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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 46

Réunion du mardi 3 juin 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président

I. Audition de M. Karl Lamers, ancien député du Bundestag, sur la politique étrangère et de sécurité commune (audition ouverte à l'ensemble des membres français du Parlement européen et à la presse)

Le Président Pierre Lequiller, rappelant les raisons qui l'ont incité à inviter M. Karl Lamers devant la Délégation, a indiqué que ce dernier avait cosigné, le 1er septembre 1994, un rapport ave c M. Wolfgang Schaüble sur l'avenir de l'euro dans lequel était défini le rôle du noyau dur. Constitué de cinq Etats - à l'exclusion de l'Italie et de l'Espagne regardées alors comme ne satisfaisant pas aux critères de convergence -, il avait pour mission d'entraîner l'Union européenne à mettre en place la monnaie unique.

En second lieu, le Président Pierre Lequiller a fait observer que les discussions actuellement en cours à la Convention sur la PESC et la PESD justifiaient pleinement l'audition de M. Karl Lamers, car se trouve posée la question de savoir si l'Europe ne doit pas reposer sur un groupe pionnier ouvert aux autres Etats membres ou, comme l'a dit Jacques Delors à propos de l'euro, à ceux qui peuvent et à ceux qui le veulent, configuration qui, seule, permet d'effectuer un saut qualitatif dans une Europe élargie à vingt-cinq membres. A cet égard, il a relevé que le rapport Lamers-Schaüble de 1994 demeurait d'actualité de par les thèmes qu'il avait alors abordés : développement institutionnel de l'Europe, réalisation du principe de subsidiarité et transfert des compétences au niveau inférieur, renforcement du noyau dur au sein de l'Union, intensification qualitative de la coopération franco-allemande, renforcement de l'Union en matière de politique extérieure et élargissement de l'Europe à l'Est. Il a considéré que l'élargissement offrait l'occasion d'un débat entre la Délégation pour l'Union européenne et M. Karl Lamers sur sa vision de la Convention et ses réflexions en matière de PESC et de PESD, d'autant qu'au travers des différents groupes politiques, il existe un consensus sur la nécessité pour l'Europe de ne pas constituer seulement un marché et une zone monétaire, mais également de jouer un rôle politique sur la scène internationale.

M. Karl Lamers a indiqué que cette invitation offrait l'occasion d'aborder la question de l'avenir politique de l'Europe à un moment où ce dernier dépend de la France, de l'Allemagne et de la coopération entre ces deux pays.

Observant que la Convention présentera bientôt un projet de traité sur la Constitution européenne, il a rappelé que cette même idée de Constitution européenne figurait déjà dans le rapport qu'il avait présenté avec M. Schaüble, ce qui avait alors choqué de nombreuses personnalités.

Il importe de débattre sur la PESC car il s'agit d'un élément fondamental de l'Europe politique. Celle-ci n'existe pas encore, parce qu'elle n'aura conscience d'elle-même que lorsqu'elle pourra affirmer son identité par rapport au monde extérieur. Or, aujourd'hui, la PESC demeure toujours balbutiante en dépit d'efforts récents. L'identité politique de l'Europe est encore très peu marquée, comme l'ont montré, de manière éclatante, la crise irakienne, le débat intervenu au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et la crise qui s'est produite consécutivement en Europe. Le besoin d'une PESC est apparu non seulement lors de ces événements, mais aussi lorsque l'Europe n'était pas en mesure de prendre seule ses intérêts en charge, ainsi que l'a illustré la crise des Balkans, puisque l'incapacité des Européens à surmonter leurs propres divergences les avaient alors conduits à faire appel aux Etats-Unis pour régler cette crise.

Abordant les principes sur la base desquels la Convention pourrait contribuer à l'élaboration de l'Europe politique et d'une PESC, M. Karl Lamers a d'abord évoqué le rôle de la majorité qualifiée. Il y a vu une condition d'efficacité des décisions, devant permettre l'expression d'une volonté commune. Certes, dans le traité actuel, le vote à la majorité qualifiée existe déjà, mais il est difficile à mettre en œuvre puisque, dans certains cas, le Conseil statuant à la majorité qualifiée peut demander que le Conseil européen soit saisi de la question en vue d'une décision à l'unanimité. On peut affirmer que l'application des procédures actuelles n'aurait pas suffi pour permettre à l'Europe d'adopter une position commune au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, lors de la crise irakienne.

