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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 91

Réunion du mardi 6 juillet 2004 à 14 heures 45

Présidence de M. François Guillaume, Secrétaire,
puis de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Lamy, commissaire européen, sur les négociations commerciales

Le Président François Guillaume, a souhaité la bienvenue au commissaire européen en charge du commerce extérieur. Il a considéré que ce dernier est en négociation permanente, afin d'aboutir sur de multiples fronts, ce qui inquiète quelques-uns et en rassure quelques-autres. Il a donc demandé à M. Pascal Lamy de préciser ses objectifs et de faire part également de ses espérances.

M. Pascal Lamy, commissaire européen en charge du commerce extérieur, a d'abord fait le point sur l'actualité de la politique commerciale extérieure de l'Union européenne. Celle-ci est très dense, en raison du nombre élevé de « plats sur le feu » :

- au niveau multilatéral, les négociations du cycle de Doha se poursuivent à l'OMC, tandis que des discussions sont en cours pour préparer l'adhésion de la Russie, du Vietnam et de l'Arabie saoudite à cette organisation ;

- au niveau bilatéral, des négociations sont menées avec le Mercosur, ainsi qu'avec le Conseil de coopération du Golfe ;

- par ailleurs, la Commission réfléchit à une révision du système de préférences généralisées, qui se situe au carrefour de la politique de développement et de la politique commerciale ;

- sur le plan sectoriel, l'Europe se penche sur la question du textile à l'approche de l'élimination des quotas en 2005, ainsi que sur le problème de l'accès de son industrie au coke chinois ;

- enfin, sur le plan institutionnel, le traité constitutionnel prévoit de faire évoluer les dispositions relatives à la politique commerciale.

Le commissaire européen a toutefois précisé qu'il concentrerait son propos sur la relance des négociations multilatérales à l'OMC, d'une part, et sur les négociations bilatérales avec le Mercosur et avec le Conseil de coopération du Golfe, d'autre part.

Abordant les négociations multilatérales à l'OMC, le commissaire européen a rappelé que l'Europe a toujours considéré que cet exercice était bon pour son économie. L'économie européenne étant une économie ouverte, elle a intérêt à échanger des concessions modestes de sa part pour obtenir des concessions plus importantes de la part des économies plus fermées.

Le paysage des négociations à l'OMC a sensiblement évolué depuis le lancement du cycle en novembre 2001 et, plus particulièrement, depuis l'échec fracassant de la Conférence de Cancún. Ce dernier a donné naissance à une nouvelle topographie de la négociation commerciale internationale : le paysage multilatéral se caractérise par des discussions entre quatre acteurs constitués, soit deux anciens, les Etats-Unis et l'Europe, et deux nouveaux, le G20, qui regroupe des économies émergentes à croissance rapide (par exemple, le Brésil, l'Inde et la Chine) et le G90. Ce dernier groupement associe le reste des pays en développement, c'est-à-dire essentiellement les pays d'Afrique et les pays fragiles d'Asie et d'Amérique. Ce groupe des pays les plus pauvres de la planète défend des intérêts qui ne sont pas les mêmes que ceux des puissances émergentes, une prise de conscience qui a enfin, pourrait-on dire, émergé depuis l'échec de Cancún.

A l'intérieur de cette nouvelle topographie, chacun des acteurs a mené sa réflexion post-Cancún, afin de trouver les moyens permettant de relancer la négociation multilatérale. A cet égard, le commissaire européen a estimé que les quatre acteurs sont dans un état d'esprit plutôt positif. Ils ont à cœur de parvenir d'ici la fin du mois à un accord à mi-parcours sur les objectifs des négociations. En effet, ce court laps de temps est la dernière fenêtre d'opportunité restant ouverte avant la « saison des glaces » qui commencera à l'OMC le 1er août prochain. A compter de cette date, l'OMC entrera très probablement en hibernation en raison de la tenue des élections américaines, qui démobiliseront les négociateurs pendant au moins six mois. Les membres de l'organisation doivent donc redoubler d'efforts pour conclure un accord cadre sur les cinq thèmes principaux en discussion : le développement, les sujets de Singapour, les tarifs industriels, l'agriculture et les services.

