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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 63

Réunion du mercredi 12 novembre 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la Délégation pour l'Union européenne,
et de M. Jozef Oleksy,
Président de la Commission de l'intégration européenne
de la Diète polonaise

Réunion de travail avec une délégation des commissions de l'intégration européenne du Parlement polonais

Le Président Pierre Lequiller a accueilli la délégation des commissions de l'intégration européenne du Parlement polonais en rappelant que cette réunion faisait suite à la rencontre du 16 juin dernier qui, dans le cadre du Triangle de Weimar, avait permis d'adopter une déclaration commune. Il a indiqué que l'ordre du jour portait notamment sur la prochaine adhésion de la Pologne à l'Union européenne, à la veille du débat à l'Assemblée nationale, prévu le 25 novembre prochain, de ratification du traité d'élargissement. Il s'est félicité de l'entrée imminente de la Pologne dans l'Union et a salué les efforts considérables consentis depuis plus de dix ans afin de rendre possible cette adhésion.

Evoquant le rapport de suivi de la Commission sur le degré de préparation à l'adhésion des nouveaux pays, rendu public le 5 novembre, il s'est déclaré confiant quant à la capacité de la Pologne à répondre positivement aux observations contenues dans ce rapport. S'agissant des débats qui se déroulent actuellement au sein de la Conférence intergouvernementale (CIG), il a rappelé que la France et la Pologne avaient des positions différentes sur certains sujets, en particulier sur la composition de la Commission, la définition de la majorité qualifiée et la mention de l'« héritage chrétien » dans le Préambule de la future Constitution. Il a indiqué que la France souhaitait que le texte qui résultera des travaux de la CIG s'éloigne le moins possible du projet de la Convention, celle-ci ayant procédé à un examen très approfondi des différentes options possibles et abouti à un texte équilibré. Remettre en cause tel ou tel aspect particulier risquerait de rompre l'équilibre général. Il a souligné que la France était à l'écoute des approches différentes de ses partenaires mais soucieuse d'éviter une remise en cause du texte de la Convention, qui ne pourrait que renforcer les sentiments anti-européens dans les opinions publiques.

M. Jozef Oleksy, Président de la Commission de l'intégration européenne de la Diète, a d'abord évoqué le projet de traité constitutionnel, en indiquant que la Pologne appréciait le résultat obtenu par la Convention. Les débats engagés dès février 2002 ont été très approfondis, ouverts, et ont pris largement en compte les différentes hypothèses envisageables. Mais la Pologne a un point de vue qui diffère un peu du projet de traité constitutionnel, à la fois en ce qui concerne les relations entre l'Union et les Etats membres et à propos des institutions de l'Union elles-mêmes.

Pour la Pologne, qui est le pays adhérent le plus peuplé, l'adhésion à l'Union constitue une étape historique. Souvent sacrifiée dans l'histoire de l'Europe par le jeu des puissances, la Pologne veut être traitée comme un véritable partenaire et non plus comme un simple « objet » des relations intra-européennes. Le texte de la Convention s'éloigne de l'équilibre voulu par le traité de Nice, qui lui permettait de jouer le rôle important qu'elle souhaite avoir dans le cadre européen. C'est l'Europe définie par le traité de Nice qui a été débattue dans le cadre du référendum d'adhésion et qui a suscité une participation importante de la population à cette consultation. Il est très difficile d'expliquer maintenant aux Polonais que leur pays va adhérer à une Union sensiblement différente. Il faudrait pouvoir convaincre la Pologne et les Polonais que le nouveau système proposé est meilleur que celui sur lequel ils se sont déjà prononcés. Les appréciations très subjectives ou « émotionnelles » que l'on entend ici et là sur ce qui serait l'inspiration des positions polonaises n'ont pas de fondement. Le point de vue de la Pologne dans le débat actuel est parfaitement sincère.

En ce qui concerne les discussions relatives à l'« héritage chrétien », le Président Jozef Oleksy a précisé qu'à titre personnel, en tant que social-démocrate, il ne considérait pas qu'il s'agissait d'un point prioritaire, mais il tenait néanmoins à soutenir cette demande, le gouvernement polonais l'ayant incluse dans sa position de négociation pour la CIG.

Il a également souligné que la revendication d'un commissaire par Etat membre était défendue par beaucoup de pays participant à la CIG. Il a considéré qu'il fallait éviter de créer de nouvelles divisions au sein de l'Europe, qui a trop longtemps souffert du partage décidé à Yalta. Il ne faut pas qu'il y ait d'un côté les quinze Etats membres actuels, plus riches, habitués à travailler ensemble, et de l'autre, les nouveaux adhérents. Il faut une Europe ouverte. La Pologne est en faveur d'une communauté politique - pas seulement économique - fondée sur une égalité de droits, écartant toute situation de domination par les uns ou les autres.

