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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 61

Réunion du mardi 4 novembre 2003 à 16 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la Délégation pour l'Union européenne,
et de M. Jimmy Hood,
Président de la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni,

Réunion commune avec la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni (réunion ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller a accueilli la délégation de la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, en soulignant qu'il s'agissait de la première rencontre de ce type depuis le début de la législature. Il a souhaité que d'autres réunions conjointes soient ultérieurement organisées. Il a considéré qu'il était essentiel de se rencontrer pour mieux se comprendre et, éventuellement, rapprocher les différents points de vue. Il a souhaité connaître la position du gouvernement britannique et de la Commission sur le déroulement des débats de la Conférence intergouvernementale (CIG). S'agissant de la politique étrangère et de sécurité, il a évoqué les progrès effectués depuis les accords de Saint-Malo, notamment à travers les interventions européennes en Macédoine, en Bosnie et au Congo, et par les résultats du sommet tripartite de septembre dernier entre l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. L'Europe de la défense ne peut se faire sans le Royaume-Uni. Les possibilités de coopérations structurées dans le domaine de la défense, prévues par le texte de la Convention, constituent un progrès important pour mettre progressivement en place une véritable capacité européenne dans ce domaine. Une défense européenne est une condition essentielle d'un partenariat transatlantique équilibré.

M. Jimmy Hood, président de la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, a remercié le Président Pierre Lequiller et la Délégation de leur accueil. Il a estimé que cette réunion était très utile pour confronter et, éventuellement, rapprocher les positions. S'agissant de la CIG, il a indiqué que le texte de la Convention était globalement bien accueilli par le gouvernement britannique, même si certains points méritaient des éclaircissements. Une commission sur la CIG a été mise en place au Parlement britannique, regroupant des membres de la Commission d'examen des affaires européennes, de la Commission des affaires étrangères et de la Chambre des Lords, ouverte à l'ensemble des parlementaires. La Commission d'examen des affaires européennes suit elle-même de très près le déroulement de la CIG et auditionne régulièrement à ce sujet les membres concernés du Gouvernement. Le résultat de la CIG sera soumis à une procédure de ratification parlementaire, sauf si le texte qui sera finalement adopté constituait un changement majeur par rapport à la situation actuelle, ce qui ne semble pas a priori être le cas.

En ce qui concerne le domaine de la défense, le Président Jimmy Hood a souligné que la crise du Kosovo avait constitué un bon exemple de la façon dont la France et la Grande-Bretagne pouvaient concrètement et très utilement coopérer en matière militaire.

Le développement de l'Europe de la défense ne vise pas à exclure les Etats-Unis du règlement des conflits en Europe, mais à doter l'Europe d'une capacité d'action qui ne dépende pas totalement des Etats-Unis. Il ne s'agit pas de concurrencer l'OTAN, mais de faire œuvre de complémentarité et de mettre en place une capacité de défense réellement européenne.

Il a enfin évoqué les missions de la Commission d'examen des affaires européennes, en précisant que celle-ci n'avait pas de pouvoir de décision propre, mais qu'elle examinait, au cas par cas, la portée des projets d'actes communautaires qui lui étaient transmis, en renvoyant aux commissions permanentes compétentes les textes qu'elle estimait importants. Le renforcement du rôle des parlements nationaux dans les affaires européennes constitue une priorité essentielle. Dans cet esprit, les rencontres et les échanges de bonnes pratiques sont un moyen privilégié pour améliorer l'efficacité de l'action des parlements dans ce domaine.

Le Président Pierre Lequiller a plaidé en faveur de rencontres régulières avec la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes. La France et le Royaume-Uni ont une position similaire sur un nombre important de sujets actuellement débattus au sein de la Conférence intergouvernementale :

- présidence stable du Conseil européen ;

- création d'un ministre européen des affaires étrangères (avec toutefois quelques nuances exprimées outre-Manche) exerçant simultanément les fonctions de président du Conseil « Affaires étrangères » et celles de vice-président de droit de la Commission ;

- maintien du vote à l'unanimité dans le domaine de la PESC, même si les représentants français à la Convention auraient souhaité aller plus loin.

