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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 82

Réunion du mercredi 5 mai 2004 à 16 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Réunion de travail avec une délégation estonienne de la commission des affaires de l'Union européenne du Riigikogu (réunion ouverte à la presse)

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré très heureux d'accueillir une délégation de la Commission des affaires de l'Union européenne du Parlement estonien.

Il a également salué la présence de jeunes venus de toute l'Union européenne, qui ont assisté à la séance de questions au Gouvernement. A ce sujet, il a rappelé qu'à l'initiative du Président Jean-Louis Debré, une séance de questions par mois commence, désormais, par des questions sur des sujets européens.

Il a ensuite souligné l'importance qu'accordent l'Assemblée nationale et sa Délégation pour l'Union européenne aux relations avec les Parlements de l'Union européenne, notamment avec leurs organes chargés des affaires européennes.

Le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée, qui a été marqué par la réunion commune de l'Assemblée nationale et du Bundestag dans la salle du Congrès à Versailles, a constitué un temps fort de cette diplomatie parlementaire active. Autre moment important, le Président de la Convention, M. Valéry Giscard d'Estaing, s'est exprimé dans l'hémicycle, une procédure exceptionnelle, qui traduit l'attachement de l'Assemblée au débat européen. Le Président Pierre Lequiller a rappelé enfin que l'administration de l'Assemblée nationale a détaché l'un de ses fonctionnaires auprès des institutions de Bruxelles.

S'agissant de l'élargissement, le Président Pierre Lequiller a insisté sur le fait que la France a apporté très tôt son soutien à l'entrée des dix pays d'Europe centrale et orientale. Il a d'ailleurs accompagné dans ces pays le Président de la République, quelques temps après son élection, afin de faire part à ces derniers du souhait de la France. Il s'est donc réjoui que l'Europe se soit enfin « levée à l'Est », comme il l'appelait de ses vœux dans un ouvrage publié plus de dix ans auparavant.

Autre signe du soutien déterminé de la France à l'élargissement, l'Assemblée nationale a adopté avec une majorité de 505 voix sur 577 députés le traité d'adhésion des dix nouveaux Etats membres.

S'agissant du contexte européen, le Président Pierre Lequiller a estimé que celui-ci était marqué par l'approche de nombreuses échéances.

En premier lieu, les citoyens de l'Union doivent élire un nouveau Parlement européen en juin prochain.

En deuxième lieu, les négociations concernant l'adoption de la Constitution européenne devraient, idéalement, s'achever sous présidence irlandaise. Au sein de la Délégation, une forte majorité de ses membres défend le projet de Constitution européenne, même si cet attachement se nuance en fonction des sensibilités politiques.

Il faut donc espérer que le prochain Conseil européen, qui se tiendra les 17 et 18 juin, puisse parvenir à un accord sur ce texte. Le Président Pierre Lequiller a, pour sa part, fait preuve d'un optimisme modéré : il est probable que le blocage constaté le 13 décembre dernier, en raison des positions de l'Espagne et de la Pologne, sera levé, grâce aux évolutions politiques intervenues dans ces deux pays.

Evoquant alors la situation espagnole, le Président Pierre Lequiller a tenu à exprimer son horreur face aux attentats terroristes ayant frappé Madrid, ces derniers constituant une attaque contre l'Europe toute entière et non contre la seule Espagne.

Mme Liina Tonisson, vice-présidente de la Commission des affaires de l'Union européenne du Parlement estonien, a remercié l'Assemblée nationale pour son accueil et s'est déclarée heureuse de pouvoir s'exprimer devant les membres de la Délégation.

Elle a souligné qu'à ses yeux, le grand mérite de l'Union européenne est de reposer sur une union d'Etats égaux entre eux. Chacun des pays est l'égal des autres, quel que soit son poids.

L'Estonie veut être un Etat membre à part entière de l'Union européenne. Aussi veut-elle participer activement à la résolution de tous les problèmes qui affectent le fonctionnement de l'Union.

