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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 67

Réunion du mardi 9 décembre 2003 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition (ouverte à la presse) de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur l'Europe de la défense

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'importance des travaux de la Convention, puis des débats de la Conférence intergouvernementale et enfin des initiatives de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne sur la construction d'une Europe de la défense, dont l'édification conduira à la définition d'une politique étrangère commune dans un ordre inverse de celui qui était généralement attendu.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, s'est réjouie de présenter les développements de l'Europe de la défense à un moment crucial pour notre avenir commun. Celle-ci a en effet accompli des progrès considérables au cours des derniers mois, alors qu'un grand scepticisme régnait dans l'opinion française et européenne sur ce sujet. Mais le changement a eu lieu cet été, d'abord avec l'opération Concordia menée en Macédoine, pour la première fois par l'Union européenne en relève de l'OTAN, et avec son soutien, ensuite avec l'opération autonome de l'Union européenne en République démocratique du Congo. Cette opération difficile dont l'Union a assumé tous les aspects opérationnels et de soutien, a atteint ses objectifs dans la durée prévue puisqu'elle vient d'être relevée par une mission de l'ONU, la MONUC 3.

Dans un contexte de grande mutation géopolitique, l'Union européenne est donc en train de développer une vision ambitieuse de l'Europe de la défense dont les progrès sont encourageants, même s'il reste encore des défis à relever.

La grande mutation géopolitique n'a pas attendu longtemps après la chute du mur de Berlin, dont on espérait l'entrée dans une ère de stabilité et de paix, pour se manifester à travers quatre phénomènes majeurs : la radicalisation des antagonismes ethniques dans les Balkans et le pourtour de la Russie mais aussi en Afrique ; la prolifération des armes de destruction massive dans les domaines nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique, soulignant une insuffisance des mécanismes de contrôle après la disparition de l'emprise de l'Union soviétique sur certains pays, notamment pour faire face à des situations comme celle de la Corée du Nord ; le renouveau du terrorisme de masse mené par Al Qaïda et ramifié à des réseaux multiples dans le monde musulman pour exporter la violence partout, sans qu'aucun pays ni aucune ville ne puisse se croire à l'abri, en recherchant des cibles symboliques, occidentales pour créer le maximum de désorganisation et de panique et bénéficier de la publicité la plus sauvage ; enfin, le passage d'un système de menace bipolaire à un système où la puissance militaire est concentrée dans un seul pays et est couplée avec une puissance économique, façonnant sa vision des relations internationales et sa politique étrangère d'une manière particulière.

Les Européens ont un rôle à jouer pour faire face à cette grande mutation, et sont en train de développer une vision ambitieuse grâce à leur prise de conscience des réalités.

Nous partageons en effet les mêmes intérêts de sécurité, nous affrontons les mêmes menaces aux frontières, ainsi que les mêmes menaces terroristes, nous avons les mêmes liens de solidarité avec l'Afrique parce qu'en particulier la France, le Royaume-Uni, la Belgique, l'Allemagne partagent une histoire commune d'implantation de leurs concitoyens sur le continent africain, nous participons aux mêmes combats avec nos militaires côte à côte dans les opérations extérieures en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et sur les autres théâtres extérieurs, nous partageons les mêmes valeurs forgées par la même histoire qui s'appellent la liberté, le respect de l'Homme, des identités et des cultures, enfin nos forces opèrent et agiront de plus en plus dans un cadre multinational.

Le premier acquis est que l'Europe a su résister à la période de crise engendrée par la guerre en Irak, au cours de laquelle on a beaucoup dit qu'elle avait provoqué des ruptures insurmontables entre Européens et qu'elle marquait la fin de la défense européenne. Or, au moment même où les divergences étaient les plus fortes, les Européens ont fait le maximum pour rendre irréversible l'Europe de la défense.

