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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 50

Réunion du mercredi 18 juin 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président,

Audition de M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que l'audition du ministre porterait essentiellement sur deux thèmes : d'une part, la réforme de l'Union européenne à la suite des travaux de la Convention qui a réussi à présenter un projet de Constitution européenne, sans options, et dont il faut espérer que la Conférence intergouvernementale ne le remettra pas en cause malgré la réaction de certains gouvernements ; d'autre part, les perspectives offertes par le Conseil européen de Thessalonique, en particulier dans le débat sur l'asile et l'immigration.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, s'est réjoui que le Président Valéry Giscard d'Estaing puisse présenter au Conseil européen de Thessalonique un projet de texte pour la future Constitution européenne et, au moment où s'achève l'entreprise historique de la Convention, a salué la qualité du travail accompli par l'ensemble des Conventionnels. En seize mois, malgré les tensions internationales, la Convention a réussi à dégager un consensus pour répondre à la mission qui lui avait été fixée au Conseil européen de Laeken en décembre 2001 : rendre l'Europe élargie plus efficace, plus démocratique et plus transparente. Quand on se rappelle l'état d'esprit européen d'alors, on mesure le tour de force.

Le texte qui sera présenté aux vingt-cinq chefs d'Etat ou de gouvernement marque un résultat ambitieux auquel la France apporte tout son soutien.

D'abord, il répond largement à l'objectif de simplification qui avait été fixé par la déclaration de Laeken afin de rapprocher l'Europe des citoyens : la structure en piliers est supprimée ; la distinction entre Communauté européenne et Union européenne est abolie ; les instruments et les procédures ont été rationalisés. Leur dénomination (loi européenne, loi-cadre, règlement...) paraîtra plus claire et plus compréhensible.

Ensuite, il répond au souci de rendre le système institutionnel plus efficace et plus légitime dans une Union élargie : la création d'une présidence stable du Conseil européen permettra d'assurer l'efficacité, la continuité et la visibilité nécessaires à l'action de l'Union ; l'élection du président de la Commission par le Parlement européen, le renforcement de son pouvoir de direction sur les commissaires et la réduction de la taille du collège à partir de 2009 renforceront le rôle de la Commission en améliorant son efficacité ; la généralisation de la procédure de codécision permettra au Parlement européen de devenir un véritable co-législateur avec le Conseil ; enfin la création d'un ministre des affaires étrangères européen apportera à la politique étrangère la visibilité et la cohérence qui lui font encore défaut.

En ce qui concerne les politiques, rien n'est encore définitif puisque la Convention doit encore se réunir en juillet pour en débattre. Les propositions du Praesidium vont dans le bon sens, notamment sur la généralisation du champ de la majorité qualifiée pour répondre aux attentes de nos concitoyens dans un certain nombre de domaines, comme la justice et les affaires intérieures. Le champ de la majorité qualifiée et de la codécision y est largement étendu, et les moyens opérationnels de l'Union sont renforcés dans la perspective d'un parquet européen, inscrit dans le projet.

Néanmoins, la France souhaite davantage d'ambition dans les domaines de la politique étrangère et de défense et dans le champ social notamment, où nos concitoyens ont des attentes particulièrement fortes.

Sur la politique étrangère et de sécurité commune, la France a proposé que la majorité qualifiée s'applique pour les propositions émanant du ministre des affaires étrangères de l'Union. Cette extension de la majorité qualifiée doit s'accompagner de la définition d'un statut spécial pour le ministre au sein de la Commission, afin de préserver le lien particulier qui doit l'unir au Conseil dont il devrait présider la formation « relations extérieures ».

En matière sociale, la France est très attentive à ce que la majorité qualifiée soit étendue afin de rendre l'Union plus efficace et, sur les services d'intérêt général équivalant à nos services publics, elle reste fermement attachée à ce que la future Constitution permette de les consolider en tant que partie intégrante de notre modèle social.

Sur la question si délicate des accords commerciaux en matière de services culturels et audiovisuels, la France s'est efforcée de faire reconnaître la spécificité de ce secteur et la nécessité de maintenir la compétence partagée entre l'Union et les Etats, donc l'unanimité. Elle a un bon espoir de progresser au cours des prochaines semaines dans un domaine où le Gouvernement se montrera déterminé durant la Conférence intergouvernementale.