Les autorités françaises sont favorables à la constitution d'une avant-garde en matière de PESC et de PESD, car une défense européenne à vingt-cinq n'est pas, aujourd'hui, un scénario réaliste. A cet égard, les initiatives récentes qui ont permis un rapprochement des positions française, britannique et allemande vont dans la bonne direction, et il ne s'agit en aucun cas de s'inscrire dans une stratégie d'opposition aux Etats-Unis. C'est bien au contraire, dans l'esprit des conceptions jadis exprimées par Eisenhower et Kennedy, la voie vers un partenariat transatlantique équilibré et complémentaire qui autorise une confrontation constructive des points de vue.

M. Angus Robertson a souligné la nécessité de recréer des liens entre l'Europe et les citoyens, lesquels attendent de l'Union davantage de transparence et de responsabilité. Or un traité, aussi ambitieux qu'il puisse être, ne suffira pas à reformer ce lien qui fait aujourd'hui défaut. Député de l'opposition à la Chambre des Communes, il s'est déclaré en désaccord avec le refus exprimé par le Président Jimmy Wood de recourir au référendum pour ratifier la future Constitution européenne à laquelle il apporte son soutien.

S'agissant plus particulièrement de la politique étrangère et de sécurité commune, des progrès ont déjà été réalisés, comme en témoigne le rôle important joué par la France au Congo, où sévit actuellement la guerre civile. De même, les initiatives en Iran, en Bosnie et en Macédoine soulignent le rôle que l'Union peut jouer en Europe et au-delà, dans le monde.

S'exprimant sur le recours aux coopérations structurées en matière de défense, M. Angus Robertson a mis en garde contre l'émergence progressive d'une Europe à plusieurs vitesses. Il a enfin souhaité connaître la position des parlementaires français sur la mise en œuvre du mécanisme d'alerte précoce proposé par la Convention pour assurer le contrôle du respect, par les institutions européennes, du principe de subsidiarité.

Réagissant aux propos de M. Angus Robertson, le Président Pierre Lequiller a tenu à préciser que les coopérations structurées n'avaient pas vocation à être exclusives, et devaient rester ouvertes aux Etats qui souhaiteraient y participer, selon une méthode similaire à celle suivie pour l'adoption de l'euro.

M. Marc Laffineur, qui s'est réjoui du développement des échanges entre parlementaires nationaux, a évoqué les questions suivantes :

- l'alternative entre ratification parlementaire ou référendum relève d'un choix de politique intérieure qui n'a pas à être débattu dans le cadre d'une rencontre interparlementaire ;

- l'édification progressive d'une politique étrangère commune et d'une défense européenne n'est pas dirigée contre les Etats-Unis ; elle est simplement indispensable à l'Union qui doit se doter des moyens adéquats pour exercer une influence dans le monde. Cela n'interdit nullement à l'Europe et aux Etats-Unis de coopérer ensemble, comme c'est déjà le cas pour la lutte contre le terrorisme. Quant à la coopération entre le Royaume-Uni et la France, elle a vocation à s'intensifier tant par la mise en commun de moyens militaires qu'à travers la politique de recherche ; une Union élargie à vingt-cinq membres rend en effet nécessaire et possible le recours plus fréquent aux coopérations renforcées ;

- alors que la France est favorable à l'extension du vote à la majorité qualifiée, le Royaume-Uni se montre plus réservé. Sur quels sujets porte le refus du passage à la majorité qualifiée, étant données les implications du maintien de l'unanimité au sein d'une Europe élargie ?

- les ressources propres de l'Union représentent aujourd'hui environ 1 % du RNB européen. Faut-il porter ce seuil à 1,24 % et même au-delà dans la perspective d'une augmentation du budget communautaires ? Le Royaume-Uni, qui bénéficie de la restitution d'une partie de sa contribution au budget de l'Union, serait-il favorable à une telle évolution ?

