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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 49

Réunion du mardi 17 juin 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président,

Audition de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (audition ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui de la tenue de cette audition, qui a lieu en présence des membres du groupe d'études sur l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la régulation internationale présidé par M. Olivier Dassault.

Il a observé que l'OMC n'a respecté aucune des cinq échéances intermédiaires fixées par la Déclaration de Doha avant la tenue de la Conférence de Cancun : rien n'a pu être décidé dans les domaines des modalités d'accès au marché des produits agricoles et non agricoles, de l'accès des pays pauvres aux médicaments brevetés, du traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement et de la réforme de l'Organe de règlement des différends.

Le Président Pierre Lequiller a demandé si, dans ces conditions, la Conférence de Cancun peut encore parvenir à donner une impulsion décisive aux négociations, afin que ces dernières puissent avancer de manière réellement équilibrée.

Il s'est par ailleurs demandé si l'Europe ne doit pas apprendre à mieux gérer la bataille de la communication à l'OMC pour ne pas paraître comme étant systématiquement sur la défensive et faire ressortir davantage la position faussement offensive des Etats-Unis sur certains sujets, notamment l'agriculture.

M. Olivier Dassault, président du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, a jugé qu'au stade actuel des négociations, aucun pays n'a vraiment « découvert » son jeu. Ainsi, les membres de l'OMC ont affiché leurs ambitions sans vouloir préciser le contenu concret des prochains accords.

M. Olivier Dassault a estimé que l'Organe de règlement des différends constitue le « noyau dur » de l'OMC. Il a souligné l'utilisation contrastée que font les Etats-Unis et l'Union européenne des décisions rendues par les panels. Ainsi, l'Union européenne se voit imposer, au titre de la condamnation par l'OMC de l'interdiction d'importer du bœuf aux hormones, une « pénalité » qui prend la forme d'une surtaxe appliquée par les Etats-Unis sur certains produits. La France supporte l'essentiel de cette pénalité, qui est évaluée à environ 77 millions de dollars.

Il est vrai que l'Union européenne a été autorisée par l'OMC à imposer des sanctions d'une valeur de quatre milliards de dollars aux Etats dont les subventions fiscales à l'exportation ou Foreign Sales Corporation (FSC) ont été jugées non conformes avec les accords de Marrakech. Mais la Commission européenne a décidé de manière unilatérale, et sans exiger de contrepartie, d'accorder un délai de deux ans aux Etats-Unis pour que ces derniers mettent en conformité leur législation avec les recommandations de l'Organe de règlement des différends.

Or, ce système illégal de subventions aux exportations a déjà fait l'objet d'une condamnation antérieure, qui a conduit les Etats-Unis à le toiletter sans en modifier les aspects contestables.

Le préjudice subi par l'Europe est ancien, mais cette dernière ne semble pas décidée à recourir aux sanctions autorisées par l'OMC.

En effet, M. Pascal Lamy, commissaire européen en charge du commerce, a indiqué au cours d'une audition organisée la semaine dernière que les pénalités obtenues par l'Europe ne sont pas destinées à être appliquées, mais visent uniquement à inciter les Etats-Unis à respecter leurs obligations multilatérales.

Ainsi, autant l'Europe temporise dans l'affaire des FSC, autant les Etats-Unis n'hésitent pas à appliquer des mesures de rétorsion dès lors qu'ils sont autorisés à le faire.

M. Olivier Dassault a donc souhaité savoir pourquoi l'Europe tarde à faire usage des droits qui lui sont reconnus par l'Organe de règlement des différends.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, a évoqué en premier lieu l'état d'avancement des négociations.

Il a d'abord constaté qu'aucun accord intermédiaire n'a été conclu en conformité avec le calendrier fixé par la Déclaration de Doha. Ce type de « dérapage » est classique dans les négociations multilatérales : à ce stade, les membres se contentent de marquer leur territoire et évitent de faire des offres détaillées, afin de ne pas payer deux fois, c'est-à-dire au début puis à la fin du cycle.

Cette technique de négociation est légitime et particulièrement pertinente dans le domaine agricole où le ministre de l'agriculture, M. Hervé Gaymard, a souligné qu'une réforme anticipée de la PAC ne doit pas aboutir à faire payer cette politique une deuxième fois après la Conférence de Cancun.