S'agissant du développement, l'Europe considère que les pays les plus pauvres doivent pouvoir bénéficier des résultats de la négociation sans avoir à payer autre chose qu'un prix modique. Il serait absurde de contraindre des pays représentant seulement 2 % du commerce mondial à assumer de nouvelles obligations multilatérales. Dès lors, un consensus doit se dessiner pour laisser le G90 quasiment en dehors de la négociation.

S'agissant des sujets de Singapour, l'Europe souhaitait ouvrir des négociations sur l'investissement, la concurrence, la transparence dans les marchés publics et la facilitation des échanges. Cet objectif est hors de portée de l'OMC en raison de la double opposition, d'une part, de la plupart des pays en développement et, d'autre part, des Etats-Unis. Le consensus qui émerge consiste à ouvrir des négociations uniquement sur la facilitation des échanges, c'est-à-dire sur les moyens permettant de simplifier les procédures de franchissement des frontières. Ce sujet de négociation n'est pas négligeable en soi, car ces procédures douanières peuvent représenter parfois entre 5 à 10 % du coût des échanges commerciaux, ce qui constitue une barrière plus importante que les tarifs industriels existants.

S'agissant de l'agriculture, le commissaire européen a jugé que l'Europe est passée d'une position défensive à une position offensive grâce à la réforme de la PAC de l'an dernier. Ainsi, l'Europe a mis sur la table des négociations toutes les restitutions communautaires aux exportations agricoles, en contrepartie d'un strict parallélisme et d'effort équivalent demandé aux Etats-Unis pour ses propres formes de soutien aux exportations. L'Europe demande aussi aux Etats-Unis de réformer, dans des proportions équivalentes aux efforts déjà entrepris par l'UE avec sa réforme de la PAC, son propre système de soutien interne mis en place par le dernier farm bill. Par ailleurs, dans la négociation sur l'accès au marché, l'Europe souhaite conserver la protection douanière de ses productions sensibles, comme le lait ou la viande bovine.

L'initiative prise par la Commission en mai dernier a suscité quelques réserves en France. A ce sujet, le commissaire européen a rappelé quelques éléments chiffrés sur la réalité des efforts devant être consentis par la France en matière de subventions aux exportations. Sur les 40 milliards d'euros d'exportations agricoles françaises, 30 milliards vont vers ses voisins européens et 10 milliards vers le reste du monde, dont 2 milliards seulement sont concernés par les restitutions. D'autre part, les restitutions se répartissent ainsi : un tiers sur la poudre de lait, un tiers sur le sucre et un autre tiers sur le bœuf et la volaille. Il convient donc de garder le sens des proportions et de relativiser le sacrifice demandé à la France, d'autant que la réforme en cours va faire tendre ces subventions vers zéro.

D'autre part, l'Europe ne peut considérer que son avenir agricole réside dans une agriculture exportant à tour de bras de la poudre de lait et du sucre de betterave vers des pays tiers. L'horizon de notre agriculture est tout autre : l'agriculture de demain doit se fonder en effet sur des productions de qualité, qui peuvent être exportées sans aide financière. La situation de notre balance commerciale avec les Etats-Unis est d'ailleurs le reflet de cette évolution inéluctable : celle-ci est excédentaire, car nous vendons aux Etats-Unis des produits à haute valeur ajoutée, comme les vins ou les fromages, tandis que ces derniers nous exportent des produits agricoles primaires tels que le blé.

S'agissant des tarifs industriels et des services, qui constituent aujourd'hui l'essentiel des échanges commerciaux, l'Europe possède des intérêts clairement offensifs. Sa position est compétitive vis-à-vis de pays développés comme les Etats-Unis, mais également vis-à-vis de pays émergents, comme la Chine et de l'Inde. Notre potentiel de croissance des exportations vers ces derniers pays est considérable, si l'on considère que chacun d'entre eux renferme une masse de 200 à 300 millions de consommateurs à fort pouvoir d'achat. L'Europe a donc tout intérêt à ouvrir davantage ces économies.

Le commissaire européen a estimé qu'au total, les négociations multilatérales sont à la croisée des chemins. L'Europe a pris des initiatives conséquentes et elle est encore prête à bouger. Mais elle ne le fera que si les autres bougent. Quant à la probabilité que les choses se décantent, il est difficile de faire des pronostics. Aujourd'hui, l'engagement politique des membres de l'OMC pour aboutir existe. Cependant, on constate toujours un léger décalage entre cet engagement politique et les concessions à faire pour traduire juridiquement cette volonté dans un cadre contraignant.

