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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 98

Réunion du mercredi 27 octobre 2004 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. Christian Philip sur le troisième paquet ferroviaire

Présentant le troisième paquet ferroviaire, M. Christian Philip, rapporteur, a indiqué qu'il était constitué de quatre textes : une proposition de directive ouvrant à la concurrence le transport international de passagers à compter du 1er janvier 2010 et autorisant le cabotage ; une proposition de directive fixant des règles communautaires pour la certification des conducteurs de trains ; une proposition de règlement sur les droits et les obligations des passagers, définissant les responsabilités des entreprises ferroviaires en cas d'accident, de retard, d'annulation, ainsi que les montants de compensation ; une proposition de règlement relative notamment aux compensations dues en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire.

Il a précisé que ces textes complétaient les premier et deuxième paquets ferroviaires adoptés en février 2001 et au mois de mars 2004, en vue de poursuivre l'intégration du système ferroviaire européen. Après avoir exposé les conditions dans lesquelles le troisième paquet ferroviaire complétait les deux précédents, le rapporteur a apprécié les réserves suscitées par ce paquet et l'évolution souhaitable de son économie.

M. Christian Philip en a souligné le caractère progressif et encadré de l'ouverture à la concurrence instaurée par les deux premiers paquets ferroviaires. Le premier paquet a institué le Réseau Transeuropéen de Fret Ferroviaire. D'une longueur de 50 000 km, il représente environ 80 % du trafic de fret européen. Les entreprises ferroviaires titulaires d'une licence en matière de transport international de marchandises y ont un droit d'accès entre le 15 mars 2003 - date limite de la transposition de la directive 2001/12 du 27 février 2001 - et le 15 mars 2008, date à laquelle les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit d'accès à la totalité du réseau ferroviaire européen pour le transport international de marchandises.

La directive 2004/51 du 29 avril 2004 a accéléré ce calendrier en fixant au 1er janvier 2006, au lieu du 15 mars 2008, la date de l'ouverture à la concurrence des réseaux internationaux de fret, et au 1er janvier 2007 l'institution du cabotage, c'est-à-dire l'accès des opérateurs étrangers au réseau intérieur des Etats membres.

Cette ouverture, largement suscitée par le Parlement européen, s'est accompagnée de l'établissement de mécanismes destinés à : garantir le jeu correct de l'ouverture ; améliorer l'interopérabilité des réseaux ; renforcer les exigences de sécurité.

Les directives correspondantes n'ont toutefois été transposées que de façon incomplète. Seuls huit Etats membres ont transmis les mesures de transposition du premier paquet ferroviaire au 15 mars 2003. Quant à la directive 2001/16/CE destinée à renforcer l'interopérabilité du système conventionnel, elle n'a été transposée au 20 avril 2003 que par sept Etats membres, cette situation ayant conduit la Commission à introduire, le 7 juillet 2004, un recours en manquement devant la Cour de justice contre les Etats défaillants.

Au-delà de la non-transposition, le rapporteur a souligné l'existence d'entraves persistantes à une réelle concurrence des réseaux. Il s'agit d'abord d'une pratique diversifiée de l'ouverture à la concurrence. En France, du fait de l'hostilité des autorités françaises et de la SNCF à une ouverture à la concurrence, l'accès des candidats autorisés à l'infrastructure a été refusé tandis que, à ce jour, deux licences seulement ont été délivrées. De surcroît, en ce qui concerne les conditions d'attribution des certificats de sécurité, la SNCF est juge et partie, ce qui constitue une barrière supplémentaire au jeu normal de la concurrence. La prépondérance des opérateurs historiques est un second facteur de cette concurrence imparfaite puisqu'en Allemagne, bien qu'il existe 280 entreprises ferroviaires, les parts de marché des concurrents de la Deutsche Bahn s'établissent à 7 % pour le fret, 10,9 % pour le transport régional et 1 % pour le transport grandes lignes.

