DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 19

Réunion du jeudi 28 novembre 2002 à 9 heures

Présidence de M. Christian Philip, Vice-Président,
puis de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Christian Philip, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point A

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a levé la réserve d'examen parlementaire sur les trois textes suivants :

¬ Agriculture

- proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/68/CEE en ce qui concerne le renforcement des contrôles applicables aux mouvements des ovins et des caprins (document E 2118).

¬ Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil relative à la prorogation de l'accord international de 1986 sur l'huile d'olive et les olives de table (document E 2127).

¬ Questions budgétaires

- proposition de règlement du Conseil relatif à l'harmonisation du revenu national brut aux prix du marché. Règlement RNB (document E 2129).

Point B

La Délégation a ensuite levé la réserve d'examen parlementaire sur les trois textes suivants :

¬ Communication

- proposition de décision du Conseil relative à l'adoption d'un programme pluriannuel (2002-2005) portant sur le suivi du plan d'action eEurope, la diffusion des bonnes pratiques et l'amélioration de la sécurité des réseaux et de l'information (MODINIS) (document E 2099) ;

¬ Environnement

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (document E 1876) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil interdisant les composés organostanniques sur les navires (document E 2068) ;

M. Jacques Floch a demandé si les fabricants de bateaux avaient été consultés sur ce texte.

Le Président Christian Philip a répondu que les autorités françaises et celles des autres Etats membres étaient favorables à cette proposition.

¬ Santé

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac (document E 1761).

Le Président Christian Philip a indiqué que cette proposition tendait à remplacer la directive 98/43 du 6 juillet 1998, qui a été annulée par la Cour de justice à la demande de l'Allemagne. Au-delà de cette rectification juridique, elle a pour objet de rapprocher - tout en cherchant à garantir un niveau élevé de protection de la santé - les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité et de promotion en faveur des produits du tabac dans les journaux et autres publications, les émissions de radio, les services de la société de l'information, ou par le biais du parrainage ou de la distribution gratuite. Il a rappelé que ce texte, qui a été longuement débattu au sein du Conseil - le Gouvernement français souhaitant renforcer le dispositif alors que l'Allemagne y est plutôt hostile - a été, le 20 novembre dernier, approuvé par le Parlement européen, qui a rejeté les amendements visant à en affaiblir la portée. La Présidence danoise vient de proposer une nouvelle version intégrant cet avis, qui sera soumise au Conseil Santé du 2 décembre prochain : celle-ci comporte une disposition insérée à la demande du Royaume-Uni, prévoyant la possibilité de maintenir un parrainage pour certains événements internationaux exceptionnels, tels que les courses de Formule 1, jusqu'au 1er octobre 2006 ; elle prévoit également que la transposition de la directive devrait être effectuée dans les deux ans suivant son entrée en vigueur (au lieu du 31 juillet 2005 au plus tard). Le Président Christian Philip a estimé que, bien que la proposition soit moins rigoureuse que la législation française, elle était relativement équilibrée.

M. Patrick Hoguet a considéré que, malgré les réserves du Sénat sur le respect du principe de subsidiarité, l'élaboration d'une réglementation communautaire uniforme sur la publicité du tabac était nécessaire, et regretté que le texte proposé soit moins strict que la loi « Evin ».

M. Jacques Floch a rappelé que l'industrie du tabac avait fait des efforts substantiels depuis vingt ans pour réduire la nocivité du tabac, notamment en passant de la fabrication du tabac brun au tabac blond, mais que ce produit constituait en même temps une recette fiscale non négligeable pour l'Etat et qu'il était défendu par des groupes de pression importants, tels que les organisations de grands événements internationaux comme les courses de Formule 1, ou de grands fabricants comme la SEITA. Il a estimé que la proposition de directive constituait le dispositif minimum acceptable pour la France au regard de la loi « Evin » et qu'il faudrait un jour sortir de cette ambiguïté entre le souci de faire prévaloir la préservation de la santé publique et celui de ménager les intérêts de l'industrie du tabac.

M. Marc Laffineur a indiqué que la position des pouvoirs publics était effectivement souvent ambiguë sur cette question et que les effets sur la santé publique des législations réglementant la publicité sur le tabac avaient été limités. Il s'est prononcé pour une réglementation plus exigeante et jugé anormal que le Grand Prix de Spa de Formule 1 ait été annulé en raison d'une législation belge tendant précisément à mieux défendre la santé publique.

M. François Guillaume a fait observer que la loi « Evin » n'avait pas empêché la France d'organiser des grands prix de Formule 1. Il a estimé que si l'Union se dotait d'une réglementation commune, la question de l'organisation de ces prix ne se poserait plus de la même manière, puisque tous les Etats seraient soumis aux mêmes règles. Rappelant que les producteurs de tabac avaient effectivement fait des progrès dans la fabrication de leurs produits, notamment en privilégiant le tabac blond, il a déploré que l'Union continue à subventionner le tabac noir grec - qui est par ailleurs en grande partie détruit - et estimé que cette subvention devrait être supprimée.

Le Président Christian Philip a proposé à la Délégation, qui l'a accepté, de lever la réserve d'examen parlementaire sur ce texte tout en en demandant un rapprochement plus poussé des législations en vue de mieux lutter contre les effets négatifs du tabac sur la santé publique.

