle, et enfin parce que les inégalités
subsistent en France.
Il nous faut intégrer
le fait qu’avec l’élargissement de l’Europe, nous allons subir
une augmentation de la population de 28 %, pour une augmentation
de richesses de 5 % seulement. Les écarts existants avec les
nouveaux arrivants sont considérables, et vont entraîner des
perturbations. Par exemple, l’écart entre le salaire industriel de
base est de 1 à 8 entre les pays de l’élargissement et la France,
l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Si on prend en compte les charges,
l’écart est de 1 à 10. Il est donc évident qu’il faut
s’attendre à des conséquences en termes de localisation des
entreprises manufacturières. C’est un enjeu majeur. La
Grande-Bretagne, malgré un taux de chômage faible, inférieur à 5 %,
a néanmoins perdu l’année dernière environ 135 000 emplois
manufacturiers. Si nous n’y prenons pas garde, nos territoires
seront affectés par cela. Nous sommes bien ici dans le sujet de
l’aménagement du territoire, car il s’agit de préserver nos
capacités industrielles.
Parallèlement, des
mutations technologiques sont en train de se dérouler. La montée en
puissance des nouvelles technologies, et l’explosion de la bulle des
télécommunications ont profondément affecté certains territoires.
L’accélération dans ces secteurs, dont le cycle de production est
de plus en plus court, affecte les hommes et les femmes qui
travaillent dans ces usines et est très perturbant pour les
territoires.
Se préparer à ces accélérations
et à ces mutations relève de l’aménagement du territoire.
Tout ce qui résulte
des mutations de modes de vie et des comportements des Français doit
également être pris en compte. 15 millions de Français
travaillent aujourd’hui dans une commune différente de leur commune
de résidence, et 5 millions dans un département différent. Les
territoires ruraux périurbains ont gagné, ces dernières années, 70 %
de population. Ces modifications entraînent de profonds changements
dans l’habitat des Français et la façon dont ils s’installent
sur le territoire, dont ils y vivent et organisent leur relation avec
le reste du territoire.
On ne peut pas laisser
les territoires seuls face à ces mutations. Il est nécessaire de
construire un accompagnement, outil de cohésion territoriale. La période
où l’État à lui seul pouvait remplir cette fonction est révolue.
Ce sont aujourd’hui les forces conjuguées des collectivités
territoriales et de l’État, des entreprises et des universités qui
peuvent permettre de faire évoluer les choses. La petite révolution
de la décentralisation consiste, à la fois, à donner plus de liberté
d’action aux collectivités territoriales et plus d’énergie pour
le terrain, mais aussi, derrière ces choix et ces enjeux, à
raisonner à partir de l’idée des forces des territoires. Ces
forces économiques et sociales, résultat de la mise en réseau de
tous les acteurs qui font évoluer le territoire, peuvent être un
excellent mode de réponse. Lorsque les entreprises sur un territoire
travaillent ensemble, sont en phase avec le monde de la formation,
dialoguent avec les centres de recherches et les collectivités
locales, la décentralisation est un partage de la responsabilité
avec les acteurs. L’État ne sait pas rassembler l’ensemble des
interlocuteurs.
La décentralisation
est un apport majeur au niveau de la méthode de co‑production
de l’aménagement du territoire, c'est‑à‑dire le fait
de construire ensemble de nouvelles politiques territoriales. L’État
doit apporter sa contribution tant financière qu’intellectuelle
mais, fondamentalement, l’initiative doit venir du terrain. La co‑production
et la cohérence doivent être pensées au niveau régional. L’État
conserve ses compétences sur les grandes infrastructures
(ferroviaire, autoroutes, aéroports). Il doit également apporter sa
contribution aux projets des collectivités, à la définition de ce
qui va permettre de donner plus de compétitivité à nos territoires.
A ces principes de co‑production
et de cohérence s’ajoute celui de contractualisation. Voici les
chantiers de demain. MM. les Présidents, je pense donc en effet que
la décentralisation permet bien de donner un nouvel élan à l’aménagement
du territoire.
Émile BLESSIG : Merci, M. le Délégué. Je donne la
parole à M. Bertrand Pancher.
bilan
ET PERSPECTIVES de la décentralisation
BERTRAND
PANCHER
Président du Conseil
général de la Meuse
Quel est le bilan de la
décentralisation et comment pourrait‑on faire mieux dans les
prochaines années ? L’ensemble de nos concitoyens considère
que la décentralisation marche mieux, sauf peut-être dans le domaine
de la péréquation. Les équipements dont les collectivités ont la
charge, notamment les collèges pour les départements, ont été
profondément transformés ces dernières années. Des milliers de
projets ont été mis en place. Je suis toujours impressionné par le
nombre de demandes que les associations ou nos concitoyens adressent
au Conseil général, parfois même dans des compétences qui ne relèvent
pas des départements. Nos concitoyens ont bien intégré l’idée
que les collectivités locales peuvent faire beaucoup.
Les schémas
d’organisation des territoires ont donné beaucoup de cohérence aux
domaines de compétences touchant la vie de nos concitoyens
(transports, personnes âgées, tourisme, voirie…). Ces dernières
années, les territoires se sont dotés de schémas d’organisation
validés par leurs forces vives, et la liberté donnée au département
est reconnue et appréciée par tous. J’en veux pour preuve les
divers sondages qui ont été réalisés sur ce sujet. J’ai fait réaliser,
il y a quelques mois, un sondage par l’institut SOFRES dans mon département
sur la question de la décentralisation. A la question « connaissez-vous les différentes actions du département, »,
90 % répondaient favorablement. À la question « jugez-vous ces actions de façon globalement positive ?»,
plus de 65 % de réponses favorables ont été obtenues. Les
sondages montrent donc une perception favorable de nos concitoyens sur
la décentralisation.
La seconde étape de la décentralisation doit
servir à lui donner les moyens d’agir. Nous allons pouvoir être
plus rapides, plus efficaces, donner une lisibilité supérieure à
notre action. Par exemple, les taux de contractualisation dans notre
pays sont assez faibles, certainement parce que les compétences sont
trop partagées, et que personne ne savait réellement ce qu’il
devait faire.
Le bilan de la décentralisation
française, en comparaison avec nos voisins européens, est plutôt
faible. Toutefois, si le verre est plutôt à moitié vide, il se
remplit rapidement. Sans doute avec les futures réformes annoncées,
faudra-t-il évoluer vers de vrais blocs de compétences, et non des
partages de compétences qui entraînent la paralysie des territoires,
de façon à ce que chaque collectivité, responsable d’un domaine,
puisse être jugée en conséquence par ses électeurs. Pour le département,
c’est la compétence sociale. Nous avons lancé comme partout un schéma
en faveur des personnes âgées. Mais ce schéma est uniquement une déclaration
de bonnes intentions, quand l’État est celui qui nomme les
directeurs de maisons de retraite et est la principale source de
financement à travers les caisses d’assurance vieillesse. Il nous
faut donc demander un réel bloc de compétences. Il faut s’inspirer
d’exemples en provenance d’autres pays. Je suis frappé de
constater qu’en France, tout est régalien. Par ailleurs,
n’abandonnons pas l’expérimentation, elle est le meilleur moyen
de persuader nos concitoyens. Enfin, prenons garde de ne pas reprendre
d’une main ce que l’on donne de l’autre, c’est-à-dire confier
des responsabilités, mais les contrôler à tel point qu’on
paralyse tout pouvoir d’initiative. Je pense ici, par exemple, aux
textes sur l’APA, et peut-être à ce qui se prépare sur le
logement.
Emile Blessig : Merci beaucoup, M. Pancher. Je crois que
vous avez donné la bonne impulsion à ce débat. Je vais maintenant
donner la parole à M. Hubert‑Marie Ghigonis pour avoir le
point de vue du Conseil économique et social.
La
nécessaire clarification des règles de la décentralisation
Hubert-Marie
GHIGONIS
Membre du Bureau du
Conseil économique et social, Président de la Section des économies
régionales et de l’aménagement du territoire
Merci à vous, M. le président, et merci
à Jean François Poncet d’avoir associé le Conseil économique et
social à vos travaux. Nous ne sommes pas des élus, mais nous pouvons
néanmoins apporter notre réflexion. Dans le cadre de la section des
économies régionales et de l’aménagement du territoire, nous nous
penchons depuis toujours sur les problèmes d’aménagement du
territoire et de décentralisation. C’est un domaine sur lequel il
existe un consensus très fort au sein du Conseil. Je limiterai mon
intervention à deux points essentiels.
A la question que vous
avez posée, « a-t-on
encore besoin d’aménagement du territoire ? »,
Nicolas Jacquet a répondu mieux que je ne pourrais le faire, c’est
une évidence absolue. J’irai même plus loin : pour les
milieux professionnels et associatifs, la décentralisation n’est
pas une fin en soi. Nous considérons que la décentralisation doit être
au service de l’aménagement du territoire, et qu’elle n’est
qu’un moyen.
Le bilan n’est ni
positif, ni négatif, il est surtout peu lisible. Personne n’a fait
un examen approfondi de l’impact des lois Deferre. Nous ne savons
pas quelle est l’incidence de ces lois, et le citoyen ne les
comprend pas toujours. Il a été dit précédemment que le citoyen était
favorable à la décentralisation. Actuellement, des sondages semblent
indiquer que les citoyens sont plutôt en recul par rapport à ces
grands problèmes que sont l’Europe et la décentralisation, leurs
objectifs premiers étant l’emploi et la qualité de vie. Pour le
bilan en matière d’aménagement du territoire, des efforts ont été
faits pour réduire ce qu’on appelle le « désert français »,
et la prépondérance de l’Ile‑de‑France. Ce processus
doit se poursuivre.
Pour l’avenir, une
clarification des règles actuelles est un préalable à toute
nouvelle décentralisation. Il est nécessaire de voir plus clair dans
les différents échelons car vous, élus, voyez parfaitement, mais un
travail explicatif dans les mois qui viennent s’impose.
Je n’aborderai pas le
problème des nouveaux transferts de compétences. Le principe de
proximité s’impose comme une évidence : seul ce dernier intéresse
le citoyen. Seul ce principe doit être dans notre esprit quand on
procède à une décentralisation. Il faut responsabiliser les élus,
les amener à mieux comprendre et satisfaire les besoins locaux, et
rapprocher la décision des citoyens. Pour ce faire, il est bon de les
associer, sans jamais opposer démocratie représentative et démocratie
participative, qui peut simplement apporter un concours et éclairer
les élus sur les décisions qu’ils ont à prendre. Ceci doit se
produire à tous les échelons, de la commune à la région, en
passant par le département et l’intercommunalité. Je vous
remercie.
Emile Blessig : Merci beaucoup, M. Ghigonis, je propose
maintenant de passer la parole à Jean‑Pierre Balligand.
Le
bilan contrasté de la décentralisation en matière d’aménagement
du territoire
Jean-Pierre
BALLIGAND
Député
de l’Aisne
Adrien Zeller et moi-même,
dans le cadre de l’Institut de la décentralisation, essayons de défendre
la cause de la décentralisation tout en ayant des engagements
politiques différents. Nous aurons, dans peu de temps, l’occasion
de débattre à l’Assemblée nationale avec M. Marc‑Philippe
Daubresse.
Je souhaiterais revenir
sur ce que vient de dire mon prédécesseur, dont j’ai beaucoup apprécié
les propos. Si on effectue le bilan de la décentralisation, il est
« globalement positif », comme l’a dit M. Bertrand
Pancher. La décentralisation est une cause assez noble, et dans des
cas importants comme les lycées et les collèges, ce transfert de
compétences a été un succès exemplaire. Du temps de la gestion de
l’Etat, la situation des lycées et des collèges était un
scandale. Aujourd’hui, dans n’importe quel département français,
d’énormes progrès ont été accomplis.
Je serais néanmoins
plus prudent en matière sociale. Il est audacieux de vouloir dresser
un bilan. Un travail important est nécessaire sur la réalisation
d’évaluations ex ante, pour pouvoir ensuite la faire ex post, de manière ponctuelle.
