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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 58

Réunion du mardi 14 octobre 2003 à 17 heures

Présidence de M. Pierre LEQUILLER, Président,
puis de M. René ANDRÉ, Vice-président,

I. Communication sur les travaux de la XXXe COSAC

M. Christian Philip a rendu compte des travaux de la XXXe COSAC de Rome à laquelle il a participé avec le Président Pierre Lequiller et M. Jacques Floch. Il a apporté les précisions suivantes :

- le débat sur le projet de Traité constitutionnel et le déroulement de la Conférence intergouvernementale (CIG), en présence de M. Franco Frattini, ministre italien des Affaires étrangères, a été marqué par la volonté exprimée par la majorité des intervenants de ne pas « détricoter » le texte élaboré par la Convention. Pourtant, si chacun s'est dit satisfait par 95 % du projet de Constitution, la plupart des orateurs ont fait part de leurs réserves sur 5 % du texte, sans toutefois s'accorder sur le périmètre de ces 5 %. La reconnaissance du principe d'un commissaire par Etat membre et le maintien des dispositions du traité de Nice ont été défendus par les membres de plusieurs délégations, notamment l'Espagne et la Pologne, qui y voient la condition sine qua non au respect du principe d'égalité entre les Etats membres ;

- le thème de l'association des parlementaires nationaux au suivi de la CIG a occupé une place importante au cours du débat. Aucun consensus ne s'est cependant dégagé pour demander, dans la contribution officielle de la COSAC, un ou plusieurs sièges d'observateurs à la CIG, malgré l'insistance de la délégation grecque qui a, de ce fait, décidé de voter contre l'adoption de la contribution. M. Franco Frattini s'est toutefois montré ouvert à ce que la présidence assure une information régulière sur l'état d'avancement des négociations. En réponse à une question posée par M.Hubert Haenel, Président de la Délégation pour l'Union européenne du Sénat, il a ainsi accepté de participer à une réunion avec les représentants des Parlements nationaux. M. Christian Philip a alors suggéré que M. Franco Frattini puisse également être auditionné, avant la fin de l'année, par la Délégation pour l'Union européenne ;

- l'exposé de M. Javier Solana, Secrétaire général du Conseil de l'Union européenne et Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, sur les politiques de proximité de l'Union élargie a donné lieu à un échange de vues relatif aux relations qu'entretient l'Union avec les pays méditerranéens, les Balkans et les pays voisins de l'Est tels que l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et la Russie ;

- la création d'un secrétariat permanent de la COSAC a été acceptée au terme d'une négociation qui aura duré près de deux ans. Le débat sur le secrétariat a en réalité révélé deux conceptions divergentes du rôle et du statut de la COSAC entre d'une part, les partisans d'un soutien secrétarial léger de la présidence et de la troïka (essentiellement représentés par les délégations du Parlement européen, de l'Italie, de l'Allemagne et des Pays-Bas) et d'autre part, les délégations prônant la création d'un secrétariat plus structuré et plus permanent. Cette position, soutenue par la France, était défendue par la délégation danoise.

Le secrétariat sera composé de cinq membres dont un fonctionnaire issu d'un Parlement national et désigné par la Conférence des présidents de la COSAC. Or la Présidence italienne proposait de n'attribuer que des tâches secondaires - d'exécution - à ce cinquième membre lorsque d'autres délégations entendaient lui reconnaître un rôle important de coordination. Le compromis a finalement consisté à ne pas préciser ses fonctions et à s'en remettre à la pratique et à l'évaluation du fonctionnement du secrétariat qui interviendra dans un délai de deux ans. De même, sur la localisation, l'accord conclu prévoit qu'il appartiendra à la troïka présidentielle de se prononcer sur son emplacement précis à Bruxelles, et de trancher ainsi entre l'offre du Parlement européen et celle du Parlement belge. M. Christian Philip a marqué sa préférence pour une localisation au sein de la Chambre des représentants de Belgique, tout en ayant conscience que la troïka privilégiera l'option du Parlement européen, d'ailleurs à Bruxelles et non à Strasbourg. L'entrée en fonction du secrétariat est prévue le 15 janvier 2004, sous présidence irlandaise. M. Christian Philip a indiqué que la neutralité de ce pays au cours du débat devrait permettre au secrétariat de prendre ses marques dans un climat relativement serein ;