II. Audition de Mme Michaele Schreyer, commissaire européen, chargée du budget et de Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire au Parlement européen, en présence de M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen et rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles, sur la création d'un procureur européen (réunion ouverte aux députés européens français des commissions compétentes et à la presse)

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité de la présence de Mme Michaele Schreyer, commissaire européen responsable du budget, qui a présenté, le 11 décembre 2001, le Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, et qui a déposé des contributions sur ce sujet à la Conférence intergouvernementale de Nice ainsi qu'à la Convention européenne. Il s'est également réjoui de la venue de Mme Diemut Theato, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, et a rappelé, à cette occasion, que le Parlement européen avait eu un rôle majeur d'initiative en la matière, puisqu'il propose la création d'un procureur européen depuis 1996. En outre, la commission présidée par Mme Diemut Theato a toujours souhaité associer les parlements nationaux à ses travaux grâce à l'organisation de conférences et d'auditions publiques.

Il a également souhaité la bienvenue à M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen, rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles, ainsi qu'aux parlementaires européens des commissions compétentes.

Mme Michaele Schreyer s'est dite honorée de son invitation à l'Assemblée nationale et a tenu à préciser que si la création du procureur européen relève de la commissaire responsable du budget, dans la mesure où cette dernière s'occupe de la lutte contre les fraudes, les travaux ont été menés en étroite collaboration avec le commissaire européen responsable des secteurs de l'intérieur et de la justice.

Elle s'est félicitée de l'intérêt de la Délégation pour la création d'un procureur européen, qui n'est pas un sujet nouveau puisque, après avoir été initié par le Parlement européen et notamment par Mme Diemut Theato, il a également été évoqué par le manifeste de Strasbourg du 20 octobre 2000 et par la Conférence intergouvernementale de Nice. Le Livre vert vise à concrétiser cette initiative et à lancer une vaste discussion. On est actuellement dans une phase décisive car ce thème devrait être abordé par la session plénière de la Convention européenne, le 6 décembre prochain. Elle a d'ailleurs déposé, avec MM. Michel Barnier et Antonio Vitorino, une contribution devant cette Convention. A cet égard, elle a tenu à remercier M. Jacques Floch pour sa propre contribution et M. René André pour l'appui qu'il a apporté à la Commission dans les diverses discussions.

L'institution d'un procureur européen permettrait de poursuivre la fraude communautaire, qui relève de plus en plus de la criminalité organisée et dont les dommages peuvent être évalués à plusieurs centaines de millions d'euros par an, au minimum. Les instruments existants ne sont pas suffisants. Pour être véritablement efficace, il faudrait un organe unique chargé de la poursuite, centralisant les actions et pouvant porter plainte au niveau national. Cette réforme est urgente car, avec l'élargissement, les poursuites judiciaires pourraient buter sur dix frontières juridiques supplémentaires.

La création d'un procureur européen nécessite, dans un premier temps, une base juridique dans les traités, qui sera complétée à travers le droit dérivé quant à son fonctionnement, ce qui prendra nécessairement du temps.

Elle a souligné que la Commission était sceptique sur la proposition visant à donner au Conseil le pouvoir de créer le procureur européen.

S'agissant des compétences de ce dernier, la Commission propose de les limiter, dans une première phase, aux fraudes touchant le budget européen, dans la mesure où ce budget constitue un bien commun. Une extension progressive des compétences à d'autres biens communautaires serait néanmoins envisageable, notamment pour la protection de l'euro, qui ne fait pas l'objet actuellement de falsifications à grande échelle, mais il faut demeurer prudent. La démarche progressive est sans aucun doute la bonne et il ne serait pas réaliste de donner immédiatement au procureur européen compétence sur toute la criminalité transfrontalière.

Le Livre vert présenté par la Commission fixe un cadre pour l'organisation de l'institution du procureur européen et, en vertu des principes de subsidiarité et de proportionnalité, il appartiendra aux Etats membres de préciser cette organisation, ce qui implique une structure décentralisée s'appuyant sur des procureurs délégués nationaux, ne devant pas être des fonctionnaires européens.

Le principe de reconnaissance mutuelle, affirmé par le Conseil européen de Tampere en 1999, doit valoir pour la reconnaissance des preuves, mais il ne doit pas déboucher sur une restriction des droits de défense des citoyens. Une certaine harmonisation sera donc nécessaire en la matière.

La Commission européenne n'est pas convaincue de la nécessité d'une chambre préliminaire européenne, mais elle reste ouverte à un débat sur ce point.

Par ailleurs, le procureur européen doit être indépendant, ce qui ne signifie pas qu'il ne sera soumis à aucun contrôle. Il serait responsable devant la Cour de justice des Communautés européennes et devrait déposer un rapport d'activité annuel auprès du Parlement européen.

Eurojust ne rend pas le procureur européen superflu. Au contraire, Eurojust et le procureur, sans être des institutions concurrentes, auront des fonctions complémentaires.

Mme Michaele Schreyer s'est déclarée convaincue que le rapport et la résolution de la Délégation pour l'Union européenne permettront de faire avancer le débat.

La mise en place d'un procureur européen constitue l'un des éléments clés de la construction d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. C'est la raison pour laquelle il est souhaitable que ce projet soit examiné par la Convention et par la Conférence intergouvernementale qui suivra.

Mme Diemut Theato a remercié la Délégation pour l'Union européenne et le Président Pierre Lequiller de leur invitation, en rappelant les nombreuses auditions organisées sur le procureur européen par la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen et dernièrement par la Commission.

Depuis la présentation du Livre vert de la Commission, en décembre 2001, la Commission et le Parlement européen défendent ensemble le projet d'un procureur européen, qui devrait être repris dans les travaux de la Convention.

