DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 16

Réunion du mercredi 20 novembre 2002 à 17 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition de M. Louis Gallois, président de la SNCF, sur l'évolution des transports ferroviaires en Europe

M. Louis Gallois a indiqué que le chemin de fer constituait un moyen de transport particulièrement adapté à l'espace européen, qu'il s'agisse notamment des trains à grande vitesse ou du fret. On observe d'ailleurs, après un déclin dans les années 1980 avec l'essor de la route et des transports aériens, un regain du transport ferroviaire, favorisé en particulier par l'ouverture de l'espace européen.

Cependant, cet espace demeure largement cloisonné s'agissant du chemin de fer. C'est vrai pour le transport des voyageurs : ainsi, une motrice de Thalys coûte environ 60 % plus cher qu'une motrice standard, dans la mesure où elle exige quatre courants, soit quatre tensions et deux fréquences et quatre systèmes de signalisation différents. C'est encore plus significatif pour le fret : il faut compter par exemple une heure de formalités administratives à la frontière franco-allemande pour le passage d'un train. De même, un conducteur de train français ne peut conduire en Allemagne, tandis qu'un conducteur de train allemand ne peut conduire en France, ou encore une locomotive française a peu de chances de pouvoir fonctionner en Allemagne et réciproquement. Quant à l'écartement des rails, il peut différer d'un pays à un autre, comme entre la France et l'Espagne.

Cette faible interopérabilité, non seulement ne s'est pas réduite, mais a eu tendance à s'accroître dans les années 1980 et 1990 avec l'adoption de règles de sécurité plus contraignantes et la complexité introduite par les nouveaux systèmes électriques et électroniques. Le système de signalisation électronique luxembourgeois est par exemple incompatible avec celui de la Belgique ou de la France.

La SNCF a, dans ce contexte, pour ambition de devenir une entreprise de service public à dimension européenne en gommant ces entraves frontalières. Elle a, pour ce faire, une multiple légitimité. Elle est d'abord la deuxième entreprise européenne pour le transport des marchandises et la première ex æquo pour celui des voyageurs ; 20 % de son transport de voyageurs sont tournés vers l'international et 50 % de son transport par fret. Deuxièmement, elle est située dans un pays de transit. Troisièmement, elle dispose d'une forte compétence technique : elle est par exemple en première place pour les trains à grande vitesse en Europe. Elle a aussi une conception du chemin de fer exportable, fondée sur les notions de service public, de sécurité et d'entreprise intégrée - c'est-à-dire responsable notamment de la gestion opérationnelle de son réseau. Elle manifeste, par ailleurs, une volonté déterminée de coopération avec ses partenaires européens, comme le montre, entre autres, le projet de réduire à une seule locomotive et un seul conducteur (au lieu de trois actuellement) les liaisons entre les gares de triage de Woippy, en France, et Mannheim, en Allemagne. Enfin, elle fait en sorte d'éviter toute forme de dumping social.

Cette ambition repose sur la poursuite de quelques objectifs stratégiques clés. Le premier consiste, non seulement à accepter, mais à jouer pleinement le jeu de la concurrence au sein de l'Union européenne, même si la coopération est par ailleurs indispensable pour accroître l'interopérabilité des acteurs. Cet objectif exige que la SNCF fasse un effort pour accroître sa compétitivité, que ce soit en termes de qualité ou de prix. Un autre objectif consiste à établir une « toile » d'alliances, au travers d'accords avec différents partenaires et à devenir l'un des deux ou trois principaux réseaux « à la dimension de l'Europe ». Enfin, la SNCF tend à traduire cette ambition dans un véritable projet « managérial », permettant d'associer l'ensemble des personnels de l'entreprise. En effet, 60 % des cheminots interrogés à l'occasion d'un récent sondage considèrent que l'Europe est une chance pour la SNCF : il s'agit donc de concrétiser cette idée en faisant des cheminots les acteurs principaux de cette démarche.