- la possibilité d'associer à la COSAC les représentants des assemblées régionales dotées de compétences législatives a également été abordée, à la suite du dépôt d'un amendement en ce sens par la délégation du Bundesrat. Plusieurs propositions de compromis ont été présentées, dont l'une consistait à reconnaître aux représentants des régions dotées de compétences législatives le statut d'observateur à la COSAC ; mais une telle option conduirait à admettre un nombre très élevé d'observateurs, ce qui est matériellement difficilement envisageable. Aussi, faute de consensus, la présidence italienne a décidé de constituer un groupe de travail sur le sujet. M. Christian Philip a estimé qu'une participation des assemblées régionales aurait pour effet de transformer la nature de la COSAC qui réunit les délégués des commissions pour les affaires européennes des parlements nationaux. Or la COSAC sortirait affaiblie d'une composition mixte entre parlementaires nationaux et représentants des assemblées régionales à compétences législatives. Il a alors mentionné l'existence de la Conférence des assemblées législatives régionales d'Europe (CARLE) ainsi que le Comité des régions qui permettent aux collectivités territoriales de faire entendre leur voix en Europe.

A l'issue de cet exposé, le Président Pierre Lequiller a tenu à souligner les avancées obtenues à l'occasion de cette COSAC. Parmi les éléments positifs, il s'est félicité de l'adoption d'une contribution de soutien très clair au projet de Traité constitutionnel élaboré par la Convention, et a salué la qualité du débat sur les politiques de proximité ainsi que l'aboutissement des négociations sur la création du secrétariat.

M. Jacques Floch a souligné la qualité de l'exposé du rapporteur. Il a estimé que les discussions de la COSAC sur les enjeux de la CIG avaient constitué un bon débat et que la présidence italienne s'était montrée particulièrement active.

S'agissant des modalités de création d'un secrétariat de la COSAC, il a considéré que les discussions avaient « tourné en rond ». Rejoignant l'opinion exprimée par M. Ben Fayot, parlementaire luxembourgeois, il a souligné que le secrétariat permanent ne devait pas constituer un simple outil d'organisation, mais un projet politique. La COSAC n'a pas vocation à devenir une nouvelle institution, mais le secrétariat permanent doit permettre de préparer les réunions dans de bonnes conditions, notamment par la mise à la disposition des parlementaires des éléments documentaires relatifs aux thèmes abordés.

Il a estimé que le soutien apporté par la COSAC au texte de la Convention constituait un résultat très positif des débats. Les parlementaires espagnols et polonais présents, qui se sont exprimés dans ce sens, ne sont pas sur les mêmes positions que leurs gouvernements respectifs. Cela devra être utilisé comme argument dans le cadre de la CIG : l'accord unanime des représentants des parlements nationaux sur un texte doit peser au moins autant que les « humeurs changeantes » de certains diplomates professionnels.

II. Communication de M. Christian Philip sur l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne

M. Christian Philip a souligné qu'il avait ressenti, au cours de la mission à Chypre effectuée du 20 au 22 juillet 2003, la volonté de ce pays d'entretenir avec la France une relation particulière. Cette mission lui a en effet permis de rencontrer les plus hautes autorités de l'Etat - le président de la République de Chypre, le président de la Chambre des représentants, le gouverneur de la Banque centrale -, des parlementaires et des responsables de partis politiques, en particulier le président de la commission des affaires européennes, les chefs des deux principaux partis de l'opposition chypriote turque, ainsi que des interlocuteurs se trouvant au cœur du processus d'élargissement de l'Union européenne à la République de Chypre.

Cette visite a permis de faire le point sur l'évolution des deux processus politiques décisifs pour l'avenir de ce pays : son adhésion à l'Union européenne qui prendra effet le 1er mai 2004 et les perspectives de sa réunification qui se sont assombries après l'échec des négociations sur le plan Annan en mars 2003.

Les perspectives d'accord sur la réunification restent incertaines après cet échec que le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans sa résolution 1475 du 14 avril 2003, a porté au débit du dirigeant chypriote turc, M. Rauf Denktash.

Cependant, trois échéances politiques pourraient offrir, dans les prochains mois, une nouvelle chance de résoudre ce conflit.

