DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 14

Réunion du mercredi 30 octobre 2002 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le Conseil européen de Bruxelles

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui que sept députés membres de la Délégation aient assisté, sur son invitation, à la dernière réunion de la Convention sur l'avenir de l'Europe et a indiqué que cette expérience sera renouvelée. Il a remercié Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, d'avoir accepté d'être auditionnée par la Délégation juste après le Conseil européen de Bruxelles.

Mme Noëlle Lenoir a affirmé que le Conseil européen s'était bien déroulé et que la voie de l'élargissement à dix nouveaux Etats membres était désormais tracée. Il subsiste néanmoins quelques problèmes à régler, notamment en ce qui concerne le discours à tenir à l'égard des trois pays qui n'ont pas été retenus par la Commission européenne. Elle a précisé qu'elle aborderait trois thèmes au cours de son intervention : l'élargissement ; le futur voisinage avec la Russie, en particulier la question de Kaliningrad ; la Convention sur l'avenir de l'Europe, notamment les négociations en cours en vue de positions communes avec l'Allemagne.

S'agissant de l'élargissement, elle a noté que ce serait l'évolution la plus importante pour l'Europe depuis le traité de Rome, en raison de la croissance démographique qu'il implique et de l'extension géographique aux pays d'Europe centrale et orientale. La Commission européenne a publié, le 9 octobre dernier, ses rapports de progrès, qui ont qualifié dix pays. Le Conseil européen a approuvé cette proposition, mais il convient de noter que le Gouvernement néerlandais, démissionnaire en raison précisément de désaccords de la coalition le composant sur l'élargissement, a fait part de nombreuses réticences. Ces dernières ont infléchi la position du Conseil sur la politique agricole commune et sur les conditions de l'élargissement.

Elle a souligné qu'un problème n'avait pas été réglé par le Conseil, celui de la situation de Chypre. Le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a été chargé d'une mission par l'Europe, mais il n'a pas encore rendu son rapport. Par ailleurs, un rapprochement entre la Grèce et la Turquie a pu être constaté ces derniers temps, sous l'impulsion du ministre grec des affaires étrangères, M. Georges Papandréou, mais on peut constater un durcissement de la position turque, qui s'explique à la fois par la proximité des élections législatives dans ce pays, le 3 novembre prochain, et par la volonté de faire pression sur le futur sommet de Copenhague, afin d'obtenir des assurances sur une adhésion future. Le Conseil européen a approuvé la future adhésion de Chypre, sans faire de la réunification un préalable. Cependant les Européens refusent la partition de l'île. Elle a précisé qu'elle avait rencontré, le 29 octobre, le ministre chypriote des affaires étrangères.

La ministre a évoqué la question de l'élargissement aux trois pays qui n'ont pas été retenus par la Commission européenne, à savoir la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie. S'agissant des deux premiers, pour lesquels les négociations d'adhésion ont déjà été ouvertes, les rapports de progrès de la Commission européenne portent des appréciations encourageantes et soulignent les progrès intervenus. En conséquence, la Commission propose des feuilles de route révisées et des aides de pré-adhésion supplémentaires. Ces deux Etats ne se satisfont pas de ces mesures et demandent la fixation d'une date précise pour leur adhésion. Le Conseil européen de Copenhague devrait répondre positivement à cette revendication et, sauf accident de parcours, fixer cette date à 2007.

En ce qui concerne la Turquie, le Conseil européen s'est félicité des mesures prises récemment par ce pays pour satisfaire aux critères politiques dits de Copenhague. En d'autres termes, l'état de droit doit être amélioré, même si la loi du 3 août 2002 d'harmonisation européenne a permis d'enregistrer une évolution très favorable : abolition de la peine de mort, reconnaissance de la liberté d'opinion et de l'existence de la minorité kurde. En outre, si les deux partis modérés, l'un islamique et l'autre laïc, remportent les élections du 3 novembre prochain, on peut supposer que le Conseil européen de Copenhague tiendra un discours encourageant à l'égard de la Turquie. Trois formules sont envisageables : une solution minimale consistant à lui accorder des crédits supplémentaires ; une solution maximale visant à fixer une date précise pour l'ouverture des négociations d'adhésion ; une formule de compromis fixant un rendez-vous, dans un ou deux ans, pour réexaminer la question d'une date d'ouverture des négociations d'adhésion.