Enfin, deux des propositions qui seront présentées par le président Valéry Giscard d'Estaing méritent une mention particulière. D'abord, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux, qui était notre vœu depuis Nice, permettra de donner aux valeurs et aux droits essentiels la force contraignante qui leur manquait. Ensuite, le rôle des parlements nationaux est renforcé par des avancées majeures, notamment dans le contrôle du principe de subsidiarité, même si l'on peut regretter que notre proposition de créer un Congrès n'ait pas été retenue alors qu'elle aurait donné une meilleure lisibilité à la politique générale de l'Union.

Le Conseil européen de Thessalonique marquera une nouvelle étape du processus de réforme engagé à Laeken. Il fixera les conditions d'organisation et le calendrier de la Conférence intergouvernementale qui devrait commencer ses travaux fin octobre. Le texte de la Convention doit constituer la base des travaux de la Conférence intergouvernementale et non un simple « point de départ ». Si celle-ci ouvrait à nouveau la boîte de Pandore, il serait en effet difficile de répondre dans les délais. Il faut donc que les gouvernements confirment les choix des Conventionnels et qu'ils sachent répondre avec audace aux défis de l'Europe élargie et aux attentes des citoyens européens. La France, pour sa part, y est déterminée.

Le Conseil européen se penchera également sur les questions d'asile et d'immigration. Conformément au mandat adopté l'an dernier à Séville, la présidence grecque entend faire de Thessalonique un temps fort de la montée en puissance des politiques communautaires en matière d'immigration et de contrôle des frontières extérieures. Le Gouvernement appuie cette mobilisation, qui s'inscrit dans le contexte du renforcement des politiques de sécurité intérieure dans l'Union, conforme aux souhaits de nos concitoyens.

D'abord, en ce qui concerne la question du « partage du fardeau », la présidence cherchera à faire prendre en compte cette préoccupation qui est la sienne, mais aussi celle de tous les Etats membres confrontés à la pression migratoire extérieure à leurs frontières. La présidence et la Commission souhaitent faire avaliser par le Conseil européen des financements supplémentaires en faveur des politiques de lutte contre l'immigration. Ces politiques devront naturellement connaître une traduction budgétaire et prendre en compte la situation des Etats membres les plus directement confrontés à la pression migratoire. Toutefois, il n'est pas souhaitable de préempter les décisions budgétaires de l'après 2006 et nos partenaires partagent en majorité cette préoccupation.

En ce qui concerne la gestion des frontières extérieures, le principal point en discussion concerne le développement d'une politique commune et intégrée de contrôle des frontières extérieures. La Commission prône la création d'une structure opérationnelle communautaire pour gérer et coordonner les actions aux frontières extérieures. La France est favorable à cette initiative, pour peu qu'elle place cette unité auprès du Conseil et n'aille pas jusqu'à créer une agence de type Europol, comme le souhaiteraient certains partenaires, qui conduirait à un alourdissement tout à fait considérable du dispositif.

Sur la question du retour des immigrés illégaux, les autorités françaises réagissent avec prudence à ce stade aux idées de la Commission européenne de créer un fonds pour financer les retours. Elles souhaitent en effet préserver la compétence des Etats membres et demandent une évaluation préalable des besoins.

Par ailleurs, le thème de l'immigration devra être intégré au dialogue entre l'Union et les pays tiers, dont la coopération en matière de retour et de lutte contre l'immigration illégale devra dorénavant être prise en compte. La France, soucieuse d'une approche équilibrée dans ce domaine, a exclu l'an dernier à Séville toute idée de sanction à l'égard des pays tiers non coopératifs. Pour autant, l'idée de développer un mécanisme d'évaluation de la coopération des pays tiers dans ce domaine paraît compatible avec notre approche. Il ne faut pas prendre en otage les budgets de coopération, mais faire passer des mesures indispensables par le dialogue.

Enfin, la France partage les réticences de ses partenaires à l'égard de l'initiative britannique qui vise à créer des zones d'accueil pour les demandeurs d'asile dans les pays tiers. Les Quinze n'ont pas souhaité lancer de projets pilotes sur la création de centres de transit pour recevoir les demandeurs d'asile aux portes de l'Union. En revanche, l'idée de créer des zones d'accueil en marge des régions de conflit pourrait faire l'objet d'expérimentations.