Le Parlement européen a demandé dans de nombreuses résolutions, que des dispositions pénales spécifiques soient incluses dans le traité pour protéger les intérêts financiers de l'Union. Les membres de la Convention et les Etats doivent être cohérents : on ne peut pas à la fois dénoncer la fraude et être réservé à l'égard d'un projet qui vise à la combattre efficacement. L'opinion publique est favorable à la protection pénale des intérêts financiers de l'Union.

Mme Diemut Theato a insisté sur les difficultés actuelles de lutter contre la criminalité transfrontalière qui porte préjudice au budget européen et sur les limites de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), liées à son statut. Il est donc nécessaire que le cadre juridique du procureur européen soit intégré au futur traité constitutionnel, parallèlement à l'élargissement de l'Union européenne.

Elle a souligné l'importance d'une protection des intérêts financiers de l'Union et rappelé que les Etats membres ont décidé son incorporation au traité. Toutefois, le fait d'insérer un nouvel article 280bis au traité en 2004 ne permettra pas au nouveau système d'entrer rapidement en vigueur. Nous devons donc réagir sans plus attendre pour que la délinquance financière n'en profite pas.

Mme Diemut Theato a félicité la Commission et Mme Michaele Schreyer pour la qualité du Livre vert et l'originalité de la méthode suivie.

Elle a estimé que le projet d'un procureur européen s'inscrit dans la construction d'un espace européen de la justice, en liaison avec Eurojust, Europol ou l'OLAF. Le système retenu doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il doit être efficace, transparent et respectueux des droits fondamentaux de la personne humaine. L'incorporation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au futur traité constitutionnel ira dans ce sens. Il convient par ailleurs d'éviter l'écueil de la lourdeur administrative, qui caractérise actuellement la coopération en matière pénale.

Mme Diemut Theato a estimé que le statut du procureur européen et des procureurs européens délégués devrait garantir leur indépendance à l'égard des Etats et des institutions européennes.

Faut-il faire contrôler le procureur européen par le juge national des libertés ou faut-il privilégier une approche communautaire ? La création d'une chambre préliminaire auprès de la Cour de justice des Communautés européennes est envisagée. Elle offrirait l'avantage de renforcer l'unité et l'équité dans l'application et l'interprétation du droit communautaire. Cette procédure serait toutefois plus lente. Cela constituerait les prémices d'une Cour pénale européenne.

En ce qui concerne le champ des compétences du procureur européen, le minimalisme de la Commission a parfois été critiqué. Le Parlement européen souhaite également s'en tenir à la fraude aux recettes et aux dépenses de l'Union. Il ne faut pas être hostile a priori à un élargissement des compétences du procureur européen, mais il convient d'être prudent. Il appartiendra à la Convention et aux gouvernements des Etats membres d'en décider.

Elle a souligné que le rôle de coordination confié à Eurojust se différenciait de celui envisagé pour un procureur européen qui se verrait confier un pouvoir propre d'investigation. Par ailleurs, le champ de compétence d'Eurojust est plus vaste que la seule protection des intérêts financiers de la Communauté. Les relations entre Eurojust et le procureur européen doivent donc être conçues dans un esprit de complémentarité et non de concurrence.

Mme Diemut Theato a conclu en soulignant que bien des aspects importants de la proposition d'un procureur européen restaient à approfondir, comme celle de l'articulation entre le ministère public européen et les systèmes judiciaires nationaux - mais que la question de la justice européenne de demain constituait un sujet majeur de préoccupation pour nos concitoyens et qu'il fallait y apporter une réponse politique forte en saisissant la chance historique que représente la Convention européenne.

M. Giorgos Dimitrakopoulos, vice-président du Parlement européen, rapporteur pour avis de la commission des affaires constitutionnelles sur le Livre vert de la Commission concernant la protection générale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen, a souligné que les membres du Parlement européen étaient quasi unanimes sur le principe de l'institution d'un procureur européen, même si certains sont sceptiques sur tel ou tel aspect du système proposé. Il a considéré qu'il était important d'envoyer ce message politique fort à la Convention, celle-ci pouvant, à partir de là, examiner les réponses nécessaires à certaines critiques portées à l'encontre des orientations proposées, à ce stade, par la Commission.

Il a estimé que la question de la base juridique de l'institution d'un procureur européen qui serait proposée, à travers un article nouveau ayant vocation à être inséré dans le projet de traité constitutionnel, constituait un point essentiel devant être examiné avec une grande attention. Il a souligné que le débat sur le procureur européen était en partie lié à celui, plus large, relatif à la répartition des compétences au sein de l'Union et à l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Il a considéré que le projet de création d'un procureur européen pouvait constituer un facteur favorable à la constitution progressive d'un droit pénal européen, une des priorités qui doivent être débattues dans le cadre de la réflexion plus fondamentale sur la refonte du projet européen.

En ce qui concerne la question des compétences du procureur européen, M. Giorgos Dimitrakopoulos a jugé que, s'il était opportun de commencer par le domaine relevant de la criminalité économique, il était impératif de laisser la porte ouverte à une extension ultérieure des compétences du procureur européen.

S'agissant des relations entre le procureur européen et les procureurs nationaux, il a estimé que la coopération qui s'est mise en place entre le médiateur européen et les médiateurs nationaux pouvait constituer un bon exemple. Il a souligné que l'OLAF et le procureur européen devaient constituer deux institutions complémentaires.

