DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 27

Réunion du mardi 4 février 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition de Mme Evelyne Pichenot, présidente de la Délégation pour l'Union européenne du Conseil économique et social et rapporteur de l'avis « Quelles compétences sociales, quels acteurs dans une Union européenne élargie »

Le Président Pierre Lequiller a rendu hommage à M. Patrick Hoguet, déclaré démissionnaire d'office par le Conseil constitutionnel, et a salué l'importance et la qualité du travail qu'il a accompli au sein de la Délégation.

Mme Evelyne Pichenot a tout d'abord rappelé que la Délégation pour l'Union européenne du Conseil économique et social existait depuis deux ans et qu'elle disposait d'une compétence transversale au sein du Conseil. Elle a indiqué que l'avis dont elle avait été rapporteur résultait d'une saisine du Gouvernement et qu'il avait été adopté à l'unanimité.

Les deux thèmes principaux de la saisine ont porté, d'une part, sur la répartition des compétences dans le domaine social et, d'autre part, sur la représentativité des partenaires sociaux au niveau européen et sur l'efficacité de leur action. Il se base en premier lieu sur un bilan de l'Europe sociale, en distinguant les principales étapes qui ont marqué la progression de ces questions dans le cadre de la construction européenne. Le jugement porté sur ce bilan reste nuancé, mais une appréciation très positive est faite sur l'action des partenaires sociaux.

L'avis propose une définition du « modèle social européen » en tant qu'équilibre entre la compétitivité économique et l'intégration sociale. Mme Pichenot a noté que cette définition avait servi de référence aux contributions déposées sur ce thème par les représentants du Gouvernement français au sein de la Convention.

L'avis met ensuite l'accent sur trois défis qu'il considère essentiels : le déficit de la participation des citoyens, l'incidence de l'élargissement, la situation de l'emploi. Il précise que pour préserver, renforcer et moderniser le modèle social européen, il convient, en premier lieu, d'intégrer dans le traité la Charte des droits fondamentaux. Mme Pichenot a précisé que l'avis s'était basé à ce propos sur une étude du Conseil économique et social présentée par M. Christian Bigaut, rapporteur au nom de la section des Relations extérieures : « La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, son intégration dans un traité constitutionnel : quelles implications pour les Européens ? ». L'avis propose une procédure de suivi politique dans le traité, la mise en place d'un dispositif visant à la justiciabilité des droits reconnus et la rédaction d'un rapport annuel sur la mise en œuvre des droits sociaux.

Par ailleurs, l'avis suggère qu'afin de développer la coordination économique et sociale, un sommet social tripartite soit organisé chaque printemps, avant la réunion du Conseil européen. Ce sommet social serait précédé de rencontres au niveau national. Mme Pichenot a estimé qu'il ne fallait pas opposer une approche normative et la nécessaire concertation liée au développement du dialogue social, celui-ci devant d'une façon ou d'une autre impliquer, non seulement les partenaires sociaux, mais aussi les acteurs de la société civile.

Le Conseil économique et social indique en outre que, pour renforcer le modèle social européen, il convient de rendre plus efficace la répartition des compétences. Il recommande à cet égard de confirmer le pouvoir d'initiative de la Commission, de statuer à la majorité qualifiée en matière sociale, hors la protection sociale, d'intégrer dans le traité le principe d'objectifs en matière de lutte contre la pauvreté, d'assurer une transposition rapide et efficace des directives, et de permettre aux partenaires sociaux d'exercer une capacité conventionnelle dans la mise en œuvre des directives.

L'avis prend également en compte l'objectif de l'extension du modèle social européen aux futurs Etats membres. Dans cet esprit, il recommande de se baser sur un principe de solidarité financière, y compris par une augmentation du plafond du budget de l'Union. Il souhaite que la Commission s'assure de l'effectivité de l'acquis communautaire.