Le 14 décembre 2003 doivent avoir lieu des élections législatives en République turque de Chypre du Nord (RTCN), reconnue comme Etat souverain par la seule Turquie. Les forces d'opposition, favorables à la réunification et à l'adhésion à l'Union européenne, ont conclu un accord, mais elles ne pourront l'emporter que si le scrutin est régulier. Tout dépend de l'extension de l'électorat, sous le contrôle de la Turquie et des autorités actuelles de la RTCN qui peuvent disposer des émigrants turcs comme d'une variable d'ajustement. L'opposition semble croire qu'il lui est possible de l'emporter.

Le 1er mai 2004 doit entrer en vigueur l'adhésion des dix nouveaux Etats membres à l'Union européenne. Cela renforcera la position de négociation de la République de Chypre en sa qualité d'Etat membre, même si l'Union n'est pas partie prenante à cette négociation bilatérale menée sous l'égide de l'ONU.

Enfin, en décembre 2004, le Conseil européen doit prendre une décision sur l'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, en examinant, sur les bases d'un rapport et d'une recommandation de la Commission, si ce pays satisfait aux critères politiques de Copenhague. L'attitude de la Turquie à l'égard du règlement de la division de l'île ne peut être le seul critère d'appréciation, mais il est assurément incontournable. Il n'y aura pas d'accord avec la Turquie s'il n'y a pas un accord préalable avec Chypre.

La Turquie détient la clé de la solution dans la mesure où la RTCN et le régime de M. Denktash ne pourraient survivre sans son aide. La réunification de Chypre représente pour la Turquie une monnaie d'échange pour sa propre adhésion à l'Union européenne. Elle n'a a priori pas intérêt à céder sur ce point avant d'avoir obtenu des garanties de l'Union européenne sur l'ouverture des négociations, c'est-à-dire pas avant le Conseil européen de décembre 2004.

Toutefois, la réunification de Chypre n'est pas seulement une monnaie d'échange diplomatique mais représente beaucoup plus dans l'opinion des forces turques hostiles à l'adhésion à l'Union européenne. Certains milieux militaires et nationalistes turcs continuent de considérer la présence militaire turque dans l'île comme stratégique, alors que le gouvernement civil est favorable à une évolution. Mais lorsque le premier ministre turc évoque l'existence de deux Etats qui devront vivre différemment, lors de sa visite en RTCN le 20 juillet, il ménage le président Denktash.

Tout dépendra donc de l'évolution en Turquie au cours des prochains mois et il est prématuré de dire qu'une solution puisse intervenir. Il est peu probable que les cartes puissent être redistribuées, sauf victoire de l'opposition précipitant les évolutions. Mais il est vraisemblable que la situation restera en l'état jusqu'en décembre 2004.

L'adhésion de Chypre à l'Union européenne ne pose pas de vrais problèmes. Politiquement, il n'y en a pas parce que ce pays peut s'appuyer sur une unanimité du monde politique et de la population en faveur de l'adhésion, qui l'a dispensé de faire un référendum au demeurant non prévu par sa Constitution.

Economiquement, il y a peu de problèmes dans un pays où le niveau de vie moyen correspond à 80 % de la moyenne de l'Union européenne, supérieur à celui de tous les autres candidats et de plusieurs Etats membres de l'Union actuelle. Il est suffisamment élevé pour lui interdire l'accès à l'objectif 1 de la politique régionale et pour transformer ce pays en contributeur budgétaire net de l'Union si des mesures compensatoires n'avaient pas été prises dans le Traité d'adhésion.

L'alignement sur l'acquis communautaire est en grande partie réalisé ou en voie de l'être. Les difficultés ont été résolues dans les deux domaines les plus sensibles, d'une part, de la sécurité maritime, d'autre part, de la fiscalité et du secteur offshore.

Le secteur maritime a été assaini à la suite des fortes pressions de la France au cours des négociations et les efforts d'alignement sur les trente-cinq instruments communautaires sont presque achevés.

En second lieu, Chypre s'est mise en conformité avec les exigences communautaires grâce à l'adoption, en juillet 2002, d'une réforme fiscale globale concernant la fiscalité directe et indirecte. Toutefois, en choisissant d'appliquer les minima exigés par l'Union (15 % au lieu de 10 % pour le taux normal de TVA et surtout taux unique de 10 % pour l'impôt sur les sociétés chypriotes et étrangères), Chypre restera une sorte de paradis fiscal dans l'Union, mais acceptable comme peut l'être le modèle irlandais.