Evoquant les questions relatives à la défense, le Président Jozef Oleksy a indiqué que la Pologne était favorable à une défense européenne, mais qui n'ait pas vocation à remplacer l'OTAN, système de défense qui a fait ses preuves. Il a récusé toute appréciation qui tendrait à considérer la Pologne comme le « cheval de Troie » des Etats-Unis en Europe, opinion qui ne ferait que traduire une très mauvaise connaissance de l'approche polonaise. Bien que les liens entre la Pologne et les Etats-Unis soient traditionnellement forts - onze millions de Polonais, ou de personnes d'origine polonaise, vivent aux Etats-Unis - la Pologne est fermement engagée à participer très activement à l'approfondissement de la Communauté européenne dont elle fait naturellement partie. Il est absurde d'opposer l'existence de liens forts avec les Etats-Unis et le projet européen. La Pologne soutient l'édification d'une défense européenne, mais pas contre l'OTAN. Même si l'Union européenne a vocation à devenir un sujet de droit autonome, cela ne doit pas se faire au détriment de la communauté transatlantique, qui constitue une vaste zone de civilisation, exemple pour le reste du monde.

Le Président Jozef Oleksy a indiqué qu'il avait été au sein de la Convention, à titre personnel, favorable à la proposition d'une présidence stable du Conseil européen, plus efficace dans une Europe à vingt-cinq, mais que le gouvernement polonais était, quant à lui, attaché à un système de rotation de la présidence du Conseil.

Il a estimé que le projet de texte constitutionnel constituait, au total, une bonne base, regrettant que l'opinion polonaise n'ait pas une meilleure connaissance du travail effectué par la Convention. Les propositions contenues dans le projet de traité représentent, sur beaucoup de points, des avancées importantes, notamment en ce qui concerne la répartition des compétences, le Parlement européen, la Commission, la présidence du Conseil, le contrôle de la subsidiarité et l'intégration de la Charte des droits fondamentaux.

Le Président Jozef Oleksy a ensuite interrogé les membres de la Délégation sur :

- la possibilité de terminer la CIG en décembre, avec des solutions définitives, ou de la prolonger jusqu'en mars, au risque de procéder aux élections au Parlement européen sans nouveau traité constitutionnel ;

- la ratification rapide du traité constitutionnel et les conséquences du refus de ratifier d'un seul pays, qui entraînerait la ruine de tout le travail accompli ;

- le choix entre la voie référendaire et la voie parlementaire pour la ratification, sujet de beaucoup de discussions en Pologne où, contrairement au référendum sur le traité d'adhésion, qui a rassemblé 62 % de votants, un référendum sur la ratification du traité constitutionnel dépasserait difficilement le seuil de 50 % des inscrits nécessaire pour sa validation ;

- l'avantage que représenterait, pour la Pologne, une modification des règles de vote à la majorité qualifiée adoptées à Nice ;

- la possibilité d'accepter la règle « un pays-un commissaire » ;

- la possibilité d'accepter l'ajout, dans le Préambule, d'une référence à Dieu, qui est devenue une énorme question européenne en Pologne, où l'opinion réclame cette mention, même si le Président Jozef Oleksy a déclaré considérer, à titre personnel, que l'Europe était un espace laïc dans lequel le problème était résolu. Bien que la Pologne soit plus petite que la France, elle est un grand pays, qui a des acquis dans les domaines de l'industrie et des idées, et qui ne veut pas adopter le point de vue d'un autre sans argumentation, tout en tenant compte des idées et des conceptions de la construction européenne ;

- les interprétations restrictives de la Commission sur des décisions prises à Copenhague relatives aux subventions et aux quotas laitiers ;

- le rapport de suivi de la Commission sur la Pologne, citant neuf questions dont cinq en agriculture exigeant des mesures avant le 1er mai 2004. La Pologne, consciente que les agriculteurs ne reçoivent des aides qu'après leur règlement, mettra tout en œuvre pour que tout soit prêt à temps, la Diète et le Sénat devraient-ils travailler jour et nuit. La lutte contre la corruption continuera après mai 2004, mais ses premiers effets se feront sentir avant et il en sera de même pour la justice, car si la Pologne ne le fait pas, c'est elle qui en supportera les conséquences.

Le Président Jozef Oleksy a conclu en remerciant les membres de la Délégation d'avoir ouvert un débat sur l'ensemble des questions concernant l'avenir de l'Union européenne, dont la Pologne sera bientôt membre.