Le commissaire européen a évoqué le second point de son exposé, les négociations avec le Mercosur. Il a rappelé que ces dernières se sont engagées sur la base d'un mandat confié à son prédécesseur en janvier 1999. Jugeant que les conditions pouvaient être réunies pour aboutir à un accord au mois d'octobre, il a toutefois estimé que cela ne pourrait se faire que si la « substance » est au rendez-vous.

La négociation avec le Mercosur est importante sur le plan géopolitique, car l'Europe est engagée dans une course de vitesse avec le projet de Zone de libre-échange des Amériques porté par les Etats-Unis. Or, les pays du Mercosur accordent aujourd'hui leur préférence à un accord de libre-échange conclu avec l'Europe plutôt qu'avec les Etats-Unis pour des raisons politiques, culturelles et commerciales. Sur ce dernier point, le commissaire européen a rappelé que l'Union européenne est le premier partenaire commercial du Mercosur et qu'elle y possède un potentiel d'exportations important.

En ce qui concerne les intérêts des partenaires, le Mercosur est intéressé par un meilleur accès à notre marché agricole, tandis que l'Europe souhaite obtenir une plus grande ouverture des économies de l'Amérique du Sud pour son industrie et ses services. L'Europe possède déjà d'importantes parts de marché qu'elle souhaite évidemment étendre. C'est la raison pour laquelle l'offre actuelle du Mercosur ne nous paraît pas assez ambitieuse, d'autant que l'offre européenne est substantielle, notamment dans le domaine agricole. Par ailleurs, non seulement les propositions du Mercosur mises sur la table ne font pas le poids, mais elles ne s'attaquent pas assez aux contraintes réglementaires entravant la présence européenne sur ce marché. Au total, l'Europe souhaite conclure un accord satisfaisant, dont la substance doit primer sur le calendrier et répondre à nos attentes en matière économique et réglementaire.

M. Pascal Lamy a ensuite abordé la question des négociations entre l'Union européenne et le Conseil de coopération du Golfe, qui ne sont pas fortement médiatisées alors même que les pays de cette région sont aujourd'hui notre cinquième partenaire commercial en termes d'exportations. L'Union européenne a donc des intérêts à la fois géopolitiques et économiques à la réussite de ces négociations. Les termes de ces dernières sont relativement clairs, puisque les Etats du Golfe souhaitent disposer d'un plus grand accès à notre marché là où ils disposent d'un avantage compétitif, c'est-à-dire dans les industries consommatrices de pétrole ou de gaz comme l'industrie chimique et l'aluminium, tandis que l'Union européenne désire obtenir un accès plus ouvert en matière de services et plus particulièrement de marchés publics. Les négociations progressent, mais des obstacles demeurent, notamment avec le double prix de l'énergie pratiqué par les pays du Golfe entre les productions locales et les productions européennes.

Le dernier point à aborder a trait aux perspectives de l'industrie européenne dans la division internationale des tâches. Les délocalisations suscitent, au sein de la population européenne, une crainte de la disparition de l'industrie européenne et, de plus en plus, des inquiétudes dans le secteur des services. La Commission a souhaité engager une réflexion sur ce thème et le récent rapport du député Max Roustan, au nom de la Délégation à l'aménagement du territoire, a d'ailleurs été très utile. Cette réflexion s'appuie également sur un rapport commandé au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), qui sera rendu public la semaine prochaine et dont l'objectif est de fournir une grille de lecture à quinze ou vingt ans. Ce document montre que l'Union européenne peut mener une action effective en ce domaine, en intervenant aussi bien au niveau de ses politiques internes que de sa politique commerciale extérieure.

S'agissant des politiques internes, il importe d'observer que les points forts de l'Europe sont encore, avant tout, dans l'industrie, qui a su se positionner sur le haut de gamme. Dans l'avenir, il faut savoir poursuivre dans ce positionnement générateur de forte valeur ajoutée, ce qui implique notamment de développer la recherche et l'innovation et d'atteindre les objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne.

