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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 102

Réunion du mercredi 17 novembre 2004 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Examen du rapport d'information de M. Michel Herbillon sur l'enseignement supérieur en Europe (réunion ouverte à la presse)

M. Michel Herbillon, rapporteur, a débuté son exposé en citant les propos tenus par le recteur de l'Université de Bruxelles qui résume en ces termes les défis lancés aux universités européennes : « quitter leur tour d'ivoire pour entrer dans la tour de guet ».

Alors qu'un système éducatif reflète des valeurs et des ambitions, il a souligné le caractère multidimensionnel du débat sur l'enseignement supérieur. A travers des déplacements en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni mais aussi aux Etats-Unis et au Canada, le rapporteur a pris la mesure de l'enjeu, pour l'Europe, de bâtir un espace européen d'enseignement supérieur et de recherche attractif au niveau mondial. De ses nombreuses auditions (près d'une centaine), il a retiré deux principales conclusions :

- le processus de Bologne (l'harmonisation européenne des diplômes) est un objectif pour l'Europe, et une vraie chance pour la France et la modernisation de son enseignement supérieur ;

- c'est incontestablement l'attractivité des « grandes » universités américaines qui représente le principal défi lancé à l'Europe de la connaissance.

Le 25 mai 1998, la Conférence de La Sorbonne a lancé le processus européen d'harmonisation des diplômes. De quatre pays (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni), le mouvement concerne désormais une quarantaine d'Etats (bien au-delà des seules frontières de l'Union européenne) engagés dans l'édification d'un espace européen de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cela peut paraître paradoxal, mais ce processus est exclusivement intergouvernemental et l'Union européenne n'y a qu'un rang d'observateur. En effet, les questions d'éducation ne relèvent pas d'une compétence partagée de l'Union qui ne peut (à la différence des questions de recherche) intervenir qu'en appui des Etats ou des régions. Loin de toute idée d'uniformisation, l'objectif d'harmonisation européenne des diplômes vise à rendre compatibles les structures d'enseignement supérieur très hétérogènes d'un pays européen à l'autre. Après le marché unique, les Européens entendent réaliser leur marché intérieur de l'enseignement supérieur et de la recherche et le rendre attractif à l'échelle mondiale.

La refonte des cursus repose sur la création de trois cycles principaux : la licence (L), le master (M) et le doctorat (D), d'où l'appellation « LMD ».L'instauration d'un système de crédits capitalisables (crédits « ECTS ») doit permettre de faciliter la mobilité des étudiants sur le territoire européen, tout en assurant une plus grande souplesse des parcours académiques.

Le rapporteur a indiqué que le processus de Bologne engendre, dans la plupart des Etats signataires, des transformations substantielles en terme d'architecture des études supérieures ; dans tous les cas, le mouvement d'harmonisation européenne des diplômes constitue un important levier de réforme des systèmes nationaux, et il a donné un éclairage plus particulier sur l'Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni. Il en ressort que la principale difficulté réside en général dans la tradition qu'ont certains pays de délivrer le master en un an et non pas en deux ans.

La France est, pour sa part, le bon élève de la classe. Par anticipation, trois-quarts des universités sont déjà entrées dans le LMD et la réforme s'étend désormais aux grandes écoles, au niveau du master.

Le mouvement étudiant de l'automne 2003, quoique minoritaire, a cependant révélé certaines craintes liées à la mise en œuvre du LMD. Des tabous français ont resurgi à cette occasion : sélection masquée, remise en cause du caractère national des diplômes, fragilisation des filières professionnalisées, augmentation programmée des droits de scolarité, marchandisation, privatisation de l'enseignement supérieur... Ces craintes sont le reflet d'une perte de confiance dans notre système universitaire, et d'une difficulté certaine à le soustraire du poids des idéologies. La France a pourtant toutes les cartes en main pour faire face aux défis de demain. Mais elle doit se donner les moyens, notamment financiers, de ses ambitions. Or, notre pays continue de dépenser sensiblement plus pour l'enseignement secondaire que pour l'enseignement supérieur. A ce rythme, il risque de n'être plus qu'une économie d'imitation, quand la croissance et les emplois reposent sur l'innovation.