L’expérimentation
est une bonne chose, mais il ne faut pas en faire une religion. Elle
introduit une complexité certaine au niveau du partage des compétences,
et il faut faire attention de ne pas généraliser systématiquement
des projets qui devraient rester au stade de l’expérimentation. Par
exemple, la généralisation de la Prestation spécifique dépendance
(PSD) a produit des écarts considérables entre les départements au
sein d’une même région. Le traitement apporté à la question de
la dépendance a créé une forte hétérogénéité. Il faut donc
nuancer le bilan positif.
Que faut-il faire ?
Il faut remettre à plat les compétences actuelles. Jeune député en
1981, j’ai voté la décentralisation avec enthousiasme. Quand on en
fait le bilan, c’est un lent glissement vers des prises de compétences
par des collectivités qui n’avaient pas été choisies au départ.
Par exemple, l’action économique des collectivités n’est pas
prise en charge globalement par les régions, les statistiques de la
direction générale des collectivités locales sont claires sur ce
point. Le conseil général, qui a la charge des compétences
sociales, veut également prendre en charge les activités économiques,
considérées plus nobles et plus valorisantes pour les élus. Comme
le conseil général avait obtenu de la loi Defferre des ressources
plus importantes que la région, il s’est mis à occuper tout
l’espace.
La question posée est
celle de la clause de compétence générale, et le texte de loi n’y
apporte aucune réponse. La loi Defferre, après les arbitrages du Président
de la République, s’est orientée vers la clause de compétence générale :
chaque entité (commune, département, région quand elle est devenue
collectivité de plein exercice) pouvait agir dans tous les domaines.
Nous nous sommes donc retrouvés avec trois piliers
concurrents. Comme la commune était peut-être la structure la moins
concurrente parce que la plus atomisée, nous avons dû voter les lois
Joxe de 1992 et Chevènement de 1999 pour donner des moyens d’action
aux communes. Ainsi, les communes qui ne pouvaient pas toujours
exercer la clause de compétence générale ont pu le faire par le
biais de l’intercommunalité.
Nous ne devons pas étudier
cette question comme des acteurs qui font la loi. J’ai d’ailleurs
dit à M. Jean‑Pierre Raffarin que la deuxième loi sur la
décentralisation sera beaucoup plus difficile à rédiger parce
qu’au moment de la première, il n’y avait pas encore de pouvoirs
installés.
Il convient donc de
remettre à plat les compétences et d’aborder le problème de la
clause de compétence générale. Je souhaiterais que les collectivités
en France se voient attribuer une « autorité organisatrice ».
Par exemple, la région et l’intercommunalité seraient responsables
de l’économie. Il faut que des gens de terrain à un niveau local
insufflent l’initiative en matière économique, à partir de
connexions avec les universités, à travers les transferts
technologiques.
En même temps, il faut
partager la taxe professionnelle. On reproche souvent à la gauche
d’avoir peu fait pour la décentralisation. C’est faux : en
1999, nous avons décommunalisé la taxe professionnelle, pour arrêter
l’opposition entre communes, dans le cadre de la communauté
d’agglomération. Un amendement au Parlement a permis d’instaurer
la TPU pour les communautés de communes. Je vous rappelle
qu’aujourd’hui, 32,7 % des communautés de communes sont déjà
passées en taxe professionnelle unique.
Bien évidemment,
l’intercommunalité n’est pas un pouvoir, ce n’est pas une
collectivité locale. Mais qui aujourd’hui dirige l’aménagement
du territoire à l’échelle infrarégionale ? Ce ne sont pas
les anciens districts, mais les communautés de communes. En milieu
rural, les fédérations de communautés de communes donnent les
moyens d’agir. Or ces entités, qui sont les territoires les plus
actifs, ne figurent pas dans la loi. On ne peut pas dire qu’il
s’agisse d’un phénomène nouveau.
Je souhaiterais
conclure sur la citoyenneté. On ne fera pas la décentralisation
contre les citoyens. Les Français ont l’impression que la décentralisation
n’est qu’un nouveau partage de pouvoir entre élus. Il faut
introduire la démocratisation. Certains établissements locaux, comme
des communautés urbaines, lèvent des impôts très élevés, supérieurs
au budget de la région sans aucun contrôle ou sanction du suffrage
universel. Cette situation ne peut pas durer. Les citoyens ne savent
plus qui est responsable, et nous traversons une crise du politique
qui dépasse le cadre de l’élection présidentielle. Il faut
clarifier les compétences pour aborder la question de la citoyenneté.
Cette question doit être appréhendée par l’ensemble des
responsables politiques attachés à la fois à la décentralisation
et à la République.
La
décentralisation au service de la région comme moteur de l’aménagement
du territoire
Adrien
ZELLER
Ancien ministre, Président
du Conseil régional d’Alsace
Vous l’aurez compris,
je ne m’inscrirai pas en opposition frontale avec le discours de
Jean‑Pierre Balligand, même si je pense qu’il est possible de
faire plus et mieux.
Il convient de rappeler la définition précise
de la décentralisation. C’est le transfert de la responsabilité de
mise en œuvre d’une politique publique d’un ministère ou d’une
administration centrale vers une autorité régionale ou locale élue.
Ce n’est pas un chèque en blanc, mais un transfert assorti de contrôles
juridique, financier et démocratique. Elle ne peut fonctionner que si
elle est faite au service de l’intérêt général, des citoyens
contribuables et usagers.
Si on veut faire un
bilan de la décentralisation par rapport à l’aménagement du
territoire, les choses ont évolué dans le bon sens. Par exemple, la
carte des lycées d’Alsace établie par la région est très différente
de celle de l’Etat. C’est parce que la région s’en est occupée
que nous avons pu conserver des lycées dans les régions moins peuplées.
Lorsque nous avons pris il y a cinq ans, de manière expérimentale,
la responsabilité des transports ferroviaires régionaux, cinq
petites lignes étaient menacées. Aujourd’hui, elles sont sauvées,
et permettent l’accroissement de l’égalité des chances sur le
territoire.
Les choix économiques
ne sont pas les mêmes lorsqu’il sont fait d’en haut ou sur le
terrain, où l’on essaie de rééquilibrer les choses. Pour que la décentralisation
fonctionne, et que l’impératif de cohésion sociale et territoriale
soit respecté, il faut que les problèmes d’aménagement du
territoire soient mis sur la table. Je rappelle qu’un des objectifs
de la décentralisation est de créer des lieux pertinents de débat.
Pour le développement économique et social et l’aménagement du
territoire, je considère que la région est un niveau pertinent. Il
convient, en outre, que les territoires soient bien représentés par
un mode de scrutin adapté lors des élections régionales. Je reste,
pour ma part, favorable à un mélange entre une représentation par
sensibilité politique et par territoire, pour que ces questions
puissent être débattues.
Jean‑Pierre
Balligand indiquait que toutes les collectivités territoriales
participaient à l’aménagement du territoire. Je rappellerai que
l’Etat aussi est un acteur majeur dans ce domaine, par exemple dans
l’élaboration des cartes des universités. Je plaide pour que les régions,
dont les pouvoirs juridiques sont encore limités, interviennent
davantage car elles possèdent la masse critique requise pour ordonner
les choses, les cartes de formation professionnelle ou les bassins
d’emplois, par exemple. La région doit avoir une vision de l’aménagement
et du développement du territoire pour l’espace dont elle a la
responsabilité.
En Alsace, nous sommes
porteurs d’une vision du développement régional, économique et
industriel associé à une territorialisation de cette stratégie.
Chaque bassin d’emploi doit avoir des formations professionnelles de
haut niveau, un système de transports modernes. Il s’agit de
garantir l’égalité des chances sur le territoire.
Il me paraît aussi
logique et légitime que les régions puissent s’exprimer sur les
grands projets nationaux d’équipement. Vu la manière dont l’économie
européenne est en train d’évoluer vers l’Europe de l’Est, les
grandes infrastructures doivent servir autant à mieux partager à
travers les territoires les activités tertiaires qu’à offrir des
commodités aux voyageurs. Les TGV sont devenus un outil de développement
économique.
L’aménagement du
territoire doit relever de la région. Elle est en train d’acquérir
un rôle politique et moral, mais doit rattraper le retard accumulé
par rapport aux autres pays d’Europe. L’échelle régionale est la
plus pertinente pour gérer les mutations qui affectent les bassins
d’emplois.
En conclusion, si on
examine la carte d’Europe des régions qui gagnent et qui ont
surmonté leurs difficultés, on s’aperçoit que le critère
principal est la capacité de synergie entre acteurs (collectivités,
universités, centres de recherches, branches professionnelles,
acteurs financiers…). Cela suppose que tous les acteurs de la région,
mis en réseau, souhaitent participer au développement du territoire
et se déconcentrer suffisamment.
Si nous avons cette
vision, nous pourrons réaliser ce développement.
Les
CINQ microprocesseurs de la décentralisation
Marc-Philippe
DAUBRESSE
Député du Nord,
Vice-président de l’Assemblée nationale
Depuis le début de ce
débat, nous n’avons que très peu évoqué l’Europe. Pourtant, le
contexte européen est dominant. L’aménagement du territoire des
années 60 reposait sur l’opposition entre le monde rural et le
monde urbain, et la création des métropoles d’équilibre. La loi
Deferre est un élément majeur sur le plan psychologique, mais elle
n’a provoqué dans les faits qu’une décentralisation assez
statique avec des non‑décisions, résultant d’arbitrages
politiques, comme l’a souligné Jean‑Pierre Balligand. C’est
le contexte européen et la concurrence européenne qui ont façonné
la réactivité des deux couples aujourd’hui déterminants. Il
s’agit d’une part, de l’association commune‑département
pour une action de proximité, qui va se renforcer avec le transfert
de compétences sociales nouvelles au département. Le deuxième
couple est le couple région‑intercommunalité. Ces deux entités
performantes en matière de stratégie et de cohérence s’inscrivent
dans une compétition européenne.
Chacun sait que les
territoires qui gagnent sont des territoires de région‑métropole,
c’est-à-dire d’un territoire organisé en réseau autour d’une
grande métropole forte, qui porte les atouts du territoire.
Ainsi, la décentralisation
de 1982 à 2002 est le produit de l’environnement extérieur, qui a
poussé à faire voter la loi Chevènement sur l’intercommunalité
en 2002, alors que cette dernière n’était pas prévue à
l’origine.
Nous sommes tous à
cette tribune plutôt des girondins, mais nous savons bien qu’il
existe dans nos partis respectifs un bon nombre de jacobins, et
qu’il va falloir les convaincre, à l’occasion du vote de la loi
de décentralisation dont je serai le rapporteur à l’Assemblée
nationale. Nous allons mettre en place une décentralisation
dynamique. Nous allons donner aux présidents de régions et de
conseils généraux cinq « microprocesseurs » qui, s’ils
savent et veulent les utiliser, vont les aider à atteindre leurs
objectifs. Ces cinq microprocesseurs sont la péréquation,
l’autonomie financière, la subsidiarité ou proximité, l’expérimentation,
et un dernier point sur lequel je rejoins Jean‑Pierre Balligand,
la démocratie locale.
Je n’insiste pas sur
la subsidiarité, car M. Ghigonis en a déjà parlé. Nous
connaissons actuellement une situation d’une extrême complexité et
d’illisibilité totale pour le citoyen. Peu de choses ont été
faites pour la simplification des différents niveaux de décentralisation.
Ceci s’explique par le travail de lobbying des régions, communes et
départements, qui ont tenté de figer la situation. La loi de décentralisation
sortie du Sénat est déjà complètement remodelée par ce triple
lobby. La question d’un bloc de compétences générales n’a pas
été tranchée, et l’on a introduit la notion de « chef de
file ». Le problème des niveaux de compétences pertinents
n’a pas été résolu, même s’il faut constater que le premier
ministre a été plutôt réceptif lors des Assises des libertés
locales, et que la définition des compétences répond plus à l’écoute
des élus locaux qu’à une décision « d’en haut ».