Pour autant, les négociations ne font pas du « surplace ».

Ainsi, en ce qui concerne l'accès des pays en développement aux médicaments brevetés, un accord a failli être conclu, comme prévu, en décembre 2002. Les deux pôles extrêmes de la négociation, l'Inde et le Brésil, d'une part, les Etats-Unis, d'autre part, ont évolué dans leurs positions, ce qui a créé les conditions d'un quasi accord. L'échec finalement survenu a conduit les Etats-Unis à annoncer un moratoire pour les plaintes pouvant être déposées contre les pays qui produiraient des médicaments sous licence obligatoire et les exporteraient vers les pays qui en ont besoin, en contradiction avec les règles de l'OMC. Puis, à l'occasion du Sommet du G8 réuni à Evian, les Etats-Unis ont fait part de leur volonté de trouver une solution à ce problème avant la Conférence de Cancun.

Par ailleurs, le ministre délégué a souligné que le second anniversaire du 11 septembre doit donner une impulsion aux négociations de Cancun. Le succès de Doha, qui a permis le lancement du nouveau cycle de négociations, est dû en partie à la prise de conscience globale de l'importance de ces négociations pour la paix et le soutien à la croissance mondiale. Ce facteur psychologique peut encore jouer à Cancun.

En outre, la relance des relations transatlantiques doit inciter à l'optimisme. L'entente entre les Etats-Unis et l'Union européenne s'est exprimée lors de la réunion de l'OCDE du mois d'avril où les deux négociateurs, M. Pascal Lamy et M. Robert Zoellick, ont élaboré conjointement un programme de préparation de Cancun. Ce signal était attendu, car il était urgent que les décideurs envoient un message de confiance aux acteurs économiques.

Le ministre délégué a indiqué que les négociations avancent sur certains points. C'est le cas de celles qui portent sur les droits de douane applicables aux produits industriels. Le texte du président du groupe de négociations, M. Girard, constitue, de l'avis de la majorité des membres de l'OMC, une bonne base de négociation, dont il ne faut qu'ajuster les paramètres. Cette avancée est importante car elle porte sur les échanges de produits qui représentent 70 % du commerce international des marchandises.

En ce qui concerne les indications géographiques, le dialogue a été relancé. Ce volet des négociations agricoles est très important pour l'Union : l'enjeu est bien de mondialiser le système européen des indications géographiques, qui a repris au niveau communautaire les appellations protégées françaises. Les pays en développement commencent à comprendre l'importance de l'enjeu : ils ne perçoivent plus les indications géographiques comme un instrument protectionniste, mais comme un mécanisme permettant d'apporter une plus-value à leurs productions locales, comme le riz basmati pour l'Inde.

Abordant le deuxième point de son exposé, le ministre a présenté les attentes de l'Europe concernant le cycle de Cancun.

Cancun constitue une étape importante des négociations, mais il ne faut pas dramatiser à l'excès ce rendez-vous, car personne ne peut affirmer si l'échéance de fin 2004 fixée pour le terme du cycle sera respectée.

Quoi qu'il en soit, les résultats de Cancun seront appréciés au regard de l'objectif du développement, qui a été placé au cœur du cycle de Doha.

En effet, le précédent cycle dit « d'Uruguay » a été un cycle de croissance des exportations des pays développés, qui n'a pas vraiment profité aux pays les moins riches. Les membres de l'OMC se sont donc engagé à Doha à faire du prochain cycle un outil pour la croissance et la prospérité des pays en développement.

C'est l'objet des propositions françaises concernant l'agriculture émises au sommet Afrique-France, endossées par l'Union européenne et transmises ensuite au G8. Ces dernières s'articulent autour de trois axes.

En premier lieu, les pays développés doivent aligner les préférences commerciales qu'ils accordent aux pays en développement sur les plus généreuses d'entre elles. On constate en effet à l'heure actuelle une grande disparité entre les régimes préférentiels, l'Union européenne accordant un accès à droit zéro et sans quota à tous les produits des pays les moins avancés, tandis que les Etats-Unis offrent pour cette catégorie de pays en développement un accès en franchise de droit pour les produits textiles fabriqués à partir de fibres américaines.