S'agissant de la Constitution européenne, Mme Liina Tonisson a rappelé que les représentants du Parlement estonien ont participé aux travaux de la Convention. Elle a souligné le caractère remarquable, à ses yeux, du travail accompli, qui revêt la forme d'un document unique sur lequel vingt-cinq pays se sont mis d'accord.

Mme Liina Tonisson a souhaité que les points encore en discussion puissent rapidement faire l'objet d'un accord. En ce qui concerne la taille de la Commission, elle a fait part de sa compréhension à l'égard des craintes que suscite un collège comprenant vingt-cinq commissaires. Elle a jugé toutefois que toute solution dans ce domaine doit permettre à l'Estonie de garder sa voix au sein de la Commission et son droit d'initiative. Elle a indiqué en outre que son pays, comme les autres entrants, a désigné un Commissaire, qui participe activement aux travaux du collège.

S'agissant du Parlement européen, Mme Liina Tonisson a considéré que le fait, pour l'Estonie, de n'avoir pas moins de cinq membres dans cette instance constitue une ligne rouge à ne pas franchir, son pays ayant désigné les six députés européens qu'il compte faire élire.

Sur l'ensemble de ces difficultés, Mme Liina Tonisson a jugé que si un accord ne pouvait être trouvé sous la présidence irlandaise, les Pays-Bas, en raison de leur statut de « petit pays » proposeront certainement des solutions fructueuses.

S'agissant de l'adoption de la Constitution européenne par l'Estonie, le recours à la voix référendaire est actuellement débattu. Mme Liina Tonisson a exprimé son soutien en faveur d'une telle procédure qui donnera une plus grande légitimité populaire au texte de la Convention. Elle a rappelé de plus que deux-tiers des Estoniens s'étaient prononcés par référendum en faveur de l'entrée de leur pays dans l'Union européenne en septembre dernier.

M. Jacques Floch a souligné que la délégation du Parlement estonien est la première à être reçue par la Délégation pour l'Union européenne depuis le 1er mai, date officielle de l'élargissement de l'Union européenne. Il a considéré qu'il n'existe pas, en Europe, de petits et de grands pays. Les grands Etats doivent éviter de faire preuve de trop d'arrogance, comme cela a parfois été le cas à la Convention. Le jour où l'Europe fédérale sera mise en œuvre, il conviendra de privilégier l'égalité entre les citoyens, mais ce n'est pas encore à l'ordre du jour.

La composition de la Commission doit permettre son fonctionnement efficace. Elle doit aussi tenir compte du fait que les commissaires ne représentent pas leur Etat d'origine, mais doivent défendre en priorité l'intérêt européen.

On peut toutefois comprendre que, dans une période transitoire, l'Estonie souhaite être représentée par un commissaire.

En ce qui concerne le Parlement européen, il ne paraît pas possible d'augmenter globalement le nombre de ses membres. Tout accroissement du nombre des parlementaires européens de certains Etats devra conduire d'autres Etats à accepter une diminution de leur représentation.

Il est souhaitable que la présidence irlandaise puisse aboutir rapidement à un compromis sur le projet de Constitution européenne.

L'intégration de la Charte européenne des droits fondamentaux à la Constitution doit servir de base à la mise en place d'une véritable politique sociale européenne. Cela doit permettre d'éviter une Europe sociale à plusieurs vitesses.

Enfin, M. Jacques Floch a abordé la candidature de l'Estonie pour accueillir le siège de l'Agence européenne des frontières extérieures. Compte tenu de la position géographique de l'Estonie et de son histoire, cette candidature devrait pouvoir être accueillie avec bienveillance par la France.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la solution qui sera adoptée sur la composition de la Commission ne sera applicable que dans cinq ans ou plus. Il a interrogé la délégation estonienne sur l'état des relations entre l'Estonie et la Russie et sur la nécessité d'une défense européenne commune.