M. Michael Connarty a observé que les parlementaires ne s'exprimaient pas au nom du gouvernement britannique et qu'il convenait donc de ne pas s'étonner qu'il y eût autant de positions que d'orateurs. Pour sa part, il a pu observer à Helsinki, lors des dernières discussions budgétaires, que le débat tournait principalement autour d'une possible suppression de la correction britannique et de l'instauration d'un impôt communautaire. Au milieu de ces discussions, le représentant du Trésor britannique ne pouvait qu'émettre des vives réserves. Il existe au Royaume-Uni une forte opposition à la tendance qui consisterait à augmenter le budget de l'Union européenne sans définir au préalable à quoi les nouveaux crédits seraient employés. En tout état de cause, l'opinion publique n'accepterait pas que pareille augmentation alimente encore la politique agricole commune. Dans ce domaine, l'Union européenne paraît avoir manqué l'occasion d'une redéfinition approfondie, que lui offrait pourtant l'élargissement. Or, les problèmes budgétaires ne trouveront pas de solution tant que le problème agricole n'aura pas trouvé la sienne.

A propos de la correction britannique, l'image est souvent évoquée d'un immeuble aux fenêtres brisées qu'on chercherait à réchauffer, au lieu de remettre les fenêtres en place. Ce raccourci comporte une part de vérité, même si baisser le chauffage n'est pas forcément la solution, pour peu qu'on sache quel type de combustible l'on veut utiliser, et à quelles fins.

Quant au vote à la majorité qualifiée, il semble inquiétant que le Conseil des ministres puisse y recourir plus souvent, ce dont ne peuvent que convenir les parlementaires, qui ne sauraient par définition soutenir l'extension de mécanismes qui font se multiplier les décisions prises à huis clos.

Les coopérations structurées paraissent enfin une avancée réelle, même s'il faut craindre qu'elles ressemblent à des clubs trop fermés, quoi qu'il ait été dit à propos des possibilités d'adhésion ouvertes aux Etats membres qui n'y sont pas initialement parties. A la lecture du projet de Constitution européenne, il apparaît en effet que les coopérations structurées risquent d'être comme ces clubs où il est difficile d'être invité lorsque l'on n'est pas déjà membre, ce qui rappelle a contrario la phrase des Marx Brothers où ils déclaraient qu'ils ne souhaiteraient pas être membres d'un club qui les accepteraient. La formation de coopérations structurées à deux vitesses paraît en définitive difficilement envisageable.

Le Président Pierre Lequiller a repris l'idée selon laquelle il était important de définir des critères pour participer aux coopérations structurées. Rappelant que le projet de Constitution ne fixait pas en matière de défense un nombre minimum de participants à une coopération structurée, il a souligné que le Royaume-Uni et la France fournissaient les efforts budgétaires les plus importants dans le domaine militaire, dans des proportions qu'au demeurant l'Allemagne n'atteint pas. Consentir un important effort financier en matière de défense doit être une condition préalable à la participation aux coopérations structurées.

A propos du mécanisme d'alerte précoce, évoqué par un collègue écossais, il convient de se féliciter du système élaboré par la Convention. Il ne revient pas à brandir un carton rouge, mais un simple carton jaune qui met en garde la Commission contre tout dépassement de ses compétences, sans bloquer pourtant le processus législatif. Quoique l'avertissement donné n'ait pas de valeur juridique contraignante, il sera chargé d'un contenu politique fort, de sorte qu'il sera difficile à la Commission de passer outre. Quand bien même elle le ferait, un gouvernement pourra du reste, au nom de son parlement, déférer le texte au stade final de l'adoption devant la Cour de justice des Communautés européennes. Il est important que le principe de subsidiarité puisse être ainsi pour la première fois garanti par un mécanisme de contrôle efficace.

M. Christian Philip s'est félicité de la tenue de cette réunion commune des parlementaires français et des membres de la Chambre des Communes, tout en souhaitant que l'expérience puisse se répéter à l'avenir sur une base régulière. Abordant le sujet de la Constitution européenne, il a souligné que l'institution d'un ministre européen des Affaires étrangères, quoiqu'elle n'implique pas par elle-même la définition d'une politique étrangère commune, marquait une évolution importante qui permettrait à l'avenir, tant à l'intérieur de l'Union qu'au-dehors, de donner un visage aux actions communes, auxquelles le nouveau ministre pourra prêter l'appui de sa capacité d'impulsion et de coordination. Il a demandé à ses homologues britanniques si les réticences du Royaume-Uni à ce sujet étaient aussi grandes que le disait la rumeur publique.