M. Dimitrakopoulos a alors plaidé en faveur de l'introduction d'un véritable volet judiciaire qui devra se substituer au processus administratif actuellement fondé sur les pouvoirs de l'OLAF. Il faut en effet rééquilibrer le système en vigueur qui permet de qualifier les infractions sans pour autant prévoir les instruments juridiques nécessaires pour les sanctionner. Il a souligné les enjeux de la Convention européenne qui doit formuler des propositions novatrices sur ces sujets.

M. Jacques Floch, rapporteur et membre du groupe de travail de la Convention sur la sécurité et la justice, a fait part de ses nombreux entretiens avec des représentants des autorités françaises dans les domaines de la justice et de la police, qui se sont très majoritairement prononcés en faveur d'une modification substantielle du système judiciaire et de police européens. Il a exposé les conclusions du groupe de travail de la Convention, qui s'est réuni à neuf reprises depuis le mois d'octobre. Il a évoqué les difficultés de compréhension entre les membres du groupe de travail : que recouvre la notion d'espace judiciaire européen ? Quels sont les enjeux de la reconnaissance mutuelle des systèmes judiciaires nationaux ? Faut-il limiter aux seuls intérêts financiers le périmètre du procureur européen ? Il a déclaré qu'une majorité de membres était favorable à l'extension de cette protection aux « eurocrimes », c'est-à-dire aux crimes et aux délits commis à l'échelle européenne, au sein d'un espace géographique fondé sur le principe de la liberté de circulation. Il s'agit en réalité de prévoir un mécanisme efficace pour protéger les droits qui sont reconnus par la charte des droits fondamentaux  ce qui implique nécessairement son intégration dans le futur traité constitutionnel.

M. Jacques Floch a fait état des réticences qui sont apparues au sein du groupe de travail, certains membres refusant de reconnaître l'existence même d'un espace judiciaire européen, alors qu'il est une conséquence du principe de libre circulation. Il s'est félicité de la reconnaissance par le groupe de travail de la diversité des systèmes judiciaires nationaux, qui n'est pas incompatible avec une approche commune et mieux coordonnée. Aucun système national n'est meilleur qu'un autre, et les traditions juridiques de chaque Etat doivent être préservées. Mais il a souligné l'importance de prévoir des règles d'évaluation de la qualité et de la fiabilité des différents systèmes judiciaires et de leur fonctionnement. M. Jacques Floch a estimé indispensable d'instaurer un mécanisme de reconnaissance mutuelle des systèmes de preuve, même si les preuves ne sont pas acquises de la même façon selon les pays.

Il faut tendre vers la reconnaissance mutuelle de décisions judiciaires en matière civile et pénale, même si cette évolution exige beaucoup d'efforts et doit être menée sans précipitation. Mais on ne peut pas se contenter de l'approche suivie jusqu'à présent d'un maintien du statu quo, qui constitue un terrible frein à la construction européenne.

Il est vrai que le droit familial est fondé sur des comportements forgés par la diversité des modes de vie, des conceptions philosophiques et des apports religieux qui peuvent être aussi dissemblables en Suède qu'en Italie. La définition des crimes et délits a par ailleurs beaucoup évolué si l'on pense que le code Napoléon sanctionnait l'adultère, qualifié de crime uniquement à l'égard des femmes.

La discussion au groupe de travail de la Convention a été difficile. Les représentants français avaient mis la barre très haut puisque le Président Hubert Haenel proposait la création d'un « Monsieur Justice et affaires intérieures », personnalité politique d'importance ayant la haute responsabilité de ce domaine. A cet égard, le choix du vocabulaire n'est pas neutre. Autant le terme de procureur européen faisait horreur au Royaume-Uni, autant celui de parquet européen lui paraissait plus acceptable. Les gouvernements allemand et français ont par ailleurs présenté des propositions concrètes sur la justice européenne.

Les autres avancées du groupe de travail portent sur la définition d'un cadre institutionnel unique, surmontant l'actuelle division en piliers.

Ces propositions ont été relativement bien accueillies, notamment grâce à la persévérance du Président John Bruton qu'il faut saluer sur un sujet aussi délicat. Elles seront présentées dans quelques jours à la Convention et elles sont pour nous acceptables, dans la mesure où elles ont au moins surmonté les risques de blocage et où elles offrent des possibilités d'ouverture dans tous les domaines de l'espace judiciaire européen et du procureur européen.

M. René André, rapporteur, a déclaré qu'après la présentation du possible par M. Jacques Floch, il insisterait sur le souhaitable déjà évoqué par Mme Schreyer, Mme Theato et M. Dimitrakopoulos, en partant de la formule de la Cour des comptes européenne : il faut apporter une réponse radicale à l'absurdité qui consiste à avoir des frontières nationales ouvertes aux grands criminels et fermées à ceux qui luttent contre eux, pour ne pas transformer l'Union européenne en paradis criminel. L'enjeu est encore plus grand dans une Union européenne élargie à des pays qui font des progrès continus mais n'ont pas encore atteint le niveau judiciaire des Etats membres.

Il a souligné que deux options sont possibles pour créer un ministère public européen. La première, qui est celle de la Commission, consiste à créer un procureur européen indépendant ; la seconde, moins ambitieuse, repose sur un développement progressif d'Eurojust. M. René André a exprimé sa préférence pour la première solution, qui permettrait de répondre selon lui aux défis auxquels l'Union doit faire face.

