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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 110

Réunion du mardi 18 janvier 2005 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition (ouverte à la presse) de Mme Anne Lauvergeon, Présidente du Directoire d'Areva, sur le marché européen de l'énergie et la politique industrielle européenne

Le Président Pierre Lequiller a remercié Mme Anne Lauvergeon d'avoir accepté de venir devant la Délégation pour parler du groupe Areva dans une perspective européenne. La Délégation ayant pour vocation habituelle d'examiner les textes européens à caractère législatif et d'auditionner des personnalités intervenant dans le champ communautaire, ministres ou commissaires européens par exemple, la réunion de ce jour constitue une innovation, permettant d'entendre une personnalité du monde de l'entreprise.

Mme Anne Lauvergeon, Présidente du Directoire d'Areva, a d'abord fourni quelques éléments d'information sur ce groupe. Il emploie 70 000 personnes, réalise 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 400 millions d'euros de résultats nets. Une faible part du chiffre d'affaires (15 %) est imputable à l'activité de « connectique », aujourd'hui bénéficiaire après avoir subi de lourdes pertes par le passé. L'essentiel de l'activité (85 %) est donc lié à l'énergie et, plus particulièrement, au nucléaire. Le groupe Areva intervient à tous les stades du cycle du nucléaire, depuis l'extraction du combustible jusqu'au recyclage des déchets. Il s'agit d'ailleurs de la seule entreprise au monde dans ce secteur ayant un champ d'action aussi étendu et il importe de souligner qu'elle est leader ou presque sur chacune de ses activités. Depuis 2004, le groupe Areva a repris la division « Transmission et distribution » d'Alstom, intervenant dans l'acheminement de l'électricité vers les grandes villes et les sites industriels, dont la profitabilité doit être rétablie par un plan mis en œuvre sur trois années.

En tant qu'entreprise, Areva perçoit d'importantes disparités dans la place accordée aux questions énergétiques par les différents Etats. Ces questions sont manifestement au cœur des préoccupations en Chine, au Japon, en Russie ou aux Etats-Unis. En revanche, il n'existe pas de véritable politique européenne de l'énergie. Chaque Etat membre de l'Union européenne poursuit sa propre politique dans ce domaine et les débats menés au niveau communautaire sont cloisonnés - envisageant successivement les rapports entre l'énergie et les changements climatiques, la compétitivité, la libéralisation, l'emploi, les relations avec les Etats voisins... - ce qui ne facilite pas la cohérence.

Si l'on s'en tient à la question du nucléaire, on doit constater que la Commission européenne a tendance à l'aborder de façon schématique et réductrice. Il faut même observer que l'action de la précédente Commission était écartelée entre, d'une part, une ligne poursuivie par la commissaire chargée de l'environnement, qui a obtenu l'exclusion du nucléaire et de l'énergie hydraulique des mécanismes de mise en œuvre du protocole de Kyoto et, d'autre part, une ligne défendue par la commissaire en charge de l'énergie, qui insistait sur l'importance du nucléaire pour assurer l'indépendance énergétique de l'Union européenne. Pour l'avenir, il est exact que le traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit le développement d'une politique européenne de l'énergie, mais aucun élément ne précise les modalités d'activation de ce cadre potentiel.

Si le nucléaire a été banni des mécanismes communautaires initiaux de mise en œuvre du protocole de Kyoto, ce qui manifestement ne constitue pas une solution pertinente, il est essentiel que ce secteur énergétique, ainsi que l'énergie hydraulique, puissent être réintégrés dans les mécanismes qui seront applicables à compter de 2012. Cette question devrait d'ailleurs être étudiée à l'occasion du prochain G8 de juin 2005 au Royaume-Uni. L'Europe ne peut plus se contenter de discours très engagés accompagnés de pratiques minimales, alors même que les Etats-Unis, s'ils refusent de ratifier le protocole de Kyoto, mènent en fait une politique très ambitieuse et ont une administration avec laquelle des entreprises comme Areva travaillent plus facilement qu'avec l'administration européenne. En tout état de cause, il faut envisager, dès à présent, d'aller au-delà des obligations du protocole de Kyoto et prévoir l'implication de pays comme l'Inde ou la Chine. Il est remarquable de constater l'évolution de la perception des entreprises sur le problème du changement climatique. Après une phase de dénégation, il existe actuellement une véritable prise de conscience et, par exemple, les 170 compagnies internationales regroupées dans World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) viennent de signer un document soulignant la nécessité d'agir rapidement.