Il est d'autre part regrettable que la Conférence intergouvernementale ne semble pas reprendre l'idée d'un conseil législatif à propos duquel le Royaume-Uni paraît également réservé. Cette institution permettrait pourtant que l'activité législative européenne ne se disperse pas et garde sa cohérence.

Quant au budget européen, il requiert la création d'un impôt communautaire. Les ressources propres constituent aujourd'hui un système de financement en trompe-l'œil que le citoyen ne peut ni déchiffrer ni comprendre. Il convient d'en finir avec lui par l'établissement d'une ressource véritable, qui fasse assumer aux autorités communautaires leurs propres responsabilités et rende aux citoyens le pouvoir de contrôler l'exercice de ces dernières.

M. Wayne David a salué la réussite de la Convention, dont beaucoup doutaient, en particulier au Royaume-Uni, où cette formule nouvelle pouvait sembler peu efficace. Il a estimé que le document finalement élaboré avait de fortes chances d'être rapidement adopté, résultat qui mérite en soi d'être apprécié à sa juste valeur.

La Chambre des Communes accorde naturellement beaucoup d'importance au rôle des parlements nationaux. Le décalage qui s'observe entre le monde politique et l'homme de la rue ne pourra être réduit si les parlementaires ne sont pas plus impliqués dans le processus décisionnel, comme le propose le texte de la Convention. Il ne s'agit pas pour eux de bloquer la marche des textes, mais d'être associés en amont à leur élaboration. En étant partie prenante au processus, les députés britanniques pourraient être au demeurant enclins à adopter une approche plus responsable des questions.

Dans le domaine de la politique de sécurité, les discussions paraissent avancer très rapidement, mais il est à craindre que l'amélioration proclamée des coopérations ne recouvre pas la même réalité dans l'esprit de chacun des interlocuteurs. Il semble que trois points sont en définitive essentiels : reconnaître à chaque Etat membre un pouvoir d'initiative ; prévoir la faculté pour les autres de s'associer à cette démarche ; ne pas mettre en péril le rôle central de l'OTAN.

A propos du vote à la majorité qualifiée, il faut saluer l'évolution considérable du gouvernement anglais. Il y a quelques années encore, il eût été inimaginable qu'il accepte ce dernier comme procédure d'adoption naturelle, en particulier dans le domaine du troisième pilier, sur les questions d'immigration et d'asile. Il convient de retenir l'aspect très positif de cette évolution, à savoir que le gouvernement anglais est désormais favorable à la majorité qualifiée dans de nombreux cas, à défaut de l'être dans tous.

Le texte de la Convention a également apporté une réponse intéressante à l'épineux problème du nombre de membres qui constitueront la future Commission. En imaginant un système de rotation où certains auraient voix délibérative et d'autres voix seulement consultative, il propose un mécanisme qui permettrait un meilleur fonctionnement d'une institution qui risquerait d'être acculée à la paralysie totale si chaque Etat membre devait y disposer d'une voix délibérative.

L'idée d'un conseil législatif, avancée par M. Giuliano Amato, vice-président de la Convention européenne, n'a pas recueilli l'assentiment général et n'a pas été pleinement discutée au Royaume-Uni, alors qu'elle semble mériter des approfondissements.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que le projet de créer un conseil législatif distinct est issu d'une idée de M. Giuliano Amato. Une seule formation du conseil des ministres disposerait ainsi d'une compétence législative, exercée de manière publique et transparente, plutôt que de permettre à chaque formation du conseil des ministres de jouer un rôle législatif. Cette idée a cependant été rejetée par de nombreux Etats. En ce qui concerne la composition de la Commission européenne, la France soutient la proposition de la Convention. Celle-ci est cependant contestée par un grand nombre de petits pays, qui souhaitent que chaque Etat membre dispose d'un commissaire avec droit de vote. Un tel principe conduirait à une Commission aux effectifs pléthoriques et renforcerait la logique intergouvernementale que le traité de Nice a introduite au sein de la Commission.