La position des autorités françaises dans le domaine de l'asile et de l'immigration est inspirée par le souci d'équilibre qui a prévalu lors du Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, et qui s'exprime par l'image du triptyque : fermeté dans la lutte contre l'immigration illégale, intégration des étrangers en situation régulière, coopération avec les pays d'origine dans le cadre du co-développement. La réforme récente de notre droit d'asile, afin de rendre effectif ce droit devenu très largement virtuel du fait de la complexité des procédures et de l'accroissement des demandes, est une traduction de cette approche.

M. Christian Philip a évoqué les réserves exprimées par les chefs de gouvernement de certains Etats membres à l'égard des résultats de la Convention et a interrogé le ministre sur la capacité de la Conférence intergouvernementale à ne pas rouvrir la « boîte de Pandore ». Il a souligné la nécessité d'engager une vaste campagne publique pour expliquer aux Français les enjeux des réformes proposées par la Convention. Il a regretté qu'il n'ait pas été possible d'aller plus loin dans le renforcement du rôle des parlements nationaux, estimant que, de ce point de vue, le résultat final de la Convention était en retrait par rapport aux propositions des groupes de travail de la Convention sur les parlements nationaux et sur la subsidiarité.

M. Marc Laffineur a souligné le rôle éminent joué par le Président Valéry Giscard d'Estaing pour permettre d'aboutir à un texte ambitieux et cohérent. Il a rejoint l'opinion exprimée par M. Christian Philip quant à la nécessité de lancer en France une grande campagne publique d'information sur les résultats de la Convention. Il faut expliquer aux Français où va l'Europe, l'ambition de la France pour l'Europe ainsi que les conséquences tangibles, pour chaque Français, des réformes envisagées.

M. Christian Paul a souligné l'importance du résultat de la Convention. Il s'est félicité que celle-ci, grâce à un travail en profondeur, ait pu vaincre les nombreux obstacles qu'elle a trouvés sur sa route. Il a néanmoins estimé qu'il s'agissait plus d'une rationalisation structurelle que d'une véritable avancée sur le fond. Il a considéré que l'Europe devra faire maintenant la preuve de sa capacité à relever les défis qui s'offrent à elle : celui de la mondialisation, de la mise en place d'une politique étrangère commune, de la gestion de l'élargissement. Il a souhaité connaître l'avis du ministre sur l'opportunité de l'organisation d'un référendum en France sur les résultats de la Convention.

En réponse aux intervenants, le ministre a rejoint les opinions exprimées sur le rôle remarquable joué par le Président Valéry Giscard d'Estaing, qui a permis d'aboutir à un résultat ambitieux et inespéré. Il a évoqué les réactions des gouvernements vis-à-vis du texte de la Convention. Il a indiqué à cet égard que, malgré un certain nombre de réserves exprimées par quelques gouvernements, il apparaissait que la Convention avait réussi à dégager une ligne d'équilibre entre les partisans d'un statu quo et ceux qui étaient déterminés à aller de l'avant. Il a estimé que le statu quo ne pouvait pas fonctionner à vingt-cinq et qu'il était par conséquent essentiel de mettre en place de nouvelles règles répondant aux exigences de la prise de décision et de l'efficacité. Il a souligné que le renforcement de chacun des trois pôles du « triangle institutionnel » constituait par lui-même une avancée importante.

Il a émis le souhait que la Conférence intergouvernementale ne remette pas en cause l'équilibre global de la Convention, même s'il est légitime de prendre en compte les préoccupations des uns et des autres sur certains aspects particuliers. La remise en cause des résultats de la Convention rouvrirait des débats très difficiles.

S'agissant des dispositions concernant les parlements nationaux, il a évoqué le renforcement des règles relatives à l'information des parlements sur les projets d'actes communautaires, la mise en place, en ce qui concerne la subsidiarité, d'un système « d'alerte précoce » et d'une possibilité de recours indirect des parlements nationaux auprès de la Cour de justice.

Il s'est déclaré convaincu de la nécessité de lancer sans tarder une campagne publique d'information, même s'il n'est pas possible d'anticiper à ce stade les résultats de la Conférence intergouvernementale. Il convient de multiplier les échanges avec les nouveaux pays adhérents, ce qui correspond à la mission qui a été confiée à cet égard à Mme Noëlle Lenoir.