Deux éléments caractérisent ainsi la situation française : d'une part, la faible part du financement privé de l'enseignement supérieur et d'autre part, un taux d'échec encore élevé enregistré en France dans les premiers cycles universitaires. 59 % des étudiants qui commencent leurs études universitaires parviennent à les terminer, soit 11 points de moins que la moyenne des pays de l'OCDE.

Parmi les défis à relever, figure incontestablement l'accueil des étudiants étrangers, qui reste le point faible du système français qui ne parvient pas suffisamment à attirer les meilleurs étudiants. Il y a ainsi quatre fois plus d'étudiants français au Royaume-Uni que d'étudiants britanniques en France.

La dualité entre les grandes écoles et les universités n'est également pas toujours bien comprise en dehors de l'hexagone : il faut rapprocher les structures pour tirer le meilleur parti de chacune d'entre elles. Enfin, il faudra bien un jour s'engager dans la voie d'une modernisation des règles de gestion et de gouvernance des universités. La singularité française est de ce point de vue un handicap majeur dans la compétition internationale.

Le rapporteur s'est ensuite intéressé aux raisons de l'attractivité des universités américaines. L'attractivité du « modèle » américain repose en réalité sur une cinquantaine de grandes universités, publiques ou privées, alors que l'on dénombre environ 4 000 établissements d'enseignement supérieur à travers le pays. Le système d'enseignement supérieur est la vitrine de l'Amérique, au même titre que Hollywood ; les universités sont un vecteur de la puissance et de la souveraineté des Etats-Unis dans le monde. Leur fonctionnement repose sur des règles la plupart du temps étrangères aux universités européennes, à l'exception notable du Royaume-Uni.

Le rapporteur a indiqué s'être rendu dans de nombreux campus aux Etats-Unis (Columbia, Harvard, MIT, Madison, Berkeley, Stanford) et au Canada (McGill) pour mieux comprendre le fonctionnement de ces universités de rang international.

Les universités américaines se positionnent les unes par rapport aux autres sur un véritable marché de la connaissance, qui répond à une logique de concurrence. Le marketing y est omniprésent. Marques, labels, réputation : ces mots font partie du vocabulaire courant des dirigeants des grandes universités américaines. Les classements internationaux donnent raison à cette stratégie puisque les premières places y sont systématiquement occupées par des universités anglo-saxonnes.

Les universités américaines disposent d'une totale liberté dans le choix de leurs étudiants, et de leurs professeurs. Les cycles d'excellence reposent en grande partie sur les étudiants étrangers, notamment asiatiques. Depuis le 11 septembre 2001, les conditions d'accueil sont toutefois devenues de plus en plus contraignantes, ce qui préoccupe les universitaires.

S'agissant des professeurs, la comparaison avec l'Europe est difficile, tant la situation est différente. Les universités n'hésitent pas à surenchérir pour attirer les meilleurs enseignants, et les salaires peuvent atteindre des niveaux particulièrement élevés, dans certains cas jusqu'à 300 000 dollars par an.

Les universités prestigieuses n'éprouvent pas de réelles difficultés à se financer. L'échelle des moyens est sans commune mesure avec la situation en Europe. L'excellence attire l'argent. Les fonds propres de Harvard s'élèvent à 22,8 milliards de dollars. Ce capital rapporte à lui seul chaque année plus de 500 millions de dollars à l'université...

Une différence importante provient également de la diversité des sources de financement. Faire des études aux Etats-Unis coûte cher : une année d'études à New-York peut atteindre 60 000 dollars, si l'on ajoute aux frais de scolarité (environ 30 000 dollars pour une université privée) les dépenses liées au logement et à la vie courante.

Mais le système de bourses et de prêts est beaucoup plus développé qu'en Europe puisque 70 % des étudiants en bénéficient à un titre ou à un autre. Le rapporteur s'est alors interrogé sur la justice du modèle américain. Il y a fait part d'une volonté affichée de permettre à n'importe quel étudiant, quelle que soit sa situation sociale, d'accéder aux meilleures universités, si son niveau scolaire le justifie. Il n'a cependant pas sous-estimé la dimension sociale qui favorise les étudiants ayant accompli leurs études secondaires dans une High School réputée (souvent privée et donc payante) et pointé la difficulté que peuvent avoir les étudiants de la classe moyenne qui ne sont souvent pas éligibles aux aides financières. Il est d'ailleurs fréquent que les familles contractent, dès la naissance de leur enfant, un prêt pour financer ses futures études supérieures.