En deuxième lieu, la France propose d'élaborer un mécanisme de garantie de stabilité du cours des matières premières. Afin d'illustrer son propos, le ministre a cité l'exemple du coton. Le Burkina Faso vient de déposer au nom des pays d'Afrique de l'Ouest une plainte à l'OMC contre les subventions que les Etats-Unis versent à leurs producteurs de coton, rendus ainsi plus compétitifs sur le marché mondial au point d'étrangler leurs concurrents d'Afrique. Le coût de production de la livre de coton aux Etats-Unis est de 0,7 dollar, mais les subventions versées permettent de réduire ce dernier à 0,4 dollar, alors qu'il est de 0,5 dollar en Afrique. Cette concurrence déloyale a des effets désastreux sur les pays qui sont dépendants des recettes d'exportation tirées d'un seul ou de quelques produits agricoles. Ainsi, le Mali qui compte 3 millions de producteurs de coton a réalisé l'an dernier une production équivalente à seulement 50 % de son potentiel.

Les pays développés doivent corriger cette injustice, en réfléchissant aux modalités de mise en œuvre d'un mécanisme global de stabilisation des cours des matières premières. La Banque mondiale a commencé à travailler sur ce sujet techniquement complexe.

En dernier lieu, la France a proposé de suspendre tous les soutiens à l'exportation nocifs pour les pays en développement. Toutes les formes de soutien doivent être concernées, y compris les soutiens internes ayant des effets sur les exportations, comme les aides américaines à la production de coton, et l'aide alimentaire utilisée à des fins d'écoulement des excédents.

Ainsi, Doha doit être un cycle de développement. Mais il doit permettre aussi à l'Europe de servir ses intérêts.

Dans le domaine des produits industriels, il faut s'attaquer aux pics tarifaires auxquels se heurtent les exportations des entreprises européennes. Ces pics peuvent atteindre 50 % en Inde pour les importations de produits textiles.

L'Europe doit en parallèle mettre en avant le haut degré de libéralisation qu'elle a atteint dans le domaine de l'accès au marché. Le droit de douane moyen appliqué dans l'Union européenne est de 3,8 %, ce qui reflète l'importance des efforts déjà accomplis.

Le ministre délégué a indiqué qu'un milliard d'exportations représente 15 000 emplois en France. Les gains potentiels d'une libéralisation accrue des échanges sont parfois estimés à 100 milliards de dollars d'ici 2010. Par ailleurs, l'excédent commercial de la France est de 10 milliards d'euros, performance à comparer avec les 120 milliards d'euros dégagés par l'Allemagne. La France a tout à gagner d'une nouvelle baisse des droits de douane.

S'agissant de l'agriculture, le ministre a considéré que l'Europe doit combler un certain retard en matière de communication. Vue du reste du monde, la PAC apparaît comme une politique n'ayant pas évolué depuis la mise en place du marché commun. L'Europe est présentée comme étant une forteresse alors qu'elle est le premier importateur de produits agricoles en provenance des pays en développement : elle importe de ces pays 28 milliards d'euros contre 8 milliards pour les Etats-Unis. D'autre part, si elle a diminué sa production de blé de 5 millions de tonnes entre 1995 et 2000, l'Australie a augmenté d'un même volume ses exportations au cours de cette période. En outre, en matière de soutiens internes, le montant des aides par agriculteur en Europe est inférieur à celui constaté aux Etats-Unis, soit 16 000 dollars contre 21 000 dollars. Enfin, l'Europe a plafonné ses dépenses agricoles, un effort qui doit être valorisé.

Ces acquis de l'Europe doivent devenir des atouts dans les négociations à l'OMC et être exploités comme tels.

M. François Loos a rappelé que la négociation portait aussi sur les services et qu'en ce domaine, ce n'est pas l'existence des services publics qui est en cause, mais le niveau de libéralisation de l'ensemble des services. L'Union européenne doit encore notifier à l'OMC ses engagements à ce sujet, les derniers datant de 1993. Or, de même que les droits européens qui pèsent sur l'importation des produits industriels sont parmi les plus bas, le secteur des services européens est l'un des plus ouverts au monde, de sorte que la passation des prochains engagements consistera seulement à faire enregistrer par l'OMC la situation actuelle sur les services, sans autre effort à fournir.