M. Louis Gallois a précisé que le mouvement d'harmonisation européenne concernait les questions relatives à la sécurité, à l'interopérabilité et à la situation sociale des personnels. Il a souligné que la SNCF était favorable au principe d'harmonisation en matière de sécurité et d'interopérabilité contenu dans les projets de directives proposés par la Commission.

Il a estimé qu'une des conditions du succès de la réforme proposée est d'éviter le risque d'un émiettement des responsabilités entre les entreprises de transport, les gestionnaires d'infrastructures, les autorités nationales et européennes. Il faut déterminer à l'avance les règles de responsabilité en cas d'accident. Il est prévu que la future agence ferroviaire ait un rôle important - quoique consultatif - dans l'élaboration des normes, des méthodes et des indicateurs en matière de sécurité. Les instances nationales devront, par conséquent, voir leur rôle réduit dans ces domaines, sinon, on ne saura plus qui fait quoi.

De même, il faut que les responsabilités soient claires entre gestionnaires d'infrastructures et entreprises de transport ferroviaire. A propos de la situation actuelle en matière de responsabilité, M. Louis Gallois a évoqué le récent incendie d'une voiture de la Deutsche Bahn sur le réseau français, et il a souligné qu'il s'estimait totalement responsable d'un tel accident, quitte à se retourner vers l'opérateur allemand s'il s'avérait que la responsabilité de ce dernier était engagée.

M. Louis Gallois a par ailleurs considéré qu'il fallait que la future agence européenne fasse appel à l'expertise des entreprises ferroviaires « historiques ». Il a souligné qu'il ne s'agissait pas pour ces entreprises - au travers de cette expertise - de verrouiller les marchés, mais d'appuyer et de conseiller l'agence dans les choix qu'elle devra faire. Il a ainsi fait référence aux différentes approches possibles par rapport au risque d'accident, l'approche « probabiliste » des Britanniques, qui tend à choisir les investissements de sécurité en fonction d'une analyse « coût-efficacité », et l'approche française, dite GAME (Globalement Au Moins Equivalent), qui vise à l'amélioration continue de la sécurité à travers chacune des évolutions de l'entreprise.

M. Louis Gallois a ensuite évoqué la nécessité de poursuivre un dialogue social actif dans le secteur ferroviaire si l'on souhaite vraiment que les personnels considèrent que l'Europe constitue une chance pour leur entreprise. Il a noté que la SNCF partageait cette conviction avec ses partenaires allemands, italiens, belges et espagnols, mais qu'elle se séparait, par contre, sur ce point, des Néerlandais et des Britanniques. Il a souligné à cet égard l'importance qu'il y a à éviter le dumping à travers l'organisation du chemin de fer.

S'agissant du calendrier d'ouverture à la concurrence du marché du transport ferroviaire, il a rappelé que le premier « paquet ferroviaire » avait prévu une première étape d'ouverture à partir de mars 2003 et une ouverture complète à partir de 2008, et a indiqué que la Commission proposait à présent une accélération de ce calendrier, prévoyant une ouverture totale du marché dès 2006. Notant que les décisions en la matière relevaient de la compétence des Etats, il a indiqué que l'entreprise, quant à elle, souhaitait que l'ouverture des marchés se fasse selon un calendrier stable et prévisible. Il a considéré que l'on pouvait s'interroger à cet égard sur le fait que de nouvelles propositions d'accélération du calendrier soient actuellement avancées alors même que la première étape prévue initialement n'a pas encore été engagée.

En ce qui concerne l'ouverture à la concurrence, M. Louis Gallois a souligné la volonté qu'a toute entreprise de se différencier des autres afin de se trouver dans une situation avantageuse vis-à-vis de ses clients. C'est ainsi que l'invention du « fauteuil-lit » par British Airways sur les lignes transatlantiques fut un moyen pour la compagnie aérienne britannique de recréer une situation de monopole sur un secteur donné. Pour autant, même si la SNCF pouvait argumenter pour justifier son monopole, M. Louis Gallois a indiqué qu'il n'existait plus d'ambiguïté au sein de la SNCF quant à l'ouverture à la concurrence : c'est désormais une question de rythme, mais certainement pas de principe. Il a en revanche insisté sur ses conséquences financières et sur ses implications tant pour le fret que pour le trafic régional de voyageurs. S'agissant du fret, il a indiqué que seules les activités les plus rentables seront en réalité soumises à la concurrence, ce qui ne sera pas sans conséquence sur le comportement de l'opérateur en terme d'exercice de ses missions de service public. Quant au trafic régional, c'est l'équilibre de la loi SRU qui devra être revu car les contraintes acceptées par la SNCF du fait de sa position monopolistique seront difficilement conciliables avec le passage à la concurrence.