Toutefois, la comparaison avec la quasi-gratuité du système français doit à son tour être relativisée, dans la mesure où demeure en France un important phénomène de reproduction sociale au sein de l'université. Qui plus est, le principe de sectorisation géographique pour l'entrée à l'université n'incite guère à la mixité sociale.

Puis il a relativisé la distinction entre universités publiques et privées, car même les universités publiques sont majoritairement financées par des fonds privés et, à l'inverse, la recherche est, dans les universités privées, largement financée par de l'argent fédéral.

Il a enfin abordé les contributions des anciens élèves (les « alumni ») et les campagnes de levées de fonds, qui font partie de la culture américaine. Il n'est pas rare que les dons atteignent plusieurs dizaines de millions de dollars. Le don le plus important est celui d'un milliard de dollars accordé par Bill et Melinda Gates.

Evoquant la qualité des conditions de vie et d'étude, le rapporteur y a vu un facteur déterminant de l'attractivité des campus américains. Trois aspects en particulier ont été soulignés : les relations entre étudiants et professeurs, les équipements universitaires et la vie culturelle et sportive.

Enfin, l'organisation de la recherche et les transferts de technologie est performante. La part du gouvernement fédéral est déterminante dans le financement de la recherche universitaire, indépendamment du statut public ou privé des universités. Le poids de la R&D dans les universités américaines (30 à 35 milliards de dollars par an) représente 11 % de l'effort national de R&D, et 43 % si l'on ne considère que la recherche fondamentale. Le Bayh-Dole Act permet aux universités de gérer et de commercialiser leurs brevets.

Face à l'attractivité du modèle américain, le rapporteur a insisté sur l'urgence d'une réponse européenne pour que le modèle américain ne s'impose pas définitivement comme le standard international. Il s'est dit convaincu que l'Europe peut et doit aussi se construire et s'approfondir autour de ses universités, comme elle l'a d'ailleurs fait par le passé.

Au printemps 2000, le Conseil européen a fixé à l'Union européenne l'objectif de « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ». Dans cette perspective, les Chefs d'Etat ou de gouvernement ont souhaité, lors du Conseil européen de Barcelone de mars 2002, faire des systèmes européens d'enseignement et de formation une « référence de qualité mondiale » d'ici à 2010. L'Europe doit adapter ses structures et ses politiques à une économie mondiale de plus en plus tournée vers l'innovation. Or elle éprouve des difficultés pour y parvenir, comme en témoigne la persistance du retard européen en ce qui concerne un certain nombre d'indicateurs clés.

Qu'il s'agisse du dépôt de brevets, du nombre de chercheurs, du classement des universités, du nombre de lauréats au prix Nobel ou des citations dans les grandes revues scientifiques, la société européenne de la connaissance reste à la traîne par rapport aux Etats-Unis qui investissent deux fois plus que l'Union européenne dans leurs universités : 2,3 % contre 1,3 % du PIB. L'écart s'explique principalement par le faible niveau de l'investissement privé dans l'enseignement supérieur : 0,2 % du PIB européen, contre 0,6 % au Japon et 1,2 % aux Etats-Unis.

La mobilité des étudiants et des professeurs reste également insuffisante en Europe. Le programme Erasmus, malgré son succès populaire, ne concerne qu'à peine 2 % des étudiants et le faible montant des bourses ne permet pas toujours aux moins favorisés d'étudier à l'étranger.

Les Européens doivent donc réagir pour entrer de plain-pied, avec ambition et réalisme, dans l'économie de la connaissance. Parce qu'elles se situent au croisement de la recherche, de l'éducation et de l'innovation, les universités contribuent de façon significative aux nombreux objectifs de la stratégie de Lisbonne.

En lançant le programme Erasmus Mundus, la Commission européenne entend renforcer l'attractivité des universités de l'Union en permettant à plusieurs universités européennes et non européennes de s'associer pour délivrer un master européen commun. Ce nouveau label « made in Europe » doit contribuer à renforcer la visibilité internationale des diplômes européens. Avec un budget de 230 millions d'euros sur cinq ans, le programme souffre toutefois d'un vrai problème d'échelle et n'est pas en mesure de répondre, à lui seul, aux objectifs fixés.