Mme Liina Tonisson a souhaité remercier la France pour l'extension, le 27 avril dernier, de l'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Russie aux dix nouveaux Etats, qui facilite le commerce extérieur de l'Estonie. Elle a confirmé la volonté de l'Estonie d'accueillir l'Agence européenne des frontières sur son territoire.

M. Raivo Järvi a affirmé que l'Estonie avait été intégrée à l'URSS contre sa volonté. En Estonie, la seconde guerre mondiale s'est en fait terminée en 1991. L'Estonie a été rassurée par la conclusion des négociations bilatérales entre l'Union européenne et la Russie. Elle souhaite également contribuer à la poursuite du processus de Lisbonne afin de permettre à l'Union européenne d'assurer le meilleur niveau de protection sociale à ses ressortissants.

M. Edouard Landrain a estimé que l'Estonie n'est pas un petit pays, car elle a une grande histoire, illustrée par son appartenance à la ligue hanséatique, et l'une des plus anciennes et plus prestigieuses universités d'Europe. En rejoignant l'Union européenne, l'Estonie se rapproche de ses alliés et de ses partenaires naturels. Une grande majorité de son commerce extérieur se fait avec l'Union européenne. Son économie est déjà très ouverte. La réunification de l'Europe à travers l'élargissement de l'Union européenne aux Etats baltes ne peut que réjouir tous les Français qui ont connu la seconde guerre mondiale et ses conséquences en Europe de l'Est, et qui ont souffert de voir l'Estonie occupée et opprimée.

M. Andres Tarand a cité trois atouts avec lesquels un petit pays comme l'Estonie pourrait contribuer au développement de l'Union européenne : son environnement naturel incomparable où vivent encore cent cinquante loups ; sa politique des minorités à l'égard des 28 % de russophones, moins nombreux et arrivés plus récemment qu'en Lituanie, qui ont bénéficié des mêmes droits que les Estoniens dès la restitution de l'indépendance, même s'ils n'ont pas tous la citoyenneté parce qu'ils doivent passer un examen de langue ; son expérience longue et approfondie avec la Russie, pays particulier que l'Europe ne comprend pas toujours très bien, avec son autre style de gouvernance et un autre mode de vie, mais avec lequel il n'est pas si difficile d'avoir des relations si on s'efforce de le comprendre.

L'Estonie dispose également de frontières de nature très diverse - maritime, terrestre et lacustre avec le lac de Peïpous - qui sont l'une de ses grandes richesses et en font un candidat très légitime à l'accueil de la future Agence pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Union européenne.

Après s'être réjoui de l'entrée de l'Estonie dans l'Union européenne et rappelé l'accueil remarquable qu'il avait reçu lors de sa récente mission dans ce pays, M. François Guillaume a exprimé son accord personnel avec les questions posées par l'Estonie sur le projet de traité constitutionnel, en particulier sur le nombre de commissaires, le nombre minimal de parlementaires européens par Etat membre, les réserves exposées sur les passerelles entre l'unanimité et la majorité qualifiée alors que le contrôle du Parlement estonien sur le Gouvernement pourrait servir d'exemple à la France, l'interrogation sur le mandat prolongé du Président du Conseil européen, l'incompréhension des rôles respectifs du Président du Conseil européen et du ministre des affaires étrangères au statut peu clair, mi-haut fonctionnaire membre de la Commission, mi-personnalité politique désignée par le collège des chefs des Etats membres.