Mme Evelyne Pichenot a ensuite indiqué que la seconde partie des recommandations de l'avis portait sur le confortement de la place et du rôle des partenaires sociaux européens. L'avis rappelle à ce propos que trois organisations interprofessionnelles ont un rôle de co-régulateur reconnu par les traités : la Confédération européenne des syndicats, le CEEP (Centre européen des entreprises à participation publique), représentant les entreprises publiques ou privées chargées de missions d'intérêt général, et l'UNICE (l'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe), qui représente le patronat, en lien avec l'UEAPME (Union européenne de l'artisanat et des PME). Il estime que le dialogue social est inégal au niveau sectoriel et qu'un effort doit être fait dans ce domaine.

L'avis recommande de préserver une représentation patronale unique mais d'associer au dialogue social les employeurs de l'économie sociale et des professions libérales. Il préconise la participation des branches professionnelles aux décisions de négociation.

Afin d'améliorer les résultats de l'action des partenaires sociaux, le Conseil économique et social souhaite maintenir la conciliation du pouvoir d'initiative de la Commission et du rôle des partenaires sociaux comme « producteurs » de droit. Il recommande de renforcer le dialogue social dans les pays candidats en maintenant l'effort de structuration des partenaires sociaux dans ces pays. Il estime par ailleurs qu'il convient de conserver, pour le déroulement du dialogue social, le principe de l'exclusivité de la participation des partenaires sociaux, mais il recommande néanmoins d'élargir la consultation aux mouvements associatifs européens sur la dimension sociale hors les relations de travail (pauvreté, immigration, dépendance, ...).

L'avis préconise enfin que le futur traité consacre pleinement la mission du Comité économique et social européen comme relais privilégié de la « société civile organisée ».

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la France était largement à l'origine de la création d'un groupe de travail sur l'Europe sociale à la Convention et que nombre des idées exposées par Mme Evelyne Pichenot rejoignent les propositions défendues par les conventionnels français.

M. Jérôme Lambert, constatant que le rapport du CES évoque un déficit de participation citoyenne, a souhaité connaître l'avis personnel de Mme Evelyne Pichenot sur le projet de réforme du mode d'élection des représentants français au Parlement européen.

M. Christian Paul a interrogé Mme Evelyne Pichenot sur les raisons pour lesquelles elle propose un statu quo sur les compétences sociales de l'Union européenne.

M. Daniel Garrigue, évoquant la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres, a demandé si des conventions collectives européennes étaient envisageables.

M. Pierre Forgues a soulevé une contradiction entre le fait de déplorer un déficit de participation des citoyens et la volonté de vouloir conserver dans le traité l'exclusivité du dialogue social aux partenaires sociaux. Il a regretté l'insuffisante représentation des associations de retraités sur le plan national et sur le plan européen.

M. Christian Philip a constaté que le Conseil économique et social recommande de statuer à la majorité qualifiée en matière sociale, sauf pour la protection sociale, où l'unanimité serait requise. Mais l'unanimité sera très difficile à obtenir après l'élargissement.

Mme Evelyne Pichenot a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'avis du Conseil économique et social ne porte pas sur la réforme du mode de scrutin aux élections européennes. A titre personnel, elle en comprend l'intérêt pour rapprocher l'Europe du citoyen ;

- le Conseil économique et social propose effectivement le statu quo pour la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres, qui ne pose pas actuellement de problème de fond. On doit rester dans le cadre de compétences partagées ;

- l'intégration de la Charte des droits fondamentaux au traité constituerait une avancée majeure ;

- le développement des coordinations, en matière macro-économique, sur l'emploi ou sur la protection sociale renforcerait les compétences de l'Union européenne ;

- le fait de détenir comme référence des normes sociales trop élevées pourrait être considéré par les pays candidats comme une forme de protectionnisme à leur égard ;

- le faible montant du budget européen ne permet pas d'assurer une convergence rapide entre les Etats membres en matière de protection sociale ;

- la mise en place de conventions collectives européennes, que souhaitait Jacques Delors, ne peut être envisagée que par étapes ;

- le débat sur l'exclusivité des partenaires sociaux est sensible en France et en Europe. Les représentants des salariés peuvent légitimement arbitrer entre l'effort des entreprises et celui des salariés dans le financement des retraites et les représentants des retraités, qui bénéficient d'une pension, ne doivent être que consultés.

M. Pierre Forgues a jugé contestable la séparation stricte entre le dialogue social et le dialogue civil, qui aboutit à limiter l'expression de celui-ci.