La rencontre du Touquet en février 2003 entre la France et le Royaume-Uni en est la démonstration la plus éclatante. En pleine crise irakienne les divisant de manière virulente, ces deux puissances avaient le choix d'étaler leurs divergences ou de construire l'Europe de la défense. Elles ont choisi la deuxième solution et leur détermination à avancer a abouti à un accord sur la création d'une force d'intervention rapide et d'une agence de l'armement, sur la possibilité d'une coopération pour les porte-avions. Ce fut un moment très fort où un nouvel élan a été donné à l'Europe de la défense.

Un deuxième acquis est le succès du déploiement des forces européennes sur le terrain. L'opération en Macédoine annonce celle en Bosnie en 2004, avec des moyens beaucoup plus importants pour remplacer l'OTAN. L'opération en République démocratique du Congo s'est faite avec un délai de réaction très bref, de quinze jours, que l'OTAN n'a jamais atteint. Les conditions logistiques étaient impossibles, avec les pluies, l'absence de toute piste d'atterrissage en état, et donc la nécessité de refaire la piste après chaque atterrissage, dans le cadre d'une opération sous commandement multinational, depuis le ministère français de la défense. Les militaires se sont entendus parfaitement, au point qu'ils ont pu dire qu'ils ne savaient plus quelle était leur nationalité dans ces opérations très coordonnées.

Le troisième acquis est la réussite économique découlant de la signature de grands programmes d'armement. Des doutes étaient encore émis lors de l'entrée en fonction du ministre sur la possibilité de jamais les réaliser. A400M, Méteor, l'hélicoptère Tigre - à la réalisation duquel l'Espagne a adhéré alors qu'elle ne devait se doter que d'Apaches - l'hélicoptère NH90, Galileo, la frégate multimission, autant de programmes à la réalisation desquels la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, la Grèce et d'autres se sont attelés, dans des configurations variables, et qui constituent le fondement de la décision de créer une Agence européenne de l'armement. Elle sera très importante pour l'industrie et l'emploi en Europe, même si sa création n'exclut pas des achats extérieurs. Mais elle va donner une impulsion forte à l'industrie européenne d'armement et abaissera les coûts d'une manière extrêmement incitatrice pour les exportations.

Le quatrième acquis concerne l'accord sur les perspectives de développement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

Il concerne trois aspects :

- s'agissant des moyens humains, l'Union s'est dotée d'une force déployable de 60 000 hommes pour remplir les missions de Petersberg. Depuis la réunion de Londres du 24 novembre dernier, un accord s'est également dessiné sur la constitution d'une force d'intervention très rapide capable de se déployer entre 48 heures et 15 jours, sur le modèle de ce qui s'est produit lors de l'intervention européenne en République démocratique du Congo ;

- concernant le cadre institutionnel, la Conférence intergouvernementale (CIG) devrait introduire les coopérations structurées qui suscitent un accueil relativement favorable de la plupart des délégations, y compris de la Pologne qui a bon espoir d'y participer. Les débats portent également sur l'opportunité de créer un centre de planification et de commandement, une idée à laquelle le Royaume-Uni s'est à l'origine opposé. Mais les Britanniques ont évolué, sensibles à la méthode pragmatique consistant à tirer les conséquences des difficultés techniques rencontrées lors de l'opération menée au Congo. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit nullement de concurrencer l'OTAN, ce que les Britanniques ont bien compris. Cet embryon de centre de commandement et de planification mobiliserait entre 30 et 40 officiers ;

- sur l'établissement de l'Agence européenne de la défense, il convient de souligner l'importance d'une mise en commun de nos réflexions et de nos moyens dans les domaines de la recherche, du développement et de l'acquisition des armements. L'accord général conclu à Rome a été confirmé à Bruxelles, et représente la clé des progrès dans le domaine spatial, ainsi que pour le développement des drones de combat.

Au-delà des réalisations concrètes et des perspectives de court terme, la ministre a souligné la persistance de difficultés et a présenté les défis auxquels est confrontée l'Europe de la défense.