Le Président Pierre Lequiller a d'abord rappelé que le livre qu'il avait écrit en 1992 sur « L'Europe se lève à l'Est » et sa présidence du groupe d'amitié France-Pologne pendant plus de dix ans témoignaient de son engagement en faveur de l'élargissement de l'Union européenne, puis il a souligné que l'intensification des relations parlementaires entre les deux pays, avec, en particulier, la rencontre des deux commissions des affaires étrangères de la Diète et de l'Assemblée nationale la semaine prochaine, traduisait le fait que la France considère la Pologne comme un véritable partenaire.

Il a ensuite exprimé le souhait que la CIG soit conclue rapidement, et la crainte que la réouverture de discussions sur des sujets aussi importants que la majorité qualifiée n'entraîne un enchaînement de remises en cause sur d'autres sujets qui ont été longuement débattus à la Convention par toutes les composantes de l'Europe et des vingt-huit pays. Or ce travail, qui a abouti à un projet global cohérent avec des avancées suffisamment homogènes, est très fragile.

En ce qui concerne le calcul de la majorité qualifiée au Conseil, il n'est pas sûr que le système de Nice soit meilleur pour la Pologne que celui de la Convention. Dans un article récent, M. Philippe de Schoutheete, ancien représentant permanent de la Belgique auprès de l'Union européenne, expliquait que le traité de Nice donnait à la Pologne, dans une Union élargie à 27 membres, 27 voix sur un total de 345, soit un pourcentage de 7,82 %, alors que le projet de la Convention lui donne le poids relatif de sa population, c'est-à-dire un poids plus important de 8 % des voix. S'il est vrai que le critère démographique crée un décrochage par rapport à l'Allemagne dans le nouveau système par rapport à l'ancien, il ne concerne pas seulement la Pologne, mais aussi la France, le Royaume-Uni et l'Italie, qui ont accepté de renoncer à la parité, de 29 voix chacun, avec l'Allemagne, parce qu'il est plus souple et plus lisible pour les citoyens et qu'il met fin à un système extrêmement complexe.

La référence à l'« héritage chrétien » a suscité un long débat à la Convention et, plutôt que d'aboutir à la mention des autres héritages, comme l'avait proposé le Président Giscard d'Estaing à un moment donné dans une formule compliquée, mieux vaut s'en tenir au texte de la Convention, comme le souhaite la France, par ailleurs très attachée à la laïcité.

Il convient d'écarter tout malentendu sur l'Europe de la défense et la politique étrangère, qui ne sont pas dirigés contre les Etats-Unis mais partent du fait qu'après la chute du mur de Berlin, l'Europe doit devenir une Union politique pour exister sur la scène internationale à côté des Etats-Unis et avec eux. La France est attachée à l'alliance avec les Etats-Unis, mais, de même que dans une démocratie, les opinions diverses doivent pouvoir s'exprimer, de même dans les affaires internationales, l'Europe doit pouvoir le faire dans le cadre d'une relation transatlantique équilibrée.

Enfin, le Président de la République décidera de la ratification par voie référendaire ou parlementaire au terme de la CIG.

En conclusion, le Président Pierre Lequiller a souhaité que la CIG ne soit pas un échec, car ce serait un recul pour l'Europe.

Mme Genowefa Grabowska, sénatrice, a souhaité adresser les plus vifs remerciements à la France, qui a apporté une aide précieuse à la Pologne pour sa préparation à l'adhésion. Elle a déclaré garder le meilleur souvenir de ses relations avec les représentants du Parlement français à la Convention. Puis elle a souligné l'importance, pour la Pologne, du débat parlementaire français concernant la ratification du traité d'adhésion, celle-ci intervenant après celle du Danemark, de l'Allemagne et du Portugal.

Mme Genowefa Grabowska a considéré que les divisions politiques apparues dans certains domaines entre la France et la Pologne n'ont jamais eu de répercussions sur l'estime qu'éprouvait son pays à l'égard de la nation française. Les deux pays sont liés par des liens d'amitié si profonds qu'à aucun moment des propos malveillants à l'égard de la France n'ont été tenus par des Polonais.

Malgré les divergences apparues ces derniers temps sur des problèmes internationaux, elle a fait part de son attachement aux principes de la diplomatie française « classique », qui a su trouver une voie originale pour régler les différends et négocier des questions d'intérêt commun.

Cette relation particulière entre les deux pays implique une grande franchise dans le dialogue politique.