Abordant le dispositif du troisième paquet ferroviaire, M. Christian Philip a fait remarquer que l'ouverture à la concurrence du transport international de passagers s'inspirait des recommandations formulées par le Parlement européen lequel en avait fixé les conditions et les délais. Cette ouverture est toutefois encadrée à l'exemple du fret ferroviaire, puisqu'elle se limite au transport international des passagers, tout en intégrant des possibilités de cabotage. Les entreprises ferroviaires se voient ainsi accorder le droit de prendre et de laisser des passagers entre deux gares situées sur un trajet international, y compris entre deux gares situées dans un même Etat membre. Les Etats auront cependant la faculté de limiter le libre-accès sous trois conditions : il faut qu'un contrat de service public ait été établi pour le service concerné ; la limitation du libre-accès doit s'avérer strictement nécessaire pour le maintien de l'équilibre du contrat de service public ; l'organisme de contrôle doit émettre un avis favorable sur la base de ces éléments de preuve.

En ce qui concerne l'impact économique de cette ouverture à la concurrence, le rapporteur a indiqué qu'il était plus important pour la France puisque le trafic international représente 20 % du chiffre d'affaires grandes lignes de la SNCF - grâce à Eurostar et Thalys - contre 8 % pour la Deutsche Bahn et 5 % en moyenne pour les autres pays.

Evoquant ensuite la proposition de directive sur la certification communautaire des conducteurs de trains, le rapporteur a indiqué que ce texte reprenait l'idée de l'accord conclu le 27 janvier 2004 entre la Communauté Européenne du Rail et la Fédération Européenne des Travailleurs des Transports, ainsi qu'une initiative évoquée lors de la discussion du deuxième paquet ferroviaire. Ce texte pose des exigences minimales à travers, d'une part, la licence communautaire, qui sera délivrée par l'autorité et appartiendra aux conducteurs, et, d'autre part, l'attestation complémentaire, qui, concernant les exigences particulières du service autorisé pour chaque conducteur, sera attribuée par l'entreprise ferroviaire. Le champ d'application sera limité, dans un premier temps, aux conducteurs de trains transfrontaliers, puis, dans un second temps, il pourrait être étendu à l'ensemble des conducteurs.

Quant aux deux propositions de règlement relatives aux garanties de qualité du transport de passagers et du fret, le rapporteur a souligné qu'il s'agissait, dans le premier cas, de mettre en place - selon des principes inspirés du transport aérien et de la protection des droits des consommateurs - des dispositions régissant la responsabilité des entreprises ferroviaires, l'indemnisation en cas de retard et l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Pour ce qui est du fret, la Commission se propose d'instaurer un système de compensation en cas de retard et d'annulation, le rapporteur notant qu'il s'agit de problèmes réels en France, en particulier en ce qui concerne la qualité et la ponctualité des services ferroviaires.

Puis, le rapporteur a évoqué les réserves suscitées par le troisième paquet ferroviaire, avant d'indiquer les pistes de réforme possibles.

Pour ce qui est des réserves, il a d'abord évoqué les modalités de l'ouverture à la concurrence qui, selon lui, est incomplète. Il aurait fallu y procéder non pas au niveau du trafic international, du fait de l'absence de concurrence réelle, mais plutôt au niveau régional, là où le citoyen exprime des attentes en matière de qualité du service. Ainsi, en Allemagne, où des exploitants français, notamment, ont repris des lignes jugées non rentables par la Deutsche Bahn, les citoyens ont pu bénéficier du développement du trafic périurbain. En ce qui concerne l'encadrement de cette ouverture, le rapporteur a insisté sur l'absence de dispositions incitatives touchant à : la protection des contrats de service public ; la mise en place d'un cadre contractuel propre à sauvegarder l'investissement à long terme ; l'harmonisation des péages d'infrastructures. Enfin, il a estimé nécessaire que les autorités publiques s'engagent dans le financement de travaux d'infrastructures du fait de leur saturation persistante et que l'ouverture ne serait réelle que si davantage de trains pouvaient circuler, condition à laquelle la SNCF ne satisfait pas, faute de sillons.

S'agissant de la proposition de directive concernant la certification des conducteurs de trains, le rapporteur a fait état d'un consensus entre les Etats membres sur son principe, seuls ses modalités et son contenu donnent lieu à discussion.