L’absence de décision
finale sur ces questions va poser des problèmes, mais nous disposons
dans la Constitution d’un microprocesseur utile dans ce cas :
l’assemblée territoriale unique. Dans quelques années, des fusions
régionales vont peut‑être avoir lieu. Un référendum en ce
sens va bientôt avoir
lieu en Guadeloupe et en Martinique. Il est intéressant de noter
qu’en partant d’une question portant sur l’efficacité sur un même
territoire, la question déviée qui en résulte est celle d’un vote
pour ou contre la féodalité. Dans le cas de la Guadeloupe, il
s’agit d’un vote pour ou contre Mme Lucette Michaux‑Chevry.
Vous voyez émerger la crainte du citoyen par rapport à un pouvoir féodal
régional, alors que la question initiale portait sur l’efficacité
accrue que la fusion de ces deux entités territoriales permettrait ou
non. Ce microprocesseur intéressant, prévu dans la Constitution,
n’est pas utilisé aujourd’hui, mais fera probablement l’objet
de débats lors des prochaines élections régionales. Je vous prédis
la présentation de listes dénonçant la complexité, l’opacité,
le manque de rationalisation et le coût du système actuel.
Je n’insisterai pas
sur la péréquation, qui est le deuxième microprocesseur, car Jean
François‑Poncet va beaucoup en parler. Je souhaitais souligner
que suivre ses idées intelligentes et efficaces sur la question
serait une source de soulagement. J’ai pourtant une inquiétude par
rapport à la péréquation Pour mettre en place les dotations de
solidarité, on construit un algorithme compliqué, reprenant de
nombreuses variables telles que le revenu moyen par habitant, le
potentiel fiscal, le nombre de logements sociaux ou d’allocataires
du RMI. Le classement résultant de cette équation est souvent incohérent
au regard des inégalités, des forces et des faiblesses des
territoires constatées sur le terrain. Il faut prendre garde à ne
pas se laisser aveugler par ces indices mathématiques. En revanche,
une péréquation intelligente, comme elle a été construite à
Rennes, est un outil précieux. On construit une échelle de 1 à 30
reflétant les différences de richesses entre territoires dans la même
communauté d’agglomération, puis on se donne pour objectif de
faire passer ces différences de 1 à 30 à 1 à 16 en 10 ans.
Voilà un usage efficace de la péréquation.
Le troisième
microprocesseur, que je considère comme le plus intéressant, est
celui de l’expérimentation. Il permet des réalisations
intelligentes dans l’évolution du monde et de l’Europe
aujourd’hui. Je prendrai l’exemple de ce que la DATAR appelle les
« petites Europes », c’est-à-dire la possibilité de
projets transfrontaliers, qui permettent d’impliquer le citoyen dans
des projets de vie quotidienne (par exemple dans le domaine des
transports urbains, des postes ou de lycées transfrontaliers).
Un autre exemple
d’expérimentation intéressant pourrait être celui de la gestion
de l’eau. Dans l’Hérault, un village a demandé à récupérer
puis stocker de l’eau en période de crue pour l’utiliser en période
de canicule. Malheureusement, sept autorités différentes sont en
charge de la gestion de l’eau. Il a fallu douze semaines pour
obtenir une réponse : il était donc ensuite trop tard pour
agir. Nous pourrions utiliser l’expérimentation en confiant la
gestion à une seule autorité pour déterminer le niveau pertinent
indépendamment des lobbies.
Le dernier
microprocesseur est celui de la démocratie locale. Après
Jean‑Pierre Balligand, je vous assure que si nous n’allons pas
plus loin dans ce domaine, nous ne pourrons pas faire avancer la décentralisation.
Les sénateurs ont supprimé la timide avancée qui permettait aux
collectivités décentralisées d’organiser des référendums locaux
pour valider les décisions et un droit de pétition pour qu’on débatte
d’un sujet. Vous pouvez compter sur le rapporteur de cette loi à
l’Assemblée nationale pour rétablir cette disposition. Nous ne
pouvons pas faire la décentralisation sans impliquer les citoyens. Il
n’est pas normal que je gère une intercommunalité dont le budget
s’élève à plus de 2 milliards d’euros sans être soumis à
aucun contrôle. Il faudra donc évoluer vers une élection au
suffrage universel direct. Sinon, on risque de donner au citoyen
l’impression que les élus locaux sont des féodaux qui règlent les
problèmes entre eux, et de générer un sentiment d’exclusion.
La nouveauté vient de
la co‑production d’aménagement du territoire, et d’une
donne européenne nouvelle. Comme l’a dit Adrien Zeller, il faut que
les pouvoirs décentralisés se saisissent des choses, ou alors elles
n’évolueront pas. Il faut, par ailleurs, utiliser de la façon la
plus efficace possible les microprocesseurs qui nous sont donnés pour
réussir la phase II de la décentralisation.
dÉbat
Émile BLESSIG : Mesdames, messieurs, puisque nous avons dépassé
le temps qui était prévu pour les exposés, nous allons donner la
parole dans la salle aux personnes qui assistent à ce colloque. Nous
essaierons ensuite d’être plus concis sur le transfert de compétences
et ses conséquences.
Question :
Pourquoi faut-il faire une différence entre la gauche et la droite
pour traiter nos problèmes ? Je trouve qu’au XXIe
siècle, on pourrait prendre plus d’altitude. Nos concitoyens
sont-ils véritablement conscients qu’en acceptant de tels
bouleversements, ils participent à l’amélioration de l’intérêt
général ?
Je ne suis pas contre
la décentralisation, mais elle entraîne une dilution des
responsabilités. Pour qu’un système soit viable, il doit être
bouclé. Comment peut-on exploiter le retour d’expérience et le
retour sur investissement ? Quand je vois qu’un certain nombre
de constructions réalisées restent inemployées, et que rien n’est
fait, on peut s’interroger sur la décentralisation.
Expliquez-moi pourquoi
le budget de l’Education nationale augmente alors que le nombre
d’analphabètes continue, lui aussi, à augmenter ? La décentralisation
va-t-elle permettre d’y remédier ?
En matière d’énergie,
on parle de l’effet de serre. La décision d’implanter des
centrales nucléaires, qui est une solution permettant de limiter les
émissions de CO2, va-t-elle aussi être décentralisée ?
En matière de transports, 40 % des émissions de CO2
sont liées à la circulation de camions, et 40 % à l’habitat ?
Qu’allez-vous faire ?
J’ai l’impression
que la décentralisation a été abordée par « le petit bout de
la lorgnette » sans réelle prise en compte d’un élément
primordial, l’expression du besoin.
Adrien
ZELLER : Je réponds volontiers. La décentralisation mal
faite aboutit à la dilution de la responsabilité. Si elle est bien
faite, c’est l’effet inverse. Par exemple, autrefois, on ne savait
pas si la gestion des lignes de train relevait du directeur régional
des chemins de fer, du président de la SNCF, du sous-directeur du
ministère ou du ministre. Aujourd’hui on sait que si on veut
interpeller quelqu’un sur ce sujet, la responsabilité incombe au président
de la région et à son assemblée. C’est là un réel progrès pour
le citoyen, résultant de la décentralisation.
Par ailleurs, l’échelon
régional est une échelle particulièrement bonne pour la mise en œuvre
des énergies renouvelables et une gestion économe de l’énergie
pour l’habitat, les transports collectifs. Il faut bien sûr aussi
considérer ce problème à l’échelle mondiale, mais la région
doit avoir des responsabilités dans le développement durable.
Question :
Je n’ai pas très bien compris quel serait le nouveau positionnement
de l’Etat à la suite de la deuxième vague de décentralisation en
matière d’aménagement du territoire. J’ai entendu parler de
contractualisation. Cet outil existe déjà, et n’est pas toujours
très efficace, si on prend par exemple les contrats de plan Etat-région,
qui ne sont pas toujours respectés, en particulier par l’Etat. Cela
va-t-il changer ? Y a-t-il un nouveau positionnement de l’Etat
à imaginer ?
Marc-Philippe DAUBRESSE : nous allons vers une co‑production
de l’aménagement du territoire. Il y a vingt ans, l’Etat imposait
certaines choses, et les régions devaient le suivre. Nous sommes
ensuite passés à la logique du contrat de plan. Aujourd’hui, nous
avons un certain nombre de collectivités majeures (comme les régions
Alsace ou Nord‑Pas‑de‑Calais), qui définissent
leurs propres schémas stratégiques et délimitent des actions, puis
demandent le concours de l’Etat.
Par exemple, dans ma région,
on vient d’inaugurer une plate-forme multimodale qui permet
d’effectuer du transport ferroviaire, routier et fluvial. Nous avons
initié cette demande, et l’État nous a suivis. Nous entrons donc
dans une nouvelle démarche. Les collectivités territoriales doivent
prendre le pouvoir malgré la complexité de la loi pour être source
d’initiative et de co‑production d’aménagement du
territoire.
Emile
BLESSIG : En plus du devoir de prise de pouvoir s’ajoute un
devoir de cohérence.
Je souhaite passer la
parole à Mme Eliane Dutarte pour donner le point de vue de la
DATAR sur la place de l’Etat dans cette seconde étape de la décentralisation.
Eliane DUTARTE, conseillère à la DATAR : Le ministre
Jean‑Paul Delevoye et Nicolas Jacquet ont tous deux évoqué un
renouvellement de la politique d’aménagement du territoire qui
implique une redéfinition du rôle de l’Etat, et certainement pas
sa disparition. Avec le partage des compétences, l’Etat ne décide
plus seul pour tous.
En application du
principe de subsidiarité, il doit assurer un cadre général de cohérence
afin de garantir la plus grande efficacité des politiques qui peuvent
être conçues localement. Il s’agit d’éviter les concurrences
entre les territoires, et d’assurer leur cohésion.
C’est par ailleurs
par la co‑production la rencontre de deux politiques et de deux
volontés distinctes. A partir de cette idée de cohérence des
besoins et de choix politiques locaux, on organise la rencontre entre
ces diverses aspirations, et la négociation dans le cadre du couple
Etat‑région par exemple.
La contractualisation
est aussi un instrument s’inscrivant dans cette logique, au même
titre que la conférence des présidents de régions. Comme M. Delevoye
l’a indiqué, nous sommes en train de repenser la contractualisation
de manière à ne pas reproduire les faiblesses connues des contrats
de plan. Nous voulons simultanément maintenir un cadre qui
permette d’assurer la cohésion et la solidarité de manière plus
dynamique et cohérente.
Michel de LA BRELIE, sous‑préfet du Havre : La problématique
de l’efficacité, et la logique relevant strictement de l’aménagement
du territoire, peuvent s’envisager à l’échelle intercommunale, régionale,
nationale ou européenne. Si l’Etat abandonne la mission d’aménagement
structurant de l’espace national, un certain nombre de problèmes
vont se poser.
La coproduction, la
collaboration et la cogestion introduisent beaucoup d’opacité en
matière de responsabilité et en tout état de cause, prennent énormément
de temps. Le temps de traduction dans les faits d’une décision
prise est d’environ six mois. L’économie peut-elle vivre dans ce
temps ?
Question :
Dirigeant d’une PME, je reçois régulièrement des mailings
provenant de départements offrant des subventions pour s’installer
sur leur territoire. Comment se déroule la coordination de telles
initiatives ?
Question :
Pourriez‑vous clarifier la notion de proximité du citoyen
à l’égard des décisions qui le concernent ? Quelle est la
place de la région française dans un contexte européen en pleine évolution ?
Quel mode de scrutin adopter pour clarifier les élections au niveau
du département et de la région ?
Henriette
MARTINEZ, députée des Hautes‑Alpes : La décentralisation
pourra-t-elle s’accommoder longtemps de l’existence des cantons,
compte tenu des compétences données aux conseils généraux ?