Au titre de la politique commerciale, deux enjeux principaux doivent être mentionnés. D'abord, l'Union européenne doit s'attacher à développer la protection de la propriété intellectuelle, ce qui vise aussi bien la lutte contre les contrefaçons que la préservation des indications d'origine géographique dans le domaine agricole. Cette question rencontre un faible intérêt chez la plupart de nos partenaires économiques, mais on se doit de sensibiliser des pays tels que la Chine ou l'Inde, qui seraient également en mesure de faire valoir des indications d'origine géographique. Ensuite, il apparaît que la situation de l'économie européenne peut être sensiblement affectée par le développement futur des pays émergents (Chine, Inde, Brésil, en particulier), et notamment par la distribution des richesses au sein de ces sociétés. Le maintien de fortes inégalités salariales constituerait une vraie menace et l'Europe se doit d'agir à ce niveau au titre de sa politique de développement et de sa politique commerciale.

Le Président Pierre Lequiller a remercié le commissaire européen en charge du commerce extérieur pour la précision des informations données à la Délégation.

M. Marc Laffineur s'est réjoui que l'Union européenne mène une action volontariste pour trouver un accord au sein de l'OMC. Toutefois, il s'est demandé s'il existait des chances raisonnables d'obtenir des contreparties équivalentes à nos propositions dans le secteur agricole, si un accord était envisageable en matière de tarifs industriels qui touchent des activités où les possibilités de développement sont importantes et si les pays du G90 pouvaient compter sur l'appui du G20 pour obtenir des avantages commerciaux sans réelles contreparties.

En ce qui concerne les négociations avec le Mercosur, les dernières propositions de l'Union européenne font naître quelques craintes, car 100 000 tonnes de viande de haute qualité sont en mesure de déstabiliser le marché européen actuel. Les ouvertures accordées dans le secteur de l'éthanol risquent de bloquer toute volonté politique de constituer une filière européenne et il serait peut-être opportun de soutenir, au préalable, l'émergence d'une telle filière, qui sera impossible à mettre en place si l'éthanol sud-américain, moins coûteux et moins polluant, bénéficie d'avantages commerciaux à l'importation. Sur le point spécifique de l'industrie automobile, la France n'a pas intérêt à ce que les droits de douane sud-américains soient abaissés, puisque de nombreuses sociétés françaises sont implantées dans cette région. En revanche, de tels abaissements seraient avantageux dans le domaine des pièces détachées. Enfin, il serait utile d'ajouter aux négociations un volet relatif aux contrefaçons, car chacun connaît les pratiques existant au Brésil sur ce point.

M. Michel Herbillon a souhaité obtenir le sentiment de M. Pascal Lamy non seulement sur les chances d'un accord à l'OMC à la fin du mois, mais également sur le contenu de cet accord. Il demeure actuellement d'importantes divergences, par exemple entre les pays du G90 et du G20, et entre la volonté de certains Etats de concentrer l'accord sur quelques thèmes précis et celle d'autres pays s'inscrivant dans la logique dite du « sapin de Noël », consistant à inscrire dans l'accord des éléments donnant satisfaction à chacune des parties. Par ailleurs, il serait souhaitable d'avoir des précisions sur l'interférence des élections américaines dans ces négociations.

Il a également souhaité savoir si, en tant que commissaire européen, l'accord intervenu sur la Constitution européenne lui paraissait satisfaisant et s'il avait des suggestions à formuler pour faire connaître cette Constitution et en faire la pédagogie auprès des citoyens européens.

Après avoir demandé des précisions sur les conditions dans lesquelles l'étude du CEPII sur les délocalisations serait disponible, M. Jacques Myard a indiqué qu'il craignait que l'ouverture croissante des économies comme le renforcement de la concurrence et le différentiel de change avec les pays émergents ne conduisent au développement en Europe, notamment en France, d'une économie duale, selon une situation similaire à celle du tiers monde.

Il s'est également interrogé sur l'intérêt réel d'une ouverture des marchés pour le secteur des services, craignant, en l'absence de statistiques disponibles, que le nombre d'emplois induits en Europe par la conquête de débouchés extérieurs ne soit en définitive faible et que le bilan ne consiste pour l'essentiel en un effectif réduit de postes d'expatriés.