C'est pourquoi les parlementaires polonais souhaitent exprimer, en toute liberté, leurs observations sur les travaux de la CIG, ainsi que l'a fait de son côté, et avec clarté, le Président Pierre Lequiller. La Pologne souhaite que la CIG aboutisse rapidement. Elle considère en outre que le projet de traité est un bon texte.

Cependant, celui-ci n'est qu'un projet. Si ce texte a été élaboré dans un cadre incontestablement démocratique, il appartient désormais aux diplomates de négocier un traité, en vue de son adoption par les peuples de l'Europe ou leurs représentants. Les divergences survenues entre les Etats membres sur les aspects institutionnels doivent être négociées avec toute la bonne volonté requise, conformément à l'esprit communautaire.

Mme Genowefa Grabowska a jugé que chaque Etat membre défend, dans cette négociation, un point qui lui tient particulièrement à cœur. Elle a souhaité illustrer son propos en prenant le cas de l'exception culturelle, qui était défendue par la France et n'a été acquise que le dernier jour des travaux de la Convention. La France, parce qu'elle est la France, considère que la politique culturelle est une cause nationale et ne peut donc être soumise au vote à la majorité qualifiée.

La Pologne adopte la même position sur la question du décompte de la majorité qualifiée. Le traité de Nice est parvenu à un résultat, qui n'a pas été mis en pratique, car ce texte ne doit entrer en vigueur que le 1er novembre 2004. Or, ce résultat très important pour la Pologne est susceptible d'être modifié par le projet de traité constitutionnel. Ainsi, les citoyens polonais pourraient être amenés à vivre une situation pour le moins étrange, car le compromis obtenu à Nice, qui n'a pas été encore appliqué, pourrait être bouleversé, sans que ce changement important ne soit justifié par les faits. Dans ces conditions, quelle pourrait être, aux yeux de ces citoyens, la légitimité d'une modification aussi importante ? L'argument selon lequel ce changement doit se faire, car il ne peut qu'améliorer le système, n'est pas convaincant.

Mme Genowefa Grabowska a évoqué les protocoles relatifs au rôle des parlements nationaux et au contrôle de la subsidiarité pour appeler de ses vœux la mise en place d'un nouvel espace de coopération interparlementaire. Rappelant que la Commission européenne serait tenue de revoir une proposition d'acte si un tiers des parlements nationaux estimaient que le texte était contraire au principe de subsidiarité, elle a jugé que ce nouveau pouvoir impliquait la formation d'« ententes horizontales » et de positions communes entre les commissions parlementaires compétentes, voire les assemblées, de la France et de la Pologne.

Enfin, Mme Genowefa Grabowska a jugé « fantastique» la résolution commune adoptée par les organes chargés des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Bundestag et souhaité que des réunions associant les parlements de l'Allemagne, de la France et de la Pologne sur les sujets européens puissent avoir lieu dans le cadre du Triangle de Weimar. La France et la Pologne ont tout intérêt à développer des approches communes : c'est ainsi que la visite, en juillet 2002, du ministre de l'agriculture français, en Pologne, a été largement saluée et a démontré une certaine concordance entre les points de vue des deux pays sur la politique agricole commune.

Le Président Pierre Lequiller a déclaré partager les propos de Mme Genowefa Grabowska sur la nécessité d'un renforcement de la coopération interparlementaire et du Triangle de Weimar.

M. Marc Laffineur s'est réjoui de la venue de collègues parlementaires polonais, pour rappeler ensuite que les parlementaires français ont toujours soutenu l'élargissement de l'Europe. La Pologne est un grand partenaire, une nation valeureuse, aux attaches fortes avec la France, renforcées par la présence de nombreuses personnes d'origine polonaise sur notre territoire.

En ce qui concerne la constitution d'une capacité militaire européenne, M. Marc Laffineur a insisté sur le fait que cette évolution ne se fait ni contre l'OTAN, ni contre les Etats-Unis. La France et les Etats-Unis sont des amis et des alliés, mais qui peuvent, comme cela est la norme dans toute relation d'amitié, avoir des divergences d'approche, qu'il est légitime pour chaque partenaire d'exprimer. L'attitude de la France, dont la position sur le dossier irakien n'est pas forcément mauvaise, est donc parfaitement légitime.