L'effort de recherche du groupe Areva s'élève à 300 millions d'euros par an et donne lieu à une collaboration spécifique avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Il s'oriente autour de deux axes. Le premier a trait aux réacteurs nucléaires et, à cet égard, si le projet ITER est fondamental, il ne faut pas oublier qu'il ne devrait constituer une solution pratique que vers 2080 et qu'il importe donc de ne pas délaisser les travaux portant sur les étapes intermédiaires que sont les générations III et IV. Concernant le second axe de recherche, la gestion des déchets, la responsabilité d'Areva est engagée. Nous attendons l'état des lieux que doit dresser la commission nationale d'évaluation. Celui-ci sera la base de progrès et de décisions préparant l'avenir.

Areva a été plusieurs fois concerné par des décisions de la Commission en matière de concurrence. La Commission a tout d'abord autorisé la création d'Areva, puis la fusion de l'activité nucléaire de Framatome et de Siemens, contre la perte d'une part de marché significative auprès d'EDF. Celle-ci découlait de l'ouverture du marché et se serait produite de toute façon. L'acquisition de la branche « Transmission et distribution » d'Alstom a été autorisée en décembre 2003. Enfin, la Commission a approuvé fin 2004 la création d'une joint venture avec le concurrent d'Areva, Urenco, pour l'acquisition de la technologie de centrifugation - qui représente trois milliards d'euros d'investissement sur le site de Tricastin à partir de 2007. Aucune de ces décisions en matière de concurrence n'est discutable.

M. Marc Laffineur a interrogé Mme Anne Lauvergeon sur l'évolution de l'état d'esprit des Européens, des Américains et des Chinois vis-à-vis du nucléaire. Il a estimé qu'un changement était intervenu par rapport à la volonté de sortir du nucléaire de la fin des années 1990, marquée par la décision de l'Allemagne après l'arrivée au pouvoir du Chancelier Gerhard Schröder. Aujourd'hui, les Allemands semblent regretter cette décision. Les Etats-Unis ont aussi souhaité arrêter le nucléaire mais ont depuis évolué. M. Marc Laffineur a ensuite demandé des précisions sur la position d'Areva en Chine, puis sur les perspectives d'ouverture du capital d'Areva et sur les avantages à attendre de cette ouverture.

M. Pierre Lellouche a estimé que les négociations sur ITER avaient pris beaucoup de retard. La lenteur et le manque d'énergie de la Commission sont regrettables. Maintenant que le veto américain est levé, une solution devrait être trouvée et le Gouvernement devrait s'y atteler. Le niveau des négociations et l'exclusion des négociateurs français de certaines réunions sont très peu satisfaisants, eu égard aux enjeux.

Il a ensuite interrogé Mme Anne Lauvergeon sur les possibilités d'une politique énergétique européenne, alors que le désaccord entre la France et l'Allemagne au sujet du nucléaire est si patent. La situation est doublement paradoxale. D'une part, malgré ce désaccord, Areva a sauvé la partie nucléaire de Siemens en fusionnant avec elle. D'autre part, cette fusion a abouti à un monopole d'accès de Siemens aux ventes de salles de commandes d'EPR, qui sont la spécialité d'Alstom. En Finlande, Alstom a été exclu du marché, alors qu'il connaît de graves difficultés. M. Pierre Lellouche a interrogé Mme Anne Lauvergeon sur cette situation et sur l'éventualité d'une fusion entre Areva et Alstom avant la privatisation d'Areva. Il a également souhaité connaître les raisons pour lesquelles la Chine n'a pas passé de commande pour l'EPR et sur l'existence de demandes de transferts de technologies qui menaceraient la situation favorable d'Areva.

Le Président Pierre Lequiller a interrogé Mme Anne Lauvergeon sur l'influence de la relation entre Areva et Siemens dans le succès remporté en Finlande. Il a également souhaité savoir si cette relation était un atout pour Areva en Asie, notamment en Chine.

Mme Anne Lauvergeon a apporté les éléments de réponse suivants.