Essentiellement organisé au niveau national et régional, le paysage universitaire européen se caractérise en effet par sa grande hétérogénéité qui s'exprime en termes d'organisation, de gouvernance et de conditions de fonctionnement, de même qu'en ce qui concerne le statut et les conditions d'emploi et de recrutement des professeurs et des chercheurs. En revanche, les universités européennes, pour différentes qu'elles soient, sont confrontées à des défis similaires : augmentation de la demande de formation supérieure, internationalisation croissante de l'éducation et de la recherche, nécessité de s'ouvrir sur le « monde réel », en renforçant les liens avec le monde de l'entreprise. Face à ces contraintes communes, la réponse doit plus que jamais s'organiser au niveau européen. Trois chantiers prioritaires peuvent être identifiés :

- remédier au sous financement : dans un contexte de restrictions budgétaires dans la plupart des pays membres, l'augmentation du financement des universités devrait résulter d'une diversification des revenus des établissements d'enseignement supérieur ;

- créer les conditions de l'excellence : après le défi réussi de la massification de l'accès à l'enseignement supérieur, l'objectif est désormais qualitatif. Projet d'universités d'élite en Allemagne ou tentatives de rapprochement entre grandes écoles en France : la prise de conscience est réelle, mais il faut désormais concrétiser les projets. L'objectif est de gagner en visibilité et en notoriété en accédant à une taille critique de niveau international. En France, nos grandes écoles d'ingénieurs ont l'excellence mais pourtant pas la « force de frappe » du MIT ou de Stanford ;

- ouvrir davantage les universités sur leur environnement en renforçant les liens avec le monde de l'entreprise et en amplifiant la diffusion des connaissances et des technologies. Sur un plan international, les stratégies d'alliance doivent être encouragées.

Le rapporteur a alors détaillé un certain nombre de propositions :

¬ Organiser des cursus en anglais pour attirer les meilleurs étudiants étrangers

L'un des facteurs de l'attractivité d'un système d'enseignement supérieur réside dans sa capacité à attirer les meilleurs étudiants étrangers. D'un point de vue académique, pourquoi la France devrait-elle se priver d'excellents étudiants étrangers au motif qu'ils ne parlent pas notre langue ? La création, pour ces étudiants, de cursus dispensés exclusivement anglais, doit favoriser la venue en France d'étudiants qui ne viendront pas autrement. Elle peut aussi permettre d'attirer des professeurs étrangers. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une telle mesure est très favorable à la francophonie, puisqu'à terme, la communauté francophone s'en trouvera élargie. En effet, un étudiant étranger qui séjourne en France apprendra nécessairement le français, ne serait-ce que par commodité dans sa vie quotidienne.

Des cours intensifs de français devraient s'ajouter à son cursus en anglais, et donner lieu à terme à un examen de niveau, pourquoi pas identique à l'ensemble des pays francophones, sur le modèle du TOEFL qui existe pour l'anglais.

¬ Créer auprès de chaque pôle universitaire un « guichet unique » pour l'accueil des étudiants étrangers

A leur arrivée en France, les étudiants étrangers doivent généralement se soumettre à un véritable parcours du combattant pour effectuer l'ensemble des démarches nécessaires à leurs inscriptions administrative et pédagogique, à la recherche d'un logement, à l'accomplissement d'un certain nombre de formalités.

Or beaucoup d'entre eux ne maîtrisent pas nécessairement bien notre langue, et ne sont pas familiers des rouages de notre administration. C'est pourquoi le rapporteur a proposé de regrouper au sein d'un guichet unique, auprès de chaque pôle universitaire, l'ensemble des services compétents (antenne préfectorale, service d'aide sociale, bureau du logement, etc...) pour l'accueil des étudiants étrangers.