Le procureur européen serait indépendant, caractéristique essentielle qui doit être garantie par des conditions de nomination impliquant la Commission, le Conseil et le Parlement européen. Il ne doit cependant pas devenir un électron libre ne rendant de comptes à personne et, sur ce point, la présentation d'un rapport annuel à la Commission et au Parlement européen, permettant d'apprécier son activité et de décider son remplacement éventuel, est très importante.

L'OLAF exerce au sein de l'Union européenne des tâches policières importantes et contraignantes qui mettent en cause les droits des individus dans ce qu'ils ont de plus personnel et de plus sacré, sans contrôle et dans une sorte de non-droit auquel il faut mettre un terme en soumettant l'OLAF à un contrôle supérieur donnant une légitimité à ses actions.

Les deux rapporteurs d'information ont entendu le Premier président de la Cour de cassation et le procureur général près la Cour de cassation et, sans les engager, il est permis de dire qu'ils se sont montrés favorables à la création d'un procureur européen et, avec des nuances, à la mise en place d'une juridiction pénale européenne.

L'articulation du procureur européen avec les procureurs des Etats membres suscite des divergences avec la Commission sur la manière d'engager les poursuites. La question du contrôle du procureur européen, par une chambre préliminaire européenne ou par des juges nationaux, fait également l'objet de réponses différentes. Une chambre préliminaire, à laquelle serait notamment confiée la détermination de la juridiction de jugement, permettrait, en particulier, d'éviter que ne se développe une pratique de « forum shopping ».

En matière de compétences, l'idéal serait que le champ soit le plus large possible, mais il faut être prudent pour ne pas faire échouer le projet. Il faut donc se rallier à la proposition de la Commission et limiter les compétences à la protection des intérêts financiers de la Communauté, en l'étendant tout de même à la protection des brevets et des marques communautaires. Le Gouvernement français n'accepte pas cette proposition et préconise de faire appel à l'institution actuelle d'Eurojust.

Deux thèses sont d'ailleurs en présence puisque la proposition conjointe franco-allemande du 26 novembre va assez loin et propose de passer peu à peu au déclenchement des procédures d'enquête par le procureur européen, alors que le ministère de la justice est plus en retrait. Eurojust désignerait un procureur chef de file, mais il ne pourrait pas engager les poursuites. Cette frilosité semble traduire une attitude corporatiste de certains magistrats. Ce dossier montre que la majorité et l'opposition parlementaires auront surmonté leurs divergences pour défendre ce qu'elles jugent être l'intérêt supérieur de notre pays et de l'Europe.

Enfin, cette proposition de se servir d'Eurojust plutôt que de créer un procureur européen se heurte à deux difficultés.

En premier lieu, l'absence d'un patron placé à la tête du parquet se fera sentir dans un système comme Eurojust. Cet organe est en effet un club de concertation entre des personnes qui n'ont pas de pouvoir, même si ce sont des personnes de qualité. La collégialité sera difficilement compatible avec la réactivité nécessaire. La contrebande sur le tabac en est un bon exemple. Les vedettes rapides qui ont chargé en haute mer ce produit d'un bateau naviguant des Etats-Unis vers Amsterdam ont été arraisonnées par les marines française et espagnole, mais les juges français et espagnol ont pris leur temps parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement et le problème n'est toujours pas réglé.

La deuxième difficulté vient du fait qu'il est peu probable que les services de police acceptent que leurs investigations soient centralisées par un procureur d'un autre Etat membre désigné comme chef de file par Eurojust, alors qu'ils accepteront plus facilement la légitimité d'un procureur européen pour assumer cette mission.

Ce qui est proposé est une avancée, mais la solution n'est pas à la hauteur des enjeux. Aussi faudra-t-il continuer le travail d'explication.

M. Patrick Hoguet, après avoir observé que le débat sur le procureur européen à la Convention portait désormais sur des thèmes plus larges que ceux initialement retenus par la Commission européenne, a posé quatre questions. En premier lieu, le champ de compétence proposé par la Commission, actuellement limité aux seules atteintes portées aux intérêts financiers de la Communauté, paraît trop restreint au regard des attentes des citoyens européens concernant la lutte contre toutes les formes de criminalité organisée en Europe. Dans ces conditions, n'est-il pas souhaitable que la Commission élargisse le champ de sa proposition pour répondre à ces attentes et s'inspire dans ce but des réflexions engagées par le groupe de travail de la Convention sur le procureur européen ?

Sur ce dernier point, M. Patrick Hoguet a rappelé que la proposition conjointe franco-allemande prévoyait d'inscrire le procureur européen dans le futur traité constitutionnel et d'établir cet organe à partir d'Eurojust. Or, il a jugé qu'Eurojust, étant une création intergouvernementale, ne pouvait servir de base à la mise en place d'un organe tel que le procureur européen.

En deuxième lieu, M. Patrick Hoguet a souhaité obtenir des précisions sur la procédure de saisine du procureur européen. Est-ce que ce dernier pourra être saisi par le Parlement européen ou par la Commission, ainsi que par les Etats membres ou les particuliers ? En troisième lieu, quelle sera la nature du contrôle exercé sur le procureur européen ? En particulier, est-ce que ce contrôle sera de nature juridictionnelle et si tel est le cas, sera-t-il national ou communautaire ou les deux ? Enfin, quelle institution européenne disposera du pouvoir de donner des instructions générales au parquet européen, afin d'assurer une homogénéité dans l'application de la réglementation communautaire ?