Quant aux propositions de règlement sur la qualité du transport ferroviaire, le rapporteur a considéré qu'un débat devait être engagé sur leur conformité aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, même s'il a estimé que l'Union européenne pouvait poser des règles nécessaires à l'établissement d'un cadre. En outre, peut exister le risque d'un empiétement sur le troisième pilier par la proposition de règlement concernant le transport des passagers.

La proposition sur le règlement de la qualité du fret peut se voir reprocher de violer la liberté contractuelle, même si le rapporteur a tenu à souligner que les critiques formulées par les industriels qu'il a rencontrés provenaient essentiellement d'un constat sur la situation déplorable du fret en France.

S'interrogeant sur les conditions dans lesquelles la réforme proposée par la Commission pouvait être perfectible, le rapporteur a insisté sur le fait que l'adoption des différents textes pouvait être dissociée puisque, selon lui, il ne s'agissait pas d'un paquet. La proposition de directive sur la certification peut être rapidement adoptée grâce à l'existence d'un consensus sur son principe, l'objectif de la présidence néerlandaise étant de parvenir à un accord politique lors du Conseil « Transports » des 9 et 10 décembre 2004. Le rapporteur a rappelé que, pour les autorités françaises, l'adoption à bref délai de ce texte était nécessaire à la mise en place d'une bonne ouverture du fret ferroviaire. En revanche, au Parlement européen, certains voudraient lier l'adoption de cette proposition de directive à celle des autres textes.

Le rapporteur a considéré que les deux textes relatifs aux voyageurs devaient faire l'objet d'un examen groupé, sous réserve que certains ajustements leur soient apportés, tels que : l'ouverture à la concurrence des lignes régionales et interrégionales, compte tenu de l'attente de services nouveaux exprimée par les citoyens ; la mise en place de mécanismes incitatifs portant sur la reconnaissance de droits acquis pour les investisseurs, à l'exemple de ce qui existe dans le transport aérien ; l'harmonisation des péages d'infrastructures, dont les écarts peuvent aller de 1 à 25 entre le niveau de la Suède, qui est le plus bas, et celui de la Grande-Bretagne, qui est le plus élevé ; et la mise en place par les Etats d'une politique d'investissements soutenue.

En tout état de cause, le rapporteur a souhaité que le Conseil conserve, dans la proposition sur la qualité du transport des voyageurs, les dispositions devant relever de la compétence communautaire et abroger celles qui incombent aux Etats membres.

En ce qui concerne le règlement sur la qualité du fret, le rapporteur a fait valoir que si l'on pouvait trouver normale l'institution de certaines obligations dans un secteur ouvert à la concurrence, se posait toutefois la question de la pertinence de l'intervention de l'Union européenne en la matière. C'est pourquoi on pourrait s'orienter vers une simple recommandation de la Commission, tandis que les législateurs nationaux se verraient confier le soin de fixer les règles obligatoires.

En conclusion, le rapporteur a évoqué le calendrier des discussions, en indiquant que - hormis la proposition de directive sur la certification des conducteurs de trains - les autres textes ne devraient pas être examinés par le Conseil avant 2006, ce qui devrait lui laisser le temps de la réflexion.

M. Jacques Myard a souligné la qualité du rapport présenté par M. Christian Philip, qui soulève des questions importantes. Ces propositions montrent que tout ne peut être mis en concurrence. Les chemins de fers nationaux ne sont pas des marchandises ordinaires. La distinction opérée par le droit communautaire entre les réseaux et les opérateurs relève d'une vision idéologique dangereuse. Elle ne constitue pas une bonne approche, car elle crée des doublons alors que les entreprises ferroviaires étaient jusqu'alors intégrées. Il faut, certes, des règles communes en matière de gabarit. Mais la création d'une Agence ferroviaire européenne suscite des interrogations, car les Etats se défaussent ainsi de leurs responsabilités. Il en irait autrement s'ils décidaient de créer une structure en dehors des traités communautaires. Ce troisième paquet ferroviaire soulève également des difficultés au regard du principe de subsidiarité. Beaucoup des questions abordées ne relèvent en effet pas des compétences de l'Union. Les règles actuelles sont suffisantes, et il faut laisser les choses mûrir.