Quant à la sanctuarisation des domaines de l'éducation et de la culture, le ministre a mis en garde ceux qui la tiendraient volontiers pour définitivement acquise : elle est au contraire soumise à des pressions quotidiennes qui prennent la forme de nombreux accords bilatéraux obtenus par les Américains dans le domaine de l'audiovisuel.

Il a fait part des efforts qu'il a déployés au cours de rencontres où il a pu s'entretenir avec ses homologues appartenant à des pays qui défendent des positions parfois très éloignées des positions européennes : Indiens, Chinois, Australiens... Les consultations entre Européens ne sont pas non plus inutiles pour éviter que le front commun qu'ils présentent ne soit qu'une attitude de façade. Une rencontre a eu lieu dernièrement dans le cadre de l'ASEM (Asia-Europea Meeting), où les pays asiatiques ont exprimé des préoccupations proches des nôtres. Ainsi, une réunion européenne est prévue le 6 juillet, suivie le lendemain d'une discussion dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen, où les vingt-cinq Etats membres, actuels et futurs, s'entretiendront avec dix pays du bassin méditerranéen. De même, une réunion européo-asiatique doit se dérouler en Chine le 22 juillet, après consultation préalable entre Européens. D'autres rencontres suivront en Egypte et au Canada.

Sur le front intérieur, le ministre a estimé qu'il était nécessaire d'intensifier le dialogue avec les organisations non gouvernementales et la société civile d'une manière générale, indiquant que des rencontres s'étaient déjà déroulées au ministère des finances. Il a salué le travail considérable accompli par ces organisations, revenant sur l'exemple de l'étude réalisée par Oxfam sur la question du coton. Il a observé que ces travaux, même lorsqu'ils ne sont pas connus du grand public, nourrissent le débat entre spécialistes de manière déterminante.

M. François Loos a émis le vœu que le jeu des rétorsions réciproques et des procédures juridictionnelles à l'OMC n'altère pas le contenu des discussions en cours, rappelant que la part la plus importante du contentieux porté devant le panel de l'OMC ne fait qu'opposer entre eux des pays du Sud. Quant aux affaires qui mettent aux prises les Etats-Unis et l'Europe, elles ont déjà valu aux Etats-Unis d'obtenir le bénéfice de 117 millions d'euros de pénalités à imposer aux importations européennes, 77 de ces derniers pesant aujourd'hui sur des produits français. A l'inverse, la condamnation des Etats-Unis sur le sujet des FSC (Foreign Sales Corporation) a ouvert à l'Europe la possibilité de percevoir quatre milliards d'euros de taxes à l'importation sur les produits américains. Vu l'ampleur de la somme, le problème se pose de savoir comment ces pénalités pourraient être distribuées sur les importations américaines, le consommateur européen étant en dernier ressort celui qui doit en acquitter le montant. Aussi des consultations ont-elles été engagées dans les différents pays européens avec les professionnels concernés.

Pour l'avenir, le ministre a souhaité que ces considérations ne donnent pas des négociations en cours l'image d'un pugilat, regrettant à cet égard la procédure récemment engagée au sujet des OGM et qui tire son origine du fait que la Zambie a rejeté l'aide alimentaire américaine contenant des OGM, alors même que le pays se trouvait en situation de famine.

M. Jean-Michel Fourgous, membre du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, a souhaité savoir quels étaient les secteurs où l'effet d'entraînement des exportations sur l'emploi s'avérait le plus fort et, d'autre part, les conditions dans lesquelles le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pourrait améliorer son action dans le domaine de l'exportation.

M. Marc Laffineur, rapporteur d'information sur les négociations en cours à l'OMC, a déclaré être étonné par la vitalité de la stratégie américaine à la veille de la réunion de Cancun. Dans le domaine agricole, il a constaté que l'Union européenne était mise en accusation pour les subventions qu'elle versait à l'agriculture à l'exportation, et donc soupçonnée d'empêcher, ainsi, le développement des pays du sud, alors que les Etats-Unis aident les exportations de façon massive de telle sorte qu'ils provoquent un effondrement de l'agriculture de ces pays, comme l'illustre l'exemple du coton évoqué par le ministre. M. Marc Laffineur a donc souhaité savoir comment l'Union européenne pourrait mettre en œuvre une communication plus offensive.