- On assiste à une évolution très profonde des esprits sur le nucléaire au plan mondial. Le mouvement s'est amorcé aux Etats-Unis sous l'influence de plusieurs facteurs. Au début des années quatre-vingt-dix, les centrales nucléaires ont été exploitées d'une façon de plus en plus rentable et sont devenues des sources de profits importants. La crise de l'énergie en Californie a fait redécouvrir l'importance de l'énergie domestique. Enfin, les attentats du 11 septembre ont fait prendre conscience aux Américains de la nécessité de relancer le nucléaire. L'administration Bush, pourtant proche du monde du pétrole, est aujourd'hui favorable au nucléaire. Selon les sondages, 61 % des Américains le sont aussi.

La Chine se caractérise par son développement économique, son besoin énergétique et sa dépendance vis-à-vis du charbon. Jusqu'en 2002, la Chine a mené des projets nucléaires avec de nombreux pays : l'Allemagne, les Etats-Unis, le Canada, la Russie, la France. De ce fait, son parc nucléaire est très hétérogène. Les difficultés internes au gouvernement ont été surmontées et la décision de créer un grand parc nucléaire a été prise. Un appel d'offres a été lancé pour quatre nouvelles centrales de troisième génération.

La Russie n'a jamais eu d'hésitation sur le nucléaire. Une nouvelle centrale est raccordée au réseau tous les deux ou trois ans.

L'Europe est totalement divisée. L'Allemagne a décidé d'arrêter le nucléaire à partir de 2018-2020 car elle le considère dangereux. La Finlande a décidé de s'équiper d'une ou deux centrales pour des raisons économiques, écologiques et énergétiques. L'exemple de la Suède est intéressant : en 1980, elle a décidé par référendum (avec 55 % des suffrages) de sortir du nucléaire avant 2010. Dans les faits, une seule centrale a été arrêtée et 45 % de l'électricité est nucléaire. Dans un sondage en 2003, 55 % des personnes interrogées se déclaraient pour le maintien du nucléaire. Cette proportion a atteint 80 % en 2004, dont 16 % de personnes favorables à un renforcement de cette source d'énergie.

On retrouve dans ce sondage les mêmes raisons de nature économique, écologique et énergétique que celles avancées en Finlande. Les pays nordiques illustrent une façon moderne de gérer l'énergie nucléaire, qu'ils considèrent comme une énergie compétitive, écologique - parce que n'émettant pas de CO2 - et garante de l'indépendance à l'égard des voisins.

- En ce qui concerne les décisions de la Chine sur l'appel d'offres concernant quatre centrales type EPR, le choix sera entre un fournisseur anglo-américain, Westinghouse, et Areva, compte tenu de l'élimination de General Electric. Areva ayant reçu l'appel d'offres le 28 septembre 2004, la visite du Président de la République, au début du mois d'octobre, ne pouvait d'autant moins déboucher sur une décision des autorités chinoises que ces dernières attendent l'offre d'Areva pour le 28 février 2005. Leur décision - qui sera prise à la fin de l'année 2005 - revêtira quatre dimensions : une dimension technique, liée à l'intérêt qu'y portent les dirigeants chinois ; une dimension politique, du fait de la concurrence entre l'offre anglo-américaine et celle d'un groupe franco-allemand ; une dimension financière, puisqu'est en jeu le coût du kilowatt/heure produit ; et la question des transferts technologiques qu'interdisaient les Etats-Unis jusqu'à présent, alors qu'Areva propose un track record de 20 ans.

- L'ouverture du capital d'Areva, programmée pour le premier semestre de cette année, revêt d'autant plus d'importance que tous ses concurrents sont des entreprises privées. En outre, Areva, dont le capital n'appartient pas intégralement à l'Etat, est déjà coté partiellement en bourse, son certificat d'investissement étant passé de 141 euros le 3 septembre 2001 à 330 euros à l'heure actuelle. Cette ouverture du capital emportera diverses conséquences positives : elle permettra de financer le développement sans endettement d'Areva ; elle répondra aux vifs souhaits de nombreux salariés d'être actionnaires ; elle favorisera l'entrée d'Areva sur certains marchés, en particulier celui des Etats-Unis, dont Areva est exclu actuellement en raison de la structure de son capital ; elle permettra au CEA, qui participe au capital d'Areva, de financer certaines de ses activités. Il importe que cette ouverture intervienne rapidement, d'autant qu'Areva n'est confronté à aucun problème de statut ou de pensions de retraite.