M. John Robertson a regretté que l'Europe ne soit, malheureusement, pas une priorité pour l'électorat britannique. Un référendum sur la Constitution européenne ne serait donc pas approprié, parce qu'il ferait sans doute l'objet d'un faible taux de participation. Le partenariat et le dialogue avec les Etats-Unis est essentiel, sur des sujets comme les barrières tarifaires, par exemple. La défense européenne doit progresser ; la construction commune de navires pourrait notamment être développée entre nos deux pays. L'extension de la majorité qualifiée est un sujet délicat, parce qu'il porte atteinte à la souveraineté du Parlement britannique, à laquelle l'opposition est très attachée.

M. Edouard Landrain a également souhaité que la coopération
franco-britannique en matière de construction navale se développe, et s'est réjoui que le Royaume-Uni ait confié à un chantier naval français le soin de construire un paquebot comme le Queen Mary. Il a souhaité savoir si les campagnes anti-française et anti-européenne menées par une partie de la presse britannique reflètent l'opinion des Britanniques, et s'est interrogé sur l'existence d'une volonté politique concernant la ratification du projet de Constitution européenne et l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union économique et monétaire.

Le Président Jimmy Hood a déclaré que les campagnes anti-française et
anti-européenne d'une certaine partie de la presse d'outre-Manche ne reflète en aucune manière l'opinion des parlementaires britanniques. S'agissant de l'organisation d'un référendum sur le projet de Constitution européenne, il a souligné que lors d'un référendum, la population consultée répond souvent à une autre question que celle qui a été posée, et que cet argument a conduit le gouvernement britannique à choisir la voie parlementaire. Trop d'incertitudes pèsent encore également sur l'issue d'un éventuel référendum sur l'adhésion du Royaume-Uni à la monnaie unique. L'échec de la consultation organisée sur l'euro en Suède souligne, à cet égard, que l'opinion publique tend à adopter une optique de court terme, et que des efforts de pédagogie seront indispensables pour que les avantages de la monnaie unique sur le long terme soient bien pris en compte.

M. Jim Dobbin a partagé le point de vue exprimé par le Président Jimmy Hood au sujet des campagnes menées par une certaine partie de la presse d'outre-Manche. Il a estimé que la population britannique n'est effectivement pas encore consciente des avantages de l'adhésion à l'Union économique et monétaire. Le rôle des parlements nationaux au cours de la Conférence intergouvernementale devrait, selon lui, être renforcé. La création d'un éventuel impôt européen ne devrait pas être envisagée, parce que la fiscalité doit continuer de relever des Parlements nationaux des Etats membres. L'Union européenne devrait en revanche agir davantage en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Il a souligné que le chancelier de l'Echiquier Gordon Brown a conseillé, lors du conseil des ministres des Finances qui a eu lieu aujourd'hui à Bruxelles, aux autres pays de l'Union européenne de s'adapter à l'économie mondiale. L'échec des négociations de Cancún est, à cet égard, négatif pour tous les pays.

Après avoir observé que la permanence de la francophobie des tabloïds nous réchauffe le cœur en démontrant leur caractère superficiel et leur manque de maturité, M. Jacques Myard a déclaré ne pas partager la « béatitude » du Président Lequiller sur l'Europe. « L'Europe de papa » est morte, celle du Traité de Rome et des pères fondateurs, l'Europe limitée des économies proches à l'abri du cordon sanitaire de l'union douanière et de la préférence communautaire. L'élargissement indispensable a, en effet, complètement transformé l'exercice et, pour y faire face, le projet de la Convention présidée par M. Giscard d'Estaing propose une fuite en avant et une marche forcée vers le fédéralisme, en prétendant imposer des normes communes à l'ensemble des Etats membres par un passage systématique à la majorité qualifiée. C'est une catastrophe et cela ne marchera pas parce qu'au centre du système, il y a des nations qu'on ne peut pas contourner. Il faut tirer les conséquences de l'élargissement et appliquer la sage maxime britannique, diviser pour régner, c'est-à-dire en l'espèce diviser les problèmes pour les circonscrire et les résoudre.

Il y a deux Europe. La première est une Europe du marché, du libre-échange des marchandises, une Europe transnationale qui existait déjà avant 1914 et que la Communauté économique européenne a reconstruite après le repli protectionniste de la première moitié du XXème siècle et même améliorée grâce à l'adoption d'un droit de la concurrence applicable à tous ses membres. Cette Europe, qui écarte le chauvinisme économique, il faut la conserver, même si la globalisation dont elle fait partie a changé la donne commerciale et financière et a fait exploser la préférence communautaire.