La ministre a ensuite évoqué les débats sur les conditions et le suivi de l'adhésion. Depuis longtemps, la France se déclare favorable à un contrôle de l'acquis communautaire dans les pays candidats, en particulier en matière de sécurité alimentaire et vétérinaire, d'une part, et de lutte contre la criminalité, d'autre part. Cette demande a été entendue et la Commission européenne devrait déposer, mi 2003, un rapport concernant ce que l'on qualifie de « monitorage ». Par ailleurs, deux clauses de sauvegarde spécifiques, s'ajoutant à la clause de sauvegarde traditionnelle en cas de difficulté sérieuse dans un secteur économique, ont été prévues pour les dix nouveaux adhérents. La première s'appliquerait en cas de dysfonctionnements du marché intérieur, la seconde touche au domaine de la justice et des affaires intérieures et l'une de ses modalités de mise en œuvre pourrait être, par exemple, la suspension de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice au cas où les juridictions de ces pays feraient preuve de carences graves.

Les clauses de sauvegarde après l'adhésion, qui avaient été initialement prévues pour une durée de deux ans par la Commission, ont été portées à trois ans à la demande des Pays-Bas. Cette décision traduit la ferme volonté d'exercer un contrôle vigilant du respect de l'acquis communautaire, qui sera nécessairement progressif.

Le quatrième point du Conseil de Bruxelles concerne le financement de l'élargissement. Il a donné lieu à un accord franco-allemand sur les aides agricoles - directes notamment - auquel se sont ralliés les autres partenaires de l'Union. Le contexte était marqué par l'opposition des pays contributeurs nets (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suède) à la perpétuation de la PAC et à l'extension du bénéfice des aides agricoles aux nouveaux Etats membres, sous la forme du « phasing in » (attribution de 25 % des aides dès l'adhésion, auxquels s'ajoutent 5 % par an jusqu'en 2007, puis 10 % par an de 2007 à 2013, pour aboutir à la fin de cette année à 100 %). L'Allemagne, en particulier, à laquelle la PAC pose des problèmes de financement, demandait que le « phasing in » se fasse sous réserve d'une forte dégressivité des aides. Les discussions ont conduit à approuver le « phasing in », en raison de l'importance des aides agricoles pour certains nouveaux Etats membres, tels que la Pologne - où le secteur primaire représente 38 % de la population active. Il a été décidé, en deuxième lieu, qu'aucune réforme de la PAC n'interviendrait avant 2006 et que la révision à mi-parcours de celle-ci ne pourrait remettre en cause le montant ou le contenu des aides. Troisièmement, il a été convenu, notamment à la demande de la France, que les dépenses agricoles seraient stabilisées pour la période 2007-2013 : elles seront soumises à un plafonnement calculé en fonction des sommes prévues pour l'année 2006 et d'une projection d'augmentation de 1 % par an entre 2006 et 2013. La France avait demandé 2 %, l'Allemagne avait accepté 1,5 %, mais, devant l'opposition des Pays-Bas, le Conseil s'est accordé sur un taux de 1 %. En valeur absolue, les dépenses agricoles passeront donc de 45,3 milliards d'euros en 2006 à 48,6 milliards en 2013.

Enfin, la France a demandé que la maîtrise des dépenses communautaires soit globale, en d'autres termes qu'elle ne porte pas seulement sur la PAC, alors que celle-ci a fait de l'agriculture européenne l'une des plus performantes du monde, et ce, pour un coût budgétaire et social très faible, par comparaison avec certains secteurs industriels tels que le charbon ou la sidérurgie. Cela signifie que cette maîtrise doit aussi prendre en compte le « chèque » britannique et les fonds structurels dont profite principalement l'Espagne. Par ailleurs, plusieurs Etats, en particulier l'Allemagne, ont insisté sur la coordination des positions de l'Union dans le cadre du processus des discussions commerciales multilatérales de Doha et sur la nécessité que l'Union fasse front commun pour conserver la « boîte bleue ».