M. Jérôme Lambert a précisé qu'il s'agit d'un sujet très complexe, et a exprimé sa défiance, voire son opposition, à ce qui est proposé. Au nom de la « sacro-sainte » concurrence, on souhaite privatiser et ouvrir à la concurrence le trafic international, mais ces propositions vont en réalité plus loin, puisqu'elles entraîneront une ouverture à la concurrence totale du trafic passagers sur les lignes nationales et mêmes locales. Or la concurrence n'est pas la garantie d'un meilleur service pour les usagers, mais seulement de la recherche d'un profit immédiat. Le principe de concurrence ne doit pas être ainsi sacralisé. M. Jérôme Lambert s'est également interrogé sur la prétention de l'Union à imposer des règles de fonctionnement applicables aux réseaux nationaux et locaux, au regard du principe de subsidiarité. Il s'est déclaré opposé aux conclusions proposées.

M. Pierre Forgues a rappelé son expérience en tant que vice-président du conseil régional Midi-Pyrénées, responsable des transports. Il a estimé que l'Europe n'avait pas à intervenir dans l'organisation des transports régionaux, laquelle ne relève pas de sa compétence. Les quelque 250 régions européennes n'ont pas à être soumises aux mêmes règles en matière de transport ferroviaire. Les propositions présentées ne respectent pas le principe de subsidiarité. La mise en concurrence des lignes régionales est de toute façon une vue de l'esprit, la plupart de ces lignes n'étant pas rentables et nécessitant des investissements considérables en matériel. L'Union est compétente en ce qui concerne les lignes internationales, mais en matière de transports régionaux, son intervention contribuerait à multiplier les interlocuteurs, déjà très nombreux dans ce secteur. M. Pierre Forgues a indiqué qu'il ne voterait donc pas en faveur des conclusions proposées.

M. Michel Delebarre a souligné que la mise en concurrence du transport ferroviaire au Royaume-Uni n'a pas produit des effets positifs, et qu'elle ne s'est pas traduite par une augmentation de la qualité du service. Il a indiqué que sa préoccupation principale était la sécurité du transport ferroviaire. Cette exigence n'est pas suffisamment rappelée dans les propositions examinées, alors que toute évolution dans ce domaine doit la respecter. La date d'ouverture à la concurrence proposée, 2010, est irréaliste, car le niveau des infrastructures n'étant pas suffisant, de graves perturbations pourraient en résulter. Il est tout à fait légitime que cette ouverture à la concurrence ne puisse avoir lieu qu'après avoir consulté notre opérateur principal, car elle peut entraîner des difficultés d'organisation et de gestion. Il faut donc être beaucoup plus progressif, en n'envisageant une telle ouverture, que lorsque le niveau d'infrastructures sera suffisant, et en respectant le principe de subsidiarité.

M. Christian Philip, rapporteur, a rappelé que l'un des principaux objectifs de l'Europe était la réalisation de la libre-circulation des marchandises et des personnes et que le transport ferroviaire constituait un instrument essentiel pour atteindre cet objectif. On peut donc comprendre la volonté d'instituer un cadre européen dans ce domaine, même si l'on peut formuler des objections au niveau de la subsidiarité et de la proportionnalité.

Par ailleurs, la mise en concurrence n'implique pas l'uniformité ni l'absence d'autonomie. Ainsi, par exemple, en matière de transports publics urbains, les expériences déjà réalisées ont pris des formes variées telles que la mise en régie ou l'exploitation par un opérateur espagnol dans la région de Perpignan. On peut rappeler également que des opérateurs français gèrent des réseaux d'agglomérations en Allemagne et en Suède.

L'ouverture à la concurrence pourrait aussi se révéler un élément positif pour l'échelon régional. Jusqu'à présent, la SNCF ne s'intéresse aux réseaux locaux que si la région accepte de payer. Dans le futur, elle tiendra peut-être un autre langage, comme on a pu le constater en Allemagne où le trafic a doublé sur des lignes désormais gérées par d'autres opérateurs que la Deutsche Bahn. L'élaboration d'un cadre réglementaire européen permettrait donc d'aboutir à des solutions satisfaisantes qui n'ont pu être trouvées au niveau national.