Au-dessus, il y a une autre Europe de nature politique qui rassemble des nations et ne peut être l'expression d'une nation européenne qui n'existe pas, même si l'on veut faire croire de manière subliminale qu'il existe un peuple européen. Pour réaliser cette Europe politique qui concerne les nations européennes et au premier rang le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, il faut créer un Conseil de sécurité européen au sein duquel le Royaume-Uni et la France devront jouer un rôle à la mesure de leurs responsabilités au Conseil de sécurité des Nations Unies et de leur qualité de puissances nucléaires. Il faut que ces deux nations n'aient pas peur d'être elles-mêmes, que le Royaume-Uni soit le Royaume-Uni et non un vassal des Etats-Unis, qu'elles prennent conscience qu'elles ont des destins communs comme elles l'ont prouvé au cours de la deuxième guerre mondiale ; il faut qu'elles promeuvent une Europe politique intergouvernementale parce qu'elles ont toutes les deux des intérêts mondiaux.

Le projet de la Convention est négatif parce qu'il ne prend pas la réalité telle qu'elle est. L'Europe sera à plusieurs vitesses ou à plusieurs niveaux ou ne sera pas.

Tout en écartant un débat franco-français sur l'Europe, le Président Pierre Lequiller a déclaré son accord avec cette dernière conclusion. Il y aura une Europe des
vingt-cinq et une avant-garde, constituant une Europe différenciée et ouverte, notamment en matière de défense et de politique étrangère comme pour l'euro.

En revanche, l'Europe devra être plus qu'une simple coopération entre Etats membres et devra se montrer plus soudée en matière de politique étrangère et de défense si elle veut exister sur la scène internationale face à la montée des nouvelles puissances comme la Chine. Il y aura une Europe-puissance, mais elle ne se fera pas à vingt-cinq.

M. Michael Connarty a souligné que les espoirs soulevés par l'initiative de croissance européenne depuis Lisbonne ont été déçus du fait d'une absence de mise en œuvre et que, pour un pro-euro comme lui, il était difficile d'argumenter en faveur de l'adoption de l'euro au Royaume-Uni tant que la zone euro ne sortirait pas du cercle vicieux économique et social dans lequel elle était plongée.

Beaucoup d'Etats membres ont appuyé l'initiative de Lisbonne sans l'appliquer et, par exemple, ont approuvé l'instauration d'un marché européen de l'énergie ouvert et compétitif, mais si le Royaume-Uni l'a fait, la France ne s'est exécutée qu'au dernier moment et en restant encore largement fermée. Face à des initiatives que le Royaume-Uni est prêt à prendre et que les autres Européens applaudissent mais n'appliquent pas, la question est donc de savoir s'ils vont maintenant le faire. Sinon que proposent-ils d'autre et de mieux ?

Le Président Pierre Lequiller a répondu que la France s'était trouvée politiquement isolée sur ce sujet, parce que la loi sur les trente-cinq heures avait fortement pénalisé notre pays et que l'évolution vers la libéralisation et la mise en concurrence avait été plus lente qu'ailleurs en raison de résistances syndicales. Mais le Gouvernement de
M. Jean-Pierre Raffarin a, depuis, réalisé une réforme des retraites très courageuse et est bien décidé à accomplir des réformes structurelles dans d'autres domaines. L'initiative de croissance a été relancée par le Président Silvio Berlusconi, avec le soutien du gouvernement français et du gouvernement britannique. Mais se pose la question de savoir s'il faut appliquer la norme de déficit de 3 % du PIB fixée par le pacte de stabilité et de croissance de manière rigide ou avec souplesse pour tenir compte de la croissance, en abaissant ce seuil en période de forte croissance mais en le relevant en cas d'atonie. La Banque centrale européenne devrait prendre modèle sur la Réserve Fédérale qui a permis aux Etats-Unis de creuser un écart de croissance significatif avec la zone euro depuis quelques années, et elle devrait s'efforcer non seulement de contenir l'inflation mais aussi de soutenir la croissance.