Ces difficultés risquent de s'accroître dans l'Europe élargie, car certains Etats ne pourront pas participer aux décisions relevant de la PESC, lorsqu'il sera nécessaire de procéder à des missions sur le terrain. Il est donc, dans ce contexte, nécessaire d'inscrire le principe des coopérations renforcées dans les traités européens. Cette notion est toutefois différente de celle de noyau dur, cette dernière correspondant à un groupe de pays qui joue un rôle moteur dans tous les domaines, quelle que soit la situation. Ce groupe inclut les quatre Etats membres qui ont récemment voulu faire avancer la PESC, à l'initiative de la Belgique, et auxquels pourraient s'associer un ou deux autres Etats.

M. Karl Lamers a déclaré que le cœur du noyau dur était constitué par la France et l'Allemagne et a regretté que l'Italie et les Pays-Bas n'en fassent pas partie. Seul ce rôle central joué par la France et l'Allemagne dans le noyau dur permettra réellement à la PESC d'exister. C'est pourquoi il serait souhaitable que les deux pays fassent des propositions communes concernant la constitution d'une avant-garde en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

Il a également jugé que ces propositions ne peuvent susciter un écho chez les autres Etats membres que si la France et l'Allemagne se déclarent prêtes à avancer toutes seules dans ce domaine. C'est à cette condition que la détermination du couple franco-allemand peut avoir un effet d'entraînement en Europe et déboucher éventuellement sur l'inscription du principe du noyau dur dans la future Constitution de l'Union.

M. Karl Lamers a indiqué que ces propos dont il faisait part aux membres de la Délégation résultaient d'une longue réflexion, stimulée par la récente crise irakienne. En effet, celle-ci a mis en lumière une question existentielle pour l'avenir de l'Europe, celle du maintien de l'union des Européens autour de règles institutionnelles communes.

Il a souligné l'importance des procédures institutionnelles, qui sont les seules à pouvoir fabriquer un consensus et faciliter la prise de décisions communes. Il a toutefois précisé que l'enjeu de ces procédures ne pouvait se résumer à la question du vote à la majorité qualifiée. Certes, un tel système de décision oblige les participants à rechercher le consensus sur les sujets traités, car cette procédure peut les mettre en minorité, ce qu'ils cherchent à éviter. Mais l'existence de procédures institutionnelles efficaces implique aussi un consensus sur les principes.

M. Karl Lamers a estimé que la crise irakienne avait démontré que ce consensus n'existait pas. En effet, l'Europe s'est divisée sur la question fondamentale de savoir si elle devait ou non faire la guerre. Cette question essentielle a provoqué des clivages au sein même des pays européens.

Il a cependant considéré que la question qui a divisé l'Europe à l'occasion de la crise irakienne a également posé un problème bien plus important encore, qui concerne le rôle que doivent jouer les Etats-Unis en Europe. Il a ainsi observé que les signataires de la lettre des huit et de la déclaration du groupe de Vilnius n'avaient pas souhaité convoquer un sommet européen pour traiter de la question irakienne, mais s'étaient directement adressés aux Etats-Unis, érigeant ces derniers en partenaire à part entière du Conseil européen, sans qu'ils n'aient toutefois à se plier aux règles de ce dernier.

Ces initiatives ont conduit les Etats-Unis à agir comme une puissance qui intervient en Europe pour rétablir l'équilibre, menacé par l'Allemagne. Ce rôle de « protecteur » a déjà été joué par les Etats-Unis, à la satisfaction d'ailleurs de l'Allemagne de l'après-guerre. Comme l'a souligné Margaret Thatcher, lors d'un discours prononcé à Bruges, la puissance allemande rassure l'Europe lorsqu'elle est contrôlée par les Etats-Unis.