M. Jacques Myard s'est interrogé sur la valeur ajoutée qu'apporterait une agence ferroviaire européenne alors que l'impératif de sécurité est partagé sur le continent par l'ensemble des transporteurs. Le droit international privé offre des solutions juridiques au problème de l'identification des responsables en cas d'accident, tandis que le recours à une directive lui a semblé plus pertinent que la création d'une agence européenne pour assurer le respect de normes communes de sécurité. M. Jacques Myard a mis en garde contre le risque d'absence de couverture du territoire qui pourrait résulter de l'ouverture à la concurrence du réseau ferroviaire. Il a plaidé en faveur de la traduction en langue française des termes techniques utilisés dans la réglementation ferroviaire communautaire.

M. Jérôme Lambert a salué les efforts d'innovation déployés par la SNCF ces dernières années au bénéfice des usagers, qui en font une entreprise moderne. Il a souhaité recueillir le sentiment de M. Louis Gallois sur le « deuxième paquet ferroviaire », au regard notamment de la règle de péréquation tarifaire. Si le principe en vigueur actuellement est celui d'un prix au kilomètre globalement similaire sur l'ensemble du territoire, l'ouverture à la concurrence pourrait entraîner des hausses tarifaires sur les lignes les moins rentables, provoquant ainsi un risque d'inégalité territoriale et financière.

En réponse, M. Louis Gallois a réaffirmé le soutien qu'il apporte au « deuxième paquet ferroviaire » dont les dispositions en matière de sécurité et d'interopérabilité sont indispensables. Il a insisté sur l'intérêt de la création d'une agence ferroviaire européenne pour édicter des normes techniques communes. De telles règles sont indispensables pour encourager un trafic ferroviaire transfrontalier actuellement sous-développé. M. Louis Gallois a notamment déploré que la SNCF ne détienne que 1,5 % de parts de marché dans le trafic transfrontalier du transport de voyageurs entre la France et l'Allemagne, ce qui est dérisoire en comparaison des flux quotidiens. Enfin, la création de l'agence européenne devrait s'accompagner de règles de responsabilité claires en matière de sécurité, entre l'entreprise ferroviaire et le gestionnaire de l'infrastructure et les différentes autorités intervenant en matière de sécurité, ce qui devrait permettre d'éviter une multiplication des procès, comme c'est le cas au Royaume-Uni.

Les tarifs des TGV dépendent des conditions du marché, mais dans les cas de péréquation des tarifs, la SNCF n'a pas les moyens d'assurer sur ses fonds propres les missions de service public qui dérogent aux lois du marché. La loi de 1982 a prévu une compensation dans cette hypothèse et, dans un monde plus concurrentiel, cet aspect devra être de plus en plus contractualisé. L'expérience de la régionalisation est à cet égard positive.

M. Edouard Landrain s'est déclaré stupéfait par la description des difficultés techniques d'interopérabilité et a demandé qui financerait les investissements pour les aplanir : l'Europe d'une manière globale ou chaque Etat membre avec son principal opérateur, la SNCF n'étant pas, à cet égard, dans une situation financière extraordinaire. Le financement de ces investissements sur une période de trente ans risque d'être d'autant plus délicat dans un contexte où les lignes rentables attireraient la concurrence et où les obligations de service public retomberaient sur les anciens monopoles.