Il semble que le canton est un échelon qui n’a plus aucune raison
d’être à l’époque de l’intercommunalité.
Jean‑Pierre
BALLIGAND : Je répondrai sur la compétition entre
collectivités. L’Europe est en train de résoudre ce problème dans
la mesure où il y a eu de nombreux gaspillages d’argent public,
comme des délocalisations à l’intérieur du territoire national.
Si ces pratiques reflètent une volonté de bien faire à l’échelle
de micro‑territoires, elles posent un réel problème de cohérence.
Je pense que cette loi
de décentralisation ne doit pas être un démantèlement de l’Etat,
mais celui-ci ne fera pas l’économie de sa propre réorganisation.
Le mimétisme administratif français ne fonctionne pas. Les
conseillers généraux ont reproduit les mécanismes nationaux à
l’intérieur de leurs départements.
L’Etat a conservé
les compétences de voirie pour les grands axes structurants qui dépassent
chaque région et assure l’articulation avec l’Europe. Il est
temps que l’Etat se dote de très grandes régions administratives
qui ne soient pas face aux exécutifs régionaux avec lesquels ils
entrent en compétition. Les élus locaux continuent à réclamer une
plus grande déconcentration, mais il faut que l’Etat développe une
nouvelle architecture administrative pour ses propres missions. De même,
à l’échelle infrarégionale, il doit réfléchir à son
organisation, en prenant en compte les pays. Il ne peut pas y avoir de
correspondance totale entre les structures.
Hubert‑Marie
GHIGONIS : Je pense qu’il ne faut pas oublier cette notion
de déconcentration. L’Etat est régulateur et aménageur, mais au
niveau économique, c’est la région qui doit jouer ce rôle, ce
qu’elle ne pourra faire que si elle est nommée expressément chef
de file.
Bertrand
PANCHER : La question du contrôle citoyen accompagnant tout
nouveau transfert de compétences est centrale. Je suis favorable à
une élection proportionnelle, au niveau du département, de façon à
ce que les campagnes électorales soient menées sur des projets, et
non sur des équipements dans le cadre d’élections cantonales. De même,
on ne peut être hostile à l’élection des délégués
intercommunaux.
L’éparpillement des
missions et les blocs de compétences généralisés ne peuvent pas
durer. Je comprends parfois le président de l’Assemblée des départements
de France lorsqu’il souligne que certains départements ont plus de
moyens et de légitimité d’action que certaines régions.
Posons-nous la question de la taille optimale des collectivités. En
Espagne, il y a quelques années, des regroupements majeurs ont eu
lieu.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : Par rapport à la concurrence entre les
territoires, je suis plus préoccupé par la question de la
non‑réactivité. Il nous faut environ sept ans pour établir
des schémas directeurs, et huit à dix ans pour faire une
autoroute. La France ne peut, dans ce domaine concurrencer des pays
comme la Chine. Le plus grand cabinet de consulting international spécialisé
dans l’implantation des zones de logistique et de transport dans le
monde soulignait que les Français possédaient de nombreuses qualités,
mais que la faible réactivité était sa faiblesse majeure.
Par ailleurs, ce que
disait Mme Martinez me semble fondamental. Il est tout à fait
possible de mélanger des représentants de la logique territoriale et
de la logique de population dans la même assemblée. Il convient de
trouver un modèle approprié. De plus, s’ils travaillent ensemble
pendant suffisamment longtemps, ils développeront une logique stratégique
commune pour la défense des habitants et du territoire.
Adrien ZELLER : Les aides économiques
sont soumises à un contrôle financier extrêmement strict de la part
de Bruxelles. La France ne peut pas distribuer d’argent pour
l’implantation d’entreprises au-delà de montants très limités.
À l’extérieur, en revanche, certains pays comme la Pologne
proposent des régimes fiscaux extraordinairement favorables.
En France, nous sommes
tous étatistes, ce qui pose un problème pour la réforme de
l’Etat. Il faut repositionner l’État, qui doit se reconcentrer
sur ses fonctions régaliennes, domaine dans lequel une cohérence
nationale est essentielle. En matière économique, les intelligences
ont évolué, les collectivités territoriales savent gérer la
modernisation et n’ont pas besoin de la tutelle de l’Etat.
Emile
BLESSIG : Je voudrais que pour la demi-heure qui nous reste,
nous puissions envisager le transfert de compétences et de ses conséquences
en termes de moyens financiers ou humains présentés dans le projet
de loi.
Hubert‑Marie
GHIGONIS : Je voudrais confirmer qu’il y a deux échelons
prioritaires dans ce domaine : la région, qui devrait recevoir
une délégation plus large, notamment en matière d’habitat, de
transports publics et de patrimoine et l’échelon européen, pour la
mise en oeuvre des grandes politiques publiques d’infrastructures.
En outre, dans le domaine des transports, l’Etat doit conserver un rôle
important.
Les transferts de compétences
dans lesquels les communes et les départements jouent un rôle ne
devraient se faire que dans le cadre d’un contrat de développement
économique établi par la région. Celui‑ci associerait départements
et communes pour sa mise en œuvre.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : Il faut laisser les transferts de compétences économiques,
la formation professionnelle et les grandes infrastructures à la région.
En revanche, j’estime
personnellement (je n’engage pas ici la Commission des Lois) qu’il
est regrettable que se poursuive un enchevêtrement. Je suis, en
particulier, sceptique à l’égard de l’amendement grâce auquel
les communes peuvent intervenir dans tous les domaines. Je regrette,
par ailleurs, que l’intercommunalité soit la grande oubliée de
cette loi, alors qu’elle est la grande force émergente.
Je trouve enfin
aberrant, même si cela a fonctionné par le passé, de séparer les
lycées attribués à la région et les collèges au département. Il
faudrait constituer un pôle de compétence unique pour l’éducation.
Je trouve, en revanche, que l’intégration des personnels
d’entretien est positive.
Adrien ZELLER : Les points
positifs suivent une bonne logique mais ne vont pas suffisamment loin.
Les éléments qui s’imposent aujourd’hui sont une plus grande
autonomie et une territorialisation des universités, garantissant des
formations de haut niveau. Il est indispensable que les régions aient
un droit de regard sur la carte des formations professionnelles
jusqu’au niveau Bac+3. Dans le domaine de l’innovation, dont dépend
l’avenir de l’économie, on doit réformer profondément le système
par de nouveaux partenariats, ou donner plus de moyens.
Les avancées réalisées
vont dans la bonne direction, mais elles s’inscrivent dans la limite
de ce qui est strictement nécessaire pour faire face aux mutations
accélérées que connaissent le marché du travail et notre tissu économique
et industriel.
Le point négatif
principal est la complexité effrayante du dispositif.
Enfin, il convient de
s’interroger sur la place de la région Ile‑de‑France
dans l’organisation nationale. Je pense que les services de
l’architecture nationale, par exemple, pourraient être déplacés
à Orléans, à Amiens ou à Reims, afin de faire enfin de la France
un espace plus polycentrique, à l’image des autres pays d’Europe
qui réussissent.
Eliane
DUTARTE : On peut imaginer que les amendements votés à
l’Assemblée nationale vont peut-être pouvoir permettre d’aller
plus loin dans la mise en place d’un pouvoir organisateur à l’échelle
de la région. La question importante qui vient ensuite est celle de
savoir comment on va pouvoir articuler entre eux ces différents
champs de compétences, pour favoriser l’apparition de synergies.
Émile BLESSIG : Permettez-moi
de vous renvoyer au tableau que nous avons distribué. Réalisé par
le secrétariat de la Délégation, c’est un tableau synthétique de
la répartition des compétences définie par le projet de loi relatif
aux responsabilités locales. Je tiens à souligner qu’il s’agit là
du projet de loi initialement déposé par le Gouvernement au Sénat.
Bertrand
PANCHER : Parmi les avancées, je voudrais souligner le
transfert des personnels dans les départements, en particulier dans
le domaine des routes et pour les collèges. En revanche, la définition
des blocs de compétences pour les départements est trop lente, en
particulier sur le plan social. Je m’interroge à ce propos sur
notre capacité à mener nos missions de manière satisfaisante dans
ces conditions, en particulier pour les transferts de compétences en
matière de personnes âgées ou handicapées. En matière de
protection judiciaire de la jeunesse, on a une expérience quant aux
mesures de protection civile. Pourquoi ne pas l’étendre aux mesures
pénales ?
Dans le domaine social,
on ne devrait pas morceler le suivi les familles en difficulté en
fonction de l’âge de ses membres. Le transfert des personnels
infirmiers dans les collèges au profit du département me semble une
très bonne idée permettant un suivi global et cohérent des familles
en difficulté.
Enfin, la grande
insuffisance est celle de la péréquation, que nous souhaiterions
aborder avant les problèmes de transfert de compétences. C’est là
le vrai problème de l’égalité des territoires. Je vous conseille
de lire l’excellent rapport du Sénat à ce sujet, co‑rédigé
par Jean François‑Poncet.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : Je souhaite préciser les apports du Sénat au
projet de loi initial.
Les compétences rajoutées
par le Sénat sont :
- la
possibilité pour les agglomérations et les communes de mettre en
place des péages urbains ;
- le transfert
de la responsabilité en matière de logement des plus défavorisés
aux communes, aux groupements de communes et aux départements selon
les cas ;
- la décentralisation,
contre l’avis du gouvernement, de la médecine scolaire. En
revanche, les infirmières, les assistantes sociales et les
conseillers d’orientation ne sont pas décentralisés.
Aucun autre transfert
majeur n’a été effectué, mais de nouvelles modifications sont à
attendre après l’examen à l’Assemblée nationale.
Question :
En tant que directeur départemental de l’équipement de
l’Aisne, je tiens à compléter les propos de M. Jean‑Pierre
Balligand. L’administration de l’équipement a non seulement
organisé ses services de manière à couvrir les grands axes
structurants au niveau suprarégional, mais aussi au niveau
infra‑régional.
J’aurai, par
ailleurs, une demande à formuler auprès des parlementaires que vous
êtes, en tant que chef de service déconcentré. Nous aimerions que
la décentralisation s’accompagne d’une réforme de l’Etat
ambitieuse. Nous craignons que soit mise en place une réforme de
l’Etat à l’échelle locale qui décevrait les citoyens.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : Lors d’un débat le 18 novembre à l’Assemblée
nationale sur les stratégies de réforme de l’Etat, Jean-Paul
Delevoye a présenté de bonnes stratégies. La question est de savoir
si elles vont être suivies dans les faits. La tendance et la
motivation sont inégales selon les ministères. Le cabinet du Premier
ministre, les ministères des affaires étrangères, du commerce extérieur
et des finances ont engagé de grands efforts.
Le projet de loi de décentralisation
présente néanmoins quelques éléments très positifs, comme la réaffirmation
du rôle du préfet avec de forts pouvoirs déconcentrés, ou la
fongibilité des crédits.
Question :
Je m’interroge sur l’existence d’un pouvoir coercitif résiduel.
L’aménagement d’une plate-forme routière sur un site rural et
classé dans la région du Havre, avec le soutien du maire, a provoqué
le mécontentement des citoyens. Le projet est à ce jour bloqué. Il
semble que les maires n’aient provisoirement arrêté ce projet que
dans l’attente des élections. Je crains que la décentralisation
n’entraîne pour les citoyens le développement d’une boucle
administrative infernale.
Bertrand
PANCHER : Il faut réinventer le débat public local. Je suis
frappé de voir la vitalité de la démocratie locale et participative
en Europe du Nord. Le référendum est remis au goût du jour, et il
faut multiplier les instances de concertation et de dialogue. Les élus
locaux doivent jouer un rôle de médiateur, et doivent poser les
conditions d’acceptabilité des dossiers sur leur territoire en
relation avec les populations. La France a accumulé un retard
important en matière de démocratie participative.
Marc-Philippe DAUBRESSE : Nous
sommes en train de travailler sur une proposition de loi qui
concilierait citoyenneté et prise de décision en faisant appel à la
démocratie locale qui serait efficace pour des cas comme le vôtre.