- Il serait important qu'ITER soit installé à Cadarache puisqu'Areva en est un fournisseur significatif.

- L'Allemagne a choisi d'arrêter l'exploitation de l'énergie nucléaire sans que, pour autant, les solutions esquissées soient pertinentes pour l'avenir : le gaz provenant de Russie ou d'Iran présente le risque d'une dépendance énergétique accrue et celui d'augmenter les émissions de CO2. Quant aux éoliennes, elles constituent une énergie d'appoint et non une énergie de base. De façon générale, cette opposition allemande et autrichienne à l'énergie nucléaire constitue un vrai frein au développement d'une politique européenne de l'énergie. On peut se demander s'il ne serait pas opportun, avant que l'Allemagne ne change de politique, de s'orienter vers une solution qui consisterait à élaborer un accord sur une base minimale de non-agression, permettant aux autres Etats membres de développer l'exploitation de l'énergie nucléaire sans devoir être confrontés à une position dure et « manichéenne » de l'Allemagne.

- Quant aux relations entre Areva et Siemens, il convient de rappeler qu'Areva a été créé après l'accord conclu entre Framatome et Siemens. L'entreprise allemande a apporté ses activités nucléaires à Framatome, provenant de très grands clients allemands de l'énergie nucléaire, tels que les électriciens EON, RWE et EMBW. En outre, Siemens a permis de bénéficier de relations commerciales fortes avec certains pays tels que le Brésil, de s'installer aux Etats-Unis dans le secteur des combustibles et de disposer d'une centrale construite en Chine. Siemens a par ailleurs apporté 50 % du capital de la société mixte créée pour réaliser l'EPR, Framatome possédant l'autre moitié. Siemens possède 34 % du capital de Framatome, Areva 66 % et en a la direction, puisqu'il prend les décisions sur la stratégie du groupe. Le partenariat dont Areva a hérité fonctionne très bien, puisque Framatome est une entreprise rentable entretenant une bonne synergie avec Areva, ce qui lui a permis de remporter une victoire en Finlande et d'être choisie par EDF. L'accord avec Siemens constitue un bon choix car l'alternative aurait été un accord entre Siemens et Westinghouse, concurrent d'Areva, ce qui aurait eu pour effet d'isoler Areva.

Siemens est également concurrent d'Alstom en ce qui concerne l'îlot conventionnel (qui abrite les alternateurs, turbines et systèmes électriques) des centrales nucléaires, lequel représente 30 % du chiffre d'affaires d'une centrale EPR. Alstom n'a émis aucune objection à l'occasion de la décision prise par la Commission de consulter les entreprises concurrentes sur les accords conclus entre Framatome et Siemens et entre ce dernier et Areva.

Aujourd'hui, la réalité de l'accord conclu entre Areva et Siemens est double. D'un côté, Areva a été choisi, conjointement avec Siemens, par les Finlandais, pour construire un îlot nucléaire (comprenant essentiellement la chaudière nucléaire) clé en mains. Areva se concentre sur le soutien de ses propres activités, principalement le domaine des îlots nucléaires séparés, comme c'est le cas en Chine, sans s'intéresser aux îlots conventionnels qui préoccupent Alstom. De l'autre côté, Areva et Siemens sont concurrents sur tous les marchés en ce qui concerne la transmission et la distribution.

- S'agissant de ses relations avec Alstom, Areva a contribué au plan de sauvetage de 2003 en rachetant ses activités de transmission et de distribution d'électricité, car elles étaient stratégiquement intéressantes. Une fusion entre les deux groupes ne paraît pas, en revanche, réaliste à ce stade. D'une part, Areva n'a ni la taille ni la capacité de régler les difficultés d'Alstom. D'autre part, après la cession par cette dernière de son activité énergie, l'argument de la création d'un grand groupe énergétique français ne peut plus être invoqué. Areva dispose certes d'une faculté d'investissement, mais celle-ci doit être affectée au projet de renouvellement de l'usine d'enrichissement de l'uranium « Georges Besse II ». A défaut, l'entreprise n'aurait plus de capacité d'investissement en Europe.