M. François Guillaume a interrogé le Président Gallois sur l'état d'avancement des travaux pour le corridor Nord-Sud passant par la Lorraine et s'est inquiété de la capacité concurrentielle de la SNCF par rapport aux opérateurs d'autres pays, compte tenu des rémunérations et des avantages sociaux supérieurs dont bénéficie son personnel. La Commission risque de ne pas accepter des aides susceptibles de créer des distorsions de concurrence, non seulement les aides compensatrices des obligations de service public que leur contractualisation va mettre au grand jour, mais aussi les 19 milliards de francs de subventions annuelles de l'Etat au régime spécial de retraite de la SNCF.

M. Louis Gallois a apporté les réponses suivantes :

- l'interopérabilité va coûter très cher mais ce type d'investissement a un taux de rentabilité difficile à mesurer. Le système ferroviaire va donc continuer à vivre longtemps avec des différences de courant car il est quand même moins cher d'acheter des locomotives polycourant, même plus coûteuses à l'unité, que de changer de courant sur l'ensemble du réseau. Passer de 10 à 20 % de part de trafic pour les échanges transfrontaliers entre la France et l'Allemagne ne suffirait pas à amortir cet investissement. La question de la compétitivité du fret est en effet plus large dans la mesure où il est sous la coupe de la route qui fixe des prix de transport très bas, sauf pour des trafics spécifiques. Cependant, l'interopérabilité ne dépend pas seulement d'investissements lourds, mais aussi d'une harmonisation de la réglementation de sécurité, par exemple entre la France et l'Allemagne, qui ne coûte pas très cher et peut constituer la première étape d'un progrès important avant d'arriver au coût massif du changement du système électrique et de la signalisation. En revanche, toute ligne nouvelle doit désormais adopter le système européen ;

- l'obligation de service public ne conduit pas nécessairement au monopole et ne constitue pas un obstacle à la concurrence qui peut s'exercer sur ce sujet par appel d'offres et prévoir une compensation des obligations de service public. Les transports urbains de Lille en sont un exemple, où Keolis, filiale à 45 % de la SNCF, a été en concurrence avec d'autres opérateurs dans une procédure d'appel d'offres comportant une compensation des obligations de service public. La relation est cependant différente avec les collectivités locales lorsque l'on est dans une situation de monopole obligeant l'opérateur à mettre sur la table tous ses éléments de coût. Un audit commandé par les présidents de région a d'ailleurs montré que les comptes présentés par la SNCF donnaient la réalité du coût du TER avec une marge d'erreur de 0,5 % ;

- s'agissant du corridor Nord-Sud, le douzième plan a prévu les investissements pour engager la réhabilitation de la ligne du pays minier de Longwy à Toul et éviter l'axe mosellan, de manière à amorcer un axe Nord-Sud sur lequel le trafic fret bénéficierait d'une très forte priorité. Il ne s'agit pas de créer une voie spéciale pour le fret, mais de traiter les nœuds de Dijon, Lyon et Nîmes-Montpellier, ainsi que les difficultés jusqu'à la frontière espagnole, de manière à lever les handicaps pénalisant le trafic fret ;

- la capacité concurrentielle n'est pas affectée par la rémunération des personnels, qui ne sont pas mieux payés que leurs voisins européens, mais elle peut être améliorée par une organisation de travail plus productive. Sur l'axe Aix-La-Chappelle-Anvers, un opérateur emploie un conducteur ex-SNCB 20 % plus cher que la société nationale belge, mais il conduit seul la rame au lieu qu'auparavant, il fallait organiser le relais de deux ou trois conducteurs et il met lui-même le gazole dans la locomotive, alors que cette opération était faite par un autre salarié à la SNCB. Il faut donc réfléchir à une combinaison plus efficace de l'organisation et de la rémunération, même si la démarche rencontre des difficultés auxquelles sont confrontés tous les opérateurs ;

- la Commission n'est pas opposée au versement d'aides compensatrices pour les obligations de service public, mais elle souhaite que le mécanisme soit associé à la procédure d'appel d'offres. Le règlement qu'elle a proposé dans ce sens a été entièrement revu par amendements par le Parlement européen ; son sort est désormais incertain ;