Émile BLESSIG : Il est très
difficile de procéder à des arbitrages démocratiques entre les différents
intérêts généraux à l’échelon régional, local et national.
C’est là toute la difficulté du travail de coproduction dont nous
débattons ce matin. La faiblesse est le rapport entre démocratie
représentative et démocratie participative. Les outils de la démocratie
représentative ne sont plus suffisants pour assurer à eux seuls la
construction d’un intérêt général reconnu comme légitime.
Nous devons effectuer
un travail important de réconciliation du citoyen avec les
productions de normes d’intérêt général. Les procédés d’élaboration
de débat public doivent être améliorés. Pour l’instant, les
citoyens se sentent exclus de l’élaboration des schémas de cohérence
dont on a souligné l’importance.
Question :
La compétence sociale est dévolue au département dans un
territoire rural en partage avec les communes et les intercommunalités.
Or la compétence sociale n’est pas évoquée dans le texte sur
l’intercommunalité.
Je m’interroge, par
ailleurs, sur les rumeurs de remise en cause du centre intercommunal
d’action sociale. Cet outil, particulièrement en milieu rural,
permet d’impliquer le secteur associatif.
Bertrand
PANCHER : Vous posez ici la question centrale du partage de
la compétence entre les départements et les territoires. Dans les départements
ruraux, les communes ne peuvent pas s’engager à elles seules dans
des actions sociales. Elles doivent donc se regrouper à travers des
centres intercommunaux d’action sociale. Puis ces centres, seuls ou
regroupés, peuvent contractualiser avec les départements.
Cela implique des
initiatives législatives sur ce sujet, mais aussi des incitations à
l’échelle du département, qui peuvent être encore plus efficaces.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : Trois éléments qui figurent dans le projet de
loi de décentralisation peuvent être utiles à ce titre : la
subsidiarité est affirmée timidement. Si une structure
intercommunale demande au département le pouvoir d’exercer une compétence
sociale, ce dernier doit obligatoirement délibérer sur la question.
Les communes et les
structures intercommunales peuvent, par convention, exercer une partie
de la compétence partagée avec celui qui la détient officiellement
(ici le département).
Enfin, à propos des
centres intercommunaux d’action sociale, très peu de communes ont
les moyens de financer leurs propres CCAS (environ 3 300 sur 36 000
communes). Nous sommes face à un vide juridique, car cette compétence
est obligatoire, mais de nombreuses communes n’ont pas de ressources
à y consacrer. La loi a entériné cet état de fait. Les CCAS et les
centres intercommunaux ne sont aucunement remis en cause, mais on
n’oblige pas pour autant les communes qui ne peuvent pas le faire.
Adrien
ZELLER : Il faut souligner la nécessité absolue de doter
l’ensemble du territoire national de bureaux d’action sociale
branchés sur le tissu local, c'est-à-dire l’intercommunalité dans
le cas des petites communes. Il faudrait que cette compétence sociale
devienne obligatoire pour cette dernière.
La reconstitution
d’un lien social en liaison avec les territoires devrait être une
priorité nationale. Pour mener une action efficace, il faut sortir de
la préfecture et des bureaux du conseil général pour aller sur le
terrain.
Question :
Il existe de nombreuses compétences partagées entre la région
et le département. Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable de déterminer
des chefs de file ? Sinon, on risque de se heurter à une grande
complexité des débats, par exemple sur les stratégies de développement
en matière de tourisme.
Marc‑Philippe
DAUBRESSE : La loi est assez claire sur le sujet, mais le cas
du tourisme est particulièrement délicat et compliqué. Pour
simplifier la loi qui est, sur ce point, une usine à gaz, c’est la
région qui est responsable des stratégies de développement.
Synthèse
Émile
Blessig
L’aménagement du
territoire est passé de la construction d’équipements à une
organisation du territoire dont l’attractivité provient autant des
services que des équipements.
La construction d’un
projet autour du territoire apparaît aujourd’hui comme l’élément
le plus important. Ces projets doivent se construire en fonction des
différents intérêts généraux qui se déclinent à tous les
niveaux (local, régional et national) avec, en plus, la prise en
compte de l’échelon européen : c’est donc le résultat
d’une coproduction, que tous les intervenants ici présents
appellent de leurs vœux.
La mise en oeuvre d’un tel aménagement paraît
complexe. Le débat sur la clause de compétence est indispensable. Il
convient de différencier en la matière ce qui est souhaitable de ce
qui est possible. Le projet de loi présenté est intéressant, dans
la mesure où il va dans le bon sens, celui de la proximité avec le
citoyen et d’une prise de décision plus rapide. En revanche, en
matière de lisibilité, de clarté des responsabilités des acteurs,
de nombreuses questions restent posées. On est encore loin d’une réconciliation
du citoyen avec les mécanismes de décision. La problématique de la
démocratisation devra être abordée, de même que la question des
moyens humains et financiers, qui sera prise en charge dans un autre
texte. Enfin, de nouvelles formes de partenariat public‑privé
doivent être inventées.
table
ronde n°
2
les
enjeux financiers de la décentralisation : l’exigence de la péréquation
PRÉSIDENT
Jean FRANÇOIS-PONCET
Ancien ministre, Sénateur du Lot-et-Garonne,
Président de la Délégation du Sénat à l’aménagement
et au développement durable du territoire
INTERVENANTS
Claude BELOT
Sénateur de Charente-Maritime
Yves FRÉVILLE
Sénateur d’Ille-et-Vilaine
Gérard LARCHER
Sénateur des Yvelines, Président de la Commission des affaires économiques
et du plan du Sénat
Pierre
MÉHAIGNERIE
Ancien ministre, Député d’Ille-et-Vilaine, Président de la
Commission des finances de l’Assemblée nationale
Michel KLOPFER
Consultant en finances locales
Introduction
Jean
FRANÇOIS-PONCET
Ancien ministre, Sénateur
du Lot-et-Garonne,
Président de la Délégation du Sénat
à l’aménagement et au développement durable du territoire
Mesdames et messieurs,
la séance de cet après‑midi sera consacrée à un sujet aussi
important qu’austère, et donc de nature à décourager certains
enthousiasmes. La plupart des élus savent néanmoins que la péréquation
est un sujet central quand on parle de décentralisation. Je vais
rapidement présenter le sujet, puis passer la parole au Sénateur
Belot, qui a été le rapporteur du groupe de travail de la délégation
à l’aménagement du territoire du Sénat et de la commission des
finances.
Il existe peu de
questions qui, depuis des années, ont fait l’objet d’autant de débats,
à l’occasion desquels on a si souvent légiféré, et qui ont
finalement aussi peu avancé. Évidemment, la péréquation est un
problème qui ne se posait pas lorsque l’Etat jacobin régnait. À
travers le budget de l’Etat, on veillait à ce qu’un minimum d’égalité
soit maintenu entre les départements. Ceux-ci assumaient d’ailleurs
l’essentiel des dépenses
avec leur propre budget. C’est la décentralisation qui n’a cessé
de poser le problème de la péréquation avec une acuité croissante.
Il faut garder à
l’esprit qu’il existe trois étapes dans la décentralisation. La
décentralisation Defferre avait été assez bien gérée. La deuxième
étape correspond à ce qui a été fait depuis la décentralisation
Defferre. Elle est liée au transfert de compétences de l’Etat aux
régions sans transferts équivalents de ressources. C’est sur ce
point que porte la troisième étape, le projet de loi sur les
responsabilités locales qui est aujourd’hui examiné par les
assemblées.
Nos collectivités
territoriales ont des moyens très différents pour exercer les compétences
que l’Etat leur transfère. Pour les uns, l’exercice de ces compétences
ne pose aucun problème. Les autres, en réalité, peinent à les
utiliser pleinement. On assiste ainsi à une fracture territoriale
entre les différents départements du fait des compétences qu’on
leur transfère. Il s’agit d’une inégalité de développement :
certains départements affectent l’essentiel de leurs ressources aux
compétences obligatoires transférées. Il ne leur reste donc plus
rien à consacrer au développement économique.
Tout ceci va de pair
avec la mondialisation, la mobilité accrue des capitaux et des
cadres. Ces évolutions vont dans le sens d’une concentration de
l’activité, de l’emploi et de la richesse dans un petit nombre de
grandes agglomérations. Ces deux phénomènes de décentralisation et
de mondialisation entraînent une aggravation des inégalités. Face
à la nouvelle étape de la décentralisation, il est difficile de ne
pas aborder ce problème.
Je ne sais pas quelle
sera l’évaluation financière des compétences transférées dans
la nouvelle loi, mais le projet gouvernemental transmis au Sénat
portait sur 8,5 milliards d’euros. C’est un transfert majeur, mais
qui risque d’aggraver les inégalités comme l’a fait par exemple
l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA), qui a eu des
conséquences très différentes pour les départements. En fonction
du nombre de résidents de plus de soixante ans, certains départements
ont augmenté leur fiscalité, d’autres non. La péréquation est
donc devenue un élément incontournable.
On ne peut pas dire que
cette situation ait été ignorée. C’est pour y répondre que la
dotation de péréquation et la dotation minimale de fonctionnement
ont été créées. Mais en réalité, leur effet péréquateur est très
faible. Cette question doit donc être traitée aujourd’hui.
Le Sénat, qui se
considère à l’écoute des collectivités territoriales, s’est
penché sur ce problème. Les commissions des finances et des affaires
économiques ainsi que la Délégation à l’aménagement du
territoire ont constitué un groupe de travail commun. Ce groupe a
conduit une étude pendant plusieurs mois et rédigé un rapport que
le sénateur Belot va nous présenter. La première partie vise à évaluer
objectivement les ressources et les charges de chaque département
afin de constituer un indice synthétique pour classer les départements.
Nous nous sommes ensuite penchés sur la manière de compenser ces inégalités.
Nous sommes
aujourd’hui au pied du mur. Il existe, à l’heure actuelle, 20 à
25 départements qui sont dans l’incapacité d’assumer les charges
financières qu’induisent les transferts de compétences. Le problème
est donc devenu urgent. Lors du vote de la loi d’aménagement de
1995, le Sénat avait discuté l’adoption d’un mécanisme très
contraignant de péréquation sur le modèle allemand. Le projet a été
adopté, et ce dispositif a été repris lors du vote de la loi
Voynet. Pourtant, il est resté largement inappliqué. La péréquation
apparaît donc comme une « vache sacrée », devant
laquelle on s’incline à condition de ne jamais s’en servir. De là
découle tout l’intérêt du travail du Sénat, qui vise à la fois
à établir une grille aussi objective que possible incluant les
ressources et les dépenses des départements, mais aussi un mécanisme
de péréquation sur cinq ans. Cette proposition modérée permettrait
de soulager les départements les plus en difficulté sans demander
des sacrifices insurmontables aux autres. Il est impossible de
supprimer des dotations, mais on peut jouer sur la croissance de
celles‑ci pour réduire les inégalités. Le sénateur Belot va
maintenant vous présenter ce rapport.
La
péréquation interdépartementale : vers une nouvelle égalité
territoriale ?
Claude
BELOT
Sénateur de
Charente-Maritime
Nous avons tenté de créer
un 101ème département virtuel, pour voir combien les
départements dépensent pour chaque habitant pour les compétences
obligatoires. Nous sommes arrivés à une dépense moyenne constatée,
en euro et par habitant. Les résultats sont tout à fait surprenants.
L’échelle des dépenses
réalisées pour remplir les mêmes responsabilités est extrêmement
large. Par exemple, pour les dépenses de transport scolaire, on passe
du simple au double, selon qu’il s’agisse de la Creuse ou du
Val‑d’Oise. Le rapport des dépenses en matière de voirie
entre la Creuse et la Seine-Saint-Denis est de 1 à 200, pour l’APA,
il est de 1 à 3. L’ampleur de ces écarts est particulièrement
spectaculaire. Il existe une grande différence dans le coût de
l’exercice des responsabilités obligatoires pour les départements.