En réponse aux questions des différents intervenants, Mme Michaele Schreyer, après s'être réjouie de la qualité du débat suscité au sein d'un parlement national par la question du procureur européen et du soutien apporté par les parlementaires à la position de la Commission européenne, a fourni les précisions suivantes :

- en ce qui concerne le domaine de compétences, les propositions respectives de la Commission et du Parlement européen s'appuient sur l'article 280 du traité instituant la Communauté européenne, qui consacre l'objectif de la lutte contre les atteintes portées aux intérêts financiers de la Communauté. Cette mission constituant un devoir pour les institutions européennes, celles-ci ont mis en place un premier instrument, l'OLAF, qui doit être désormais complété par un instrument de caractère pénal, le procureur européen, mais dont la compétence est encadrée par avance par le traité. Si les Etats membres souhaitent élargir le champ de compétence de ce dernier en raison notamment des risques que comporte l'élargissement, il revient aux autorités nationales de prendre en commun une décision politique allant dans ce sens ;

- la protection des intérêts financiers ne se limite pas à celle du budget, elle englobe aussi celle de l'euro, ainsi que la protection des citoyens européens dans leurs relations avec les intérêts financiers de la Communauté ;

- le procureur européen ne sera pas compétent pour connaître des crimes commis dans un seul Etat membre. Il le serait en revanche dès lors que le crime présente un caractère transfrontalier ou qu'il existe une incertitude quant à la compétence territoriale des Etats membres ;

- le contrôle des activités du procureur européen et des procureurs délégués devra s'exercer par le biais des législations nationales. Celles-ci devront prévoir des voies de recours, afin de permettre aux citoyens injustement mis en cause par le procureur européen de se défendre ;

- en ce qui concerne la proposition franco-allemande, la méthode proposée pour créer un parquet européen comporte des risques de blocage. La formule retenue (« l'autorisation de créer un parquet européen sera introduite dans le traité ») permettra en effet à chaque Etat membre de disposer d'un droit de veto sur cette création;

- il est vrai qu'Eurojust est un organe intergouvernemental et non communautaire. Cependant, il convient de s'appuyer sur un outil qui existe déjà, afin de faciliter une mise en place rapide du procureur européen ;

- la proposition sur le procureur européen a suscité une discussion pratique, qui a permis à chacun de prendre conscience de la nécessité de créer un tel organe.

En réponse aux questions des différents intervenants, Mme Diemut Theato, après avoir remercié les participants pour la qualité de leurs réflexions, a apporté les précisions suivantes :

- le débat sur le procureur européen est sorti du cercle des experts et des élites pour devenir un vrai débat citoyen, qui se développe avec rapidité ;

- le champ de compétence du procureur européen a été limité dès le début de la discussion par les dispositions de l'article 280 du traité. Avec l'augmentation du budget communautaire, les risques de fraude ont été accrus de manière proportionnelle. Il était donc nécessaire de mettre en place l'OLAF. Cependant, la lutte contre la criminalité transfrontalière ne pouvant se limiter à l'application de sanctions administratives, il était indispensable de prévoir un cadre pénal, ce qui a été obtenu avec le traité d'Amsterdam, qui sert de base juridique au projet actuel  ;

- les conventions relatives à la protection des intérêts financiers et les protocoles afférents peuvent servir de base de départ parce que l'acquis communautaire est solide dans ce domaine, même si ces instruments n'ont été ratifiés que très récemment. La liste détaillée de 32 infractions relevant du mandat d'arrêt européen ne peut être intégrée immédiatement dans le champ de compétence du procureur européen. Une telle démarche soulèverait, en premier lieu, un problème au niveau du respect du principe de la subsidiarité. En second lieu, les partisans d'un telle approche pourraient aussi avoir pour objectif de reporter de manière indéfinie la création du procureur européen. Il convient donc de se concentrer sur l'objectif initial, qui est d'assurer rapidement une protection efficace des intérêts financiers de la Communauté par l'institution d'un procureur européen. Il est peut être souhaitable d'aller plus loin, mais il faut faire preuve de patience pour cela ;

- l'OLAF est le fruit de la coopération entre la Commission et le Parlement européen, en vue de protéger les intérêts financiers communautaires. La question de son contrôle est cruciale pour la protection des droits individuels ;

- en cas de fraude, les autorités publiques seraient obligées d'informer le procureur européen. Quant à ses compétences, elles se limiteraient à la fraude présentant un caractère transnational, les institutions des Etats membres demeurant compétentes pour ce qui a trait au déroulement de la procédure sur leur propre territoire. Le respect du principe de subsidiarité ne doit toutefois pas faire obstacle au développement de la coopération judiciaire ;

- le contrôle du procureur européen au plan disciplinaire pourrait relever d'une chambre préliminaire rattachée à la de la Cour de justice.

En conclusion, Mme Diemut Theato a déclaré que la question du procureur européen revêtait désormais un caractère politique, et n'était plus réservée aux seuls juristes. Elle a jugé souhaitable des avancées significatives, afin d'éviter que la protection des intérêts financiers ne retombe dans le domaine de la coopération intergouvernementale.

Le Président Pierre Lequiller a également souligné la dimension politique du problème du procureur européen et déclaré que le représentant de l'Assemblée nationale à la Convention était déterminé à amener cette dernière à effectuer des avancées.

III. Examen du rapport d'information de MM. René André et Jacques Floch sur le procureur européen

Les rapporteurs ont rappelé le paradoxe que constitue l'ouverture des frontières aux criminels, alors qu'elles restent fermées pour ceux qui les combattent, et l'urgence de mettre un terme à ce déséquilibre de la construction européenne.