Il importe de souligner que l'exemple britannique d'ouverture à la concurrence est souvent stigmatisé, alors que les problèmes ne résident pas dans la mise en concurrence mais dans ses modalités. Les autorités britanniques ont en effet eu le tort, d'une part, de ne pas maintenir un service public pour les infrastructures ferroviaires, ce qui a provoqué une chute des investissements, et, d'autre part, d'accorder des droits exclusifs ligne par ligne, entraînant ainsi la destruction de la notion de réseau.

Les questions tenant à la sécurité ont été largement traitées par les deux premiers paquets ferroviaires, qui y ont répondu notamment par la création de l'Agence ferroviaire européenne. Il a estimé qu'au lieu d'établir un lien entre l'ouverture à la concurrence et le niveau des infrastructures, il était plus pertinent de souhaiter que l'ouverture à la concurrence favorise un accroissement des investissements et par voie de conséquence un renforcement de la sécurité.

La consultation de la SNCF en matière d'intervention d'autres opérateurs est compréhensible et même souhaitable lorsqu'elle se limite au trafic, mais non lorsqu'elle porte sur l'évaluation de ses futurs concurrents, procédure qui n'existe dans aucun autre secteur et qui n'est manifestement pas de l'intérêt même de la SNCF.

Il importe, enfin, d'observer que la France a un problème de stratégie dans les négociations sur le paquet ferroviaire. Abordant cette question avec un point de vue qualifié à tort ou à raison d'idéologique, elle est certaine d'être mise en minorité systématiquement. Il serait plus efficace d'accepter de discuter au fond de ces problèmes afin de pouvoir poser des conditions relatives à la subsidiarité et à la proportionnalité. Une approche plus ouverte permettrait également à notre pays de demander la reprise des discussions sur le projet de règlement concernant les obligations de service public applicables aux transports publics de voyageurs.

Le rapporteur a fait valoir que la France serait plus écoutée si elle plaidait en faveur d'une ouverture encadrée. En tout état de cause, tout en déclarant approuver le troisième paquet ferroviaire, il a rappelé que la discussion de ce dernier était à peine entamée et qu'elle s'étalerait jusqu'en 2006.

Le Président Pierre Lequiller a observé que des débats similaires avaient déjà eu lieu lors de la discussion des deux paquets ferroviaires précédents. Il a également considéré qu'il était important d'aborder les négociations européennes en adoptant une position ouverte à la discussion.

M. Michel Delebarre a confirmé que la liberté de circulation constituait un élément essentiel de la construction européenne. Toutefois, il importe de mettre en garde contre des propositions de directives susceptibles de s'appliquer en 2010 sans avoir vérifié au préalable que notre pays était en mesure de les appliquer. A cet égard, les textes relatifs à la teneur en plomb de l'eau sont significatifs, puisque les autorités locales n'auront pas, pour la plupart, les moyens financiers de les appliquer à compter de 2006. La France doit donc s'engager dans ces négociations sur le troisième paquet ferroviaire en sachant qu'une importante partie de son réseau doit être remise en état et qu'il importe d'assurer une compatibilité entre les exigences européennes et celles de la régionalisation.

M. Jacques Myard a estimé que notre pays avait la chance d'avoir une entreprise intégrée permettant de limiter les coûts pour l'usager. Or, il est à craindre que « l'usine à gaz » proposée par la Commission européenne ne provoque un renchérissement des coûts et une désorganisation du réseau des grandes lignes dont le fonctionnement est satisfaisant. L'histoire a amplement démontré que les lignes ferroviaires privées n'étaient pas viables. Il s'est donc déclaré opposé à l'intégralité des propositions de ce troisième paquet ferroviaire.

M. Pierre Forgues a tenu à préciser que les positions idéologiques peuvent également être reprochées aux partisans de l'ouverture à la concurrence, qui affirment pourtant s'en départir.