¬ Créer des fondations universitaires d'académie afin d'abonder le financement de l'enseignement supérieur

Si l'enseignement supérieur et la recherche doivent rester une priorité du budget de l'Etat, il est souhaitable de diversifier les sources de financement pour augmenter significativement les moyens alloués à l'enseignement supérieur et à la recherche. La création de « fondations universitaires d'académie » pourrait contribuer à cet objectif, en étant habilitées à recevoir des fonds de particuliers, d'entreprises ou de collectivités territoriales. Il ne s'agirait pas, contrairement à ce qui existe aux Etats-Unis, de permettre la création d'une fondation dans chaque université, pour éviter le risque que ne se creuse à terme un fossé entre des universités riches et des universités pauvres. C'est pourquoi de telles fondations devraient être créées au niveau de l'académie, et seraient chargées, sous la direction d'un « Conseil académique » de redistribuer les fonds perçus, selon des critères à définir, entre les différents établissements d'enseignement supérieur et de recherche de l'académie.

Pour qu'un tel système fonctionne, il devrait s'accompagner de l'instauration de mécanismes d'incitation fiscale.

¬ Favoriser, autour de labels communs, les rapprochements et les synergies entre les universités, les grandes écoles, les organismes de recherche et les entreprises

Etablir un statut d'« université pilote » : le rapporteur a proposé à certains établissements qui en feraient la demande le statut d'« université pilote », qui donnerait accès à un statut juridique dérogatoire, pendant une période limitée à quatre ans.

Ce statut ne permettrait de déroger ni à l'interdiction de sélection à l'entrée du premier cycle universitaire, ni aux règles nationales de fixation des droits de scolarité. Il autoriserait en revanche un certain nombre d'assouplissements en matière de recrutement des professeurs, de gouvernance et d'autonomie de gestion budgétaire.

¬ Reconstituer un ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et des nouvelles technologies, autonome du ministère de l'éducation nationale

Les questions qui relèvent de l'enseignement primaire et secondaire sont autonomes par rapport aux problématiques posées par l'enseignement supérieur et la recherche. Les exigences liées à l'internationalisation occupent une place de plus en plus importantes aux dépens des problématiques exclusivement nationales.

Le rapporteur a souligné que dans la plupart des Länder allemands compétents en matière d'éducation, il existe des ministres des universités et de la recherche autonomes par rapport à leurs collègues en charge de l'éducation.

¬ Créer une Commission nationale sur l'avenir de l'enseignement supérieur

Sur ces sujets politiquement très sensibles, aucune réforme n'est possible, ni souhaitable, sans un consensus. De même que cela a été fait pour la laïcité (Commission Stasi), l'école (Commission Thelot) et la recherche (Comité d'initiative et de proposition - CIP), le rapporteur a proposé de créer une Commission nationale sur l'avenir de l'enseignement supérieur. Cette commission devrait être composée de représentants institutionnels et syndicaux des universités, grandes écoles, organismes de recherche, entreprises, étudiants, enseignants chercheurs. Des personnalités extérieures, françaises et étrangères, devraient également y participer. Elle serait dans un premier temps chargée d'établir un diagnostic partagé, puis des axes de réformes qui pourraient alors soumis au débat et à la consultation nationale.

¬ Réorienter le budget de l'Union européenne en direction des objectifs politiques fixés par le Conseil européen dans le cadre de la stratégie de Lisbonne

Le budget européen ne reflète pas les priorités politiques de la stratégie de Lisbonne. La négociation qui s'ouvre sur les perspectives financières 2007-2013 doit être l'occasion de débattre d'un financement réaliste de la stratégie de Lisbonne, au service de la croissance et de l'emploi, au moyen notamment de l'édification d'un espace européen de la connaissance et de l'innovation.

¬ Créer un fonds européen de financement des infrastructures universitaires

Alors que l'élargissement de l'Union et la négociation sur les perspectives financières va conduire à négocier l'attribution des fonds structurels, il est proposé de créer un nouveau fonds : le Fonds européen de financement des infrastructures universitaires. Ce fonds serait certes alimenté par le budget européen, mais également par des donations privées, en prévoyant l'instauration d'un mécanisme d'incitation fiscale.

¬ Créer un label d'université européenne

L'avenir des écoles et des universités réside dans leur capacité à s'intégrer dans des réseaux. Il faut aller au-delà des seuls programmes d'échanges. Beaucoup sont d'ores et déjà engagées dans une stratégie internationale, qui ne se limite d'ailleurs pas au seul continent européen.