M. Karl Lamers a jugé que la principale motivation des signataires de la lettre des huit et de la déclaration du groupe de Vilnius ét ait de contrecarrer les ambitions du couple franco-allemand. A l'exception de la Grande-Bretagne qui avait sa propre vision, ce n'est pas le dossier de l'Irak qui a conduit ces pays à s'aligner sur la position des Etats-Unis, mais leur souhait de s'opposer à une tutelle franco-allemande en Europe. Cela est particulièrement vrai pour les pays d'Europe centrale et orientale, et notamment pour la Pologne : la résurgence d'un axe Paris-Berlin-Moscou ne pouvait que susciter des frayeurs dans cette partie du continent. M. Karl Lamers a regretté que la France et l'Allemagne n'aient pas fait davantage d'efforts pour expliquer leur position. La manière dont ces deux pays ont procédé dans cette crise a eu des conséquences regrettables, car elle a empêché l'unité de l'Europe.

Il a insisté sur le fait que les Européens sont divisés sur le rôle que doivent jouer les Etats-Unis sur le continent. La crise irakienne a incité les Etats-Unis à entrer une nouvelle fois sur le terrain de jeu de l'Europe et à se retrouver sur un pied d'égalité avec les Européens.

C'est la raison pour laquelle l'Europe doit réfléchir à sa relation avec les Etats-Unis. M. Karl Lamers a affirmé que l'identité de l'Europe comme communauté ne peut se construire que si cette dernière redéfinit ses relations avec le reste du monde. Or, comme les Etats-Unis sont présents partout, l'Europe ne peut éviter de se repositionner par rapport à l'Amérique, exercice qui s'impose à d'autres parties du monde, y compris aux pays les plus puissants, comme la Chine.

M. Karl Lamers a souligné la difficulté de cet exercice pour l'Europe, en rappelant que les Etats-Unis sont à la fois une puissance non européenne et européenne au regard des valeurs qu'ils défendent. La question est encore plus délicate pour l'Allemagne en raison du rôle historique qu'ils ont joué au lendemain de la deuxième guerre mondiale.

Il a néanmoins ajouté que la redéfinition des rapports de l'Europe avec les Etats-Unis ne devait pas déboucher sur une coopération euro-américaine moins importante. En effet, le défi auquel est actuellement confronté l'Occident est, malgré la domination économique de ce dernier, bien plus vaste que celui vécu pendant la période de la Guerre Froide.

Il a jugé que, dans ces conditions, les Etats-Unis et l'Europe doivent coopérer sur un pied d'égalité et non selon des liens de vassalité. Les Etats-Unis doivent donc traiter l'Europe en véritable partenaire et ne pas attendre d'elle une attitude de suivisme. D'autre part, l'Europe doit gagner en puissance. La maturation de ce partenariat devrait être facilitée par le fait que les Etats-Unis ont de plus en plus besoin de l'Europe. Si les exemples de l'Afghanistan et de l'Irak montrent que les Etats-Unis peuvent se passer d'elle dans un premier temps, et atteindre leurs objectifs militaires sans l'aide des Européens, ils ne peuvent gérer efficacement l'après-guerre en restant seuls.

La puissance militaire reste décisive et constitue une nécessité pour l'Europe. Il est inexact de dire que l'Allemagne est par nature un pays pacifiste : elle est réticente à employer la force, mais elle est aussi consciente qu'en certaines occasions, le recours aux armes est inéluctable. M. Karl Lamers a rappelé qu'il s'est prononcé pour un tel usage de la force lors de la crise des Balkans, défendant au départ une position isolée.

Cependant, les moyens militaires ne peuvent pas tout régler : au mieux, ils peuvent préparer le terrain pour une solution politique, comme le montre l'exemple de l'Afghanistan. Les limites de l'action militaire soulignent toute l'importance qu'il faut donner aux solutions diplomatiques et c'est précisément dans ce domaine que l'Europe peut avancer ses propres propositions. M. Karl Lamers a déclaré que l'Europe politique ne peut exister que si elle sait ce qu'elle veut en cas de conflit.