Mme Evelyne Pichenot a reconnu que l'imbrication du domaine social dans le travail soulève des problèmes, notamment si l'on envisage le cas des travailleurs handicapés, et qu'elle mérite une réflexion.

S'agissant de la majorité qualifiée, cette dernière constitue la garantie de l'approfondissement de l'Europe sociale. Le Conseil économique et social s'est inspiré, sur ce point, du rapport publié en 1999 par le groupe « Europe sociale » du Commissariat général au Plan, présidé par M. Joël Maurice, ayant souligné que la cohésion nationale repose sur la protection sociale, elle-même induite par son financement. Ce dossier ne pourra donc évoluer qu'en fonction de l'avancement des travaux relatifs à ce dernier point.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'Europe doit impérativement progresser dans le domaine social, mais que les spécificités nationales en la matière constituent autant d'obstacles. Il est d'ailleurs significatif, qu'au sein de la Convention, le groupe de travail sur la gouvernance économique, présidé par M. Klaus Hänsch, est l'un de ceux dont les travaux sont les plus décevants. Le blocage constaté est imputable à un clivage qui, en simplifiant, oppose les pays membres de la zone euro favorables au développement des garanties économiques et sociales et les pays en dehors de cette zone euro.

Il a remercié Mme Evelyne Pichenot pour la qualité de son travail et s'est félicité des relations nouées entre les deux délégations.

II. Communication sur les conclusions du groupe de travail de la Convention sur l'Europe sociale

M. Jacques Floch, membre du groupe de travail sur l'Europe sociale de la Convention, a indiqué que ce groupe de travail avait, dès sa création, été placé sous le signe de l'ambiguïté. En effet, alors que le modèle social européen fait partie des caractéristiques essentielles de l'Union européenne - qui la distinguent d'autres grands pays ou ensembles régionaux, tels que les Etats-Unis, la Chine ou le Japon -, l'instauration d'un groupe de travail sur ce sujet n'est pas allée de soi et n'aurait, sans l'insistance de nombreux conventionnels, peut-être jamais vu le jour.

Aussi, ce groupe a-t-il été créé tardivement, bien après les autres, à la suite d'un débat qui a eu lieu en séance plénière de la Convention le 7 novembre dernier. Afin de ne pas retarder le calendrier de travail de la Convention, il a fait l'objet de travaux accélérés : entre le 6 décembre 2002 et le 27 janvier dernier, il a en effet tenu neuf réunions, chacune en général d'une demi-journée. Les travaux se sont déroulés selon un ordre classique : débat général sur les points du mandat, auditions d'experts, examen d'un premier projet de rapport, puis finalisation du rapport définitif.

M. Jacques Floch a rappelé que le groupe, dont la composition reflétait globalement l'ensemble des sensibilités politiques et origines institutionnelles des membres de la Convention, comportait trois autres représentants français : M. William Abitbol, député européen de l'UEN (groupe de l'Union pour l'Europe des nations), Mme Pascale Andreani, représentante du Gouvernement, et Mme Pervenche Berès, députée européenne du PSE. La plupart ont participé à l'ensemble des travaux et déposé une ou plusieurs contributions.

Trois constats principaux peuvent être effectués :

- en premier lieu, une ligne de partage s'est dessinée au cours des travaux entre deux conceptions divergentes : une majorité, incarnée notamment par la plupart des représentants français, allemands, espagnols, portugais, italiens ou belges, s'est montrée favorable au renforcement de l'Europe sociale dans le futur traité constitutionnel, que ce soit, notamment, par un rééquilibrage de la part faite à la politique sociale par rapport à la politique économique, la mention de valeurs spécifiquement sociales de l'Union, l'élargissement des compétences de la Communauté, ou l'extension de la règle de la majorité qualifiée ; une minorité importante, soutenue par des représentants de la Grande-Bretagne, de l'Irlande, des Pays-Bas, de la Finlande ou de l'Autriche, a estimé au contraire qu'il était préférable d'en rester pour l'essentiel au traité de Nice - qui vient à peine d'entrer en vigueur - avant d'envisager d'autres avancées - jugées inutiles, voire nocives au regard du développement économique ou du respect du principe de subsidiarité. Cette opposition explique sans doute largement la difficulté rencontrée dans la création du groupe ;

- deuxièmement, le groupe a néanmoins réussi à aboutir à un consensus sur la plupart des points du mandat, ce qui n'était guère évident dans un laps de temps aussi court et sur des questions aussi complexes et controversées ;

- enfin, les contributions présentées par les représentants français se rejoignent et expriment un véritable consensus, par-delà les clivages politiques, en faveur d'un renforcement de l'Europe sociale.