S'agissant de la gestion plus complexe d'une Union à vingt-cinq membres, il a rappelé qu'en tant qu'agriculteur et responsable agricole, il avait poussé très fort à la mise en place du traité de Rome et d'une politique agricole commune dont la réussite a démenti ceux qui estimaient les agricultures des six trop différentes pour garantir sa viabilité. Les temps ont changé, mais la nécessité demeure de maintenir une PAC aux moyens suffisants pour appliquer ses principes, même si la mondialisation conduit certains à défendre l'idée d'un libre-échange généralisé transformant le commerce international en un supermarché mondial où toutes les frontières disparaîtraient. Il faut se méfier de la tentation ultralibérale si l'on veut assurer convenablement au sein de l'Union européenne un bon équilibre entre les trois missions de l'agriculture, complémentaires mais parfois contradictoires en apparence : d'abord sa dimension économique, nécessitant une augmentation de la production pour assurer la sécurité alimentaire et conquérir des parts du marché international, mission à laquelle l'Estonie est moins attachée qu'aux deux autres ; ensuite l'occupation du territoire ; enfin la protection du patrimoine naturel. La question est de savoir quelle place un pays qui a tout misé avec succès sur le numérique, comme la Finlande, est prêt à donner à son agriculture et quel contenu il assigne à la PAC. L'Estonie se prononce-t-elle pour le développement de l'atout agricole européen ou pour faire une impasse sur ce secteur, en choisissant de ne pas trop réagir à l'invasion du continent européen par des produits agricoles américains aujourd'hui, brésiliens et argentins demain ?

M. Imre Sooäär a souligné la nécessité de tenir compte des différences de conditions climatiques et de tailles des agricultures estonienne et française pour comprendre l'approche de son pays en matière agricole. La préoccupation de l'Estonie est d'assurer la survie de son agriculture et de nourrir sa population au moment de son intégration dans la PAC. Certaines de ses positions diffèrent des positions françaises. L'Estonie soutient d'une manière générale la réforme de la PAC et la baisse des subventions directes à l'agriculture et souhaite avec les ressources dégagées accélérer l'amélioration de la vie rurale. En effet, sur 400 000 habitants en zone rurale, 30 000 sont des exploitants agricoles et 370 000 doivent trouver des moyens de subsistance. L'agriculture est beaucoup moins importante dans l'économie de l'Estonie que dans les années 1930. Cependant, comme la France, elle ne souhaite pas que les produits américains et d'autres pays tiers envahissent le marché européen. Ce pays d'un million cinq cent mille habitants est en train d'élaborer sa position en ce domaine et souhaite contribuer à l'agriculture européenne, avec le souci premier d'équilibrer les zones rurales afin d'y créer d'autres emplois.

Par rapport à la nouvelle et à l'ancienne économies, l'Estonie est un pays contrasté. Ce peuple très ancien est une République très jeune de quatre-vingt-six ans, avec un Parlement dont la composition est encore plus jeune et un gouvernement comprenant des ministres de moins de trente ans. Les jeunes jouent un rôle très important en Estonie, ils disposent des mêmes chaînes de télévision, des mêmes logiciels et des mêmes téléphones portables que les autres jeunes Européens et ils partagent les mêmes valeurs et la même vision du monde qu'eux. Ils n'ont pas reçu la même éducation que les générations anciennes et il existe un contraste entre générations beaucoup plus prononcé en Estonie que dans l'Union européenne. Les jeunes Estoniens sont de plus en plus actifs sur le plan politique à travers les associations et il serait très souhaitable de développer une coopération pour favoriser les échanges avec de jeunes Européens notamment français, afin de partager non seulement des connaissances mais aussi les expériences démocratiques que ceux-ci ont héritées de leurs parents.

Les jeunes Estoniens ne sont pas intéressés par l'agriculture et leur nombre diminue dans les filières de formation agricole. Les subventions de l'Etat à l'agriculture ne sont pas très élevées, mais il est souhaitable de favoriser un retour vers l'agriculture et de la réorienter dans le cadre d'un développement plus large du monde rural, même si elle n'aura plus un rôle aussi important que dans les années trente.

Rappelant le développement du trafic de drogue et de la mafia en Russie et en Ukraine, M. Guy Lengagne a demandé à la délégation estonienne comment elle entendait éviter la prolifération de ces fléaux, alors que l'Estonie partage une frontière avec la Russie et souhaite abriter le siège de la future agence européenne chargée des frontières extérieures. Evoquant par ailleurs la proposition de directive examinée par la Délégation, préconisant un renforcement des contraintes imposées aux navires transportant du pétrole, il a souhaité connaître la position de l'Estonie sur l'installation de nouveaux terminaux pour pétroliers dans la mer Baltique. Il a également souhaité savoir, à quelques mois des discussions du Conseil européen concernant l'ouverture de négociations sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, le point de vue de l'Estonie sur cette question.