Le gouvernement chypriote devra enfin apporter une réponse plus précise aux inquiétudes de la Commission européenne en matière d'environnement et de concurrence.

Les relations entre la France et Chypre se caractérisent par un certain contraste entre le très bon niveau de nos relations officielles avec cet Etat et la faiblesse de notre présence et de notre investissement dans un pays qui a un très fort potentiel et est tout prêt à nous accueillir. De nombreux francophones et francophiles sont présents dans les sphères politiques qui ont toutes été sensibles au soutien de la France en faveur de l'adhésion de leur pays à l'Union européenne. Mais la présence économique française est faible et les Français méconnaissent à tort un pays qui attire plus de trois millions de touristes.

La France qui souhaite mettre le renforcement du partenariat euro-méditerranéen au centre des préoccupations de l'Union européenne après son élargissement doit mieux mesurer l'importance d'un pays qui a déjà les atouts pour devenir un pont indispensable entre l'Europe et le Proche et le Moyen-Orient.

Elle doit également prendre conscience que Chypre est un Etat indépendant qui n'est plus dans la sphère d'influence du Royaume Uni et qu'elle se veut aussi proche de notre pays.

La France devrait en particulier accomplir l'effort nécessaire pour développer l'apprentissage du français à Chypre. S'il est la deuxième langue étrangère la plus apprise après l'anglais parce que son enseignement est obligatoire au même titre que l'anglais au cours des quatre premières années du secondaire, son développement se heurte à certaines difficultés que note pays devrait aider à surmonter. En particulier, la création d'une école française à Chypre pourrait avoir un puissant effet de levier sur le renforcement de la place de notre langue dans ce pays.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. René André a rappelé que Chypre est l'un des principaux investisseurs en Russie, principalement à partir de fonds russes, et a souhaité connaître les mesures prises pour l'élimination des capitaux douteux.

M. Jacques Floch a également souligné la forte présence de capitaux russes à Chypre, et la nécessité d'éviter que Chypre ne devienne un point d'entrée pour des capitaux illicites à destination de l'Europe occidentale.

M. Edouard Landrain a constaté que la flotte chypriote, la sixième du monde, soulève des difficultés concernant la qualité de ses navires et de ses équipages. Il s'est interrogé sur les mesures adoptées à ce sujet, en matière notamment de remplacement des pétroliers à simple coque et d'inspections des navires.

M. Jérôme Lambert, s'étonnant du caractère élevé du niveau de vie moyen chypriote, supérieur à celui de tous les autres Etats adhérents, s'est inquiété d'une surdépendance éventuelle à l'égard du secteur offshore.

En réponse, M. Christian Philip a apporté les précisions suivantes :

- l'alignement progressif de la législation applicable au secteur offshore et les réformes fiscales adoptées rendront le territoire chypriote moins attractif pour les capitaux douteux. Les autorités chypriotes apparaissent très déterminées sur ce point ;

- le secteur maritime a été largement assaini, et les efforts d'alignement sur les trente-cinq instruments communautaires sont presque achevés ;

- la prospérité de l'économie chypriote se fonde également sur le tourisme, qui représente 23 % du PIB, sur le secteur maritime et sur les services. L'économie de Chypre apparaît aujourd'hui fondamentalement saine.

III. Communication de M. Edouard Landrain sur la sécurité des approvisionnements en produits pétroliers et en gaz naturel (document E 2110)

M. Edouard Landrain a rappelé que les combustibles fossiles représentent 80 % de la consommation européenne en énergie et que les deux tiers sont importés, ce qui rend nos économies extrêmement vulnérables.

S'agissant de la sécurité d'approvisionnement en pétrole, le dispositif communautaire actuel - prévu par trois directives de 1968, 1973 et 1998 - paraît inadéquat, même s'il peut être considéré comme plus satisfaisant que le mécanisme existant dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Le traité portant création de l'AIE, signé en 1974, au moment du choc pétrolier, comporte une obligation, pour les Etats participants, de maintenir des stocks équivalant à 90 jours d'importations nettes de pétrole ou de produits pétroliers. Il prévoit également un mécanisme de réaction, uniquement en cas de rupture d'approvisionnement. Ce mécanisme n'a été mis en œuvre qu'une seule fois, lors de la guerre du Golfe.