Ils ont précisé que leur rapport d'information est consacré à l'étude des grandes orientations présentées par la Commission dans le Livre vert sur la protection des intérêts financiers communautaires et sur la création d'un procureur européen, afin de déterminer quelle serait la valeur ajoutée de cette institution. Il aborde également la légitimité d'une telle création au regard des exigences démocratiques et de l'Etat de droit, ainsi que sa compatibilité avec la diversité des traditions juridiques des Etats membres et les institutions existantes.

La création d'un procureur européen est nécessaire, en premier lieu, pour renforcer la garantie des droits fondamentaux des citoyens de l'Union. L'activité policière s'est en effet considérablement développée au sein de l'Union européenne, sans qu'un contrôle juridictionnel adéquat n'ait été mis en place pour assurer la protection des droits individuels (présomption d'innocence, respect de la vie privée et des droits de la défense, notamment). Dans le premier pilier communautaire, l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) constitue une véritable « police financière », dont une partie significative de l'activité opérationnelle est transmise aux autorités judiciaires, tout en restant doté du statut d'un service administratif d'enquête. Le Comité de surveillance et l'unité de magistrats récemment créée au sein de l'OLAF, en dépit de leur intérêt, ne sont pas à même d'exercer un contrôle satisfaisant en matière de protection des droits individuels. Au sein du troisième pilier, Europol a vu ses pouvoirs s'accroître progressivement et devrait se voir conférer, à terme, des compétences opérationnelles (comme la possibilité de procéder à des auditions de témoins), au moins dans les domaines relevant clairement de la criminalité contre l'Europe. Certains chefs d'Etat et de gouvernement souhaitent en effet la création d'une « police criminelle européenne ». Ces prérogatives devront elles aussi être soumises à un contrôle judiciaire pour assurer le respect des droits des justiciables.

Cette création est indispensable, en second lieu, pour accroître l'efficacité de la lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires. La fraude au budget communautaire représente, chaque année, des sommes très importantes. Les derniers chiffres publiés par la Commission, dans son rapport annuel sur la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude, font ainsi apparaître des fraudes ou irrégularités d'un montant global de 687 millions d'euros en 2001. Selon d'autres estimations, ce montant annuel serait d'environ un milliard d'euros. L'implication de la criminalité organisée est avérée dans une proportion élevée de ces affaires, qui présentent un caractère transnational marqué. Les instruments juridiques actuels ne permettent pas de lutter efficacement contre cette fraude, les cas de fraude décelés par l'OLAF n'aboutissant que très marginalement à des poursuites sur le plan pénal. Le cloisonnement entre autorités judiciaires des Etats membres, les insuffisances de la coopération judiciaire en matière pénale - en dépit de la création d'Eurojust - et l'absence de reconnaissance des preuves mettent trop souvent en échec des mois d'enquête. Le caractère transnational de la fraude aux intérêts financiers communautaires oblige en effet à une coopération avec, actuellement, dix-sept ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes. Ces difficultés vont, en outre, s'accroître après l'élargissement, avec l'augmentation du nombre d'Etats et d'opérateurs impliqués dans la gestion des fonds communautaires. La création d'un ministère public européen est la seule réponse pertinente face à ce morcellement de l'espace pénal européen. Elle est indispensable, pour qu'à la communautarisation du crime réponde enfin une communautarisation de la répression.

Il apparaît légitime d'étendre la compétence du ministère public européen à l'ensemble de la criminalité contre l'Europe, c'est-à-dire aux infractions portant atteinte à des intérêts communs et pour lesquels existe un droit du fond communautaire. La contrefaçon de l'euro, les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire et la protection des marques et des brevets communautaires devraient ainsi être visés. Le futur traité devrait également permettre au Conseil, statuant à l'unanimité, d'étendre les compétences du procureur à d'autres infractions transnationales.

Le procureur européen est légitime, parce qu'il sera doté de fortes garanties d'indépendance et placé sous un contrôle juridictionnel et démocratique efficace. Son statut doit s'inspirer de celui des juges de la Cour de justice. Choisi parmi des personnalités réunissant les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, il ne peut solliciter ni accepter aucune instruction. Les procureurs européens délégués nationaux devraient également être dotés d'un statut particulier assurant leur indépendance. Une procédure disciplinaire doit être mise en place, et s'il a commis une faute grave ou s'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions, une procédure de destitution pourrait être engagée devant la Cour de justice, à la requête du Parlement européen, du Conseil, ou de la Commission. Une requête collective des parlements nationaux pourrait également être envisagée, selon des modalités qui restent à définir. Le procureur européen devrait également présenter un rapport annuel devant le Parlement européen, qui serait transmis aux parlements nationaux.

La protection des droits des justiciables exige également la création d'une Chambre préliminaire européenne, rattachée à la Cour de justice.

Le procureur européen est, en outre, compatible avec la diversité des traditions juridiques des Etats membres et les institutions existantes. Les traditions juridiques des Etats membres se sont en effet considérablement rapprochées, et l'opposition entre les traditions accusatoire et inquisitoire apparaît aujourd'hui excessive, comme l'illustre la création, en Angleterre et au Pays de Galles, du Crown Prosecution Service, en 1985, et du Serious Fraud Office, en 1987, et la disparition progressive sur le continent européen du juge d'instruction.