- les aides publiques en faveur du régime de retraite des cheminots
- compensations du régime général ou d'autres régimes, contribution d'équilibre de l'Etat - ont pour seul objet de compenser le déséquilibre démographique du régime de la SNCF, comprenant presque deux fois plus de retraités que d'actifs en raison de la réduction progressive des effectifs engagée depuis trente ans. Les surcoûts résultant des avantages spécifiques du régime de retraite de la SNCF par rapport au régime général - âge de départ et modalités de calcul de la retraite - sont pris en charge uniquement par les cotisations patronales payées par la SNCF, sensiblement plus élevées que celles du régime général ; le surplus de cotisations dans les comptes de la SNCF par rapport au droit commun s'élève globalement à 400 millions d'euros.

M. Christian Philip a remarqué la manière positive dont M. Louis Gallois avait abordé la perspective européenne, à condition que son cadre soit maîtrisé en termes de calendrier, de phasage, de sécurité et d'harmonisation sociale. La qualité n'a cependant pas été évoquée. Or les objectifs de qualité qu'on essaie d'introduire dans les transports urbains avec un système de bonus-malus pour l'opérateur pourraient également s'appliquer au fret et aux voyageurs. La question est de savoir si la SNCF, qui est une entreprise à dimension européenne dont les personnels portent un regard positif sur cette perspective, se donne l'ambition de devenir le premier opérateur ferroviaire de l'Union européenne.

M. Pierre Forgues a souhaité savoir qu'elles étaient les parts de marché du trafic voyageurs et du fret entre la France et l'Espagne. Devant l'importance du trafic routier évalué à 16 500 camions par jour sur les axes Est et Ouest des Pyrénées, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de s'orienter vers une traversée centrale des Pyrénées au moyen du ferroutage et si la SNCF avait réellement la volonté de développer le fret ferroviaire.

Evoquant les comptes de la SNCF, il a regretté que, du fait de leur présentation globalisée, les collectivités territoriales ne parviennent pas à connaître le coût d'une infrastructure déterminée.

M. Louis Gallois a apporté les réponses suivantes :

- la qualité est une préoccupation ancienne de la SNCF comme en témoigne l'exigence de ponctualité. Mais des mécanismes nouveaux apparaissent comme l'application du système de bonus-malus sur les TER - des pénalités importantes ont été infligées l'an dernier dans ce cadre à la SNCF. De même en ce qui concerne les grandes lignes, la SNCF s'engage à rembourser un tiers du prix du billet pour les retards de 30 minutes et sa totalité pour les retards supérieurs à 3 heures. Au titre des retards survenus dernièrement sur la ligne Paris-Lyon et sur la ligne Paris-Londres, la SNCF déboursera au total plus de 5 millions d'euros.

Soucieuse de poursuivre dans cette voie, la SNCF a décidé d'élaborer une charte des droits du voyageur qui définira ces derniers ainsi que les conséquences du non-respect des engagements pris, la SNCF anticipant ainsi un projet analogue de la Commission. Une démarche similaire sera entreprise pour le fret. Dans ce domaine, la SNCF a d'ailleurs déjà conclu des accords aux termes desquels des pénalités lui sont infligées si elle ne respecte pas les normes de qualité prévues.

L'objectif poursuivi par la SNCF est d'être une entreprise ferroviaire européenne de référence en ce qui concerne la qualité, la sécurité et la ponctualité. En termes de volume, le réseau français est le deuxième d'Europe après celui de l'Allemagne. Si le trafic voyageurs est identique à celui de l'Allemagne, en revanche, le trafic fret de la SNCF s'élève actuellement à 50 milliards de tonnes/km en France contre 65 milliards en Allemagne ;

- la part de marché du fret ferroviaire est élevée en France par rapport à d'autres pays. Elle n'est dépassée en Europe que par la Suisse, l'Autriche et la Suède. Pour qu'elle s'accroisse, il convient d'améliorer la qualité, la rentabilité et de veiller à équilibrer réellement les conditions de concurrence entre le rail et la route ;

- la part de marché de la SNCF dans son trafic avec l'Espagne est de 4 à 5 %.