- S'agissant de Siemens, la création, par fusion, de Framatome-ANP a été une opération intelligente qui représente un grand atout sur les marchés de l'Asie.

M. Jérôme Lambert s'est d'abord demandé si l'Allemagne ne connaîtrait pas, à terme, une évolution semblable à celle de la Suède, où l'opinion n'est plus réticente au maintien du nucléaire, lorsqu'elle se trouvera confrontée aux choix essentiels. En ce qui concerne les nouvelles technologies, il a demandé des précisions sur l'implication d'Areva dans la filière de la pile à combustible, dont l'alimentation en hydrogène exige une grande quantité d'énergie. Evoquant enfin les déchets, il s'est intéressé au stade de développement de la recherche sur leur retraitement, notamment leur transmutation, après avoir indiqué qu'il avait pu observer dans son propre département les réserves de la population vis-à-vis des projets de stockage.

M. Daniel Garrigue a d'abord demandé quels pourraient être les objectifs et les instruments d'une politique européenne de l'énergie, abstraction faite des actuelles divergences allemandes. Il a ensuite souhaité connaître les règles de concurrence qu'il conviendrait d'assouplir au niveau communautaire, ainsi que les attentes d'Areva vis-à-vis des pôles de compétitivité et d'excellence.

M. Didier Quentin s'est intéressé aux modalités de la participation d'Areva, en Allemagne, à des opérations de communication et à des colloques sur l'enjeu nucléaire, ainsi qu'aux mesures par lesquelles les personnes privées d'électricité dans le tiers monde pourraient être desservies.

Après avoir indiqué que le protocole de Kyoto sur la lutte contre l'effet de serre serait prochainement mis en œuvre et que les objectifs de certains groupes de pays tels que le G 77 ou l'OPEP étaient très précis, M. Bernard Deflesselles a fait part de ses inquiétudes pour l'avenir compte tenu de la minceur du bilan de la récente conférence de Buenos Aires sur le changement climatique et des divisions de l'Europe sur les perspectives de l'après 2012. Il a donc souhaité connaître les modalités suivant lesquelles les producteurs d'énergie pourraient intervenir dans un processus qui concerne surtout, pour l'instant, les gouvernements et les ONG.

S'agissant des évolutions technologiques, il a demandé des précisions sur le calendrier envisageable pour l'installation de nouveaux réacteurs de type EPR, ainsi que sur les conditions d'un éventuel saut vers les réacteurs de la quatrième génération, une telle hypothèse étant évoquée par les détracteurs de l'EPR.

M. Gérard Voisin a souhaité connaître les attentes d'Areva en matière de déchets nucléaires, dans la perspective de l'échéance de 2006, avant de faire part des inquiétudes de certains observateurs quant à un éventuel transfert des sites actuellement exploités en France vers l'Europe centrale.

A ces questions, Mme Anne Lauvergeon a apporté les éléments de réponse suivants.

- L'opinion publique allemande donne peut-être les premiers signes d'une évolution. Il y a six mois, M. Edmund Stoiber, Ministre-Président de la Bavière, a organisé dans sa région un colloque où les participants étaient invités à réfléchir à une politique énergétique pour l'ensemble du pays : les orientations dégagées se sont révélées largement favorables à l'énergie nucléaire.

- Pour que l'Union européenne mène une vraie politique de l'énergie, elle doit d'abord comprendre que cette ressource constitue, avec l'eau et l'alimentation, l'un des trois besoins fondamentaux de l'humanité. Le Livre vert de 2001 avait jeté les bases de la réflexion, mais il faut encore que le thème soit inscrit à l'ordre du jour des grands sommets politiques européens.

- Au chapitre des nouvelles technologies, la production d'énergie à partir d'hydrogène a conduit Areva à développer pour chaque usine de petits réacteurs individuels qui produisent l'hydrogène nécessaire. Dans le secteur des piles à combustibles, Hélion, entreprise détenue par Areva et située à Cadarache, commence à produire à l'échelle industrielle. L'investissement en recherche-développement constitue une priorité pour l'entreprise.