Le procureur européen est également compatible avec les organismes existants, dont il ne doit pas aggraver la « sédimentation ». Il est complémentaire d'Eurojust, avec lequel un lien doit être établi. Il pourrait ainsi être membre de droit du collège Eurojust. Une solution plus ambitieuse consisterait également à opérer une fusion organique entre ces deux instances, avec une relation hiérarchique qui ferait du procureur européen un « primus inter pares » au sein de la seconde. La fusion d'Europol et de l'OLAF, tous deux placés sous le contrôle du Procureur européen, devrait également être envisagée, dans un esprit de rationalisation et afin d'accroître l'indépendance organique de l'OLAF à l'égard de la Commission, dans le contexte d'un cadre institutionnel européen unique.

Le procureur européen ne constitue pas une solution miracle : l'affirmation du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, le renforcement d'Eurojust, l'adoption d'un cadre institutionnel unique, dépassant la construction actuelle en « piliers », et le passage à la majorité qualifiée en matière de coopération judiciaire pénale, en constituent les compléments nécessaires. Mais elle n'en est pas moins indispensable à la constitution d'un véritable espace judiciaire européen que les citoyens européens appellent de leurs vœux.

Passant à l'examen de la résolution, le Président Pierre Lequiller, s'adressant plus particulièrement à M. Jacques Floch, rapporteur, a rappelé que, si les conventionnels étaient désignés intuitu personae, il n'en restait pas moins que le point de vue des rapporteurs pouvait à juste titre apparaître comme la position de la Délégation tout entière, très favorable au texte. Il a invité M. Jacques Floch à présenter comme telle sa position, lors des travaux de la Convention, souhaitant que son point de vue y pèse ainsi d'un poids plus grand encore.

M. Jacques Floch, rapporteur, a souligné que les auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé ont mis en évidence une convergence de vue des représentants du monde judiciaire en faveur de la création du procureur européen, qui contraste avec la frilosité des administrations centrales, qu'il semblerait opportun de dépasser.

Le Président Pierre Lequiller a appelé alors à organiser prochainement une conférence de presse sur un sujet d'une portée et d'une résonance politique fortes.

M. Patrick Hoguet a soulevé une difficulté. Selon lui, la résolution proposée fait référence de manière trop insistante au Livre vert de la Commission, qui reste en deçà des visées de la Délégation.

Après les interventions de MM. René André, Jacques Floch et Patrick Hoguet, la Délégation a supprimé la référence au Livre vert figurant dans le second point.

M. René André, rapporteur, s'est inquiété de ce que le terme de procureur était partout employé dans la résolution, sauf pour une mention particulière d'un « ministère public » européen. Il a souhaité uniformiser la terminologie, et la proposition a été modifiée en ce sens.

La Délégation a alors adopté la proposition de résolution ainsi rédigée :

« L'Assemblée nationale,

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen (COM (2001) 715 final / document E 1912),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté (COM (2001) 272 final / document E 1758),

Considérant qu'il est nécessaire, dans une Communauté de droit, que le développement de l'activité policière de l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) et d'Europol s'accompagne d'un contrôle juridictionnel efficace, afin d'assurer la protection des droits individuels,

Considérant que le corollaire indispensable de la constitution d'un espace de liberté est la création d'un espace de sécurité et de justice, dont le procureur européen doit être la pièce centrale ;

Considérant que le développement de la criminalité contre l'Europe, tels que la fraude aux intérêts financiers communautaires, la contrefaçon de l'euro ou des marques et des brevets communautaires, et les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire, constitue un défi pour l'Union européenne, qui porte gravement atteinte à sa crédibilité aux yeux des citoyens européens ;

Considérant que les insuffisances de la coopération judiciaire et la diversité des droits nationaux et des règles de preuve diminuent sensiblement l'efficacité de la lutte contre cette criminalité organisée ;

Considérant que la création d'un procureur européen, chargé d'instruire à charge et à décharge, de centraliser les enquêtes et les poursuites judiciaires et de déclencher l'action publique devant les tribunaux nationaux, constitue la seule réponse pertinente face à ce morcellement de l'espace pénal européen ;

Considérant que la perspective de l'élargissement rend cette création urgente, parce que la coopération judiciaire sera plus difficile dans une Europe élargie et qu'un tel saut qualitatif deviendra quasiment impossible lorsque l'Union comptera vingt-cinq Etats membres ;

1. Souhaite que le projet de traité constitutionnel adopté par la Convention sur l'avenir de l'Europe en vue de la prochaine Conférence intergouvernementale prévoit la création d'un procureur européen ;

2. Approuve les principales orientations suggérées par la Commission sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen ;

3. Recommande que la compétence de ce procureur européen, limitée dans un premier temps à la criminalité contre l'Europe, puisse être étendue par le Conseil statuant à l'unanimité ;

4. Souligne que le statut du procureur européen devra garantir son indépendance et sa responsabilité, aussi bien politique, devant le Parlement européen et les parlements nationaux, que disciplinaire, devant la Cour de justice ;

5. Estime que la création de ce procureur européen devrait s'accompagner de la création d'une chambre préliminaire, au sein de la Cour de justice, chargée de contrôler la phase préparatoire du procès et de la décision de renvoi en jugement ;

6. Considère que cette création devrait également s'accompagner d'une harmonisation de certaines règles en matière de preuves, fondée sur une liste ouverte des modes de preuve que les Etats membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant leurs juridictions ;

7. Recommande que le procureur européen soit membre de droit du collège d'Eurojust, afin que cette institution s'inscrive pleinement dans la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que les citoyens européens appellent de leurs vœux. »