Compte tenu de l’obligation de présenter des comptes équilibrés
à la fin de l’année, chacun exerce ses compétences en fonction
des ses moyens.
Nous avons également
procédé à une évaluation des différences de recettes par
habitant. Par exemple, la répartition de la base de taxe
professionnelle est très inégale, passant de 581 dans la Creuse à 3 830
dans les Hauts-de-Seine. Les résultats ne sont pas erratiques. En réalité,
la répartition des départements est assez régulière. Si on
effectuait une courbe de Gauss, sa base serait relativement large.
Ce constat de grands écarts
de richesses n’est pas sans conséquences sur l’exercice des compétences
obligatoires et sur l’aptitude des départements à choisir
d’exercer d’autres compétences en partage avec la région.
Certains départements ne peuvent pas exercer le pouvoir
d’initiative dont ils disposent théoriquement. Si ce constat est
banal, nous avons tenté de mesurer objectivement la situation. Il
apparaît souhaitable de la corriger. Il existe aujourd’hui un écart
croissant dans l’exercice, par les départements, des compétences
par rapport à la situation antérieure où la Nation et l’Etat
centralisé prenaient en charge ces dépenses.
Nous sommes un petit
groupe de sénateurs qui avons tenté de faire évoluer cette
situation, notamment lors du vote de la loi Pasqua en 1994. Nous avons
préparé des textes audacieux, mais la péréquation horizontale que
nous avions imaginée est devenue une idée tellement difficile à
appliquer qu’elle n’avait plus beaucoup de sens. En 1998, nous
avons tenté de réintroduire cette idée dans la loi Voynet, mais la
ministre de l’environnement et Bercy ne considéraient pas cette
question comme une priorité.
Peut-être voyons-nous
se présenter une nouvelle opportunité. Avec la redistribution des
cartes qu’impliquent la décentralisation et les transferts vers les
collectivités, il y a peut-être la possibilité de corriger des inégalités
aussi flagrantes. Il ne faut cependant pas tout attendre de la décentralisation.
La loi votée n’offre qu’une faible marge de manœuvre pour
redistribuer la richesse. Un débat sur l’affirmation du principe
d’égalité nationale est inévitable. Sinon, certains départements
ne seraient pas à même d’exercer l’ensemble de leurs compétences.
Il faut bien mesurer les conséquences de ce problème.
Les élus des
collectivités locales les plus riches nous félicitent pour le
travail que nous avons accompli. Mais ils nous disent qu’ils ne
disposent d’aucune marge de manœuvre car ils ont déjà mobilisé
les moyens humains et financiers pour la réalisation de leurs
projets, et ne peuvent pas contribuer au rééquilibrage.
Il est très difficile
d’effectuer des réformes dans notre pays. La DGF et les fonds pour
la péréquation ne fonctionnent plus, c’est pourquoi il est
important de traiter ce problème. Dans le cas contraire, nous
risquerions de voir les déséquilibres s’accentuer en France. Or,
le pacte républicain implique que chaque citoyen puisse avoir droit
d’accès aux mêmes collèges et lycées. Il faudra bien trouver les
recettes pour assumer ces responsabilités dans le cadre de la décentralisation.
Jean
FRANÇOIS-PONCET : Je vais donner la parole au sénateur Yves Fréville, grand
spécialiste de fiscalité et des finances locales. À sa gauche se
trouve M. Michel Klopfer, connu de toutes les collectivités
territoriales comme le meilleur spécialiste des questions de finances
locales. M. Klopfler et le sénateur Fréville nous ont permis
d’avoir une connaissance quasi exhaustive de ce sujet, relativement
ésotérique.
Pour compléter les
propos du sénateur Belot, je tiens à souligner que notre rapport
comporte deux parties. La première, dont il a fort bien parlé,
concerne les inégalités considérables de ressources et de charges
entre les départements, que nous avons examinées avec une objectivité
totale. L’objectivité signifie ici que nous avons éliminé
l’impact des politiques pratiquées. Certains départements
appliquent leurs compétences de façon plus ou moins dispendieuse ou
économe. Pour éliminer ce facteur, nous avons établi, pour chaque dépense
obligatoire, des moyennes nationales. Par exemple, dans le domaine de
l’éducation, nous avons pris la moyenne par élève, multipliée
par le nombre d’élèves, pour obtenir des résultats comparables.
C’est une approche totalement neutre.
Le deuxième point sur
lequel je souhaitais attirer votre attention est le fait que,
instruits par l’expérience, nous nous sommes employés à développer
un mécanisme de compensation qui se heurte au minimum de résistances
des collectivités les plus riches. Nous proposons de financer les
compensations sur la durée, en prélevant les sommes sur la
croissance des dotations de l’État, et non sur le montant des
dotations actuelles, qui reste garanti pour tous. C’est un
dispositif aussi inoffensif que possible. Si on ne veut pas appliquer
ce système peu douloureux et basé sur un constat objectif, on se
refuse à toute action. Dans ce cas, il est impossible de décentraliser.
Sur cette remarque quelque peu abrupte, je passe la parole au sénateur
Fréville.
Les
limites de la péréquation
Yves
Fréville
Sénateur d’Ille-et-Vilaine
Nous sommes, en effet, au pied du mur en matière
de péréquation. La Constitution, dans son article 72 pose
clairement l’obligation de mettre en place des dispositifs de péréquation
qui favorisent l’égalité entre les collectivités territoriales.
De plus, dans la loi de finances en cours de discussion, nous avons
globalisé l’ensemble des dotations aux collectivités locales. Cet
ensemble de dotations représente une masse proche de 40 milliards
d’euros, dont environ 35 milliards que je désignerai comme des
« dotations mortes ». Ces dotations « fossilisées »
regroupent les compensations d’impôts supprimés, les dotations de
péréquation anciennes et les dotations qui dépendaient de critères
démographiques, souvent très anciens. Nous réfléchissons
aujourd’hui à ce que deviendra cette architecture d’ici juin
2004.
La contrainte globale
vient du fait qu’il faut assurer la prévisibilité des dotations
pour les collectivités territoriales. Cette impossibilité pour les
collectivités de prévoir les ressources dont elles disposeront est
un problème grave qui entrave leur capacité à planifier les
investissements publics nécessaires à leurs missions.
Si on aboutit à la
sanctuarisation des 35 milliards de dotations globalisées, on va
consolider les rentiers. Il importe de trouver des critères nouveaux
pour la péréquation. Il est généralement convenu d’égaliser le
rapport avantage/effort, en prenant le ratio entre les dépenses et
les charges d’une part et le potentiel fiscal d’autre part. Le but
est d’harmoniser, pour un service donné, le taux de pression
fiscale sur l’ensemble du territoire. C’est le principe de base
sur lequel nous nous appuyons pour construire des mécanismes de péréquation.
Une fois ce principe
rappelé, il faut se confronter à un certain nombre de sujets
controversés que je vais aborder.
Le premier problème
est le suivant : faut-il tenir compte de l’effort fiscal ?
Les dotations actuelles
en tiennent compte. Plus on imposait le citoyen, plus on recevait des
aides de l’Etat. On peut prendre l’exemple des dégrèvements
d’impôt, qui sont une forme de péréquation déguisée. Il existe
donc des régions vertueuses, qui ne bénéficient pas de ces aides,
et d’autres dépensant plus, que l’Etat aide davantage en
pourcentage. Dans un système de péréquation, faut-il continuer à
aider ceux qui ont des pressions fiscales élevées ? Je pense
qu’il faut être neutre par rapport aux politiques fiscales des différentes
collectivités locales, et que l’Etat doit intervenir sur le
potentiel fiscal. Il faudrait donc diminuer les aides accordées en
fonction de l’effort fiscal quand il dépasse certaines limites.
Le deuxième point qui
doit être éclairci est celui du potentiel fiscal. Cette idée permet
de contourner le problème de l’effort fiscal que je viens d’évoquer.
Ce potentiel est calculé en fonction des taux moyens de la fiscalité
dans l’ensemble des collectivités locales, de sorte que
celles‑ci sont mises à égalité sur le plan de l’effort
fiscal. Cette notion était une grande idée en 1979. Son sens s’est
tant délité depuis qu’on ne sait pas vraiment ce qu’il en reste,
et son évaluation est faussée à cause des dégrèvements.
De plus, de nouvelles
ressources sont apparues. Il faudrait peut-être étendre cette notion
de potentiel fiscal à des éléments tels que les droits de mutation,
dont les départements conservent aujourd’hui les deux tiers.
C’est une ressource qui a connu une croissance très inégale selon
les départements. Ne faut-il pas les prendre en compte ?
Si on introduit les
dotations « fossilisées » dans les dotations
forfaitaires, ne serait-il pas logique, en contrepartie de la garantie
donnée aux collectivités locales de recevoir ces sommes, de les voir
apparaître également dans leur potentiel fiscal ? Celui-ci
deviendrait alors un potentiel financier.
Il faut enfin considérer
le problème des charges. La première charge à retenir est celle de
la population. Or, si on observe l’évolution des dotations de
l’Etat ces dernières années, il est frappant de constater que les
évolutions de populations ont été ignorées. Pour les départements,
on a créé une dotation forfaitaire, qui est un minimum garanti par
habitant, dont les quatre cinquièmes sont basés sur un critère de
population fondé sur le recensement de 1975. Depuis, on augmente le
taux moyen de la dotation sans tenir aucun compte de l’évolution de
la population. Un département comme la Seine‑et‑Marne a,
depuis cette date, 300 000 habitants supplémentaires à charge.
Un autre exemple est
celui de la dotation forfaitaire des communes, qui tient compte du
recensement de la population de 1990 à hauteur de 80 % de la
masse totale. La commune de mon suppléant au Sénat comptait 13 000
habitants en 1999, contre 8 000 en 1990, soit une augmentation de
60 %. On lui a accordé la moitié de cette augmentation. Ce
problème est général : on ne veut pas prendre en compte la
charge la plus élémentaire qui soit, c'est-à-dire la population.
Lors d’une réunion récente du groupe de travail du comité des
finances locales sur la péréquation, nous avons demandé au ministre
de l’intérieur une simulation pour déterminer l’impact d’une
rectification des dotations globales en fonction des évolutions de la
population.
Un autre sujet de
controverse est celui de la prise en compte de la taille des communes
dans la répartition des dotations. La question posée implicitement
est celle de la répartition en fonction de la population en tenant
compte des charges différentes qui peuvent exister entre les agglomérations
urbaines et les communes de base. Il est peut-être souhaitable de
consolider l’ancien système avant de se lancer dans une réforme
sur laquelle il y a assez peu d’études. On sera peut-être amené
à conserver un écart de 1 à 2, mais le pire serait de ne pas
aborder ce sujet, ou de le traiter sans le soumettre au Parlement.
J’ai effectué une étude sur les dégrèvements de la taxe
d’habitation, qui montrait que le système bénéficiait
essentiellement aux grandes villes, qui imposent plus, mais dont l’État
dégrève mieux les contribuables. On peut décider d’aider les
grandes communes urbaines, mais en démocratie, ce type de choix doit
être expliqué.
Pour les autres
charges, j’approuve la méthode adoptée par la Délégation du Sénat.
Nous avons besoin d’indicateurs objectifs pour situer les départements
les uns par rapports aux autres. C’est dans ce sens qu’il faut
travailler. Le Sénat a su faire preuve d’imagination pour les départements,
mais ce travail reste à faire pour les communes.
Jean
FRANCOIS-PONCET : Monsieur le sénateur, je vous remercie.
Vous approuvez la méthode que nous avons mise en œuvre et vous
mettez l’accent sur un certain nombre d’aspects qui n’ont pas été
suffisamment développés dans notre étude, mais il n’y a pas dans
vos propos d’objection de principe. Elle est bien sûr perfectible
et des améliorations peuvent y être apportées. Ceci donne aux
propositions que nous faisons une force qu’il est difficile
d’ignorer.