Mme Liina Tonisson a rappelé, au sujet de la protection de la mer Baltique, qu'elle avait été amenée à traiter de ce problème lorsqu'elle était - il y a quelques années - ministre de l'économie : elle avait eu, à l'époque, face aux représentants des Verts du monde entier à répondre à la question de savoir s'il fallait laisser entrer dans les ports les pétroliers en mauvais état. Elle a déclaré que son pays souhaitait aujourd'hui signer un accord entre les Etats de la mer Baltique pour que seuls les pétroliers à double coque puissent circuler dans cette zone sensible. Mais la Russie émet des réserves qui ne permettent pas, selon elle, de résoudre le problème.

Concernant la lutte contre la criminalité, elle a affirmé qu'il s'agissait d'un sujet grave, largement pris en compte par son pays. La surveillance des frontières extérieures a d'ailleurs été renforcée récemment, notamment grâce à des aides communautaires, et bénéficie d'un niveau de protection satisfaisant. Mais si elle a estimé que l'Estonie disposait, s'agissant de ses propres frontières, de moyens adéquats pour empêcher la prolifération de la mafia et du trafic de drogue dans l'Union européenne, elle a reconnu que les organisations criminelles usaient souvent de méthodes légales malaisées à combattre. Elle a précisé, en outre, que l'Estonie menait une politique tendant à renforcer la cohésion et la protection sociales, afin de dissuader la consommation de drogue - qui est davantage présente dans l'est du pays, en raison de difficultés sociales.

M. Andres Tarand a estimé que l'Ukraine et la Turquie avaient, du point de vue de la criminalité, des traits communs, même si la Turquie connaît un développement économique plus marqué. Cependant, certains facteurs tendent à montrer que cette dernière n'est pas encore pleinement un pays européen. Rappelant l'absence de consensus des Etats européens sur l'entrée de ce pays dans l'Union, il a considéré qu'à terme - dans une centaine d'années - la Russie sera un pays véritablement démocratique et la Turquie davantage proche du modèle européen que du monde oriental. Il a enfin déclaré que les Etats des Balkans entreraient sans doute plus tôt dans l'Union européenne.

M. Jacques Myard a tenu vivement à saluer la venue de la délégation estonienne, dans la mesure où elle représentait l'avènement d'une nouvelle Europe : non pas l'Europe communautaire issue du traité de Rome - qui, selon lui, est moribonde - mais une Europe des Nations. S'il n'y a pas lieu, à ses yeux, de remettre en cause le marché intérieur du point de vue économique, les souhaits exprimés par l'Estonie - qu'il approuve - tant concernant le projet de Constitution européenne, le référendum ou l'attribution d'un commissaire propre, en témoignent. A l'encontre de ceux qui pensent que l'Union européenne peut être une fédération - idée qui conduit à une impasse -, l'Europe des Vingt-cinq doit se refonder sur un pacte des Etats reposant sur un marché commun et sur l'établissement de relations politiques interétatiques. Or, le projet de la Convention ne répond pas à cette attente : il ne permet guère, par exemple, de régler de façon satisfaisante la question des relations avec la Turquie ou la Russie. L'avenir de l'Europe repose, selon lui, sur la constitution d'une sorte de conseil de sécurité européen, au sein duquel la Russie et la Turquie auraient leur place : on ne peut refaire la géographie, même si le monde connaît par ailleurs certaines formes de globalisation. Cette nouvelle Europe devra appliquer le principe de subsidiarité et, en conséquence, supprimer de multiples directives communautaires. L'élargissement de l'Union européenne constitue donc une chance, permettant l'émergence d'une nouvelle politique de coopération entre les Etats-nations et évitant certaines constructions théoriques irréalistes qui ont pu se faire jour jusqu'ici.