M. Christian Philip, rapporteur, a considéré que l'ouverture à la concurrence n'était pas forcément synonyme de privatisation. Elle vise surtout à donner aux autorités organisatrices de transports la capacité de gérer l'exploitation des lignes de façon efficace, en faisant éventuellement appel à des opérateurs publics.

Il a proposé d'amender sa proposition de résolution afin, d'une part, de supprimer la référence à l'échéance de 2010 pour l'ouverture totale des trafics de voyageurs, d'autre part, de ne pas se limiter à des mécanismes d'accompagnement dans le domaine des investissements en faveur des réseaux ferroviaires.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution ainsi modifiée, MM. Michel Delebarre, Pierre Forgues, Jérôme Lambert, Christian Paul et Jacques Myard votant contre :

« L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

I. Sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la certification du personnel de bord assurant la conduite de locomotives et de trains sur le réseau ferroviaire de la Communauté (COM[2004] 142 final, document E 2696) :

1. Accepte que le champ d'application de la proposition de directive soit limité aux seuls conducteurs de trains transfrontaliers, mais demande que l'Agence ferroviaire européenne puisse être chargée d'examiner la possibilité d'y inclure ultérieurement d'autres conducteurs et, le cas échéant, certains personnels de bord.

2. Souhaite que le Conseil retienne le principe de l'inclusion, en annexe à la proposition de directive, des annexes I et II de l'accord entre la Communauté européenne du Rail et la Fédération européenne des travailleurs du transport, relatives aux aptitudes physiques, psychologiques et professionnelles.

3. Demande que la proposition de directive puisse faire l'objet d'un accord politique lors du Conseil des ministres des Transports des 9-10 décembre 2004, afin qu'elle puisse être définitivement adoptée dans un bref délai et entrer en vigueur lors de l'ouverture totale des réseaux de fret.

II. Sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (COM[2004] 139 final, document E 2535) et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux (COM[2004] 143 final, document E 2536):

1. Juge opportun que les deux propositions relatives au trafic des passagers puissent être examinées et adoptées conjointement par le Conseil.

2. Estime souhaitable d'envisager une ouverture totale des trafics de voyageurs plutôt que de commencer par le seul trafic international.

3. Considère qu'il est indispensable de mettre en œuvre des mécanismes destinés à :

- garantir, pour l'attribution des sillons, les droits acquis des opérateurs ayant procédé à d'importants investissements, et à faciliter la signature d'accords-cadres avec le gestionnaire de l'infrastructure d'une durée supérieure à dix ans ;

- harmoniser les péages d'infrastructures ;

- poursuivre une politique d'investissements soutenue en faveur des réseaux ferroviaires.

4. Estime nécessaire que le Conseil modifie le dispositif de la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux, afin qu'elle soit davantage conforme au principe de proportionnalité ; qu'elle contribue à prévenir les risques de distorsions de concurrence entre le transport ferroviaire et les autres modes de transport ; que les imprécisions qu'elle recèle puissent être corrigées.

III. Sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les compensations en cas de non-respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire (COM[2004] 144 final, document E 2537) :

1. Juge indispensable que l'ouverture du fret ferroviaire à la concurrence s'accompagne de la mise en place d'un encadrement minimal, conformément à un principe déjà appliqué dans les autres secteurs ouverts à la concurrence.

2. Estime toutefois nécessaire que, devant l'hostilité affichée, à l'heure actuelle, par la quasi-totalité des Etats membres et par la très large majorité des transporteurs à l'encontre de la proposition de règlement, le Conseil examine la possibilité de prévoir un mécanisme fondé sur des contrats-types, auxquels les parties pourraient déroger à certaines conditions. »

II. Examen du rapport d'information de M. Daniel Garrigue sur l'organisation de la recherche publique en Europe

M. Daniel Garrigue, rapporteur, a indiqué qu'au moment de l'annonce d'un projet de loi d'orientation et de programmation sur la recherche, il avait initialement souhaité consacrer un rapport au statut comparé des chercheurs dans les différents Etats européens. Cependant, il est rapidement apparu que cette question est indissociable de celle des modes d'organisation et de financement de la recherche publique. La comparaison a volontairement été limitée à trois Etats : le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, qui ont les budgets de recherche les plus importants et les meilleurs résultats dans l'Union européenne. Le rapport inclut également un éclairage sur les Etats-Unis.