M. Klopfer,
comment réagissez‑vous à ce que vous avez entendu ?
Les
difficultés fiscales d’une réforme de la péréquation
Michel
Klopfer
Consultant en finances locales
La péréquation est un
sujet d’étude permanent. L’apparition d’une fenêtre pour réformer
la péréquation a été évoquée. Or, nous n’échapperons pas au débat
et à la formulation d’une solution sur la DGF en 2004. La loi de
finances pour 1999 avait prévu que la suppression progressive de la
part salariale de la taxe professionnelle ferait l’objet d’une
compensation qui monterait en puissance entre 1998 et 2003, avant d’être
intégrée à la DGF. Une fois cette opération accomplie, que
faisons-nous ? Il faut trouver des formes de calcul pour prendre
en compte l’évolution de ce facteur, qui pose d’énormes
difficultés. Ce phénomène concerne l’ensemble des politiques
locales. Quand on traite un sujet d’une telle importance, il faut le
faire pour tous les types de collectivités. Les régions possèdent désormais
elles aussi une DGF.
Nous sommes en présence
d’un cercle vicieux. La suppression de la « base salaire »
a été intégrée dans le potentiel fiscal, avec des inconvénients
rappelés par le sénateur Fréville pour la définition de ce
potentiel. On arrive à un système incohérent où un élément de la
DGF dépend du potentiel fiscal, lui-même déterminé en fonction de
la DGF.
Le printemps 2004, au
cours duquel la loi sur la DGF sera présentée, sera donc le moment
idéal pour traiter le sujet de la péréquation en profondeur.
J’évoquerai deux
points concernant les données à partir desquelles on peut travailler
sur la péréquation.
On peut tenter de
relativiser la péréquation par rapport à l’autonomie financière
et fiscale. Certaines collectivités locales demandent plus de péréquation,
mais toutes demandent plus d’autonomie. L’Etat pourrait être
d’autant plus tenté d’accorder cette autonomie qu’il s’agit
d’un moyen pour lui de verser moins d’argent. On a évoqué la
solution qui, plutôt que de revenir sur la réforme des bases
cadastrales des années 70, consiste à donner la possibilité aux
communes de fixer elles-mêmes ces bases avec l’accord des services
fiscaux. Dans le cadre d’une certaine transparence, on peut imaginer
ce type d’autonomie. En revanche, on sort du cadre de la péréquation.
À partir du moment où l’on donne des marges de manœuvre fiscales
aux collectivités, on va à l’encontre de la politique de péréquation.
Les droits de mutation
qui servaient à couvrir les dépenses sociales des départements en
1984 représentaient environ l’équivalent du coût de la dépense
sociale confiée aux départements. À cette époque, les départements
n’avaient pas les moyens humains quantitatifs et qualitatifs d’évaluer
ce qu’on leur mettait entre les mains. Lors du transfert des droits
de mutation, les ressources des collectivités ont été fortement
affectées. La crise immobilière du début des années 1990 a par
exemple entraîné pour les Alpes-Maritimes une perte de fiscalité de
10 %.
Il convient de
s’interroger sur l’arbitrage nécessaire entre autonomie et péréquation.
Si on tentait de mener ces deux idées de front, comment
pourrait‑on y parvenir ?
Il existe trois types
de péréquation :
- une
péréquation verticale, qui existe aujourd’hui, par l’intermédiaire
de l’Etat ;
- une péréquation
horizontale, dont on parle peu, car souvent mal vécue, qui n’a que
quelques modestes modèles comme le fond de solidarité de la région
Ile‑de‑France ;
- une péréquation
transversale, qui viserait à reproduire ce qui existe dans les
communautés à taxe professionnelle unique, pour lesquelles la
dotation de solidarité communautaire est bien transversale, puisque
c’est un système qui donne lieu à cooptation et négociation, mais
nécessite une forte autonomie.
On ne pourra pas
effectuer de péréquation horizontale ou transversale à partir de la
TIPP départementale, qui n’aura aucune base locale. Certains départements,
comme les départements frontaliers, pourront se réjouir d’y échapper.
Pour le reste, il faudra compter avec une DGF qui progressera moins
vite (sur les huit dernières années, elle a progressé trois fois
moins vite que la TIPP). Voilà les contraintes qu’il faudra mesurer
dans l’examen de la relation entre péréquation et autonomie. Je me
garderai bien de donner un avis sur ces arbitrages.
Enfin, je souhaiterais
aborder un dernier point. Comment combiner la péréquation avec
l’inertie des dotations actuelles ? On peut faire table rase du
système existant, telles que les normes de dotations qui remontent au
recensement de 1975, par exemple. Mais qu’arrive-t-il quand on
bouleverse les données de façon très importante ? Ceux qui y
perdent vont demander des compensations et des garanties. Si on
observe les travaux parlementaires, on constate que ceux qui demandent
des garanties font adopter des amendements. Ce qui s’est passé lors
de ces derniers mois à propos de l’augmentation des garanties données
aux établissements de coopération intercommunale en matière de DGF
en est la preuve.
Plus la péréquation
sera définie et approfondie, plus il y aura de mécanismes de rappel
qui généreront une résistance par le jeu des demandes de garanties
et atténueront ses effets. Cet aspect-là devrait être pris en
compte dès le début de l’examen de la loi. L’expérience montre
que lors des précédents travaux de ce type, un certain nombre
d’amendements votés lors des deux ou trois années suivantes
nuisaient à l’effet initialement recherché. Il faudrait donc
penser à intégrer les garanties à la loi, afin d’éviter toute
mauvaise surprise.
Jean
FRANÇOIS-PONCET : Monsieur Klopfer, je vous remercie. En écoutant cette
intervention, chacun aura bien mesuré que si le problème est devenu
aujourd’hui incontournable, sa mise en œuvre est très complexe. Il
faut évidemment prendre en compte tous les paramètres de façon afin
que ceux qui ne veulent pas de la péréquation ne trouvent pas dans
telle ou telle imperfection du système un alibi pour l’écarter.
Nous poursuivrons notre travail au Sénat en l’enrichissant des différentes
remarques qui nous serons faites afin d’établir un système
durable.
Je salue l’arrivée
de Gérard Larcher, grand spécialiste de la question et élu de la région
parisienne. Il a en effet le mérite de ne pas parler au nom de
territoires qui attendent de la péréquation un complément de
ressources vitales, ce qui ne fait qu’ajouter à la valeur de son
propos.
La
péréquation dans le cadre de la notion française de service public
ET d’aménagement du territoire
Gérard
Larcher
Sénateur des Yvelines, Président de la
commission des affaires économiques du Sénat
Monsieur le président,
merci de m’accueillir.
Un modèle de service public en réseau
s’est progressivement imposé en France. Son principe fondateur est
l’égalité de traitement et d’accessibilité à l’ensemble des
citoyens. Le maillage postal de l’ensemble du territoire, puis sa
desserte ferroviaire l’ont incarné. Ce modèle appliquait une péréquation
financière au sein de chaque réseau afin qu’il puisse être présent
sur chaque partie du territoire. Ce maillage comprenait les régions
dont l’isolement ou l’enclavement géographique ne permettait pas
une couverture suffisante des coûts.
Cette péréquation
financière a pris une forme essentiellement tarifaire. Il
s’agissait de garantir le même prix pour le même service en tout
point du territoire, quels que soient les coûts de production. La péréquation
tarifaire des services en réseau est un corollaire de la notion d’égalité
devant le service public. Il existe donc un lien très fort non
seulement entre les notions de péréquation et aménagement du
territoire, mais aussi avec celle de citoyenneté.
Ce modèle est à
l’origine du prix unique du timbre en France ou de la tarification
de la SNCF, de l’abonnement à la téléphonie fixe, ou du barème
de la facture électrique et gazière. Expression de la solidarité et
de la cohésion à l’échelle nationale, la péréquation implique
des transferts de charge géographiques. Par exemple, les recettes de
lignes à grand trafic permettent de doter des lignes déficitaires.
Cependant, ce principe
connu depuis plus d’un siècle évolue. L’assouplissement de la péréquation
peut être mis en œuvre grâce au progrès technique. Des logiciels
performants permettent désormais, par exemple, de calculer précisément
les coûts horaires des consommations de téléphone. De plus, il est
apparu que l’assouplissement de la péréquation des tarifs pouvait
servir l’objectif d’efficience économique, en favorisant une répartition
temporelle plus harmonieuse des prestations. Ainsi, des modulations
tarifaires en fonction des plages horaires sont apparues depuis
longtemps dans le domaine des communications téléphoniques, et plus
récemment pour l’électricité. De même, les tarifs des TGV sont
majorés pendant les périodes de trafic intense. Traduisant le jeu de
l’offre et de la demande, ces modulations tarifaires ont permis
d’orienter la consommation : nous avons donc bien déjà dérogé
au principe de péréquation absolue.
Il faut, en outre,
prendre en compte l’ouverture à la concurrence. Dans un premier
temps, elle incite les opérateurs à réduire les écarts entre
tarifs et coûts de leurs secteurs les plus exposés, et à relever
les prix sur les secteurs non concurrencés. Ce comportement interdit
les transferts de charges et peut, à terme, conduire à la fermeture
du réseau dans ces zones non rentables. Ceci entraîne de lourdes
conséquences pour l’aménagement du territoire, en accélérant le
dépeuplement de certains territoires. Péréquation et concurrence
semblent donc incompatibles.
Il est impératif de
trouver des solutions pour garantir à nos citoyens l’accès au
service public à des conditions tarifaires acceptables. D’autres
formes de péréquation doivent être imaginées. Si la péréquation
absolue est impossible, il faut définir pour chaque réseau le
service garanti auquel chacun peut avoir accès pour un prix
raisonnable, les éventuels écarts faisant l’objet de compensation
par l’Etat ou les collectivités locales. D’autres systèmes
peuvent être envisagés. Par exemple, en matière d’électricité,
une taxe proportionnelle à la consommation d’énergie en
kilowatt/heure est appliquée pour prendre en charge le surcoût lié
à la production d’électricité dans les territoires insulaires.
Toute la difficulté
est de déterminer les prestations relevant de ce service garanti et
justifiant cette compensation. À cet égard, force est de reconnaître
que le maintien à tout prix de la péréquation peut générer des
effets pervers. Ainsi le maintien de tarifs de l’électricité
artificiellement bas dans certaines régions isolées peut décourager
le développement d’énergies renouvelables pour des territoires qui
possèdent des atouts dans ce domaine. En outre, il est nécessaire
que les populations acceptent de supporter certaines contraintes en
contrepartie de leur connexion au réseau, comme l’installation
d’infrastructures sur leur territoire.
Il convient, par
ailleurs de considérer la possibilité de faire évoluer la forme des
services en réseaux, lorsque la fermeture de structures peu fréquentées
devient inévitable. Ainsi, assurer l’accès au service postal ne
signifie pas le maintien d’un bureau de poste dans chaque village,
et peut passer par l’implication d’autres acteurs locaux. Il ne
faut pas confondre le maintien d’un service et celui de ses formes
de délivrance.
Enfin, rappelons que la
péréquation des services publics peut être réalisée à d’autres
échelles que le territoire national. Les cas de la gestion de l’eau
ou des transports urbains en sont des exemples. L’attention portée
par les associations de consommateurs permet de limiter les dérapages
des prix observés. Il n’en demeure pas moins que l’organisation
de services en réseaux au niveau régional ou local ouvre de
nouvelles possibilités de péréquation, qui permettent de prendre en
compte de nouveaux critères, comme celui des ressources des usagers.
Les services publics en
réseaux, de par leur vocation à l’égalité sur l’ensemble du
territoire national, continueront à donner lieu à une certaine péréquation.
Mais celle-ci devra s’adapter aux nouvelles exigences que sont la
concurrence et la nécessité de l’efficacité. La péréquation
doit être modernisée pour accompagner les évolutions de notre société.