Le trafic voyageurs avec ce pays dégage une marge satisfaisante. En ce qui concerne le trafic fret, il demeure relativement limité à cause de la différence d'écartement. En outre, l'Espagne dispose d'un réseau routier exceptionnel et paraît plus intéressée par les dessertes ferroviaires de ses ports plutôt que par les passages aux frontières ;

- il est légitime que les conseils régionaux souhaitent connaître les coûts d'une ligne, mais il faut prendre garde au caractère artificiel de chiffres détaillant toutes les charges ligne par ligne. En tout état de cause, la SNCF peut soumettre tous les chiffres dont elle dispose au Conseil régional de Midi-Pyrénées ;

- le percement d'un tunnel central s'imposera probablement dans l'avenir. Mais la SNCF souhaite à court terme que l'on investisse à Irun et Hendaye pour désengorger ce point de passage et se prépare à exploiter le tunnel Perpignan-Figueras qui permettra d'accroître la fluidité du trafic. Ces opérations ne contribueront toutefois pas à elles seules à réduire le nombre de camions, si elles ne s'accompagnent pas d'une politique réellement favorable au fret ferroviaire en Espagne.

II. Examen du rapport d'information de M. Christian Philip sur le deuxième paquet ferroviaire

Avant d'exposer l'objet des textes constituant le « deuxième paquet ferroviaire », M. Christian Philip, rapporteur, a rappelé que ce dernier avait déjà donné lieu à des discussions, alors même que le « premier paquet ferroviaire » n'avait été transposé que par le Luxembourg et la Finlande, la date de la transposition étant fixée au 15 mars 2003. La Commission et la présidence danoise ont souhaité que le Conseil « Transports » des 5 et 6 décembre prochains parvienne à un accord politique, tandis que, de son côté, le Parlement européen se prononcera sur ce « deuxième paquet ferroviaire » à la fin du mois. Toutefois, d'après les dernières informations disponibles, ce Conseil « Transports » procèdera à un simple débat d'orientation, la présidence danoise ayant constaté que les conditions n'étaient pas réunies pour parvenir à un accord politique.

Ce « deuxième paquet ferroviaire » serait composé des éléments suivants : ouverture totale et immédiate du trafic de fret national et international, sans période transitoire, comme il était prévu jusqu'en 2008 ; création d'une agence ferroviaire européenne ayant un rôle clé en matière de sécurité et d'interopérabilité. Si la Commission agit aussi vite, c'est qu'elle estime que le « premier paquet ferroviaire », trop partiel, ne permet pas une vraie revitalisation du rail. À ses yeux, l'attente en ce domaine peut être assimilée à de l'immobilisme.

Après ce rappel, le rapporteur a exposé quelle position prendre. À titre personnel, il s'est déclaré hostile à une position trop négative, jugeant qu'elle isolerait la France, comme cela a été longtemps le cas. Il s'est félicité que M. Louis Gallois n'ait pas formulé d'opposition de principe à l'ouverture à la concurrence, se contentant de s'interroger sur ses modalités et sur son calendrier. Il a observé que d'autres pays, qui ne s'opposent pas en principe à la concurrence, se gardent bien de la mettre en œuvre, comme l'Allemagne. L'isolement de la France doit donc être relativisé. En adoptant des conclusions totalement hostiles au second paquet ferroviaire, le Sénat prend le risque de marginaliser notre pays. Le rapporteur s'est prononcé pour un oui sous conditions, prônant une libéralisation maîtrisée.

Au nombre des conditions à respecter, le rapporteur a cité d'abord le respect du calendrier arrêté à Barcelone en mars 2002. Ce calendrier prévoit que le second paquet ne pourra être adopté avant que l'on ait fait un bilan, même sommaire, du premier. La Commission juge aujourd'hui que le premier paquet ne saurait produire d'effet par lui-même. Encore faut-il qu'elle le prouve si elle veut faire l'économie du bilan, faute de quoi le calendrier devra être respecté. Il a signalé qu'au demeurant, une directive, même adoptée, n'imposerait pas un changement complet des équipements dans les dix ou quinze ans.