L'organisation de la recherche publique dans ces différents Etats a été comparée à partir de cinq thèmes : les rôles respectifs des organismes de recherche et des universités, les modes de financement et le pilotage, l'évaluation, la valorisation et les carrières, ce dernier thème ayant été au cœur du débat il y a quelques mois.

Concernant les rôles respectifs des grands organismes et des universités, il ressort de l'analyse que le Royaume-Uni se trouve dans une situation particulière car l'essentiel de la recherche est effectué par les universités. Il existe sept « conseils de recherche » qui sont des agences de moyens finançant la recherche des universités et ont peu d'activités de recherche en propre. En Allemagne, il existe de grands organismes publics qui, pour la plupart, font de la recherche et, pour certains, sont des agences de moyens. Les universités, autonomes, jouent un rôle important dans la recherche. Le système français se caractérise par la prédominance des grands organismes. Les universités consacrent des moyens importants à la recherche mais sont souvent sous la dépendance des organismes. Contrairement à une idée reçue, il n'existe pas de cloisonnements entre ces deux acteurs mais des liens étroits à travers les unités mixtes de recherche (UMR). Les relations entre les organismes, notamment le CNRS, et les universités sont cependant ambiguës car celles-ci ne sont pas autonomes et ont tendance à rechercher la « labellisation » par le CNRS.

Concernant le financement et le pilotage, on constate que la part du financement par appel à projet est très importante en Allemagne comme au Royaume-Uni. En France, le système repose à l'inverse sur la distribution organisée de moyens financiers aux structures. Il ne faut cependant pas oublier l'importance des grands programmes de recherche finalisée, par exemple dans le domaine spatial, l'armement ou le nucléaire.

L'évaluation porte au Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, en Allemagne principalement sur les structures et les équipes. Elle fait intervenir des experts extérieurs et internationaux et a des conséquences très nettes, surtout au Royaume-Uni. En France, l'évaluation est, à l'inverse, très individuelle et interne, avec la prédominance de membres élus dans les instances. Elle n'a pas toujours de conséquences visibles.

La valorisation fait apparaître des différences entre les trois Etats étudiés. En Allemagne, la relation entre la recherche et l'industrie est très forte. Ceci peut s'expliquer, d'une part, par l'absence de distinction entre ingénieurs et docteurs, d'autre part, par l'importance de la formation en alternance dans les universités techniques. Au Royaume-Uni, les relations entre recherche et industrie sont moins étroites mais il existe des exemples marquants de coopération, comme la présence de laboratoires de Rolls Royce dans des campus universitaires. En France, l'un des principaux obstacles au lien entre recherche et industrie est la dualité entre grandes écoles et universités, les entreprises favorisant le recrutement d'ingénieurs par rapport à celui de docteurs.

Les jeunes chercheurs (doctorants et post-doctorants) connaissent des situations différentes selon les Etats. Au Royaume-Uni, ils sont considérés comme des professionnels participant pleinement à l'effort de recherche, par le biais des équipes et des projets. Il leur est en revanche difficile d'obtenir un poste permanent. En France, les jeunes chercheurs sont peu reconnus mais des perspectives de titularisation existent. L'Allemagne est dans une situation intermédiaire.

Le monde de la recherche connaît depuis ces derniers mois une grande effervescence. De nombreuses propositions ont été formulées et sont présentées dans le rapport, qui aboutit à cinq conclusions principales.

Il faut tout d'abord rénover le mode de pilotage de la recherche. Les grands projets fonctionnent bien, en France comme au niveau européen. Il faut absolument développer par ailleurs l'appel à projet dans les domaines ne pouvant être pilotés par des grands programmes finalisés, comme les technologies de l'information, les biotechnologies ou les nanotechnologies. Ce mode de pilotage permettra en outre une meilleure prise en compte de l'interdisciplinarité, une plus grande souplesse, un fonctionnement pluriannuel et l'émergence d'équipes intégrant des jeunes chercheurs. Enfin, dans la perspective de la création d'un Conseil européen de la recherche, le recours accru au financement sur projet permettra une continuité des modes de pilotage entre le niveau européen et le niveau national. On peut émettre le souhait que l'Agence nationale de la recherche, dont la création est proposée par le Gouvernement, soit un outil pour l'appel à projet et mette en œuvre des mécanismes mobilisateurs.