M. François Guillaume a fait part de son intérêt pour l'idée d'une politique étrangère et d'une politique de défense communes. Il a toutefois estimé qu'il ne fallait pas se contenter de considérations générales, et qu'il était nécessaire de préciser le sens et la portée d'une défense européenne. La défense européenne suppose la compatibilité des systèmes d'armes. Elle implique une attitude d'indépendance à l'égard de l'OTAN. Or, sur ce point, la Grande-Bretagne et la France n'ont pas toujours eu la même attitude. Il est également souhaitable de préciser les conditions de mise en œuvre de la force d'intervention commune.

Il a constaté que deux options s'offrent aujourd'hui à l'Europe en matière de défense : soit la mise en place d'une véritable défense commune, à travers la fusion des forces armées, soit la mise en commun de certains moyens d'action, les différentes armées nationales conservant leur identité propre.

Il a estimé que l'objectif d'une défense européenne devrait être plus clair :
s'agit-il d'assurer exclusivement la défense du territoire européen ou bien d'intervenir également sur des théâtres d'opérations extérieures ?

Evoquant le sommet de Saint-Malo, il s'est enfin interrogé sur la possibilité de construire une avant-garde entre la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne en matière de défense.

M. Daniel Garrigue a constaté avec satisfaction de nombreuses convergences de vue entre la France et la Grande-Bretagne sur l'Europe : l'attachement aux réalités nationales, le respect du principe de subsidiarité, le soutien à l'élection d'un président permanent du Conseil européen, la politique étrangère et de sécurité commune. Toutefois, il y a une divergence sensible dans l'analyse de la relation transatlantique. Certains Etats européens souhaiteraient que l'Europe elle-même devienne le principal interlocuteur des Etats-Unis. D'autres entendent privilégier les relations bilatérales entre chaque Etat et les Américains. La Grande-Bretagne donne toujours l'impression d'hésiter entre ces deux approches.

M. Wayne David a estimé que le renforcement de la capacité de défense de l'Union européenne n'est en rien contraire au maintien d'un lien privilégié avec les
Etats-Unis. Il n'y a dans le monde qu'une superpuissance. Il est nécessaire de le reconnaître et de coopérer avec les Etats-Unis lorsque c'est nécessaire. L'OTAN doit demeurer le socle de notre défense commune, la défense européenne apparaissant comme un complément utile dans certaines circonstances.

Rappelant qu'Henri Kissinger avait déploré ne pas avoir d'interlocuteur européen en matière de politique étrangère, M. Wayne David a salué les progrès enregistrés à la Convention en faveur de la nomination d'un ministre des affaires étrangères de l'Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que lors des premiers débats organisés à l'ONU avant le déclenchement de la guerre en Irak, les points de vue de la France et de la Grande-Bretagne n'étaient pas très éloignés. La défense européenne ne doit pas être dirigée contre les Américains. Elle doit permettre à l'Europe d'exister sur la scène internationale en cas de désaccord avec les Etats-Unis.

Il a estimé que la position de la France et celle de la Grande-Bretagne vis-à-vis des Etats-Unis avaient été toutes les deux caricaturées en sens opposé, alors que dans la réalité elles ne sont pas très éloignées l'une de l'autre.

M. Angus Robertson, évoquant la crise yougoslave et en particulier le drame de Srebenica, a indiqué que la question qui avait alors été posée était celle de l'incapacité de l'Europe à défendre les musulmans contre le génocide. Déclarant refuser que la
Grande-Bretagne soit trop proche des Etats-Unis, il a plaidé pour que l'Europe soit réellement guidée par la volonté d'engager les ressources nécessaires pour assurer sa défense, à défaut de quoi elle risquerait d'être confrontée à des crises analogues à celle de la Yougoslavie.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que c'était précisément pour prévenir pareille perspective que le gouvernement français a décidé de relever les crédits militaires, car sans volonté et sans moyens il n'existe pas d'Europe de la défense. Dès lors, l'objectif à long terme que beaucoup d'Etats accepteraient de poursuivre au-delà de la France et de l'Allemagne, consiste à développer le rôle de l'Agence européenne de défense et à procéder au rapprochement des industries militaires. Il a constaté, en effet, que la coopération militaire était très importante et tendait à se développer - entre la France, et la Grande-Bretagne, notamment -, même s'il est convenu qu'il s'agit d'un effort de longue haleine.