S'agissant de Kaliningrad et des relations avec la Russie, la ministre a indiqué qu'il s'agissait à la fois d'un problème de transport et d'un problème politique. La question est de savoir comment respecter la convention de Schengen (notamment sur le contrôle aux frontières et la délivrance de visas pour les ressortissants des Etats tiers) tout en conservant de bonnes relations avec la Russie. Il est prévu, à cet égard, dans la perspective de la réunion entre l'Union et la Russie du 11 novembre prochain : la mise en place dès le 1er janvier 2003 d'un régime souple de contrôle aux frontières ; la possibilité, à partir du 1er juillet 2003, pour les habitants de Kaliningrad souhaitant se rendre dans l'autre partie de la Russie, de leur délivrer un « document de transit facilité » à entrées multiples ; une étude de faisabilité sur l'exemption de visa pour les trains sans arrêt - pour répondre au souci de la Russie qu'il n'y ait pas de document pour les déplacements réguliers - et l'ouverture de discussions pour envisager à terme un régime de circulation sans visa. Le Conseil a tenu, à ce sujet, à rassurer la Lituanie pour sa future adhésion à la convention de Schengen, sachant que cette adhésion ne pourra se faire que progressivement pour l'ensemble des nouveaux Etats membres.

Concernant la Convention, la ministre a souligné combien la France s'était montrée active, qu'il s'agisse notamment de l'idée de Constitution européenne, de l'intégration de la charte des droits fondamentaux à ce texte, d'un président du Conseil élu pour une durée plus longue ou de l'institution d'un ministre en charge, à ses côtés, de la politique étrangère. Elle a insisté sur l'ampleur du travail accompli, la multitude des contributions et l'intérêt des propositions avancées par le Président Giscard d'Estaing. Elle a indiqué que la France ne proposerait pas un projet français, mais plusieurs schémas institutionnels possibles.

Après avoir remercié la ministre pour les précisions qu'elle a apportées sur les résultats du Conseil européen de Bruxelles, le Président Pierre Lequiller s'est déclaré surpris de certains commentaires de la presse, prétendant que la France n'avait pas de position claire à la Convention. Il a souligné que l'Allemagne avait évolué sur l'idée d'un Président de l'Europe, ainsi que le Royaume-Uni sur le principe d'une Constitution européenne. Il a remarqué que les principales positions discutées lors de la Convention émanaient de la France. Il est plus efficace de lancer des idées sans adopter de position trop figée, afin de favoriser la recherche d'un compromis.

Il a interrogé la ministre sur les négociations avec la Turquie. Afin d'inciter la Turquie à progresser sur le problème chypriote, il s'est demandé si l'Europe avait intérêt à annoncer une date d'ouverture de ces négociations d'adhésion. Il a souhaité qu'un accord avec la Turquie sur Chypre soit conclu avant la ratification du traité d'adhésion de Chypre à l'Union européenne.

Il a estimé que la voix de la France avait été particulièrement forte depuis quelques mois sur la scène internationale, mentionnant les déclarations du Président de la République sur la politique agricole commune et la correction britannique, la position du Gouvernement sur l'Irak, ou l'influence de la France sur les travaux de la Convention.

Il a évoqué le refroidissement des relations franco-britanniques, qui porte sur trois sujets : la correction britannique sur les ressources propres du budget communautaire, l'Irak, et la situation en Macédoine, où les forces de l'Union européenne doivent se substituer le 15 décembre aux forces de l'OTAN.

M. Bernard Deflesselles a déploré l'existence d'une fracture entre les citoyens et l'Europe, souhaitant que la population se réapproprie le projet européen. Il a interrogé la ministre sur la proposition d'un Congrès, avancée par le Président Valéry Giscard d'Estaing.