Mme Anne-Marie Comparini s'est intéressée à l'information de l'opinion publique sur les termes de l'insertion de l'économie européenne dans l'économie mondiale. Il convient en effet de prévenir le développement d'idées fausses, voire de fantasmes. L'Europe reste peu connue de ses citoyens, n'étant évoquée qu'au moment des élections européennes. Un renforcement de la communication sur ses actions est donc essentiel, notamment sur les termes d'un éventuel accord à mi-parcours dans le cadre de l'OMC.

Ayant relevé que les délocalisations, dont certaines affaires ont rappelé qu'elles ne relevaient pas du fantasme, et la mondialisation étaient de plus en plus invoquées, M. Michel Delebarre a souhaité savoir comment la Commission envisageait de faire connaître les conclusions d'études telles que celles du CEPII et de s'adresser aux citoyens de manière à procéder aux démystifications nécessaires. S'agissant du développement des catégories sociales ayant les mêmes exigences de consommation que les Européens dans les économies indienne et chinoise, il a estimé essentiel d'évaluer le délai dans lequel la taille de ces nouveaux marchés serait significative pour les économies de l'Union.

M. Daniel Garrigue a demandé des précisions sur la politique industrielle européenne, insistant sur ses liens avec la stratégie internationale à tenir en matière commerciale.

M. Jacques Floch s'est inquiété de l'évolution du temps de travail et des revenus, craignant que les Européens n'en soient réduits, à l'avenir, à travailler plus pour des revenus moindres.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que deux enseignements pouvaient être tirés des dernières élections européennes : une très forte abstention, plus particulièrement dans les pays nouvellement adhérents ; la baisse du score des listes eurosceptiques, notamment en France. Il en a déduit que les effets d'éléments tels que les délocalisations ne devaient pas être surestimés, et qu'il convenait en revanche pour l'avenir de faire œuvre de pédagogie en matière européenne. Les questions de fond doivent ainsi être abordées, ce qui n'a pas été le cas pendant la campagne électorale. Les médias comme les élus devraient plus largement s'exprimer sur les questions européennes. Dans l'hypothèse où un référendum serait organisé sur le traité constitutionnel, une véritable campagne d'information reposant sur des initiatives significatives en faveur du texte devrait être prévue.

S'agissant ensuite de la gouvernance économique, il a jugé nécessaire la création au niveau de l'Union, suivant l'exemple du ministre des affaires étrangères, d'un ministre de l'économie, lequel pourrait assurer une coordination et une harmonisation, en matières fiscale et sociale notamment.

En réponse, M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant des chances d'aboutir à un accord à mi-parcours à la fin du mois de juillet, il a indiqué qu'un mandat lui a été confié par le Conseil et le Parlement européen afin d'y parvenir, mais pas à n'importe quelles conditions. Si l'initiative récente prise avec son collègue Franz Fischler a permis de relancer les négociations, le texte évoqué n'envisage d'aborder la question des subventions à l'exportation qu'à la condition du respect par chacun d'un certain nombre d'engagements précis. Cette initiative est aussi un moyen de vérifier la volonté réelle qu'ont les uns et les autres à parvenir à un accord. Il serait dommage de ne pas mener à bien cette négociation qui représente un jeu à somme positive pour chacune des parties. Les Etats-Unis ont pour leur part à gagner dans un accord qui, s'il impose des efforts en matière agricole, se révèle avantageux dans les domaines de l'industrie et des services. L'effort sur l'agriculture doit également être relativisé dès lors que si 50 % du secteur est très protégé, l'autre moitié est totalement libéralisée. La distinction est moins nette en Europe. A la veille de l'élection présidentielle américaine, l'administration Bush - dont le bilan dans les négociations commerciales internationales n'est pas exceptionnel - aurait tout intérêt à conclure un accord. Mais il s'agit désormais de passer aux choses concrètes en ne se focalisant pas sur le seul aspect agricole qui ne constitue qu'un volet des négociations ;

- en ce qui concerne les concessions que pourraient accorder les pays du G20 à ceux du G90, M. Pascal Lamy a fait état des signaux positifs adressés par le G20, encore récemment lors d'une réunion à Sao Paulo. La distinction entre les pays émergents et ceux du G 90 ne fait pas réellement de doute; à titre d'exemple, des économies de petite taille, telles que celle de l'île Maurice relèvent du G90 dans la mesure où il ne leur est pas possible, structurellement,  de répondre aux exigences du G20. En tout état de cause, l'existence de ces deux groupes représente une rupture par rapport au fil historique des pays non alignés ;