M. Jacques Floch a rappelé que le groupe de travail avait pour mandat de répondre à sept questions principales : quelles valeurs essentielles le futur traité constitutionnel devrait-il contenir dans le domaine social ? Quels objectifs sociaux doit-on mentionner parmi les objectifs généraux de l'Union ? Quelles devraient être les compétences sociales de l'Union : convient-il notamment de les étendre ? Quel rôle accorder à la méthode ouverte de coordination dans la future constitution ? Que doit-elle comprendre concernant la relation entre la coordination des politiques économiques et celle des politiques sociales ? Faut-il étendre la procédure de codécision et du vote à la majorité qualifiée ? Quel rôle doit-on assigner constitutionnellement aux partenaires sociaux ?

S'agissant des valeurs, les représentants français ont demandé que le futur traité mentionne un ensemble de valeurs sociales et fasse référence à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il a proposé, dans sa contribution, que l'Union « exprime, conformément aux principes contenus dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, son attachement aux valeurs de dignité humaine, de liberté, de prospérité, d'égalité des droits, de citoyenneté, de justice et de solidarité entre les peuples et les citoyens ».

Malgré le souhait de certains d'une formulation a minima, la position française a, dans l'ensemble, été retenue par le groupe. Un consensus s'est en effet dégagé pour renvoyer aux principes de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et reconnaître, parmi les valeurs fondamentales de l'Union, la dignité humaine, ainsi que la justice sociale, la solidarité et l'égalité, en particulier entre hommes et femmes.

Concernant les objectifs, la position française a également été suivie sur l'essentiel.

M. Jacques Floch a proposé que le futur traité indique que l'Union poursuit un double objectif social : assurer, d'une part, le plein emploi, un haut niveau de pouvoir d'achat, de qualité de vie, de santé, de qualification et de protection sociale ; offrir, d'autre part, un mode de formation permettant le libre accès de chacun aux diverses activités et fonctions de la société et une répartition équitable des richesses entre les citoyens. Mme Pascale Andreani a demandé, pour sa part, que le traité consacre un équilibre entre le progrès économique et la compétitivité, d'un côté, et la cohésion et la justice sociale, de l'autre. Elle a souhaité également que figurent, parmi les objectifs sociaux, le plein emploi, un niveau élevé de protection sociale et de santé, la lutte contre l'exclusion sociale et contre toute forme de discrimination, l'intégration des ressortissants des pays tiers en situation régulière, l'égalité entre les hommes et les femmes et la garantie de l'accès à des services d'intérêt général. Mme Pervenche Berès a suggéré que l'on mentionne notamment le modèle social européen, le progrès économique et social et l'équilibre entre ces deux dimensions, la cohésion territoriale, le respect des missions de service public, la définition commune de minima sociaux, un niveau élevé de protection de la santé, la protection des consommateurs, le plein emploi, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, et la solidarité entre les générations.

Un consensus s'est dégagé, à la suite d'un très long débat, pour que soient inclus dans les objectifs de l'Union les éléments suivants : le plein emploi, la justice sociale comme facteur de paix sociale, le développement durable, la cohésion économique, sociale et territoriale, l'économie sociale de marché, la qualité du travail, la formation tout au long de la vie, l'inclusion sociale, un haut degré de protection sociale, l'égalité entre hommes et femmes, les droits des enfants, un haut niveau de santé publique, ainsi que des services sociaux et des services d'intérêt général efficaces et de qualité.