M. Jérôme Lambert s'est inquiété de l'annulation récente du sommet franco-britannique, alors que la France et le Royaume-Uni sont des alliés de longue date. Il a souhaité que des initiatives soient prises pour améliorer les relations franco-britanniques.

Evoquant la PAC, il a jugé que, malgré ses effets bénéfiques, elle avait contribué depuis 30 ans à la perte de plusieurs milliers d'emplois dans le secteur rural.

Mme Noëlle Lenoir a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'attitude à adopter vis-à-vis de la Turquie dépendra des résultats des élections législatives dans ce pays et du rapport de force entre partis favorables à l'Europe et partis hostiles. Il y a aussi les questions de la réunification de Chypre, ou de l'autonomie de la politique européenne de défense par rapport à l'OTAN. Or, le blocage actuel sur la relève de l'OTAN par l'Union européenne en Macédoine après le 15 décembre vient de la Turquie. Les positions au sein de l'Union sur la candidature de la Turquie sont très partagées. L'évolution de la situation en Irak aura une certaine influence sur ce dossier ;

- le Royaume-Uni n'est pas encore disposé à adopter l'euro, même si, semble-t-il, Tony Blair en comprend l'intérêt pour son pays. Les Anglais sont probablement inquiets du rapprochement actuel entre la France et l'Allemagne. L'évocation de la correction britannique par la France a permis de recadrer le débat sur la réforme de la PAC. La France travaille activement avec le Royaume-Uni sur les thèmes de la Convention, notamment la défense. Les deux Etats ont également trouvé un accord satisfaisant sur des dossiers complexes, comme Sangatte, la crise de la vache folle ou le porte-avions. Il n'y a actuellement aucune rupture dans les relations franco-britanniques. La date du sommet n'était pas définitivement arrêtée et il n'est donc que reporté ;

- au sujet de la Macédoine, la situation évolue. C'est la première fois que se concrétise effectivement la politique de défense dont les jalons ont été posés à Maastricht et les modalités précisées à Amsterdam et surtout à Saint-Malo. La mission de Macédoine appartient à la catégorie des missions de Petersberg puisqu'elle sera une mission de maintien de la paix. Elle est demandée par les autorités macédoniennes elles-mêmes, avec lesquelles des rencontres ont déjà eu lieu. La situation s'est compliquée par le fait que la Turquie et le Royaume-Uni ont signé un accord isolé sur les conditions dans lesquelles pourrait avoir lieu un rapprochement entre l'Union européenne et l'OTAN. L'accord a suscité les plus vives réserves de la Grèce, sur le fond comme sur les modalités mêmes de sa négociation. Aussi le gouvernement grec a-t-il proposé un compromis, mais ce dernier, à son tour, n'a pas recueilli l'assentiment de la partie turque. Les consultations diplomatiques portent essentiellement aujourd'hui sur les conditions auxquelles une opération militaire conduite par l'Union européenne pourrait comprendre des moyens de l'OTAN. L'idée d'un accord ad hoc sur la Macédoine, un temps envisagée ne fait pas non plus l'unanimité. On pourrait s'orienter aujourd'hui vers le concept de nation cadre : il s'agirait de désigner un chef de file à la tête d'une force qui associe aussi des partenaires extérieurs à l'Union européenne ;

- sur le rapport entre l'Union européenne et ses citoyens, la question ne trouvera pas de solution sans une réforme des institutions. Tant que ces dernières seront peu identifiables ou mal connues, parce qu'il n'y a pas de gouvernement, ni de président visibles, les interrogations subsisteront dans l'opinion. Il faut aller dès maintenant dans le sens d'une personnification plus grande, quoique l'exercice trouve sa limite dans le maintien de la responsabilité collective des gouvernements associés au sein du Conseil. Les parlements nationaux peuvent être, sur les sujets européens, des relais efficaces de la légitimité démocratique. Les gouvernements devront prendre leur part à ces efforts, tout particulièrement sur les questions de sécurité et de défense.