M. Jacques Myard, déclarant approuver l'opinion de M. François Guillaume selon laquelle il n'existe pas d'Europe-puissance, a fait valoir que la réalité de l'Europe était d'abord constituée par les Etats. Ces derniers sont capables d'agir ensemble à condition que les Européens eux-mêmes prennent en charge leur défense et n'attendent rien des Américains en ce domaine. Il leur incombe d'atteindre la masse critique de l'effort de défense, ce qui exige que l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni mettent en commun leurs moyens, politique qui, selon lui, n'est pas nouvelle puisque déjà le Traité de Bruxelles de 1948 ayant institué l'UEO le prévoyait. Constatant que le monde actuel tendait à la globalisation et à l'interdépendance, il a considéré que l'une des leçons de la crise irakienne était que les Etats-Unis s'étaient vu conférer à tort la qualification de superpuissance : non seulement la force militaire n'est pas une panacée, mais aucune perspective de solution politique n'apparaît. Il serait souhaitable que la Grande-Bretagne évite d'apprendre la même leçon à ses dépens.

Le Président Jimmy Hood a évoqué, en conclusion, la notion
d'anti-américanisme. Rappelant qu'il avait souhaité que l'ONU joue un rôle accru dans la crise irakienne, il a contesté qu'il ait pu être, pour cette raison, accusé d'anti-américanisme, les désaccords faisant partie, selon lui, de tout régime démocratique. Il a ajouté qu'il s'agissait même là d'une nécessité dans les relations transatlantiques, surtout avec le gouvernement américain actuel. Au surplus, il a fait observer que les Américains qui n'étaient pas d'accord avec leur propre gouvernement ne pouvaient être taxés d'anti-américanisme. Pour ce qui le concerne, il a souligné que partout où il rencontrait des Américains, il avait constaté qu'il partageait avec ces derniers les mêmes ambitions et préjugés, ainsi que de nombreuses valeurs communes. Evoquant la situation de la Grande-Bretagne par rapport à l'Europe, il a fait remarquer que l'Union européenne était un ensemble de gouvernements nationaux et que, dans ce contexte, parler de fédéralisme était sans objet. Il est clair que la France n'accepterait jamais d'être dirigée depuis Bruxelles et qu'il n'existe pas non plus de conspiration fédéraliste, compte tenu du rôle que les parlements nationaux continuent de jouer. A cet égard, il a estimé que la réunion commune de ce jour entre la Commission d'examen des affaires européennes de la Chambre des Communes et la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne était une parfaite illustration du rôle que peuvent jouer les parlements nationaux. Il a déclaré avoir beaucoup appris à cette occasion et s'est félicité par avance de la prochaine venue de la Délégation pour l'Union européenne à la Chambre des Communes.

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui de la franchise qui a caractérisé ce débat entre Français et Britanniques, lequel a montré certaines différences d'opinion de part et d'autre. Malgré les différends qui ont pu naître à l'occasion de la crise irakienne, Français et Britanniques développent cependant des conceptions très similaires. S'agissant par exemple de l'anti-américanisme, le Président Pierre Lequiller a déclaré partager des observations analogues à celles du Président Jimmy Hood, estimant que l'amitié très forte unissant Français et Américains ne devait pas empêcher les premiers de pouvoir critiquer les seconds. Il a souligné au demeurant que, au sein de la démocratie américaine et du gouvernement des Etats-Unis, il existait des points de vue divers et que toute idée d'alignement complet devait
- en conséquence - être écartée. Il a en effet fait valoir que l'Europe devait prendre son autonomie et son envol, même s'il est convenu qu'il s'agit d'une perspective à long terme. Il a considéré que le facteur temps était partie intégrante de la construction européenne, comme le montre l'exemple de l'euro, auquel il a espéré que la Grande-Bretagne puisse adhérer. Il a également estimé que cette réunion confirmait le rôle important que les parlementaires sont appelés à jouer, en particulier dans le rapprochement des points de vue des Etats.