Il a insisté pour que les directives prévues soient beaucoup plus précises en matière de sécurité et d'harmonisation sociale. Les risques de dumping sont réels en effet, surtout à la veille de l'élargissement que l'Europe attend. Le secteur maritime en offre l'exemple : des conducteurs polonais ou lituaniens pourraient engager leurs services à des tarifs défiant toute concurrence.

Le rapporteur a souligné qu'une position équilibrée rendait la France plus forte dans les négociations. Il a relevé qu'en posant le problème de la sécurité, la France avait été entendue par la Commission, qui a dû abandonner l'idée de passer en force. La libéralisation maîtrisée signifie aussi la prise en considération du financement. Certes, la période budgétaire actuelle est difficile et le budget communautaire a ses contraintes, mais il ne serait pas illogique que l'Europe investisse dans ce projet de dimension européenne. Le risque serait qu'autrement les charges se répartissent de manière très inégale.

Le rapporteur a présenté les grandes lignes des conclusions qu'il a proposées à la Délégation d'adopter. Elles approuvent l'objectif d'achever le marché intérieur et d'arriver à un espace ferroviaire intégré, mais elles subordonnent l'adoption du second paquet à l'examen d'un bilan du premier, en exigeant également des garanties sur la sécurité, dans le domaine social et en matière de financement. Que le débat qui doit voir lieu dans quinze jours au Parlement européen soit seulement un débat d'orientation illustre que la volonté est désormais partagée d'obtenir des directives qui répondent à ces différents besoins.

En réponse à M. Jacques Myard, le rapporteur a ajouté que l'agence ferroviaire ne saurait être une institution supplémentaire, mais remplirait au contraire une fonction indispensable car, dès lors qu'on adopte des règles communes d'interopérabilité et de sécurité, on ne peut confier à chacun le soin de les mettre en œuvre et de veiller à leur application. C'est alors qu'apparaît le besoin d'une autorité régulatrice.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le rapporteur, tout en s'étonnant qu'il n'aborde pas le sujet de la qualité dans ses conclusions.

Le rapporteur a répondu que ce sujet sera l'objet d'un troisième train de mesures et que l'aborder aujourd'hui retarderait encore le processus d'adoption du « deuxième paquet ferroviaire », même si la question devra forcément venir à l'ordre du jour.

La Délégation a alors adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la sécurité des chemins de fer communautaires et modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires, ainsi que la directive 2001/14/CE concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (document E 1932),

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/48/CE du Conseil et la directive 2001/16/CE sur l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen (document E 1936),

- Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une agence ferroviaire européenne (document E 1937),

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (document E 1941),

1. Approuve l'objectif poursuivi par la Commission européenne de parvenir à un transfert significatif du trafic routier de marchandises vers le rail et, à cette fin, d'achever le marché intérieur en créant un espace ferroviaire pleinement intégré à l'exemple des autres modes de transport ;

2. Considère toutefois que les dispositions préconisant l'ouverture immédiate des réseaux internationaux et nationaux de fret ferroviaire, comme le reconnaissent les conclusions du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, impliquent au préalable l'examen d'un rapport de la Commission sur la transposition des directives du premier paquet ferroviaire ;

3. Considère que la discussion sur l'ouverture à la concurrence des réseaux de fret internationaux et nationaux ne saurait être mise en place sans qu'elle ne soit entourée d'un ensemble de garanties ;

4. Juge indispensable que les directives définissent des normes de sécurité et des normes sociales élevées, sans lesquelles la crédibilité de l'objectif d'espace ferroviaire intégré risque d'être entamée ;

5. Demande qu'un cadre de financement et de tarification adéquat soit instauré afin, d'une part, que la mise en œuvre de l'interopérabilité des réseaux puisse être menée à bien et que, d'autre part, puissent être réduites les disparités existant actuellement en matière de redevances.

6. Se félicite que l'Union européenne se soit accordé un délai de réflexion supplémentaire pour adopter des directives qui répondent mieux aux préalables susvisés. »