La France est favorable à un Congrès européen qui ne soit pas un organe parallèle au Parlement européen, mais une assemblée non permanente se réunissant à des occasions solennelles. L'un de ces temps forts pourrait par exemple être le jour où un futur président du Conseil européen présenterait devant le Congrès le rapport annuel sur l'état de l'Union, rapport qui pourrait être complété par un autre rapport, cette fois sur la subsidiarité. Pour éviter les blocages du type de ceux qu'a provoqués le premier référendum irlandais, le futur traité pourrait contenir un chapitre sur les compétences qu'il soit possible de faire réviser par le seul Congrès, se prononçant éventuellement à une majorité très renforcée. Cette solution est nettement préférable au droit de retrait parfois envisagé, droit qui s'analyse en définitive comme un droit à la sécession. Demeure enfin la possibilité de faire du Congrès un collège électoral.

Rappelant que la Turquie était impliquée depuis longtemps dans un processus d'adhésion, M. Christian Philip a observé qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune exclusive a priori. Il a demandé si l'on devait regarder son adhésion comme inéluctable, la question mettant en jeu la définition des frontières mêmes de l'Europe. Il s'est enquis de savoir si une autre forme de relation entre Union européenne et Turquie n'avait pas été envisagée, comme par exemple un partenariat privilégié.

Il s'est réjoui de la solution qu'ont su rapidement trouver la France et l'Allemagne à propos de la politique agricole commune. Il a demandé cependant si, dans une Europe à vingt-sept membres, la stabilisation des dépenses agricoles ne devait pas nécessairement entraîner une baisse du soutien apporté aux agriculteurs français.

M. Michel Herbillon est revenu sur le sujet de la mobilisation des citoyens sur les questions européennes, soulignant que la situation actuelle offrait une occasion à saisir exceptionnelle. Il a cité la célèbre formule de Malraux, qui veut qu'« on ne fasse pas rêver les Français sur un taux de croissance », la reprenant à son compte à propos du Congrès européen. Il a interrogé la ministre sur les initiatives que compte prendre le Gouvernement en ce domaine. Il a ensuite demandé sur quels autres points que la PAC pourrait porter la nouvelle coopération franco-allemande.

M. Patrick Hoguet a interrogé la ministre sur la portée du rapprochement franco-allemand, et sur la possibilité que le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée conduise à une avancée significative en matière de politique étrangère et de défense commune. Il a souhaité connaître la position du gouvernement français sur la présidence du Conseil et de la Commission et l'éventualité d'une présidence unique. Il a souligné que l'accord obtenu lors du Conseil européen de Bruxelles sur la politique agricole commune impliquera des efforts supplémentaires de la part des agriculteurs français, et qu'il conviendra d'être exigeant lors des négociations qui se dérouleront à l'Organisation mondiale du commerce sur le volet agricole.

En réponse, Mme Noëlle Lenoir a apporté les précisions suivantes :

- la Turquie est candidate à l'adhésion et intégrera, à terme, l'Union européenne. Le sommet de Copenhague rappellera d'ailleurs la « vocation européenne » de la Turquie ; la formule du partenariat n'est plus adaptée. L'attitude de la Turquie sera évidemment déterminante pour la fixation d'une date d'ouverture des négociations. La question dépasse, en outre, le seul cadre européen, en raison des liens de la Turquie avec les Etats-Unis ;

- le Président de la République et le chancelier allemand entendent faire du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée un symbole de la relance du couple franco-allemand. Le Bundestag et l'Assemblée nationale tiendront, à cette occasion, une réunion conjointe à Versailles, et la création d'une commission interparlementaire permanente est envisagée. Il existe également un projet de contribution commune en matière de défense, dans la perspective d'une coopération renforcée, même si les moyens budgétaires allemands sont actuellement limités. Le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité pourrait également voir son rôle renforcé. Une contribution commune dans le cadre de la Convention devrait être déposée fin janvier. L'architecture institutionnelle de l'Union y serait abordée, en rapprochant le point de vue français - qui met l'accent sur le rôle du Conseil - et la position allemande, qui insiste davantage sur la Commission. En matière de recherche, un projet portant sur les biotechnologies est à l'étude. Une initiative franco-allemande sur Strasbourg est également envisagée, de même qu'un district commun en matière de transports. La volonté politique est, en tout état de cause, très forte de part et d'autre ;