Pour ce qui concerne les compétences, M. Jacques Floch a, avec Mme Pascale Andreani et Mme Pervenche Berès, défendu une extension des compétences actuelles de l'Union. Celles-ci devraient, selon eux et de nombreux conventionnels, comprendre des domaines actuellement exclus par le traité - à savoir les rémunérations, le droit d'association, le droit de grève et le droit de lock-out - et permettre à l'Union de déterminer des prescriptions minimales en matière de santé publique pour remédier aux grands problèmes transnationaux qui se posent en la matière. Il a proposé, en outre, que l'Union soit compétente pour fixer un salaire minimum européen - qui pourrait être calculé, par exemple, en fonction du niveau du PIB par habitant - et coordonner les politiques salariales, qui constituent des composantes majeures des politiques économiques des Etats membres. Par ailleurs, les compétences de l'Union pouvant être amenées à évoluer, il paraît opportun qu'elles figurent en annexe ou en deuxième partie de la future constitution et puissent être modifiées par la voie de la loi organique. La rédaction actuelle du traité pourrait également être simplifiée.

Cette question des compétences a été l'une des plus âprement débattues. Plusieurs membres, en particulier les représentants du Royaume-Uni (notamment du gouvernement britannique) et de l'UNICE - syndicat des employeurs européens - ont souhaité qu'on s'en tienne aux compétences actuelles, arguant que les extensions proposées, au mieux n'apportaient rien, et au pire pouvaient restreindre excessivement la liberté des Etats ou des acteurs économiques.

Le rapport final du groupe a estimé que les compétences actuelles de l'Union suffisaient. Il a considéré cependant qu'elles pourraient être clarifiées et que l'extension des compétences devrait être envisagée dans le domaine de la santé publique. De même, l'actuel article 16 du traité instituant la Communauté européenne devrait-il être modifié afin d'élargir l'action législative de l'Union dans le domaine des services d'intérêt général.

Au sujet de la méthode ouverte de coordination, sa mention dans le futur traité a fait l'objet d'un large consensus. De même, la nécessité de lui conserver sa souplesse, considérée comme la clé de son succès. Reste à savoir ce que doit précisément prévoir le traité : doit-il définir cette méthode ? En fixer les modalités ? En déterminer les domaines d'application ? Les règles spécifiques à chacun de ces domaines ? Si les avis restent partagés, une idée générale domine : le traité constitutionnel doit fixer les grands principes et renvoyer aux lois européennes le soin d'en préciser les modalités d'application.

La représentante du Gouvernement français a estimé souhaitable que le traité comprenne des dispositions ad hoc dans chaque domaine concerné : l'emploi, la lutte contre l'exclusion ou les retraites. Plusieurs conventionnels, dont Mme Pervenche Berès, ont en outre insisté pour que cette méthode ne puisse se substituer ou être confondue avec les compétences législatives de l'Union, afin de ne pas affaiblir l'acquis social communautaire : cette proposition a d'ailleurs été retenue dans le rapport final. Ils ont également plaidé pour appliquer cette méthode à des domaines aussi divers que la protection sociale, la santé, les retraites ou la définition de minima sociaux.

Concernant la coordination des politiques économiques et sociales, le groupe a estimé que si la décision du Conseil européen de Barcelone de synchroniser les calendriers relatifs à l'adoption des grandes orientations des politiques économiques (GOPE) et des lignes directrices pour l'emploi a permis d'accroître cette coordination, celle-ci devait encore être renforcée et un équilibre entre ces politiques devait être assuré par le traité. Il a considéré qu'il devait incomber au Conseil européen de printemps de veiller à la cohérence entre ces politiques et revenir au Conseil « Affaires générales » de préparer ses conclusions à partir des contributions des Conseils sectoriels. Ces dernières devraient non seulement comporter les grandes orientations des politiques économiques et les lignes directrices pour l'emploi, mais aussi tous les autres aspects de la politique sociale auxquels s'applique la méthode ouverte de coordination. Le groupe a estimé que cette procédure devait être inscrite dans le traité constitutionnel.

Cette orientation recoupe dans l'ensemble les propositions formulées par les représentants français. Cela dit, il y a lieu de se demander si le traité ne devrait pas se borner à affirmer ces principes d'équilibre et de coordination des politiques économiques et sociales, en renvoyant à une loi organique le soin d'en préciser les modalités procédurales.