Le ministre s'est déclaré en accord avec M. Christian Paul sur les défis que l'Europe se doit de relever, notamment en matière de politique étrangère et de défense. Il a néanmoins souligné que des progrès importants avaient déjà été faits dans ce domaine. Il a ainsi évoqué l'action de l'Union en Macédoine et en Ituri, indiquant à cet égard qu'il s'agissait là du premier engagement de l'Union européenne en dehors de l'Europe - la France assurant le pilotage concret de l'opération. Il a précisé que la décision prise à ce propos par les Etats membres l'avait été sans aucune difficulté. Il a cependant estimé que l'émergence d'une politique étrangère commune impliquait encore des débats difficiles, notamment à propos des relations transatlantiques. Il a considéré que les objectifs de politique étrangère étaient assez largement partagés par les Etats membres, mais que les approches concrètes restaient diverses. Il a jugé souhaitable de sortir de l'ambiguïté à cet égard.

M. Jérôme Lambert a salué le travail accompli par la Convention. Il a toutefois souligné que la véritable attente des citoyens ne concerne pas les institutions mais le projet politique de l'Europe et ses implications en matière de progrès économique et social, de paix et de prospérité. Il est indispensable d'apporter des réponses claires aux questions que se posent les citoyens pour éviter que ne se creuse davantage l'écart entre Bruxelles et les préoccupations quotidiennes des Européens. En ce qui concerne la politique européenne d'immigration, il s'est ému de la proposition du Royaume-Uni de créer dans les pays tiers des « centres de transit » fermés pour les demandeurs d'asile, ce qui reviendrait à reconstituer des « super Sangatte ». S'agissant du mode d'élection des députés européens, M. Jérôme Lambert s'est déclaré satisfait que le projet de la Convention n'impose pas le recours au mode de scrutin proportionnel qui, selon lui, qui exprime là une position minoritaire au sein de l'Assemblée nationale, ne permet pas de rapprocher suffisamment les citoyens de leurs élus. Il a enfin demandé au ministre si la politique agricole commune figurera à l'ordre du jour du Conseil européen de Thessalonique.

Mme Elisabeth Guigou a pris acte des avancées notables de la Convention, soulignant que la méthode conventionnelle avait ainsi apporté la preuve de son efficacité. Les résultats sont inespérés au regard de ce que les dernières semaines pouvaient laisser présager et l'accord obtenu constitue vraisemblablement le moins mauvais des compromis possibles. Pour autant, le projet transmis au Conseil européen est, sur plusieurs points, en retrait au regard des espoirs suscités. Tout en se félicitant de l'acquis considérable que représente l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution, elle a regretté l'absence de progrès quant à la reconnaissance des services publics, à l'extension des compétences de l'Union ainsi que de la règle de la majorité qualifiée. Sur ce point précis, Mme Elisabeth Guigou a déploré que le mécanisme de « passerelle » envisagé pour passer de l'unanimité à la majorité qualifiée soit trop contraignant En ce qui concerne l'architecture institutionnelle, elle a craint que le texte proposé par la Convention ne provoque un déséquilibre du fonctionnement institutionnel au profit d'une logique intergouvernementale, même s'il est faux de considérer que le renforcement d'une institution entraîne automatiquement l'affaiblissement d'une autre. Quant à l'issue possible de la Conférence intergouvernementale, elle s'est déclarée sceptique sur la capacité à améliorer le texte actuel, et a interrogé le ministre sur les marges de manœuvre de cette Conférence qui s'ouvrira à l'automne, souhaitant qu'elle ne « détricote » pas le travail accompli par la Convention.

M. Jacques Myard a souhaité rompre avec les propos très fédéralistes exprimés par ses collègues et a demandé que le débat public qui doit maintenant s'ouvrir permette à toutes les sensibilités de s'exprimer. Il ne s'agit pas d'exiger sans cesse « plus » d'Europe mais « mieux » d'Europe, ce qui suppose justement de « détricoter » des propositions qui conduisent à une impasse. Il a cependant souligné quelques progrès, tels que la clause de retrait qui démontre que le texte proposé par la Convention reste bien un traité et en aucun cas une Constitution, dénonçant là une imposture terminologique. En ce qui concerne le contrôle de la subsidiarité, M. Jacques Myard s'est dit dubitatif quant à la viabilité du mécanisme envisagé, dans la mesure où rien n'est prévu pour restituer aux Etats des compétences que la Commission continue de s'arroger. Cela a pour effet de cantonner les parlements nationaux au rang de chambres d'enregistrement. Il a plaidé en faveur d'une distinction entre ce qui relève du marché intérieur, qui doit être traité au niveau communautaire, et les sujets de nature intergouvernementale tels que la défense qui devrait être gérée par les six Etats qui fournissent l'effort budgétaire le plus important.