Au sujet de la CIG, M. Marc Laffineur a souhaité savoir si la Pologne établit un lien entre les travaux de celle-ci et le débat qui va s'ouvrir sur les prochaines perspectives financières. Quelle est l'opinion de la Pologne concernant les propos du chancelier allemand, M. Gerhard Schröder, qui a déclaré qu'un retard dans les travaux de la CIG pourrait avoir des conséquences sur le futur cadre financier de l'Union ? M. Marc Laffineur s'est également interrogé sur la position de la Pologne quant à l'opportunité d'augmenter ou non le budget européen. Enfin, il a demandé si la Pologne estimait souhaitable de réserver l'attribution des fonds structurels aux seuls nouveaux Etats membres ou à un plus grand nombre de pays.

M. Edmund Wittbrodt, sénateur, a souhaité commenter les propos du Président Jozef Oleksy concernant l'attitude de l'opposition à l'égard du projet de Constitution européenne. Au Sénat, l'opposition approuve les éléments essentiels du texte. Toutefois, elle partage les inquiétudes et les demandes du gouvernement polonais. Rappelant que le Président Pierre Lequiller a estimé que ce texte avait bénéficié d'un large consensus à la Convention, M. Edmund Wittbrodt a plutôt considéré que ce projet résultait d'un compromis obtenu avec difficulté. Ainsi, la proposition franco-allemande sur la présidence stable du Conseil a suscité beaucoup de réticences.

Quoiqu'il en soit, les résultats de la CIG doivent maintenant retenir toute notre attention. Si ceux-ci s'éloignent des arguments institutionnels utilisés par le gouvernement polonais pour que le « oui » l'emporte au référendum sur l'adhésion, il est à craindre qu'un référendum sur le projet de Constitution voit le sentiment anti-européen l'emporter.

Les arguments utilisés dans le cadre de la Convention ne doivent plus avoir cours, car l'exercice de la CIG n'est plus le même. Ses discussions actuelles font apparaître une majorité en faveur d'une présidence collégiale, d'une Commission élargie et d'un système de majorité qualifiée établissant un compromis entre celui du traité de Nice et celui proposé par la Convention, cette dernière solution pouvant constituer un texte acceptable pour la Pologne.

M. Edmund Wittbrodt a noté que les effets de la lettre des huit et de l'initiative des quatre n'ont pas été entièrement pris en compte par la Convention, ce que la CIG ne peut en revanche ignorer. Il a souhaité que le prochain traité débouche sur une Union d'Etats partenaires et exprimé des craintes à l'égard d'une Europe à géométrie variable.

En ce qui concerne l'état de préparation des pays candidats à l'adhésion, M. Edmund Wittbrodt a observé que 70 % des remarques formulées précédemment par la Commission avaient été prises en compte et 27 % d'entre elles doivent encore donner lieu à des améliorations. Seuls 3 % de ces remarques font état de sérieuses difficultés. Tous les pays adhérents doivent fournir des efforts pour mener à bien le processus d'intégration, sinon ils paieront tous le prix d'une mauvaise préparation.

M. Edmund Wittbrodt a souhaité savoir si la ratification par le Parlement français du traité d'adhésion peut encore susciter des difficultés et s'il est possible que le traité constitutionnel ne soit adopté que pour partie.

M. Jacques Floch a estimé que le débat permettait de clarifier les positions des uns et des autres. Au début des travaux de la Convention, les Polonais sont apparus comme très exigeants. Cela pouvait s'expliquer par l'histoire contemporaine de la Pologne et sa position géographique, qui nourrissent un important besoin de sécurité. Les Français se sont prononcés sur leur appartenance à l'OTAN depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui, l'Europe ne constitue plus un enjeu fondamental pour la politique militaire des Etats-Unis. Il est regrettable que l'Europe n'ait pas été capable d'assurer la sécurité sur une partie de son territoire, comme en ex-Yougoslavie. Les Américains ont dû intervenir pour séparer les belligérants. Cette situation est profondément choquante. L'Europe doit aujourd'hui se donner les moyens d'assurer sa propre sécurité, en partenariat avec l'OTAN, dont la France et la Pologne doivent continuer à être membres.

M. Jacques Floch a considéré qu'un compromis pourrait raisonnablement être obtenu lors des travaux de la CIG sur certains des points soulevés par les parlementaires polonais. C'est notamment le cas en ce qui concerne le nombre de commissaires. Certes, un commissaire européen ne représente pas son Etat d'origine, mais il est naturel qu'il conserve des liens étroits avec lui. Il devrait être possible de trouver une solution qui convienne à tous les pays membres. La même difficulté se retrouvera d'ailleurs en ce qui concerne la Cour de justice des Communautés européennes. Si on doit passer de 15 à 25 juges, cela risque d'entraîner des problèmes de coût et d'efficacité.

Les dispositions du projet de Constitution relatives à l'élection du président de la Commission européenne constituent une avancée démocratique sans précédent. Le président devra définir un programme et obtenir la confiance de la majorité des membres du Parlement européen.