- La recherche progresse sur la question des déchets nucléaires. Il est désormais possible d'en retirer non seulement le plutonium, mais les actinides mineurs dont la destruction laisse finalement un produit peu radioactif au total. Le laboratoire Atalante situé à Marcoule a déjà testé la viabilité du procédé. Superphénix servait autrefois de réservoir à actinides, comme laboratoire de transmutation, même si ce n'était pas là le dessein initial. Phénix, construit dans les années 1960, a dû être remis en service pour le remplacer dans ce rôle, mais il ne fonctionne naturellement pas de manière aussi satisfaisante.

- Le stockage des déchets reste l'objet de nombreux fantasmes. Dans l'ignorance où il est entretenu, le grand public s'imagine souvent que les déchets reposent au fond de grandes fosses sous-marines ou dans des piscines... Tous les déchets nucléaires français sont entreposés actuellement dans un hall unique, situé à La Hague et que tout le monde peut visiter. Il ne s'agit certes que d'entreposage, mais la situation peut encore durer longtemps ainsi, jusqu'à trente ans si nécessaire. L'ensemble de ces déchets ne représente en définitive que le volume d'un bassin de piscine olympique, même si les candidats à l'installation d'une telle piscine sont peu nombreux. Le parlement finlandais a su résoudre le problème en adoptant à l'unanimité moins trois voix le stockage des déchets dans un site en granit à proximité d'une centrale. Il est prévu qu'une nouvelle décision soit prise à ce sujet en 2050, au vu de l'évolution technologique constatée. Cette formule de stockage révisable paraît particulièrement raisonnable.

- Les règles de concurrence européenne n'ont pas été d'application trop difficile au cas d'Areva, mais les entreprises qui sont moins chanceuses nourrissent sans aucun doute des vues plus radicales sur leur nécessaire évolution.

- Areva soutient totalement l'idée des pôles de compétitivité. Tricastin, Marcoule et Cadarache pourraient en former un premier, parce qu'ils constituent une unité du point de vue de l'investissement et s'appuient sur un même réseau d'industries et de PME ; La Hague et Flamanville pourraient en former un second. D'une manière générale, l'entreprise attache beaucoup de prix au maintien des terroirs et au développement des bassins d'emploi. Lorsque son secteur connectique a connu de grosses difficultés et qu'elle a dû fermer seize usines, à l'étranger mais aussi en France, le reclassement a été systématique. Même la fermeture d'une usine à Vilvoorde (Belgique) n'a pas attiré outre mesure l'attention de l'opinion publique, parce que le personnel employé sur place s'est reconverti aux techniques du nucléaire, faisant la preuve qu'il était apte et prêt à évoluer quand l'entreprise savait elle-même ne laisser personne au bord du chemin.

- En Saône-et-Loire, Areva a repris les embauches à Chalon et prévoit de faire bientôt de même à Mâcon. A Chalon, Framatome voulait fermer l'usine qui avait produit des générateurs à vapeur pour EDF mais semblait avoir fait son temps. Areva l'a transformée en usine où l'anglais est la langue de travail et les Etats-Unis le débouché pour sept dixièmes de la production. Cette présence industrielle trouve sa limite non dans les quelques délocalisations vers l'Asie, mais dans une parité euro/dollar qui n'est pas tenable de manière durable pour les entreprises européennes. Des marchés leur échappent déjà au profit de concurrents japonais ou coréens sur le continent nord-américain. Si la parité devait se maintenir à son niveau actuel, elle pourrait sonner le glas de certains sites et constituerait un danger inquiétant pour l'ensemble de la plate-forme industrielle européenne. Pour l'instant, Areva reste cependant couvert pour 2005 et 2006 par les assurances de change.

- Les trois nouveaux milliards d'hommes attendus d'ici 2050 poseront un défi à la production mondiale d'électricité. Pour le relever, il faudra être plus créatif que pendant les cinquante dernières années et travailler sur la question en collaboration avec la Banque mondiale et les organisations non gouvernementales. Une réflexion de long terme doit s'engager sur la manière de reconstruire, ou simplement de construire, des systèmes électriques entiers. Areva se sent en particulier investi d'une responsabilité là où il est déjà présent. A l'abri des caméras de télévision, le groupe a déjà fait don de sous-stations qui doivent permettre de reconstruire un réseau électrique en Indonésie.