Le dispositif communautaire est à peine plus satisfaisant. Il impose aux Etats membres de maintenir un niveau de stocks équivalant à 90 jours de consommation pour chacune des trois catégories principales de produits pétroliers à usage énergétique (gasoil, kérozène et essence). Les Etats membres sont également tenus de se doter de plans d'intervention, d'organes appropriés et de pouvoirs permettant notamment de mettre les stocks sur les marchés. Certains de ces mécanismes apparaissent insuffisants pour faire face à un problème d'approvisionnement. Tout d'abord, dans la plupart des Etats membres, les stocks sont détenus par les compagnies pétrolières et se confondent avec leurs stocks opérationnels et, dès lors, la quantité de produits pétroliers effectivement à disposition de ces Etats en cas de crise est très incertaine. Ensuite, il n'est prévu aucune coordination des mesures de déstockage. Enfin, tout comme dans le cadre de l'AIE, la législation communautaire actuelle d'utilisation des stocks n'est applicable que pour faire face à une rupture physique effective de l'approvisionnement et ne peut jouer en cas de simple menace de rupture physique.

En ce qui concerne le gaz naturel, aucun cadre international ou communautaire n'existe pour assurer la sécurité de l'approvisionnement. Cela ne soulevait pas une réelle difficulté jusqu'à présent, du fait que les entreprises gazières relevaient partiellement ou totalement du secteur public, contrôlaient l'ensemble des infrastructures et maîtrisaient l'offre et la demande. Dans le nouveau marché intérieur du gaz naturel, qui impose à l'industrie de se restructurer, notamment de procéder à une séparation juridique entre les activités de transport et de distribution, il n'y aura plus nécessairement d'acteur unique, assumant la responsabilité globale de la sécurité d'approvisionnement. Une nouvelle chaîne de responsabilités doit donc être établie.

M. Edouard Landrain a observé que les deux principales propositions de directives figurant dans le document présenté par la Commission européenne visent essentiellement à accroître les capacités de stockage et à renforcer les pouvoirs de la Commission européenne en cas de crise.

S'agissant de la proposition de directive concernant les produits pétroliers, il est proposé de porter progressivement le stock actuel minimal de 90 jours de consommation à 120 jours et d'imposer la création, dans chaque Etat membre, d'un organisme public de détention des stocks pétroliers, qui devra être propriétaire de stocks représentant au minimum un tiers des obligations prévues, soit, à terme, 40 jours de consommation. Par ailleurs, la proposition de directive tend à donner à la Commission le pouvoir de prendre d'urgence les mesures qui s'imposent en cas de perception généralisée d'un risque de rupture physique, générant une volatilité des marchés. Toute décision d'action de la Commission serait fondée sur une convergence de facteurs où l'élément « prix » occuperait une place fondamentale.

En ce qui concerne la proposition de directive relative au gaz naturel, la Commission prend en compte les faibles capacités de stockage souterrain et se contente d'imposer des normes assurant un approvisionnement pendant 60 jours dans des conditions météorologiques moyennes en faveur des consommateurs qui ne sont pas en mesure de remplacer le gaz par un autre combustible. Dans l'hypothèse d'une crise gazière, la Commission se verrait doter d'un double mécanisme d'intervention. Dans un premier temps, en cas notamment d'interruption grave des fournitures de gaz par l'un des principaux fournisseurs de l'Union européenne, la Commission pourrait recommander aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour assister ceux d'entre eux particulièrement touchés. Dans un second temps, si les mesures prises par les Etats sont inadaptées, ou si les conséquences économiques de la crise deviennent « extrêmement graves », la Commission pourrait obliger les Etats membres à prendre des mesures spécifiques tel que le déblocage des stocks.

M. Edouard Landrain a constaté que les propositions de la Commission suscitaient de nombreuses réticences parmi les Etats membres et étaient contestées par le Parlement européen. Dès lors, le Conseil « Energie » tend à s'éloigner des orientations définies par la Commission.