Le premier défi est relatif aux capacités lacunaires de l'Europe, en comparaison avec les Etats-Unis. Ce déficit capacitaire tient essentiellement aux disparités des budgets de la défense entre les différents Etats européens. Seuls quatre pays font un effort de défense significatif : le Royaume-Uni, la France, la Grèce et le Portugal pour lesquels le niveau de dépense dans le domaine de la défense est supérieur à 2% du PIB, alors qu'il est inférieur à 1% dans les autres Etats membres. Cela a des conséquences mécaniques quant à l'acquisition de matériel et à l'employabilité des forces. Or tous les pays européens devraient accomplir un effort budgétaire conséquent afin de ne pas faire peser seulement sur quelques-uns une charge qui profite à beaucoup d'autres. Les interventions françaises en Côte d'Ivoire et au Libéria ont en effet permis l'évacuation de nombreux ressortissants européens des zones de conflits où les Français étaient minoritaires. Dès lors, il faudrait tenir compte de l'effort budgétaire accompli par la France, lequel bénéficie à d'autres pays de l'Union, dans l'appréciation que l'on fait du respect du Pacte de stabilité et de croissance.

Le deuxième défi est celui de la préparation de l'avenir, notamment sur le plan industriel. La ministre a souligné l'importance de l'effort de recherche américain, notamment dans le domaine spatial, et s'est déclarée préoccupée de constater que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni représentent à eux seuls 80% de l'industrie de défense européenne. L'Agence européenne de défense devra favoriser un engagement européen dont les retombées civiles seront positives.

Le renouvellement des méthodes de financement représente le troisième défi. Il est nécessaire d'imaginer des formes innovantes de financement des équipements militaires. Une réflexion est actuellement menée au niveau européen et la France coopère avec l'Italie sur le dossier des frégates multimissions.

En conclusion de son intervention, la ministre a rappelé que l'Europe n'a pas vocation à n'être qu'une puissance économique. Ses traditions, ses valeurs et son histoire doivent en faire une puissance politique, dotée des moyens matériels et militaires qui lui permettront de défendre ses intérêts et ceux de ses citoyens. L'Europe de la défense n'est dirigée ni contre les Etats-Unis, ni contre l'OTAN. La ministre s'est déclarée optimiste sur les perspectives à venir, constatant que l'Europe de la défense avance plus vite qu'en son temps, l'Europe monétaire. Elle devrait également précéder l'élaboration d'une véritable politique étrangère européenne, soumise à des contraintes plus fortes, notamment d'ordre psychologique et culturel. La construction d'une défense européenne est indispensable pour que l'Union soit un moteur capable de contribuer à la stabilité du monde.

Le Président Pierre Lequiller a remercié la ministre pour son exposé, extrêmement complet et intéressant. Il a considéré que les divergences des européens au moment de la crise irakienne n'avaient effectivement pas fait reculer l'Europe de la défense
- comme certains l'avaient prédit -, mais, bien au contraire, avaient conduit à une intensification des efforts engagés en ce sens, comme on a pu en particulier l'observer dans le cadre des travaux de la Convention, qui ont notamment permis d'élaborer les dispositions relatives aux coopérations structurées. Il a interrogé la ministre sur ce qui avait amené les Britanniques à s'engager activement dans la construction d'une Europe de la défense, alors même que, sur le plan diplomatique, le Royaume-Uni s'est aligné sur les Etats-Unis. Est-ce la réalité vécue des actions européennes en Macédoine et au Congo ? Les difficultés rencontrées sur le terrain dans le cadre de leur action conjointe avec les Etats-Unis en Irak ? L'intérêt concret d'une industrie européenne de la défense ?

Le Président Pierre Lequiller a évoqué ensuite le projet d'un centre européen autonome de planification. Il a souligné qu'il fallait convaincre les Etats-Unis que ce projet n'était pas dirigé contre eux, et a souhaité connaître le sentiment de la ministre quant aux possibilités d'aboutir. Rappelant par ailleurs les regroupements européens réalisés dans le secteur de la défense - EADS naval et terrestre -, il a interrogé la ministre sur les perspectives de constitution de groupes industriels européens, alors que la vente du motoriste allemand MTU au fonds américain KKR avait montré la fragilité européenne, même dans le secteur aérien. Il a également interrogé la ministre sur les perspectives de mise en place d'un corps de gendarmes européens.