S'agissant de l'approbation du projet de Constitution, il appartiendra au Président de la République française de choisir entre un référendum et un vote du Parlement. Il serait souhaitable que les peuples d'Europe puissent se prononcer par référendum le même jour, ce qui permettrait d'éviter que le débat ne se focalise sur des enjeux de politique intérieure, comme cela a été le cas lors du référendum sur le traité de Maastricht.

La question des racines chrétiennes de l'Europe est une question très personnelle. Les Etats européens organisent leurs relations avec les Eglises selon des règles et des traditions très différentes. En France, on constate que la religion musulmane est devenue la deuxième religion derrière la religion chrétienne. Le bouddhisme connaît un succès croissant. Il convient donc d'en rester au texte habile et équilibré de la Convention, qui rappelle les origines de l'Europe, mais laisse à chaque Etat le soin d'établir les relations avec les Eglises selon des modalités et sur des bases qui lui sont propres.

La Convention a réussi à fondre l'ensemble des traités dans un seul texte clair et précis. Cela renforce la démocratie. Dans ces conditions, il importe peu que le traité de Nice ne soit pas intégralement repris.

En conclusion, M. Jacques Floch a remarqué que le dialogue entre la France et la Pologne avait permis de réaliser des progrès significatifs depuis plusieurs semaines, et facilitera la recherche d'un compromis équilibré et acceptable par tous sur le texte de la Constitution.

M. Marek Kotlinowski, député, a déclaré que la Pologne avait besoin de l'Union européenne autant que l'Union européenne a besoin de la Pologne. La Pologne représente une part relativement faible de l'économie européenne, mais elle joue un rôle politique essentiel. Les Polonais souhaitent que le traité de Nice soit intégralement appliqué, avant que ne soient débattues d'éventuelles modifications à ce traité. La Pologne souhaiterait également bénéficier des dispositions qui permettent à l'Allemagne d'aider les entreprises des anciens länder de l'Est, afin de lui permettre de rattraper le terrain perdu sur le plan économique pendant le régime communiste. La Pologne a une vision neuve de l'Europe et elle peut lui apporter beaucoup. Les autorités polonaises espèrent un compromis sur le projet de Constitution. Elles sont favorables à son adoption par référendum, afin que les peuples puissent s'exprimer.

M. René André a souligné l'importance de l'amitié franco-polonaise et de cette réunion, dans la perspective du débat sur l'élargissement qui aura lieu à l'Assemblée nationale le 25 novembre prochain. La France a accepté et promu l'élargissement avec enthousiasme, et se réjouit que l'Europe soit enfin réunifiée, après une si longue séparation. Certaines difficultés ne doivent cependant pas être sous-estimées :

- les Français sont enthousiastes à l'égard de l'élargissement, mais ne se sentent pas concernés par le débat constitutionnel. Il faut susciter leur intérêt sur cette question et préparer le débat, pour qu'un référendum éventuel ne soit pas détourné. La prudence politique invite, en tout état de cause, à privilégier une ratification par voie parlementaire ;

- la France est un allié, parfois difficile mais fidèle, des Etats-Unis. Elle a toujours été présente aux côtés des Etats-Unis dans les moments de crise grave. Les difficultés actuelles proviennent de la crise irakienne - les événements actuels donnent d'ailleurs, a posteriori, raison à la France d'avoir adopté une position prudente - et de la relation avec l'OTAN. La France n'a jamais eu l'intention de concurrencer l'OTAN et souhaite, au contraire, que l'Europe de la défense se construise en liaison et en complémentarité avec l'Alliance atlantique. La défense européenne se fait d'ailleurs avec les Britanniques, qui n'accepteraient pas qu'il en soit autrement. On peut cependant s'interroger sur ce que serait le degré d'engagement des Américains, dans l'éventualité d'une crise internationale en Europe. La défense européenne doit permettre, à terme, à l'Europe d'être maîtresse de son destin et de bâtir une véritable Europe politique. Une diplomatie européenne ne peut se concevoir sans une défense commune, qui doit s'appuyer sur la construction d'une industrie européenne d'armement ;

- nous souhaitons que la Constitution européenne soit adoptée le plus rapidement possible, mais sans remettre en cause le contenu du projet élaboré par la Convention européenne. La France est prête à accepter des modifications à la marge, mais il y a des points sur lesquels nous ne pouvons pas revenir, tels que la présidence du Conseil européen, le ministre des affaires étrangères de l'Union, l'extension de la majorité qualifiée en matière de justice et d'affaires intérieures ;