- évoquant le Mercosur, M. Pascal Lamy a regretté que l'attitude française en matière commerciale soit généralement fondée sur des a priori et des inquiétudes la plupart du temps injustifiées. L'expérience démontre en effet, qu'au contraire, les accords commerciaux ont été bénéfiques à l'hexagone. Du point de vue du commerce international, l'économie agricole française se porte bien et dispose d' avantages comparatifs au regard des autres pays de l'Union. C'est pourquoi la stratégie française qui a consisté, par le passé, a promouvoir une augmentation des prix agricoles, était une erreur. En tout état de cause, les concessions agricoles envisagées à l'égard du Mercosur doivent être relativisées puisqu'elles ne concernent l'exportation en Europe que de 100 000 tonnes de bœuf, en deux fois. Il ne s'agit donc absolument pas d'ouvrir l'ensemble de la production au marché international. La consommation européenne de viande bovine s'élève à 7,5 millions de tonnes, sur lesquelles 500 000 tonnes sont importées. Un tiers de ces importations provient déjà du Mercosur (ce qui représente 50% en valeur dans la mesure où il s'agit d'une production de haute qualité qui n'est pas toujours présente dans la production européenne) ;

- pour l'éthanol, l'Union européenne devrait d'ici 2010 pouvoir en absorber un million de tonnes en provenance du Mercosur, à qui elle pourrait accorder un quota d'importation d'un montant équivalent. L'Union européenne s'est en effet fixée pour objectif d'incorporer des combustibles écologiques dans ses carburants à hauteur de 5,75 % de leur teneur totale, au plus tard en 2010. Cela représente un besoin cumulé en biodiesel et en éthanol d'un montant d'environ 8 millions de tonnes par an, alors que l'Union européenne n'en produit que 240 000 tonnes aujourd'hui. L'écart justifie un recours au moins partiel aux importations, d'autant que cette solution n'est pas la plus onéreuse, puisque l'éthanol produit à partir du sucre de canne ne coûte que 200 euros la tonne, contre 600 pour celui fabriqué à base de sucre de betterave. Le secteur pétrolier doit encore faire la preuve de sa bonne volonté à l'égard des biocarburants. Les organisations agricoles et les pouvoirs publics pourraient s'employer à le rendre plus sensible à cette question, qui constitue un enjeu d'avenir important ;

- dans le domaine de l'automobile, l'exemple des négociations sur l'accès aux marchés chilien, mexicain, puis russe a prouvé que les intérêts des producteurs européens ne sont pas les mêmes selon qu'ils sont implantés dans les pays en développement ou qu'ils cherchent à accéder à leur marché. Toute la difficulté réside précisément pour le négociateur européen dans la nécessité de tailler une cote unique qui ni mécontente ni trop les uns ni trop les autres ;

- la contrefaçon réclame une grande vigilance des négociateurs ; au demeurant, elle vient au moins autant d'Asie que du Brésil ;

- l'étude du CEPII devrait paraître en ligne dans les quinze prochains jours ;

- la question de savoir quel profit engendre réellement l'exportation de services fait appel à une distinction entre services et industrie qui tend à s'estomper. Car la frontière est mouvante entre ces deux termes ; ce qui était comptabilisé comme industriel il y a quinze ans est parfois enregistré aujourd'hui au chapitre des services. En tout état de cause, il n'est pas possible d'exporter de l'industrie sans exporter des services, ce qui est particulièrement manifeste dans le domaine des transports mais aussi dans le secteur des télécommunications ou de la grande distribution. En Chine, Carrefour ne vend pas seulement des produits chinois, tant s'en faut. L'idée ne paraît donc pas fondée selon laquelle les exportations industrielles auraient un effet positif sur l'emploi, alors que les exportations de services seraient sans effet. Il apparaît au contraire que les deux sont indissociables et qu'il serait artificiel de vouloir traiter séparément deux questions solidaires ;