M. René André a rejoint la question posée par le Président Pierre Lequiller sur les motivations de l'engagement britannique en matière de défense européenne. Il a interrogé la ministre sur la position polonaise vis-à-vis de l'Europe de la défense et sur les perspectives d'acquisition d'avions Falcone par la Pologne. Il a souligné par ailleurs que beaucoup de pays du nord de l'Europe - comme le Danemark - ne sont pas favorables à la construction d'une défense européenne, lui préférant le maintien de la garantie de sécurité que représentent les Etats-Unis. Il s'est par conséquent interrogé sur les possibilités réelles d'avancer avec ces pays dans ce domaine. Il a enfin interrogé la ministre sur la possibilité d'intégrer l'arme nucléaire dans le processus d'élaboration d'une Europe de la défense.

M. Jérôme Lambert a indiqué qu'il rejoignait l'opinion exprimée par la ministre sur une Europe qui ne soit pas seulement une puissance économique, mais aussi une puissance politique. Il a souligné que cela supposait notamment de mettre en place les moyens de garantir la sécurité européenne. Il a considéré que si la création de la monnaie unique avait effectivement pris du temps, rien n'aurait fait obstacle dans le passé à engager plus tôt des efforts en faveur de l'Europe de la défense. Il a par ailleurs noté que la ministre n'avait pas explicitement cité les grands déséquilibres Nord/Sud parmi les risques auxquels l'Europe devait faire face, alors même qu'il s'agissait d'un aspect majeur, à la source de nombreux facteurs d'insécurité, comme, par exemple, l'islamisme.

Il a estimé que beaucoup de pays adhérents - comme, également, certains Etats déjà membres de l'Union - considéraient que leur sécurité résidait plutôt dans leur participation à l'OTAN que dans la mise en place d'une politique européenne de la défense. Il a souhaité connaître le sentiment de la ministre sur la possibilité de dépasser cette situation, considérant qu'il s'agissait d'une « grande marche » à franchir. Il a évoqué le projet de mise en place de nouvelles bases militaires en Europe de l'Est - notamment en Bulgarie et en Roumanie - et s'est interrogé sur les possibilités de réaction que l'Europe pouvait avoir à ce propos. Il a demandé des précisions sur la position des Etats neutres membres de l'Union
- Autriche, Finlande, Irlande, Suède - sur les projets de coopérations structurées contenues dans le projet de Constitution européenne.

M. Marc Laffineur a considéré que si la politique européenne de défense avançait plus rapidement que la politique étrangère, c'était sans doute parce qu'il fallait d'abord assurer les conditions concrètes d'une sécurité commune. Il s'est néanmoins interrogé sur la volonté réelle de beaucoup de pays européens d'aller plus loin dans ce domaine. Il s'est par ailleurs demandé si les avancées récentes du Royaume-Uni pour une défense européenne n'étaient pas liées à des difficultés concrètes rencontrées par les Britanniques dans le cadre de leur coopération avec les Américains en Irak. Il a approuvé l'affirmation selon laquelle la mise en place d'une Europe de la défense ne se faisait pas contre l'OTAN, estimant qu'il s'agissait là d'une condition indispensable de l'adhésion des pays européens à une démarche commune.

La ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- les Britanniques sont disposés à s'engager dans la construction de l'Europe de la défense, car c'est le seul domaine où ils peuvent jouer un rôle majeur en tant que première puissance militaire européenne ;

- après la chute du mur de Berlin, les dirigeants des pays d'Europe centrale et orientale se sont tournés vers l'Union européenne pour développer leur économie, et vers l'OTAN pour assurer leur sécurité en cas d'agression de la Russie. Or, les esprits sont en train d'évoluer. Le président de la Macédoine a fait part de sa satisfaction lorsque des troupes européennes ont pris le relais des forces de l'OTAN dans son pays. Progressivement rassurés par la capacité de la défense européenne sur le terrain, les PECO finiront par se rallier à une Europe de la défense qui ne sera plus virtuelle mais réelle ;

- les pays nordiques, et notamment la Suède, disposent de forces armées peu nombreuses mais de très bonne qualité. Aujourd'hui, les Américains retirent leurs bases des pays nordiques pour en implanter en Europe orientale. Il s'agit d'une décision douloureuse, pour des raisons économiques. Ces pays réalisent que, désormais, ils pourront davantage compter sur l'Europe pour assurer leur défense ;

- les Britanniques ont tendance à s'engager très vite dans un conflit, pour en sortir très rapidement, en ne restant présents qu'au seul niveau de commandement des forces, comme au Kosovo et en Afghanistan ;

- pour les Américains, l'Europe est désormais un pôle de stabilité qui n'est plus menacé par une guerre classique. Il faut donc redéployer les forces vers les zones à risques ;

- les déséquilibres entre le Nord et le Sud, que ce soit en matière de développement économique, d'agriculture ou de santé, sont incontestablement l'un des terreaux du terrorisme ;

- les Britanniques considèrent qu'ils bénéficient en Irak d'une expérience et d'un savoir-faire qui permettent d'éviter l'agressivité des populations civiles. Ils sont critiques à l'égard du comportement des forces américaines ;

- alors que la politique de la défense a longtemps été considérée comme subordonnée à la politique étrangère, les ministres européens de la défense ont été capables de construire l'Europe de la défense avant la mise au point d'une politique étrangère commune ;

- il est nécessaire que les entreprises de défense européennes se renforcent et coopèrent, sur le modèle d'EADS, au lieu de se faire concurrence. Dans le domaine de l'armement naval, la France a l'intention d'avancer, en partenariat avec l'Allemagne. D'autres pays, comme l'Italie et la Grèce, sont disposés à s'y rallier. Dans le domaine de l'armement terrestre, le nouveau GIAT aura la même dimension que les autres grandes entreprises européennes du secteur, ce qui facilitera les coopérations ;

- la situation de sortie de crise en Côte d'Ivoire montre l'utilité de la présence des gendarmes, qui ont un savoir-faire irremplaçable. Il y a également des gendarmes dans les Balkans. D'autres pays européens disposent de l'équivalent de notre gendarmerie. Nous devons travailler à la constitution d'une force commune avec eux ;

- le centre de planification autonome sera mis en place car non seulement la Grande-Bretagne veut y participer mais il répond à une nécessité ;

- les perspectives d'une intégration européenne des armes nucléaires sont difficiles à envisager car certains la rejettent, y compris l'application civile de l'énergie nucléaire. La France travaille avec la Grande-Bretagne, même si cette coopération est toutefois limitée du fait de la dépendance des Britanniques à l'égard des Etats-Unis ;

- les problèmes posés par les pays neutres ne résident pas tant dans l'adhésion de ces derniers à l'idée de coopération structurée mais plutôt dans la possibilité d'appliquer la clause d'assistance mutuelle, qui implique que tous les pays européens fournissent une participation militaire, dès lors que l'un d'entre eux est agressé.

M. Bernard Deflesselles a considéré que l'Europe de la défense avançait grâce aux efforts budgétaires conséquents consentis - même dans une période difficile - par la France - comme en témoigne le respect de la loi de programmation militaire - et par la Grande-Bretagne. L'Europe de la défense permet l'élaboration de programmes communs tels que l'A400M, Galiléo, Syracuse, Hélios ou encore la fabrication de frégates avec les Italiens. Pour autant, ces programmes à géométrie variable réunissent deux partenaires mais jamais l'ensemble des autres Etats de l'Union européenne. M. Bernard Deflesselles a considéré que cette situation était imputable au niveau insuffisant des dépenses militaires, puisque peu de pays y consacre plus de 2 % du PIB. En outre, ces disparités déjà fortes - dans le cadre actuel de l'Union européenne - risquent de s'aggraver avec l'arrivée des nouveaux Etats. Il a dès lors souhaité savoir par quelle voie l'Union européenne pourra accomplir un sursaut budgétaire et, d'autre part, dans quelles conditions des programmes transnationaux réunissant plus de deux pays pourraient être mis en œuvre, considérant que dans ce domaine, l'Agence européenne sera susceptible de jouer un rôle moteur.