A l'instar des « airbus universitaires » évoqués le 22 janvier 2003 à l'occasion du 40e anniversaire du Traité de l'Elysée par le Président Jacques Chirac et le Chancelier Gerhard Schröder, il est proposé d'inciter à la mise en réseau des universités européennes, sur la base du volontariat. L'objectif serait de parvenir (sur le modèle de ce que le programme Erasmus Mundus met en place, mais à une échelle plus grande) à des cursus intégrés entre quelques universités. Il s'agit d'éviter la dispersion, et de permettre au contraire des partenariats réfléchis et stratégiques, sur la base du volontariat, afin de faire émerger une quinzaine de pôles européens de compétence, de dimension internationale.

¬ Soutenir la création d'une revue scientifique européenne

Les classements internationaux des universités reposent en grande partie sur la publication d'articles dans des revues scientifiques américaines de renommée mondiale telles que Science ou Nature. Or il n'existe pas de publication européenne dont l'impact soit comparable. Les académies des différents pays de l'Union pourraient ainsi unir leurs notoriétés respectives pour appuyer la création d'une revue européenne dotée d'une autorité scientifique et d'un soutien financier.

¬ Créer un statut de « chaire européenne »

Cette proposition vise à faciliter la mobilité européenne des enseignants chercheurs.

A l'issue de son exposé, le rapporteur a tiré un certain nombre de conclusions. Il a tout d'abord déclaré que le processus de Bologne constitue incontestablement un levier de réforme sans précédent qui doit stimuler la modernisation de nos structures d'enseignement supérieur. A cet égard, la France est en avance sur ses partenaires européens, et il faut saluer la capacité d'adaptation de nos grandes écoles et universités. 

Mais il reste un certain nombre de tabous qui malheureusement nous enferment souvent dans l'immobilisme. Il faut dépassionner le débat sur l'enseignement supérieur et l'affranchir des pesanteurs idéologiques qui ne rendent service à personne et, in fine, desservent notre pays. Car les universités sont des berceaux d'influence et doivent aussi être des outils au service du rayonnement et de la puissance d'une nation.

Au-delà de l'hexagone, c'est bien là que réside l'enjeu pour l'Europe : affirmer ses valeurs et sa vision du monde. Les universités du 21e siècle peuvent contribuer au développement d'une nouvelle Europe des Lumières qui doit marquer de son empreinte la société de la connaissance et de l'innovation. Pour y parvenir, l'Europe a besoin d'une méthode. Loin d'engager le grand soir de l'université, il s'agit de privilégier l'incitation et l'expérimentation, d'une façon progressive, par petits pas, mais avec détermination, enthousiasme et conviction.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. Edouard Landrain, après avoir souligné la qualité du rapport, a remarqué que celui-ci conduisait au constat de la disparition de la notion d'université européenne telle qu'elle fut définie au siècle des Lumières. En particulier, le déclin du français est très net. Par ailleurs, la situation des ressources humaines dans le secteur de la connaissance en Europe est très préoccupante.

Les étudiants francophones souhaitant être accueillis en France, surtout ceux des pays d'Afrique, connaissent des difficultés pour obtenir un visa. M. Edouard Landrain a interrogé le rapporteur sur l'existence de difficultés similaires aux Etats-Unis.

L'autonomie des universités est un sujet de débat en France mais ne se traduit pas par des avancées réelles. Cette autonomie devrait concerner la recherche de financements privés, les collectivités publiques ne pouvant assurer l'ensemble du financement des universités. A ce sujet, M. Edouard Landrain a interrogé le rapporteur sur les relations entre secteurs public et privé dans les universités américaines et sur la mobilité des enseignants à l'extérieur des universités, notamment vers le monde politique. Il a également demandé des précisions sur le statut fiscal des dons privés aux universités américaines.

L'éparpillement des universités en France amène à s'interroger sur l'opportunité de favoriser la création de grandes universités offrant de larges choix en matière d'études, de culture et d'activités sportives. La dimension multidisciplinaire de telles universités permettrait en outre un croisement des connaissances très fécond.

Cependant, la conduite de réformes dans l'enseignement supérieur paraît particulièrement difficile, du fait des contestations qu'elles provoquent systématiquement. M. Edouard Landrain a interrogé le rapporteur sur la situation dans les pays qu'il a visités.