- quant aux explications de son activité de négociateur, le commissaire y emploie les deux cinquièmes de son temps, soit deux fois plus que le ministre d'un Etat membre ne consacre à sa propre communication. Cette différence tient à la distance particulière qui sépare l'opinion publique des sujets traités dans les négociations internationales. Non content de se déplacer en personne, le commissaire s'explique à travers son site sur la Toile, qui représente aujourd'hui le principal instrument de son effort de communication. Il doit en outre rendre des comptes aux Etats membres et au Parlement européen, qui devrait, si la Constitution européenne est ratifiée, jouir à l'avenir d'un pouvoir de codécision égal à celui du Conseil de l'Union sur les sujets de politique commerciale. Cela n'empêche pas que les parlements nationaux doivent continuer d'être informés, tant il est vrai que les questions de commerce extérieur sont plus que jamais politiques, dans la mesure où elles touchent de moins en moins aux tarifs industriels et de plus en plus à des comportements de société. Quoi qu'en pensent les Américains, les réticences de l'Union européenne à laisser pénétrer les OGM sur son marché tiennent moins à une tradition de protectionnisme agricole qu'à une résistance concrète de toute une frange de la population qui s'étend bien au-delà des seuls cercles d'agriculteurs. L'observation vaudrait également pour les exigences en matière de bien-être des animaux ;

- la question des délocalisations offre un exemple des contradictions qui apparaissent souvent entre l'approche macro-économique des choses et la réalité sur le terrain. L'une nous enseigne qu'avec la formation nécessaire, ceux qui ont perdu leur emploi pourront en retrouver un en se réorientant dans une branche différente, mais l'autre nous met en présence d'une souffrance humaine et sociale qui se fait au demeurant sentir aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, où l'économie a la réputation d'être plus flexible. Que les ajustements y soient plus rapides ne signifie cependant pas qu'ils y soient moins pénibles, ce qui a des retentissements à la fois sociaux et politiques. Les politiques publiques ont en ce domaine un rôle à jouer pour prévenir, anticiper et traiter les problèmes. L'expérience accumulée en Finlande, en Suède mais aussi dans les Pays de la Loire montre que l'échelle efficace d'intervention n'est pas nationale mais territoriale, couvrant des bassins d'emploi et de population d'à peu près deux à trois millions d'individus. Dans ce cadre, les acteurs de la vie publique peuvent tisser un réseau de relations étroites où des liens s'établissent entre centres de formations, universités et entreprises, ce qui rompt avec la pratique antérieure des interventions massives et unilatérales ;

- après une période d'effacement, la politique industrielle européenne revient à l'ordre du jour, ce qui est une bonne chose ; pour réussir, elle devra être conduite de front avec les politiques d'aménagement du territoire, d'éducation, de développement et de recherche ;

- quant au point de savoir si l'avenir des travailleurs serait de travailler plus pour gagner moins, ce serait un renversement historique sans précédent si cela se vérifiait. Des changements paraissent au contraire à l'œuvre dans les pays en développement, où les salariés aspirent, comme leurs homologues occidentaux, à travailler moins pour gagner plus. L'enjeu des prochaines années sera de savoir comment ces aspirations pourront se réaliser ;

- la Constitution européenne représente une avancée, même si elle ne va pas aussi loin qu'on pourrait le souhaiter. Le référendum, bien qu'il comporte des risques, est souhaitable. Il permettra un débat qui, on peut l'espérer, aidera à rationaliser le rapport de la France à l'Europe, trop marqué par des jugements a priori.

Le référendum constitue également une occasion de fabriquer de l'énergie politique, qui devra être plus importante chez les partisans de la ratification que chez ses adversaires, car l'expérience montre que ces derniers en déploient naturellement plus ;

- l'abstention importante aux élections européennes est préoccupante. Elle peut s'expliquer, pour les nouveaux pays membres, par la lassitude du fait des votes déjà intervenus pour l'adhésion. Au sein des Quinze, les partis eurosceptiques n'ont connu un succès marqué qu'au Royaume-Uni. Ces résultats s'expliquent plus généralement par le décalage entre la demande d'Europe exprimée par l'opinion et l'offre de l'Europe, notamment en matière d'emploi, de sécurité et de politique étrangère. A cet égard, la crise irakienne a été perçue par l'opinion comme une rupture de la politique étrangère européenne, alors que celle-ci n'avait pas de réelle existence. Il convient donc de mieux expliquer et d'adapter l'offre de l'Europe à la demande des citoyens.