Ainsi, la France s'est déclarée favorable au principe d'une gestion coordonnée des stocks d'hydrocarbures, mais elle n'approuve pas toutes les modalités avancées par la Commission. Les autorités françaises critiquent, en particulier, l'accroissement des obligations de stockage à 120 jours pour les produits pétroliers, ce qui générerait des coûts importants en investissement et en fonctionnement, alors même que les crises passées ont démontré que les stocks ne sont utilisés que dans la limite de quelques jours. De même, l'utilisation des stocks pour lutter contre une forte hausse des prix ne participe plus de la consolidation de la sécurité des approvisionnements, mais vise à contrer des tendances spéculatives. Or, cette réorientation pourrait aisément être contrecarrée par les pays de l'OPEP, qui disposent de la capacité d'annihiler ses effets grâce à la flexibilité de leur production. Enfin, la France estime qu'une mise en œuvre de moyens de sécurité devrait relever d'une décision du Conseil et non pas de la Commission.

Sur le plan gazier, la France regrette que la Commission cherche à s'octroyer des possibilités d'action et des responsabilités dont les Etats ne disposent même pas actuellement. Surtout, la France juge inacceptable la proposition donnant à chaque Etat membre la possibilité de s'assurer des capacités de stockage dans un Etat voisin, avec un accès sans restriction à ces capacités, compte tenu des conditions géographiques françaises offrant peu de possibilités de développement du stockage souterrain. D'une façon plus générale, notre pays souhaiterait que la Commission renforce la coopération avec l'AIE, pour assurer la cohérence des dispositifs de gestion des crises. Cette position est partagée par l'ensemble de nos partenaires, d'autant que le dernier plan d'urgence de l'AIE, datant de janvier 2003, comporte une clause autorisant une intervention de cet organisme « en cas de risque imminent de rupture de l'approvisionnement pétrolier », ce qui constitue un assouplissement de ses règles d'intervention.

Les réticences des Etats membres ont été reprises lors de l'examen des propositions de la Commission européenne devant le Parlement européen. La commission parlementaire en charge de l'énergie a fait valoir le principe de subsidiarité et a estimé que la définition d'une politique énergétique en vue d'assurer la sécurité d'approvisionnement était du ressort des Etats membres.

Lors du vote en séance plénière du Parlement européen, intervenu le 22 septembre 2003, les députés européens ont sensiblement amendé la proposition relative au gaz naturel, et ont surtout rejeté la proposition de la Commission européenne concernant les produits pétroliers. Dès lors, en application de l'article 68 du règlement du Parlement européen, la Commission européenne peut soit retirer sa proposition, soit en présenter une nouvelle.

En tout état de cause, les textes actuellement en discussion au Conseil « Energie » sont sensiblement différents des propositions initiales de la Commission sur lesquelles le Parlement européen s'est prononcé, en particulier dans le domaine pétrolier. Ainsi, à l'issue de la première réunion du Conseil, le 14 mai 2003, la doctrine d'emploi des stocks stratégiques s'est resserrée sur la rupture physique d'approvisionnement : l'idée d'utiliser les stocks à des fins anti-spéculatives est éliminée. Par ailleurs, les pouvoirs de la Commission sont revus dans le sens d'une meilleure coordination des mesures de crise, dont la responsabilité ultime repose sur les Etats membres. Enfin, s'agissant de la quantité des stocks, le Conseil préconise 90 jours de consommation au lieu de 120 jours.

Dans le cadre de la discussion engagée sur la proposition de conclusions présentée par M. Edouard Landrain au terme de son exposé, M. Jacques Floch a jugé raisonnable cette proposition.

La Délégation a approuvé à l'unanimité les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil. Le marché intérieur de l'énergie. Des mesures coordonnées en matière de sécurité des approvisionnements énergétiques (COM[2002] 488 final),

1. Approuve l'objectif visant à améliorer la sécurité d'approvisionnement de l'Union européenne en hydrocarbures ;

2. Considère qu'en vertu du principe de subsidiarité, cet objectif peut être atteint grâce à la coordination de l'action des Etats membres en période de crise et non pas par l'attribution à la Commission européenne de pouvoirs propres ;

3. Se félicite des orientations retenues par le Conseil « Energie » du 14 mai 2003 et par la commission compétente du Parlement européen, à l'occasion de l'examen en première lecture du présent document, le 9 septembre 2003, conduisant à recentrer l'objet des propositions sur la sécurité d'approvisionnement ;

4. Affirme la nécessité de rapprocher le dispositif européen du dispositif de l'Agence internationale de l'énergie. »