M. René André a souhaité faire part de son inquiétude face à la complexité des textes en discussion, estimant que même une très large campagne d'information ne donnerait pas le résultat pour acquis. Il a plaidé en faveur d'un recours plus fréquent aux coopérations renforcées, et a interrogé le ministre sur les propositions de la Convention dans ce domaine ainsi que sur les ambitions de la France. Il s'est déclaré préoccupé par la perception qu'ont de la France les futurs pays membres, citant notamment la Pologne et les pays baltes, qui ont souvent le sentiment que notre pays veut leur imposer ses vues. Il a ainsi estimé qu'il était indispensable de mieux expliquer nos positions et d'intensifier notre dialogue avec les représentants de ces Etats. M. René André a demandé au ministre d'évoquer les perspectives de la présidence italienne de l'Union européenne, qui doit débuter le 1er juillet prochain.

A ces questions, le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- définir un cadre institutionnel n'est pas suffisant et il convient effectivement de renforcer aussi le contenu des politiques communes. Ce sujet est abordé dans la troisième partie du projet de Constitution, qui porte notamment sur les questions sociales, d'éducation et de recherche ainsi que sur la politique de sécurité et de défense. Comme l'indiquent les enquêtes d'opinion, les Français comprennent que l'Europe est à même de satisfaire des besoins réels : ainsi, sur le plan intérieur, l'espace de sécurité et de justice et la lutte contre les pollutions maritimes apportent des réponses tangibles, de même qu'à l'extérieur, la récente intervention en Afrique ;

- au sujet de l'emploi, l'action à mener doit s'appuyer sur l'acquis de l'euro et du marché intérieur, qu'il convient de développer encore ;

- quant à l'immigration, les positions sont connues d'avance selon le pays d'Europe où elles sont exprimées. Etablir des camps aux frontières de l'Union est une idée acceptée dans certains Etats, mais elle paraît particulièrement choquante en France. Il en va de même en matière de retour : la fermeté qu'il faut marquer à l'encontre des pays tiers ne doit pas aller jusqu'à engager avec eux un marchandage inégal ;

- la PAC n'est pas à l'ordre du jour du sommet de Thessalonique, quoique l'on ne puisse pas exclure qu'elle y fasse l'objet d'échanges informels ; la possibilité d'un nouveau Conseil « Agriculture » les 23 et 24 juin n'est pas exclue dans le cas où les ministres de l'agriculture n'arriveraient pas à conclure leur travaux actuellement en cours ;

- sur les rivalités qui pourraient naître du nouvel équilibre institutionnel, la meilleure solution pour les éviter paraît être de renforcer chacun des trois pôles à la fois. L'institution d'un président stable du Conseil européen ne doit pas inquiéter, puisque ce président ne fera qu'assurer la continuité d'une institution existante, et le passage à vingt-cinq Etats membres rend mécaniquement nécessaire un travail préparatoire plus approfondi, effectué par des Conseils « Affaires générales » plus efficaces ;

- le renforcement de la dimension intergouvernementale ne présente pas de vrai risque, dans la mesure où le phénomène est contrebalancé par des procédures de vote qui permettent, dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, de ne statuer à la majorité qualifiée que sur les propositions formulées par le ministre des affaires étrangères de l'Union, dont on peut attendre par nature des initiatives raisonnables au regard de l'intérêt commun. Dans le domaine de la défense et des affaires extérieures, des avancées fédéralistes seraient au demeurant prématurées, la politique à mener en la matière étant moins une politique unique qu'une politique commune pour laquelle le respect d'un code de conduite a encore besoin de s'imposer. Ainsi, malgré l'existence d'une position commune à l'égard de l'Autorité palestinienne, les autorités italiennes ont encore récemment refusé les contacts avec le Président Arafat. Sur la question irakienne, la position commune de l'Union d'une part, la lettre des Huit, d'autre part, ont mis à jour des divergences. Il reste néanmoins que l'Europe doit jouer un rôle pilote dans les Balkans, mais aussi agir davantage en Afrique, et au Maghreb à travers des coopérations concrètes. Le ministre des affaires étrangères de l'Union apportera à la réalisation de ces objectifs son expertise et sa capacité de proposition. Par ailleurs, la part de l'intergouvernemental recule dans le secteur de la justice et des affaires intérieures ;