M. Jacques Floch s'est rallié dans l'ensemble aux propositions du rapporteur. Celles-ci sont ambitieuses car le milieu universitaire français est particulièrement opposé aux réformes, même d'ordre matériel.

La dispersion universitaire, avec la présence de plusieurs universités dans une même ville, est elle-même un obstacle aux réformes. Elle multiplie les postes et structures de décision. A cet égard, la composition des Conseils d'université devrait permettre une meilleure représentation du monde économique, social, politique et syndical. Les universitaires ne devraient pas pouvoir faire seuls des choix importants, par exemple en matière d'implantation des universités.

M. Jacques Floch a jugé satisfaisantes les propositions du rapporteur relatives au rapprochement entre grandes écoles et universités. Citant l'exemple de Nantes, il a souligné les difficultés connues dans le passé pour faire accepter l'implantation de grandes écoles et pour opérer leur rapprochement avec l'université. Celui-ci n'a d'ailleurs reposé que sur des initiatives individuelles.

Au-delà de l'admiration que le système universitaire américain peut susciter, il convient de souligner, d'une part, la différence de contexte et, d'autre part, les défauts d'un tel système. Ceux-ci résident principalement dans le corporatisme et le fait que certains postes
- notamment dans l'administration fédérale - soient réservés aux diplômés de certaines universités. Cette dérive existe également en France pour les diplômés des grandes écoles.

M. Jérôme Lambert, après avoir remercié le rapporteur pour sa présentation instructive, a observé que l'université n'est pas seulement porteuse de savoir et de connaissances, mais aussi d'une culture et d'un modèle de société qui va de pair avec elle. Ainsi l'université américaine est indissociable de la société américaine, de son goût de la compétitivité et de son système économique libéral. Beaucoup d'Européens sont attachés à une autre culture et à un autre modèle de société que le modèle anglo-saxon.

L'harmonisation des diplômes a sans doute ses vertus, mais elle découpe en seulement trois niveaux le cycle universitaire, ce qui allonge mécaniquement les étapes à franchir pour qu'un étudiant obtienne un diplôme. Avec cette réforme, un étudiant ne peut espérer obtenir aucune reconnaissance de son travail avant au moins trois ans, alors que l'ancien système permettait l'attribution du DEUG au bout de deux ans. De même, s'inscrire en maîtrise n'engageait l'étudiant que pour un an, alors qu'il lui en faudra désormais deux pour obtenir un master. Pour répondre aux besoins de tous, la possibilité devrait donc être ménagée de suivre des cycles courts grâce auxquels les étudiants pourraient quitter plus tôt l'enseignement supérieur avec un diplôme en poche.

L'allongement des cycles a d'autres conséquences pour les étudiants étrangers, qui bénéficient d'un visa qui n'est valable que pour une durée d'un an renouvelable. Alors qu'ils sont engagés dans des études qui dureront plusieurs années, ils doivent régulièrement retourner grossir les files d'attente devant les préfectures. Les Etats-Unis leur réservent un meilleur accueil, en leur accordant des cartes de séjour valables pour toute la durée de la scolarité.

M. Jérôme Lambert a estimé que le financement privé pourrait d'autre part mettre en cause l'égalité entre les étudiants. Une péréquation financière entre établissements d'une même académie n'évitera pas que les inégalités se creusent entre établissements appartenant à des académies différentes. Un étudiant de la région Poitou-Charentes doit pouvoir suivre un cursus à Poitiers s'il n'a pas les ressources financières nécessaires pour trouver un logement à Paris et payer ses déplacements jusque-là. Il faut garantir un enseignement supérieur de qualité sur l'ensemble du territoire.

Enfin, l'appel à un financement européen reste un vœu pieux si le budget communautaire n'est pas augmenté globalement.