Jean
FRANÇOIS-PONCET : Je remercie le sénateur Larcher d’avoir abordé la
question du service public, qui ne figure pas dans l’enquête du Sénat,
puisque celle-ci s’est concentrée sur la péréquation interdépartementale.
La question du service public est néanmoins essentielle. Le sénateur
Larcher nous annonce que la péréquation traditionnelle est en train
de céder sous le poids de l’exigence de compétitivité qui résulte
de l’ouverture des frontières, comme dans le cas de la poste. Cette
compétitivité passera par la fermeture d’un certain nombre d’établissements
et sera sans aucun doute très difficile à faire accepter.
Nous avons délibérément
écarté ces problèmes dans le cadre du groupe de travail sur la péréquation
car la tâche initiale que nous nous sommes assignée est déjà
suffisamment complexe. Mais la transparence des explications du sénateur
Larcher indique bien que nous serons amenés à aborder ce problème,
dont la gestion sera extrêmement délicate. Je donne maintenant la
parole à Pierre Méhaignerie, président de la commission des
finances de l’Assemblée nationale.
Trois
leviers pour la réforme de la péréquation
Pierre
MÉHAIGNERIE
Ancien ministre, Député
d’Ille-et-Vilaine, Président de la Commission des finances de
l’Assemblée nationale
Trois échéances prochaines se présentent
comme des opportunités peuvant être saisies pour réformer la péréquation :
la loi de décentralisation, la loi sur le développement des
territoires ruraux et le débat sur la désindustrialisation. Je suis
en effet convaincu que la France est très en retard en matière de péréquation
par rapport à ses voisins européens. Je mesure les pesanteurs
politiques et les rapports de force engagés, mais en tant que président
de la commission des finances, je souhaite vivement que l’on réforme
le système actuel. Il est certainement impossible de trouver les
moyens de financer ce changement à travers le budget de l’Etat,
dont les marges de manœuvre pour les cinq prochaines années seront
très faibles. Il faut donc chercher les possibilités de péréquation
entre collectivités locales.
La DGF ne permet
qu’un faible niveau de péréquation. Il existe des collectivités
locales qui ont à la fois un potentiel fiscal et un revenu par
habitant supérieurs à la moyenne nationale, et qui bénéficient de
dégrèvements importants. C’est avec les fonds qui correspondent à
ces dégrèvements qu’on peut réaliser la péréquation. Nous
sommes assez nombreux pour orienter dans ce sens la loi de finances,
qui constitue donc le premier levier.
Le deuxième levier est
celui de la loi sur le développement des territoires ruraux, qui est
pour l’instant assez vide, mais qui comprend quatre outils
permettant de donner plus de consistance à ce texte :
- la
péréquation ;
- les grandes
infrastructures, qui jouent un rôle vital pour l’aménagement du
territoire ;
- la nouvelle
conception du service public ;
- la
simplification d’une législation qui neutralise les capacités
d’initiative.
A propos du service
public, on ne peut pas demander aux administrations de maintenir intégralement
leur réseau. De même, pour les hôpitaux, les contraintes des gardes
sont telles qu’il faut inventer un nouveau service public. Le salut
des hôpitaux périphériques passe, par exemple, par des contrats
avec les CHU dans un rayon de 80 kilomètres.
Le troisième levier
poussant à une réforme est l’inquiétude autour de la désindustrialisation.
Nous avons subi en quarante ans l’exode agricole, alors que les
emplois dans le secteur des services ont été créés dans les métropoles.
Ainsi, compte tenu de la diminution de la population agricole pendant
quarante ans (4 % de la population active) et du redéploiement
mondial des emplois industriels, on peut se demander quel est
l’avenir des zones rurales. Il est donc capital de mettre en œuvre
une stratégie pour attirer les services en milieu rural.
Les trois voies
possibles sont donc la décentralisation pour réformer la péréquation,
la loi rurale pour lui donner une consistance, et le débat sur les
problèmes posés par la désindustrialisation. Ces éléments
devraient nous permettre de progresser.
dÉbat
Jean
FRANÇOIS‑PONCET : Je salue l’arrivée de M. Patrick
Devedjian, qui est le ministre compétent en matière de péréquation.
Avant de lui donner la parole, nous allons prendre des questions.
Question :
La loi de finances votée par le Parlement devrait introduire la
notion de performance et responsabiliser les gestionnaires. La péréquation
prend-elle en compte la notion de performance ? Comment les
besoins des collectivités sont-il identifiés ?
Les demandes de crédits
doivent s’accompagner obligatoirement d’un projet et d’objectifs
à atteindre, qui éclairent les choix du Parlement. Qui effectue ce
choix, et sur quels critères ?
Enfin, dans le cadre de
la responsabilisation des gestionnaires, la fongibilité des
ressources et des emplois sont-elles prises en compte dans la péréquation ?
Question :
Les deux constats principaux qu’on peut tirer sont le très fort
besoin de péréquation et, en même temps, l’impossibilité d’évoluer.
Je me demande si les contraintes techniques ne proviennent pas de
contraintes politiques. On rappelle constamment qu’il ne faut pas réduire
l’autonomie fiscale des collectivités locales, et qu’il ne faut
pas augmenter les transferts de charges entre collectivités locales
ou entre habitants. Or, ceux qui font la loi sont bien souvent des élus
locaux. J’imagine avec difficulté les élus des communes riches
accepter de réduire leurs dotations ou leurs ressources, même au
service de l’intérêt général. Or, si l’État, comme il a été
dit, n’a pas les moyens d’assurer la redistribution, le rééquilibrage
dépend uniquement de la bonne volonté des collectivités les plus
riches. Le risque d’un blocage de la situation est considérable.
Question :
Monsieur Klopfer a abordé le problème des taxes locales. Parmi
celles-ci, la taxe foncière et sa base de calcul apparaissent
aujourd’hui bien obsolètes. Par exemple, dans une commune donnée,
pour un logement équivalent, la taxe d’habitation peut passer de 1
à 10 selon qu’il s’agit d’un bâtiment ancien ou récent. La décentralisation
n’est‑elle pas une occasion de réviser ce système ?
Jean
FRANÇOIS-PONCET :
Vous avez raison de parler de performance et de besoin, mais ce
n’est pas l’optique dans laquelle nous avons réalisé
notre étude sur la péréquation. Nous avons justement écarté
l’impact des différentes politiques pratiquées pour arriver à une
appréciation objective. Nous avons pris les moyennes nationales, qui
neutralisent l’impact des politiques locales. Étudier les différentes
performances des départements serait une démarche très complexe, et
constituerait un jugement en opportunité qui ouvrirait un débat sans
fin.
Je comprends bien vos
inquiétudes sur la contrainte politique. J’espère que le ministre
va nous annoncer des progrès dans ce domaine. Vous avez raison de
supposer que les collectivités les plus riches ne sont pas particulièrement
enclines à faire des concessions. C’est la raison pour laquelle,
connaissant ces résistances, nous sommes partis de l’idée que la péréquation
proposée par le Sénat ne diminue pas les dotations actuellement versées
par l’Etat à tous les départements. Le niveau actuel des dotations
est garanti, et le prélèvement s’opère sur une partie la
croissance. Ainsi, le rééquilibrage ne concerne pas des dotations
pour lesquelles les dépenses locales ont déjà été engagées. Si
ce système très raisonnable n’est pas accepté, votre pessimisme
sera confirmé.
La taxe d’habitation
repose, en effet, sur des bases complètement obsolètes. Ce fait est
connu de tous, et un réexamen a été planifié à plusieurs
reprises, mais a toujours été repoussé. Dans ce domaine également,
je recommande une approche progressive, car les chantiers sont
nombreux (service public, réévaluation des différentes taxes).
Monsieur le ministre,
je vous donne la parole.
Je tiens d’abord à souligner que
l’Ile‑de‑France n’est pas un îlot de prospérité et de
privilèges uniforme. La commune d’Anthony, dont je suis élu, a reçu
par le passé la DSU, bien que sa situation se soit améliorée. Le développement
de cette ville a été appauvri par le centralisme jacobin. L’Etat a dépensé
des milliards pour développer le quartier de La Défense, et la DATAR
interdisait parallèlement le développement d’activités économiques
dans d’autres parties de la région. Un de mes prédécesseurs avait
tenté de créer une zone semblable, mais n’avait eu le droit
d’installer que des entrepôts. L’aménagement du territoire a trop
souvent été l’outil du centralisme jacobin et le concepteur des inégalités.
Si on observe le débat actuel sur les TOS, on constate que ceux-ci étaient,
jusqu’à présent, répartis de façon assez fantaisiste. De plus, les
départements constatent qu’il manque du personnel et que l’Etat
n’a pas fait son devoir.
L’aménagement du
territoire s’est souvent illustré par une « logique de fiefs » :
l’installation par Yves Guéna, à Périgueux, de l’imprimerie des
timbres-poste, la création par Valéry Giscard d’Estaing à
Clermont-Ferrand de l’imprimerie des billets de banque. Il s’agit de
délocalisation et d’un aménagement du territoire monarchiques.
D’ailleurs, le cumul des mandats est le palliatif apporté par les
Français au centralisme. La promotion au rang national (ministre)
d’un élu local est le meilleur moyen de permettre à un territoire de
se développer.
Nous avons prévu dans la
loi sur les responsabilité locale un dispositif d’évaluation de la
performance, qui a malheureusement été supprimé par le Sénat. Nous
espérons que l’Assemblée nationale le rétablira.
J’approuve
l’essentiel des conclusions du rapport sénatorial sur la péréquation
interdépartementale.
D’une manière générale,
la DGF sera scindée en deux : une DGF de base qui évoluera
faiblement, et une DGF de péréquation, qui par agrégation est portée
de 19 à 36 milliards d’euros. Celle-ci, par sa croissance naturelle,
dégagera les marges qui permettront de rééquilibrer les inégalités.
L’Etat distribue cette
année 59,4 milliards d’euros, c'est-à-dire 20 % de son budget.
On peut, tout de même, effectuer avec cette somme un certain rééquilibrage,
bien que nous connaissions actuellement une forte inégalité de péréquation.
Par exemple, la DGF par habitant en 2003 pour les communautés urbaines
s’élève à 80,6 euros. Pour les communautés de communes à fiscalité
additionnelle, elle s’élève à 18,2 euros par habitant. Or la DGF ne
correspond pas à une compensation d’une différence entre potentiels
fiscaux. Elle aggrave au contraire les inégalités. La péréquation
actuelle est une fausse péréquation, qui ne reflète pas les inégalités
de développement.
Enfin, la taxe
d’habitation est un bon impôt, mais qui a dégénéré faute de
courage politique. Cette disparité entre le neuf et l’ancien nécessiterait,
en effet, des corrections de grande ampleur. C’est aussi parfois un
frein à la rénovation des logements anciens.
Il convient de la réformer,
et non de la supprimer pour la remplacer par une nouvelle taxe, car il
est toujours très difficile de créer un nouvel impôt de cette
importance. On pourrait peut-être actualiser la base cadastrale au
moment de la mutation. Ainsi, le nouveau propriétaire ne s’en
rendrait pas compte, n’ayant pas connu le précédent montant de
l’impôt.
Pour 20 à 25 départements,
une nouvelle étape de la décentralisation est impensable sans une réelle
péréquation. Nous attendons donc le projet de loi gouvernemental sur
ce sujet. Le Sénat vous remettra avant ce projet une étude sur les régions
analogue à celle que nous avons réalisée sur les départements. Au
regard des déceptions que nous avons connues par le passé, nous préférons
progresser pas à pas. Il me semble que nous avons maintenant les pistes
nécessaires pour avancer sans susciter de tollé de la part des départements.
Mesdames, Messieurs, je
vous remercie.
Je remercie mon collègue
Émile Blessig à l’initiative duquel cette journée s’est tenue et
qui a admirablement présidé les débats de ce matin.
Nous souhaitons tenir un
colloque de ce type annuellement, alternativement à l’Assemblée
nationale et au Sénat, afin de faire le point sur les progrès
accomplis.