- dans le domaine social, trop de lacunes subsistent en effet et il convient d'avancer encore, sans craindre de passer outre certaines oppositions, si nécessaire par l'intermédiaire de coopérations renforcées qui peuvent être un moyen de les contourner ;

- quant à la question de savoir si la Conférence intergouvernementale apportera au texte de la Convention des améliorations ou lui enlèvera de sa substance, cela dépendra de la solidité des convictions européennes qui s'exprimeront chez les différents partenaires. Il conviendra de voir quels sont les points d'achoppement pour tel ou tel pays, et notamment pour l'Espagne, la France entendant quant à elle rester particulièrement ferme sur les compétences des Etats membres dans les négociations commerciales en matière culturelle et la question agricole. Aujourd'hui comme hier, il faut tenir compte des susceptibilités et des héritages historiques, telle que la relation ancienne et solide que les Etats-Unis et la Pologne entretiennent sur les questions de sécurité. Sur tous ces sujets, le texte de la Convention a cependant marqué qu'il existait une volonté commune d'avancer ;

-  les coopérations renforcées devraient bénéficier d'une souplesse accrue, la décision d'y recourir pouvant être prise désormais par un tiers des Etats membres, ce qui devrait éviter les blocages. La France a proposé pour sa part que les Etats qui participent à une coopération renforcée puissent la conduire à la majorité qualifiée dans les domaines régis à vingt-cinq par l'unanimité ;

- la présidence italienne sera confrontée à des choix difficiles. Ses priorités seront largement dictées par le calendrier, qu'il s'agisse de la Conférence intergouvernementale, de la justice et des affaires intérieures (en particulier la lutte contre l'immigration clandestine), de la finalisation de l'élargissement et de la relance de la croissance par une politique de grands travaux et un grand emprunt européen sous l'égide de la Banque européenne d'investissement.

M. Bernard Deflesselles a constaté que les avancées réalisées par la Convention étaient substantielles mais fragiles. Il a fait part de l'impression ressentie lors d'une mission en Macédoine en mars dernier, à l'occasion du passage de témoin entre les forces de l'OTAN et celles de l'Union européenne. Il a pu mesurer à cette occasion le scepticisme des pays des Balkans à l'égard de la capacité de l'Europe à les protéger et à les intégrer, ainsi que leur attirance pour les Etats-Unis. Il a souhaité interroger le ministre sur les initiatives que la France pourrait prendre pour donner envie aux pays des Balkans d'associer leur destin à celui de l'Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le ministre pour le souci qu'il a manifesté pendant les travaux de la Convention de répondre à l'invitation de la Délégation pour l'Union européenne, afin d'assurer une information complète des parlementaires sur les positions de la France. Il a remarqué que les conclusions adoptées par la Convention étaient assez proches de la contribution franco-allemande. Il a émis le souhait que le Gouvernement et la Délégation pour l'Union européenne demeurent en contact permanent pendant la Conférence intergouvernementale, les parlements nationaux devant suivre étroitement les travaux de cette conférence afin de veiller à ce que le texte adopté par la Convention ne soit pas remis en cause.

Le ministre a souligné que la France, initiatrice de la conférence de Zagreb, avait tenu à ouvrir une perspective européenne aux pays des Balkans. Le Conseil européen de Thessalonique doit le confirmer. Des instruments de pré-adhésion devront être mis en place le moment venu. L'Europe est active en Macédoine, en Bosnie et au Kosovo. Toutefois, ces pays doivent encore réaliser des progrès dans la consolidation de l'Etat de droit, et dans la mise en place d'une justice et d'une police efficaces. L'Union européenne leur tend la main, tout en faisant preuve d'exigence pour des raisons évidentes de sécurité.