- la Pologne est une grande nation, qui a un rôle important à jouer, dans le cadre du Triangle de Weimar formé avec la France et l'Allemagne, dans le dialogue de l'Union avec les pays limitrophes de ses nouvelles frontières, en particulier avec l'Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie. Ce dialogue permettra d'éviter la constitution d'un « mur de Schengen », qui remplacerait le rideau de fer ;

- la Pologne a beaucoup progressé dans la reprise de l'acquis communautaire, et ce qui importe aujourd'hui est l'application effective, sur le terrain, des nouvelles règles adoptées. Il reste encore beaucoup à faire sur ce plan, en matière de douanes ou de lutte contre certains trafics, en particulier.

M. François Guillaume a estimé que la Pologne jouera un rôle déterminant dans l'Europe élargie. Elle partage avec la France un atout agricole important, que toutes deux doivent valoriser. Les concessions obtenues par les Polonais concernant la politique agricole commune ne sauraient, de ce point de vue, qu'être provisoires. Le système plus souple de découplage mis en place constitue en effet une véritable incitation à ne pas produire, en créant un revenu sans production.

En ce qui concerne le projet de Constitution européenne, il a marqué son accord avec le Président Jozef Oleksy au sujet de la composition de la Commission européenne. La proposition de la Convention européenne de créer des commissaires de « second rang », dépourvus de droit de vote, n'est pas satisfaisante, et il faudra accepter que chaque Etat membre ait un commissaire avec droit de vote, les grands Etats - dont la Pologne fait évidemment partie - en ayant même deux. Il a également approuvé l'inclusion d'une référence, dans le préambule de la Constitution européenne, à l'héritage judéo-chrétien de l'Europe. C'est un fait historique, que l'on ne saurait nier, et cette mention ne porte en rien atteinte à la laïcité des Etats membres ou de l'Union européenne. Le mode de calcul de la majorité qualifiée proposée par la Convention européenne devrait, en revanche, être maintenu. Il présente l'avantage de protéger à la fois les petits Etats - la moitié des Etats membres étant requise - et les grands pays, par la prise en compte du critère démographique. La Pologne devrait plutôt s'attacher, pour défendre ses intérêts, à réactiver le compromis de Luxembourg, consistant à rechercher un consensus lorsqu'un Etat membre invoque ses intérêts essentiels. Cela paraît plus important que de défendre le principe selon lequel il ne devrait pas être touché au traité de Nice.

Mme Malgorzata Rohde, députée, a souligné la contribution de la chrétienté à la formation de l'identité polonaise, mais a aussi mentionné d'autres éléments d'identification particulièrement importants depuis l'effondrement du régime communiste. En quatorze ans, 8 000 entreprises ont été privatisées et le secteur agricole a été profondément réformé, ce que les pays occidentaux ont mis cinquante ans à réaliser. En tant que membre de l'opposition parlementaire, elle a estimé que l'Union européenne constituait une chance historique pour l'amélioration des conditions de vie et le partage de valeurs communes. C'est pourquoi les électeurs ne doivent pas se sentir trompés par une Europe qui ne ressemblerait pas à ce qu'on leur a promis, alors que 75% de la population serait favorable à la tenue d'un référendum sur le projet de Constitution européenne. Or le non-respect par le gouvernement des engagements pris pourrait conduire à de mauvaises surprises lors des élections européennes de juin 2004 en envoyant siéger à Strasbourg des élus qui misent sur les peurs suscitées par la construction européenne. Un véritable effort d'information et de pédagogie est également nécessaire à l'égard des citoyens polonais. Il faut multiplier les débats, notamment au niveau local, avec les agriculteurs et les dirigeants d'entreprise. Mme Malgorzata Rohde a ensuite tempéré l'image de fermeté qu'ont parfois pu donner les représentants polonais à la Convention, alors que son parti les considérait comme trop conciliants. Car la remise en cause par la Convention de certaines dispositions du traité de Nice est une violation inacceptable du principe Pacta sunt servanda.