M. Peeter Tulviste a souligné que si les relations entre les Pays baltes et la Russie avaient connu des améliorations certaines depuis douze ans, il subsistait encore quelques difficultés tenant, par exemple, au refus de la Russie de reconnaître l'annexion armée des Pays baltes par l'Union soviétique en 1944 ou encore les déportations de populations baltes. Ces problèmes acquièrent désormais une nouvelle dimension et deviennent des problèmes entre l'Union européenne et la Russie. Il faut néanmoins saluer les efforts accomplis par ce dernier pays en matière de droits de l'homme et prendre en compte la volonté de la jeunesse et des intellectuels russes de se rapprocher de l'Europe. Cette approche n'est pourtant pas partagée par l'ensemble de la population et il a pu mesurer le parcours restant à accomplir en matière de démocratie à l'occasion de sa mission d'observation des dernières élections en Russie l'an passé.

Par ailleurs, il a rappelé que l'Estonie disposait d'une langue spécifique sur laquelle repose sa culture. L'adhésion à l'Union européenne devrait donc conduire l'Estonie à œuvrer pour l'accroissement de la protection de l'identité des petits pays.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Peeter Tulviste pour cet éclairage fort des relations de son pays avec la Russie.

Mme Anne-Marie Comparini s'est félicitée de l'élargissement, qui a permis à plusieurs pays de l'Est de revenir dans la « maison Europe ». Des rencontres comme celle d'aujourd'hui ont le grand avantage de favoriser le partage d'expériences. A cet égard, il importe de souligner que l'Europe s'est construite par étapes, correspondant chacune à des paris supplémentaires. L'étape franchie grâce à l'élargissement permettra de progresser encore grâce au regard neuf des pays adhérents.

Elle s'est prononcée en faveur de l'organisation d'un référendum pour approuver la future Constitution européenne, afin de montrer clairement que ce projet est porté par les peuples et non pas par les seuls chefs d'Etat et de Gouvernement. De même, le Parlement européen doit pouvoir renforcer ses capacités de contrôle sur l'exécutif communautaire, dont les pouvoirs doivent également être accrus. L'Europe doit être en mesure de répondre au défi économique lancé par les puissances émergentes sur d'autres continents. Elle doit également disposer d'une vraie gouvernance économique pour faire face à d'autres défis imputables à diverses mafias.

Mme Liina Tonisson a indiqué que si le terrorisme n'avait pas encore affecté la zone européenne où se situe l'Estonie, ce pays comprenait parfaitement les difficultés qu'il soulève. L'Estonie a d'ailleurs envoyé des militaires en Irak, dont l'un est décédé. Cela a suscité un débat sur l'opportunité de cette mission, mais il a été décidé de poursuivre cette participation au processus de paix, en Europe et dans le monde. Elle a enfin tenu à remercier tous les participants à cette réunion, en soulignant que Français et Estoniens sont désormais partenaires.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que Mme Irène Tharin avait évoqué le récent élargissement lors des questions au Gouvernement ayant précédé la présente réunion. A titre personnel, il a souhaité rappeler que le Président de la République et le Gouvernement français sont persuadés que l'Europe doit se doter d'une capacité de défense européenne. Cette ambition ne doit pas créer de malentendus avec les Etats-Unis, car il ne s'agit ni d'une marque d'hostilité à leur égard ni de la manifestation d'une volonté de sortie de l'OTAN. Kennedy et Eisenhower l'avaient parfaitement compris et avaient souhaité des relations transatlantiques équilibrées où les Etats-Unis et l'Europe s'apporteraient un appui réciproque. Une telle relation est indispensable dans un monde où de nouvelles puissances émergent et où l'Europe ne peut demeurer inerte face à ces évolutions plus rapides que certains ne le pensent. Il lui appartient donc de prendre son destin en main, même si cela n'est pas facile à mettre en œuvre et prendra du temps. L'Europe a toutefois l'habitude de jouer avec la durée. En conclusion, il a affirmé qu'il s'était engagé en politique car il voulait être fier de l'Europe.