- Le réchauffement climatique est une préoccupation largement partagée par Areva. Le protocole de Kyoto constitue sur ce sujet une base nécessaire mais insuffisante. Tel qu'il est rédigé, il a permis aux Etats-Unis de s'enfermer dans une attitude de refus pur et simple. En collaboration avec les Etats et les organisations non gouvernementales, les entreprises réunies au sein du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) ont engagé une première réflexion à l'occasion du sommet de Johannesburg. Peut-être les ministres de l'environnement ne devraient-ils pas être les seuls décideurs politiques impliqués dans un processus qui engage aussi d'importants choix de nature industrielle et budgétaire. Faute de ce nécessaire élargissement de perspective, les énergies hydraulique et nucléaire peuvent se retrouver bannies par des décisions unilatérales peu rationnelles.

Combien d'EPR en perspective est une question que posent tous les banquiers pour l'ouverture du capital d'Areva à laquelle il n'est pas possible de répondre, en raison du trop grand nombre d'inconnues, notamment sur les décisions de la Chine.

M. Bernard Deflesselles a reformulé sa question en demandant combien il faudrait d'EPR pour rendre le processus économiquement viable.

Mme Anne Lauvergeon a répondu que l'EPR est déjà viable économiquement. Areva a pour principe de ne pas vendre à perte car ce n'est pas son rôle de subventionner les électriciens. Mais l'EPR a toute sa place sur le marché potentiel du XXIème siècle et Areva va le vendre pour une durée de vie de soixante ans pendant tout le siècle. Il n'y aura pas avant longtemps de meilleure réponse que l'EPR à la nécessité de produire l'électricité la moins chère. En revanche, la génération IV répond à une question différente, celle de produire une électricité modulable ou fondée sur une combinaison chaleur-électricité.

Il est d'ailleurs toujours très amusant d'entendre des détracteurs se prétendre des spécialistes pointus de l'EPR tout en n'étant pas des spécialistes des technologies. L'EPR peut s'appuyer sur un principe de marketing très intelligent puisqu'il permet aux électriciens de répondre aux besoins du plus grand nombre de manière très sûre, sans aléas. L'EPR a intégré toutes les améliorations possibles sans faire faire de saut dans l'inconnu aux électriciens qui, légitimement, ne veulent pas prendre de risques. Dire que l'EPR est trop évolutionnaire et pas assez révolutionnaire revient à faire sa publicité auprès des professionnels.

ITER concerne Areva en tant que fournisseur et utilisateur du site de Cadarache. Mais une échéance de 2070 ou 2080 ne permet pas aujourd'hui de mesurer comment Areva récupérera son investissement, sauf si un progrès considérable intervenait plus tôt de manière totalement imprévisible. Mais depuis Edison, les progrès dans le domaine de l'énergie sont très longs.

Areva ne se livrera pas à un abandon progressif des sites français. Celui de Macon est maintenu avec un ajustement des effectifs et des propositions de solutions sur le site de Chalon, même si l'entreprise raisonne plus en termes de reclassement de ses salariés en son sein qu'en termes de bassin d'emploi.

M. Robert Lecou s'est réjoui de cette audition très intéressante et a demandé quelle politique de communication pourrait dissiper certains fantasmes, si ce n'est peut-être une reconversion des anciens sites.

Mme Anne Lauvergeon a déclaré qu'elle avait trouvé, à son arrivée à la Cogema en 1999, un monde « bunkerisé ». Le tuyau de La Hague était le plus célèbre de France alors qu'il n'y avait rien à cacher. On n'en parle plus depuis qu'a été mise en place une politique de transparence totale, avec toutefois deux limites : le secret commercial et technologique et la sécurité. Après le 11 septembre, le site Web de l'entreprise, sur lequel on pouvait faire une visite virtuelle de ses sites, ne donne plus l'ensemble de ces informations. Areva va continuer cette politique de transparence et parlera, dès 2005, de la question des déchets qui doit être traitée en 2006.

Le groupe a hérité du CEA et des sites miniers de la Cogema arrêtés dans les années 1980-1990. Il s'est associé au réaménagement et il le fait bien, notamment à Lodève. Il doit en effet être suffisamment flexible pour participer à la vie économique de ces régions à la hauteur des attentes de leurs populations et de leurs élus.

A l'issue de son audition, Mme Anne Lauvergeon s'est déclarée prête à revenir devant la Délégation, en particulier après les décisions qui seraient prises par la Chine, pour débattre des évolutions de la politique énergétique européenne.