A ces observations, le rapporteur a répondu en exposant les éléments suivants :

- l'analyse de la situation américaine ne procède pas d'une admiration aveugle. Le système américain ne constitue pas la panacée et ne saurait être imité servilement. Il fournit cependant un point de comparaison susceptible de faire ouvrir les yeux sur la réalité observée. La Conférence des Présidents d'Université, les syndicats d'enseignants et d'étudiants : chacun reconnaît l'urgence à réformer. Le monde universitaire vit trop replié sur lui ; il a besoin de s'ouvrir aux entreprises et aux laboratoires de recherche ;

- dans la compétition mondiale qui s'est ouverte, ni la France ni l'Europe ne sont dépourvues d'atouts, comme la qualité de l'enseignement secondaire dispensé ; mais le sous-financement des structures universitaires est patent ; l'Europe a une contribution à apporter, pour mettre en œuvre concrètement la stratégie de Lisbonne ; en France, l'enseignement supérieur doit rester une priorité du budget de l'Etat, mais cela ne doit pas exclure des incitations fiscales au profit des particuliers qui voudraient faire un don à une université de leur choix ;

- une réforme expérimentale au sein d'un établissement pilote suffirait dans un premier temps pour donner corps aux propositions envisagées, dans le respect de la gratuité des droits d'inscription et de l'absence de sélection à l'entrée, qui sont deux principes intangibles ;

- les visas pour études sont beaucoup plus difficiles à obtenir aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, mais ils bénéficient encore à 586 000 étrangers, qui sont principalement originaires de l'Inde, de la Chine, de la Corée du sud, du Japon ou de Taiwan ;

- environ trois-quarts des donations viennent des particuliers, essentiellement des anciens de l'université. La situation actuelle de l'université française ne permettrait certainement pas d'atteindre une telle mobilisation des dons des particuliers dans notre pays ;

- la fuite des cerveaux est un vrai sujet dans la mesure où nos étudiants ont acquis une bonne formation dans le secondaire et vont compléter leur formation supérieure aux Etats-Unis. Ce phénomène souligne que notre enseignement supérieur a réussi le défi du quantitatif mais pas encore celui du qualitatif. Par ailleurs, le rapporteur a déclaré avoir présenté des propositions peut-être ambitieuses, mais surtout concrètes et certainement pas des vœux pieux ;

- réformer l'enseignement supérieur est beaucoup plus facile aux Etats-Unis qu'en France parce qu'il existe un consensus sur l'université qu'on ne rencontre pas dans le monde de l'enseignement supérieur français. Comme l'a dit M. Jacques Floch, ce milieu est parfois conservateur, encore trop centré sur lui-même et trop éparpillé pour atteindre une taille critique suffisante. Les cent élèves de la promotion de Polytechnique n'ont pas de notoriété internationale et cet établissement très prestigieux, en France, n'est pas cité parmi les établissements mondialement connus non seulement dans les universités américaines, mais même à Oxford ou à Cambridge ;

- ouvrir l'université sur son environnement local, régional, européen et vers les entreprises est une vraie nécessité ;

- il existe des coteries d'anciens élèves aux Etats-Unis mais aussi en France, même si elles ne sont pas à la même échelle. Ainsi, l'ancien directeur de l'école des Ponts et Chaussées avait-il eu la bonne idée de proposer un rapprochement entre l'école des Ponts et l'école des Mines, dans le cadre du développement de ParisTech, ce qui aurait donné plus de visibilité à ces deux écoles. La coterie des membres du corps des ingénieurs des Mines a néanmoins réussi à la torpiller ;

- il ne s'agit pas d'un rapport libéral en faveur d'un modèle de société, mais simplement de regarder ce qui fonctionne et ne marche pas dans l'enseignement supérieur américain dont l'attractivité mondiale est incontestable. Le rapport ne cache pas que la classe moyenne américaine rencontre des difficultés d'accès aux bourses de l'enseignement supérieur. Par ailleurs, ses propositions ne touchent absolument pas au DEUG et à la maîtrise, ni à tout le dispositif d'enseignement professionnel des BTS et des DUT ;

- en ce qui concerne les différences entre académies, d'abord le tissu économique des entreprises n'est pas uniquement concentré en Ile de France, ensuite des alliances peuvent se nouer entre universités sur tout le territoire. L'important est de créer des fondations par académie et non par université pour éviter précisément le risque de créer des inégalités entre universités plus ou moins riches.

Le Président Pierre Lequiller a remarqué que le budget de l'Etat pourrait compenser ces déséquilibres.

Le rapporteur a enfin souligné la nécessité de renforcer la mobilité des étudiants en réglant mieux leurs conditions de logement et de ne pas créer partout des universités n'ayant pas la taille critique.

A l'issue de ce débat, la Délégation a autorisé la publication du rapport d'information.