La future Constitution européenne doit donc contenir trois principes fondamentaux en matière de politique étrangère et de défense commune. Tout d'abord, un exécutif fort avec un ministre des affaires étrangères disposant de véritables capacités d'action, ce qui impose l'existence d'une administration propre. Deuxièmement, il faut prévoir des possibilités de décider à la majorité qualifiée et, enfin, la faculté de créer des coopérations renforcées. On peut se demander néanmoins s'il sera possible de parvenir à un tel résultat, car, même si la Convention adopte les trois principes précités, il n'est pas certain qu'elle sera suivie par la conférence intergouvernementale. Dès lors, le noyau dur franco-allemand est appelé à jouer un rôle essentiel. Si ces deux Etats parviennent à se mettre d'accord, il est probable qu'ils pourront convaincre les autres Etats membres de suivre leur politique, pour peu qu'ils fassent preuve de tact envers eux. On peut même affirmer que le futur ordre mondial dépend de ce noyau dur, car s'il parvient à prendre forme, le monde aura un nouveau visage.

M. Karl Lamers a déclaré qu'au cours de sa carrière politique, il avait eu l'occasion de rencontrer des dirigeants non occidentaux qui exprimaient des attentes à l'égard de l'Europe. Or, aujourd'hui, il lui semble malheureusement qu'ils ont renoncé à cet espoir et qu'ils sont résignés.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Karl Lamers pour cette présentation à la fois forte, franche et libre.

M. Marc Laffineur a dit partager cette analyse soucieuse de l'avenir de l'Europe. Il faut avoir conscience que l'Europe est à un tournant et, pourtant, on ne sent plus l'existence d'un consensus de base. A cet égard, la crise irakienne conduit peut-être à regretter le choix d'un élargissement rapide aux pays d'Europe centrale et orientale, avant toute réforme des institutions. Il est exact que la France et l'Allemagne ne peuvent se résoudre à un ordre mondial américain, les Etats-Unis ne pouvant d'ailleurs à eux seuls organiser le monde. Mais l'Europe est aujourd'hui malade, ce qui se perçoit même dans les opinions publiques et notamment auprès des jeunes, qui ne comprennent plus très bien l'intérêt de l'Union européenne. On peut se demander si la seule chance de sauver l'Europe ne serait pas l'existence d'un noyau dur susceptible de prendre des décisions innovantes, ne se limitant pas à la construction d'une zone de libre-échange.

M. Pierre Forgues a exprimé son accord sur l'essentiel de l'intervention de M. Karl Lamers, mais a néanmoins souligné une différence, tenant à l'importance de la puissance militaire européenne pour l'établissement de relations équilibrées avec les Etats-Unis. On ne peut redéfinir les relations Europe-Etats-Unis qu'en construisant, avant même un exécutif fort, une défense européenne crédible. Le couple franco-allemand a pu jouer un rôle primordial dans une Europe à six, à neuf, voire même à quinze, mais cela ne saurait être le cas dans une Europe à vingt-cinq, ce qui conforte la nécessité d'une défense commune, afin que les autres Etats membres disposent d'une alternative pour assurer leur sécurité. Il importe enfin de ne pas considérer que l'organisation mondiale doit être exclusivement définie par les Etats-Unis et l'Europe. D'autres partenaires ont manifestement leur place dans cette organisation.

M. Jacques Floch a considéré que la relecture du rapport Lamers-Schaüble, mettait en évidence son actualité. Il était déjà souligné que les institutions étaient mal adaptées au nombre d'Etats membres, qu'il existait des divergences d'intérêts reposant sur des niveaux économiques et sociaux très disparates et que les perceptions des priorités internes et externes étaient très différentes. Aujourd'hui, les écarts entre les produits intérieurs bruts par habitant vont de 1 à 30, les politiques sociales sont absentes dans certains Etats membres et, s'agissant des relations avec les pays méditerranéens, le Président Romano Prodi a pu formuler le concept de « cercle des amis » pour exclure la possibilité de leur intégration.

Le constat étant le même qu'en 1994, on peut supposer que les propositions formulées à l'époque pourraient également être reprises, notamment en ce qui concerne l'affirmation du principe de subsidiarité, la nécessaire constitution d'un noyau dur et le développement d'une politique étrangère et de sécurité commune. Il convient d'affirmer qu'on ne peut avoir pour seul but un rapprochement avec les Etats-Unis. L'objectif essentiel est en réalité la contribution de l'Europe à la paix dans le monde et il ne pourra être atteint sans la participation de la Chine et de certains Etats d'Amérique du Sud et, à plus longue échéance, des Etats africains.