M. Pierre Forgues a considéré que la crise irakienne avait révélé la diversité des points de vue en Europe et l'incapacité de cette dernière à peser sur ce conflit. Il a estimé que la mise en place d'une Europe de la défense devait être l'une des principales leçons à en tirer, ce qui suppose la mise en œuvre commune de capacités dans les domaines de la recherche, des armes et du budget, l'Europe étant sur ce dernier point très loin du budget américain qui atteint 400 milliards d'euros. Il a estimé qu'il incombait à la France de dépasser le cadre purement national de la loi de programmation militaire et d'établir des coopérations avec la Grande-Bretagne, à la fois puissance européenne et alliée très proche des Etats-Unis, ainsi qu'avec d'autres pays de l'Union, afin de convaincre ces derniers de la nécessité de consentir également des efforts budgétaires, non pas pour rattraper les Américains mais pour permettre la mise en place d'une défense européenne crédible. Considérant que l'idée de l'Europe de la défense passait par des mesures très concrètes, il a souhaité, par exemple, que des drapeaux européens soient installés dans les casernes françaises. Il s'est également enquis des lieux dans lesquels les militaires français rencontraient ceux des autres Etats, en vue de confronter les points de vue et de créer des liens de coopération.

M. Daniel Garrigue, relevant que la ministre avait insisté sur l'importance de la coopération avec le Royaume-Uni, a souhaité savoir sur quels concepts communs cette coopération se fonde. Evoquant le rôle de l'Agence européenne de l'armement et l'importance de la recherche, il a émis des doutes sur la possibilité pour les pays européens, qui consacrent seulement 1 % de leur PIB aux dépenses militaires, d'être à la hauteur des enjeux et a souhaité que la France incite ses partenaires à accroître leur budget militaire. Enfin, en ce qui concerne le rachat de MTU par les Américains, il a demandé à la ministre s'il ne serait pas nécessaire que l'Europe rétablisse son contrôle sur les entreprises à caractère stratégique.

Mme Michèle Alliot-Marie a apporté les éléments de réponse suivants :

- concernant les capacités budgétaires, elle a rappelé qu'elle plaidait pour exclure les dépenses d'investissement en matière de défense du pacte de stabilité et de croissance. En effet, certains Etats arguent des contraintes de ce pacte pour limiter leurs efforts de défense. Il serait plus convenable que les pays ne souhaitant pas avoir une politique de défense ou préférant s'en remettre à la protection américaine le disent clairement devant leur opinion publique. Il en est de même pour certains futurs Etats membres, même si l'on ne peut demander aux « petits » pays, par exemple, de consentir un effort aussi important que d'autres pays ;

- on observe, par ailleurs, deux principaux problèmes. En premier lieu, certains pays comme l'Allemagne, qui n'ont pas encore d'armée professionnelle, disposent de corps de conscrits coûteux et peu opérationnels. En deuxième lieu, des Etats comme la Pologne bénéficient d'effectifs importants, mais ont des capacités matérielles limitées ;

- la réalisation des programmes transnationaux est à la fois une question de budget et d'attitude politique. Mme Michèle Alliot-Marie a ainsi rappelé que sa présentation au Bundestag du programme relatif à l'A400M avait été largement approuvée par les parlementaires allemands - y compris les Verts. Il est significatif que certains d'entre eux, tout en s'opposant à un accroissement des crédits de défense, se soient montrés favorables à la mise en place de ce programme, parce qu'il était européen. Les Belges ont une approche comparable ;