Il convient également de privilégier l'évaluation des équipes, qui doit être mieux différenciée et suivie de conséquences.

Les universités doivent être mieux ouvertes vers la recherche. Ceci doit d'abord se traduire par une réforme du statut des enseignants-chercheurs. En effet, le poids des obligations d'enseignement peur stériliser leur activité de recherche. Le risque est particulièrement élevé pour les jeunes maîtres de conférence, à une période où ils sont potentiellement très productifs pour la recherche. Il faut donc mettre en œuvre des décharges d'enseignement, de manière progressive en raison des coûts qu'elles entraîneront. Il est par ailleurs nécessaire de développer des expérimentations pour l'autonomie et les modes de gouvernance des universités. L'enjeu est important, il faut donc éviter des réformes brutales.

Concernant la situation des jeunes chercheurs, il faut, en premier lieu, permettre un niveau de recrutement régulier et maîtrisé, tout en restant conscient que la multiplication des recrutements ne résoudra pas toutes les difficultés de la recherche. L'allégement des obligations d'enseignement des enseignants-chercheurs, déjà évoquée, améliorerait considérablement la situation des jeunes maîtres de conférence. Le développement de l'appel à projet permettrait l'émergence d'équipes et la prise d'autonomie des chercheurs. Enfin, l'atténuation de la différence entre ingénieurs et docteurs doit être recherchée car elle permettrait une meilleure intégration des jeunes chercheurs dans l'industrie et une réponse aux besoins de recherche des entreprises.

Enfin, il est nécessaire de renforcer la conjonction formation-recherche-industrie, par la constitution de pôles ou de « clusters ». Il existe de nombreuses potentialités en France, par exemple à Grenoble, en Ile de France sud (Saclay, Palaiseau) ou à Toulouse. Le vrai problème est de trouver les éléments catalyseurs pour développer ces sites. Les incitations fiscales ne peuvent suffire.

M. Christian Philip a considéré, comme le rapporteur, que la comparaison entre les différentes politiques de la recherche était riche d'enseignements pour la France. Au-delà des différences d'organisation, on constate que l'effort financier des européens en faveur de la recherche est très faible par rapport à celui des Etats-Unis. Mais, si on ne remet pas en cause l'organisation de la recherche, tout accroissement des moyens n'aura qu'une efficacité limitée. Notre système national de recherche doit impérativement évoluer, et cette évolution pourra justifier un effort budgétaire supplémentaire.

M. Jérôme Lambert a approuvé dans l'ensemble les conclusions du rapport. Au-delà des problèmes d'organisation de la recherche sur le plan national, il importe de définir un instrument plus cohérent sur le plan européen. Sinon, on ne parviendra jamais au même résultat que les Etats-Unis, même avec un effort budgétaire identique.

M. Daniel Garrigue, rapporteur, a insisté sur le fait que la faiblesse de la recherche européenne se traduit non seulement par rapport aux Etats-Unis, mais également par rapport aux pays émergents, dont la Chine. Il convient à la fois d'améliorer l'efficacité du système de recherche et de dégager, au sein du budget de l'Union européenne, un budget plus ambitieux pour la recherche.

En conclusion, le Président Pierre Lequiller a rappelé son vif intérêt pour les études comparatives menées par la Délégation, en souhaitant qu'elles bénéficient d'une large diffusion.

III. Nomination de rapporteurs

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a désigné comme rapporteurs d'information :

M. Christian Philip, sur l'Union européenne et la lutte contre le terrorisme ;

M. Daniel Garrigue, sur le renforcement de la gouvernance économique et la clarification de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance ;

et a confié à :

M. Edouard Landrain, une communication sur la modification des règles européennes relatives au temps de travail.