Au sein de la Convention européenne, certains Etats candidats n'ont aucun complexe à affirmer que leur sécurité dépend des Etats-Unis, ce qui est compréhensible dans la mesure où ils ont longtemps rêvé de la protection de l'OTAN. On peut donc penser que le couple franco-allemand aurait intérêt à être plus pédagogue, pour faire comprendre à ces Etats, sans moquerie ni agacement, qu'ils font partie de l'histoire européenne.

Le Président Pierre Lequiller a considéré qu'on ne pouvait faire l'Europe politique sans une défense commune et, peut-être même, que l'instauration de cette défense commune doit précéder la mise en place d'une politique étrangère commune. Il existe aujourd'hui, de façon schématique, trois perceptions de l'Europe : l'une souhaitant son indépendance à l'égard des Etats-Unis, position défendue par la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg ; une vision atlantiste soutenue par la Grande-Bretagne et, enfin, une perception atlantiste par opportunité ou par confort, à laquelle se rallient l'Espagne, l'Italie et les pays candidats. Ces derniers Etats se rangeront aux côtés des Etats-Unis tant que l'on n'aura pas élaboré une politique de défense commune, compte tenu de leur désir de protection contre la Russie, alors même qu'ils ont souhaité intégrer l'Europe pour des raisons essentiellement d'ordre politique et non pas économique.

Le Président Pierre Lequiller s'est interrogé sur la composition du noyau dur. M. Karl Lamers n'y inclut pas le Royaume-Uni, ce qui apparaît difficile si l'on souhaite progresser à partir de la défense, pour arriver dans un second temps à une politique étrangère commune. Le Royaume-Uni, compte tenu de ses capacités en la matière et de la volonté dont il fait preuve sur ce sujet, apparaît en effet incontournable. Le Président Pierre Lequiller a également souligné que le couple franco-allemand était aujourd'hui toujours nécessaire et essentiel, mais plus suffisant. Il faut y associer notamment les Espagnols et les Italiens, et entraîner les autres. Il a aussi souhaité savoir si l'Allemagne devrait réaliser un effort supplémentaire en matière de dépenses militaires. Enfin, il a rappelé que la France et l'Allemagne avaient pris position en faveur du passage à la majorité qualifiée dans ce domaine, ce qui représente une évolution importante pour la France, et que les propositions du Præsidium de la Convention européenne étaient malheureusement très en retrait sur ce point.

En réponse aux différents intervenants, M. Karl Lamers a apporté les précisions suivantes :

- en 1994 déjà, il y a eu une querelle sémantique sur l'expression « noyau dur », certains préférant parler d'un « noyau solide ». Le « noyau dur » serait celui qui s'isole des autres, tandis que le « noyau solide » est un « noyau magnétique » qui agit comme un aimant et attire les autres. Ces deux aspects sont nécessaires : il faut un « noyau magnétique », qui attire les autres, mais aussi un noyau dur qui les guide. En ce qui concerne la composition de noyau dur, M. Lamers a indiqué qu'il espérait, à l'époque, qu'il serait composé des Etats fondateurs, des « Carolingiens ». L'empreinte de l'histoire est en effet très forte et la proximité géographique exerce une influence importante. Mais l'Europe est aujourd'hui bien plus étendue que le royaume carolingien. L'Italie ne fait pas partie, pour l'instant, de ce noyau dur, parce qu'elle joue actuellement un rôle « singulier » en Europe, alors qu'elle est sans doute le plus européen des Etats membres. Cette situation ne devrait cependant pas durer ;

- ce ne sont pas des motivations économiques qui ont conduit les nouveaux Etats membres à adhérer à l'Union, même si cette adhésion aura évidemment des effets très positifs sur l'économie de ces Etats. Un ancien Premier ministre roumain a déclaré que lorsque les citoyens d'Europe occidentale parlent de l'Europe, ils pensent à l'Europe du futur, alors que ceux de l'Est évoquent celle du passé. Pour les Européens de l'Est, la souveraineté est particulièrement importante, parce qu'ils en ont été privés pendant plus de quarante ans. Ils sont donc attachés à leur souveraineté retrouvée et leur vision de l'Europe est différente. L'élargissement rend indispensable l'adoption de réformes importantes. En 1994, il y a eu un débat très vif à la suite de nos propositions et l'on aurait dû en tirer des conclusions. L'analyse faite à l'époque reste en tout état de cause valable aujourd'hui ;