- l'Agence européenne de l'armement aura principalement un rôle de préparation et de promotion des programmes communs. M. Javier Solana a demandé qu'on lui propose des candidats, afin de mettre en place le groupe précurseur de l'Agence, qui commencera à fonctionner dès 2004 ;

- les militaires français ont l'occasion de rencontrer leurs collègues européens dans plusieurs circonstances. D'abord, sur les théâtres d'opérations extérieures, qui sont de plus en plus nombreux, compte tenu de l'évolution du contexte géopolitique déjà évoqué. Il n'est guère de soldat, en exercice depuis plus de trois ans, qui n'ait été en contact avec ses collègues européens. Cela pose d'ailleurs un problème de communication linguistique : il serait souhaitable qu'à terme, chacun puisse comprendre la langue de l'autre. S'agissant des officiers, ils sont, en dehors des théâtres d'opérations extérieures, amenés à rencontrer leurs collègues dans le cadre de formations communes. Le ministère français de la défense ouvre d'ailleurs ses écoles de formation aux Européens. La ministre propose également d'accélérer la mise en place du Collège européen de défense en s'inspirant du modèle Erasmus, ce que la plupart des ministres de l'Union ont accepté. Les rencontres peuvent enfin se faire dans le cadre de corps spécifiques, tel que le corps européen ;

- la France et la Grande-Bretagne ont des concepts communs dans presque tous les domaines. Il en est ainsi pour l'analyse des crises et les remèdes à y apporter : les Britanniques indiquent d'ailleurs qu'il est plus intéressant de travailler avec la France sur ces questions qu'avec les Etats-Unis. Nous partageons également des concepts communs s'agissant de la structure de nos armées, des exercices conjoints et de la formation. Nous avons également une approche semblable en matière de renseignement et au regard de notre conception de la puissance (compte tenu de la taille comparable de nos forces). Concernant le porte-avions, une décision devrait prochainement être prise sur le mode de propulsion (nucléaire ou non) : il convient de noter, à cet égard, que la Grande-Bretagne, qui dispose d'avions à décollage vertical, a néanmoins prévu un système de catapultage, faisant ainsi un effort d'interopérabilité ;

- au sujet de la stratégie industrielle, la ministre a estimé qu'il fallait accorder une attention toute particulière aux risques de dépendance de certaines entreprises françaises. Elle a rappelé que, lors de la guerre en Irak, certaines personnalités américaines avaient considéré qu'il fallait « punir l'Europe ». Cette attitude conduit à examiner les dépendances réciproques existant entre les entreprises françaises et américaines dans le domaine de la défense et appelle de la part de nos entreprises une pleine prise de conscience des risques qu'elles encourent.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point B

¬ Commerce extérieur

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné la proposition de règlement du Conseil abrogeant le règlement (CE) n° 1031/2002 du Conseil du 13 juin 2002 instituant des droits de douane supplémentaires sur les importations de certains produits originaires des Etats-Unis d'Amérique (document E 2460).

Le 4 décembre dernier, le Président des Etats-Unis a décidé de renoncer à la surtaxe sur les importations sidérurgiques en provenance de l'Union européenne, qui avait été jugée incompatible avec les disciplines commerciales multilatérales. Dès lors, la proposition de règlement vise à abroger le dispositif de rétorsion élaboré par l'Union européenne.

La Délégation a approuvé la proposition de règlement.

¬ PESC et relations extérieures

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et l'Etat d'Israël concernant les mesures de libéralisation réciproques et le remplacement des protocoles n° 1 et 2 de l'accord d'association CE/Israël (document E 2441).