Le Président Jozef Oleksy s'est démarqué du ton de l'intervention de sa collègue, tout en admettant le bien fondé de son analyse. Précisant que les conventionnels polonais n'avaient pas été jugés sévèrement par le Parlement, mais par les seuls élus du parti conservateur populaire, il a toutefois reconnu que la Diète n'avait pas toujours été bien informée du déroulement des travaux de la Convention. Evoquant ensuite la question de la majorité qualifiée, il a regretté que la Convention n'en ait pas suffisamment débattu, comme des sujets institutionnels en général. Bien que la Pologne se soit toujours prononcée en faveur du maintien des acquis de Nice, sa voix a moins compté que celle de la « grande » France et de la « grande » Allemagne. Si le mécanisme proposé par la Convention fera passer de 7,8 % à 8 % le poids de la Pologne, il n'en reste pas moins que les trois pays les plus peuplés sont les gagnants d'une réforme favorable aux pays les plus riches, au détriment des Etats les plus pauvres. Il a ensuite répondu à l'observation formulée par M. François Guillaume qui a relativisé la portée des règles de vote, en faisant valoir que la plupart des décisions résultent de compromis. Le Président Jozef Oleksy a alors renversé l'argument en faisant valoir qu'il ne fallait donc surestimer la portée des revendications polonaises. En revanche, l'adoption d'un mécanisme de double majorité pourrait se révéler nuisible à la recherche de consensus lors des négociations communautaires.

S'agissant des relations transatlantiques, il a estimé que le débat sur le degré d'amitié de tel ou tel pays avec les Etats-Unis était absurde et sans objet. Nous sommes tous liés par la dimension transatlantique, ce qui n'empêchera pas l'Europe de disposer de son propre système de défense. L'OTAN est une structure trop lourde pour intervenir en Europe.

Evoquant la perspective d'adoption du traité constitutionnel, il a, à ce stade, déclaré ne pas savoir jusqu'où pourrait intervenir le consensus. Se remémorant le talent du Président Valéry Giscard d'Estaing pour décréter le consensus, il a considéré que certaines questions validées par la Convention, demeurent toujours en suspens. Si la Pologne est d'accord sur le canevas du projet de Constitution, elle entend toutefois entrer dans le détail de certaines dispositions, au demeurant pas si nombreuses.

Sur l'idée de commissaires de premier et de second plan, il ne s'y est pas déclaré hostile, si elle peut permettre à chaque nation d'être représentée. Ces commissaires pourront travailler en sous-groupes et par domaine thématique, ce qui permettrait de sortir du dilemme de la voie consultative ou délibérative. Il n'est pas urgent de régler les questions afférentes au seuil de la minorité de blocage ou de la majorité de décision. Il semble que le traité de Nice pourra révéler son efficacité à l'épreuve de l'expérience. Il sera temps d'évaluer dans les années qui viennent les changements et les adaptations nécessaires. Aussi l'opinion polonaise comprend mal les raisons qui font désirer aux Quinze des modifications du traité de Nice avant même sa mise en œuvre.

Dans le domaine budgétaire, l'Union européenne paraît vouloir concilier l'élargissement et une relative austérité. Alors que cet élargissement sera le moins cher dans l'histoire de la construction européenne, il est question d'affecter les fonds structurels à une caisse de l'innovation et du développement. Cela peut passer pour des économies de « bouts de chandelles » au détriment des nouveaux pays membres, alors que le budget effectif de l'Union ne représente que 0,98 % du PIB communautaire lorsqu'il pourrait s'élever à 1,27 %. L'ambitieuse stratégie de Lisbonne ne doit pas se développer au détriment des politiques existantes. La marche forcée vers l'innovation doit encore trouver un financement propre, faute de quoi les différences de potentiel de la future Union vis-à-vis des Etats-Unis pourraient devenir des inégalités durables de développement.

Le Président Pierre Lequiller s'est félicité que la discussion ait permis à chacun de développer ses propres arguments. Rappelant son engagement ancien en faveur de l'Europe, il s'est déclaré partisan d'une intégration plus forte grâce à laquelle l'Europe parlera aux citoyens, s'affirmera sur la scène internationale et pourra défendre ses intérêts propres.

Il est naturel que le Présidium de la Convention ait cherché à orienter les débats dans le sens d'un résultat positif. Chaque sujet avait au préalable été abordé de manière approfondie. La question centrale aujourd'hui n'est pas de savoir comment les Etats membres défendront leurs prérogatives au sein de la future Union européenne, mais si le nouvel ensemble fonctionnera mieux avec le nouveau texte, opinion qui paraît largement partagée. Le nécessaire compromis qui se réalisera à la CIG ne doit pas décevoir une opinion française qui ne voudrait pas d'une Europe tiède et sans élan. Elle appelle de ses vœux une Europe qui avance et non une Europe qui stagne. L'espoir aujourd'hui est que la CIG aboutisse bien et vite. Après avoir remercié ses collègues polonais de leur venue à Paris, le Président Pierre Lequiller a annoncé que la coopération parlementaire entre les deux pays se poursuivrait sur une base bilatérale, mais aussi dans le cadre du Triangle de Weimar.