S'agissant des pays en développement, M. Marc Laffineur a considéré que l'Europe se devait de contribuer à redéfinir cette catégorie puisqu'aujourd'hui, par exemple, Singapour est regardé, comme le Bénin, comme un pays en développement.

En ce qui concerne les indications géographiques, M. Marc Laffineur n'a pas constaté de volonté américaine d'aboutir à un accord. Evoquant les droits de douane, il a jugé que la démarche américaine qui consisterait à vouloir les abaisser aura pour effet de réduire considérablement les recettes fiscales des pays du Sud, dont la majorité provient de ces droits de douane. Pour ce qui est des services, il s'est demandé si les offres européennes étaient à la hauteur des enjeux.

A propos de la réforme des procédures à l'OMC, il a souhaité que l'Union européenne puisse contribuer à leur amélioration. Quant aux OGM, il a estimé que les Etats-Unis s'en servaient comme moyen de négociation à l'égard de l'Union européenne.

M. Jacques Myard, déclarant que la quadrature du cercle dans laquelle s'inscrit l'économie globalisée posait le problème de la participation des pays en développement dans le cycle commercial de Doha, a exprimé la crainte que ces derniers ne soient davantage déstabilisés par le processus de l'ouverture de leur commerce, qu'il a jugé trop rapide. Cette question est d'autant plus cruciale qu'à l'inverse de l'Union européenne et des Etats-Unis, qui sont des partenaires égaux, les pays en développement se trouvent confrontés à une situation qui s'avère très fragile. M. Jacques Myard a considéré que, dans ce contexte, leur cas devrait non pas relever des négociations à l'OMC, mais d'une autre philosophie. Par ailleurs, il a fait observer qu'en 1914, avant la création du marché commun, la France était le premier partenaire commercial de l'Allemagne et réciproquement.

M. Jérôme Lambert a considéré que la création d'un grand marché mondial, présentait certes un intérêt économique, mais devait être réexaminée au regard de ses apports sur les plans social et humain. Les défaillances constatées en ces domaines appellent à une vigilance, dont la nécessité est partagée par tous les Français, pour qui une certaine idée de la politique implique que l'économie soit au service de l'homme.

Evoquant les droits de douane que l'Union européenne pourrait imposer aux Etats-Unis au titre du contentieux sur les FSC, M. Jérôme Lambert a observé qu'à l'inverse des Etats-Unis, l'Union européenne était réticente à mettre en œuvre une telle mesure de façon effective. Il s'est étonné qu'en ce domaine, l'Europe surestime les effets qui pourraient en résulter pour les consommateurs et les produits européens, car ces derniers ne seront pas automatiquement moins compétitifs que les produits américains. Il a souhaité dès lors savoir quelles mesures l'Union européenne comptait prendre pour agir dans un sens conforme à ses intérêts.

M. Olivier Dassault, Président du groupe d'études sur l'OMC et la régulation internationale, s'est déclaré étonné que la Commission ne demande pas, au sujet des FSC, l'annulation de la surtaxation par les Etats-Unis des produits français. Ne pourrait-on pas d'ailleurs imaginer un mécanisme de compensation entre les pénalités ? Il a souligné que des droits prohibitifs étaient appliqués par les Etats-Unis à certains produits pour protéger certaines de leurs productions. Cela a été le cas pour le jus d'orange de Floride, pour des raisons, semble-t-il, électorales.