- en matière de défense, les Etats membres, à l'exception peut-être du Royaume-Uni, doivent réaliser des efforts importants. La France dispose d'un budget militaire supérieur à celui de l'Allemagne et a surtout décidé de le relever. L'Allemagne doit, elle aussi, augmenter son budget, non seulement en matière de défense, mais aussi en ce qui concerne les affaires étrangères et l'aide publique au développement. Les dépenses de ces trois ministères sont en effet passées de 22 % du PIB en 1989, à moins de 12 % en 2002. Cette évolution est en contradiction avec les priorités actuelles. Il faut répartir autrement les fruits de la croissance. L'objectif, à terme, ne doit cependant pas être de disposer d'un budget militaire équivalent à celui des Etats-Unis. L'Europe doit plutôt insister sur ses points forts, tout en prenant en compte le facteur militaire ;

- la participation du Royaume uni à une défense européenne est souhaitable, mais elle risque de soulever des difficultés en cas de divergences de fond, comme cela a été le cas lors de la crise irakienne. La politique étrangère commune doit donc constituer une priorité pour l'Europe, la mise en commun des forces armées n'étant que l'instrument de cette politique ;

- les réformes structurelles en matière économique et sociale entreprises par les Etats sont fondamentales pour permettre de relancer l'activité en Europe ;

- il ne faut jamais dépendre des décisions britanniques. Les Britanniques ont l'armée la plus importante en Europe, mais le potentiel de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg est supérieur. La France et l'Allemagne doivent donc prendre l'initiative en matière de défense commune, et le Royaume uni suivra le mouvement ;

- la méfiance manifestée par de nombreux Etats européens vis-à-vis de la France et de l'Allemagne permet aux Etats-Unis de jouer un rôle diplomatique important dans le monde. L'Espagne se méfie traditionnellement de la France, l'Italie de la France et de l'Allemagne et la Pologne de l'Allemagne. Nous devons donc être plus attentifs aux souhaits des autres Etats européens et adopter une ligne politique plus claire à leur égard ;

- l'Europe doit être assez forte pour pouvoir faire face aux Etats-Unis dans certaines situations, mais il faut rejeter l'antiaméricanisme, qui ne peut que nous inquiéter ;

- contrairement à ce que l'on pense parfois, l'Allemagne n'a pas uniquement le regard tourné vers les pays d'Europe centrale et orientale. Les Allemands ont compris depuis longtemps l'importance fondamentale des pays du bassin méditerranéen pour l'avenir de l'Europe. C'est la raison pour laquelle ils ont été très affectés par la crise irakienne ;

- il est regrettable que les Etats-Unis participent seuls au sommet d'Aqaba et que les Européens en soient exclus. Le monde islamique est aujourd'hui très présent en France et en Allemagne, qui doivent rester en première ligne sur les dossiers du Proche-Orient ;

- le cœur du noyau dur demeure la France et l'Allemagne. Mais le noyau dur doit rester ouvert et accueillir d'autres Etats, s'ils partagent la vision d'une « Europe européenne » et non pas d'une « Europe atlantiste » ;

- la France et l'Allemagne ont aujourd'hui des alliés, les peuples européens, qui se sont sentis concernés et mobilisés lors de l'intervention américaine en Irak. A une large majorité, les Européens étaient contre la guerre. Si la France et l'Allemagne continuent à avancer dans la même direction, les peuples contraindront les autres Etats - l'Italie et l'Espagne, notamment - à les rejoindre.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a approuvé les deux textes suivants :

¬ Pêche

- proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et le gouvernement de Maurice concernant la pêche dans les eaux mauriciennes, pour la période allant du 3 décembre 2002 au 2 décembre 2003 (document E 2285) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté européenne, et à l'application provisoire de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et le gouvernement de Maurice concernant la pêche dans les eaux mauriciennes, pour la période allant du 3 décembre 2002 au 2 décembre 2003 (document E 2286).