La question des procédures, c'est-à-dire de l'extension éventuelle de la codécision et du vote à la majorité qualifiée, a donné lieu à de vifs débats. Une active minorité, comprenant plusieurs représentants de gouvernements, a soutenu que le traité de Nice étant seulement sur le point d'entrer en vigueur, il paraîtrait peu approprié d'envisager dès à présent sa modification alors que ses dispositions, en particulier celles rendant possible une extension de la majorité qualifiée, n'avaient pas encore eu la possibilité de montrer leur efficacité. Les autres membres du groupe ont estimé, au contraire, que le maintien du vote à l'unanimité risquait de paralyser l'Union dans les domaines où il s'applique.

C'est notamment pour ce motif qu'il a, avec Mme Pascale Andreani et Mme Pervenche Berès, défendu la généralisation du vote à la majorité qualifiée et de la codécision dans le domaine social, à l'exception de l'harmonisation des régimes de sécurité sociale - en raison du fort attachement des opinions publiques à la spécificité nationale de ces régimes.

En conclusion, le groupe a considéré que le compromis obtenu à Nice devait être conservé dans la future constitution. Le Conseil pourrait donc décider à l'unanimité de statuer à la majorité qualifiée selon la procédure de la codécision en matière de protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, de représentation et de défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs et de conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers en situation régulière - la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs continuant de relever du vote à l'unanimité. Si le groupe a estimé que l'article 137 du traité instituant la Communauté européenne, relatif aux compétences sociales de l'Union, devait être mieux rédigé et si beaucoup de conventionnels ont plaidé pour l'application de la codécision et du vote à la majorité qualifiée en matière de lutte contre les discriminations et de sécurité sociale des travailleurs migrants et de leurs ayants droit, la généralisation de la majorité qualifiée n'a pas fait l'objet d'un consensus.

Enfin, sur la place des partenaires sociaux, le groupe a unanimement salué leur rôle et l'importance du dialogue social en Europe. Il a estimé dans l'ensemble que ce rôle devait être reconnu et, si possible, renforcé au titre VI de la future constitution et qu'il devait être distingué de celui de la société civile organisée, qu'il convenait également de reconnaître dans ce texte. Il s'est également montré favorable à ce que soit prévue la consultation des partenaires sociaux dans tous les domaines qui les concernent et maintenue la procédure d'accords conventionnels au niveau européen fixée par l'article 139 du traité instituant la Communauté européenne.

En conclusion, M. Jacques Floch a indiqué que le groupe a, malgré sa création difficile et tardive et l'expression en son sein de conceptions diverses, abouti à un relatif consensus sur les valeurs, les objectifs, la place de la méthode ouverte de coordination, la coordination des politiques économiques et sociales et le rôle des partenaires sociaux.

Deux points déterminants demeurent cependant controversés : la question des compétences et celle de la majorité qualifiée. C'est précisément sur ces points qu'il compte focaliser son intervention lors de la réunion plénière de la Convention qui se tiendra le 6 février sur l'Europe sociale, en plaidant une nouvelle fois en faveur de l'extension des compétences de l'Union dans les domaines déjà évoqués et de la généralisation du vote à la majorité qualifiée (à l'exception de l'harmonisation des régimes de sécurité sociale). Ces mesures sont, en effet, l'une des clés du renforcement de l'Europe sociale, auxquels nos compatriotes tiennent et qui constitue une dimension essentielle de la construction et de l'identité européennes.

Il a enfin précisé que si les conditions de travail du groupe furent bonnes dans l'ensemble, les traductions en français ont été trop tardives, ce qui a souvent obligé les francophones à travailler sur des documents en anglais.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Jacques Floch pour ce travail important. Le débat engagé doit être poursuivi car la dimension sociale constitue l'une des spécificités des valeurs européennes. Il s'est d'ailleurs réjoui que la France ait parlé d'une seule voix au sein du groupe de travail sur l'Europe sociale, même s'il existe des nuances entre ses représentants, en particulier au regard des services publics.

III. Information relative à la Délégation

La Délégation a confié à M. François Guillaume le rapport d'information sur le volet agricole des négociations à l'Organisation mondiale du commerce, M. Patrick Hoguet ayant été déclaré démissionnaire d'office.