Le ministre délégué a apporté les éléments de réponse suivants :

- le jus d'orange de Floride fait partie des produits menacés d'être taxés parmi la liste des sujets relevant des FSC ;

- s'agissant des OGM, il n'est pas du tout sûr que la politique conduite par les Etats-Unis soit gagnante pour eux ; elle peut en effet se révéler contre-productive. Il en de même en matière d'acier. La pertinence des positions respectives des Etats-Unis et de l'Union européenne est de fait souvent subtile à déceler ;

- dans le domaine agricole, les Etats-Unis ont utilisé tous les moyens pour protéger leur industrie et, plus largement, leur économie. Leur système de subventions agricoles, qui existe tant au niveau fédéral qu'à celui des Etats, est d'ailleurs fort étendu et complexe. La France plaide en faveur de son allègement ;

- l'Union européenne souhaite que les pays en développement bénéficient des nouvelles règles du commerce international. Cependant, ceux-ci en tirent inévitablement profit de manière inégale en raison de leurs différences de situation et, en particulier, de leur niveau de pauvreté et d'endettement. Il faut tenir compte de ces différences dans la politique des cours mondiaux et l'établissement des systèmes de préférences, en évitant que des exportations « sauvages » viennent annuler les efforts de ces pays. Cela suppose une action multilatérale d'ensemble de la communauté internationale. La plainte déposée par les pays africains sur le coton atteste cette prise de conscience ;

- savoir si le processus actuel est au service de l'homme ou du marché dépend de la définition que l'on donne du commerce - que l'on peut concevoir comme la satisfaction de besoins plus ou moins importants. C'est d'ailleurs cette approche qui a présidé à l'idée de créer un marché commun européen ;

- en matière sociale, l'Union plaide, comme la France, en faveur de l'intégration des droits sociaux dans les règles du commerce international : les travaux du Bureau international du travail (BIT) doivent être davantage pris en compte par l'OMC. Cependant, la plupart des pays en développement s'y opposent. Cela dit, leur attitude est amenée à évoluer : on peut par exemple penser que l'Inde sera sans doute conduite à changer de position face à l'accroissement du volume des exportations en provenance de Chine ;

- au sujet des créations d'emplois entraînées par l'augmentation des exportations, il convient de souligner le processus de spécialisation par pays qui s'est fait jour à la suite des grandes restructurations industrielles. La domination de Boeing et d'Airbus dans le domaine aéronautique le montre. La France a vocation à focaliser son effort sur la recherche-développement, afin de se spécialiser sur les emplois et les secteurs à forte valeur ajoutée. Au lieu d'essayer de relocaliser des industries délocalisées dans certains pays d'Europe de l'Est ou certains pays en développement, qui est une entreprise perdue d'avance, il est en effet préférable de se concentrer sur les domaines à forte production de savoir et de richesse ;

- il est remarquable d'observer que le volume des exportations françaises vers les Etats-Unis a été en 2002 de 26 milliards d'euros, alors que la production provenant d'entreprises françaises installées aux Etats-Unis a engendré 150 milliards d'euros - soit six fois plus - et employé 900 000 personnes. Cela montre bien combien l'internationalisation dépasse largement le cadre des échanges commerciaux et la part considérable de richesse résultant des investissements étrangers des pays par rapport à ces échanges ;

- les médicaments constituent une question majeure. La disproportion entre le nombre de malades et celui des personnes soignées est en effet très forte. Ainsi, en Afrique, sur 30 millions de personnes atteintes du SIDA, seulement 36 000 sont soignées ; le cas du Mali est particulièrement alarmant. Or, la seule façon d'accroître significativement le nombre de personnes soignées par la trithérapie est de baisser le prix de celle-ci. Cela impose de convaincre les firmes pharmaceutiques détentrices des brevets de le faire, comme l'ont fait certaines d'entre elles face à la pression exercée par des fabricants indiens de génériques. Entre les droits des brevets et de la propriété industrielle - qui doivent par ailleurs être respectés - et le droit des personnes atteintes de maladies mortelles à être soignées, le Gouvernement estime qu'il faut donner la priorité à ce dernier. Le développement des génériques permet notamment d'y parvenir. Face aux demandes de faire bénéficier de cette priorité d'autres maladies telles que le diabète ou l'obésité, les Etats-Unis ont manifesté des réticences. Cependant, ils ont indiqué au dernier sommet du G8 qu'ils entendaient trouver une solution satisfaisante à ce problème avant la réunion de Cancun et qu'ils étaient disposés à y consacrer 15 milliards de dollars. Reste à savoir si cette somme sera utilisée dans un cadre bilatéral ou bien multilatéral, comme le préconise le Gouvernement.