- l'accord intervenu sur la politique agricole commune entraînera effectivement une baisse de la part reçue par la France mais elle devrait rester dans des limites supportables. S'agissant des prochaines négociations à l'Organisation mondiale du commerce, l'Allemagne s'est montrée favorable à ce qu'il soit fait référence à la situation américaine et aux aides directes aux agriculteurs mises en œuvre par le Farm Bill ;

- l'Europe doit être rendue plus proche des citoyens. Une campagne nationale d'information va être lancée par le Premier ministre, dont les relais essentiels sont les élus. Une part importante de cette action vise la jeune génération, moins sensible à la portée de la réconciliation franco-allemande. Des actions seront programmées dans les établissements scolaires, et des jeux et des concours organisés sur le thème de l'Europe. Les points d'information sur l'Europe seront également renforcés.

M. Jacques Floch s'est inquiété de la protection des futures frontières de l'Union européenne et de la situation de l'enclave de Kaliningrad, espace de pauvreté et de non-droit où la « mafia » russe est présente, ce qui vient à l'appui de la position des pays baltes. Les citoyens russes de Kaliningrad, qui vont être nos voisins enclavés, doivent bénéficier d'un régime particulier dont l'établissement pourrait constituer une monnaie d'échange intéressante avec la Russie.

Il s'est déclaré impressionné par l'importance du non-dit sur la question de l'adhésion de la Turquie, dont il est partisan mais à condition de s'en donner les moyens. La Turquie a posé sa candidature il y a plus de trente ans, mais elle est le pays le plus pauvre par tête d'habitant parmi les treize pays candidats à l'adhésion, les disparités sociales et l'écart entre les riches et les pauvres y sont particulièrement marqués, les droits de l'homme et ceux de la femme sont encore loin d'y être pleinement respectés, notamment en raison de la forte influence exercée par les partis islamiques dans cet Etat laïc. Il va falloir éclaircir tous ces points avant d'envisager l'ouverture de négociations, car cette candidature pose problème aux citoyens qui demandent à leur député quelle est la limite de l'Europe et ne sont pas très sensibles au fait que la Turquie occupe une position stratégique intéressante et qu'elle est la porte d'entrée - ou de sortie - vers le Moyen Orient et l'Orient.

Par ailleurs, contrairement à ce que l'on peut lire dans la presse française, un vrai débat s'est engagé à la Convention sur le Congrès, contre lequel s'est constitué un groupe très important, issu du Parlement européen, toutes tendances confondues. Les mêmes arguments, entendus chez les conventionnels du PSE comme ceux du PPE, montrent que les députés européens ne veulent pas qu'on porte atteinte à leur assemblée et il est particulièrement désolant que des parlementaires de cette qualité en soient venus à ce niveau d'arguments. Puisqu'ils ne veulent pas comprendre que le Congrès n'est pas une assemblée législative mais une assemblée de concertation et qu'il est un moyen de répondre au besoin des Parlements nationaux d'avoir accès aux questions européennes, il va falloir que les groupes politiques fassent évoluer les esprits pour que les choses soient claires.

Il faut enfin que la campagne sur l'Europe, qui sera menée auprès de la population, ne soit pas politicienne et qu'elle repose sur des points d'accord entre les grandes familles de la majorité et de l'opposition, car une campagne partisane conduirait à l'échec.

M. Edouard Landrain s'est demandé si une campagne au Royaume-Uni ne serait pas encore plus nécessaire qu'en France, au vu du dénigrement invraisemblable de la France et de l'Europe auquel se livrent non seulement une certaine presse, mais même les journaux les plus prestigieux. Il a cité l'exemple d'une entreprise française qui avait reçu aujourd'hui l'annulation d'une commande en raison du comportement de la France à l'égard du Royaume-Uni. Le ministre des affaires étrangères et la ministre déléguée aux affaires européennes semblent très optimistes en soulignant toujours le bon côté des choses. Face à une telle situation, il faut mener des actions d'information auprès de nos amis britanniques.