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que l'article 11 de l'accord d'association euro-méditerranéen entre la Communauté européenne et l'Etat d'Israël prévoit la libéralisation progressive de leurs échanges agricoles, en vue de créer graduellement une zone de libre-échange euro-méditerranéenne en 2010. Dans ce cadre, Israël a accepté de libéraliser davantage ses importations de produits agricoles en provenance de l'Union européenne, grâce à une augmentation des quotas existants et à une réduction au niveau zéro des droits préférentiels actuels. Parallèlement, l'Union européenne a accordé à Israël des concessions supplémentaires pour des produits tels que les fruits frais, les légumes frais et transformés, les agrumes transformés, les jus, les dindes et leurs préparations, ainsi que le vin. De cette façon, la majorité des échanges de produits agricoles entre les deux parties devrait être libéralisée.

Cet accord commercial est approuvé par la France, puisque même si les concessions offertes par Israël ne sont pas d'un niveau très élevé, elles portent sur l'ensemble des produits prioritaires que la France avait retenus.

Trois difficultés pourraient néanmoins compliquer l'adoption et la mise en œuvre du présent document.

La première résulte des obstacles que rencontrent les opérateurs communautaires pour exporter des produits agricoles vers Israël, en raison de certaines mesures phytosanitaires appliquées par ce pays. Toutefois, ce problème devrait être résolu car Israël vient de présenter un nouveau projet de législation en la matière.

La deuxième difficulté est liée à l'application par Israël du régime préférentiel prévu par l'accord d'association aux exportations vers l'Union européenne de produits provenant des colonies israéliennes installées en territoire palestinien. A cet égard, l'Union européenne a demandé depuis 2001 à tous les Etats membres de renforcer les contrôles des marchandises israéliennes, afin d'empêcher que les produits des colonies des territoires occupés bénéficient du régime préférentiel précité. Le ministre israélien du Commerce et de l'Industrie a récemment envisagé une concession, en proposant que les produits soient étiquetés d'après leur ville d'origine et ne portent plus simplement le label « made in Israël ».

Un troisième obstacle, qui se rattache de façon générale aux relations politiques difficiles entre l'Union européenne et Israël, résidait dans le boycott par les autorités israélienne du représentant spécial de l'Union européenne au Proche Orient, depuis sa rencontre avec le président Yasser Arafat en octobre dernier. Israël a finalement accepté d'avoir des relations normales avec ce représentant, « parce qu'il n'est pas une figure politique ».

Compte tenu des avancées consenties par les autorités israéliennes, il serait donc souhaitable d'adopter l'accord commercial proposé.

M. Jérôme Lambert s'est interrogé sur la portée pratique de la proposition israélienne visant à étiqueter les produits agricoles en fonction de leur ville d'origine.

M. Marc Laffineur a estimé qu'une position ferme à l'encontre de la politique de l'Etat israélien ne devait pas être exclusive d'un renforcement des échanges économiques, soulignant l'attachement de l'Europe pour le peuple israélien.

Après avoir noté que ce soutien au peuple israélien s'était traduit récemment par l'appui donné par la France à l'accord de Genève, M. Daniel Garrigue a souhaité réitérer les réserves qu'il avait exprimées à l'occasion de l'examen par la Délégation d'une proposition visant à renouveler l'accord de coopération scientifique et technique entre la Communauté européenne et Israël.

Israël persévérant dans sa politique du fait accompli, en particulier en poursuivant l'édification du mur isolant les territoires palestiniens, il n'est pas acceptable de se contenter d'avancées tenant à l'étiquetage des produits et au rétablissement de relations normales avec le représentant de l'Union européenne.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé qu'un précédent échange de vues avait effectivement donné lieu à une proposition de résolution de la Délégation (n° 1166), et qu'un débat devait avoir lieu le 10 décembre à la Commission des affaires étrangères sur la situation au Moyen-Orient, et en particulier sur l'initiative de Genève.

Sans négliger l'importance que doit revêtir l'action politique de l'Union européenne au Proche-Orient, il ne serait pas opportun de décider de mesures unilatérales de rétorsion dans le domaine économique. Il vaudrait mieux s'en tenir à une position équilibrée entre les peuples israélien et palestinien.

La Délégation a alors approuvé ce texte, M. Daniel Garrigue ayant voté contre et M. Jérôme Lambert s'étant abstenu.