M. René André s'est demandé si la France n'avait pas remis en cause les termes du mandat de négociation à l'OMC pour préserver l'avenir de la politique agricole commune. Il a considéré que l'enclave de Kaliningrad était certes dans une situation difficile mais n'était pas une zone de non-droit. Il s'est interrogé sur la position de Chypre par rapport aux obligations de Schengen et aux dispositions relatives aux transferts de capitaux.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le ministre des affaires étrangères de Chypre, rencontré ce jour même, lui avait répondu sur ce dernier point que non seulement la Commission européenne, mais aussi le FMI, l'OCDE et le Conseil de l'Europe avaient reconnu que cette faiblesse avait été éliminée au cours des dernières années.

La ministre a fourni les éléments de réponse suivants :

- l'accord du Conseil européen de Bruxelles sur Kaliningrad est à la fois précis et imprécis, dans la mesure où il prévoit des études, des solutions ouvertes et des dispositions financières, tout en tenant compte du fait qu'on ne peut décider de liens entre Kaliningrad et le reste de la Russie sans la Lituanie qui n'est pas encore membre de l'Union. C'est un pré-accord à destination de la Russie et les actions concrètes qui suivront permettront notamment de voir dans quelles conditions l'Union européenne pourra influencer avec son aide l'avenir de l'enclave ;

- la Turquie a 63 millions d'habitants et son PIB par habitant représente 22 % du PIB moyen par habitant de l'Union européenne, mais l'ouverture des négociations est davantage conditionnée par la question des droits de l'homme que par les problèmes économiques, même si cet Etat laïc a accordé le droit de vote aux femmes depuis 1932, alors qu'elles ont attendu l'ordonnance de 1944 du Général de Gaulle pour l'obtenir en France ;

- s'agissant du Congrès, il faut mentionner dans le Traité constitutionnel qu'il se réunit à Strasbourg ; il faut expliquer aux représentants des petits pays qui, comme les députés européens, sont contre le Congrès alors qu'ils y seront représentés, qu'il ne s'agit pas de créer une nouvelle institution, mais d'organiser une réunion qui aura des pouvoirs institutionnels. Au demeurant, la France doit davantage clarifier sa position sur le Congrès ;

- il est fréquent de lire des articles quelque peu désagréables sur la France dans les journaux britanniques sans que cela empêche les bonnes relations entre les deux pays. Même s'il est tout à fait inadmissible de se faire une guerre des mots, ces attaques sont plutôt le signe que le Président de la République et la diplomatie française ont réussi à déjouer la manœuvre qui consistait à dissocier le couple franco-allemand pour aller tantôt avec l'un ou l'autre de ces deux partenaires, tantôt avec d'autres Etats membres comme l'Espagne ou l'Italie, et elles reflètent une certaine amertume devant l'impression d'être revenu à la case départ. Cette évolution donne une marge de manœuvre par rapport au Royaume-Uni à la Convention où il s'est montré très présent, même si ses positions semblent minoritaires ;

- le mandat du commissaire Pascal Lamy à l'OMC est celui que lui ont délivré les Quinze, à savoir de défendre la « boîte bleue » ;

- l'acquis communautaire de Schengen s'appliquera à Chypre ;

- la France se montre plutôt favorable à la dualité du Président du Conseil et du Président de la Commission.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le Président de l'Europe suscite les mêmes réserves que le Congrès de la part du Parlement européen et des petits pays : la « colonne vertébrale » proposée par le Président de la Convention est, selon eux, excellente mais ils estiment qu'il faut garder le système actuel, ce qui a conduit le Président Giscard d'Estaing à déclarer, en séance plénière, que s'il ne fallait rien changer, il n'y avait pas lieu de se réunir. Les petits pays se trompent en pensant que le Président de l'Europe va affaiblir le Président de la Commission et le Parlement européen, mais la Présidence unique de l'Europe pourrait constituer un compromis. En tout état de cause, les difficultés commencent, même si l'on peut être optimiste sur l'issue de la Convention.